M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 3, qui vaudra pour les amendements nos 13, 1 rectifié et 2.
Ces amendements visent à interdire le recours à la méthode dite des tests osseux pour déterminer l’âge d’un individu et statuer sur sa minorité ou sa majorité.
Cette méthode, qui consiste en une radiographie du poignet afin d’évaluer le degré de maturité des os, n’est pas absolument fiable sur le plan scientifique, comme vient de le dire Mme Cohen. La marge d’erreur est comprise entre douze et dix-huit mois. C’est pourquoi il n’est pas admissible que l’âge d’un jeune, qui conditionne sa prise en charge par l’ASE ou sa reconduite à la frontière, soit déterminé uniquement sur la base d’un tel test. Toutefois, il n’existe aucune autre méthode scientifique fiable pour déterminer l’âge d’un individu.
L’article 21 ter prévoit d’encadrer ces tests : ils ne pourront être utilisés que sur décision de l’autorité judiciaire, avec l’accord de l’intéressé, qui sera indispensable ; en outre, l’examen osseux ne pourra suffire à déterminer la minorité ou la majorité, mais devra faire partie d’un faisceau d’indices.
Cet encadrement, qui est conforme aux décisions prises à ce sujet par la Cour européenne des droits de l’homme, me paraît constituer une avancée notable par rapport au droit existant.
La commission des affaires sociales a donc estimé que cet encadrement était satisfaisant et a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 3, ainsi que sur les amendements nos 13, 1 rectifié et 2.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, ministre. Je suis défavorable à ces amendements pour les raisons que vient d’exposer Mme la rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’amendement n° 3.
M. Jean-Yves Leconte. En ce qui me concerne, je voterai cet amendement.
Selon Europol, 10 000 enfants ont disparu sur les routes de l’exil vers l’Europe depuis deux ans.
Les tests osseux permettent soit de protéger la personne si le résultat conduit à considérer qu’elle est mineure, soit de l’incriminer si elle est considérée comme majeure. Les conséquences sont donc très lourdes pour des jeunes qui, dans tous les cas, ont besoin d’être protégés.
Les hautes autorités médicales, éthiques et scientifiques – cela a été rappelé – contestent ce test, qui est fondé sur des références datant des années 1930, établies pour une population donnée qui n’a rien à voir avec les populations sur lesquelles il est actuellement utilisé. Ces organismes soulignent que la marge d’erreur n’est pas de dix-huit mois, mais d’environ trois ans. Il est complètement aberrant d’utiliser ce type de tests pour déterminer si la personne a plus ou moins de dix-huit ans, alors qu’un tel décalage est possible !
C’est la raison pour laquelle le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, parmi les observations qui ont été adressées à la France à la fin de janvier, a recommandé de mettre fin à ces tests pour déterminer l’âge d’un enfant et de recourir à d’autres méthodes plus adéquates.
Cette première inscription dans la loi de ce type de test, même s’il s’agit d’encadrer son utilisation, n’est pas acceptable.
Ce test ne pourra être réalisé qu’avec l’accord des intéressés, nous dit-on, mais qu’est-ce que cela veut dire ? S’ils refusent, les tribunaux considéreront, comme pour les tests génétiques, qu’il existe une présomption de majorité. S’ils répondent alors qu’ils sont mineurs, leur décision autonome voudra aussi dire qu’ils se considèrent comme majeurs.
Il s’agit, par ces tests, de déterminer un âge précis qui conduit à des décisions extrêmement différentes, alors que la marge d’erreur est telle qu’il est déraisonnable de considérer que ces tests sont fiables et de les inscrire dans la loi, même pour les encadrer. En effet, les encadrer laisserait supposer qu’ils sont fiables et qu’ils servent à quelque chose, alors que ce n’est pas du tout le cas !
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Je voterai également cet amendement, pour les raisons qui viennent d’être évoquées.
Jusqu’à présent, les tests osseux, comme critère permettant de juger de l’âge d’un jeune, n’étaient pas inscrits dans la loi, mais seulement dans une circulaire. Cette insertion nous paraît grave.
De l’avis unanime des scientifiques, ces tests ne sont pas fiables. Souvent, le doute sur l’âge d’un jeune porte sur un, deux ou trois ans, alors que la marge d’erreur atteint trois ans ! C’est ce qu’indiquent, à l’unanimité – je le répète –, les scientifiques.
Le Haut conseil de la santé publique, dans son avis du 23 janvier 2014, s’est insurgé contre cette pratique : « La maturation d’un individu a des variations physiologiques en fonction du sexe, de l’origine ethnique ou géographique, de l’état nutritionnel ou du statut socio-économique ». Ainsi, il n’est pas éthique de solliciter un médecin pour pratiquer et interpréter un test qui n’est pas validé scientifiquement et qui, en outre, n’est pas mis en œuvre dans l’intérêt thérapeutique de la personne. Le Haut conseil de la santé publique en conclut que « le bénéfice du doute sur la majorité doit toujours profiter au jeune ».
Je pourrais aussi évoquer l’opposition du corps médical, puisque le Conseil national de l’ordre des médecins demandait, dans un communiqué du 9 novembre 2010, que « les actes médicaux réalisés, non dans l’intérêt thérapeutique, mais dans le cadre des politiques d’immigration, soient bannis, en particulier les radiologies osseuses ».
Je comprends qu’il est proposé d’encadrer ces tests, mais Jean-Yves Leconte vient d’indiquer à l’instant combien cet encadrement semble peu pertinent.
Malgré cela, il est proposé d’inscrire ce critère non scientifique dans la loi. Cela nous paraît particulièrement grave.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Effectivement, ces examens osseux ne sont pas fiables à 100 %. Ils constituent une indication par comparaison avec des radios effectuées précédemment.
Il est vrai que la médecine n’est pas toujours une science exacte, mais je souligne que cet examen ne peut être réalisé qu’après recueil de l’accord du jeune et n’est pas le seul à être pris en compte dans la décision.
En outre, le doute profite toujours à l’intéressé. De ce fait, cet article protège le jeune.
Néanmoins, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Le groupe Les Républicains, à l’exception de M. Chasseing, qui s’abstiendra, et du président Milon, est défavorable à cet amendement, ainsi qu’aux suivants qui nous seront présentés sur cet article.
Nous considérons que le texte de la proposition de loi est un compromis. Il prévoit un encadrement – décision de l’autorité judiciaire, accord de l’intéressé, prise en compte d’une marge d’erreur – et, dans tous les cas, le doute profite à l’intéressé.
La procédure est donc pleinement sécurisée. C’est pourquoi la très grande majorité de notre groupe est défavorable aux amendements qui modifient cet article.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. J’ai déposé, avec Jean-Yves Leconte, un amendement qui rejoint largement celui-ci.
Je m’étonne de la position du groupe Les Républicains, puisque M. Milon avait déposé un amendement qui allait dans le même sens que le nôtre. Il nous a même indiqué que le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a pris une position contre les tests osseux et qu’il a réitéré, ces derniers jours, sa demande au gouvernement français de proscrire le recours à ces examens.
Je pensais donc qu’il y aurait un consensus, ce soir, sur ces amendements. Il est dommage de rater une occasion de nous montrer unis dans une attitude qui soit favorable aux enfants.
Cette discussion me fait penser à l’exemple de Mohed Altrad, qui vient d’écrire un livre et qui a fait l’objet de reportages. Il est né dans le désert, puisqu’il est bédouin, et ne connaît donc pas sa date de naissance. Aujourd’hui, il possède la 54e fortune de France. Peut-être devrions-nous lui faire passer un test osseux…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il est effectivement écrit, à l’alinéa 2 de cet article, que le test est pratiqué après recueil de l’accord de l’intéressé. Mais sérieusement, comment penser que cet accord sera librement exprimé ?
Mme Laurence Cohen. On ne peut pas faire abstraction de la pression qui s’exerce sur le jeune, de sa sidération et de la tension extrême qu’il subit.
On se donne donc bonne conscience sur un sujet borderline, si vous me permettez cette expression…
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 164 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 42 |
Contre | 299 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis maintenant saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13, présenté par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 à 4
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« L’évaluation tendant à la détermination de la minorité ne peut être effectuée à partir de données radiologiques de maturité osseuse ou dentaire ou à partir du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires. »
II. – Alinéas 5 et 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement, qui rejoint largement ceux précédemment présentés, est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme Yonnet, MM. Marie, Yung et Kaltenbach, Mmes Lienemann et Khiari, M. Courteau, Mmes Lepage, Cartron et D. Michel, M. Bigot et Mme Jourda, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« L’évaluation tendant à la détermination de la minorité ne peut être effectuée à partir de données radiologiques de maturité osseuse.
II. – Alinéas 5 et 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Il s’agit d’un amendement qui rejoint la philosophie de celui qui vient d’être rejeté. Je prends acte de ce résultat. Vous pouvez donc considérer, monsieur le président, qu’il est défendu.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Milon, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 14, présenté par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
de l’autorité judiciaire
par les mots :
du juge des enfants
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Il s’agit d’un amendement de repli, qui vise à ce que les tests osseux ne puissent être réalisés que sur décision du juge des enfants, et non – comme cela est prévu dans la rédaction actuelle – de l’autorité judiciaire, sans plus de précision. Un magistrat spécialisé dans la protection de l’enfance me semble plus à même de prendre une telle décision.
M. le président. Les amendements nos 4 et 10 sont identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 10 est présenté par Mme Campion et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5 et 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 4.
Mme Laurence Cohen. L’article 21 ter prévoit que, dorénavant, pour pouvoir procéder à un examen radiologique osseux, il faut une décision d’une autorité judiciaire, que l’âge allégué ne soit pas vraisemblable, que l’intéressé ne dispose pas de documents d’identité valables et que son accord ait été recueilli.
Aux conditions inscrites dans le texte par les députés, la commission des affaires sociales du Sénat a ajouté que, dans chaque département, il est créé un comité d’éthique chargé de statuer sur la minorité ou la majorité des personnes à partir des éléments d’évaluation.
La création d’un comité d’éthique départemental ne nous semble pas de nature à garantir l’indépendance des missions à effectuer.
De plus, nous contestons l’accès au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO. Ce fichier enregistre les données personnelles, notamment biométriques, des demandeurs de visa pour la France. Il permet de développer des systèmes de contrôle biométrique aux frontières et de faciliter les vérifications d’identité.
Sa consultation permet de déterminer si une personne a déjà sollicité un visa sous une autre identité. Lors du passage de la frontière, il permet de vérifier l’authenticité du visa et l’identité de son détenteur. Lors des contrôles d’identité en France, il permet de vérifier l’identité de la personne et la régularité de son séjour.
Les données sont actuellement accessibles uniquement aux agents des consulats et des préfectures qui instruisent les demandes de visa, aux services chargés des contrôles aux frontières, aux officiers de police judiciaire et aux agents chargés de la lutte antiterroriste.
Nous sommes dans un cadre bien éloigné de la philosophie de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, dont l’article 21 ter est placé au titre III, qui s’intitule « Adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme »…
Selon nous, une ligne rouge a été franchie entre ce qui est admissible et ce qui ne l’est pas.
Introduire dans la loi des tests osseux, qui ne sont aucunement fiables scientifiquement, est incompréhensible et revient à dissimuler une pratique humiliante de gestion des flux migratoires. Nous refusons d’y adjoindre une disposition permettant de croiser les fichiers de la police judiciaire et de la lutte antiterroriste.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de ces alinéas 5 et 6.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour présenter l’amendement n° 10.
Mme Claire-Lise Campion. L’idée de créer un comité d’éthique pour statuer sur la minorité ou la majorité d’un jeune ne nous semble pas être une solution adaptée. Une telle décision relève en effet de l’autorité judiciaire.
Par ailleurs, imposer dans chaque département la création d’un comité composé de trois personnes qualifiées, dont il faudrait encore préciser le cadre et les conditions de travail, créerait une charge supplémentaire, sans aucune utilité démontrée.
M. le président. Madame la rapporteur, vous nous avez indiqué tout à l’heure que la commission était défavorable aux amendements nos 13 et 1 rectifié ter.
Pouvez-vous nous donner l’avis de la commission sur les autres amendements en discussion commune ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. L’amendement n° 13, présenté par Mme Archimbaud, et l’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par M. Leconte, pourraient être retirés, si les auteurs en sont d’accord, sachant qu’il y aura un scrutin public à la clé.
Par ailleurs, la commission est défavorable à l’amendement n° 14, considérant que la référence à l’autorité judiciaire est suffisante et qu’il n’y a pas besoin de prévoir expressément l’intervention du juge des enfants.
Enfin, la commission est défavorable aux amendements identiques nos 4 et 10.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, ministre. Avis favorable sur les amendements nos 4 et 10.
Avis défavorable sur les amendements nos 13, 1 rectifié ter et 14.
M. le président. Madame Archimbaud, souhaitez-vous maintenir l’amendement n° 13 ?
Mme Aline Archimbaud. Il s’agit du même principe qu’à l’amendement n° 3, sur lequel le vote vient d’avoir lieu. Comme je ne pense pas que mes collègues aient changé d’avis dans ce court laps de temps, je le retire.
M. le président. Je vous le confirme, ma chère collègue, le vote serait très similaire.
L’amendement n° 13 est retiré.
Monsieur Leconte, faites-vous de même ?
M. Jean-Yves Leconte. Oui, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 14.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 10.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 165 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 189 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 5, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mineurs isolés et les familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs ne peuvent être placés en rétention par l’autorité administrative. Cette prohibition ne souffre d’aucune exception. »
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Avec cet amendement, nous demandons l’application du droit, qui interdit le placement de mineurs en centre de rétention administrative.
Cette règle de droit est bafouée en permanence par les autorités administratives, auxquelles on impose des objectifs chiffrés de mesures d’éloignement. Madame la ministre, combien de temps cette situation va-t-elle encore durer ?
Je vous rappelle que la France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, en 2012, pour le placement en rétention d’une famille avec deux enfants en bas âge.
La circulaire du 6 juillet 2012 visant à restreindre le recours à la rétention administrative des familles trouvées en situation irrégulière en France n’a pas mis fin aux illégalités. Les critiques de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, du Défenseur des droits, d’un collectif de soixante professeurs de droit et de nombreuses associations de défense des droits de l’homme n’ont pas suffi pour changer cette réalité.
Peut-être que la solution viendra du recours déposé, mercredi 3 février, par le Secours catholique et Médecins du monde au tribunal administratif de Lille afin que des mesures de protection soient appliquées et les droits des mineurs étrangers isolés protégés. En l’espèce, les associations sont obligées de saisir le juge des référés pour contraindre l’État à déclencher, par la saisine du procureur, la nomination d’administrateurs ad hoc aptes à représenter les mineurs et à garantir l’effectivité de leurs droits, notamment celui de pouvoir rejoindre le Royaume-Uni au titre du regroupement familial.
Nous vous demandons donc de faire réellement appliquer la loi dans les centres de rétention administrative en interdisant la rétention des mineurs âgés de dix-huit ans ou moins, isolés ou non.
Une première étape consisterait sûrement dans la suppression de l’acceptation des tests osseux à l’appui des contestations de la minorité pour justifier les placements en centre de rétention.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. En deuxième lecture, la commission avait souhaité demander l’avis du Gouvernement. Mme la ministre nous avait alors expliqué que le placement de familles avec enfant en centre de rétention était largement exceptionnel et de courte durée, dans le cadre fixé par la circulaire du 6 juillet 2012, et en conformité avec le droit de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Devant ces explications, le Sénat avait rejeté l’amendement.
Des amendements allant dans le même sens ont également été repoussés par la Haute Assemblée dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, qui prévoit, par ailleurs, des mesures d’encadrement de la rétention administrative des familles.
La commission a donc donné un avis défavorable sur le présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je voterai cet amendement. Je rappelle qu’être en situation irrégulière sur le territoire n’est pas en soi un délit. La privation de liberté qui résulte du placement en centre de rétention a pour seul objet de permettre l’éloignement de la personne.
S’agissant des mineurs, en particulier lorsqu’ils sont avec leur famille, les structures n’étant pas faites pour les accueillir, ce placement pourra constituer une expérience traumatisante, alors qu’ils ne sont pour rien dans cette situation.
Pourtant, le projet de loi relatif au droit des étrangers précise qu’il convient de faire en sorte de privilégier l’assignation à résidence des familles, plutôt que de céder à la facilité qui consiste à les envoyer en centre de rétention, une nuit ou une journée, afin de permettre l’éloignement. Je le répète, cette solution de facilité n’est pas acceptable, car on fait subir un traumatisme à un enfant qui n’est en rien responsable de ce qui lui arrive.
Par conséquent, il me semble logique de soutenir l’amendement du groupe CRC, qui vise à interdire cette privation de liberté. Tout doit être fait pour privilégier d’autres méthodes.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. Ce débat est dans la continuité de nos discussions sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Je soutiens également cet amendement, puisque nous n’en avons pas déposé nous-mêmes, alors que nous l’avions fait lors du débat sur le projet de loi que je viens d’évoquer.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Nous soutenons également cet amendement. Si des mesures d’éloignement sont nécessaires, il faut trouver d’autres moyens.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Je doute que ces mesures soient exceptionnelles. Nous avons déjà eu connaissance d’un certain nombre d’exemples.
Surtout, par cet amendement, nous en appelons à l’État pour qu’il assume ses responsabilités. J’habite un département, le Pas-de-Calais, qui abrite la « jungle » de Calais. Faut-il rappeler, là encore, que l’État a été condamné pour traitement inhumain et dégradant ?
S’agissant plus spécifiquement de la situation des mineurs étrangers isolés, il faut savoir qu’entre 150 et 200 enfants vivent aujourd’hui de manière précaire dans des lieux s’apparentant à des bidonvilles, dans l’humidité, le froid et la boue, avec très peu de possibilités de se nourrir et de se laver correctement.
Cet amendement fait écho à l’appel des associations, qui demandent à l’État d’assumer ses responsabilités. Nous avons parlé tout à l’heure de 10 000 enfants dans la nature à l’échelle européenne. Dans notre pays, l’État n’a pas encore mis en place de dispositif pour recenser ces enfants mineurs isolés livrés à eux-mêmes, qui sont victimes de rackets et de trafics organisés par les passeurs et les mafias.
Je le répète, l’État n’a encore rien fait pour accompagner ces mineurs, y compris pour faire valoir leurs droits. Je pense notamment à ceux qui ont de la famille au Royaume-Uni, et qui ont le droit, en vertu du règlement européen Dublin III, de faire valoir le droit d’asile et un droit au regroupement familial dans ce pays. Nous soulignons donc un manque certain de l’État, que notre amendement vise à mettre devant ses responsabilités.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 166 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 30 |
Contre | 312 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Avant de mettre aux voix l’article 21 ter, je donne la parole à Mme Claire-Lise Campion, pour explication de vote sur l’article.
Mme Claire-Lise Campion. Nous le voyons, mes chers collègues, la question des tests osseux est sensible. En l’absence de documents d’identité valables, comment déterminer l’âge d’un jeune lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ?
Le recours à une radiographie d’âge osseux, nous l’avons dit, manque de fiabilité, de la même manière que chacune des méthodes d’examen médical de l’âge physiologique d’une personne.
C’est pour cette raison que l’article 21 ter encadre très strictement ce recours. Six conditions sont requises : elles répondent à toutes les interrogations qui ont été formulées et réaffirment les garanties qui doivent être accordées aux mineurs.
L’expertise ne peut être ordonnée que par un juge, en l’absence de documents d’identité valables. Lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, le recueil de l’accord de l’intéressé doit être obtenu. Les conclusions de ces examens doivent préciser la marge d’erreur et ne peuvent, à elles seules, permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Enfin, en cas de doute, celui-ci profite à l’intéressé.
Il est donc proposé que la radiographie d’âge osseux constitue l’un des éléments de preuve objectifs nécessaires, parmi d’autres éléments, pour être en mesure de déterminer l’âge du jeune. Il s’agit donc, dans le cas de figure qui est le nôtre, de la méthode la moins approximative permettant de garantir à l’intéressé le respect de ses droits, et de ne pas laisser nos départements seuls face à ces questions.