compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. Serge Larcher,
M. Jean-Pierre Leleux.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 3 février, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
– le critère de l’audience des organisations professionnelles d’employeurs pour l’appréciation de la représentativité (n° 2015-519 QPC) ;
– l’application du régime fiscal des sociétés mères aux produits de titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote (n° 2015-520 QPC).
Acte est donné de ces communications.
3
Lutte contre le gaspillage alimentaire
Suite de la discussion et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (proposition n° 245, texte de la commission n° 269, rapport n° 268).
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le 13 janvier dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous reprenons l’examen aujourd’hui vise à lutter contre le gaspillage alimentaire, défini par le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée ».
Le présent texte fait écho aux nombreux débats que nous avons consacrés à ce sujet, que ce soit dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, avec la suppression de la date limite optimale de consommation, dans le cadre de la loi Macron, avec la question de la pertinence du caractère obligatoire du don alimentaire, ou encore dans le cadre de la loi de finances, pour ce qui concerne le régime fiscal des dons alimentaires de producteurs.
Le gaspillage alimentaire est un vrai sujet.
En France, nous jetons vingt à trente kilos de nourriture chaque année, dont sept kilos encore emballés. Cela représente près de 100 euros par personne, soit 12 milliards à 20 milliards d’euros par an. Cette situation de gaspillage est liée à la société de consommation de masse, qui a pris l’habitude de considérer l’acte de jeter comme un geste ordinaire.
Au-delà de l’impact économique, le gaspillage alimentaire a un impact environnemental que nous devrons mieux intégrer aux politiques de lutte contre le dérèglement climatique. À l’échelle de la planète, il est l’équivalent d’un troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre. Il constitue un prélèvement inutile de ressources naturelles en terres cultivables et en eau.
En outre, la lutte contre le gaspillage alimentaire représente un enjeu éthique, auquel s’ajoute un enjeu social. À travers le monde, des millions de personnes meurent de faim, n’ont pas accès à l’eau potable, et pourtant près d’un tiers de la production alimentaire mondiale est jeté. En France, 3,5 millions de personnes bénéficient de l’aide alimentaire et beaucoup plus encore souffrent de la faim ; je rappelle que, dans notre pays, 8,5 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.
Pour faire face à la misère et à la précarité, les associations caritatives, dont je tiens à saluer l’action, ont depuis longtemps organisé des circuits de distribution alimentaire. Ces derniers reposent non seulement sur les dons volontaires de particuliers, mais aussi sur des accords avec des distributeurs ou des producteurs.
L’expérience ancienne de ces associations permet d’identifier certains écueils, comme les difficultés de stockage et de transport, ou le manque de moyens nécessaires à la pérennité de leurs missions. Face à ces problèmes, il est d’autant plus important de renforcer le niveau de l’aide publique alimentaire, tant à l’échelle européenne, dans le cadre du Fonds européen d’aide aux plus démunis, le FEAD, qu’à l’échelle nationale.
J’en viens au contenu de la proposition de loi.
L’article 1er établit une hiérarchie des actions à déployer contre le gaspillage afin de prévenir la production d’invendus, c’est-à-dire la surproduction. Il faudra que la législation s’accompagne d’une évolution des pratiques commerciales, par exemple en ce qui concerne les normes de calibrage imposées aux producteurs, dont il est beaucoup question ces jours-ci.
Parallèlement, cet article inscrit dans la loi le principe de la signature d’une convention entre les grandes et moyennes surfaces et les associations agréées. Ce système, fondé sur le volontariat, permet d’envisager au cas par cas les actions à mettre en œuvre pour valoriser l’alimentation non distribuée.
Reste à s’assurer que ces dons sont de qualité. En effet, ils ouvrent droit à une réduction d’impôts de 60 % dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes, avec la possibilité de report sur cinq exercices. Ce n’est pas rien ! Le transport et le stockage sont également concernés par la défiscalisation. Or ce système repose sur une approche quantitative.
Il nous semble donc important d’établir un bilan de la qualité des dons et d’en assurer un suivi régulier. À cette fin, il faudrait disposer d’un outil de mesure fiable. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique a ajouté aux compétences de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, la « prévention de la production de déchets, dont la lutte contre le gaspillage alimentaire ». Lors des débats à l’Assemblée nationale, il a été dit que cette instance pourrait réaliser ce travail. Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Par ailleurs, l’article 1er prévoit que les relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs ne puissent pas interdire les dons de produits sous la marque du distributeur. C’est là une disposition utile, qui lève un frein aux dons et qui s’accompagne, à l’article 2, de la modification du régime juridique de la responsabilité des producteurs.
L’article 1er énonce également l’interdiction de ce qu’on appelle communément la « javellisation ». Prévue en cas de non-respect de cette norme, la peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée est une bonne chose. Elle est d’ailleurs plus dissuasive que la sanction financière, qui, on le sait, reste limitée.
Ensuite, l’article 3 propose de mieux inscrire la lutte contre le gaspillage dans les programmes scolaires. C’est bien, mais, à nos yeux, c’est insuffisant.
La question de la mauvaise gestion de l’alimentation au sein des foyers nécessite de revaloriser les savoir-faire domestiques.
De plus, il faut redonner de la valeur aux productions agricoles, reconnaître la valeur du travail agricole et fixer des prix rémunérateurs pour les agriculteurs et les éleveurs. Telles sont, encore et toujours, les revendications de ces professionnels, et nous sommes d’accord avec eux.
Enfin, je souscris à l’idée selon laquelle il faut intégrer la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le champ de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE, prévue à l’article 4. Si les entreprises trouvent un intérêt à développer des actions vertueuses, tout le monde y gagnera.
Avant de conclure, j’évoquerai un sujet que le présent texte n’aborde pas, en dépit d’un lien évident avec celui dont nous débattons. Il s’agit du glanage.
Le rapport de M. Garot interrogeait à juste titre la légitimité d’une application stricte de la loi pénale au glanage. Il proposait qu’une circulaire pénale puisse recommander la clémence pour des actions illégales liées à la récupération d’aliments qui n’ont pas entraîné de préjudice pour les distributeurs. Il préconisait que le ministère de l’agriculture précise de nouveau les règles relatives au glanage et à la cession des denrées aux employés, notamment dans la restauration collective.
Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons que des indications quant aux intentions du Gouvernement nous soient communiquées. J’espère que vous aurez à cœur de répondre à notre demande. En tout état de cause, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, reprenant plusieurs des dispositions de la loi relative à la transition énergétique, qui furent adoptées à l’unanimité, cette proposition de loi s’inscrit dans une démarche de consensus politique : elle a été déposée à l’Assemblée nationale par des députés représentant tous les bords politiques.
Le présent texte franchit un pas important dans l’action commune qui doit être menée contre le gaspillage alimentaire : pour la première fois, il ajoute cette notion à notre arsenal législatif. Il est pleinement cohérent avec la résolution sur l’utilisation efficace des ressources, adoptée le 9 juillet 2015 par le Parlement européen. Ce texte demande notamment à la Commission européenne de proposer « un objectif juridiquement contraignant de réduction d’au moins 30 % d’ici 2025 des déchets alimentaires » et d’« encourager la création, dans les États membres, de conventions prévoyant que le secteur du commerce alimentaire de détail distribue les produits non vendus à des associations caritatives ».
J’en suis persuadée, nous sommes tous sensibles aux enjeux d’un engagement volontariste contre le scandale du gaspillage alimentaire.
Ces enjeux sont d’ordre éthique. Ayons à l’esprit que près d’un tiers de la production alimentaire mondiale est jeté, alors que tant d’individus de par le monde meurent de faim et que, chez nous, tant de nos concitoyens sont dans une précarité et une détresse sociales telles qu’ils ne peuvent se nourrir correctement.
Ces enjeux sont également d’ordre économique : chaque année en France, 12 milliards à 20 milliards d’euros sont gaspillés à ce titre. Les vingt à trente kilos de nourriture jetés individuellement représentent une perte de 100 euros par personne.
Enfin, ces enjeux sont d’ordre écologique, alors que l’humanité va devoir augmenter sensiblement ses capacités de production pour faire face à l’explosion démographique du XXIe siècle.
En décembre dernier, 195 pays réunis à Paris par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères ont fait de la COP 21 un grand succès. Ils ont enfin reconnu collectivement la réalité du réchauffement climatique et des dérèglements liés à l’activité humaine et se sont fixé par accord l’objectif de limitation du réchauffement mondial entre 1,5 et 2 degrés d’ici à 2020.
Ce texte nous encourage et nous engage. Toutefois, il n’est que le début d’un travail colossal, que nous avons l’obligation de mener, avec constance, jusqu’à son aboutissement. Il constitue une base solide, justifiant les efforts que nous devons poursuivre pour réduire nos impacts sur l’environnement. Il doit surtout nous permettre d’approfondir, de manière véritablement résolue, notre réflexion sur la nécessaire redéfinition de nos modèles de développement et de progrès économique et social. En effet, nous jouerions aux faux naïfs en entretenant l’espoir de réduire nos émissions et nos pollutions sans amender nos comportements et nos normes sociales, qui tendent encore à envisager l’accomplissement humain et social des individus par leur niveau de consommation, ou sans sortir du raisonnement encore très prégnant selon lequel les exigences environnementales et sanitaires constituent un frein à l’activité économique.
Le programme est très exigeant. Nous devons tous balayer devant notre porte et prendre notre part du travail. C’est en ce sens qu’un texte comme celui-ci est très positif : il permet d’acter la reconnaissance que le problème du gaspillage alimentaire existe et que, collectivement, nous avons la responsabilité et la possibilité de corriger nos habitudes, aussi bien que nos normes juridiques et économiques, en vue de modifier ce comportement collectif déraisonnable.
Bien sûr, tout comme à un niveau global l’accord issu de la COP 21 n’est qu’une première étape, un texte comme celui dont nous débattons aujourd’hui ne suffira pas. Cependant, il constitue une amorce très encourageante. À nous ensuite de poursuivre, par de nouvelles initiatives, la mise en œuvre des ambitions que nous nous donnons. À cet égard, je salue le plan de lutte contre le gaspillage alimentaire mis en œuvre par la Ville de Paris, avec pour objectif la réduction de moitié du gaspillage alimentaire d’ici à 2025. Par son importance et par les fortes ambitions qu’elle s’est fixées, la capitale a particulièrement fait parler d’elle à cette occasion. Mais nombreuses sont les collectivités qui ont d’ores et déjà pris des initiatives pour instaurer, dans leur ressort, des plans de lutte contre le gâchis.
Mes chers collègues, en tant qu’élus représentatifs de tous les territoires et de tous les niveaux de collectivités, continuons à encourager et à mettre en œuvre des actions volontaristes de réduction des déchets, de tri des biens encore consommables, de développement des circuits courts, de sensibilisation et d’éducation.
Vous connaissez les diverses mesures figurant dans les quatre articles du texte, je n’y reviens pas.
À titre personnel, je me réjouis qu’une sensibilisation au gaspillage soit introduite dans le parcours éducatif des enfants à l’école. J’avais déposé un amendement en ce sens dans la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014, lequel a été adopté. Il tendait à prévoir qu’« une information et une éducation à l’alimentation sont dispensées dans les écoles ». L’article 3 de la présente proposition de loi complète aujourd'hui l’article du code de l’éducation que mon amendement a créé. Je salue ainsi la place nécessaire accordée dans ce texte à l’éducation, à la sensibilisation et au civisme, qui sont des piliers essentiels, afin de favoriser une évolution collective vers des comportements plus responsables.
Lors de nos travaux en commission, nous avons poursuivi la démarche consensuelle qui est au cœur de ce texte depuis son élaboration. Nous avons ainsi choisi de ne pas l’amender afin de permettre son adoption rapide grâce à un vote conforme. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste, qui soutient sans réserve cette proposition de loi, n’a pas déposé d’amendement, dans l’espoir qu’elle sera définitivement adoptée aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme Michelle Meunier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue avant toute chose les auteurs de cette proposition de loi consensuelle, signée par plus de 300 députés, qui est examinée aujourd’hui par notre assemblée.
À l’échelle de la planète, 30 % de la production alimentaire est gaspillée quand près d’un milliard de personnes souffrent encore de malnutrition. Quel paradoxe ! Quelle situation humainement inacceptable ! Pourtant, comme nous le rappelle très justement Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation de 2008 à 2014, « le droit à l’alimentation est un droit de l’homme reconnu par le droit international qui protège le droit de chaque être humain à se nourrir dans la dignité, que ce soit en produisant lui-même son alimentation ou en l’achetant ».
Ce droit se décline selon quatre aspects.
Premièrement, la nourriture doit être disponible, c’est-à-dire en quantité suffisante pour l’ensemble de la population.
Deuxièmement, la nourriture doit être accessible : chaque personne doit pouvoir se procurer de la nourriture, soit grâce à sa propre production, en élevage ou en agriculture – n’oublions pas qu’un travailleur sur deux dans le monde est un agriculteur –, soit en disposant d’un pouvoir d’achat suffisant.
Troisièmement, l’accès à la nourriture doit être stable et durable : la nourriture doit être disponible et accessible en toutes circonstances, même en cas de guerre ou de catastrophe naturelle.
Enfin, quatrièmement, la nourriture doit être salubre, c’est-à-dire consommable et hygiénique, notamment l’eau.
Voilà ce qu’est le droit à l’alimentation. Ce droit doit être mis en œuvre partout et pour tous sur la planète, en premier lieu chez nous, en France ! Il s’agit d’un objectif à atteindre le plus rapidement possible.
Venons-en au constat qui a conduit au dépôt de ce texte.
Le gaspillage alimentaire représente de vingt à trente kilos de déchets alimentaires, dont sept kilos de produits non consommés encore emballés, par an et par personne. Selon la FAO, un tiers de la part comestible des aliments destinés à la consommation humaine est gaspillé, perdu ou jeté entre le champ et l’assiette dans le monde. L’ADEME estime le coût du gaspillage alimentaire entre 100 et 160 euros par an et par personne en France, soit 12 milliards à 20 milliards d’euros.
La proposition de loi établit une hiérarchie des actions à engager pour lutter contre le gaspillage alimentaire : la prévention du gaspillage alimentaire ; l’utilisation des invendus propres à la consommation humaine, par le don ou la transformation ; l’interdiction de cette abominable pratique consistant à rendre impropre à la consommation des denrées avant leur date effective de péremption ; la valorisation destinée à l’alimentation animale ; enfin, l’utilisation à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique, notamment par méthanisation.
Pour cela, la mobilisation et la formation de l’ensemble des acteurs au niveau local sont nécessaires. Un point essentiel de cette proposition de loi réside précisément dans l’éducation à l’alimentation, comme l’a dit notre collègue Nicole Bonnefoy. C’est une nécessité absolue ! C’est même étonnant que cette éducation soit sortie du cadre alors qu’elle répond à un besoin vital. Dans le passé, elle faisait même partie des enseignements fondamentaux.
La proposition de loi prévoit également de lutter contre le gaspillage alimentaire en associant les opérateurs de restauration scolaire. Une telle mesure permettra de réduire les coûts pour les communes. Sachez que la ville de Mouans-Sartoux a ainsi fait baisser le coût de ses matières premières de 2,02 euros à 1,86 euro par repas en un an en menant ce type de politique.
Réfléchissons aussi aux moyens de limiter notre consommation de produits carnés. Disons-le, même en cette période de crise de l’élevage, la transition passe par une production carnée en moindre quantité et de meilleure qualité.
Mettons en place les projets alimentaires territoriaux, que nous avons prévus dans la loi d’avenir pour l’agriculture. C’est un outil clé pour réduire drastiquement, non seulement le gaspillage, mais également l’impact global de l’agriculture. En tant qu’élus des territoires, nous avons un rôle essentiel à jouer pour mettre en mouvement les acteurs locaux et dynamiser ces projets. Pour ma part, je prendrai une initiative de cette nature dans le département du Morbihan.
Nous reviendrons sur ces sujets lorsque nous examinerons la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, qui a elle aussi été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. J’ai d’ailleurs appris ce matin que je serai rapporteur de ce texte au Sénat. Pour moi, c’est une première dont je suis fier. Je m’efforcerai d’être à la hauteur pour qu’ici aussi la proposition de loi puisse être adoptée à l’unanimité.
Mes chers collègues, nous n’avons pas non plus déposé d’amendement sur la présente proposition de loi. Le texte pourrait encore être amélioré – ce sera certainement le cas dans l’avenir –, mais nous souhaitons une adoption conforme afin que sa mise en œuvre soit rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui était très attendue, nous parvient enfin. En effet, les dispositions essentielles du présent texte avaient déjà été adoptées dans deux véhicules législatifs : la loi relative à la transition énergétique et la loi Macron. Par la suite, le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions figurant dans la loi relative à la transition énergétique au motif qu’il s’agissait de cavaliers législatifs. Quant à celles inscrites dans la loi Macron, elles avaient été supprimées par l’Assemblée nationale.
La présente proposition de loi, cosignée par des députés représentant tous les groupes politiques, fait suite à ces deux échecs. Deux textes avaient à l’origine été déposés à l’Assemblée nationale sur ce thème : un premier par Frédéric Lefebvre et Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Républicains, un second par Guillaume Garot, pour le groupe socialiste. En fin de compte, une proposition de loi issue de la fusion de ces deux textes a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 9 décembre 2015.
Parallèlement, l’activité du Sénat et des sénateurs centristes n’en a pas été moins soutenue. Notre collègue Nathalie Goulet a fait adopter dans la loi Macron un amendement, devenu l’article 10 quater A, autorisant les grandes surfaces à organiser la collecte des denrées alimentaires invendues au profit des associations. Cet article a ensuite été supprimé par l’Assemblée nationale. À la suite de cette suppression, Nathalie Goulet a déposé une proposition de loi le 17 août 2015, que le groupe UDI-UC devait inscrire dans sa niche parlementaire et dont Chantal Jouanno devait être la rapporteur. Notre collègue rapporte aujourd’hui le texte adopté à l’Assemblée nationale.
Comme la proposition de loi de Nathalie Goulet, le texte qui nous est aujourd'hui soumis reprend les dispositions introduites à l’article 103 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, lesquelles avaient été censurées par le Conseil constitutionnel. Il prévoit plusieurs mesures de lutte contre le gaspillage : l’inscription dans le code de l’environnement d’une hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire allant de la prévention à la méthanisation ; l’obligation de recourir à une convention pour les dons réalisés entre un distributeur de denrées alimentaires et une association caritative ; l’interdiction de la javellisation des invendus ; l’obligation, pour les surfaces de plus de 400 mètres carrés, de proposer, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente proposition de loi, une convention de don à une ou plusieurs associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables ; l’information et l’éducation à la lutte contre le gaspillage dans les écoles ; l’intégration de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le reporting social et environnemental des entreprises. Le texte semble donc assez complet.
Soulignons que ces dispositions ont été adoptées à l’unanimité par le Sénat en juillet 2015.
L’urgence de lutter contre le gaspillage alimentaire en France est telle que la commission a adopté le texte sans le modifier. Nous comprenons ses raisons légitimes. Pour autant, je pense que la proposition de loi est encore perfectible. Elle pourrait ainsi être complétée sur trois points. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements.
Le premier a trait au don de denrées alimentaires. Nous convenons tous que le don est nécessaire et central dans le dispositif. Cependant, il est tout aussi nécessaire que l’intégrité des denrées alimentaires données soit assurée en amont, afin notamment que l’image des associations qui les redistribuent ne soit pas affectée.
De nombreuses collectivités territoriales constatent, dans le circuit de gestion des déchets, qu’une masse grandissante des invendus alimentaires donnés aux associations n’est pas redistribuée. Ces collectivités ne souhaitent pas que ces denrées non redistribuées, car de mauvaise qualité, finissent dans le circuit de collecte des déchets ménagers, à la charge du contribuable local. En nous assurant de la qualité des produits donnés, nous pourrons atteindre un pourcentage de redistribution des invendus plus élevé, ce qui permettra de réduire les déchets.
Le deuxième amendement porte sur la convention conclue entre les associations et les commerces de détail alimentaires. Nous pensons qu’il est indispensable pour lutter contre le gaspillage que cette convention assure également une garantie de reprise, par le commerce de détail alimentaire, des denrées alimentaires qui ont été données aux associations, mais qui n’ont pas été distribuées. Une fois encore, il s’agit de ne pas faire supporter au contribuable le coût de gestion des déchets alimentaires résiduels en provenance des distributeurs du secteur alimentaire.
Enfin, nous pensons utile d’ajouter, après l’alinéa 15 de l’article 1er, que la convention conclue entre l’association et le commerce de détail détermine les modalités de la valorisation ou de l’élimination de tous les dons alimentaires qui n’ont pas été distribués par l’association. L’objectif est toujours de ne pas faire supporter au contribuable le coût de la gestion des déchets résiduels provenant des distributeurs du secteur alimentaire. Il est aussi d’anticiper les conséquences du transfert des denrées alimentaires d’une entité à une autre, au regard de la responsabilité du producteur des déchets.
J’espère que ces préoccupations seront entendues.
Pour terminer, je tiens à féliciter notre rapporteur, Chantal Jouanno. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue cette initiative parlementaire et le travail de Guillaume Garot. Ce texte relève d’une nécessité, surtout à un moment où notre souveraineté alimentaire est un enjeu si stratégique. C’est l’un des messages que nos agriculteurs veulent actuellement nous faire passer.
Pour commencer, j’évoquerai les causes du gaspillage alimentaire. La responsabilité en la matière relève de chacune et de chacun d’entre nous en tant que citoyen. Si nous avons atteint de tels niveaux de gaspillage, c’est parce que les bonnes pratiques alimentaires ne se transmettent plus de génération en génération. Nous n’arrivons plus à enseigner à nos enfants et à nos petits-enfants de ne pas gaspiller la nourriture, ou nous ne tentons plus de le faire.
En matière de gaspillage alimentaire, les consommateurs seraient les plus mauvais élèves. Dans les ménages français, la nourriture termine bien trop souvent à la poubelle, parfois alors qu’elle est encore emballée. Le coût économique et environnemental de ce gaspillage monumental est difficile à mesurer. D’après l’ADEME, il représenterait 1,2 million de tonnes par an en France.
Le gaspillage alimentaire est emblématique des dérives de la société de consommation. La part des citadins, qui sont éloignés des lieux de production, est en constante augmentation ; les consommateurs sont devenus plus exigeants et ont développé de nouvelles attentes en termes de choix des produits et de rapport qualité-prix ; la demande de produits rapidement périssables augmente. Cette évolution a rendu plus complexe la chaîne de production et de distribution alimentaires.
Cette évolution est combinée à une normalisation et à une standardisation des produits. Je prendrai l’exemple bien connu des fruits et légumes : en imposant des critères esthétiques, les normes de calibrage conduisent au gaspillage d’une partie de la production agricole, l’agriculteur ne commercialisant pas les fruits imparfaits. Ces normes ne sont plus imposées par l’Union européenne depuis 2009, mais continuent d’être appliquées par certains distributeurs et surtout par certains consommateurs au quotidien.
Notre responsabilité est donc avant tout collective. La lutte contre le gaspillage alimentaire passera par l’éducation de nos enfants, futurs consommateurs, au sein de la cellule familiale et à l’école. En ce sens, l’article 3 de la proposition de loi visant à compléter l’information et l’éducation à l’alimentation dispensées aux enfants dans les écoles me paraît pertinent. Il semble donc que le préalable à toute action de lutte contre le gaspillage alimentaire soit de redonner une « valeur » aux produits alimentaires.
J’aimerais faire deux remarques sur cette proposition de loi.
Alors que la Commission européenne a estimé à cent quarante kilos le volume de déchets alimentaires en Europe par habitant et par an, ne devrait-on pas miser sur une harmonisation des normes européennes ?
Prenons garde : au fil des crises alimentaires, les normes ont évolué en se renforçant au niveau européen. Mais, en comparaison de la France, la capitale européenne joue dans une cour d’école. Nous avons en effet pris l’habitude de durcir ses directives avant de les mettre en application dans l’Hexagone. Le résultat, c’est que nos industriels doivent se plier à des consignes de sécurité ou environnementales bien plus drastiques que leurs concurrents allemands, italiens ou suédois et qu’ils y perdent de précieux points de compétitivité. C’est pourquoi il faudra veiller, au travers de cette proposition de loi, à ne pas alourdir encore le poids réglementaire qui pèse déjà sur nos entreprises.
N’oublions pas non plus que, malgré les résultats déjà atteints en termes de qualité des produits et de sécurité des consommateurs, le risque zéro n’existe pas. La science et le progrès technologique permettent de réduire la fréquence d’apparition des risques, mais non de les éliminer complètement. L’industrie et la vente directe, malgré toutes les améliorations, peuvent devoir faire face à la menace d’un défaut de qualité de produit, et ce malgré l’effort de traçabilité des produits entrepris. Je rappelle que l’identification des ingrédients, ainsi que celle de l’exploitation ou de l’entreprise qui a livré la denrée alimentaire, est aujourd'hui possible.
À ce propos – c’est là ma seconde remarque –, l’industriel qui veut faire un don à une association caritative pour des produits en voie d’atteindre la date limite de péremption ou la date limite de préférence de consommation peut s’interroger sur le risque qu’en cas de problème sanitaire les bénéficiaires se retournent contre l’agroalimentaire.