M. Bernard Fournier. Depuis quand la multiplication des contre-pouvoirs est-elle néfaste à une démocratie ? Depuis quand l’affaiblissement d’une des deux chambres améliore-t-il la gouvernance ?
Dans le chapitre « Réformer le bicamérisme » du rapport Refaire la démocratie, présenté par Claude Bartolone et Michel Winock, l’exemple italien est évoqué, dès les premières lignes, pour souligner que le « changement est possible ». Cette réforme a été applaudie des deux mains par nombre de personnes en France, alors qu’elle a été beaucoup plus contestée en Italie, y compris par la presse.
Permettez-moi ici d’avoir quelques réserves sur les études comparatives, qui sont faites en permanence pour démontrer, à chaque fois, que notre système est le plus mauvais.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est tout à fait juste !
M. Bernard Fournier. Le système italien de bicamérisme égalitaire était très particulier et loin du système français, puisque la Constitution de l’Italie conférait aux deux chambres les mêmes compétences.
Comme pour les communes, nous comparons toujours des choses difficilement comparables. La réforme des structures territoriales a aussi été tout à fait significative de ce point de vue : nous comparions sans cesse le nombre de structures territoriales de l’Allemagne, de l’Italie ou de la France. Or, ces pays ont évidemment chacun leur histoire et leurs particularismes.
Et si nous comparons les pays, pourquoi avoir toujours cette vision négative et retenir seulement un pays qui est plutôt dans une logique d’affaiblissement de la seconde chambre ? Pourquoi ne jamais rappeler que, si environ 45 pays pratiquaient le système bicaméral au début des années soixante-dix, ils sont plus de 80 aujourd’hui ?
A contrario, pourquoi toujours mentionner la formule de Lionel Jospin selon laquelle « le Sénat est une anomalie démocratique », alors que le bicamérisme est actuellement le système parlementaire sous lequel vivent le plus grand nombre d’habitants de la planète et celui qui a été choisi par les États les plus puissants économiquement ? Surtout, comment oublier que de nombreux pays qui sortent de régimes totalitaires ont mis en place le bicamérisme, comme la République tchèque, la Pologne, la Roumanie, etc. ?
Revenons au rapport de l’Assemblée nationale, qui est à l’origine du débat d’aujourd’hui. Trois pages, mes chers collègues, trois pages sur le bicamérisme et le Sénat, dans un document qui en compte plusieurs centaines, pour nous ressortir la réforme de 1969 de fusion du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental ! C’est un peu frustrant et un peu mince ! Je suis également étonné qu’un seul sénateur ait pu participer à ces débats.
Les auteurs de ces pages prennent quelques précautions rédactionnelles pour ne pas froisser le Sénat et les sénateurs. On ne parle pas de suppression, on écrit même que « le Sénat pourrait conserver sa compétence législative »... Néanmoins, si nous lisons la suite et entre les lignes, nous voyons bien que cette compétence serait considérablement amoindrie ou réduite comme peau de chagrin.
Le président Bartolone pourrait-il avoir une idée claire, et surtout constante, de ce qu’il envisage de faire pour notre Haute Assemblée ?
Lorsque Jean-Pierre Bel était président du Sénat, M. Bartolone déclarait, en avril 2014, à l’occasion d’un colloque : « Depuis le Directoire, le bicamérisme a le plus souvent caractérisé le système institutionnel français, il fait partie de notre ADN démocratique ». C’est une phrase forte, n’est-ce pas ?
En janvier 2015, il faisait part de sa volonté de « faire disparaître le Sénat, en tant qu’institution parlementaire ».
En novembre 2015, la proposition de M. Bartolone se situe entre ces deux commentaires. Mes chers collègues, comment voulez-vous redonner de la force et de la stabilité à nos institutions quand le quatrième personnage de l’État change d’avis, aussi profondément et en un an et demi, sur un sujet aussi important ? (Sourires.) Nous donnons ainsi l’impression à nos concitoyens de vouloir changer de Constitution en fonction des alternances politiques, uniquement par calcul.
Depuis 2008, notre institution a engagé de nombreuses réformes. Le président Larcher a, de nouveau en 2015, mis en œuvre un ensemble de mesures considérables pour le Sénat, votées, je le rappelle, à l’unanimité par le bureau de la Haute Assemblée et visant à renforcer la participation aux travaux sénatoriaux, à légiférer et contrôler plus efficacement et à garantir transparence financière et gestion exigeante. Sans aucun doute, ces réformes ne s’arrêteront pas là.
En tout état de cause, nos institutions feront l’objet de débats importants lors de la prochaine campagne présidentielle.
Pour ma part, je le dis et je le répète, j’espère que, lorsque les groupes de travail ou états-majors politiques réfléchiront sur ces sujets dans les prochains mois, ils ne passeront pas leur temps à se demander comment diminuer ou supprimer la Haute Assemblée, mais plutôt comment améliorer encore son travail législatif, son efficacité, la publicité de ses travaux auprès des Français et sa complémentarité avec l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicamérisme est une des pierres angulaires de la Ve République, telle que le Général de Gaulle l’a imaginée, et cela avant même 1958. (Ah ! sur les travées du groupe du RDSE.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Nous voilà rassurés !
M. Jacques Mézard. On peut s’arrêter là ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Dès son discours de Bayeux en 1946, il relevait qu’une seconde assemblée parlementaire, suivant un mode d’élection et une composition différents de l’Assemblée nationale, devait avoir pour fonction d’examiner, avec sérénité et clairvoyance, ce que celle-ci avait voté.
Le Sénat a souhaité inscrire à son ordre du jour, sur l’initiative du groupe du RDSE, un débat visant à esquisser un « bilan » et « des perspectives » sur le « rôle du bicamérisme dans nos institutions ». Ce moment est, à mon sens, utile à votre institution elle-même, par une certaine forme d’introspection, mais aussi à tous les acteurs et observateurs de la vie institutionnelle.
La question de la présence du Gouvernement dans un tel débat pourrait même être posée : nous ne sommes pas dans un débat de contrôle. Toutefois, nous sommes dans un débat institutionnel, qui nous permet de revenir sur la riche histoire du bicamérisme et du Sénat de la Ve République, ainsi que sur les rapports entre les assemblées et le Gouvernement.
Si certains estiment que le Sénat reste avant tout une assemblée destinée à « tempérer les excès de la chambre élue par le plus grand nombre de citoyens », suivant les mots du professeur Pascal Jan, la Haute Assemblée incarne aussi la permanence, donc la force, de notre République.
Le Sénat s’est construit un rôle de défenseur des équilibres institutionnels et des libertés publiques, qui l’a parfois conduit à s’opposer frontalement au pouvoir exécutif. Ce n’est pas qu’il détiendrait le monopole de ces questions ou de ces préoccupations, mais il y est particulièrement sensible, parce qu’il cultive une prudence face à l’air du temps et face aux emballements politiques ou médiatiques.
Le bicamérisme français porte en lui l’idée même de contre-pouvoir, conformément à la théorie de Montesquieu, une idée qui peut sans doute contribuer à mieux faire valoir l’intérêt général.
Ne pouvant être dissous, le Sénat français est viscéralement attaché à son indépendance, même si cette dernière est peut-être plus forte lorsque sa majorité ne coïncide pas avec celle de l’Assemblée nationale. Le professeur Jean Garrigues rappelle ainsi que « le Sénat représente la possibilité de majorités d’idées aptes à dépolitiser certains enjeux, comme une sorte de conservatoire de la délibération parlementaire ».
Dès lors, la créativité et l’audace s’y expriment, parfois mieux qu’à l’Assemblée nationale, quelquefois même aux dépens des partis politiques.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. La coexistence de deux assemblées parlementaires a ainsi permis à notre pays de trouver, depuis plus d’un demi-siècle, un équilibre dans la démocratie représentative.
Par sa permanence, par son élection détachée des autres échéances électorales nationales, par la singularité de son mode de scrutin, le Sénat contribue à la diversité des points de vue représentés au Parlement, donc à la richesse de notre vie démocratique.
À de multiples reprises – tous les orateurs l’ont rappelé –, le bicamérisme a fait la preuve de sa capacité à améliorer l’écriture des lois et à en contrôler efficacement l’application. Suivant le mot de Robert Badinter, les meilleures lois sont celles qui ont été « coproduites » par les deux assemblées. Témoin en est l’abolition de la peine de mort, approuvée par le Sénat après un débat de trois jours.
Le bicamérisme place le dialogue parlementaire au cœur du fonctionnement de notre démocratie. Ce dialogue entre le Gouvernement et les deux assemblées et entre l’Assemblée nationale et le Sénat participe de la qualité de la loi. Il permet à chacun d’affiner ses positions dans le débat, dans l’échange et dans la contradiction. Il donne à la loi plus de force et de cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les lois que vous écrivez, que vous amendez et que vous votez doivent en effet répondre aux enjeux du moment, mais elles doivent aussi pouvoir s’appliquer de façon pérenne.
Dans ce dialogue, la question du temps est centrale. Nous savons ce que la navette peut apporter à la maturation des textes qui touchent aux questions de société ou d’éthique. Une connaissance imparfaite du bicamérisme pourrait conduire à méjuger la navette parlementaire pour son caractère chronophage. On pourrait déceler, dans une telle appréciation, une rémanence des propos sévères que certains parlementaires eux-mêmes, et non des moindres, ont pu tenir, notamment sous la Troisième République.
Toutefois, une analyse plus approfondie amène à nuancer ce premier sentiment. Le temps du bicamérisme est en fait souple et adaptable. Les textes soumis aux assemblées peuvent y avancer à des vitesses différentes. La Constitution elle-même prévoit des délais spécifiques pour les textes financiers. Le bicamérisme sait même aller encore plus vite, quand l’urgence le commande.
Nos institutions font ainsi la preuve de leur efficacité face aux crises que la France doit affronter, qu’il s’agisse de réagir à une crise financière ou aux attentats terroristes qui ont si profondément meurtri notre pays, vendredi dernier. Dès demain, le Gouvernement et le Parlement auront ainsi la lourde responsabilité de proroger pour une durée de trois mois l’état d’urgence qui a été décrété par le chef de l’État.
Lorsque la République est confrontée à une crise majeure, lorsque des terroristes veulent l’atteindre, elle sait faire face avec courage, avec responsabilité et dignité ; de ce point de vue, la séance de questions d’actualité au Gouvernement qui s’est tenue hier au Sénat a été tout à fait remarquable, alors que l’on peut s’interroger sur le comportement d’une autre assemblée. Elle le fait lorsque le Président de la République réunit le Parlement en Congrès, comme il l’a fait lundi dernier, pour réaffirmer devant la représentation nationale notre attachement viscéral à la liberté, à la démocratie, ainsi que la force de nos institutions.
Je sais que nous en sommes tous ici convaincus : la force du Parlement, la force du bicamérisme, la force de notre République résident aussi dans sa capacité à répondre à de telles situations.
Au-delà de ces temps de crise, le Gouvernement a le devoir de répondre aux attentes des citoyens en mettant en œuvre son programme de réformes. C’est pour cette raison que la Constitution lui donne la prérogative de déterminer le rythme de la navette.
En cas d’échec de la navette parlementaire, il est indispensable que le Gouvernement puisse demander au Parlement de trancher définitivement un désaccord pour répondre aux nécessités de l’action publique.
Contrairement aux idées reçues, le recours à cette procédure est somme toute rare. Depuis 1959, à peine plus d’un texte sur dix a été adopté après une lecture définitive de l’Assemblée nationale. Sur les 163 lois adoptées définitivement depuis 2012, quelque 128, soit 79 % du total, l'ont été dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat, que ce soit par la navette parlementaire ou après un accord en commission mixte paritaire.
La question du temps parlementaire est dans le débat public, car elle touche à l’adaptation du temps de la vie démocratique au temps de la société, qui a son rythme propre, et les pouvoirs publics, comme notre réglementation, sont amenés à s’y conformer pour répondre aux défis d’évolutions économiques et technologiques de plus en plus rapides.
Si la révision de la Constitution adoptée le 23 juillet 2008 a prévu, à quelques exceptions, la discussion en séance du texte de la commission, les débats en séance publique n’en ont finalement guère été allégés, contrairement à ce que pouvait espérer le constituant. Les parlementaires eux-mêmes déplorent parfois des redondances entre le travail de la commission, vécu comme une première lecture, et l’examen des textes en séance plénière. La question de l’adéquation de la procédure législative, du temps parlementaire et du temps d’application des lois aux attentes exprimées par les citoyens se pose donc avec acuité.
Ces enjeux doivent continuer à mobiliser nos réflexions collectives, afin de réduire ce que la procédure peut encore avoir de répétitif et de mettre en valeur ce qu’elle a de plus constructif. L’amélioration et la fluidification du travail législatif doivent être une préoccupation commune du Gouvernement et des assemblées.
On ne peut que se féliciter des initiatives prises récemment par le Sénat sur ce sujet. Ainsi, le président du Sénat a affirmé son attachement à la distinction des domaines législatif et réglementaire, mettant en œuvre l’article 41 de la Constitution pour déclarer irrecevables des amendements qui empiéteraient sur le domaine réglementaire.
La récente réforme du règlement du Sénat, adoptée le 13 mai dernier, mérite également, à mon sens, d’être saluée, car elle constitue une nouvelle étape de la réforme des procédures parlementaires, conduite à la lumière du bilan de la révision constitutionnelle de 2008.
Le caractère constructif du bicamérisme s’illustre également dans les initiatives parlementaires, dont la part s’est accrue depuis 2008. Ainsi, sur les 61 propositions de loi adoptées entre juin 2012 et le 30 septembre 2015, quelque 33 proviennent de l’Assemblée nationale et 28 du Sénat.
Le Sénat, comme l’Assemblée nationale, a en outre su développer son travail en matière européenne, tandis que s’accroissait la production normative des institutions de la Communauté européenne, puis de l’Union européenne. Le regard des deux assemblées sur la préparation des textes européens, sur les réunions du Conseil et sur les projets de loi de transposition est un atout précieux pour notre démocratie et pour l’efficacité de nos politiques publiques.
Enfin, je suis convaincu, à titre personnel, de la nécessité pour les deux assemblées de développer leurs missions constitutionnelles de contrôle et d’évaluation. Ces missions sont en lien direct avec leur compétence législative. La Constitution place d’ailleurs le vote de la loi, le contrôle et l’évaluation des politiques publiques sur un pied d’égalité. Une meilleure valorisation de ces travaux de contrôle et d’évaluation, dont la qualité est régulièrement saluée, à juste titre, sera un atout du bicamérisme de demain, pour une action législative toujours plus pertinente et efficace.
Enfin, puisque le bicamérisme trouve l’un de ses fondements les plus solides dans le principe d’équilibre des pouvoirs, il a un rôle essentiel à jouer dans le plein exercice des fonctions de contrôle et d’évaluation. C’est conforme à sa tradition, dont on ne peut que souhaiter qu’elle se renforce.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution que le Gouvernement pouvait apporter à ce débat sur le bilan et les perspectives du bicamérisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et du groupe UDI-UC.)
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire que j’ai été heureuse de présider ce débat institutionnel sur la place essentielle du bicamérisme dans l’équilibre des institutions de la Ve République et dans le bon fonctionnement de notre démocratie.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie ».
5
Dépôt de documents
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, d’une part, l’avenant n° 1 à la convention du 10 décembre 2014 entre l’État et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, relative au programme d’investissements d’avenir, action « Projets innovants en faveur de la jeunesse », et, d’autre part, le rapport sur le financement de la sûreté nucléaire.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques, ainsi que, pour le second, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
6
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de la forêt et du bois.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter la candidature d’un sénateur pour siéger en qualité de membre titulaire au sein de cet organisme extraparlementaire.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie
Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie, présentée par Mme Catherine Tasca et plusieurs de ses collègues (proposition n° 574 [2014-2015], texte de la commission n° 136, rapport n° 135).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique.
Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec Jean-Pierre Sueur et l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste et républicain, nous avons déposé la présente proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie au lendemain de l’adoption par le Sénat du projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté.
À l’occasion de ce débat, j’avais déjà appelé l’attention de la Haute Assemblée sur la difficulté d’appliquer la principale disposition de la loi organique du 15 novembre 2013, dont j’avais été rapporteur, à savoir la possibilité de création par la Nouvelle-Calédonie d’autorités administratives indépendantes, des AAI, aux fins d’exercer des missions de régulation dans des domaines relevant de sa compétence.
L’un des objectifs de cette loi était de permettre la création d’une autorité de la concurrence chargée de veiller à la régulation économique et de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, afin de donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de lutter contre « la vie chère ».
Il faut rappeler ici la gravité des mouvements sociaux de février 2011 puis de mai 2013 provoqués par la vie chère, et le protocole d’accord finalement intervenu, sous l’égide de l’État, entre syndicats et patronat, le 27 mai 2013, organisant une baisse des prix des produits essentiels.
L’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a été créée par une loi de pays adoptée unanimement par le congrès le 24 avril 2014. Cependant, elle n’a pu être mise en place, car, dans sa rédaction finale, la loi de 2013 rend incompatible la fonction de membre d’une AAI calédonienne avec tout autre emploi public. Or l’objectif était d’adosser l’AAI calédonienne à l’autorité de la concurrence en métropole afin de pouvoir nommer en tant que membre de l’autorité calédonienne des fonctionnaires experts non permanents de l’autorité métropolitaine. L’incompatibilité bloquait donc la mise en place de l’AAI calédonienne.
Le problème de la vie chère gardant toute son actualité, l’installation de l’autorité calédonienne reste une urgence. Nous avons pu, lors du déplacement effectué en Nouvelle-Calédonie en août 2014, Jean-Pierre Sueur, Sophie Joissains et moi-même, mesurer l’acuité de ce problème dans un contexte économique particulièrement difficile. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a d’ailleurs de nouveau autorisé, le 16 juin 2015, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à prendre des mesures spécifiques de fixation des prix pour trois ans.
Tout juste deux ans après la loi du 15 novembre 2013, il a donc fallu se résoudre à remettre l’ouvrage sur le métier. Dans un premier temps, j’avais choisi de déposer un amendement au projet de loi relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté tendant à permettre à un fonctionnaire n’exerçant pas en Nouvelle-Calédonie d’être membre d’une AAI calédonienne, et ce afin de remédier à la situation de blocage actuelle, tout en garantissant l’indépendance de la nouvelle institution.
Lors du débat, le 29 juin 2015, le rapporteur du texte, Philippe Bas, et la ministre, George Pau-Langevin, ont également exprimé leur volonté de remédier à cette situation de blocage dans les plus brefs délais, mais dans un véhicule législatif distinct. C’est l’objet de la présente proposition de loi organique.
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, saisi de ce texte par le président du Sénat, a rendu un avis favorable le 28 septembre dernier, tout en proposant d’assouplir l’incompatibilité en permettant à un fonctionnaire exerçant en Nouvelle-Calédonie, mais qui n’est pas placé sous l’autorité des institutions ou des communes de Nouvelle-Calédonie, d’être membre d’une AAI calédonienne. Cette formulation rejoint celle qu’a choisie le député Philippe Gomes, qui a déposé, le 17 septembre dernier, une proposition de loi organique en ce sens.
Selon moi, il est très important de permettre la mise en place d’autorités qui inspirent la confiance, et qui jouent un véritable rôle de régulateur et d’arbitre. C’est la raison pour laquelle j’ai plaidé pour que la fonction de président d’une AAI soit incompatible avec un emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie.
Pourquoi poser tant de conditions ? C’est que la Nouvelle-Calédonie est un petit territoire où tout le monde connaît tout le monde. Particulièrement dans le domaine de la régulation économique, le rôle de l’autorité de la concurrence ne sera pas aisé. Aussi, il faut dès le départ lui donner toutes les chances d’affirmer à la fois son autorité et son indépendance, qui ne doit pas pouvoir être mise en doute.
Un compromis a été trouvé grâce à l’excellent travail de notre rapporteur, Mathieu Darnaud, en étroite collaboration avec nos collègues de l’Assemblée nationale, Philippe Gomes et René Dosière. Ainsi, la rédaction adoptée par la commission des lois distingue entre les fonctions de président, seul membre à plein temps, et les fonctions de membre d’une AAI calédonienne, le président ne pouvant exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie, tandis que les autres membres peuvent exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de la fonction publique d’État.
Dans son avis, le congrès de Nouvelle-Calédonie a suggéré la mise en place d’un délai de carence pour empêcher que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé des fonctions comprises dans le champ des incompatibilités s’appliquant aux membres d’une AAI. C’est ce que retient la rédaction qui vous est aujourd’hui proposée.
Sur ce point, j’y insiste, si la présente proposition de loi organique impose le délai de carence, je forme personnellement le souhait que la personne qui sera appelée à présider une AAI n’ait jamais exercé en Nouvelle-Calédonie, au moins pour le premier mandat. Nul doute que les modalités de nomination des membres des AAI calédoniennes par le congrès, en application de l’article 93–1 de la loi organique de 1999, c’est-à-dire selon la règle des trois cinquièmes positifs, ainsi que la sagesse des élus calédoniens permettront d’aboutir à la meilleure solution possible.
Je tiens ici à remercier tous ceux qui ont œuvré à la formation d’un consensus pour favoriser l’aboutissement rapide de ce texte, notamment le rapporteur, Mathieu Darnaud, qui a effectué un travail de qualité, mais aussi les députés Philippe Gomes et René Dosière, ainsi que, bien sûr, Mme la ministre George Pau-Langevin.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté, ce matin même, un amendement à la proposition de loi organique de Philippe Gomes autorisant une convergence vers une rédaction identique à celle qui a été adoptée par notre commission des lois, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles qui seront présentées par notre rapporteur au cours de ce débat. Il faut dire que la recherche d’un consensus a toujours été la règle au Parlement, spécialement dans cette assemblée, lorsqu’il s’agit de traiter des dossiers de la Nouvelle-Calédonie. Je pense que c’est une saine tradition.
S’il s’agit d’une petite modification législative, vous l’aurez compris, tout est fait pour aller vers une adoption conforme par les deux assemblées et permettre dans les meilleurs délais à la Nouvelle-Calédonie d’évoluer vers plus de justice sociale et de lutter efficacement contre la « vie chère », ce qui est attendu par les Calédoniens. Je forme le vœu que notre assemblée, au terme de ce débat, autorise le cheminement de ce texte. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.