Sommaire
Présidence de Mme Isabelle Debré
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Jean-Pierre Leleux.
2. Modification de l’ordre du jour
3. Protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 4 de M. Pierre-Yves Collombat. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 2 de M. Pierre-Yves Collombat. – Retrait.
Intitulé de la proposition de loi
Adoption de la proposition dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
4. Débat sur le rôle du bicamérisme
M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement
6. Organisme extraparlementaire
Suspension et reprise de la séance
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie. – Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de la commission. – Adoption.
Adoption, par scrutin public, de l’article unique de la proposition de loi, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
9. Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Joël Labbé. – Devenu sans objet.
Amendement n° 4 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendement n° 5 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendement n° 6 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendement n° 7 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendement n° 3 de M. Joël Labbé. – Devenu sans objet.
Amendement n° 8 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendement n° 9 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendement n° 10 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Amendements identiques nos 2 de M. Joël Labbé et 11 de Mme Évelyne Didier. – Devenus sans objet.
Article additionnel après l'article 2
Amendement n° 12 de Mme Évelyne Didier. – Devenu sans objet.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Pierre Leleux.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du vendredi 20 novembre, l’après-midi et le soir, du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, sur lequel il a engagé la procédure accélérée.
Acte est donné de cette communication.
Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposeront, dans la discussion générale, d’un temps global d’une heure. Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé au vendredi 20 novembre, à midi.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour du vendredi 20 novembre s’établit comme suit :
À quinze heures et le soir :
- Projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions ;
- Suite de l’examen des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2016.
3
Protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles, présentée par M. Pierre-Yves Collombat et plusieurs de ses collègues. (proposition n° 10, texte de la commission n° 138, rapport n° 137)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’elle aboutisse ou qu’elle disparaisse dans les ténèbres de la navette parlementaire, cette proposition de loi restera comme la première rustine collée sur la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », laquelle, en supprimant la compétence générale des départements et des régions, rend obligatoire l’énoncé exhaustif des compétences que l’on entend leur attribuer. Le risque, inévitable, est d’en oublier, ou bien d’oublier, par exemple, que les départements – en tout cas dans les zones où le risque est fort – sont, depuis longtemps, des acteurs majeurs de la lutte contre les incendies de forêt.
Multiformes, leurs actions vont de la surveillance des massifs à l’alerte, de l’intervention – à travers notamment, mais non uniquement, les services départementaux d’intervention et de secours, les SDIS – au financement de la prévention par la réalisation de pistes de défense de la forêt contre l’incendie, ou DFCI, de pare-feu et de l’entretien, à travers la diffusion du sylvopastoralisme et les chantiers d’insertion, sans parler de la restauration de la forêt brûlée.
Dans un certain nombre de départements, comme le Var, dont je suis élu, le conseil départemental, en liaison avec la région, a permis l’équipement des réserves communales de sécurité, connues chez nous sous le nom de comités communaux « Feux de forêts » ; ces réserves sont devenues un acteur de terrain essentiel en matière de prévention et d’aide tant aux pompiers qu’à la sécurité civile.
De cette volonté sont nés des outils communs, telle l’Entente pour la forêt méditerranéenne, établissement public regroupant vingt-neuf collectivités, dont quatorze départements.
Aucun texte n’obligeant les départements à intervenir en matière de prévention des incendies de forêt et la loi NOTRe leur ôtant la possibilité de le faire « dans tout domaine d’intérêt départemental », l’objet de cette proposition de loi est, corrigeant ce que je me contenterai d’appeler un « oubli », de permettre aux départements de « financer ou mettre en œuvre des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts afin, d’une part, de prévenir les incendies et, le cas échéant, de faciliter les opérations de lutte et, d’autre part, de reconstituer les forêts ».
S’il s’agit d’une faculté, d’une compétence facultative, et en rien d’une charge supplémentaire pour les départements qui ne se sentent pas concernés par ce risque – j’y insiste –, il me semble nécessaire de permettre d’agir à tous les départements qui le souhaitent, même s’ils ne l’ont pas fait jusqu’à présent. Cela est d’autant plus nécessaire que les changements climatiques annoncés ne semblent pas aller vers un rafraîchissement de l’atmosphère. C’est pourquoi je proposerai un amendement permettant de l’exprimer plus clairement.
Vu le rôle des régions, notamment du Sud méditerranéen, en matière de lutte et de prévention contre les incendies de forêt, je vous proposerai aussi un amendement visant à écarter toute ambiguïté en ce qui concerne l’action possible des régions. S’il n’y a pas d’ambiguïté, je le retirerai.
Au cas, improbable – mais on ne sait jamais –, où quelques collègues douteraient de la pertinence et de l’urgence d’une loi visant à prévenir les incendies de et à lutter contre ceux-ci, je rappellerai que les inondations catastrophiques de ces dernières années dans le sud de la France ne doivent pas nous faire oublier ce que furent, il n’y a pas si longtemps, les grands incendies de la zone méditerranéenne.
Ainsi, en 1985-1986, plus de 40 000 hectares de forêt furent détruits ; plus de 50 000 hectares le furent en 1989-1990 et plus de 20 000 en 1995.
Ces incendies gigantesques ont été à l’origine d’une mobilisation générale qui a porté ses fruits puisque, en moyenne, le nombre d’hectares détruits par décennie a été divisé par deux, ce succès ayant été, il est vrai, favorisé par une météorologie favorable.
Ainsi, seulement 2 883 hectares ont été détruits en 2011 et 1 100 en 2013, année tout à fait exceptionnelle au regard des premiers chiffres que j’ai cités.
Cela signifie-t-il que le problème soit résolu ? Certainement pas. En effet, ces résultats sont le produit des efforts de l’État et des collectivités en matière de surveillance, d’alerte et d’intervention terrestres et aériennes. Qu’ils cessent, et on se retrouvera alors à la case « catastrophe » de départ, d’autant plus que, aujourd’hui encore, les actions de débroussaillement – quels que soient les moyens utilisés – et, plus généralement, d’entretien sont restées largement insuffisantes. Or une politique vraiment efficace de lutte contre l’incendie de forêt passe par là.
En effet, la forêt n’est pas une poudrière, un dépôt de carburant qu’il suffirait de placer sous haute surveillance pour la faire tenir tranquille. Elle ressemble plutôt à un dépôt de gaz qui fuirait : la biomasse produite à chaque instant, si elle n’est pas détruite par l’homme, par l’animal ou par le feu, demeure sur place, augmentant d’autant le risque potentiel. Plus tardive sera la destruction, plus catastrophique sera l’incendie, qui ne manquera pas de se déclarer au terme d’une période de sécheresse un peu sévère, un jour de mistral déchaîné.
Croyez-moi, chers collègues, l’heure n’est pas à baisser les bras face à cette calamité, et encore moins à couper ceux des principaux acteurs de la lutte. D’où cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC. – M. David Rachline applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, depuis une dizaine d’années, le bilan annuel de la campagne Feux de forêt permet de constater une réduction constante des surfaces brûlées : alors que, entre 1994 et 2003, la moyenne s’établissait à 26 600 hectares incendiés par an, elle était descendue à 10 700 hectares par an pendant la décennie suivante. Le nombre global de feux a ainsi diminué et le nombre d’extinctions des feux naissants a significativement augmenté.
Cette évolution positive ne doit rien au hasard, même si elle peut, selon les années, être renforcée par des conditions météorologiques favorables. Les efforts conjugués de l’État et des collectivités locales pour prévenir les incendies de forêt contribuent significativement à réduire le nombre d’hectares brûlés.
Le législateur a mis en place un ensemble de mesures protectrices adaptées. Le code forestier organise la défense et la lutte contre les incendies de forêt en modulant ses prescriptions selon l’intensité du risque sur le terrain : certaines mesures sont applicables à l’ensemble du territoire national, d’autres ne le sont qu’aux bois et forêts classés « à risque d’incendie » par le préfet, tandis que les territoires « réputés particulièrement exposés aux risques d’incendie », la « troisième zone », font l’objet d’un traitement particulier.
La contrainte des obligations imposées aux propriétaires forestiers et à l’aménagement du territoire croît donc en fonction du danger.
Sont classées dans cette troisième zone les forêts situées dans les régions Aquitaine, Corse, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et les départements de l’Ardèche et de la Drôme, à l’exclusion de celles qui sont situées dans des massifs forestiers à moindres risques et figurant sur une liste arrêtée par le préfet.
Sur ces territoires, un plan départemental ou interdépartemental de protection des forêts contre l’incendie est élaboré sous l’autorité du préfet, pour assurer la cohérence des actions conduites sur le terrain par les différents acteurs, dont les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les services de l’État et les propriétaires fonciers.
Ce plan, soumis pour avis aux collectivités concernées, définit des priorités pour chaque territoire constitué de massifs ou de parties de massif forestier, dans l’objectif de diminuer le nombre de départs de feux, de restreindre les surfaces brûlées, de réduire les risques d’incendie et d’en limiter les conséquences.
L’action des collectivités locales sur les territoires menacés s’établit ainsi à deux niveaux : d’une part, elle s’inscrit dans le dispositif général de défense et de lutte contre les feux de forêt et, d’autre part, elle est formalisée – pour les territoires concernés – dans le cadre de l’Entente pour la forêt méditerranéenne.
Les collectivités locales des régions particulièrement exposées au feu ont contribué à prévenir les incendies par différentes initiatives qui ne reposaient pas sur une compétence obligatoire, mais résultaient de la volonté des élus, se fondant sur la clause de compétence générale.
C’est pourquoi leurs actions varient d’un territoire à l’autre, se traduisant principalement par des dispositifs estivaux de surveillance et par la réalisation d’équipements de terrain. Elles visent également à l’information des populations et à leur sensibilisation aux risques, actions auxquelles contribuent notamment les bénévoles des comités communaux.
L’Entente pour la forêt méditerranéenne, quant à elle, est un outil des collectivités territoriales dédié à la protection de la forêt méditerranéenne. C’est un établissement public local auquel peuvent adhérer les régions, les départements, les établissements publics de coopération intercommunale et les services départementaux d’incendie et de secours territorialement concernés.
Cette entente regroupe aujourd’hui vingt-neuf collectivités, dont quatorze départements et services départementaux d’incendie et de secours.
En dehors de ce cadre, la compétence des départements reposait sur leur habilitation à agir dans tout domaine d’intérêt départemental dès lors que cette matière n’avait pas été attribuée de manière exclusive à une autre collectivité. En supprimant la clause de compétence générale des départements, l’article 94 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République remet en cause leur capacité juridique à poursuivre les actions conduites pour protéger les forêts. Les départements ne peuvent plus intervenir que dans les domaines de compétence que la loi leur attribue, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
C’est pourquoi, afin de préserver les actions conduites par les départements, notre collègue Pierre-Yves Collombat propose de prévoir explicitement la faculté, pour certains conseils départementaux, d’intervenir dans la défense des forêts contre l’incendie.
Deux catégories de départements pourraient l’exercer : d’une part, ceux dont les bois et forêts sont, aux termes de l’article L. 133-1 du code forestier, « réputés particulièrement exposés au risque d’incendie » – ils sont au nombre de trente-deux – et, d’autre part, ceux sur le territoire desquels sont situés des bois et forêts classés « à risque d’incendie » par le préfet, en application de l’article L. 132-1 du même code.
Ces départements seraient habilités à financer ou à mettre en œuvre des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts dans un double objectif : d’une part, prévenir les incendies et faciliter les opérations de lutte et, d’autre part, reconstituer les forêts.
Les actions ainsi entreprises devraient s’inscrire dans le cadre des plans départementaux ou interdépartementaux de protection des forêts contre les incendies, afin d’en garantir la cohérence.
Soucieuse de préserver la compétence acquise au fil des ans pour réduire le risque qui pèse sur les territoires boisés, la commission des lois, sous réserve d’une clarification rédactionnelle, a adopté avec conviction le texte qui lui était proposé.
Celui-ci n’instaure pas une nouvelle compétence obligatoire pour les collectivités, il n’institue qu’une simple faculté ouverte aux départements. Le support juridique proposé est cependant indispensable pour permettre aux conseils départementaux de poursuivre leurs actions, qui, indéniablement, ont pour effet de réduire le risque d’exposition au feu des forêts françaises.
C’est pourquoi la commission des lois invite le Sénat à adopter le texte qu’elle a établi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, monsieur le sénateur Pierre-Yves Collombat, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Bernard Cazeneuve. Chacun comprendra que, dans les circonstances du moment, le ministre de l’intérieur n’ait pu venir présenter la position du Gouvernement sur la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
J’interviens donc à sa place, même si j’ai, moi aussi, en tant que ministre chargé de la forêt, une responsabilité sur le sujet.
Ce sujet, dont nous avons débattu ensemble lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, me tient particulièrement à cœur. En effet, la prévention des feux de forêt est indissociable des questions du développement de la forêt, de son économie, de ses enjeux de multifonctionnalité. C’est une composante de la politique forestière.
La politique de prévention et de lutte contre les feux de forêt doit être menée de manière globale. Chacun doit jouer son rôle et assumer ses responsabilités.
Madame la rapporteur, vous avez rappelé le rôle des propriétaires forestiers dans ce domaine. Pierre-Yves Collombat a, quant à lui, attiré l’attention sur la responsabilité agricole et agroforestière en la matière – nous veillons, d'ailleurs, à ce que l’agropastoralisme en zone forestière et en sous-bois soit aujourd'hui reconnu par la politique agricole commune. La politique de prévention engage également les collectivités territoriales et l’État.
En réalité, c’est le partenariat entre ces différents acteurs qui rend la politique de prévention efficace.
Si le dispositif national de prévention et de lutte contre les feux de forêt est un pilier de la politique forestière, c’est surtout un outil incontournable de la protection des biens et des personnes, compte tenu des risques que ceux-ci encourent en cas d’incendie de forêt.
Depuis une dizaine d’années, un bilan annuel des feux de forêt permet de constater une réduction constante des surfaces brûlées – Mme la rapporteur l’a rappelé. Alors que, pour la période 1994-2003, plus de 26 000 hectares étaient incendiés chaque année en moyenne, nous avons divisé par plus de deux la superficie des surfaces brûlées au cours de la dernière décennie, en la ramenant à 10 700 hectares. C’est le résultat, encourageant, de la politique de prévention et d’action qui a été conduite. Nous devons absolument en tenir compte pour préparer l’avenir.
Pourtant, rien n’était acquis d’avance. On se rappelle, d'ailleurs, qu’il n'y a pas si longtemps, en 2003 – année de canicule –, 61 000 hectares avaient été brûlés et plus de 3 700 départs de feu avaient été constatés. Ces chiffres sont impressionnants.
Comme l’a indiqué Pierre-Yves Collombat, nous devons, face à cet enjeu, rester mobilisés et, surtout, continuer à nous sentir concernés.
C’est d’autant plus vrai compte tenu du défi que représente le changement climatique. Celui-ci est devant nous. Je ne reviendrai pas sur la COP 21, qui réunira, dans dix jours, des représentants de plus de cent pays, afin de lutter contre le réchauffement. Cette lutte nécessite que l’on prenne des mesures à la fois pour atténuer ce qui provoque ce réchauffement, mais surtout pour s’adapter à celui-ci et lutter contre ses conséquences, dont les feux de forêt font partie.
On sait que le réchauffement climatique pourrait étendre le risque d’incendies de forêt, qui, traditionnellement, concernait la zone méditerranéenne et le sud de la France, vers le nord de notre pays. Cette évolution nécessitera que l’on puisse offrir aux départements la possibilité d’engager des politiques de lutte contre les feux de forêt lorsque cela sera nécessaire, ainsi que Pierre-Yves Collombat vient de le demander.
Pour faire face aux enjeux de moyen terme liés au changement climatique, nous devons mener une réflexion globale sur l’ensemble des politiques qui ont été conduites.
Dans cette perspective, nous devons être capables de procéder à une évaluation de l’ensemble des mesures prises au cours des dix dernières années en matière de prévention et de lutte contre les incendies de forêt, de manière à distinguer celles qui ont été particulièrement efficaces, celles qu’il faut sûrement encore améliorer et celles qui doivent être corrigées en fonction de ce que l’on a pu constater sur le terrain.
Cela fait partie des objectifs que nous devons, ensemble, nous fixer.
À cet égard, j’estime que, au printemps 2016, un point devra être réalisé conjointement avec les collectivités locales et, bien sûr, l’Assemblée nationale et le Sénat, de manière à tirer toutes les conclusions utiles à la réflexion engagée.
Il s’agira d’évaluer les mesures prises ces dix dernières années. Il s’agira également de réfléchir à l’organisation de l’échelon zonal en zone sud et à la coopération de l’État avec les collectivités territoriales. Il conviendra encore d’ouvrir des perspectives sur un partage d’expériences entre la zone de défense Sud et l’Aquitaine. Il faudra, enfin, lister les actions qu’il pourrait être utile de déployer dans d’autres départements susceptibles d’être touchés à l’avenir en raison du réchauffement climatique.
Effectivement, pour ce qui concerne le court terme, il faut que l’on sécurise le cadre juridique de l’intervention des départements qui étaient déjà engagés dans la lutte contre les feux de forêt, selon les zones auxquels ils appartiennent. Comme Mme la rapporteur l’a rappelé, certains d’entre eux s’étaient déjà dotés de services et de fonctionnaires directement liés à cette lutte.
Je l’ai dit, les bons résultats des dix dernières années sont le fruit des efforts conjugués de toutes les collectivités locales et de l’État et du travail qui a été mené de manière conjointe ; je pense notamment à la diminution significative, de plus de moitié, des surfaces brûlées.
Dès lors, il faut lever les doutes qu’a fait naître l’article 94 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, pour ce qui concerne la lutte contre les incendies de forêt, beaucoup de départements étant déjà engagés dans cette lutte en vertu de la clause de compétence générale.
La présente proposition de loi vise précisément à clarifier la nouvelle situation juridique issue de la loi NOTRe. Il s'agit de permettre aux départements déjà engagés dans la lutte contre les feux de forêt de continuer à agir, de manière coordonnée à l’échelle régionale et conjointement avec l’État.
Aujourd'hui, chaque région dispose déjà d’un certain nombre de compétences en la matière ; nous y reviendrons lorsque nous examinerons les amendements.
Toutefois, comme je l’ai rappelé en introduction, c’est la coordination de l’ensemble des acteurs concernés qui fait la réussite de la politique de lutte contre les incendies de forêt dans notre pays.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Comme le veut l’adage bien souvent utilisé au Sénat lorsqu’il est question des compétences, « les choses vont mieux en les disant ». Je dirai même qu’elles vont mieux en les écrivant ! C’est dans cet esprit que M. Collombat a déposé cette proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je fais le vœu que notre débat de ce jour soit utile pour la lutte contre les feux de forêt, mais aussi qu’il soit utile pour la forêt française, dont vous savez qu’elle est à la fois un patrimoine, un enjeu de multifonctionnalité et un enjeu économique.
Sur nombre de nos territoires, il faut que l’on puisse développer des stratégies qui allient économie, gestion et, dans le même temps, protection de la forêt. Je pense en particulier aux efforts qui doivent être accomplis dans toute la zone méditerranéenne dans les domaines du bois-énergie et de la biomasse : cela œuvrerait en faveur d’une prévention efficace.
Je souhaite que l’examen de la proposition de loi nous permette de clarifier les compétences des départements, dans un esprit de consensus, puisqu’il s'agit véritablement de pérenniser une action qui a montré son utilité. J’espère que le texte pourra le plus rapidement possible être examiné par l’Assemblée nationale et adopté définitivement, de manière à permettre aux départements de continuer l’œuvre utile déjà engagée, en concertation avec les régions et avec l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, si la proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles, que nous examinons aujourd’hui, est considérée par certains, à juste titre, comme une rustine à la loi NOTRe, elle n’en demeure pas moins essentielle pour appréhender l’implication des conseils départementaux dans la protection et la reconstitution des forêts sensibles, la prévention des incendies et, bien évidemment, dans la lutte contre ceux-ci.
En supprimant la clause de compétence générale des départements, l’article 94 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République remet en cause la capacité de certains départements dits « sensibles » – essentiellement ceux de l’arc méditerranéen et du sud-ouest de la France métropolitaine – à intervenir pour défendre leurs forêts contre les incendies.
En effet, si, jusqu’à présent, la protection des forêts n’était pas une compétence obligatoire des départements, ces derniers avaient la possibilité de mener des actions de défense des forêts contre l’incendie, comme en ce qui concerne la prévention des inondations – pour rester dans le domaine de la protection de l’environnement des biens et des personnes –, à laquelle notre collègue Pierre-Yves Collombat a fait allusion.
Cette souplesse dans les moyens d’intervention et de financement des départements a, ce dont il convient de se féliciter, grandement contribué à réduire de manière continue les surfaces brûlées. Les chiffres sont parlants, comme Mme la rapporteur et M. le ministre l’ont rappelé.
Sur les territoires dits « sensibles », la mise en place obligatoire des plans départementaux ou interdépartementaux de protection des forêts contre les incendies, les PPFCI, élaborés sous l’autorité des préfets, a permis à la France de se conformer aux directives de l’Union européenne relatives à ce sujet et de bénéficier de subventions pour leur mise en œuvre. Ces plans constituent, en outre, d’excellents outils et montrent, année après année, leur efficacité.
Après avoir examiné quelques plans de protection des forêts contre les incendies – celui de mon département et des départements voisins –, je suis convaincu que le département est l’échelon pertinent en la matière, en particulier pour la mise en œuvre des actions de lutte, comme il l’est, du reste – nous devons le reconnaître, mes chers collègues – dans beaucoup de domaines.
Pour ne citer qu’un exemple – on me pardonnera de citer celui de mon département –, le Gard, avec ses 288 370 hectares de surfaces boisées – soit près d’un tiers de la surface totale du département –, 259 jours d’ensoleillement par an et une exposition régulière au vent, notamment le mistral, constitue un territoire propice aux incendies.
Face à ce risque, une politique volontariste est mise en œuvre en matière de prévention, avec un partenariat actif, dont le noyau dur est constitué par le conseil départemental du Gard, le service départemental d’incendie et de secours, l’Office national des forêts et la direction départementale des territoires et de la mer. Ce partenariat est élargi, en fonction des actions, à d’autres acteurs : la gendarmerie, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, les établissements publics de coopération intercommunale exerçant la compétence de défense des forêts contre l’incendie – dite aussi « compétence DFCI » –, Météo-France, le syndicat des forestiers privés ou encore, et c’est normal, la chambre d’agriculture.
Néanmoins – et il faut le reconnaître –, depuis la départementalisation, le département du Gard, en finançant les deux tiers du budget du service départemental d’incendie et de secours, soit 40 millions d’euros par an, est, en tant que collectivité, le pilier de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies.
Ces ratios sont sensiblement identiques pour les autres départements également concernés par l’article L. 133-1 du code forestier, qui définit, dans les territoires, les bois et forêts « particulièrement exposés au risque d’incendie ». Il s’agit donc d’efforts substantiels.
L’action des départements ne se limite pas au financement et à l’administration des SDIS. Ils interviennent également d’une autre manière : entretien des tours de guet, mise en œuvre du plan de patrouille avec les forestiers-sapeurs pour la surveillance estivale des massifs forestiers, aide directe aux communes pour mettre en place des plans communaux de sauvegarde à activer en cas d’incendie, appui technique aux communes et aux EPCI pour la gestion des pistes DFCI, ou encore formation des élus et information du grand public sur le débroussaillement, l’emploi du feu et les bonnes conduites à adopter en forêt.
Je pourrais multiplier les exemples, car les actions varient selon les caractéristiques propres de chaque territoire concerné. Elles ont en commun d’être toutes le fait des conseils départementaux. Indispensables et efficaces, ces actions doivent impérativement être pérennisées.
C'est la raison pour laquelle je me félicite que notre collègue Pierre-Yves Collombat ait pris l’initiative de cette proposition de loi, dont l’adoption va permettre non seulement de rétablir ce qui était en péril, mais plus encore de sécuriser les actions des départements en la matière.
Ce matin, en commission des lois, nous avons unanimement voté l’amendement tendant à étendre cette possibilité à tous les départements, ce qui paraît logique. Nous écouterons l’avis du Gouvernement sur l’amendement visant à offrir cette même possibilité aux régions, même s’il semble que la législation en vigueur le permette déjà.
Cette clarification, en explicitant la compétence du conseil départemental au sein du code général des collectivités territoriales, est finalement plutôt la bienvenue.
Ainsi, les départements concernés pourront continuer à financer ou à mettre en œuvre des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts. Il s’agit d’une bonne nouvelle, puisque nous savons tous ici qu’ils le font très bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, madame la rapporteur, monsieur Collombat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à clarifier le rôle des départements dans les plans de prévention et de lutte contre les feux de forêt.
Il faut souligner que notre organisation territoriale est en pleine recomposition tant sur le plan géographique qu’en matière de compétences. Il est important d’accompagner ce mouvement afin de garantir la continuité des missions d’intérêt général assurées par les collectivités territoriales et par l’État.
Sur ce point, le code forestier ménage une place importante aux départements, qui assurent déjà des missions de prévention, d’équipement, d’entretien et de surveillance dans nos forêts.
Le texte que nous examinons aujourd’hui consiste donc à garantir la pérennité de ces actions déjà mise en œuvre ou à inciter à leur mise en œuvre en les inscrivant dans la loi.
Le premier des amendements proposés vise à étendre à l’ensemble du territoire le dispositif en vigueur à ce jour uniquement dans les régions et départements à risque. Le second tend à rappeler la possibilité, pour les régions, de cofinancer les aménagements et les mesures de prévention évoquées dans le dispositif.
Ces mesures vont dans le même sens que le reste de la proposition de loi, à savoir celui d’une volonté de clarification plutôt qu’une action normative.
Je voudrais rendre hommage aux services d’intervention et de secours contre les feux de forêt. Ce sont plus de 80 000 personnels qualifiés qui interviennent sur l’ensemble du territoire. Grâce à ces derniers, 96 % des feux de forêt sont maîtrisés avant qu’ils n’aient détruit plus de cinq hectares, surface en dessous de laquelle l’impact sur l’environnement reste limité.
Que ces personnels soient professionnels ou volontaires, nous pouvons donc saluer leur œuvre de sécurité publique, de protection de notre patrimoine naturel forestier, de la biodiversité qu’il abrite ainsi que de son potentiel économique local et de ses fonctions sociales.
Je veux rappeler ici que la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a créé les groupements d’intérêt économique et environnemental forestier – les GIEEF. Cet outil doit monter en puissance afin de prendre en compte les enjeux actuels que sont l’amélioration de la qualité française de la production forestière, mais aussi l’amélioration de la qualité environnementale en termes de biodiversité, de ressources hydriques, d’atténuation du changement climatique.
C’est la prise en compte de ces enjeux par l’ensemble des acteurs privés, institutionnels et associatifs qui nous permettra de faire face aux défis de la forêt française du XXIe siècle.
Comme sur beaucoup de sujets, nous connaissons le panel des solutions, mais nous en démarrons à peine la mise en œuvre. Il s’agit, dans beaucoup de domaines forestiers, de passer d’une monosylviculture excessive à une futaie irrégulière jardinée.
Cette méthode permet de varier les espèces, les âges, les tailles et de combiner les zones d’éclaircies, de vieillissement et de sénescence. Cela permet également d’identifier les xylophages et leurs prédateurs – et de les réguler –, ainsi que l’ensemble de la faune et de la flore associées.
Et pour couronner le tout, cela crée des emplois : certes à l’Office national des forêts, mais aussi chez les bûcherons. Car, pour bien gérer une forêt, le métier de bûcheron, au sens le plus noble du terme, celui qui se rapproche du jardinier – son jardin étant la forêt – et non du conducteur d’engin opérant, comme trop souvent, une coupe rase, est indispensable.
En conclusion, mes chers collègues, c’est très clairement que les écologistes voteront cette proposition de loi et les amendements déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec plus de quinze millions d’hectares de zones boisées, la France est un pays où la forêt occupe une place centrale, avec les risques que cela comporte.
Dans le département du Var, que nous représentons en commun, mon cher collègue, la forêt représente pas moins de 63 % du territoire. Entre 2 500 et 3 000 départs de feu sont comptabilisés chaque année sur le territoire méditerranéen.
Notre département représente avec la Corse plus de 50 % des départs de feu. C’est dire s’il s’agit d’un sujet central pour les Varois et, au-delà, pour tous les départements connaissant un risque d’incendie très élevé.
Je remercie donc notre collègue de cette initiative que je soutiens bien volontiers, car elle vise à maintenir la sécurité de nos forêts et à permettre à l’ensemble des acteurs locaux de pouvoir prendre les initiatives adéquates pour une meilleure sécurisation de nos forêts.
La situation est aujourd’hui maîtrisée et il est satisfaisant de constater que les surfaces brûlées sont en sensible baisse d’année en année.
Je note toutefois un certain paradoxe entre la suppression, voilà quelques mois, de la clause de compétence générale et la volonté de maintenir les compétences du département à travers cette proposition de loi. Cette manière de gouverner me semble incohérente et approximative, même si je ne renie pas cette initiative pour le bien de la gestion de nos forêts.
Si je m’oppose à la clause de compétence générale, je m’interroge sur votre logique et votre refus d’offrir cette possibilité aux régions, qui financent également la réalisation d’actions forestières et soutiennent des acteurs de la forêt – actions pilotes, animation, émergence de projets forestiers, sensibilisation, etc.
Selon moi, des questions de cohérence subsistent encore.
Cette proposition de loi prévoit ainsi de préserver la faculté des conseils départementaux d’intervenir dans « la défense des forêts contre l’incendie ». Ils pourront financer ou mettre en œuvre des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts dans un double objectif : d’une part, prévenir les incendies et faciliter les opérations de lutte et, d’autre part, reconstituer les forêts.
Les forestiers-sapeurs, agents départementaux détectant en moyenne huit feux sur dix et permettant une extinction rapide des feux naissants, par exemple, sont une organisation départementale tout à fait efficace.
Il est satisfaisant de constater que cette politique commune de plans départementaux et interdépartementaux fonctionne, ainsi que l’Entente pour la forêt méditerranéenne, laquelle, avec ses vingt-neuf collectivités regroupées, forme un ensemble cohérent.
Je profite de cette tribune pour saluer le travail remarquable des sapeurs-pompiers, qui, sur le terrain, font preuve d’un professionnalisme et d’une efficacité tout à fait admirables.
Pour la sûreté et la préservation de notre pays de forêts, je soutiens cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur Collombat, madame la rapporteur, mes chers collègues, quels que soient les sujets dont nous discutons en séance depuis lundi, nos pensées vont aux victimes des attentats de vendredi dernier. Cette fois, ce sont les pompiers qui font le lien.
Je salue leur engagement comme je salue celui de tous les professionnels de la sécurité et de la santé qui poursuivent leur mission auprès des blessés et de leurs familles ou interviennent, comme on l’a encore vu ce matin, pour assurer notre sécurité à tous.
Du fait de l’étendue de leur mission, les pompiers interviennent aussi pour éteindre les feux de forêt. Il s’agit aujourd’hui, à travers cette proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles, de rappeler les politiques d’aménagement et les actions menées – entre autres – par les départements en amont de l’intervention des pompiers.
Mes chers collègues, chaque année, en moyenne, près de 35 000 hectares brûlent en France. Aussi important soit-il, ce chiffre est moitié moins élevé qu’en 2003, par exemple.
Le Gouvernement a réaffirmé cette année – et je m’en réjouis – le caractère prioritaire de la lutte contre les incendies de forêt avec le lancement du dispositif 2015 de lutte contre les feux de forêt. Et en matière de défense de la forêt contre les incendies, les départements sont en première ligne de par leur implication dans la gestion des SDIS et leur compétence en matière d’aménagement du territoire, qui leur donne toute légitimité à agir.
Mes chers collègues, je partirai d’un exemple concret de forêt à la fois méditerranéenne et pyrénéenne, celui de la forêt des Pyrénées-Orientales, particulièrement exposée au risque d’incendie.
Afin de limiter ce risque, le département s’est donc engagé, avec l’État, dans une politique volontariste de prévention des feux de forêt mise en œuvre dans le cadre du Conservatoire de la forêt méditerranéenne. Certains des orateurs qui sont intervenus connaissent également bien ce cadre.
Il s’agit, avec les collectivités, communes et EPCI, ainsi qu’avec l’aide de financements régionaux ou européens, de répondre à trois objectifs dans le cadre de trois missions.
Les trois objectifs consistent à réduire le nombre d’incendies de forêt, à minimiser les surfaces parcourues par ceux-ci et à réduire la vulnérabilité des formations forestières.
Les trois missions principales sont l’information, notamment à travers une action de sensibilisation au risque d’incendie auprès des publics scolaires ; la réalisation d’équipements tels que pistes DFCI, points d’eau ou brûlages dirigés dont l’objectif est de favoriser l’intervention des pompiers pour réduire les surfaces incendiées ; la coordination et le suivi des moyens mis en œuvre.
Par ailleurs, nous avons effectivement un travail à poursuivre sur le bois de construction et le bois-énergie, évoqués par M. le ministre.
Forts de cette expérience, nous travaillons bien évidemment avec les communes et les acteurs du territoire, qu’il s’agisse de l’ONF, du monde agricole ou viticole et des éleveurs.
Nous menons aussi, depuis 2009, des actions de coopération transfrontalière avec nos voisins espagnols sur le financement de dispositifs de prévention et de travaux d’équipement.
En complément de tous ces engagements, le département est membre de l’Entente pour la forêt méditerranéenne, expression de la solidarité entre tous les départements du pourtour méditerranéen.
En supprimant la clause de compétence générale, la loi NOTRE, promulguée le 8 août dernier, fait peser une menace sur la poursuite des politiques volontaristes déjà engagées par les conseils départementaux de nombreux territoires dits « sensibles ».
Au regard de l’insécurité juridique à laquelle sont confrontés les départements en matière de défense de la forêt contre les incendies, il était urgent de clarifier la situation.
La présente proposition de loi, déposée sur l’initiative du groupe RDSE, vise donc à conforter et à pérenniser l’organisation collaborative mise en place sur les territoires sensibles.
Je soutiens bien entendu ce texte, porté par mon collègue Pierre-Yves Collombat, tout comme je soutiens l’amendement qu’il a déposé. Celui-ci tend à permettre aux régions de concourir au financement des opérations de prévention des incendies de forêt.
La coopération entre les départements, les régions et les autres collectivités territoriales doit être expressément visée par le texte pour renforcer nos moyens d’action collectifs.
Compte tenu de l’urgence, cette proposition de loi tend à permettre aux départements déjà engagés avec l’État d’assurer la poursuite de leurs missions en 2016.
Monsieur le ministre, j’ai tout particulièrement apprécié vos propos concernant l’évaluation des différentes politiques menées. Au-delà de l’urgence, il me semble effectivement indispensable de voir comment l’ensemble de ces actions et missions peuvent être pérennisées sur le long terme, pour tous les départements qui sont ou seront un jour menacés par des feux de forêt.
Il s’agit donc d’aller plus loin, pour voir comment nous pourrons rendre notre action durable, pour répondre à une attente forte de nos concitoyens concernant la sécurité des biens, des personnes et des espaces dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes à quelques jours de la COP 21. Alors que la question du réchauffement climatique fera l’objet de négociations internationales, nous avons voté lundi une proposition de résolution affirmant le rôle déterminant des territoires pour la réussite d’un accord mondial ambitieux sur le climat.
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi liée à ces questions globales et à la protection des forêts face à l’évolution du risque incendie dans un contexte de changements climatiques.
À mesure que la température de la planète grimpe, le risque incendie augmente. C’est ce que confirme un rapport de l’administration américaine, selon lequel « le réchauffement planétaire induit par les activités humaines a amplifié un grand nombre de phénomènes météorologiques extrêmes en 2014 » et « augmentera encore la probabilité d’incendies de forêt ».
Sans vouloir être alarmiste – le bilan annuel français permet de constater une réduction constante des surfaces brûlées grâce aux efforts déjà accomplis et à l’organisation existante –, je crois qu’une vigilance accrue s’impose face à ce risque sur notre territoire, qui est largement couvert par la forêt.
Celle-ci s’étend et s’accroît chaque année de près de 50 000 hectares. Elle est souvent morcelée, car elle appartient, à hauteur de 75 %, à des propriétaires privés. Ils sont en effet plus d’un million à détenir plus d’un hectare. L’incendie se propage d’autant plus vite que cette forêt n’est pas gérée durablement, ni exploitée, ni entretenue. Elle est malheureusement difficile d’accès, faute de dessertes adaptées aux engins de lutte contre l’incendie.
Le texte présenté par notre collègue Pierre-Yves Collombat, dont je salue le travail, va dans le sens d’une meilleure prise en compte de ces réalités. Il vise à permettre à nos territoires de s’organiser pour prévenir les risques d’incendie auxquels ils seront de plus en plus exposés dans les années à venir, et y faire face.
Comme cela a été dit en commission, cette proposition de loi constitue « une rustine de la loi NOTRe », laquelle, en supprimant la clause de compétence générale des départements, a remis en cause leur capacité juridique à poursuivre les actions déjà conduites pour la protection des forêts.
Ce texte vise donc à réparer un tort, en prévoyant explicitement la faculté, pour les départements, d’intervenir dans le cadre de la défense des forêts contre l’incendie.
En outre, cher collègue Pierre-Yves Collombat, vous avez déposé un amendement visant à étendre le champ du texte, originellement destiné aux territoires réputés particulièrement exposés aux risques d’incendie, à l’ensemble des départements, ainsi qu’un amendement tendant à permettre aux régions de France de concourir au financement des opérations de prévention des incendies.
Ces extensions nous semblent bien évidemment cohérentes avec la volonté d’agir, en matière de prévention des risques d’incendie, là où c’est nécessaire, tout en permettant à ceux qui ne poursuivent pas encore d’actions en la matière de pouvoir mettre en place des dispositifs.
C’est d’autant plus indispensable que les phénomènes de réchauffement climatique redessinent d’ores et déjà – les forestiers le savent – la carte des risques pour les massifs forestiers. Je pense notamment aux dépérissements anticipés pour cause de sécheresse ou de problème sanitaire, qui fragilisent des zones jusque-là considérées comme peu sensibles.
Le groupe UDI-UC soutiendra donc cette initiative, qui va dans le bon sens, et permet aux départements d’organiser des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts, malgré l’absence d’une clause de compétence générale.
Pour autant, la question du financement de ces actions reste entière, tout comme celle du niveau de portage administratif pertinent.
S’agissant de protection et de sécurité, dans une logique de solidarité nationale, et alors que bon nombre de départements sont exsangues, l’État se doit de tenir toute sa place aux côtés des collectivités pour le financement de ces missions d’intérêt général, dont le coût s’avérera très certainement élevé dans les années à venir.
Alors que bon nombre de massifs forestiers s’étendent bien au-delà des limites des départements, il est également essentiel de travailler à une échelle cohérente, celle des massifs. En ce sens, nous devons privilégier, cela a été dit, les modèles d’organisation globale de lutte contre l’incendie, à l’instar des plans de protection des forêts contre les incendies ou de l’Entente pour la forêt méditerranéenne, qui regroupe vingt-neuf collectivités et à laquelle adhérent des régions, des départements, des SDIS et des EPCI.
Pour conclure, je vous rappelle que, à l’heure où nous parlons, l’Indonésie s’embrase encore, victime d’incendies de forêt qui asphyxient une bonne partie de l’Asie du Sud-Est. Le bilan est le suivant : entre 2 et 3 millions d’hectares brûlés et autant de puits de carbone en moins, 500 000 cas d’infection respiratoire, 43 millions d’habitants sinistrés et un épais brouillard qui s’étend au-delà des frontières jusqu’aux Philippines, à la Thaïlande et à la Malaisie.
Les pronostics les plus pessimistes estiment que la quantité de gaz à effet de serre émise par ces feux est supérieure à celle de l’activité économique des États-Unis.
Toutes proportions gardées, l’emballement de ces phénomènes nous donne la mesure des enjeux et de l’urgence d’une bonne organisation de la lutte contre les incendies de forêt, en métropole comme dans nos territoires ultramarins.
L’objectif des dispositions proposées est bien de mieux prévenir et maîtriser les dérèglements de la nature, souvent favorisés, voire provoqués par la main de l’homme, qu’il s’agisse des feux dévastateurs ou des inondations meurtrières que nous avons connues voilà encore quelques semaines. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est, aux dires mêmes de son auteur, notre collègue Pierre-Yves Collombat, largement inspirée par le Gouvernement. Par ailleurs, son examen en procédure accélérée renforce l’empreinte gouvernementale de ce texte.
Ce type de méthode nous laisse à chaque fois interrogatifs, tant il représente en fait un détournement de procédure remettant en cause le travail parlementaire.
En l’occurrence, cette proposition vise à tenter de rattraper une situation qui pourrait s’avérer dangereuse du fait de la suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions, actée dans la loi NOTRe.
Pour mémoire, qu’il me soit permis de le rappeler ici, une majorité de gauche avait concouru, au Sénat, au rétablissement de cette compétence générale dans la cadre de la loi MAPTAM, loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, alors que celle-ci avait été supprimée par une majorité de droite en 2010.
C’est donc en cohérence avec nos prises de position constantes sur cette question que nous avons été le seul groupe parlementaire de notre Haute Assemblée à refuser la suppression de la compétence générale dans le cadre de la loi NOTRe, proposée par le Gouvernement et adoptée avec le soutien de la majorité de droite du Sénat.
Pour notre part, nous n’avons pas changé d’avis. Lors de nos débats, nous avions alerté sur les risques que faisait courir une telle mesure.
Ainsi, selon ma collègue Cécile Cukierman, la compétence générale « offre un espace de liberté d’action aux élus locaux, un espace de démocratie permettant l’expression de conceptions contradictoires. Elle permet de répondre à des problèmes dont les solutions ne sont pas toujours prévues par la loi, à des besoins et des attentes émergeant dans notre société. Elle permet enfin d’inventer ; elle est source de progrès et, bien souvent, d’innovation sociale et territoriale ».
Pour ma part, concernant particulièrement les départements, j’avais alors affirmé : « Toute la force de la décentralisation réside là, dans cette compétence générale. Grâce à elle, les compétences obligatoires sont vivifiées par des actions transversales qui souvent les débordent et finalement les servent, les rendent plus efficaces. » Nous sommes, me semble-t-il, dans ce cadre, avec la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.
Au fil des années, les départements ont su prendre en compte un véritable fléau, les incendies, les feux de forêt, et mettre en œuvre des politiques publiques de prévention efficaces aux côtés de la compétence incendie.
Aussi, afin de leur permettre de poursuivre dans cette direction, puisque dorénavant les départements ne peuvent intervenir que dans les domaines que leur a attribués la loi, il faut que cette compétence leur soit reconnue.
C’est la raison d’être de cette proposition de loi, qui doit être adoptée avant le 1er janvier prochain, afin d’éviter un risque de blocage des financements à partir de cette date.
M. le secrétaire d'État André Vallini déclarait pourtant devant nous, le 13 janvier dernier, que « la suppression de la clause de compétence générale s’accompagne évidemment de garanties du maintien de l’intervention de la région ou du département dans les domaines où cela est nécessaire ». Il semble qu’il y ait eu un bug et que ce type d’interventions ait été oublié.
Mais sommes-nous assurés que d’autres ne l’ont pas été aussi ? J’ai notamment en tête le problème de la démoustication dans le sud-ouest. Sommes-nous assurés que les départements pourront toujours opérer dans ce domaine, au sein des ententes interdépartementales mises en place, qui interviennent ainsi dans le cadre d’une action essentielle en faveur de la santé publique, sans en détenir formellement la compétence ?
Combien de fois allons-nous devoir examiner des projets ou des propositions de loi permettant de colmater les brèches ouvertes dans l’action départementale ou régionale du fait de la disparition de la compétence générale ? Combien de missions aujourd’hui couvertes ne le seront plus demain et combien de politiques publiques nouvelles ne pourront-elles être mises en œuvre, tout simplement parce qu’elles ne sont pas mentionnées dans notre arsenal législatif ?
Beaucoup, dans ces travées, ne cessent de dénoncer l’excès de normes. Il faudra pourtant en fabriquer de nouvelles et de nombreuses, du fait même de la suppression de cette compétence générale, que vous avez, à une très large majorité, décidée.
Revenant au texte qui nous est soumis, nous saluons sa simplicité et son utilité. Ayant souhaité le maintien non seulement de la compétence générale, mais aussi de la place et du rôle des départements, c’est tout naturellement que nous voterons cette proposition de loi, qui leur permettra de poursuivre leur action dans le domaine de la préservation de nos forêts et de la lutte préventive contre les feux qui parfois les ravagent.
Nous soutiendrons également les amendements de l’auteur de cette proposition de loi, lesquels visent à faire face aux évolutions futures de situations aujourd’hui imprévisibles, en élargissant le champ des départements concernés, et prévoient le soutien des régions aux actions qui sont et seront engagées.
Cependant, nous ne pouvons que regretter que l’obligation de légiférer qui s’impose aujourd'hui à nous découle de la suppression de la compétence générale des départements, décision dont on mesure déjà l’absurdité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Genest. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jacques Genest. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de l’Ardèche, je représente un département qui, comme son voisin la Drôme, est particulièrement exposé aux incendies de forêt et figure à ce titre dans la troisième zone prévue par le code forestier. C’est pour cette raison que je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Pierre-Yves Collombat de son initiative, ainsi que la rapporteur de la commission des lois, Catherine Troendlé.
Nous l’avons compris, cette proposition de loi a été très inspirée par le Gouvernement, qui chemine vers une prise de conscience progressive des bienfaits de la structure départementale, notamment pour les territoires ruraux, qui comptent parmi les plus concernés par les incendies de forêt.
Nous ne pouvons que l’encourager sur cette voie, et l’inciter à approfondir cet effort de clairvoyance en revenant sur sa décision d’une réduction brutale de la dotation globale de fonctionnement.
Comme l’ont rappelé les intervenants qui m’ont précédé, l’article 94 de la loi NOTRe a laissé les forêts sans protection, en retirant aux départements les plus exposés la compétence en matière d’incendie, sans pour autant l’attribuer à une autre collectivité.
Cette problématique est pourtant fondamentale pour de nombreux départements. Je citerai, à titre d’exemple, celui que je connais le mieux : l’Ardèche compte plus de 250 000 hectares boisés, soit près de 56 % de sa surface, ce qui en fait l’un des départements les plus boisés de France.
La forêt n’occupe pas seulement une place déterminante dans son identité et ses paysages : elle est une richesse économique qui fédère les acteurs de l’ensemble de la filière du bois, parmi lesquelles on compte les collectivités locales, et donc le département.
Ce dernier a un rôle essentiel à jouer en matière de protection de la forêt, du fait de sa proximité avec ce que nous pouvons appeler, au sens premier du terme, le « terrain ».
La connaissance de la nature des sols et des climats, des variétés d’essences, des vents, de l’historique des incendies, requiert en effet une autorité en prise directe avec les réalités, et non exilée dans une lointaine capitale régionale.
Le retrait, par la loi NOTRe, de cette compétence aux départements les empêchait de fait de jouer ce rôle, mais menaçait également le financement de la coordination des opérations, assurée par les services départementaux d’incendie et de secours.
Je profite de l’occasion pour rappeler quelques chiffres.
Dans un département comme l’Ardèche, l’action du SDIS, en 2014, représente 26 000 interventions ; son budget de fonctionnement et d’investissement s’élève à plus de 37,5 millions d’euros, soit un coût moyen par habitant de 95 euros.
Qui, parmi nos concitoyens, connaît ces chiffres ? Qui connaît le coût réel de ce service pourtant essentiellement fondé sur le volontariat ?
La quasi-totalité des Français imaginent que ces dépenses sont prises en charge par l’État, et ignorent qu’elles sont presque entièrement financées par les communes, les intercommunalités et le département. Le financement de ce service est totalement opaque pour le contribuable et le citoyen.
Aussi serait-il légitime de réfléchir à l’opportunité de faire figurer sur l’avis d’imposition à la taxe d’habitation une ligne précisant le coût du SDIS, à l’image de ce qui existe déjà pour certains services. Cette information permettrait à nos concitoyens de prendre la mesure de l’engagement financier que représentent la lutte contre les incendies et les secours aux personnes, et dont ils ne soupçonnent absolument pas l’importance.
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
M. Jacques Genest. Naturellement, mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même voterons cette proposition de loi. Il s’agit d’une proposition de bon sens, qui permet de corriger les scories d’une loi, la loi NOTRe, adoptée au terme de nombreuses péripéties.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Jacques Genest. Je tiens à profiter de cette occasion pour rendre hommage au travail et au dévouement des soldats du feu – j’ai d’ailleurs fait partie, il y a quelques années, de ce noble corps. (Marques amusées d’admiration.)
Et, au risque de me répéter – mais dans un but purement pédagogique –, je me réjouis que ce texte, qui parachève les efforts de persuasion fournis par le Sénat lors de l’examen de la loi NOTRe, contribue à ce que le Gouvernement entende le besoin de proximité exprimé par les collectivités de la République, à commencer par les territoires ruraux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Et les départements !
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer votre initiative, monsieur Collombat. Cette proposition de loi tend en effet à préserver et à conforter les actions conduites par les départements dans le domaine de la protection des forêts contre l’incendie, actions qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Le problème auquel nous sommes confrontés est celui de la suppression de la clause de compétence générale des départements, qui remet en cause leur capacité juridique à poursuivre les actions de surveillance et d’alerte, d’entretien et d’aménagement des massifs forestiers.
Celles-ci sont pourtant des actions de prévention et d’équipement ambitieuses destinées à prévenir le risque de feux de forêt, mais aussi à faciliter les actions de lutte contre les incendies ou de reconstitution des forêts.
Mon département, celui de l’Aude, assure par exemple des actions de communication s’adressant au grand public et aux professionnels, visant à réduire le nombre de départs de feux et à limiter la vulnérabilité des populations.
Il contribue largement au dispositif de prévention active, par la gestion et la maintenance des infrastructures de guet et par l’aide à l’animation – par quelque 700 bénévoles – des comités communaux de feux de forêt.
Il intervient également au titre de l’aide à la lutte contre les incendies, par la création et la préservation des coupures de combustible, ou coupures vertes, ainsi que de pistes et de bandes de sécurité débroussaillées, ou de points d’eau, moyens indispensables de cette lutte.
Je pourrais aussi évoquer l’Entente pour la protection de la forêt méditerranéenne, mais vous l’avez déjà fait avec talent, madame la rapporteur.
Bref, dans les régions dites « sensibles », les départements contribuent à prévenir les incendies par différentes initiatives.
Dès lors, à défaut de l’adoption de cette proposition de loi, et de la clarification juridique qu’elle prévoit, des pans entiers de ces politiques de prévention à haute utilité publique tomberaient.
Rien ne serait plus dommageable ou préjudiciable, car les départements disposent d’un savoir-faire reconnu en matière de protection des forêts contre les incendies. Ces dernières années, l’ensemble des actions engagées dans ce domaine ont d’ailleurs permis une augmentation significative de l’extinction des feux naissants, et donc une réduction du nombre global des feux et des surfaces brûlées.
Or chacun sait qu’un tel progrès aurait été impossible sans les efforts conjugués de l’État et des collectivités locales, parmi lesquelles les départements, pour prévenir les incendies de forêt.
Cela est nettement avéré, reconnu, confirmé.
Mettre un terme à ces collaborations entre l’État et les collectivités aurait, pour les régions les plus vulnérables, des conséquences extrêmement graves, d’autant plus préoccupantes que le réchauffement climatique – vous l’avez évoqué, monsieur le ministre – provoquera sans doute possible l’aggravation de la nature des feux – en particulier sur le pourtour méditerranéen, où le réchauffement est déjà une réalité, et produira, selon les experts, des effets particulièrement importants.
Le bassin méditerranéen constitue ce qu’on appelle un hotspot : on y prévoit une augmentation de la température supérieure à la moyenne des prévisions planétaires.
Il sera par conséquent le théâtre d’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes, et notamment de sécheresses intenses et répétées.
Ce qui risque d’arriver, mes chers collègues, a d’ailleurs déjà commencé.
Autre problème : l’augmentation récente de la fréquence et de la longueur des épisodes de sécheresse, conjuguée à la multiplication des incendies, conduit immanquablement à un effondrement du fonctionnement biologique de l’écosystème dans les parties ravagées.
Une sécheresse persistante, après un feu, ralentit, voire interrompt, la régénération de la forêt. Inversement, l’impact d’un incendie est d’autant plus grave qu’il affecte un milieu venant de subir une période de sécheresse prolongée.
Le changement climatique, en intensifiant cette conjonction de feux et de sécheresses, ne peut donc que fragiliser ces écosystèmes.
Or, toujours selon les experts, si le changement climatique n’est pas contenu, la côte méditerranéenne pourrait voir ses périodes caniculaires – c’est-à-dire les jours où la température excède trente-cinq degrés Celsius – s’allonger de six semaines.
Les départements de l’arc méditerranéen, mais aussi d’autres zones, pourraient donc être menacés par des feux de forêt pendant la quasi-totalité de l’année.
Nous sommes nombreux, ici même, à souhaiter le succès de la COP 21, et sa traduction par des engagements fermes, chiffrés, vérifiables, au travers d’un accord contraignant, permettant la mise en œuvre de plans d’action et de lutte efficaces contre l’émission de gaz à effet de serre, et donc contre le réchauffement et le dérèglement climatiques.
Bien qu’il soit très difficile d’évaluer de façon précise le montant des contributions, « en nature » ou financières, de chaque partenaire, les chiffres témoignent du rôle essentiel des départements en matière de défense de la forêt contre les incendies : ceux-ci assument une part très majoritaire de l’effort des différentes collectivités territoriales – effort qui s’élève, en région méditerranéenne, hors financement des SDIS, à environ 100 millions d’euros.
Cela ne veut d’ailleurs pas dire que le rôle des communes, des EPCI et des régions, soit négligeable, même si l’implication de ces dernières est très contrastée.
L’adoption de cette proposition de loi est donc décisive. Il y va de la protection de nos forêts, véritable patrimoine et poumon vert de nos régions. Il y va également de la préservation de la biodiversité dans les zones vulnérables. Il y va enfin de la sécurité de nos concitoyens.
Le groupe socialiste votera donc ce texte, afin de clarifier et de sécuriser le cadre juridique permettant aux départements d’assurer ces missions, « en prévoyant explicitement […] la faculté d’intervention des conseils départementaux dans le champ de la défense des forêts contre l’incendie », selon votre expression, monsieur Collombat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles
Article 1er
Le chapitre II du titre III du livre II de la troisième partie du code général des collectivités territoriales est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Défense des forêts contre l’incendie
« Art. L. 3232-5 – Les départements mentionnés à l’article L. 133-1 du code forestier ainsi que les départements des régions mentionnées audit article ou sur le territoire desquels un massif forestier est classé au titre de l’article L. 132-1 du même code peuvent financer ou mettre en œuvre des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts afin, d’une part, de prévenir les incendies et, le cas échéant, de faciliter les opérations de lutte et, d’autre part, de reconstituer les forêts. Leurs actions s’inscrivent dans le cadre du plan défini à l’article L. 133-2 dudit code. »
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 3232-5 – Les départements peuvent financer ou mettre en œuvre des actions d’aménagement, d’équipement et de surveillance des forêts afin, d’une part, de prévenir les incendies et, le cas échéant, de faciliter les opérations de lutte, et d’autre part, de reconstituer les forêts. Ces actions s’inscrivent, le cas échéant, dans le cadre du plan défini à l’article L. 133-2 du code forestier. »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous avons déjà débattu longuement, en creux, de l’objet de cet amendement pendant la discussion générale.
Celui-ci vise à étendre à l’ensemble des départements – y compris à ceux qui n’ont jusqu’à maintenant pas jugé bon de prendre en charge le financement ou la mise en œuvre de ce type d’actions – la possibilité d’exercer volontairement la compétence en matière de défense des forêts contre l’incendie.
La rédaction proposée prévoit par ailleurs que les dispositions de l’article L. 133-2 du code forestier continuent à s’appliquer dans les départements sensibles concernés par le plan qui y est défini.
Il s’agit d’une mesure de bon sens, dont j’ai cru comprendre qu’elle faisait l’objet d’un consensus.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. J’ai évoqué ce dispositif lorsque j’ai présenté mon rapport devant la commission. Il s’agit d’ouvrir à tous les départements la faculté d’intervenir dans le champ de la défense des forêts contre l’incendie.
De nombreux intervenants ont rappelé que le changement climatique risquait de transformer certains territoires, à l’avenir, en territoires sensibles. Pourquoi légiférer a minima, là où l’occasion nous est donnée, dès aujourd’hui, de leur donner la possibilité d’intervenir contre ce risque ?
Avis favorable de la commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. L’enjeu de cet amendement a été rappelé par Mme la rapporteur et par M. Collombat : il vise à anticiper les effets du réchauffement climatique. Il s’agit de prendre acte du fait qu’un certain nombre de nouveaux départements risquent de se trouver demain concernés par la problématique des incendies de forêt.
L’avis du Gouvernement est donc favorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. Le code forestier et la présente proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, excluent de la compétence en matière de défense des forêts contre l’incendie de nombreux départements pourtant concernés par la problématique forestière.
Cet amendement tend à corriger cette restriction, par l’ouverture de cette faculté à tous les départements. Nous y sommes donc très favorables.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Luche. Je voudrais commencer par féliciter notre collègue Pierre-Yves Collombat d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi, qui permet de corriger un certain nombre d’imperfections de la loi NOTRe – il sera d’ailleurs certainement nécessaire, dans les mois qui viennent, d’y apporter d’autres précisions.
L’objet de cet amendement est de traiter la question du financement des actions de protection des forêts contre l’incendie – nos collègues Jacques Genest et Roland Courteau l’ont évoquée. Et je profite de votre présence parmi nous, monsieur le ministre, pour rappeler que le financement des SDIS est assuré par les départements, par les communes et par les communautés de communes.
Il vous faut savoir, monsieur le ministre, que, lors de la préparation des budgets pour 2016, certains SDIS enregistreront une baisse de la participation des départements, dont les moyens financiers sont moindres.
Comment ces sapeurs-pompiers, bien souvent, volontaires, mais aussi professionnels – que nous avons vus ce matin dans d’autres actions, pour assurer la sécurité des personnes –, financeront-ils les formations, le matériel, l’entretien et l’investissement nécessaires, alors que l’on sait pertinemment que les moyens financiers vont se réduire, notamment cette année, mais aussi les prochaines années ?
Je me permets d’insister sur ce point parce que, si nous subissons une sécheresse comme celles que nous avons connues cette année et en 2003, cela nécessitera des moyens supplémentaires. Je m’inquiète fortement du rôle que peuvent jouer les collectivités, car nous ne pouvons donner que ce que nous avons.
Tout cela a un prix, et certainement un coût. Il s’agit de savoir qui peut financer ces actions, car il sera nécessaire de prévoir les contributions les plus adaptées possible. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.
Mme Hermeline Malherbe. Le groupe RDSE votera cet amendement. Je rappelle que, pour les départements qui sont déjà engagés dans ces missions, les budgets sont d’ores et déjà prévus. Pour les autres, bien évidemment, ils ne le sont pas. C’est la raison pour laquelle j’insistais dans mon intervention précédente sur l’évaluation des politiques dont a parlé M. le ministre, car il me semble fondamental d’évaluer ce qui est fait pour pouvoir ajuster au mieux et prévoir de façon précise les financements associés à ces missions.
L’ensemble des membres du groupe RDSE voteront donc cet amendement, mais je tenais à insister sur cet aspect des choses.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Genest, pour explication de vote.
M. Jacques Genest. Nous voterons cet amendement de bon sens. Toutefois, comme mon collègue, je suis très inquiet en ce qui concerne le financement des SDIS. Il faudra bien finir par trouver des solutions, parce que les départements et les communes ne pourront pas résister longtemps.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je rappelle qu’il s’agit d’une faculté accordée aux conseils départementaux.
Par ailleurs, je l’ai déjà dit, il existe un partenaire, l’État, qui continue à mener sa propre politique de lutte contre les feux de forêt. Or je ne peux pas imaginer que l’État – monsieur le ministre, vous allez peut-être nous le dire – se décharge de cette responsabilité sur les nouveaux conseils départementaux, qui devraient assumer cette compétence à condition que leurs territoires soient classés sensibles, nous en sommes d’accord.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le titre II du livre III de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« CHAPITRE…
« Art. L. 4323. –... Les régions peuvent concourir au financement des opérations de prévention des incendies de forêt conduites par les collectivités territoriales et les établissements publics situés sur leur territoire. »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Comme vous le disiez excellemment, monsieur le ministre, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant, voire en l’écrivant.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous avez dit les deux, je vous ai écouté attentivement.
Les régions mènent aujourd’hui une politique très active en matière de prévention et de défense contre l’incendie – en tout cas, dans les zones sensibles. Pour n’en donner qu’un exemple, ma région, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, conduit une politique très active, qui va jusqu’à la mise en place d’une surveillance pendant les périodes difficiles de l’été, et contribue au financement des communes et des communautés, qui jouent un rôle extrêmement actif dans la lutte contre les feux de forêt.
Ensuite, même si ce n’était pas l’objet de ce texte, et j’aurai sans doute l’occasion d’y revenir, il ne faut pas oublier tout le volet économique, celui de la forêt en tant que richesse. Vous l’avez aussi évoqué, monsieur le ministre. Je pense à la filière bois-énergie. La région, en raison de ses compétences économiques, peut intervenir spontanément, mais, là encore, cela va mieux en le disant.
Ce texte très simple est l’occasion de dire très clairement que la région doit continuer à s’engager dans le « financement des opérations de prévention des incendies de forêt conduites par les collectivités territoriales et les établissements publics situés sur leur territoire ».
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Comme le dit à juste titre l’auteur de l’amendement, cette question mérite d’être posée.
Les régions aujourd’hui sont impliquées. Le texte de la loi NOTRe concernant les compétences de régions prévoit une compétence en environnement et aménagement du territoire. Pour autant, monsieur le ministre, au risque de répéter ce qu’a dit M. Collombat, cela mérite une véritable clarification et, quand c’est écrit, c’est encore mieux !
À tout le moins, la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Comme je l’ai dit, les choses vont mieux non seulement en les disant, mais en les écrivant. Or je rappelle que les articles L. 4221-1 et L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales confèrent aux régions des compétences en matière d’égalité des territoires et de protection de la biodiversité.
Ces deux articles du code permettent donc aux régions d’agir pour la protection de la forêt dans le cadre de la lutte contre les incendies de forêt. Donc, ce que vous proposez est déjà satisfait dans la loi actuelle.
Le Gouvernement sollicite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Collombat, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, je l’ai dit dans mon intervention au cours de la discussion générale : puisque vous me donnez l’assurance que cet amendement est satisfait, je le suis également et donc je le retire !
J’ajoute toutefois que si, d’aventure, il fallait présenter une proposition de loi pour préciser cet aspect des choses parce que certains ne l'auraient pas compris, je suis à votre entière disposition. (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 2 est retiré.
Article 2
(Supprimé)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Par cet amendement, nous tirons les conséquences de l’adoption de l’amendement n° 4 et proposons pour cette proposition de loi un intitulé qui a le mérite de la simplicité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. C’est un amendement de conséquence, et la commission émet un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
M. Pierre-Yves Collombat. Puis-je intervenir, madame la présidente ?
Mme la présidente. J’accorde volontiers la parole à l’auteur de cette proposition de loi adoptée à l’unanimité !
M. Pierre-Yves Collombat. Je tiens à remercier M. le ministre et nos collègues de m’avoir suivi.
Ce texte permet de régler le problème de l’action des départements en matière de prévention des incendies et de traitement des crises. Il reste toutefois des améliorations à apporter. Vous l’avez souligné vous-même, monsieur le ministre, en nous proposant un rendez-vous pour le mois de janvier.
Le premier point que nous aurons à traiter, celui qui me paraît le plus important, est l’entretien de la forêt.
Au risque de me répéter, la forêt n’est pas une poudrière qu’il faut garder, c’est un dépôt de gaz qui fuit. Le paradoxe est que, si l’on ne procède pas à cet entretien, plus les dispositifs d’intervention seront efficaces, plus le risque d’incendies catastrophiques augmentera.
Le second point que je voulais évoquer et qui pourrait faire l’objet d’un nouveau texte, sauf s’il s’avérait à l’usage que nous puissions nous en passer, est le rôle des départements dans l’exploitation de la forêt et dans la mise en place d’une véritable filière bois-énergie.
Les associations des communes forestières y sont extrêmement sensibles. Elles sont encore sous le choc et se demandent si les communes et les départements, qui les aident beaucoup, pourront continuer à agir dans ce secteur que je qualifierai d’avenir.
Nous essaierons d’accrocher le wagon à ce que nous venons de voter, mais il n’est pas sûr que ce soit aussi simple.
Donc, puisque vous avez évoqué ce rendez-vous, monsieur le ministre, conservez ces sujets en mémoire et essayons d’y réfléchir. Nous espérons que nous pourrons aller plus loin, mais, dans la mesure où ce n’est pas certain que nous y réussissions, peut-être faudra-t-il faire le nécessaire.
En tout cas, merci à tous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Débat sur le rôle du bicamérisme
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie », organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à M. Jacques Mézard, orateur du groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, je l’ai plusieurs fois rappelé à cette tribune, l’existence du groupe du RDSE, héritier de la Gauche démocratique, est consubstantielle à celle du Sénat de la République. Aussi est-il légitime et naturel que notre groupe unanime, ulcéré par les provocations réitérées du président de l’Assemblée nationale contre le Sénat, prenne l’initiative, dans son espace réservé, d’un débat sur l’avenir du bicamérisme en France. (M. Yvon Collin opine.)
M. Philippe Bas. Il était temps !
M. Jacques Mézard. Au moment où l’unité nationale est invoquée heure par heure, à juste titre, est-il bien opportun, depuis janvier dernier et quelques jours après les attentats, que l’on remette en cause formellement l’existence du Sénat pour en faire un « pôle de contrôle parlementaire » sans aucun pouvoir réel ? Une assemblée émasculée dont nous ne doutons pas que les membres seraient désignés à la sauce du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ce qui se passe de tout commentaire, tant cela pourrait être désobligeant… (Sourires.)
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jacques Mézard. Sous prétexte de rénovation, le groupe de travail lancé par M. Bartolone détruit clairement le bicamérisme en reprenant dans sa proposition n° 10 les mêmes arguments fallacieux qui avaient été employés ici même au Sénat le 19 décembre 1968 par le ministre d’État Jeanneney, venu dans cet hémicycle soutenir sans succès le projet de référendum du Président de Gaulle, qui allait entraîner in fine la démission de ce dernier.
J’ai dit que ce groupe de travail reprenait les mêmes « arguments fallacieux » que ceux utilisés en 1968, car sa composition reflète le même penchant partisan que celui de la trop célèbre commission Jospin sur la transparence de la vie publique.
Comment veut-on maquiller la destruction du Sénat ? La citation d’une seule phrase suffit : « La fusion du Sénat et du CESE redonnerait tout son sens à un bicamérisme fondé sur la complémentarité, et offrirait une tribune plus efficace aux forces actives de la nation pour faire entendre leur voix. L’enjeu d’une telle réforme n’est pas de diminuer le rôle du Sénat, mais est de mettre fin aux doublons et aux redondances de la procédure législative. La Ve République établit déjà un bicamérisme inégalitaire, il s’agit d’en tirer enfin les conséquences. » Tout est dit. La manœuvre est grossière, éculée.
Comme le firent le président Monnerville et ses collègues lors du référendum de 1969, il nous revient, au nom du respect de nos institutions – ce mot a encore davantage de sens après ce que notre pays vient de vivre –, à nous, Sénat de la République, d’éclairer nos concitoyens, dans une Ve République qui a dérivé vers une hypertrophie du pouvoir présidentiel au détriment du Parlement, sur la nécessité de préserver et de rétablir un équilibre institutionnel. Pour cela, le Sénat législateur est indispensable.
Mes chers collègues, nous n’allons pas, comme le président de l’Assemblée nationale, embaucher une journaliste du Monde pour écrire un livre d’apologie. (Sourires.) Nous allons ici, mais aussi dans tous les médias et dans chacune de nos circonscriptions, dénoncer une stratégie populiste contraire aux intérêts de la nation, encore plus aujourd’hui qu’hier.
Cette stratégie, ne doutons pas qu’elle sera encore davantage exploitée lors de la prochaine élection présidentielle, et en premier lieu par les extrêmes. Elle a pour principal effet de discréditer et d’affaiblir la représentation nationale et la démocratie représentative. Il est regrettable que l’exécutif, en croyant se protéger, s’y prête, même par intermédiaire, en nous faisant supporter encore une fois une repentance pour autrui.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jacques Mézard. Je regrette que le Président de la République ait déclaré à Tulle, le 18 janvier 2014 : « Je n’ai jamais été candidat comme sénateur, c’est le seul regret que je peux nourrir – enfin, je ne suis pas sûr que ce soit un regret. » (MM. Yvon Collin et Henri de Raincourt s’exclament.)
Ce débat a un sens, il a un but : que chaque groupe, sans faux-fuyant, exprime clairement sa position sur la proposition n° 10 de ce rapport.
M. Yvon Collin. C’est sûr !
M. Jacques Mézard. Toute opinion est respectable en démocratie. Ce qui est condamnable, c’est le double langage au gré des commandes à géométrie variable des appareils partisans.
En guise d’exemple éclairant de double langage, je vous cite une phrase prononcée dans les murs du Sénat en avril 2014, lors d’un débat sur le bicamérisme : « Le bicamérisme est l’alliance de la puissance quasi sacrée du suffrage universel direct et de la richesse de nos territoires ; il est la vie et l’histoire des individus ancrées dans la diversité de notre géographie. Ainsi, le bicamérisme est la traduction institutionnelle de ce qui caractérise notre pays : l’unité dans la diversité. »
Qui a prononcé cette phrase ? Le président de l’Assemblée nationale lui-même ! (Exclamations ironiques sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Laborde. Incroyable !
M. Henri de Raincourt. Magnifique !
M. Jacques Mézard. Vais-je y ajouter un extrait du discours d’investiture du président Bel ? J’avais cru, alors, à la sincérité de ses propos.
M. Henri de Raincourt. Cela, c’était une erreur !
M. Jacques Mézard. Je les cite : « Nous avons tous entendu l’appel des grands électeurs pour confirmer le Sénat dans son rôle de représentant et de défenseur des libertés publiques, des libertés individuelles, des libertés locales. »
Mes chers collègues, les Français, dans ces heures graves qui marquent depuis janvier leur vie quotidienne, attendent-ils une énième réforme des institutions ? Peut-on invoquer à juste titre la stabilité des institutions comme rempart à l’accumulation d’événements dramatiques et vouloir, dans le même temps, les bouleverser ?
M. Yvon Collin. Non !
M. Jacques Mézard. Sécurité, emploi et pouvoir d’achat sont les vrais soucis de nos concitoyens.
Soyons directs : quand un exécutif se fragilise, il cherche naturellement des causes extérieures. Ce fut le cas du général de Gaulle après mai 1968 ; c’est aussi le cas aujourd’hui. Il est trop facile et injuste d’imputer les responsabilités à la représentation nationale, et au Sénat en premier lieu.
Qu’est-ce qui justifierait une strangulation du Sénat ?
Est-ce la qualité de son travail législatif ? Je le dis sans forfanterie, la grande majorité des universitaires, des journalistes spécialisés, des cadres de ce pays et les ministres en exercice eux-mêmes – espérons-le, sans double langage ! – déclarent que le travail du Sénat est, en général, de meilleure qualité que celui de l’Assemblée nationale, par sa réflexion, son analyse technique et sa distance par rapport aux directives de l’exécutif.
M. Yvon Collin. C’est vrai !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Jacques Mézard. Aussi, pourquoi réduire quasiment à néant le pouvoir législatif d’un Sénat dont l’action en ce domaine est reconnue comme très performante ?
Supprimer le pouvoir législatif du Sénat rendra-t-elle l’Assemblée nationale plus performante, plus libre, plus efficace et plus tolérante qu’aujourd’hui ? (Non ! sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Qui représentera les territoires, les collectivités, ce qui est notre mission constitutionnelle ?
Est-ce parce que le Sénat refuserait de se rénover, de se moderniser ? (Mêmes mouvements.) Mes chers collègues, la réponse est dans les actes. Qui a pris des initiatives fortes pour moderniser l’action parlementaire et le Sénat, et cela de façon accélérée tout au long de cette année 2015, pour développer l’utilisation des techniques de communication avec nos concitoyens, améliorer la réactivité lors des questions au Gouvernement, assurer la présence effective des sénateurs en commission, en séance, et accroître encore la qualité des rapports ? (C’est nous ! sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
L’Assemblée nationale a-t-elle fait mieux ? (Non ! sur les mêmes travées.) À ce jour, en tout cas, elle n’a pas fait autant que le Sénat pour se rénover. Avant de donner des leçons aux autres, il est bon de balayer devant sa porte.
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jacques Mézard. Au reste, ce qui se passe aujourd’hui au plus haut de l’Assemblée nationale sur le principe de non-cumul des mandats est révélateur du « Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Dans son discours du 19 novembre 1968, le président Monnerville disait, parlant de Clemenceau : « C’est peut-être du jour où il est devenu sénateur qu’il a commencé à être un véritable homme d’État, parce qu’il était plus réfléchi, plus calme, plus posé, sans abandonner aucune de ses idées. » Mes chers collègues, il est plus que temps que nous accueillions en notre sein nombre de hauts responsables de la République, afin qu’ils deviennent plus sages ! (Rires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Le même président Monnerville déclarait, quelques phrases auparavant, paraphrasant l’exécutif de l’époque : « Le malaise semble s’installer encore davantage dans la vie de la nation, précipitons-nous sur la réforme des régions et du Sénat. » Mêmes causes, mêmes artifices, mêmes vieilles recettes...
Enfin, le plus important, ce qui doit, au-delà de nos différences de sensibilité, nous rassembler pour enfouir ce mauvais rapport dans les poubelles de l’histoire, et ce qui a toujours été l’honneur du Sénat, c’est la défense des libertés publiques et des libertés individuelles ! C’est là le cœur du bicamérisme à la française. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Après Georges Clemenceau, François Mitterrand et Michel Debré ont siégé au Sénat dans le groupe que j’ai l’honneur de présider. François Mitterrand a toujours défendu le Sénat, et je ne citerai qu’une phrase de Michel Debré, extraite de son ouvrage Refaire la France : « S’il y avait la chambre unique, le Gouvernement perd son premier appui : il devient simplement la réunion des commissaires de la majorité. »
M. Pierre-Yves Collombat. C’est exact. Et c’est le but !
M. Jacques Mézard. Le Sénat est-il moins sensible aux évolutions sociétales ? Bien sûr que non ! Le souvenir, encore si présent dans nos murs, d’Henri Caillavet, de Robert Badinter et de tant d’autres, en est la marque : avortement, divorce, abolition de la peine de mort, mariage pour tous et, plus récemment, sur l’initiative de notre groupe, recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Le Sénat a majoritairement voulu voter ces réformes. Dois-je rappeler à nos collègues socialistes que le Sénat a adopté, voilà trois ans, le droit de vote des étrangers et que l’Assemblée nationale est restée muette ?
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Mézard. Disons-le, souvent, les exécutifs n’apprécient pas le Sénat et le marginalisent, encore aujourd’hui, considérant qu’il est une perte de temps, un obstacle, une assemblée où l’expression de votes libres, traduisant l’insoumission vis-à-vis des apparatchiks de tous poils, est une tradition, facilitée par l’élection au deuxième degré.
Être libre de son vote, être capable de dire à un gouvernement, à ses propres amis politiques : « Je pense que vous vous trompez, je ne vous suivrai pas dans cette voie », c’est l’essence même du bicamérisme, c’est l’honneur du Sénat de la République.
Mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs de mon groupe défendront le bicamérisme et le Sénat de la République, parce qu’ils défendent l’équilibre des institutions, l’expression des territoires et, par-dessus tout, les libertés publiques – cette liberté qui est le premier mot de notre devise nationale et qui, en cette heure, est plus universelle que jamais. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cher Jacques Mézard, je vais m’efforcer, en tant que modeste membre de la représentation nationale, de rester au niveau du plaidoyer que nous venons d’entendre.
Monsieur Mézard, je souscris à vos propos condamnant la manœuvre quelque peu populiste, je tiens à le dire, du président de l’Assemblée nationale.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Yvon Collin. Bravo !
M. Joël Labbé. « Refaire la démocratie », voilà tout un programme, en une période où il est nécessaire de refaire le monde ! Ce programme ne me convient pas vraiment. Et si nous nous préoccupions, d’ores et déjà, de faire fonctionner la démocratie ?
En effet, si des réformes sont nécessaires, pour autant, nous disposons de tous les éléments pour faire fonctionner notre belle, notre noble démocratie, ce modèle envié dans nombre de pays, ce modèle qui est copié et qui inspire les jeunes démocraties. Ainsi recevions-nous au Sénat, la semaine dernière, une délégation de sénateurs du Cambodge, membres de la Haute Assemblée, âgée de quinze ans tout juste, de ce pays, et qui venaient voir comment fonctionne le parlement français.
Faire fonctionner la démocratie, c’est reconnecter la politique avec la population, c’est rendre tout son sens et toute sa noblesse à l’action politique, c’est démontrer par nos comportements, par nos actes et par nos positionnements que nous, responsables politiques, avons pour rôle essentiel de représenter la population, en défendant, avant tout, l’intérêt général, le bien public et les intérêts des générations futures, qui sont aujourd’hui remis en cause.
Pour avancer et bien faire fonctionner la démocratie, nous avons de nouveaux outils. Je pense, notamment, aux outils numériques.
Lorsque j’avais rédigé, voilà deux ans, une proposition de loi tendant à limiter l’utilisation des pesticides, j’avais proposé que celle-ci soit soumise à l’évaluation citoyenne, via la plate-forme Parlement & Citoyens. J’ai alors reçu plus de 3 000 contributions, qui ont permis d’enrichir ce texte basique et simple. Ce sont autant de nos concitoyens qui ont pu donner leur avis, et je me suis servi de ces avis pour tenter de vous convaincre, mes chers collègues.
Lorsque son groupe compte dix membres, il n’est pas toujours simple de rassembler une majorité. (Sourires.)
M. Jacques Mézard. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Or nous en avions trouvé une alors, justement parce que cette proposition de loi avait été véritablement travaillée.
J’ai proposé à Jérôme Bignon, rapporteur du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, ainsi qu’aux membres du cabinet de Ségolène Royal, de soumettre ce texte à l’avis citoyen, pour que nos concitoyens se sentent concernés, de telle sorte qu’ils ne nous fassent pas un chèque en blanc pour l’élaboration de la loi, mais qu’ils contribuent à cette dernière, chacun assumant sa responsabilité propre. Néanmoins, la responsabilité finale, c’est bien nous qui l’assumerons, car nous sommes soumis au suffrage universel.
Pour en revenir au rapport de MM. Bartolone et Winock, ce texte comporte un certain nombre de propositions intéressantes, qui représentent des avancées : la limitation des mandats dans le temps, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, l’évolution du référendum, notamment au travers d’un référendum d’initiative populaire, l’inversion du calendrier électoral entre les élections législatives et l’élection présidentielle, la redéfinition du rôle du Président de la République, l’amélioration des droits de l’opposition.
D’autres propositions ne nous conviennent pas plus qu’à vous, monsieur Mézard, notamment la fusion du Sénat et du CESE. Celui-ci est présidé par une grande personnalité, Jean-Paul Delevoye, qui, avec ses équipes, mène brillamment ses travaux.
M. Loïc Hervé. Exact !
M. Joël Labbé. Je fais partie de ceux qui se déplacent régulièrement au CESE. Un véritable travail de fond y est fait, et il serait nécessaire de mieux connecter nos travaux avec les leurs. En revanche, nous considérons, tout comme vous, que l’idée de la fusion ne tient pas du tout.
Pour conclure, s’il est évident que le bicamérisme à la française et notre système de gouvernement nécessitent d’être quelque peu repensés, une chose doit être préservée : cette forme de lenteur dans l’écriture de la loi, qui permet à toute la société, au travers de ses différentes composantes – associations, syndicats, entreprises, mais aussi ONG et simples citoyens –, de poser un regard sur notre travail de législateur et de nous éclairer utilement en partageant leur perception.
Notre démocratie est en transition. Si nous y sommes attentifs, cette transition sera citoyenne et permettra au plus grand nombre de se sentir à nouveau pleinement représenté ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après le rapport Balladur en 2007, le rapport Jospin en 2012, le rapport du groupe Bartolone-Winock d’octobre 2015 vient d’arriver. En toute modestie, ses auteurs nous préviennent qu’il s’agit de « la première mission de réflexion sur les institutions d’importance qui n’ait pas été réunie par un Président de la République, mais par le Parlement lui-même ». De la même veine que ses prédécesseurs, ce ne sera certainement pas le dernier ! (Sourires.)
Au départ, un constat lucide du blocage institutionnel de la Ve République vieillissante et de ses conséquences sur l’opinion est dressé : « L’hyperprésidentialisation des institutions de la Ve République a contribué à accentuer la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions en concentrant les pouvoirs entre les mains d’un seul homme que le peuple investit d’attentes démesurées. » Cela expliquerait l’impression d’impuissance du politique, ainsi que la montée de l’abstention électorale et de la défiance envers le politique.
Effectivement, tout le pouvoir politique est à l’Élysée. Son locataire, devenu le véritable chef de la majorité, politiquement irresponsable, mais ayant le pouvoir de dissoudre le Parlement, désigne un chef du gouvernement théorique qui, lui, est responsable devant l'Assemblée nationale. Comme si c’était le Premier ministre et le Parlement qui étaient responsables devant le chef de l’État, et non l’inverse !
Contrairement à la formule habituellement utilisée, il s’agit non pas d’« hyperprésidentialisme », mais d’une sorte de consulat, système dans lequel, selon la formule de Sieyès, « le pouvoir vient d’en haut ».
Après ce constat lucide, le rapport Bartolone-Winock, comme les précédents, contourne l’obstacle au lieu de traiter le problème de fond : se refusant à choisir entre un régime présidentiel qui instituerait une véritable séparation des pouvoirs et un régime parlementaire réel, il opte pour le statu quo, que « le groupe » a cherché à améliorer, « dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs » entre le Président de la République et le Premier ministre, ainsi que d’un ajustement à la marge de la procédure législative et des pouvoirs de contrôle du Parlement.
Les auteurs sont clairs : il n’y aura « pas de propositions mettant en cause les pouvoirs essentiels du Président de la République ». Effectivement, depuis la présidence du conseil des ministres jusqu’au droit de dissolution, en passant par la nomination du Premier ministre, tout le dispositif du présidentialisme est conservé, y compris le domaine réservé ; à peine le rapport envisage-t-il un contrôle sur les nominations faites par le chef de l’État…
Comme on a pu l’observer lors des précédentes révisions de la Constitution – session unique, quinquennat, inversion du calendrier électoral, réforme de la procédure législative lors de la révision de 2008 –, faute de traiter le problème de fond, ces « modernisations » n’apportent aucune amélioration, voire produisent l’effet inverse de celui qui est recherché. Ce sera le cas de la réforme du Sénat qui nous est proposée.
Si les rapporteurs renoncent à supprimer cette « anomalie démocratique » – dixit Lionel Jospin –, c’est pour l’embaumer, en lui ôtant tout pouvoir réel. Finalement, ce n’est pas avec le CESE qu’ils devraient proposer de fusionner le Sénat, c’est avec le musée de l’Homme ! (Rires.)
Selon les auteurs, cette solution aurait un double avantage : celui de régler la question du CESE, dont apparemment ils ne savent pas trop quoi faire, et celui « de mettre fin aux doublons et aux redondances de la procédure législative », comme si plusieurs lectures d’un même texte, par des représentants du peuple élus selon des modalités différentes, n’était que temps perdu.
Les compétences législatives de la seconde chambre seraient limitées au contrôle, à l’évaluation et à l’expertise, et son pouvoir d’amendement supprimé de fait, puisque l’Assemblée nationale pourrait ne pas en tenir compte.
Le Sénat perdrait le pouvoir constitutionnel de s’opposer à toute réforme le concernant et sa composition serait modifiée : une partie des sénateurs seraient élus à la proportionnelle régionale, ce qui permettrait « de corriger la surreprésentation des communes rurales » – tout le malheur vient de là ! – ; l’autre partie de cette chambre plus ou moins corporative serait, quant à elle, élue par « les membres des corps et organismes qu’ils ont vocation à représenter ».
Le paradoxe, c’est qu’en marginalisant ainsi le Sénat sans toucher aux pouvoirs du Président de la République, les auteurs aggravent les dysfonctionnements qu’ils prétendent combattre. En effet, la seconde chambre, que son mode d’élection rend moins sensible aux émotions médiatiques que l'Assemblée nationale et davantage indépendante des organisations claniques plus connues sous le nom de partis politiques (Sourires sur les travées du RDSE.), et que la Constitution met à l’abri d’une dissolution présidentielle, est le seul vestige de contre-pouvoir politique de cette Ve République crépusculaire.
À considérer l’ensemble des propositions du rapport sur lesquelles je ne peux – à regret ! – m’attarder, c’est à se demander si le but n’est pas là : supprimer tout ce qui peut réduire la marge de manœuvre des partis, faiseurs exclusifs de présidents de la République, de députés et, parfois, de sénateurs.
Cela expliquerait l’engouement des auteurs du rapport pour la proportionnelle dans des circonscriptions régionales, leur volonté de marginaliser les élus ruraux, qui sont l’expression d’un territoire avant d’être celle d’un parti, leur aversion pour le cumul des mandats, qui donne à l’élu une légitimité personnelle et, partant, une plus grande indépendance, l’importance accordée au sexe des candidats et à leur origine sociologique, contraintes fortes pour les candidats indépendants, mais bénédiction pour les appareils, qui y trouvent des raisons avouables d’éliminer des listes les indésirables et les mal pensants. C'est une technique que nous connaissons bien !
Tout cela est, bien sûr, proposé au nom du renforcement de la démocratie. Toutefois, comme on le sait, plus un mensonge est gros, plus il a de chances de passer pour une vérité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe du RDSE, nous débattons aujourd’hui des fondements démocratiques du Sénat, à la suite du rapport Bartolone-Winock intitulé Refaire la démocratie.
Force est en effet de constater que l’existence du Sénat est directement menacée, dans la lettre et l’esprit, par ce rapport. La proposition n° 10 prévoit, en effet, de fusionner le Conseil économique, social et environnemental et le Sénat, de conditionner l’adoption de nos amendements à la majorité des trois cinquièmes, enfin d’ôter à notre assemblée tout pouvoir de blocage constitutionnel, qui est effectivement bien gênant lorsque l’on veut modifier la Constitution pour des raisons conjoncturelles.
Ce que proposent les auteurs du rapport, c’est un véritable bouleversement de notre équilibre institutionnel. Une fois encore dans notre histoire politique, le Sénat se trouve sur le banc des accusés. Une fois encore, on nous somme de répondre à la fameuse injonction de Victor Hugo : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires. »
Permettez-moi, mes chers collègues, de prendre à cœur cette injonction. Nul ne contestera parmi nous qu’il est légitime que les Français exigent une réforme de notre fonctionnement. Cette réforme de notre règlement, le Président de notre assemblée l’a engagée ; elle est en application depuis le 1er octobre dernier.
Personne, dans cette assemblée, ne prétendra non plus qu’il n’est pas de notre devoir de sénateurs d’expliquer et de justifier inlassablement l’existence de la seconde chambre. Une telle fonction nous honore, et elle manifeste notre lien profond et permanent avec la démocratie.
Je m’attacherai donc à répondre aux objections qui sont faites à la chambre du dialogue réfléchi, du contre-pouvoir législatif et des territoires.
Ce procès est instruit par une gauche minoritaire et défaite au Sénat. Pourquoi la critique du Sénat par la gauche se réveille-t-elle soudainement après le départ de Jean-Pierre Bel ? À vrai dire, la réponse fait peu de doute.
En 2015, encore, il semblerait que le principal défaut du Sénat soit de ne pas être de gauche, comme en 1930, lorsqu’il renversait un peu trop de gouvernements de gauche au goût du président du Conseil, le radical Édouard Herriot, ou comme en 1875, lorsque la gauche républicaine bataillait pour que les communes ne puissent pas être représentées par une assemblée spécifique.
Passons outre ces calculs politiques, aussi visibles qu’inefficaces, et venons-en directement au fond du débat. Avant même de nous justifier sur la légitimité démocratique du Sénat, il me semble qu’il faut nous entendre sur le procès auquel notre assemblée doit répondre, je l’espère collectivement.
En effet, il faut bien reconnaître, en premier lieu, que règnent une certaine confusion et une certaine ambiguïté dans la position de la majorité actuelle. Nous reproche-t-on, par exemple, la lenteur supposée du Sénat et son inefficacité ? Le Président de la République a clairement formulé ce reproche : « Six mois, un an, c’est trop pour voter et appliquer une loi. »
Que n’a-t-il attendu le rapport Bartolone-Winock ! Celui-ci démontre, en effet, combien cette assertion contient d’inexactitude et d’hypocrisie. Les comparaisons internationales citées dans le rapport montrent que, en France, le délai moyen d’adoption des projets de loi est de 149 jours, contre 156 en Allemagne, 164 au Royaume-Uni et même 400 aux Pays-Bas. Il faut se rendre à l’évidence : la majorité des pays bicaméraux sont plus lents que nous.
Et quand bien même nous serions trop lents dans notre examen des textes, l’exécutif dispose de tous les moyens nécessaires pour accélérer le processus législatif : procédure accélérée, ordonnances, vote bloqué, etc. Il a suffi de deux jours pour adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2008, en pleine crise financière, et de trois jours pour abroger le contrat première embauche, en 2006.
Notre chambre n’a d’ailleurs pas à rougir des réformes qu’elle a entreprises. Elle a même anticipé le rapport Bartolone-Winock ! Ainsi, nous appliquons déjà certaines des mesures visant à alléger le travail législatif qui sont préconisées dans le rapport, comme la procédure d’examen simplifié pour les textes dont l’enjeu politique est moindre, ou la concentration du travail d’amendement en commission.
Là encore, il n’aura échappé à personne que cette mise en cause du rythme législatif intervient à point nommé pour éviter à l’exécutif d’assumer le retard irrattrapable qu’il a pris dans la réalisation de ses promesses. Il est pour le moins paradoxal pour le Gouvernement de présenter des textes aussi massifs que la loi Macron et de reprocher au Sénat, par la suite, d’y consacrer un temps excessif, lequel, au demeurant, n’excède pas de plus de deux jours celui qui a été utilisé par l’Assemblée nationale, alors même que nous avions plus du double d’articles à examiner.
L’offensive masque mal deux problèmes majeurs de ce quinquennat : le Gouvernement légifère sur tout – des concessions autoroutières aux cabines de bronzage – et régule si peu ; le Gouvernement envoie au Sénat des lois qui ne seront pas appliquées en temps utile, puisque le taux d’application des lois est de 54 % seulement, contre 90 % à la fin du précédent quinquennat.
Cette manœuvre pourrait nous laisser indifférents si, derrière elle, ne se cachait le mépris du temps long, de l’opposition réfléchie, de tout ce qu’incarne le Sénat dans notre République.
Je n’insisterai pas sur cette évidence : la durée et la réflexion sont précisément ce dont a besoin notre modernité, si friande des « lois faits divers » et des soubresauts médiatiques.
Les conséquences heureuses de la présence d’une chambre moins soumise au temps médiatique, concentrée sur le long terme, ne sont plus à prouver. La loi du 29 juin 1881 sur la liberté de réunion a été proposée en 1878, rapportée en 1879 et discutée en 1880. Et c’est à l’intervention, en 1971, du président du Sénat, Alain Poher, que nous en devons aujourd’hui la sauvegarde.
Faut-il aussi rappeler que le Parlement a travaillé pendant plusieurs années sur la loi de 1905, y consacrant 45 jours de séance à l’Assemblée et 21 au Sénat ?
Les contempteurs du Sénat ont la mémoire courte : les lois les plus solides de notre République sont celles qui ont été le plus longtemps examinées. Mettons en garde le Gouvernement et la majorité : quelques mois pour discuter de telles lois, ce n’est pas trop long. Toutefois, un an ou deux ans pour les appliquer, voilà qui est inacceptable !
Par ailleurs, doit-on considérer le Sénat comme inutile quand quelque 60 % de ses amendements sont repris par l’Assemblée nationale et figurent dans le texte de loi définitivement voté ?
Il nous faut porter fièrement l’héritage de cette chambre du dialogue et de l’action réfléchie, et refuser fermement qu’on la détruise. Cette force d’opposition est inscrite dans le marbre de nos institutions et de notre État de droit, qui repose sur la division du pouvoir législatif.
Ceux qui aiment tant nous soumettre à l’injonction de Victor Hugo devraient se rappeler la réponse du pair de France : « La France gouvernée par une assemblée unique, c’est l’océan gouverné par l’ouragan ». (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.)
L’héritage de notre chambre pour la France et la République d’aujourd’hui, c’est également son lien si fondamental aux territoires. Il nous est impossible de ne pas démentir immédiatement le président de l’Assemblée nationale lorsqu’il prétend refaire la démocratie en transformant progressivement la chambre des territoires en chambre consultative, au motif qu’il faudrait mettre fin aux doublons de la procédure législative et redonner tout son sens à un bicamérisme fondé sur la complémentarité !
Le Sénat souffre-t-il réellement d’un manque de complémentarité vis-à-vis de l’Assemblée tant qu’il n’est pas fusionné avec le CESE ? Est-il actuellement un simple « doublon législatif » ?
Ma réponse est celle que nous apporte sans équivoque l’article 24 de la Constitution : à la différence de l’Assemblée, le Sénat « représente les collectivités territoriales ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Mathieu Darnaud. Telle est la spécificité du Sénat – nul besoin de la chercher ailleurs. (M. Jacques Mézard opine.) La décentralisation appelle un renforcement de ce rôle, non son affaiblissement.
J’ai déjà eu l’occasion, lors de l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », de souligner le rôle majeur que joue la Haute Assemblée dans la défense de la proximité et de la ruralité. À l’écoute des élus locaux, nous n’avons eu de cesse de lutter contre la vision abstraite de nos territoires et la conception théorique du Gouvernement et de sa majorité selon laquelle la commune et le département sont des collectivités d’un autre âge.
On ne reprochera pas au parti socialiste son manque de cohérence sur ce point : après avoir opéré un redécoupage purement abstrait des régions et dépossédé les départements et les communes d’une grande partie de leurs prérogatives, il voudrait que nous entérinions la disparition progressive de la chambre qui écoute les territoires.
On nous opposera peut-être que ni le Président de la République ni le président de l’Assemblée nationale n’ont nié l’importance de la seconde chambre dans l’équilibre des pouvoirs, non plus que sa fonction de représentation des collectivités territoriales.
Ne nous laissons pas aveugler par cette rhétorique conciliatrice. Le Sénat, chambre des territoires, du dialogue et du contre-pouvoir, n’a de sens que si sa voix porte et si son avis est pris en compte. Il y va du respect du pacte démocratique qui nous unit aux territoires et à la France des communes.
Le Sénat n’est pas et ne sera pas une instance consultative. Il n’a pas vocation à devenir un club de discussion délivrant des avis formels. Si les électeurs confient un mandat à leurs sénateurs, c’est pour qu’ils exercent, en leur nom, leur bien le plus précieux : la souveraineté nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les événements qui frappent notre pays nous rappellent à quel point nos institutions sont précieuses. Celles-ci font partie de notre patrimoine commun ; il est de notre devoir de les préserver.
Ce devoir ne doit pas occulter la grave crise économique, sociale et morale que notre pays connaît. Sa persistance met en évidence les carences de certaines de nos institutions. Ne nous leurrons pas, toutefois : la réponse ne pourra être seulement institutionnelle. Il ne suffit pas de modifier la Constitution pour résoudre les problèmes, quand bien même ceux-ci seraient de la plus extrême gravité.
Le débat de cette après-midi pose la question de l’apport du bicamérisme. Toutefois, le rôle du Parlement, sa structure duale, son fonctionnement n’ont de sens que pris dans une vision d’ensemble.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Lors de la fondation de la Ve République, nos concitoyens étaient las d’une instabilité gouvernementale chronique. Les Français voulaient retrouver un minimum de prise sur leur destin. Ils souhaitaient être entendus. Ces aspirations demeurent.
Nos concitoyens, en effet, demandent d’abord la lisibilité et l’efficacité de l’action publique. À cet égard, il nous faut oser bousculer un totem. Il ne peut pas y avoir deux commandants légitimes sur la passerelle du même bateau : le Président et le Premier ministre.
Cette construction provient chez nous de la rencontre, en 1962, entre des circonstances dramatiques et un homme exceptionnel. Nous vivons depuis lors sans jamais avoir réussi à dépasser cette incongruité. Elle demeure, car elle flatte notre égo : nous élisons notre monarque. Elle alimente surtout notre croyance, indue, selon moi, en l’homme providentiel, laquelle épuise notre énergie, assèche le débat des idées et nous infantilise.
Il nous faut retrouver l’équilibre qui prévalait dans la constitution originelle de la Ve République. Celle-ci comptait deux fonctions centrales, mais aux prérogatives différenciées : un chef de gouvernement, qui dirige, et un arbitre, au-dessus des partis, garant de nos intérêts supérieurs.
À mes yeux, cet arbitre doit être un sage. Sa légitimité tient à son expérience et à son impartialité. Son élection au second degré se trouverait ainsi fondée et le ferait échapper aux clivages partisans réducteurs.
Évidemment, l’abandon de l’élection du Président au suffrage universel serait présenté par certains comme un séisme. Toutefois, n’oublions pas que la Constitution de la Ve République avait été adoptée par 82 % des Français.
Le pendant de ce retour aux sources consiste en une revalorisation du Parlement et, en premier lieu, de l’élection législative. Il s’agit non plus d’élire des députés qui soutiendront l’action du Président de la République, mais de désigner un chef de gouvernement qui aura la pleine légitimité du suffrage universel.
Pour cela, il nous faut concilier la double aspiration de chaque citoyen : garder la main sur un député de proximité qui le représente personnellement – c’est l’objet du scrutin uninominal –, mais aussi choisir l’homme ou la femme qui conduira la politique gouvernementale – c’est la fonction d’un scrutin proportionnel, où chaque parti est conduit par son champion, futur Premier ministre. Combiner les deux est possible. Les Allemands nous le démontrent, puisque, le même jour, chaque électeur coche deux cases.
La prééminence redonnée au Premier ministre, donc au Parlement, doit être associée au maintien d’un parlementarisme rationalisé, afin de ne point retomber, bien évidemment, dans les errements antérieurs. Toutefois, un parlementarisme rationalisé ne signifie pas un Parlement rabougri.
Le temps long de l’élaboration de la loi est critiqué. Je ne suis guère convaincu par l’argument et encore moins par l’idée selon laquelle le monocaméralisme serait la réponse. Les quelques semaines gagnées pèsent peu, cela a été dit, au regard des risques que sont l’emballement de l’Assemblée unique sans possibilité de retour en arrière et l’appauvrissement du débat par la disparition de la seule chambre indépendante de l’exécutif.
Les solutions sont ailleurs, nous le savons bien : moins de textes mal préparés, moins de textes trop bavards. Les textes doivent au contraire décliner des obligations de résultat et non un empilement de normes ; ils doivent faire jouer le principe de subsidiarité.
C’est ici que le Sénat a un rôle fondamental à jouer, car il est le garant de la pluralité de la représentation, de la qualité de la loi et de la défense des libertés.
Observons que le Sénat de la Ve République a su trouver sa place. Il ne s’est pas contenté de demeurer un outil du parlementarisme rationalisé. Il a pris son autonomie par rapport à l’approche gaullienne de la présidence et s’est imposé – c’est bien cela aussi qui gêne – comme le défenseur des libertés.
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. François Zocchetto. C’est le Sénat qui a permis au Conseil constitutionnel de donner une portée juridique au préambule de notre Constitution et de mettre la Déclaration de 1789 à la portée des citoyens.
À mon tour, je le souligne : combien de propositions et d’amendements, préparés en ces murs et votés dans cet hémicycle, structurent la vie quotidienne des Français ? Ils sont innombrables ! D'ailleurs, plus d’une loi sur cinq est d’origine sénatoriale.
Le Sénat a su corriger les problèmes inhérents à sa représentativité. L’Assemblée nationale a-t-elle su en faire de même ? Je n’en suis pas certain.
Je réfute catégoriquement l’équation qui voudrait que, pour moderniser nos institutions, il faille supprimer la seconde chambre ou lui donner un rôle de super-Conseil économique, social et environnemental. Cela ne ferait qu’affaiblir la voix du Parlement, dont la principale activité se limiterait aux questions d’actualité, dont je vous laisse apprécier certains jours la qualité.
M. Gérard Longuet. Et l’utilité !
M. François Zocchetto. Nous devons et pouvons, en revanche, accroître encore notre autre mission constitutionnelle, qui est celle du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques.
M. Gérard Longuet. C’est vrai.
M. François Zocchetto. Nous avons un peu progressé, mais convenons, dans cette enceinte, que nous disposons de quelques marges de progrès dans ce domaine.
Je pense également que nous ne pouvons pas, en tant que parlementaires, accaparer la totalité du débat législatif. Retrouver l’esprit de 1958 n’interdit pas de tenir compte de l’aspiration de nos concitoyens à être plus régulièrement sollicités. La pratique référendaire était d’ailleurs une innovation de la Constitution de 1958. La consultation du peuple est toutefois devenue rare aujourd'hui…
Mes chers collègues, observons la Grèce ! Ce pays fait l’objet de nombreuses critiques, mais son gouvernement a organisé, l’été dernier, une consultation capitale en moins de dix jours. Beaucoup ont applaudi le geste, sur tout le spectre politique.
On pourrait ainsi imaginer, en France, que des « référendums minute », à l’issue – j’insiste sur ce point – de travaux législatifs qui auront éclairé l’opinion, soient garants de la démocratie.
Une telle pratique régulière associerait les Français au processus législatif. Je suis convaincu que la seule existence de ce mécanisme modifierait le jeu des acteurs, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, en nous rendant collectivement plus constructifs et responsables.
Moderniser nos institutions, ce n’est pas reprendre la question du Sénat, bien au contraire. Moderniser nos institutions, c’est avant tout prendre notre autonomie au regard de la mythologie présidentielle ; c’est aussi garantir au peuple sa juste place et son droit d’être entendu.
Toute réforme isolée, en particulier si elle concerne le Sénat, ne ferait que rendre notre Constitution bancale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les temps de débat sur le fonctionnement de nos institutions sont, à mon sens, trop rares face à la crise profonde qui affecte celles-ci.
Je remercie notre collègue Jacques Mézard d’en avoir pris l’initiative, en axant plus précisément sa demande de débat sur les propositions relatives au devenir du bicamérisme émises par la mission installée par le président Claude Bartolone, aboutissant à un rapport intitulé, ni plus ni moins, Refaire la démocratie.
S’il était intéressant que le Parlement soit lui-même à l’origine d’une réflexion approfondie – les travaux ont duré de novembre 2014 à septembre 2015 –, il est regrettable que la composition de ce groupe de travail sur l’avenir des institutions ait été quelque peu arbitraire et ne se soit pas établie sur un fondement pluraliste mieux structuré, pour dire les choses gentiment…
Au-delà même des questions sur la composition de cette commission, pourquoi les présidentes et présidents des groupes parlementaires n’ont-ils pas été auditionnés, garantissant ainsi un travail réellement pluraliste ? (Marques d’approbation sur de nombreuses travées.)
Ce rapport ne se résume pas bien entendu à un examen de la question sénatoriale. Comme l’indique son intitulé, il est ambitieux, et son titre même témoigne d’un constat que nous partageons : notre système institutionnel est malade et dépassé ; il ne répond pas aux exigences démocratiques.
Naturellement, sept minutes d’intervention, madame la présidente, ne me permettront pas de balayer l’ensemble des questions induites par ce constat ! Pour notre part, nous estimons que les constats dressés et certaines des propositions et des pistes proposées sont pertinents et exigeraient non pas de rafistoler la Ve République, mais bien de construire une VIe République, une République sociale.
La crise institutionnelle est, selon nous, étroitement liée à la crise économique et sociale.
La remise en cause régulière, et même permanente, il faut le dire, par un nombre croissant de citoyens, de l’exécutif, du Parlement, plus généralement des femmes et des hommes politiques, à l’exception remarquable et remarquée des élus de proximité – les maires en particulier –, puise sa source dans l’absence dramatique de résolution des problèmes rencontrés par l’immense majorité de la population, au premier rang desquels le chômage, la précarité, l’insuffisance du pouvoir d’achat, la détérioration des services publics et l’insécurité.
Les habitants de notre pays ont le sentiment de ne pas être entendus. Ils sont las des promesses non tenues, du « travailler plus pour gagner plus » au « mon ennemi, c’est la finance ». Ils veulent enfin avoir prise sur le pouvoir ; ils exigent un système politique en lien étroit avec leurs préoccupations, car ils estiment, à raison, que la coupure entre les représentants et les représentés est profonde.
Les pistes étudiées et certaines solutions avancées par ce rapport rejoignent nos réflexions.
Oui, les modes d’élection sont à revoir, à commencer par celui des députés. Oui, la proportionnelle doit être généralisée. Nous sommes, pour notre part, favorables à une proportionnelle intégrale. Il ne faut pas, je l’ai dit à plusieurs reprises, avoir peur de la démocratie. La force du Front national provient en grande partie d’une défiance à l’égard de notre système politique.
Il faut en tout cas avancer vers une plus juste représentation, garantissant le pluralisme. De nombreux pays européens, et non des moindres, ont choisi la proportionnelle. Pourquoi cette défiance en France ? Il n’est plus supportable que des partis ne recueillant pas plus d’un quart des voix puissent disposer à eux seuls de la majorité absolue à l’Assemblée nationale. C’est un système dépassé, une véritable machine à rejet de la démocratie !
Un autre point crucial pour nous est le rôle de la présidentialisation du régime dans la crise actuelle. Depuis 1958, nous avons constaté que les institutions soumettaient un Parlement affaibli, mal élu, à un pouvoir exécutif dominé par un Président de la République intouchable durant son mandat, hormis la procédure d’empêchement. Cette présidentialisation s’est accentuée au cours des années, en particulier avec la mise en place d’un quinquennat renouvelable et d’une inversion du calendrier électoral, qui soumet l’élection des députés à l’effet de souffle de l’élection présidentielle.
La révision constitutionnelle de 2008 a, selon nous, affaibli plus encore le Parlement, par exemple en limitant le droit d’amendement et le droit d’expression. Selon nous, les choses sont simples : si l’on affaiblit le Parlement, on renforce l’exécutif.
Avec le quinquennat, nous assistons ces dernières années à une inflation législative qui asphyxie nos assemblées, d’autant que la partition de l’ordre du jour limite à deux semaines par mois le temps d’examen des textes gouvernementaux.
Le contrôle est certes important, mais n’oublions pas, mes chers collègues, que le rôle premier du Parlement est de faire la loi ! Or, dans les années quatre-vingt-dix, nous examinions en moyenne 2 000 pages de projets de loi par an. Aujourd’hui, nous en sommes à 4 000 pages, et parfois plus !
Le pouvoir exécutif écrase donc le législatif, et l’hyperprésidentialisation, enclenchée par Nicolas Sarkozy et malheureusement peu contestée par son successeur, aggrave cette situation. Nous proposons pour notre part de remettre profondément en cause le caractère présidentiel ou semi-présidentiel, comme disent les spécialistes, de notre régime en soumettant au débat la question même de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.
Nous suggérons de renforcer fortement les pouvoirs du Parlement et de lui permettre d’effectuer correctement son travail législatif. Nous approuvons bien entendu l’idée de revenir sur l’inversion du calendrier, car il s’agit d’une exigence démocratique.
D’autres questions de première importance ont été abordées dans ce rapport, comme le rôle et la composition du Conseil constitutionnel, un sujet sur lequel je n’ai pas le temps de m’étendre.
J’en viens maintenant à la question du bicamérisme. Nous ne sommes pas, au groupe CRC, partisans du statu quo. Contrairement à ce qu’affirment les écrits d’un ancien secrétaire général du Sénat mis en exergue par le rapport de la commission Bartolone, le bicamérisme n’est pas forcément une évidence.
Dans le cadre institutionnel actuel que je viens de critiquer lourdement, le Sénat joue un rôle important, qu’il s’agisse d’assurer la qualité du travail législatif ou une représentation des territoires différente et intéressante. De plus, le poids de la proportionnelle dans l’élection sénatoriale permet un débat pluraliste et un respect des différentes sensibilités, ce qui n’est pas toujours le cas à l’Assemblée nationale.
Le devenir du bicamérisme est donc un vrai sujet – un colloque s’est tenu au Sénat sur ce sujet –, mais qui n’a, selon moi, pas de sens en dehors d’une réforme globale de nos institutions, parmi lesquelles je place le Sénat.
Ceux qui nous connaissent savent que nous portons le projet d’un Sénat qui soit, plus et mieux qu’il ne l’est aujourd’hui, la chambre des territoires, c’est-à-dire des élus et des populations, dotée d’une initiative législative réellement ouverte au peuple.
Vous le savez, mes chers collègues, notre groupe est particulièrement actif dans cette assemblée. Nous prenons notre part au travail sénatorial, et de façon sérieuse, me semble-t-il. Toutefois, cela ne nous empêche pas d’être lucides : il y a urgence à révolutionner nos institutions, à sortir d’une sclérose qui peut, à terme, nuire à l’image même de la démocratie et détourner le peuple de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Jacques Mézard d’avoir suscité ce débat, qui porte sur un sujet très important.
Nous sommes ici, aujourd’hui, non pas pour protéger une maison, le Sénat, parce que nous sommes sénateurs, mais pour défendre une certaine idée de la République et de la loi. En effet, si l’on fusionnait le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, on accepterait que la loi ne fût plus écrite, rédigée, préparée et votée par des élus. Ce serait inacceptable !
Dans une république, la loi doit être préparée, élaborée, discutée et approuvée par les élus de la nation. C’est d’ailleurs le fondement de toutes les philosophies issues de la Révolution française et c’est pour moi un principe intangible, l’une des sources de la démocratie.
Toutefois, si je suis, comme vous, mes chers collègues, profondément attaché au bicamérisme, cela tient à cet exercice particulier qu’est l’écriture de la loi.
En effet, la loi est une norme qui a la particularité de ne pas être rédigée par des juristes, même si ces derniers sont utiles et précieux, bien entendu, mais d’être écrite, préparée et discutée dans le feu du débat. La loi, c’est du discursif qui devient du normatif. Je vois là l’un des principaux arguments en faveur du bicamérisme.
La loi comporte tous les signes linguistiques de la norme et obéit à une écriture très particulière : le présent y a valeur d’impératif ; elle ne comprend de pronom personnel qu’à la troisième personne, aucun déictique – ni « ici » ni « maintenant » –, aucun passé simple, même si elle n’est pas avare de temps composés et surcomposés.
Pour façonner cette loi, il y a le débat, auquel nous tenons profondément. Parce que nous passons des jours et parfois des nuits, ici, dans cet hémicycle, à discuter, il nous semble utile, et même indispensable, sur chaque phrase de la loi, d’écouter les points de vue des uns et des autres, issus des six groupes de cette assemblée. En effet, chaque sénateur et chaque sénatrice a le droit imprescriptible de proposer un ou plusieurs amendements sur chaque membre de phrase, sur chaque alinéa.
Ainsi, au cours de la première lecture, nous façonnons nos pensées et nos idées sur la loi, en entendant ce que disent ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord, en leur répondant, en réfléchissant à nos arguments et contre-arguments.
Je vous invite aussi, mes chers collègues, à lire notre production lorsque nous adoptons un article modifié par dix ou quinze amendements. Vous verrez que le texte n’est pas d’une grande limpidité, qu’il n’est pas linéaire, qu’il est assez complexe à lire. La loi est parfois abrupte et râpeuse, rédigée dans une langue qui ne coule pas de source. Et c’est normal, parce que nous avons intégré les apports des uns et des autres.
Il arrive même quelquefois que la loi soit contradictoire, qu’elle contienne des omissions ou des oublis. On ne trouve pas du premier coup la bonne façon d’écrire la loi. J’en veux pour preuve ce texte adopté dans une grande précipitation en 2013, après une seule lecture rapide, et sur lequel nous avons dû revenir récemment, car une disposition importante avait été omise.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. En conséquence, le temps que nous consacrons à réfléchir aux amendements est infiniment précieux. C’est pourquoi la navette est si importante : après une première lecture dans une chambre, le texte va dans l’autre assemblée, puis revient dans la première, avant de repartir dans la seconde.
Lorsque nous recevons des visiteurs au Sénat et que nous leur expliquons ce processus, ils soulignent sa longueur et sa complexité. Je leur réponds que le texte dont nous débattons va ensuite s’appliquer au peuple français tout entier, de Dunkerque à Nouméa, de Saint-Pierre-et-Miquelon à la Polynésie. Toutes les Françaises, tous les Français vont devoir appliquer la loi – on dit même que nul n’est censé l’ignorer !
Vous ne l’ignorez pas, mes chers collègues – c’est notre quotidien –, chaque mot de la loi est essentiel. Il se peut en effet qu’un terme ait des conséquences que nous ne mesurons pas toujours pour telle ou telle personne. Lorsque nous votons une loi sur les retraites ou sur la sécurité sociale, dès le lendemain, les gens nous interrogent sur les conséquences concrètes que ces textes auront pour eux, et c’est normal. Il faut donc du temps pour passer de la discussion à la norme. Si l’on veut que la loi soit vite faite, alors elle sera mal faite !
On me dira que le Sénat examine vendredi prochain le projet de loi sur l’état d’urgence en procédure accélérée. Voilà un cas où le recours à cette procédure est parfaitement légitime : en effet, il y a réellement urgence, et aucun de nos concitoyens ne comprendrait que l’on ne prenne pas la mesure du drame qu’ils ont vécu.
Toutefois, dans combien d’autres cas, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, l’emploi de cette procédure accélérée est-il réellement fondé ? Je vous le dis clairement, je regrette que la procédure accélérée soit devenue la norme, l’habitude, et la procédure complète prévue par la Constitution l’exception. (MM. Yvon Collin et Jacques Mézard opinent.)
En effet, nous sommes attachés au travail bien fait. Si nous voulons écrire comme Portalis, si nous voulons rédiger dans cette langue limpide de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – chaque fois que nous relisons ce texte, nous sommes émerveillés de voir combien ses auteurs ont pu dire de choses importantes et essentielles en si peu de mots –, il faut du temps.
Ce travail ne se fait ni par hasard ni spontanément, ou alors on aboutit à des lois technocratiques, des lois auxquelles personne ne comprend grand-chose, des lois qui empiètent sur le domaine du règlement, des lois bavardes, des lois qui enfilent des perles et de bons principes… En réalité, la loi est une norme qui est prévue par l’article 34 de la Constitution.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas là pour défendre l’intérêt d’une « maison ». Nous n’oublions pas que notre ami Guy Carcassonne, malheureusement décédé, pourfendait les « lois du 20 heures » !
M. Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr, il y a des situations ou des événements tragiques qui demandent de revoir telle ou telle disposition. Toutefois, les lois de circonstance ne sont pas toujours de bonnes lois. Les bonnes lois sont celles qui ont donné lieu à d’importants débats. J’en donnerai deux exemples simples.
Tout d’abord, j’évoquerai la loi MAPTAM sur les métropoles, en faveur de laquelle certains ici ont voté, et d’autres non. Elle a recueilli, dans cette assemblée, une majorité constituée de représentants de plusieurs groupes, fruit d’un long débat qui s’est déroulé en suivant toutes les lectures requises.
Ensuite, je dirai un mot de la loi NOTRe. Nous avons passé beaucoup de temps pour trouver une issue, qui s’est révélée différente de celle qui aurait été constatée avec la seule lecture de l’Assemblée nationale. Nos rapporteurs et nos collègues, quel que soit leur groupe d’appartenance, ont apporté leur pierre. Et, ensemble, nous avons été les défenseurs des communes et d’une certaine idée de la décentralisation.
Nous pouvons ainsi démontrer que prendre le temps d’écrire la loi est bénéfique.
Nous sommes foncièrement favorables au bicamérisme, et d’abord en vertu d’une certaine idée de la loi, bien commun du peuple français. Le bicamérisme permet de polir la loi, comme la mer polit les galets, avec l’objectif de faire une belle œuvre, qui soit utile et républicaine. Nous sommes des artisans de la loi et nous pouvons en être fiers.
C’est pour cette raison fondamentale que le bicamérisme est une absolue nécessité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier, pour le groupe Les Républicains.
M. Bernard Fournier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur le bicamérisme revient comme un serpent de mer depuis qu’une seconde chambre a été introduite par le Directoire en 1795.
Ce débat récurrent est-il le bon ? Ou plutôt, nous posons-nous la bonne question ? Dans un régime semi-présidentiel, où la très grande majorité des pouvoirs définis par la Constitution revient au Président de la République et à l’exécutif, pourquoi remettre en question sans cesse le bicamérisme et, en particulier, le rôle du Sénat, alors même que celui-ci a participé, en France, à la stabilité institutionnelle ?
Ne serait-il pas plus pertinent de s’interroger sur les moyens de rééquilibrer les pouvoirs ou sur la manière de renforcer le rôle du Parlement ?
Je crois qu’il y a un certain populisme et, disons-le clairement, une certaine fainéantise intellectuelle à toujours « taper » sur le Sénat…
M. Yvon Collin. Une certaine démagogie, oui !
M. Bernard Fournier. Depuis quand la multiplication des contre-pouvoirs est-elle néfaste à une démocratie ? Depuis quand l’affaiblissement d’une des deux chambres améliore-t-il la gouvernance ?
Dans le chapitre « Réformer le bicamérisme » du rapport Refaire la démocratie, présenté par Claude Bartolone et Michel Winock, l’exemple italien est évoqué, dès les premières lignes, pour souligner que le « changement est possible ». Cette réforme a été applaudie des deux mains par nombre de personnes en France, alors qu’elle a été beaucoup plus contestée en Italie, y compris par la presse.
Permettez-moi ici d’avoir quelques réserves sur les études comparatives, qui sont faites en permanence pour démontrer, à chaque fois, que notre système est le plus mauvais.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est tout à fait juste !
M. Bernard Fournier. Le système italien de bicamérisme égalitaire était très particulier et loin du système français, puisque la Constitution de l’Italie conférait aux deux chambres les mêmes compétences.
Comme pour les communes, nous comparons toujours des choses difficilement comparables. La réforme des structures territoriales a aussi été tout à fait significative de ce point de vue : nous comparions sans cesse le nombre de structures territoriales de l’Allemagne, de l’Italie ou de la France. Or, ces pays ont évidemment chacun leur histoire et leurs particularismes.
Et si nous comparons les pays, pourquoi avoir toujours cette vision négative et retenir seulement un pays qui est plutôt dans une logique d’affaiblissement de la seconde chambre ? Pourquoi ne jamais rappeler que, si environ 45 pays pratiquaient le système bicaméral au début des années soixante-dix, ils sont plus de 80 aujourd’hui ?
A contrario, pourquoi toujours mentionner la formule de Lionel Jospin selon laquelle « le Sénat est une anomalie démocratique », alors que le bicamérisme est actuellement le système parlementaire sous lequel vivent le plus grand nombre d’habitants de la planète et celui qui a été choisi par les États les plus puissants économiquement ? Surtout, comment oublier que de nombreux pays qui sortent de régimes totalitaires ont mis en place le bicamérisme, comme la République tchèque, la Pologne, la Roumanie, etc. ?
Revenons au rapport de l’Assemblée nationale, qui est à l’origine du débat d’aujourd’hui. Trois pages, mes chers collègues, trois pages sur le bicamérisme et le Sénat, dans un document qui en compte plusieurs centaines, pour nous ressortir la réforme de 1969 de fusion du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental ! C’est un peu frustrant et un peu mince ! Je suis également étonné qu’un seul sénateur ait pu participer à ces débats.
Les auteurs de ces pages prennent quelques précautions rédactionnelles pour ne pas froisser le Sénat et les sénateurs. On ne parle pas de suppression, on écrit même que « le Sénat pourrait conserver sa compétence législative »... Néanmoins, si nous lisons la suite et entre les lignes, nous voyons bien que cette compétence serait considérablement amoindrie ou réduite comme peau de chagrin.
Le président Bartolone pourrait-il avoir une idée claire, et surtout constante, de ce qu’il envisage de faire pour notre Haute Assemblée ?
Lorsque Jean-Pierre Bel était président du Sénat, M. Bartolone déclarait, en avril 2014, à l’occasion d’un colloque : « Depuis le Directoire, le bicamérisme a le plus souvent caractérisé le système institutionnel français, il fait partie de notre ADN démocratique ». C’est une phrase forte, n’est-ce pas ?
En janvier 2015, il faisait part de sa volonté de « faire disparaître le Sénat, en tant qu’institution parlementaire ».
En novembre 2015, la proposition de M. Bartolone se situe entre ces deux commentaires. Mes chers collègues, comment voulez-vous redonner de la force et de la stabilité à nos institutions quand le quatrième personnage de l’État change d’avis, aussi profondément et en un an et demi, sur un sujet aussi important ? (Sourires.) Nous donnons ainsi l’impression à nos concitoyens de vouloir changer de Constitution en fonction des alternances politiques, uniquement par calcul.
Depuis 2008, notre institution a engagé de nombreuses réformes. Le président Larcher a, de nouveau en 2015, mis en œuvre un ensemble de mesures considérables pour le Sénat, votées, je le rappelle, à l’unanimité par le bureau de la Haute Assemblée et visant à renforcer la participation aux travaux sénatoriaux, à légiférer et contrôler plus efficacement et à garantir transparence financière et gestion exigeante. Sans aucun doute, ces réformes ne s’arrêteront pas là.
En tout état de cause, nos institutions feront l’objet de débats importants lors de la prochaine campagne présidentielle.
Pour ma part, je le dis et je le répète, j’espère que, lorsque les groupes de travail ou états-majors politiques réfléchiront sur ces sujets dans les prochains mois, ils ne passeront pas leur temps à se demander comment diminuer ou supprimer la Haute Assemblée, mais plutôt comment améliorer encore son travail législatif, son efficacité, la publicité de ses travaux auprès des Français et sa complémentarité avec l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicamérisme est une des pierres angulaires de la Ve République, telle que le Général de Gaulle l’a imaginée, et cela avant même 1958. (Ah ! sur les travées du groupe du RDSE.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Nous voilà rassurés !
M. Jacques Mézard. On peut s’arrêter là ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Dès son discours de Bayeux en 1946, il relevait qu’une seconde assemblée parlementaire, suivant un mode d’élection et une composition différents de l’Assemblée nationale, devait avoir pour fonction d’examiner, avec sérénité et clairvoyance, ce que celle-ci avait voté.
Le Sénat a souhaité inscrire à son ordre du jour, sur l’initiative du groupe du RDSE, un débat visant à esquisser un « bilan » et « des perspectives » sur le « rôle du bicamérisme dans nos institutions ». Ce moment est, à mon sens, utile à votre institution elle-même, par une certaine forme d’introspection, mais aussi à tous les acteurs et observateurs de la vie institutionnelle.
La question de la présence du Gouvernement dans un tel débat pourrait même être posée : nous ne sommes pas dans un débat de contrôle. Toutefois, nous sommes dans un débat institutionnel, qui nous permet de revenir sur la riche histoire du bicamérisme et du Sénat de la Ve République, ainsi que sur les rapports entre les assemblées et le Gouvernement.
Si certains estiment que le Sénat reste avant tout une assemblée destinée à « tempérer les excès de la chambre élue par le plus grand nombre de citoyens », suivant les mots du professeur Pascal Jan, la Haute Assemblée incarne aussi la permanence, donc la force, de notre République.
Le Sénat s’est construit un rôle de défenseur des équilibres institutionnels et des libertés publiques, qui l’a parfois conduit à s’opposer frontalement au pouvoir exécutif. Ce n’est pas qu’il détiendrait le monopole de ces questions ou de ces préoccupations, mais il y est particulièrement sensible, parce qu’il cultive une prudence face à l’air du temps et face aux emballements politiques ou médiatiques.
Le bicamérisme français porte en lui l’idée même de contre-pouvoir, conformément à la théorie de Montesquieu, une idée qui peut sans doute contribuer à mieux faire valoir l’intérêt général.
Ne pouvant être dissous, le Sénat français est viscéralement attaché à son indépendance, même si cette dernière est peut-être plus forte lorsque sa majorité ne coïncide pas avec celle de l’Assemblée nationale. Le professeur Jean Garrigues rappelle ainsi que « le Sénat représente la possibilité de majorités d’idées aptes à dépolitiser certains enjeux, comme une sorte de conservatoire de la délibération parlementaire ».
Dès lors, la créativité et l’audace s’y expriment, parfois mieux qu’à l’Assemblée nationale, quelquefois même aux dépens des partis politiques.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. La coexistence de deux assemblées parlementaires a ainsi permis à notre pays de trouver, depuis plus d’un demi-siècle, un équilibre dans la démocratie représentative.
Par sa permanence, par son élection détachée des autres échéances électorales nationales, par la singularité de son mode de scrutin, le Sénat contribue à la diversité des points de vue représentés au Parlement, donc à la richesse de notre vie démocratique.
À de multiples reprises – tous les orateurs l’ont rappelé –, le bicamérisme a fait la preuve de sa capacité à améliorer l’écriture des lois et à en contrôler efficacement l’application. Suivant le mot de Robert Badinter, les meilleures lois sont celles qui ont été « coproduites » par les deux assemblées. Témoin en est l’abolition de la peine de mort, approuvée par le Sénat après un débat de trois jours.
Le bicamérisme place le dialogue parlementaire au cœur du fonctionnement de notre démocratie. Ce dialogue entre le Gouvernement et les deux assemblées et entre l’Assemblée nationale et le Sénat participe de la qualité de la loi. Il permet à chacun d’affiner ses positions dans le débat, dans l’échange et dans la contradiction. Il donne à la loi plus de force et de cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les lois que vous écrivez, que vous amendez et que vous votez doivent en effet répondre aux enjeux du moment, mais elles doivent aussi pouvoir s’appliquer de façon pérenne.
Dans ce dialogue, la question du temps est centrale. Nous savons ce que la navette peut apporter à la maturation des textes qui touchent aux questions de société ou d’éthique. Une connaissance imparfaite du bicamérisme pourrait conduire à méjuger la navette parlementaire pour son caractère chronophage. On pourrait déceler, dans une telle appréciation, une rémanence des propos sévères que certains parlementaires eux-mêmes, et non des moindres, ont pu tenir, notamment sous la Troisième République.
Toutefois, une analyse plus approfondie amène à nuancer ce premier sentiment. Le temps du bicamérisme est en fait souple et adaptable. Les textes soumis aux assemblées peuvent y avancer à des vitesses différentes. La Constitution elle-même prévoit des délais spécifiques pour les textes financiers. Le bicamérisme sait même aller encore plus vite, quand l’urgence le commande.
Nos institutions font ainsi la preuve de leur efficacité face aux crises que la France doit affronter, qu’il s’agisse de réagir à une crise financière ou aux attentats terroristes qui ont si profondément meurtri notre pays, vendredi dernier. Dès demain, le Gouvernement et le Parlement auront ainsi la lourde responsabilité de proroger pour une durée de trois mois l’état d’urgence qui a été décrété par le chef de l’État.
Lorsque la République est confrontée à une crise majeure, lorsque des terroristes veulent l’atteindre, elle sait faire face avec courage, avec responsabilité et dignité ; de ce point de vue, la séance de questions d’actualité au Gouvernement qui s’est tenue hier au Sénat a été tout à fait remarquable, alors que l’on peut s’interroger sur le comportement d’une autre assemblée. Elle le fait lorsque le Président de la République réunit le Parlement en Congrès, comme il l’a fait lundi dernier, pour réaffirmer devant la représentation nationale notre attachement viscéral à la liberté, à la démocratie, ainsi que la force de nos institutions.
Je sais que nous en sommes tous ici convaincus : la force du Parlement, la force du bicamérisme, la force de notre République résident aussi dans sa capacité à répondre à de telles situations.
Au-delà de ces temps de crise, le Gouvernement a le devoir de répondre aux attentes des citoyens en mettant en œuvre son programme de réformes. C’est pour cette raison que la Constitution lui donne la prérogative de déterminer le rythme de la navette.
En cas d’échec de la navette parlementaire, il est indispensable que le Gouvernement puisse demander au Parlement de trancher définitivement un désaccord pour répondre aux nécessités de l’action publique.
Contrairement aux idées reçues, le recours à cette procédure est somme toute rare. Depuis 1959, à peine plus d’un texte sur dix a été adopté après une lecture définitive de l’Assemblée nationale. Sur les 163 lois adoptées définitivement depuis 2012, quelque 128, soit 79 % du total, l'ont été dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat, que ce soit par la navette parlementaire ou après un accord en commission mixte paritaire.
La question du temps parlementaire est dans le débat public, car elle touche à l’adaptation du temps de la vie démocratique au temps de la société, qui a son rythme propre, et les pouvoirs publics, comme notre réglementation, sont amenés à s’y conformer pour répondre aux défis d’évolutions économiques et technologiques de plus en plus rapides.
Si la révision de la Constitution adoptée le 23 juillet 2008 a prévu, à quelques exceptions, la discussion en séance du texte de la commission, les débats en séance publique n’en ont finalement guère été allégés, contrairement à ce que pouvait espérer le constituant. Les parlementaires eux-mêmes déplorent parfois des redondances entre le travail de la commission, vécu comme une première lecture, et l’examen des textes en séance plénière. La question de l’adéquation de la procédure législative, du temps parlementaire et du temps d’application des lois aux attentes exprimées par les citoyens se pose donc avec acuité.
Ces enjeux doivent continuer à mobiliser nos réflexions collectives, afin de réduire ce que la procédure peut encore avoir de répétitif et de mettre en valeur ce qu’elle a de plus constructif. L’amélioration et la fluidification du travail législatif doivent être une préoccupation commune du Gouvernement et des assemblées.
On ne peut que se féliciter des initiatives prises récemment par le Sénat sur ce sujet. Ainsi, le président du Sénat a affirmé son attachement à la distinction des domaines législatif et réglementaire, mettant en œuvre l’article 41 de la Constitution pour déclarer irrecevables des amendements qui empiéteraient sur le domaine réglementaire.
La récente réforme du règlement du Sénat, adoptée le 13 mai dernier, mérite également, à mon sens, d’être saluée, car elle constitue une nouvelle étape de la réforme des procédures parlementaires, conduite à la lumière du bilan de la révision constitutionnelle de 2008.
Le caractère constructif du bicamérisme s’illustre également dans les initiatives parlementaires, dont la part s’est accrue depuis 2008. Ainsi, sur les 61 propositions de loi adoptées entre juin 2012 et le 30 septembre 2015, quelque 33 proviennent de l’Assemblée nationale et 28 du Sénat.
Le Sénat, comme l’Assemblée nationale, a en outre su développer son travail en matière européenne, tandis que s’accroissait la production normative des institutions de la Communauté européenne, puis de l’Union européenne. Le regard des deux assemblées sur la préparation des textes européens, sur les réunions du Conseil et sur les projets de loi de transposition est un atout précieux pour notre démocratie et pour l’efficacité de nos politiques publiques.
Enfin, je suis convaincu, à titre personnel, de la nécessité pour les deux assemblées de développer leurs missions constitutionnelles de contrôle et d’évaluation. Ces missions sont en lien direct avec leur compétence législative. La Constitution place d’ailleurs le vote de la loi, le contrôle et l’évaluation des politiques publiques sur un pied d’égalité. Une meilleure valorisation de ces travaux de contrôle et d’évaluation, dont la qualité est régulièrement saluée, à juste titre, sera un atout du bicamérisme de demain, pour une action législative toujours plus pertinente et efficace.
Enfin, puisque le bicamérisme trouve l’un de ses fondements les plus solides dans le principe d’équilibre des pouvoirs, il a un rôle essentiel à jouer dans le plein exercice des fonctions de contrôle et d’évaluation. C’est conforme à sa tradition, dont on ne peut que souhaiter qu’elle se renforce.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution que le Gouvernement pouvait apporter à ce débat sur le bilan et les perspectives du bicamérisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et du groupe UDI-UC.)
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire que j’ai été heureuse de présider ce débat institutionnel sur la place essentielle du bicamérisme dans l’équilibre des institutions de la Ve République et dans le bon fonctionnement de notre démocratie.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie ».
5
Dépôt de documents
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, d’une part, l’avenant n° 1 à la convention du 10 décembre 2014 entre l’État et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, relative au programme d’investissements d’avenir, action « Projets innovants en faveur de la jeunesse », et, d’autre part, le rapport sur le financement de la sûreté nucléaire.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques, ainsi que, pour le second, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
6
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de la forêt et du bois.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter la candidature d’un sénateur pour siéger en qualité de membre titulaire au sein de cet organisme extraparlementaire.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie
Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie, présentée par Mme Catherine Tasca et plusieurs de ses collègues (proposition n° 574 [2014-2015], texte de la commission n° 136, rapport n° 135).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique.
Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec Jean-Pierre Sueur et l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste et républicain, nous avons déposé la présente proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie au lendemain de l’adoption par le Sénat du projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté.
À l’occasion de ce débat, j’avais déjà appelé l’attention de la Haute Assemblée sur la difficulté d’appliquer la principale disposition de la loi organique du 15 novembre 2013, dont j’avais été rapporteur, à savoir la possibilité de création par la Nouvelle-Calédonie d’autorités administratives indépendantes, des AAI, aux fins d’exercer des missions de régulation dans des domaines relevant de sa compétence.
L’un des objectifs de cette loi était de permettre la création d’une autorité de la concurrence chargée de veiller à la régulation économique et de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, afin de donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de lutter contre « la vie chère ».
Il faut rappeler ici la gravité des mouvements sociaux de février 2011 puis de mai 2013 provoqués par la vie chère, et le protocole d’accord finalement intervenu, sous l’égide de l’État, entre syndicats et patronat, le 27 mai 2013, organisant une baisse des prix des produits essentiels.
L’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a été créée par une loi de pays adoptée unanimement par le congrès le 24 avril 2014. Cependant, elle n’a pu être mise en place, car, dans sa rédaction finale, la loi de 2013 rend incompatible la fonction de membre d’une AAI calédonienne avec tout autre emploi public. Or l’objectif était d’adosser l’AAI calédonienne à l’autorité de la concurrence en métropole afin de pouvoir nommer en tant que membre de l’autorité calédonienne des fonctionnaires experts non permanents de l’autorité métropolitaine. L’incompatibilité bloquait donc la mise en place de l’AAI calédonienne.
Le problème de la vie chère gardant toute son actualité, l’installation de l’autorité calédonienne reste une urgence. Nous avons pu, lors du déplacement effectué en Nouvelle-Calédonie en août 2014, Jean-Pierre Sueur, Sophie Joissains et moi-même, mesurer l’acuité de ce problème dans un contexte économique particulièrement difficile. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a d’ailleurs de nouveau autorisé, le 16 juin 2015, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à prendre des mesures spécifiques de fixation des prix pour trois ans.
Tout juste deux ans après la loi du 15 novembre 2013, il a donc fallu se résoudre à remettre l’ouvrage sur le métier. Dans un premier temps, j’avais choisi de déposer un amendement au projet de loi relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté tendant à permettre à un fonctionnaire n’exerçant pas en Nouvelle-Calédonie d’être membre d’une AAI calédonienne, et ce afin de remédier à la situation de blocage actuelle, tout en garantissant l’indépendance de la nouvelle institution.
Lors du débat, le 29 juin 2015, le rapporteur du texte, Philippe Bas, et la ministre, George Pau-Langevin, ont également exprimé leur volonté de remédier à cette situation de blocage dans les plus brefs délais, mais dans un véhicule législatif distinct. C’est l’objet de la présente proposition de loi organique.
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, saisi de ce texte par le président du Sénat, a rendu un avis favorable le 28 septembre dernier, tout en proposant d’assouplir l’incompatibilité en permettant à un fonctionnaire exerçant en Nouvelle-Calédonie, mais qui n’est pas placé sous l’autorité des institutions ou des communes de Nouvelle-Calédonie, d’être membre d’une AAI calédonienne. Cette formulation rejoint celle qu’a choisie le député Philippe Gomes, qui a déposé, le 17 septembre dernier, une proposition de loi organique en ce sens.
Selon moi, il est très important de permettre la mise en place d’autorités qui inspirent la confiance, et qui jouent un véritable rôle de régulateur et d’arbitre. C’est la raison pour laquelle j’ai plaidé pour que la fonction de président d’une AAI soit incompatible avec un emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie.
Pourquoi poser tant de conditions ? C’est que la Nouvelle-Calédonie est un petit territoire où tout le monde connaît tout le monde. Particulièrement dans le domaine de la régulation économique, le rôle de l’autorité de la concurrence ne sera pas aisé. Aussi, il faut dès le départ lui donner toutes les chances d’affirmer à la fois son autorité et son indépendance, qui ne doit pas pouvoir être mise en doute.
Un compromis a été trouvé grâce à l’excellent travail de notre rapporteur, Mathieu Darnaud, en étroite collaboration avec nos collègues de l’Assemblée nationale, Philippe Gomes et René Dosière. Ainsi, la rédaction adoptée par la commission des lois distingue entre les fonctions de président, seul membre à plein temps, et les fonctions de membre d’une AAI calédonienne, le président ne pouvant exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie, tandis que les autres membres peuvent exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de la fonction publique d’État.
Dans son avis, le congrès de Nouvelle-Calédonie a suggéré la mise en place d’un délai de carence pour empêcher que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé des fonctions comprises dans le champ des incompatibilités s’appliquant aux membres d’une AAI. C’est ce que retient la rédaction qui vous est aujourd’hui proposée.
Sur ce point, j’y insiste, si la présente proposition de loi organique impose le délai de carence, je forme personnellement le souhait que la personne qui sera appelée à présider une AAI n’ait jamais exercé en Nouvelle-Calédonie, au moins pour le premier mandat. Nul doute que les modalités de nomination des membres des AAI calédoniennes par le congrès, en application de l’article 93–1 de la loi organique de 1999, c’est-à-dire selon la règle des trois cinquièmes positifs, ainsi que la sagesse des élus calédoniens permettront d’aboutir à la meilleure solution possible.
Je tiens ici à remercier tous ceux qui ont œuvré à la formation d’un consensus pour favoriser l’aboutissement rapide de ce texte, notamment le rapporteur, Mathieu Darnaud, qui a effectué un travail de qualité, mais aussi les députés Philippe Gomes et René Dosière, ainsi que, bien sûr, Mme la ministre George Pau-Langevin.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté, ce matin même, un amendement à la proposition de loi organique de Philippe Gomes autorisant une convergence vers une rédaction identique à celle qui a été adoptée par notre commission des lois, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles qui seront présentées par notre rapporteur au cours de ce débat. Il faut dire que la recherche d’un consensus a toujours été la règle au Parlement, spécialement dans cette assemblée, lorsqu’il s’agit de traiter des dossiers de la Nouvelle-Calédonie. Je pense que c’est une saine tradition.
S’il s’agit d’une petite modification législative, vous l’aurez compris, tout est fait pour aller vers une adoption conforme par les deux assemblées et permettre dans les meilleurs délais à la Nouvelle-Calédonie d’évoluer vers plus de justice sociale et de lutter efficacement contre la « vie chère », ce qui est attendu par les Calédoniens. Je forme le vœu que notre assemblée, au terme de ce débat, autorise le cheminement de ce texte. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission, mes chers collègues, Mme Catherine Tasca a parfaitement résumé la genèse de ce texte qu’elle a pris l’initiative de déposer et que nous examinons aujourd’hui. Elle me permet ainsi de concentrer mon propos sur les travaux de la commission, qui a élaboré son texte le 4 novembre dernier.
La commission des lois a revu les incompatibilités professionnelles applicables aux membres des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie, celles qui ont été décidées en 2013 sur l’initiative de l’Assemblée nationale soulevant de réelles difficultés de mise en place.
Le texte adopté en commission a retenu le principe proposé par Mme Tasca conduisant à exclure du champ de l’incompatibilité les emplois publics extérieurs à la Nouvelle-Calédonie, rendant ainsi possible le choix des membres de l’autorité locale de la concurrence parmi des fonctionnaires exerçant en métropole.
Ce texte correspond à une position équilibrée et respectueuse de la Constitution.
Tout d’abord, il est équilibré car il prend en compte l’avis émis par le congrès de la Nouvelle-Calédonie le 28 septembre 2015, à la suite de la saisine du président du Sénat, conformément à l’article 77 de la Constitution.
Le Sénat me semble exercer pleinement son rôle de représentant des collectivités territoriales de la République en accordant une attention particulière à l’expression des élus calédoniens.
La majorité du congrès de la Nouvelle-Calédonie souhaitait que le champ de l’incompatibilité professionnelle soit encore plus réduit que celui qui est proposé par Mme Catherine Tasca, en ne visant plus les fonctionnaires d’État exerçant localement. En complément, le congrès de la Nouvelle-Calédonie suggérait d’instaurer un délai de carence afin d’empêcher la désignation de personnes ayant exercé les fonctions rendues incompatibles.
Votre commission des lois a fait droit à cette seconde demande et a partiellement satisfait la première. Elle n’a pas souhaité totalement exclure les fonctionnaires d’État de l’incompatibilité, car il est délicat d’imaginer un haut fonctionnaire ou un haut magistrat affecté en Nouvelle-Calédonie qui exercerait parallèlement la présidence d’une autorité administrative indépendante locale. C’est un moyen de prévenir tout conflit d’intérêts mais également d’éviter une confusion des pouvoirs et des compétences.
En revanche, cette hypothèse a paru envisageable pour les autres membres de l’autorité qui seront, s’agissant de l’autorité locale de la concurrence, au nombre de trois.
C’est pourquoi la commission a adopté mon amendement dont l’objet est de distinguer la situation du président de l’autorité administrative indépendante des autres membres, l’incompatibilité étant plus exigeante pour le premier que pour les seconds. Le président serait soumis à une incompatibilité professionnelle plus rigoureuse puisqu’il ne pourrait exercer, comme le prévoyait la rédaction initiale du texte, aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie. En revanche, les autres membres pourraient exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de l’État, notamment au sein des juridictions ou de l’université, conformément aux vœux du congrès de la Nouvelle-Calédonie et du député Philippe Gomes.
Ce faisant, votre commission des lois a opté pour une solution qui est conforme au principe d’égalité, car le président est, par rapport aux autres membres, dans une situation différente, ce qui appelle un traitement différent.
Contrairement à ce qui s’était passé en 2013, le législateur organique exerce sa compétence alors que le congrès de la Nouvelle-Calédonie a déjà adopté la loi du pays qui crée l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie. Nous savons donc que le président de cette autorité est appelé à des fonctions importantes puisqu’il exercera ses fonctions à plein temps ; je rappelle également qu’il sera celui auquel les autres membres devront faire état d’éléments de nature à entraîner un conflit d’intérêts.
Aussi, je me félicite du fait que ce texte qui manifeste, comme le soulignait Mme Tasca, un souci du compromis soit rédigé ainsi. Lorsque le président de la commission des lois rapportait, en juin 2015, le dernier projet de loi organique ayant trait à la Nouvelle-Calédonie, il s’était engagé auprès de Mme Tasca à permettre l’adoption de la disposition organique dont nous débattons aujourd’hui. Il a concrétisé son engagement en proposant, dès septembre, à la commission de me désigner comme rapporteur. M. le président du Sénat a consulté, dès le mois d’août, le congrès sur cette proposition de loi organique, lui permettant ainsi de s’exprimer en temps utile.
Ces dernières semaines, j’ai pu sereinement cheminer, en étroite collaboration avec l’auteur de la proposition de la loi organique, vers une rédaction de compromis. Cette dernière a été soumise, en toute transparence, à M. Philippe Gomes, rapporteur d’une proposition de loi organique sur le même sujet qu’il a déposée à l’Assemblée nationale, ainsi qu’à M. René Dosière, qui avait rapporté la loi organique du 15 novembre 2013, à l’origine de la rédaction actuelle. Des échanges fructueux ont permis d’aboutir à une approche convergente.
L’amendement que je vous présenterai vise, dans cet état d’esprit, à lever toute ambiguïté sur l’intention de la commission des lois du Sénat. Ce matin même, en examinant le texte déposé par notre collègue député Philippe Gomes, la commission des lois de l’Assemblée nationale a retenu, sur le fond, la même rédaction que celle qui vous est proposée ce soir.
Pour parachever ce rapprochement, je vous invite donc à adopter la proposition de loi organique ainsi que l’amendement que je vous présenterai. Vous contribuerez par ce vote, mes chers collègues, à lutter de manière décisive contre la « vie chère » – cela a été rappelé par Mme Tasca, auteur de la proposition de loi organique – dans cet archipel et à répondre ainsi à une préoccupation quotidienne de la population locale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons en première lecture la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.
La modification de la loi organique du 19 mars 1999 permettra, je l’espère, à la Nouvelle-Calédonie de se doter d’un cadre juridique équilibré de nature à permettre l’installation d’autorités administratives indépendantes sur le territoire.
Au-delà du débat général, il s’agit en particulier, vous le savez, d’aider les autorités calédoniennes à mettre en place une autorité locale de la concurrence.
La Nouvelle-Calédonie détient en effet de larges compétences en matière de régulation économique. À ce titre, une réflexion a été engagée, depuis plusieurs années, sur la levée des obstacles à la libre concurrence car, comme dans d’autres territoires ultramarins, les prix des biens de consommation courante demeurent élevés.
Comme l’a rappelé Mme Catherine Tasca, des mouvements sociaux se sont élevés contre cet état de fait, qui s’explique par plusieurs raisons. Outre les difficultés touchant à l’insularité et à l’éloignement des circuits de distribution, il y a l’excessive concentration de l’économie calédonienne entre quelques mains. Ainsi, à Nouméa, 80 % de la distribution en grandes surfaces sont détenus par les mêmes acteurs. Ce constat est largement partagé au niveau local : dans certains secteurs, le nombre limité d’opérateurs révèle l’existence d’obstacles à la concurrence, lesquels maintiennent les prix à un niveau élevé.
En 2013, le législateur organique a par conséquent modifié la loi statutaire de 1999 pour donner la possibilité à la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes.
Exploitant cette nouvelle possibilité, la Nouvelle-Calédonie a donc adopté la loi du pays du 24 avril 2014 créant une autorité de la concurrence.
Selon les termes de cette loi du pays, l’autorité nouvellement établie doit « veille[r] au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie et au fonctionnement concurrentiel des marchés en Nouvelle-Calédonie ».
Cette démarche est à saluer. Elle rejoint les préoccupations constantes de ce gouvernement dans la lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Composée d’un président et de trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans, cette autorité locale de la concurrence doit exercer en toute indépendance les prérogatives dévolues au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en la matière.
Des précautions ont été prises pour garantir l’impartialité des décisions arrêtées par cette autorité. Ainsi, une règle de déport a été introduite et un dispositif a été imaginé pour prévenir les conflits d’intérêts.
Toutefois, en dépit de ces avancées juridiques, l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n’a toujours pas commencé ses travaux, alors que plusieurs années se sont écoulées.
En effet, pour la désignation des membres qui la composent, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie se heurte à l’excessive rigueur du régime des incompatibilités. Si la question du président de l’autorité de la concurrence ne pose pas de difficultés sérieuses dès lors que celui-ci exerce son office à temps plein, la question des autres membres du collège est plus délicate dans la mesure où ceux-ci n’exercent leurs fonctions qu’en parallèle de leur activité principale.
Dans la pratique, il est apparu difficile d’identifier des personnalités qualifiées dont l’activité principale ne tombe pas sous le coup des incompatibilités voulues par le législateur organique.
Le besoin s’est donc fait ressentir de pondérer quelque peu les garde-fous mis en place en 2013 en aidant le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à pourvoir aux postes de cette nouvelle autorité de la concurrence.
Le constat relatif à ces points de blocages étant posé, nous avons donc cherché le vecteur législatif approprié. Certains d’entre vous avaient souhaité que nous utilisions la loi relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Toutefois, nous avons préféré, lors de la discussion de ce texte, ne pas accepter d’amendements allant dans ce sens, car nous considérions – et nous l’avons redit dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale – que ce véhicule législatif était spécifique et que, par conséquent, il ne fallait pas y insérer d’autres sujets de réflexion.
Nous sommes donc convenus qu’un texte dédié serait plus opportun pour lever la difficulté technique qui nous occupe aujourd’hui. Je m’y étais engagée, tout comme je m’étais engagée à ce que l’examen de ce texte puisse intervenir rapidement. L’activation de la procédure accélérée atteste aussi cette volonté d’aller vite puisque j’ai bon espoir que ce texte puisse être définitivement adopté et promulgué d’ici à la fin de l’année.
Depuis cet engagement pris en séance publique devant les deux assemblées, les parlementaires ont beaucoup travaillé. Ce ne sont pas moins de trois propositions de loi organique qui ont finalement émergé, l’une au Sénat – celle de Mme Tasca – et deux à l’Assemblée nationale – celles de M. Dosière et de M. Gomes. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce volontarisme législatif !
Nous examinons ici même aujourd’hui la proposition de loi organique déposée le 30 juin 2015 par Mme Tasca. Comme vous l’avez signalé, un travail a été fait avec les députés afin de faire converger les points de vue et les propositions au Sénat et à l’Assemblée nationale. Cela devrait permettre, je l’espère, l’adoption assez rapide d’un texte de compromis entre les trois propositions de loi organique.
Sur le fond, le texte qui vous est présenté vise à modifier l’article 27–1 de la loi organique du 19 mars 1999. Il limite l’incompatibilité applicable aux membres d’une autorité administrative indépendante aux seuls emplois publics exercés sur le territoire. En d’autres termes, un fonctionnaire d’État – par exemple, un universitaire ou un magistrat – pourra exercer les fonctions de membre de l’autorité administrative indépendante.
La proposition de loi prévoit, en outre, la mise en place d’un délai de carence appelé à faire obstacle à la désignation d’une personnalité qualifiée « si au cours des trois années précédant sa nomination, [elle] a exercé un mandat électif ou un emploi public ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec [s]es fonctions ». Cette mesure, également souhaitée par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, doit permettre de renforcer les garanties d’impartialité des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.
S’agissant de l’examen aujourd'hui en séance publique, je note que le rapporteur a déposé un amendement issu de la concertation avec l’ensemble des parties, d’une part, pour clarifier la nature des emplois publics concernés et, d’autre part, pour préciser les modalités d’application du délai de carence. Cet amendement fait également suite aux observations en ce sens du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
La proposition qui vous est soumise trouve ainsi un équilibre plus réaliste entre l’obligation d’impartialité, d’une part, et la nécessité de désigner des personnalités qualifiées à l’expérience reconnue, d’autre part.
L’approche consensuelle qui a présidé à la rédaction de ce texte doit être saluée. Je ne doute pas que si des points de divergence devaient émerger entre les deux chambres du Parlement, ils pourront facilement être dépassés car nous sommes tous attentifs à l’intérêt de la Nouvelle-Calédonie et à la lutte contre la vie chère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde ainsi que MM. Yves Détraigne et Joël Guerriau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’auteur de cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’avis de M. Thani Mohamed Soilihi sur la loi du 21 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer avait mis en exergue l’épineux et récurrent problème de la vie chère dans les outre-mer, difficulté amplifiée par l’insularité, l’éloignement des circuits de distribution ou encore les frais liés au transport aérien ou maritime.
En plus de ces contraintes, et pour répondre à des problématiques spécifiques, la Nouvelle-Calédonie s’est dotée d’un dispositif antitrust afin d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché sur son territoire, où les structures historiques de l’économie locale rendent particulièrement complexes la préservation de l’ordre public économique.
En effet, et comme le constatait l’Autorité de la concurrence dans son rapport du 21 septembre 2012, la Nouvelle-Calédonie souffre à la fois d’un marché relativement étroit, qui limite les gains d’échelle possibles des activités locales, et de situations d’oligopoles. Ces situations quasi monopolistiques se voient renforcées par certaines dispositions, telles que des barrières tarifaires et réglementaires mises en place pour protéger les entreprises locales de la concurrence, ce qui affecte fortement les prix, comme c’est malheureusement bien souvent le cas dans les économies insulaires.
Fort de ce constat, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a profondément rénové et modernisé le cadre juridique de la réglementation économique sur son territoire en faisant le choix d’agir sur les structures de marché plutôt que de contrôler les prix.
Ainsi, les pratiques anticoncurrentielles feront l’objet d’un contrôle étroit, qu’il s’agisse de comportements illégaux – entente, abus de position dominante – ou de structures nuisant au marché, en particulier de concentrations.
Les autorités calédoniennes ont donc décidé de la mise en place d’une autorité de la concurrence afin que celle-ci qualifie, interdise, voire sanctionne ce type de comportement déloyal.
Le choix fait d’une autorité administrative indépendante, dotée de pouvoirs décisionnels, imposait de modifier les dispositions organiques formant le statut de la Nouvelle-Calédonie, dans la mesure où celle-ci déléguait ainsi une part de ses compétences.
Dès lors, comme notre discussion porte sur la création d’une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, il faut bien entendu mettre celle-ci en perspective avec les travaux de la commission d’enquête créée à l’initiative du RDSE sur les autorités administratives indépendantes.
Les conclusions du rapport sur le sujet, présenté par le président Mézard, font apparaître que les autorités administratives indépendantes, qui disposent d’un pouvoir considérable dans des secteurs clés de la nation, risquent de devenir « un État dans l’État » si leur prolifération n’est pas canalisée et si leur contrôle n’est pas assuré.
Par conséquent, il nous semble que l’apparition d’une autorité administrative indépendante, fût-elle de la concurrence et instituée en Nouvelle-Calédonie, pourrait être porteuse de risques quant aux équilibres institutionnels sauf si, là aussi, un cadre juridique strict et un contrôle effectif sont mis en œuvre.
Il est nécessaire que l’indépendance et l’impartialité de cette autorité administrative, ainsi que celles de ses membres, soient assurées. Or il nous semble, après une étude minutieuse du texte d’origine et de ses évolutions, que la proposition de loi organique garantit ces aspects.
En effet, le consensus auquel sont parvenues autorités locales et nationales sur les incompatibilités personnelles et professionnelles des membres de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie paraît bien à même de garantir la prévention des conflits d’intérêts.
La coopération à l’échelon infra-étatique sera également déterminante ; je regrette de ne pas avoir plus d’information sur ce point. Peut-être pourrez-vous m’éclairer, madame la ministre, sur les relations qu’entretiendront les autorités de la concurrence nationale et locale. Comment collaboreront-elles ? A-t-on envisagé la possibilité de mettre en place un système de question préjudicielle ?
Non seulement les dispositions légales dotent l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie de pouvoirs et d’une responsabilité considérables, mais son président sera en outre habilité à siéger seul dans certains cas. Il lui sera possible d’interdire des opérations économiques très importantes en termes financiers et d’infliger des sanctions financières aux entreprises mises en cause.
Bien sûr, un recours devant les instances juridictionnelles est prévu ; néanmoins, la durée de telles procédures devra également être prise en compte.
Enfin, comme le soulignait le rapport de Jacques Mézard, que rejoignent mes interrogations précédentes, il ne faut pas qu’il y ait de transfert de pouvoir sans transfert de responsabilité, notamment devant les instances démocratiques qui se sont délestées d’une partie de leurs attributions au profit de l’autorité en question.
Aussi, nous nous félicitons du fait que la loi organique prévoit que, en contrepartie de cette indépendance, les conditions du contrôle de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par l’autorité politique soient prévues, notamment par la rédaction d’un rapport d’activité présenté annuellement devant le gouvernement et le congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Il faut toutefois, madame la ministre, qu’il ne s’agisse pas d’un rapport de plus et que celui-ci contribue véritablement à mettre en exergue les améliorations possibles de la réglementation des pratiques anticoncurrentielles en Nouvelle-Calédonie.
Dès lors, comme cette proposition de loi organique fait l’objet d’une approche consensuelle, notre groupe est majoritairement favorable à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la vie chère est une calamité pour nos concitoyens ultramarins qui ne bénéficient pas d’une sur-rémunération.
Cela n’est pas une nouveauté. La grève générale conduite contre ce problème par Élie Domota en Martinique en 2009 a constitué l’une des plus importantes manifestations de révolte en outre-mer. La population subit une discrimination par les prix depuis de trop nombreuses années.
Les causes de ce phénomène sont multiples ; elles ont été rappelées à l’instant par mon ami Guillaume Arnell. L’insularité, le coût des transports ainsi que les besoins de conservation des denrées et des biens acheminés provoquent des surcoûts. Trop de dispositifs contraignent toutefois une fixation plus juste des prix par le marché : je pense par exemple à l’octroi de mer, dont l’actualisation a largement occupé nos travaux au printemps dernier.
Ce phénomène généralisé dans nos territoires d’outre-mer trouve une expression particulière en Nouvelle-Calédonie. Cela avait été largement mis en évidence par le rapport d’information de la commission des lois rédigé par nos collègues Sophie Joissains, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca.
En février 2011 et mai 2013, la Nouvelle-Calédonie a été traversée par d’importants mouvements sociaux dont nous avons peu parlé en métropole. Les facteurs objectifs et fiscaux de renchérissement des produits, l’éloignement des circuits de distribution et la structure concurrentielle du marché ont été indéniablement les causes du mécontentement local.
Cette analyse est partagée par l’Autorité de la concurrence, qui relevait déjà en 2012 que deux groupes disposaient à eux seuls de plus de 80 % des parts de marché en surfaces de vente.
Le droit à la concurrence libre et non faussée des prix est un droit fondamental qui doit s’appliquer sur l’ensemble des territoires, que ce soit outre-mer ou en métropole.
Je tiens ici à adresser un message de solidarité et de soutien à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie qui se débattent face à des prix qui creusent l’injustice sociale.
La Nouvelle-Calédonie a tenté de résoudre ce problème par la convention du 14 février 2012. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie y sollicitait l’expertise de l’Autorité de la concurrence en vue de la réalisation de deux études portant respectivement sur les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation et sur l’organisation des structures de contrôle en matière de concurrence. Le diagnostic dressé dans ces études par l’Autorité de la concurrence a confirmé l’existence des obstacles à la libre concurrence.
Outre ce constat, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a souhaité faire usage de l’outil mis à sa disposition par la loi statutaire de 1999 en créant une autorité locale de la concurrence, dont le cadre est précisé dans la loi organique de 2013.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cette filiation et prévoit un simple assouplissement des conditions inhérentes à la composition des membres de cette nouvelle autorité administrative.
Je tiens à saluer l’initiative et le rapport de Mme Catherine Tasca, complété par l’apport de notre collègue Mathieu Darnaud, rapporteur du texte, dont le travail apporte un équilibre rédactionnel approuvé par la commission des lois.
Dans ces conditions, en permettant la mise en place d’une autorité administrative indépendante pour réguler la concurrence sur son territoire, la Nouvelle-Calédonie se dote des moyens nécessaires pour lutter contre « la vie chère ». La mise en place d’une telle autorité de la concurrence, réclamée et votée unanimement, est une nécessité qui ne sera plus empêchée par l’article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013. C’est pourquoi les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur la plupart des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi organique a un grand intérêt en ce qu’elle apporte une solution juridique solide à un cas d’école.
Comme l’a souligné notre rapporteur, il avait échappé au législateur avisé que nous sommes qu’une difficulté d’application de la loi était apparue en 2013.
Cette difficulté tenait à l’introduction, cette année-là, au sein de la loi statutaire de 1999, de la faculté pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes dans les domaines relevant de la compétence de la « loi du pays ».
C’est ainsi que l’installation d’une autorité qui exercerait des prérogatives en matière de régulation de la concurrence sur ce territoire n’a pu s’effectuer. En effet, l’article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013 rendait incompatible la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante néo-calédonienne avec un emploi public.
Cet imbroglio juridico-administratif pourrait paraître anodin. Bien au contraire, il aurait pu avoir de graves conséquences sur une question particulièrement sensible pour nos compatriotes des collectivités et territoires d’outre-mer.
On se souvient que la question de ce que l’on appelle familièrement « la vie chère » avait aussi été, il y a quelques années, à l’origine de très durs conflits sociaux en Guadeloupe, à La Réunion, ou encore à la Martinique.
À cet égard, il faut malheureusement constater que les causes de ces situations existent toujours.
La résolution de ce problème est peut-être rendue plus délicate en Nouvelle-Calédonie du fait des spécificités et du statut même de ce territoire. C’est d’ailleurs ce qu’avaient très bien exposé l’année dernière nos collègues Sophie Joissains, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca dans leur rapport sur la situation sociale de ce territoire.
Ils y relevaient notamment que les graves conflits sociaux de février 2011 et de mai 2013 étaient largement motivés par le mécontentement de la population face aux prix excessifs des biens de consommation courante.
Ils y analysaient aussi l’origine de ce phénomène, commun à nos outre-mer, qui s’explique en partie par l’insularité, l’éloignement des grands circuits de distribution, les frais de transport maritime ou aérien et une consommation captive car étroitement dépendante des produits métropolitains.
Sur le territoire calédonien comme dans l’ensemble de nos outre-mer, l’une des causes des prix élevés des biens de consommation courante est l’absence d’une réelle concurrence. Cela avait d’ailleurs été souligné, en 2012, dans un rapport de l’Autorité de la concurrence.
Si ces causes sont en partie identifiées, il reste tout de même à trouver les moyens d’y remédier.
Pour leur part, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont choisi comme outil, par un vote unanime de leur parlement, une autorité de régulation de la concurrence.
En tentant d’introduire une concurrence jusqu’à présent presque inexistante du fait de monopoles dans certains secteurs, ils pensent avoir trouvé une solution pour faire baisser le niveau général des prix, en particulier ceux des biens de première nécessité.
Je ne me prononcerai ni sur le bien-fondé de cet outil administratif ni sur son éventuelle efficacité pour l’amélioration de la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.
À l’heure où le rapport de la commission d’enquête de nos collègues Marie-Hélène Des Esgaulx et Jacques Mézard a étudié la pertinence et la réalité de l’indépendance de ces autorités administratives, on peut légitimement s’interroger sur la nécessité de créer, en Nouvelle-Calédonie, une autorité de régulation de ce type.
Néanmoins, je considère que, si telle est la volonté de la société calédonienne et de ses élus, il faut que cette autorité locale puisse réellement exister et qu’elle ait les moyens de travailler.
C’est pourquoi le texte issu des travaux de notre commission prévoit un statut réaliste pour les membres de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que les moyens de préserver l’indépendance de cette autorité.
C’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que nous avons apporté au texte initial en commission des lois. Il visait à préciser que seul le président de l’autorité administrative indépendante, compte tenu de la particularité de ses fonctions, serait assujetti à une incompatibilité avec tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie.
Pour ce qui est des autres membres, ils seraient simplement soumis à une incompatibilité avec un emploi public exercé dans les institutions locales.
Ces dispositions sont en outre garanties par le délai de carence de trois ans qui empêcherait leur désignation s’ils ont exercé les fonctions couvertes par les incompatibilités professionnelles trois ans auparavant.
Je pense que nous avons travaillé de façon pragmatique, en tenant compte de l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie sur la proposition de loi organique, mais en ayant aussi le souci de concilier les points de vue avec nos collègues de l’Assemblée nationale.
Enfin, si l’on veut bien considérer le contexte économique et social et les perspectives politiques en Nouvelle-Calédonie, il est impératif de trouver, dans tous les domaines, un consensus. Ce texte y contribue.
Notre groupe estime donc que cette proposition de loi organique était nécessaire et que la méthode retenue et la solution à laquelle nous avons abouti sont les bonnes. C’est la raison pour laquelle nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Félix Desplan.
M. Félix Desplan. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chère Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir ne comporte qu’un article. Il a un objectif simple et concret : permettre à l’Autorité de la concurrence créée il y a un peu plus d’un an par le congrès de la Nouvelle-Calédonie de fonctionner enfin. Sa mise en marche est très attendue, tant par le gouvernement calédonien, les groupes politiques du congrès, les provinces, les intersyndicales, les organisations patronales que par les consommateurs calédoniens.
Ce texte est attendu, parce que, comme dans les autres territoires ultramarins, marqués par leur éloignement géographique, par une population restreinte et par une attirance pour les produits de consommation de la métropole, la vie est chère en Nouvelle-Calédonie.
Le surcoût du « panier » varie encore, selon les enseignes de grande surface, de + 96 % à + 155 % par rapport à la métropole. Sur la zone du Grand Nouméa, qui représente 90 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentaires, deux opérateurs détiennent ainsi plus de 80 % des surfaces commerciales, situation aggravée par les barrières réglementaires à l’entrée du territoire. Dans le secteur automobile, 80 % des marques sont aussi aux mains de deux groupes.
De façon plus générale, dans les secteurs où la concurrence existe, le différentiel de prix est de + 15 %. Mais, ailleurs, les prix sont en général deux fois plus élevés.
La cherté de la vie, que ce soit en matière de produits alimentaires, de tarifs bancaires, de coût de l’énergie ou dans le domaine du logement, a fait descendre les syndicats et les populations dans la rue à plusieurs reprises, notamment aux mois de mai 2011 et mai 2013. Grèves et manifestations ont conduit les autorités locales à mettre en place des mécanismes divers pour lutter contre ce qui ne doit pas être admis comme une fatalité.
La concurrence est l’une des clefs de cette lutte. La loi organique de 1999 a attribué à la Nouvelle-Calédonie les compétences de réglementation des prix, de concurrence, de répression des fraudes et de réglementation des professions commerciales. Depuis, la Nouvelle-Calédonie a adopté des textes mettant en place un droit de la concurrence avancé et des règles de transparence des relations commerciales. Elle a ainsi instauré un contrôle des concentrations, un contrôle des exploitations des surfaces commerciales et une injonction structurelle pour résorber les situations soulevant des risques de concurrence.
La Nouvelle-Calédonie a également souhaité la mise en place d’une autorité administrative indépendante, dotée de pouvoirs d’enquête, de recours et de sanctions, pour veiller à l’application de ces nouvelles dispositions.
On a critiqué – dans cette enceinte même – la multiplication des autorités administratives indépendantes, déplorant parfois leur inutilité pour les trois quarts d’entre elles. Cependant, à une question que lui posait, lors d’une audition, notre collègue le président Mézard, Bruno Lasserre, le président de l’autorité de la concurrence hexagonale, a répondu : « Il n’existe pas une économie de marché au monde qui n’ait son autorité de la concurrence. Si vous voulez la jungle, c’est-à-dire des réunions secrètes d’entente sur les prix entre les entreprises, supprimez-la. »
Les autorités calédoniennes ont le souci d’apporter des réponses structurelles, mais aussi des modes d’action lisibles par les consommateurs. C’est pourquoi le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a créé un Observatoire des prix, un outil d’information grand public et facile d’accès.
Tout cela est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que la conjoncture économique est défavorable.
Les cours du nickel, première exportation de la Nouvelle-Calédonie, qui détient 25 % à 30 % des ressources mondiales, se sont effondrés. Des fours sont fermés ou suspendus, des salariés reclassés ou en départ anticipé. Les pertes d’exploitation s’élèveraient à plusieurs centaines de millions de dollars. Cette crise a été à l’origine d’un conflit social, le « conflit des rouleurs », qui a opposé les mineurs et les camionneurs aux institutions locales plusieurs semaines au mois d’août dernier. La question se posait notamment, et elle se pose toujours, de ne plus réserver les exportations du minerai aux clients traditionnels que sont l’Australie, le Japon et la Corée du Sud, mais de vendre à la Chine du minerai à basse teneur. Pour certains, cela soutiendrait l’activité économique, mais, pour d’autres, ce serait contre-productif, la production de fonte brute – pig iron – par la Chine obtenue avec ce minerai de basse teneur et l’importance de ces stocks pouvant contribuer à une baisse des prix.
Ces choix sont du ressort des autorités calédoniennes, mais je sais, madame la ministre, que vous avez toujours été à l’écoute, appelant chaque fois à un accord raisonné et raisonnable de toutes les parties.
Pour que l’entente, obtenue par un dialogue constant entre les uns et les autres, puisse aboutir à une redynamisation de la vie économique, accompagnée d’une réduction des inégalités, les mécanismes créés doivent fonctionner. Or l’Autorité de la concurrence, seule autorité administrative indépendante créée jusqu’à présent en Nouvelle-Calédonie, ne fonctionne toujours pas.
L’actuelle proposition de loi organique doit y remédier.
Le projet de loi organique initial autorisant la création en Nouvelle-Calédonie d’autorités administratives indépendantes ne prévoyait pas d’incompatibilités. Le Sénat a adopté, sur l’initiative de Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique en débat aujourd’hui, un amendement précisant que la composition et les modalités de désignation des membres de l’autorité devaient être de nature à assurer son indépendance. L’Assemblée nationale est allée plus avant : sur l’initiative du rapporteur d’alors de la commission des lois, elle a très strictement encadré les critères et modalités de nomination, pour préserver les membres de la pression des pouvoirs politiques ou administratifs, qu’ils soient métropolitains ou locaux, ou d’entités économiques privées.
La fonction de membre d’une autorité administrative est devenue incompatible avec l’exercice de tout autre emploi public. Dans la pratique, il ne s’est guère révélé possible de trouver des candidats répondant à ces critères. Il s’agit maintenant d’être un tant soit peu pragmatique.
Notre collègue Catherine Tasca a fait une proposition. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a émis sur ce texte un avis favorable, avec des observations dont il a été tenu compte lors de nos débats en commission des lois.
La personne présidant l’autorité ne pourra exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie. Les autres membres pourront exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de l’État. Par ailleurs, un délai de carence de trois ans empêchera que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé les mandats ou fonctions ou détenu des intérêts compris dans le champ des incompatibilités s’appliquant respectivement au président ou aux autres membres d’une autorité administrative indépendante.
C’est, je le crois, un texte raisonnable. C’est en tout cas un texte consensuel. Ce matin, les députés de la commission des lois ont adopté une proposition de loi organique semblable, sur l’initiative du député UDI Philippe Gomes. L’Assemblée nationale devrait se prononcer sur ce texte-là en séance le 26 novembre prochain. Si nous adoptons l’amendement déposé, les deux propositions de loi organique seront similaires. Les deux assemblées pourront donc s’accorder sur un texte conforme dans les prochaines semaines. La mise en route prochaine de l’Autorité de la concurrence en sera grandement facilitée.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi organique présentée par notre collègue Catherine Tasca. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Sylvie Goy-Chavent ainsi que MM. Joël Labbé, Michel Savin et Jacques Genest applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame l’auteur de la proposition de loi organique, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les difficultés provoquées par la vie chère sont particulièrement présentes en outre-mer, où le niveau des prix est régulièrement montré du doigt pour être nettement plus élevé qu’en métropole, notamment pour les biens de première nécessité. Face à cette situation, à plusieurs reprises ces dernières années et dans plusieurs de ces territoires, les populations se sont mobilisées pour exprimer leur inquiétude.
La Nouvelle-Calédonie n’est pas épargnée. En 2012, l’INSEE évaluait que les prix y étaient 34 % plus élevés qu’en métropole et insistait bien sur le fait que les prix des biens de la vie quotidienne étaient les plus concernés. La différence de prix entre les produits alimentaires était la plus marquée, avec des prix 65 % supérieurs en Nouvelle-Calédonie.
Cette situation s’explique en partie par l’éloignement, les circuits d’approvisionnement longs, le volume des importations. À ce sujet, nous sommes, d’ailleurs, favorables à l’encouragement et au développement des productions locales et des circuits courts. En fait, le nombre restreint d’acteurs économiques bénéficiant d’une situation de quasi-monopole est en grande partie la source de ce problème. La position dominante de certains acteurs facilite le maintien de cartels, peut permettre des arrangements collusifs ; l’absence de concurrence permet à quelques oligopoles de profiter de la situation aux dépens des consommateurs.
Au mois de février 2012, la Nouvelle-Calédonie a sollicité à cet égard l’expertise de l’Autorité de la concurrence en vue de la réalisation de deux études portant sur les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation et sur l’organisation des structures de contrôle en matière de concurrence. Un avis a été remis au mois de septembre 2013, dont les conclusions sont claires : deux groupes disposaient alors de plus de 80 % de parts de marché en surface de vente.
Lorsque l’on rapproche cette conclusion du constat du niveau élevé des prix en Nouvelle-Calédonie, particulièrement des biens de première nécessité, on comprend pourquoi les autorités calédoniennes ont choisi de confier à terme la responsabilité du contrôle de la concurrence à une autorité administrative indépendante. Sa mise en place n’a malheureusement pas pu se faire, car, comme cela a déjà été dit, les conditions à remplir pour s’assurer de l’indépendance des futurs membres de l’autorité administrative de la concurrence – ne pas avoir exercé un emploi public ou un mandat électif ni avoir eu des intérêts, directs ou indirects, dans une entreprise du secteur dont l’autorité assure la régulation – ont soulevé des difficultés pratiques.
La superficie limitée du territoire et l’impossibilité pour les membres de la nouvelle autorité indépendante d’occuper ce poste à temps plein, nécessitant donc d’avoir un emploi annexe qui ferait très possiblement partie de la liste que j’ai mentionnée, sont autant de caractéristiques qui rendent ces conditions compliquées à appliquer.
Des propositions ont été formulées pour remédier à ce problème, soutenues notamment par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Elles créent en particulier un délai de carence pour permettre aux membres de l’autorité administrative indépendante d’avoir par le passé exercé des fonctions citées dans la liste des restrictions en prévenant les éventuels conflits d’intérêts. Des conditions plus strictes applicables au président de l’autorité sont quant à elles prévues, c’est une bonne chose et c’est tout à fait logique.
Au nom du groupe écologiste, je tiens à remercier notre collègue Catherine Tasca d’avoir porté ces propositions devant le Sénat, d’avoir recherché un consensus entre les différentes sensibilités politiques afin de nous permettre d’avancer et d’avoir réussi à conserver l’indépendance de l’autorité de la concurrence, c’est bien là le plus important.
Il nous semble que les dispositions prises dans cette proposition de loi organique sont satisfaisantes pour tous, sur les travées du Sénat comme sur les bancs de l’Assemblée nationale.
Les membres du groupe écologiste voteront donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui nous est aujourd'hui soumise porte sur les institutions calédoniennes. Elle vise à faciliter la création d’une autorité administrative indépendante de la concurrence. En réalité, elle traduit des préoccupations économiques majeures des autorités calédoniennes, des partis politiques calédoniens et de l’opinion calédonienne.
Le constat est le même depuis plusieurs années – de nombreux rapports parlementaires s’en sont fait l’écho –, le secteur économique calédonien connaît des problèmes de concurrence pour la fourniture de biens et de services, dont le corollaire immédiat est le coût élevé des produits de première nécessité. Ce sont sur ces deux domaines qu’ont porté les efforts des acteurs économiques et des partis en présence.
Le premier point que j’aborderai concerne les prix. Les causes de leur niveau élevé sont bien connues : l’insularité, l’éloignement des circuits de distribution, les habitudes de consommation, les frais de transport, et des progrès qui doivent être accomplis en matière de concurrence.
Depuis 2012, le principe est la liberté des prix, assortie de deux exceptions : la liberté surveillée – les prix sont déposés auprès du service compétent du gouvernement calédonien au moins quinze jours avant leur entrée en vigueur – et la liberté contrôlée – les prix déposés sont soumis à l’accord préalable de ce gouvernement.
Deuxième point, qui nous occupe plus particulièrement aujourd’hui, le manque de concurrence a un impact évident sur les prix.
Les autorités calédoniennes ont modernisé l’arsenal juridique qui était à leur disposition. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté à l’unanimité la loi du pays du 14 février 2014 qui institue un contrôle des concentrations. Les autorités calédoniennes ont choisi de confier, à terme, la responsabilité des contrôles à une autorité administrative indépendante.
Cette création est d’ores et déjà possible. Répondant en effet au souhait du Comité des signataires, la loi organique du 15 novembre 2013, votée à l’unanimité, a permis au congrès de la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes.
La loi organique soumet les membres de ces autorités à un régime d’incompatibilité stricte, afin de renforcer leur indépendance et d’empêcher les conflits d’intérêts. Elle prévoit que « la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d’intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation ».
La loi du pays du 14 février 2014 a d’ores et déjà créé l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie. Elle doit « veiller au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie ». Elle comprendra un président et trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans, parmi lesquels sera désigné un vice-président. Le président exercera ses fonctions à plein temps, les autres membres seront « non permanents ». Toutefois, cette instance n’a toujours pas été installée à ce jour.
Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a fait connaître les difficultés qu’il rencontrait pour recruter des membres au regard des incompatibilités prévues par le législateur organique.
La proposition de loi organique de Mme Tasca et des membres de son groupe a pour but de remédier à ces difficultés.
Saisi par le président du Sénat, en application de l’article 77 de la Constitution, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a, le 28 septembre 2015, émis un avis favorable sur ce texte sous réserve d’une demande de complément et de modification.
D’une part, le congrès appelle à reprendre une rédaction plus souple de l’incompatibilité. Il propose de « limiter l’interdiction aux emplois publics exercés en Nouvelle-Calédonie, sous l’autorité des instances calédoniennes », envisageant que « des fonctionnaires d’État – magistrats financiers ou professeurs d’économie, par exemple – pourraient ainsi venir utilement en Nouvelle-Calédonie pour y effectuer des vacations et permettre ainsi à cette autorité de s’installer ».
D’autre part, le congrès s’interroge « sur la possibilité d’introduire un délai de carence d’au moins trois années s’agissant d’agents ayant exercé en Nouvelle-Calédonie pour le compte de l’État ou d’agents ayant exercé en Nouvelle-Calédonie et ayant atteint l’âge de la retraite », appelant à retenir un « délai significatif ».
Le texte adopté par la commission des lois est une solution de compromis par rapport à la rédaction initiale de la proposition de loi organique et à l’avis exprimé par le congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Les incompatibilités seraient différentes selon la nature des fonctions exercées au sein de la nouvelle autorité. Son président serait assujetti à une incompatibilité avec tout emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie, les autres membres à une incompatibilité avec tout emploi public exercé dans les institutions locales.
Un délai de carence de trois ans est prévu empêchant la désignation de ces membres s’ils ont exercé les fonctions couvertes par les incompatibilités professionnelles trois ans auparavant.
Notre groupe votera la proposition de loi organique telle qu’amendée par la commission des lois. Il y voit une nouvelle occasion de montrer son attachement à la Nouvelle-Calédonie et à sa prospérité économique et sociale.
Nous souhaitons, bien sûr, qu’une approche consensuelle puisse être trouvée entre les deux assemblées, comme il est d’usage depuis de nombreuses années pour les textes relatifs à la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent ainsi que MM. Yves Détraigne et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la nouvelle-calédonie
Article unique
L’article 27-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) À la deuxième phrase, les mots : « , tout autre emploi public » sont supprimés ;
b) La dernière phrase est supprimée ;
2° Après le même deuxième alinéa, sont insérés cinq alinéas ainsi rédigés :
« Est également incompatible l’exercice :
« 1° Pour le président d’une autorité administrative indépendante, de tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie ;
« 2° Pour les autres membres d’une autorité administrative indépendante, de tout autre emploi public placé sous l’autorité ou la tutelle des institutions, des provinces et des communes de la Nouvelle-Calédonie.
« Nul ne peut être désigné président ou membre d’une autorité administrative indépendante si, au cours des trois années précédant sa désignation, il a exercé un mandat électif ou un emploi public ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec ces fonctions en application des troisième à cinquième alinéas du présent article.
« Il ne peut être mis fin au mandat d’un membre d’une autorité administrative indépendante qu’en cas d’empêchement ou de manquement à ses obligations, constaté par une décision unanime des autres membres de l’autorité. »
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Darnaud, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 8
Après les mots :
emploi public
rédiger ainsi la fin de l’alinéa :
de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et des communes de la Nouvelle-Calédonie ainsi que de leurs établissements publics.
II. – Alinéa 9
1° Supprimer les mots :
président ou
2° Après les mots :
mandat électif
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec cette fonction en application du deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour la désignation :
« a) Du président si, au cours de la même période, il a exercé un emploi public considéré comme incompatible avec cette fonction en application du 1° du présent article ;
« b) Des autres membres si, au cours de la même période, ils ont exercé un emploi public considéré comme incompatible avec cette fonction en application du 2° du présent article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Comme je l’ai évoqué lors mon intervention en discussion générale, la commission propose de préciser, d’une part, la rédaction concernant les emplois publics locaux qui entrent dans le périmètre de l’incompatibilité professionnelle des membres et, d’autre part, le champ d’application du délai de carence de trois ans exigé avant la désignation des membres de cette autorité administrative indépendante.
Comme pour les incompatibilités, le périmètre n’est pas le même pour le président et les autres membres ; par cohérence, il reprend celui qui est applicable, respectivement, au président et aux autres membres, pendant leur mandat.
Le délai de trois ans, suggéré par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, n’est pas modifié. Il n’est pas inconnu puisqu’il correspond, par exemple, à la durée que l’article 432–13 du code pénal prévoit pour écarter, après la cessation des fonctions, la prise illégale d’intérêts.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement puisqu’il permet de préciser utilement le texte de la proposition de loi organique, tant pour ce qui concerne son application aux emplois publics de Nouvelle-Calédonie, à l’exclusion des fonctionnaires de l’État, que pour l’application du délai de carence. Ainsi, c’est une bonne manière d’améliorer le texte.
Par ailleurs, j’ai oublié d’indiquer à M. le sénateur Guillaume Arnell que l’organisation des relations entre l’autorité nationale et l’autorité locale chargées de la concurrence est telle que l’appel des décisions de l’autorité locale n’a pas lieu devant l’autorité nationale mais devant la cour d’appel de Paris. L’autorité locale bénéficie donc de l’expertise de l’autorité nationale sans qu’il y ait de rapport hiérarchique. (M. Guillaume Arnell marque sa satisfaction.)
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
Je constate que cette proposition de loi organique a été adoptée à l’unanimité.
La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Je tiens à remercier la commission des lois et M. le rapporteur mais aussi l’ensemble des collègues qui ont participé à ce débat et qui ont accompagné l’évolution de ce texte depuis le début.
Pour ma part, je me réjouis que, une fois de plus, le Sénat ait su construire un consensus sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. Je suis sûre que, pour les Néo-Calédoniens, c’est le signe d’une attention profonde et d’une compréhension réelle de leurs problèmes. (M. Jean-Pierre Sueur opine.)
Merci donc à vous tous, mes chers collègues, ainsi qu’à vous-même, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – MM. Joël Labbé et Guillaume Arnell applaudissent également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (proposition n° 376 [2014-2015], résultat des travaux de la commission n° 75, rapport n° 74).
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons commencé l’examen de ce texte le 21 octobre dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même si cela m’a beaucoup coûté, je me suis permis de vous adresser une lettre ouverte. Je souhaite vous exprimer le fond de ma pensée sur ce texte.
Au nom du groupe écologiste, je demanderai un scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi. Je le ferai d’abord sur chacun des amendements de suppression, si tant est qu’ils soient maintenus,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce n’est pas à vous d’en décider !
M. Joël Labbé. … ce dont je ne suis pas certain.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous verrons bien !
M. Joël Labbé. Le 24 avril 2013, les immeubles du Rana Plaza s’effondrent, faisant 1 138 morts et plus de 1 500 blessés. On se rend compte des conditions inacceptables de travail qui y avaient cours.
Les étiquettes des commanditaires ont parlé : Carrefour, Auchan, Camaïeu. Ces marques, qui étalent chez nous leurs belles vitrines, ont une part énorme de responsabilité, par la pression qu’elles exercent pour profiter de coûts toujours plus bas, imposer des délais de production toujours plus courts et, bien entendu, dégager des marges toujours plus importantes.
Comment cautionner ces formes nouvelles d’un abominable esclavage moderne, dissimulé dans un contexte de mondialisation par des relations obscures de sous-traitance et de filialisation ?
La présente proposition de loi est très modérée. Elle prévoit l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de vigilance. Seules les atteintes graves aux droits humains sont visées. En réalité, ce texte ne fait que rendre effectifs les engagements internationaux de la France en matière d’environnement, de droits humains et de droit du travail, notamment les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
Quels sont les arguments avancés par ceux qui s’y opposent ? Le principal, c’est celui de la compétitivité des sociétés françaises.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Pas exactement !
M. Joël Labbé. Vient ensuite l’argument habituel selon lequel c’est à l’Europe de se positionner. Comme si l’Europe, ce n’était pas nous !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n’est pas seulement nous !
M. Joël Labbé. D’autres pays européens se préparent d'ailleurs à adopter des dispositions similaires à celles que nous examinons ce soir.
La France n’a-t-elle pas le devoir d’aller de l’avant ? Je parle de la France, pays des Lumières, pays des droits de l’homme ; je parle de cette France rebelle, de cette France qui se tient debout aujourd'hui ! N’est-ce pas le moment pour elle de retrouver toute sa fierté, toute sa dignité ? Ensuite, les autres pays d’Europe, puis l’Union européenne suivront. Et, enfin, c’est sur la planète entière que les droits humains seront respectés !
Le rôle du Sénat a été, me semble-t-il, bien défendu cet après-midi sur toutes les travées de l’hémicycle. Mais, il faut le dire, aujourd'hui, l’image de notre institution aux yeux des Françaises et des Français n’est pas terrible !
Adopter la présente proposition de loi, ce serait justement l’occasion de réhabiliter le rôle politique de la Haute Assemblée. Ce serait l’occasion de défendre l’intérêt public, l’intérêt du bien public, l’intérêt des générations futures. Ce serait l’occasion d’être véritablement moteur sur la question des droits humains, pour que ceux-ci soient respectés partout dans le monde ! Définitivement !
Aujourd'hui, nous sommes en deuil. On parle beaucoup, et à juste titre, des morts ! Combien de familles endeuillées ? Combien de familles qui nous inspirent de la peine ? Mais la vie a la même valeur partout, sur toute la planète !
Alors, pourquoi un tel blocage ?
D’abord, une motion préjudicielle a été déposée en commission, afin d’enterrer complètement le texte. Pour ma part, j’ai découvert cette manière de procéder ! Fort heureusement, cette motion n’a pas été votée.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Elle a été retirée ; ce n’est pas la même chose !
M. Joël Labbé. En séance, des amendements de suppression seront présentés pour empêcher le texte de passer.
Étant curieux de nature, je me suis renseigné pour savoir d’où une telle opposition venait. Et je suis remonté jusqu’à l’Association française des entreprises privées. Ici, cette organisation pèse sur le parti politique qui tient à ce que la proposition de loi ne soit pas votée. Je tiens à le dire haut et fort ! Il faut le savoir, l’Association française des entreprises privées réunit tous les patrons du CAC 40 et des grandes sociétés françaises !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Elle ne s’en cache pas !
M. Joël Labbé. Pour ma part, je ne la connaissais pas !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il faut lire les journaux !
M. Joël Labbé. Il faut absolument que le Sénat entende cette association et l’interroge sur ses motivations !
J’ai demandé un scrutin public, car je souhaite que chaque sénatrice et que chaque sénateur exprime son vote en son âme et conscience. J’espère que nos collègues absents ce soir ont pu faire connaître leur avis sur ce texte auprès de leur groupe. Oser voter à la place de quelqu'un qui n’a pas donné son avis serait une grave erreur politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face aux nouvelles formes d’esclavage et aux risques de dommages corporels ou environnementaux graves qu’entraînent certaines activités économiques dans le monde globalisé, nous ne pouvons pas rester indifférents.
Les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mais aussi les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, énoncés dès 1976, et la Déclaration de principes tripartite de l’Organisation internationale du travail sur les entreprises multinationales et la politique sociale, rédigée en 1977, définissent un ensemble de normes applicables aux entreprises en matière de bonnes pratiques et de respect des droits de l’homme. Les législations nationales peuvent et doivent s’appuyer sur cet ensemble.
La Commission européenne encourage les États membres de l’Union européenne à transposer ces différents principes dans leur droit national.
En France, la « jurisprudence Erika » reconnaît la compétence des juridictions françaises à juger des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence de la société mère pour les agissements de ses filiales.
Des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, au mois d’avril 2013, ou des pratiques moins visibles, mais tout aussi condamnables, à l’instar du travail des enfants, de la pollution de l’environnement et, plus largement, de tout ce qui bafoue les droits élémentaires des travailleurs nous incitent à prendre des mesures.
Le texte que nous examinons ce soir avait d’ailleurs été précédé par une première proposition de loi du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale.
Concrètement, il s’agit d’obliger les entreprises de plus de 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 salariés dans le monde à établir, à publier et à mettre en œuvre un « plan de vigilance » comportant des mesures propres à identifier et à prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires et même d’éventuelles atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales susceptibles de résulter des activités des sociétés que les multinationales contrôlent, mais aussi des sous-traitants ou des fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une « relation commerciale établie ». Le plan de vigilance doit également permettre de lutter contre la corruption.
Ce plan est la clé de voûte du dispositif. Il serait intéressant d’en connaître d’ores et déjà plus précisément les contours. Au fond, il s’agit pour les entreprises de mettre en place un cahier des charges, afin d’abolir les pressions parfois inhumaines que subissent les salariés, dans les pays en développement, mais aussi, souvent, malheureusement, en France.
Au-delà de la prévention des risques, ce texte a aussi pour objet d’offrir des possibilités de réparations pour les victimes. C’est précisément l’enjeu crucial qu’a révélé l’affaire du Rana Plaza. Pour ce faire, la possibilité d’engager des actions en responsabilité à l’encontre des sociétés concernées est ouverte.
Le débat sur la responsabilité sociale et environnementale, la RSE, est d’ores et déjà bien engagé au sein des grands groupes. L’enjeu est économique autant que moral. Nous savons combien la préservation d’une image de marque et d’une bonne réputation entre en ligne de compte dans les plans stratégiques des entreprises.
Ce que cette proposition de loi cherche à encadrer, c’est l’acte de contractualisation. C’est dans ce domaine précis que les entreprises doivent mettre en œuvre leur devoir de vigilance.
J’en appelle à la responsabilité du consommateur. C’est lui qui a in fine le pouvoir de trancher, ou non, en fonction des pratiques plus ou moins vertueuses des entreprises.
Le groupe RDSE comprend bien les préoccupations des auteurs du texte et reste viscéralement attaché aux principes d’égalité et de responsabilité. Aussi, ses membres se partageront, pour l’essentiel, entre un vote pour et un vote d’abstention.
Personnellement, j’apporterai un soutien total à cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au XVIe siècle, Saint François de Sales disait que l’enfer était « pavé de bonnes intentions ».
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est effectivement ce qui vient à l’esprit !
M. Philippe Dallier. Je crains malheureusement que cette maxime ne s’applique trop bien à la présente proposition de loi de nos collègues socialistes.
Les bonnes intentions sont clairement affichées. M. Labbé évoquait à l’instant le drame survenu récemment au Bangladesh, en rappelant le nombre de victimes. C’est l’une des raisons qui ont motivé les auteurs de cette proposition de loi.
L’adoption de ce texte serait à l’évidence lourde de conséquences pour nos entreprises, et seulement pour « nos » entreprises, c’est-à-dire celles qui ont leur siège social en France. C’est bien ce qui nous pose problème !
Car enfin, mes chers collègues, comment pouvez-vous envisagez d’alourdir les contraintes qui pèsent sur les seules entreprises dont le siège social est en France, dans la situation qu’elles connaissent aujourd’hui, sans penser aux conséquences ?
Mme Évelyne Didier. Selon vous, les gens qui se font écraser, ce n’est pas grave ?
M. Philippe Dallier. Qui, sur les travées socialistes, oserait nier que nos entreprises sont toujours confrontées à une situation très difficile en termes de compétitivité, alors que le Président de la République a fini par le reconnaître, en présentant ses vœux aux Français le 31 décembre 2013 ?
Qui pourrait le nier, alors que, à la suite du mea culpa fiscal du Président de la République, le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, est allé jusqu’à faire profession de foi en faveur des entreprises, déclarant devant le congrès du MEDEF, qui n’en revenait pas : « J’aime l’entreprise ! » ?
Qui pourrait le nier, alors que, en dépit de la lente montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE, censé corriger l’avalanche de taxes et d’impôts des années 2012 et 2013, le taux de marge des entreprises françaises était encore l’an dernier l’un des plus faibles d’Europe et même du monde ?
Mes chers collègues, si vous partagez ce constat, qui est aussi celui du Président de la République et du Premier ministre, qu’êtes-vous en train de faire ?
Croyez-vous sincèrement aider nos entreprises à reconquérir des parts de marché, alors qu’elles font trop souvent face, en France, à une surréglementation, le plus souvent du fait d’une surtransposition du droit européen ?
Mme Évelyne Didier. Les multinationales ne paient pas d’impôts !
M. Philippe Dallier. Faut-il encore en rajouter, alors que nos entreprises ont connu une chute de leurs parts de marché dans le commerce mondial de 3,1 % sur les biens au premier trimestre de 2015 et de 3,5 % sur les biens et les services en 2014 ?
Vous appelez de vos vœux la croissance. Mais elle n’atteindra probablement que 1,2 % en 2015. Et encore ! C’est grâce à des facteurs exogènes, comme la baisse de l’euro, la baisse du coût des matières premières ou la faiblesse des taux d’intérêt. Et vous prendriez le risque d’imposer à nos entreprises des contraintes nouvelles que nulle autre entreprise au monde ne supportera ? Ce n’est ni raisonnable ni très cohérent.
Mme Évelyne Didier. Et c’est raisonnable de laisser les gens mourir ?
M. Philippe Dallier. Cette proposition de loi ajoute à l’évidence de la complexité et des coûts dans la gestion de nos entreprises. C’est donc un texte antiéconomique. Vous n’en évaluez pas les conséquences. D’ailleurs, vous ne pouvez pas les évaluer.
La proposition de loi impose une obligation de résultat. Les entreprises seront soumises à la « mise en œuvre effective » d’un plan de vigilance. En d’autres termes, la simple survenance d’un dommage sera la preuve de l’insuffisance du plan, qui n’aura pas été en mesure de le prévenir.
Il résultera de cette obligation de résultat des contraintes bureaucratiques lourdes et des contrôles nécessaires de tous les sous-traitants, y compris à l’étranger. Chers collègues, vous nous expliquerez comment vous allez pouvoir traduire cela dans les textes. Les entreprises soumises à cette obligation connaîtront in fine une hausse de leurs coûts de production. C’est une évidence.
Il faut également s’attendre à une multiplication des contentieux. L’injonction à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas leur obligation est ouverte à « toute personne justifiant d’un intérêt à agir ». Ainsi, tout syndicat, toute association, toute organisation non gouvernementale, ou ONG, arguant d’une préoccupation plus ou moins liée à la responsabilité sociale de l’entreprise pourra saisir le juge.
En cas de condamnation, les entreprises seront soumises à des pénalités particulièrement lourdes. L’amende civile peut en effet aller jusqu’à 10 millions d’euros. C’est un montant disproportionné lorsqu’il s’agit d’une simple erreur d’appréciation, d’un défaut d’établissement du plan de vigilance ou encore de son insuffisance.
Mme Évelyne Didier. Et s’il y a des morts ?
M. Philippe Dallier. Le texte prévoit également l’obligation de publier, diffuser ou afficher la décision du juge selon les modalités qu’il précise.
Oui, ces dispositions auront des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises, grandes ou petites ! Elles feront le bonheur de la concurrence étrangère, qui n’en demande pas tant.
Songez-y, mes chers collègues : ce texte concernera les 217 grandes entreprises françaises qui, selon les chiffres de l’INSEE en 2011, représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires réalisé à l’export ! L’adoption de cette proposition de loi entraînera à coup sûr une dégradation de notre balance commerciale, qui n’en a pas besoin !
Mme Évelyne Didier. Combien de morts peut-on encore supporter ?
M. Philippe Dallier. Par ailleurs, mes chers collègues, interrogez-vous sur le risque encouru de pousser ces entreprises à se délocaliser ! Interrogez-vous sur le signal adressé aux investisseurs étrangers, qui seront encore moins enclins à choisir la France !
Voulez-vous fragiliser les entreprises de taille intermédiaire et les PME françaises qui travaillent avec les grandes entreprises nationales ? C’est toute la chaîne de production qui aura à en subir les conséquences ! Les grandes entreprises, pour se garantir, devront répercuter sur leurs sous-traitants le coût de contraintes qui n’existent nulle part ailleurs et que les petites entreprises n'auront pas les moyens matériels d'assumer. C’est encore une évidence.
M. Joël Labbé. C’est du chantage !
M. Philippe Dallier. Enfin, vous créeriez un nouvel effet de seuil pour les entreprises de taille intermédiaire de moins de 5 000 salariés, qui pourraient évidemment hésiter à embaucher pour ne pas être soumises à une obligation aussi lourde.
Mme Évelyne Didier. Elles n’embauchent déjà pas !
M. Philippe Dallier. Vous devriez peut-être vous demander pourquoi, ma chère collègue ! Il est possible que cela ait un rapport avec vos nombreuses propositions « frappées au coin du bon sens », comme la taxe à 75 % ou le matraquage fiscal !
M. Joël Labbé. Ici, nous parlons d’autre chose !
M. Philippe Dallier. La conséquence, c’est que les contribuables qui le peuvent s’en vont !
Vos textes sont inapplicables ! Ils ne rapportent pas d’argent ! Ce sont ceux qui auraient les moyens de payer des impôts qui ne sont plus là ! Et vous voudriez courir le même risque avec les entreprises ? Vous vous moquez peut-être des délocalisations, mais permettez-nous de nous en soucier !
Mme Évelyne Didier. Nous, on ne se moque pas des morts !
M. Philippe Dallier. En fragilisant encore un peu plus le tissu entrepreneurial français et la compétitivité des entreprises, c’est bien sur l’emploi en France que la proposition de loi aura des répercussions.
Au-delà des arguments économiques, il y a de vrais problèmes juridiques. Je vais en dresser la liste. Le Conseil constitutionnel aura certainement à en connaître.
Tout d’abord, le texte méconnaît l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. Aucune entreprise n’a les moyens de savoir ce que doit comporter le plan de vigilance ou ce que sont les « mesures de vigilance raisonnable » à mettre en œuvre.
Mme Évelyne Didier. Bien sûr que si !
M. Philippe Dallier. Le renvoi à un décret emporte la critique de l’incompétence juridique née de l’article 34 de la Constitution.
Ensuite, la proposition de loi viole les exigences constitutionnelles en matière pénale. L’amende civile constitue une sanction et doit, de ce fait, respecter le principe de légalité pénale. Cela implique un impératif de précision que le texte ne respecte ni sur la définition du champ d’application, ni sur la qualification juridique de l’infraction, ni sur le référentiel applicable. S’agira-t-il de la loi française ? De la loi locale ? D’un autre référentiel ? Nous n’en savons rien.
De même, le texte ignore le principe d’égalité. Seules les entreprises dont le siège est en France seront concernées par ce texte. Leurs concurrentes pourront continuer à vendre sur le territoire national des produits ne répondant pas aux mêmes exigences.
Le critère retenu du nombre de salariés est dépourvu de tout rapport avec les finalités que le dispositif affirme poursuivre. En témoigne la récente décision du Conseil constitutionnel censurant le plafonnement des indemnités de licenciement en fonction de la taille de l’entreprise.
Enfin, la proposition de loi se heurte à la garantie des droits.
M. Didier Marie. Vive l’esclavage !
M. Philippe Dallier. Lorsqu’un dommage se réalisera du fait d’une filiale ou d’un sous-traitant, les sociétés mères seront considérées comme coupables de ne pas avoir conçu ou mis en œuvre un plan de vigilance suffisant. Mais elles ne disposeront d’aucune possibilité de dégager leur responsabilité en démontrant leur absence d’implication ou de faute.
Voilà pour les arguments juridiques.
En réalité, ce texte révèle un léger problème de méthode au sein du Gouvernement et, plus généralement, au sein de la majorité. Je veux parler de ces allers et retours incessants. D’un côté, nous avons un discours pro-entreprise, pro-business, lorsque le Premier ministre appelle de ses vœux le retour de la croissance et affirme devant le patronat français son intention de tout faire pour soutenir la compétitivité des entreprises.
M. Joël Labbé. Pas à n’importe quel prix !
M. Philippe Dallier. De l’autre, nous avons cette proposition de loi, qui est un simple cadeau fait à une partie de la majorité, en l’occurrence la gauche de la gauche, au moment du vote du budget.
Mme Évelyne Didier. Ne vous inquiétez pas pour la gauche de la gauche !
M. Philippe Dallier. On sait bien combien cette période est difficile pour la majorité. C’est ce qui conduit le Gouvernement à lâcher un peu de lest…
Ce qui est un peu déroutant, c’est le double langage du Premier ministre. Il est capable à la fois de se montrer pro-business et d’accepter ce texte, qui pose de réelles difficultés à nos entreprises. Je pense que vous pourriez au moins entendre ces arguments.
De notre côté de l’hémicycle, personne n’est dupe. Quelle que soit la destinée de cette proposition de loi, le Gouvernement n’aura réussi qu’une chose : dégrader encore un peu plus le climat de confiance. Nous n’en avons pas besoin !
Par conséquent, le groupe Les Républicains se prononcera bien évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, dans le contexte national, il est évidemment très délicat d’aborder un tel débat, même si nous l’attendions avec impatience. Des représentants du Bangladesh devaient être en France ces jours-ci ; nous espérions pouvoir évoquer ce texte avec eux. Ils ont reporté leur séjour, pour des raisons faciles à comprendre.
Malgré l’état d’urgence, la démocratie parlementaire reprend ses droits et, avec elle, la discussion. Je sens poindre un débat tout en nuances, agrémenté de positions très équilibrées, comme en témoigne l’intervention du précédent orateur ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Dallier. Parlez pour vous, cher collègue !
M. Jérôme Durain. Je m’en félicite, parce que cela fait partie intégrante de la démocratie.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu le bon goût de renoncer à défendre votre motion préjudicielle. Ce procédé inusité aurait empêché le débat. Il me semble préférable de discuter, d’amender, et non d’esquiver. Je regrette donc que vous n’ayez pas souhaité améliorer ce texte, alors même que vous prétendez partager bon nombre de ses objectifs.
Dans la mesure où nous faisons le droit national, je ne comprends pas que vous souhaitiez ajourner nos débats en attendant l’avis de Bruxelles. C’est doublement étonnant.
Premièrement, avec un tel raisonnement, la France n’aurait pas été pionnière en matière de responsabilité sociale des entreprises. Les avancées législatives françaises de 2001 et de 2010 du « Grenelle II » n’auraient pas existé, l’Europe ne s’étant pas encore prononcée à l’époque. Fort heureusement, les gouvernements, l’un de droite, l’autre de gauche, n’ont pas attendu la permission de Bruxelles pour avancer sur ces dossiers. Celui qui fixe les règles du jeu international, celui qui montre l’exemple, dispose bien souvent d’un avantage compétitif.
Deuxièmement, Dominique Potier, l’un des rédacteurs du texte que nous étudions aujourd’hui, affirme que, avec un tel raisonnement, nous n’aurions pas pu abolir l’esclavage. La comparaison peut sembler osée.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Voire stupide !
M. Jérôme Durain. Pourtant, les faits la valident. L’esclavage n’a pas été abrogé en un jour par un accord concerté de l’ensemble des nations. Les abolitionnistes ont dû lutter, chacun dans leur pays respectif, pour l’obtenir.
C’est dans cette logique que nous nous inscrivons. On ne cesse pourtant de nous répéter : « plus tard », « ailleurs », « pas ici », « pas maintenant ». On nous demande, comme le faisait M. Dallier à l’instant, si nous avons bien pensé aux parts de marché de nos entreprises.
Nous l’avons bien compris : sur ce type de sujet, ce n’est « jamais le bon endroit; jamais le bon moment ». Puisque les opposants à ce texte invoquent l’argument de la compétitivité, je centrerai mon propos sur l’économie.
Le monde dans lequel nous vivons change, très vite. Le consommateur et le citoyen sont une seule et même personne. Et cette personne considère évidemment le prix avant de procéder à un achat, surtout si elle connaît des difficultés, mais ce n’est pas son seul critère. Elle pense également aux conséquences en termes d’emploi, d’environnement et de respect des droits de l’homme. Pourquoi croyez-vous que les consommateurs soient de plus en plus exigeants sur la traçabilité des produits qu’ils achètent ? Pourquoi croyez-vous qu’ils se tournent vers le made in France aujourd'hui ?
Tout simplement parce qu’ils regardent le monde tel qu’il est, et pas tel qu’ils souhaiteraient le voir ! Ils savent que les multinationales ne sont pas toujours vertueuses, qu’il faut parfois encourager les grands groupes à améliorer la mondialisation et qu’il faut parfois recourir à la loi. C’est la raison pour laquelle je soutiens ce texte aujourd’hui.
Je suis conscient des progrès accomplis par les grands groupes en matière de responsabilité sociale et environnementale. Le 3 novembre dernier, le géant suédois du textile H&M, la fédération syndicale internationale IndustriAll Global Union et le syndicat suédois IF Metall ont signé un accord-cadre mondial sur le respect des droits fondamentaux dans la chaîne d’approvisionnement. En bougeant sur le sujet, ils nous ont montré la voie à suivre. Accompagnons-les ! Cessons d’être à la remorque ! Quand les groupes seront devenus plus compétitifs parce que les consommateurs auront reconnu leurs efforts, ils nous remercieront !
Je veux d’ailleurs reprendre un argument qui a été développé par notre collègue Évelyne Didier lors de la première partie de ce débat. Nos entreprises craignent moins des règles exigeantes qu’une absence de règles et une insécurité juridique permanente. Pour preuve, selon le baromètre HEC, 93 % des grands donneurs d’ordre européens considèrent les achats responsables comme une priorité.
Cette semaine, le Forum pour l’investissement responsable s’est déclaré favorable à notre proposition de loi, avec des arguments similaires. Ses membres déclarent que la transparence et l’information sont « des conditions nécessaires à l’analyse des investissements ». Ils soulignent également que l’analyse des controverses est « devenue, ces dernières années, une question-clé pour les investisseurs responsables ». À leurs yeux, le plan de vigilance sera « un outil technique utile pour l’analyse de ces controverses ».
Avec de telles références, j’espère vous convaincre, monsieur Frassa. Les acteurs économiques ne raisonnent plus seulement « prix et de qualité ». Ils pensent aujourd’hui « coût total de possession », acceptant un coût unitaire plus élevé s’il leur garantit la pérennité et la fiabilité des livraisons.
Et si ma voix ne suffisait pas à vous faire changer d’avis sur ce texte, je tiens à vous rappeler la multitude de soutiens publics à cette initiative. Je pourrais mentionner M. Berger, de la Confédération française démocratique du travail, la CFDT, M. Lyon-Caen, juriste émérite, l’ensemble des syndicats au moment de la conférence sociale ou les ONG, notamment via la plate-forme Éthique sur l’étiquette.
En tant que sénateurs, nous ne sommes pas, je crois, « spectateurs du désespoir », pour reprendre une jolie formule des rappeurs du groupe IAM. Nous pouvons aussi être les acteurs de l’espoir. Pour cela, il nous appartient de passer aux actes et de voter ce texte. Prise lors de la semaine de la solidarité internationale, cette décision serait utile à nos entreprises ici et à tous les salariés, où qu’ils soient. Ce serait une réelle avancée sociale et un beau symbole ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’intention des auteurs de ce texte est peut-être très noble.
Mais nous savons malheureusement que les meilleures intentions peuvent tourner au cauchemar, surtout lorsqu’elles sont motivées par l’émotion. Or l’émotion était particulièrement intense à la suite de la tragédie du Rana Plaza.
Devons-nous opter pour un dispositif qui n’existe nulle part au monde et dont la rédaction est si vague qu’elle ouvre des brèches considérables dans le besoin de stabilité juridique des entreprises, placées dans un climat concurrentiel très difficile ?
Les normes auxquelles le plan de vigilance est censé veiller sont trop larges. On ne sait pas sur la base de quel droit – local, français ou international – elles s’appliqueront.
Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi. Le dispositif sera très coûteux, voire impossible à mettre en œuvre pour toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs. Les TPE et PME françaises seront confrontées à une difficulté particulièrement importante – je ne parle pas là des groupes du CAC 40 –, car les grandes entreprises concernées demanderont des garanties et des plans de vigilance en cascade à leurs sous-traitants et fournisseurs, créant un poids administratif et financier supplémentaire pour les petites entreprises et des risques de contentieux considérables pour toutes les entreprises.
Je veux illustrer mon propos. Que faut-il entendre par des « mesures de vigilance raisonnable, propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires » ? Presque chacun de ces mots suscite des interrogations.
Certes, la jurisprudence comblera les blancs laissés par le législateur. Mais les entreprises y verront une nouvelle épée de Damoclès, qui les rendra encore un peu plus vulnérables.
Le rapport de l’Assemblée nationale évoque, pour justifier l’intervention du législateur, une « exigence internationale ». Justement, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Nos entreprises doivent-elles supporter seules une nouvelle charge normative ? L’échelle pertinente sur le sujet dans un monde de concurrence internationale est-elle la France ? Bien sûr que non ! D’ailleurs, le Parlement européen le reconnaît dans sa résolution du 29 avril dernier, dans laquelle il demande à la Commission et au Conseil des initiatives « au niveau de l’Union ».
Que le Gouvernement s’attelle donc à la transposition de la directive du 22 octobre 2014, concernant la publication des informations non financières ! Il ne lui reste pas grand-chose à faire : la précédente majorité a largement anticipé ce texte, en adoptant l’article 225 de la loi Grenelle II, qui est déjà partiellement conforme à la directive.
Au demeurant, les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE, notre pays faisant même figure de leader mondial en la matière. Ainsi, 47 % de nos entreprises ont un système de management de la RSE considéré comme performant et exemplaire, contre seulement 40 % des entreprises au sein l’OCDE.
La responsabilité est au cœur du projet politique de la majorité sénatoriale. Mais la responsabilité a pour contrepartie la liberté. Cette liberté de conception et d’action est la condition sine qua non du progrès économique et social. Pas de responsabilité sans liberté !
Mme Nicole Bricq. Le contraire est vrai aussi !
M. Michel Vaspart. Pour cette raison, une société bridée, mise sous tutelle, infantilisée est prompte à se défausser de ses responsabilités.
Que nous propose-t-on ? Ce texte, autant qu’un dispositif juridique, est un état d’esprit ! On stigmatise nos entrepreneurs. On considère l’entreprise non comme créatrice de richesses, mais comme source de dommages. On n’encourage pas ; on sanctionne. On ne valorise pas ; on châtie. On ne fait pas confiance ; on soupçonne.
À propos de confiance; permettez-moi de vous rappeler une déclaration : « Vous êtes des chefs d’entreprise, donc vous prenez des risques, pour vous-mêmes, parfois pour votre famille. Vous prenez des risques aussi pour que notre pays soit plus fort, qu’il crée plus d’emplois, qu’il ait plus de richesse et qu’elle soit distribuée.
« C’est la raison pour laquelle nous devons avoir, avec les chefs d’entreprise […], une relation de confiance. »
Cet appel à la confiance a été adressé par le Président de la République aux entrepreneurs voilà quatre mois. Mais, lors du débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a donné un signal politique tout à fait contraire en soutenant ce texte. Comment parler de confiance dans ces conditions ? Pour ma part, je retiens ce que nous disent les entrepreneurs que nous rencontrons depuis des mois avec la délégation sénatoriale aux entreprises, sous l’impulsion de sa présidente Élisabeth Lamure : « Laissez-nous travailler ! »
Mme Évelyne Didier. Laissez les salariés mourir !
M. Michel Vaspart. Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.
proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre
Article 1er
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-4. – I. – Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Les mesures du plan visent également à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société et des sociétés qu’elle contrôle.
« Le plan de vigilance est rendu public et inclus dans le rapport mentionné à l’article L. 225-102.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de présentation et d’application du plan de vigilance, ainsi que les conditions du suivi de sa mise en œuvre effective, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale.
« II. – Toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut demander à la juridiction compétente d’enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, d’établir le plan de vigilance, d’en assurer la communication au public et de rendre compte de sa mise en œuvre conformément au I.
« Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins.
« III. – Le juge peut prononcer une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal. »
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.
Mme Évelyne Didier. Nous l’avons compris, avec les amendements de suppression déposés par la commission, il ne nous sera pas possible de défendre nos propres amendements. Compte tenu des propos que nous avons entendus, nous ne nous faisons guère d’illusions.
Aussi, je tiens à rappeler les raisons pour lesquelles nous avions déposé nos amendements.
À l’article 1er, nous souhaitions rappeler les éléments qui nous semblent essentiels pour donner toute son effectivité à cette proposition de loi.
L’amendement n°5, que nous considérions comme un amendement d’appel, visait à souligner la difficulté d’identifier la chaîne de la sous-traitance. Nous voulions montrer la perfectibilité de la proposition de loi s’agissant de l’identification de la chaîne de valeur.
En effet, la notion de « relation commerciale établie » risque de ne pas englober la sous-traitance en cascade, qui est pourtant mentionnée dans l’exposé des motifs. Nous proposions tout simplement une plus grande clarté dans la rédaction, afin de rendre le texte de la proposition de loi conforme aux objectifs de l’exposé des motifs.
Certes, la notion de « relation commerciale établie » est plus large que celle d’influence réelle. Mais elle reste sujette à interprétations. Le rapporteur à l’Assemblée nationale en a ainsi donné la définition suivante : « relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir ». Il semble donc que soient exclus les cocontractants occasionnels, même lorsqu’il s’agit de commandes extrêmement importantes. Notre amendement aurait permis de mieux appréhender la réalité complexe des chaînes de valeur.
De même, et c’était l’objet de notre amendement n° 6, il est impensable que les syndicats et les représentants du personnel ne soient pas informés du contenu du plan de vigilance. Ils sont parties prenantes d’une démarche RSE. Il nous semble donc essentiel que la présentation de ce plan devant le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail soit mentionnée dans la proposition de loi.
Enfin, nous pensons, et c’était l’objet de notre amendement n° 7, qu’il n’est pas opportun de plafonner l’amende civile à 10 millions d’euros en cas de non-respect de la mise en place du plan de vigilance. Cette disposition peut fragiliser le texte. En effet, selon de nombreux juristes, en cas de saisine, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait considérer que cette amende civile possède en fait, de par sa nature comminatoire, un caractère pénal et que le devoir de vigilance n’est pas suffisamment défini dans le texte, en contradiction avec le principe de légalité des délits et des peines.
C’est pourquoi il nous paraîtrait plus judicieux que le juge puisse prononcer une amende proportionnée au chiffre d’affaires de la société ou du groupe concerné. Cela se révélerait in fine bien plus dissuasif.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur, chers collègues de droite, vous avez choisi une stratégie : trois articles, trois suppressions ! C’est votre choix. Il est respectable. Vous le fondez sur deux motifs.
Le premier est d’ordre juridique. Vous ne voulez ni d’une loi contraignante ni de dérogations au droit commun de la responsabilité. Or, ayant lu le rapport écrit de la commission avec attention, comme je le fais toujours, je constate que vous citez vous-même des dérogations au code du travail, monsieur le rapporteur ! Il existe déjà une dérogation au droit de la responsabilité par rapport au travail dissimulé.
Votre second motif est d’ordre économique. Selon vous, il y aurait un risque disproportionné pour la compétitivité et l’attractivité des entreprises françaises à l’échelle européenne et mondiale. Cet argument vous permet, fort habilement, je le reconnais, de vous en remettre à la directive européenne relative au reporting extrafinancier, que nous devons transcrire dans notre droit national avant la fin de l’année 2016, comme tous les États membres. Il eût été intéressant de nous indiquer votre conception de la transposition. Mais vous n’en parlez pas !
Vous faites le choix de la facilité, en vous réfugiant derrière les principes directeurs de l’OCDE. Je connais bien ce sujet, pour avoir été le point de contact entre la France et cette institution dans une vie antérieure ; je suis souvent intervenue à cet égard à la suite du drame du Rana Plaza. Vous l’avez souligné tout à l’heure, notre pays est un bon exemple, souvent cité, pour tous les pays de l’OCDE. Les entreprises françaises appliquent la RSE du mieux qu’elles peuvent.
La question qui est posée à tous les parlementaires, de droite comme de gauche, est celle de ce que nous pouvons faire à l’échelle nationale pour rendre effectifs les principes de la responsabilité sociale des entreprises ? Or vous ne voulez pas y répondre !
Quand M. le Premier ministre a conclu la conférence sociale du 19 octobre dernier, il a adopté un point de vue différent du vôtre. Vous, vous considérez uniquement la contrainte ; lui a insisté sur le fait que la responsabilité sociale était davantage un levier pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité de l’implantation en France. Il a dit très intelligiblement qu’un tel levier était efficace pour le suivi de la COP 21 et la préparation de la Conférence internationale du travail, qui doit se tenir à Genève au mois de juin 2016.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Bricq. L’article 1er de la proposition de loi tend à créer un plan de vigilance. Si vous aviez été constructifs, vous auriez dû nous aider à définir le contenu des modalités du plan, au lieu de dénoncer le renvoi à un décret en Conseil d’État.
Vous avez choisi une autre méthode, celle qui consiste à écarter le sujet. Pourtant, cette proposition de loi nous invite à réfléchir ; c’est sa grande vertu. Il est dommage que vous ne vouliez pas répondre à cette invitation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, avec votre permission, je prendrai un peu plus de temps pour présenter l’amendement n° 14. L’argumentaire que je développerai vaudra également défense des amendements nos 15 et 16.
La présente proposition de loi a, certes, un objectif vertueux : faire davantage contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme et des normes sanitaires et environnementales, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le monde. La commission des lois a cependant conclu à son rejet, pour trois séries de raisons.
En premier lieu, le texte comporte de nombreuses imprécisions et ambiguïtés juridiques : incertitude sur l’éventuelle portée extraterritoriale pouvant résulter de l’extension du plan de vigilance aux sous-traitants et fournisseurs étrangers ; imprécision des normes de référence du plan de vigilance et contenu insuffisant du décret prévu pour préciser les dispositions relatives au plan ; incertitudes sur la procédure permettant d’enjoindre une société à établir le plan, et surtout sur celle permettant au juge de prononcer une amende civile en cas de manquement ; incertitudes sur la portée réelle du régime de responsabilité prévu en cas de manquement, du fait de l’extension du plan aux sous-traitants étrangers ; instauration d’une forme d’action de groupe permettant aux associations, en cas de manquement, d’agir en responsabilité sans être victimes ; obligation d’ingérence des sociétés mères dans la gestion de leurs filiales et sous-traitants.
Ces imprécisions soulèvent des interrogations d’ordre constitutionnel quant à de possibles atteintes au principe de clarté de la loi, à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au principe de responsabilité et au principe selon lequel nul ne plaide par procureur.
En deuxième lieu, alors que la portée des législations étrangères comparables est beaucoup plus limitée, ce texte, dépourvu d’évaluation préalable, risque de porter une atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France.
Les entreprises étrangères intervenant sur le marché français ne seraient pas soumises aux mêmes obligations, ce qui créerait en outre des distorsions de concurrence sur le marché européen.
Ces obligations auraient des conséquences sur les PME françaises sous-traitantes, du fait de l’extension du plan de vigilance, et imposeraient à l’ensemble des chaînes d’approvisionnement des grandes entreprises, en France et à l’étranger, des coûts de mise en œuvre et de contrôle du plan qui ne sont d’ailleurs pas évalués
En troisième lieu, l’Union européenne semble l’échelon pertinent pour traiter des préoccupations de ce texte, sur la base de la directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises. Cette directive prévoit que les entreprises doivent publier des informations sur leur politique de prévention des risques en matière sociale et environnementale, de droits de l’homme et de corruption, et rendre compte des procédures de diligence raisonnable qu’elles mettent en œuvre à cette fin.
Dans ces conditions, il n’est pas assuré que la proposition de loi soit un outil adapté pour atteindre efficacement l’objectif.
En conséquence, le présent amendement tend à supprimer l’article 1er de la proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Le gouvernement émet un avis tout à fait défavorable sur cet amendement.
J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le fond, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Je ne retire rien de ce que j’ai dit. Le Gouvernement souhaite que l’on puisse progresser dans l’examen de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Monsieur le rapporteur, vous avez d’abord tenté de bloquer l’examen de ce texte par le dépôt d’une motion préjudicielle, avant d’y renoncer devant la bronca soulevée.
Vous déposez à présent des amendements de suppression des différents articles de la proposition de loi,…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il fallait vous y attendre !
M. Didier Marie. … au lieu d’en débattre sur le fond, voire d’essayer de l’améliorer.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il n’y a rien à améliorer !
M. Didier Marie. Je dois vous reconnaître le mérite de la cohérence, dans la défense d’une certaine conception du fonctionnement du marché, libre et sans contrainte ou entrave. En revanche, je ne partage pas votre sens de l’action, ou plutôt de l’inaction politique.
Monsieur le rapporteur, dans le monde, et même dans notre pays, il existe des entreprises qui placent la recherche du profit au-dessus du respect des droits humains. (Mme Évelyne Didier acquiesce.) Cette approche, conforme aux préceptes de Milton Friedman, pour qui la responsabilité sociale des entreprises était de faire du profit, semble être partagée par M. Dallier.
Vous croyez à l’autorégulation du marché. Malheureusement, les faits vous donnent tort. Certains exemples récents, qui concernent parfois de grands groupes, comme Volkswagen ou Nestlé, en attestent.
Pour ma part, et en accord avec tous ceux qui soutiennent ce texte, je pense que la politique prime la dérégulation, qu’il est possible d’encadrer l’activité des entreprises pour prévenir le dumping social, environnemental et sur les droits humains. Je crois souhaitable de légiférer, y compris pour protéger les entreprises et renforcer leur compétitivité.
Vous considérez que la rédaction proposée comporte des imprécisions et des ambiguïtés juridiques.
Au contraire, ce texte est juridiquement fiable. Il repose – faut-il le rappeler ? – sur des fondements internationaux solides, qui s’imposent à tous les États les ayant ratifiés. C’est le cas de la France, ce dont nous pouvons être fiers.
Mais ces engagements ne peuvent se traduire dans la réalité que s’ils sont transposés dans le droit national. La Commission européenne nous incite à le faire. Nous vous proposons aujourd’hui de passer aux actes.
Ces textes, vous les connaissez. Il s’agit des principes directeurs sur les droits de l’homme et les entreprises, adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies au mois de juin 2011, des principes directeurs de l’OCDE sur la responsabilité des multinationales et des normes de l’Organisation internationale du travail.
Les bases juridiques relatives au droit français ne peuvent pas être plus claires. La notion de « relation commerciale établie » engageant la responsabilité d’une entreprise à l’égard de ses filiales et sous-traitants est définie à l’article L. 442-6 du code de commerce et par la jurisprudence qui en découle.
J’en viens à l’impossibilité supposée d’apporter la preuve matérielle du respect de la loi. Le texte fixe une obligation de moyens. Il suffira à l’entreprise d’édicter et de mettre en œuvre un plan qu’elle aura déterminé en fonction de son champ d’activité et de la connaissance des risques afférents.
Il y aurait donc un paradoxe à considérer que le marché peut s’autoréguler tout en demandant un cadre rigide s’appliquant uniformément et indistinctement à toutes les entreprises.
C’est la raison pour laquelle nous voterons contre votre amendement de suppression de l’article 1er. Nous ferons de même sur les autres amendements de suppression ; j’aurai l’occasion d’y revenir.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je ne reviens pas sur les arguments juridiques que notre collègue Didier Marie a développés. Je centrerai mon propos sur les motifs que la droite invoque pour réclamer la suppression des articles de ce texte.
Dans ce débat, nous ne sommes ni naïfs ni idéalistes. En revanche, l’économie nationale est bien mal défendue par vos conceptions vieillottes, ringardes et poussiéreuses, chers collègues de la majorité sénatoriale.
Nous défendons ce soir l’ambition d’une économie plus créative, plus ouverte au monde, s’adaptant aux nouvelles réalités de la mondialisation. Vous nous opposez des arguments cent fois entendus, anciens, racornis, sur une économie nationale qui devrait être beaucoup plus ouverte sur l’étranger, sur la mondialisation et sur ses conséquences sociales et environnementales.
L’ouverture de la COP 21 est proche. Il est donc de saison de rappeler la phrase prononcée par Jacques Chirac voilà quelques années : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ! » Ce soir, on serait tenté de dire : « Les enfants meurent et vous regardez ailleurs ! »
Nous voterons donc contre l’amendement de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Le groupe de droite a demandé un scrutin public. D’un point de vue stratégique, j’aurais dû me garder de faire de même, sachant qui est majoritaire et qui est minoritaire aujourd’hui.
Pourtant, je maintiens ma demande de scrutin public. Je veux que tout le monde, y compris les nombreux absents, puisse s’exprimer. Je vous le dis dans les yeux, chers collègues : j’espère que vous avez consulté les membres de votre groupe pour connaître la position de chacune et de chacun, en son âme et conscience, sur ce texte.
Vous me répondrez que la conscience n’a pas lieu d’être ici. Au contraire, il est temps qu’elle recouvre sa place ! Et tant pis si ce vocabulaire est inhabituel !
En tout cas, au nom du groupe écologiste, je soutiendrai ce texte, et je continuerai de le soutenir, même si ces amendements de suppression sont adoptés de soir. D’ailleurs, du point de vue du débat démocratique, ce serait lamentable ! J’en serais profondément attristé, à l’instar des trois quarts de nos concitoyens, qui sont favorables à la responsabilité sociale des entreprises, selon un sondage réalisé par l’institut CSA au début de l’année.
Vous pouvez bien mobiliser des arguties juridiques pour justifier votre rejet de ce texte. Mais ce sont les droits humains qui sont en jeu ! (L’orateur garde le silence pendant quelques instants.)
Mon silence est lourd de sens ; il signifie que les temps sont graves. Il est important de donner des signes forts à la population française. J’entends trop souvent dire que les politiques ne servent à rien et qu’ils sont impuissants face au pouvoir économique et financier. On ne croit plus en nous, et on conclut qu’il est inutile d’aller voter. Voilà votre responsabilité !
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.
M. Pascal Allizard. Je suis particulièrement gêné, et même choqué par la tonalité de ce débat.
Voilà cinq ans, dans la petite commune normande de 5 000 habitants dont je suis maire, un grand groupe multinational a fermé un site industriel, supprimant ainsi 330 emplois.
Le ministre chargé de l’industrie s’appelait à l’époque M. Besson. Je ne ferai pas de commentaires sur ce point, afin de ne pas être désagréable.
Mme Nicole Bricq. « Désagréable » pour qui ?
M. Didier Marie. Il était ministre de Nicolas Sarkozy !
M. Pascal Allizard. Mais rien n’a été fait.
Je le rappelle, un débat sur un texte tendant à interdire les licenciements boursiers a eu lieu dans cet hémicycle. À l’époque, j’étais seulement suppléant de sénateur. Le gouvernement actuel disposait alors de la majorité des sièges au sein de la Haute Assemblée. Pourtant, le texte n’est pas passé !
Quand j’entends parler de « conscience », je ne trouve pas cela de bon augure.
La fermeture du site de production que j’évoquais a eu lieu pendant la campagne présidentielle et législative de 2012. À l’époque, un futur ministre du redressement productif, M. Montebourg pour ne pas le nommer, est venu faire campagne dans ma commune, promettant que la fermeture du site serait empêchée en cas de victoire de son camp aux élections…
Vous avez gagné les élections, mais le site a fermé ! Je trouve donc curieux de vous entendre ce soir donner de leçons de morale et de bonne conscience !
M. Joël Labbé. Ce n’est pas le propos !
M. Pascal Allizard. Si ! C’est tout à fait le propos ! Nous courons le danger que nos concitoyens ne croient plus en la parole politique.
M. Joël Labbé. C’est vous qui le dites !
M. Pascal Allizard. Et, avec des débats comme celui de ce soir, nous alimentons la défiance.
Mme Évelyne Didier. La succession des arguments est remarquable !
M. Pascal Allizard. Pour autant, et c’est la cause de ma gêne, je pense que nous sommes saisis d’une véritable question.
Mme Nicole Bricq. Il faut donc y répondre !
M. Pascal Allizard. Malheureusement, avec cette proposition de loi, nous risquons d’y apporter une mauvaise réponse.
Mme Évelyne Didier. Il fallait l’améliorer !
M. Pascal Allizard. Ce texte risque de fragiliser encore plus la compétitivité nationale de la France.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard. La bonne réponse à la question, si elle existe, se situe nécessairement à l’échelon européen.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Effectivement, les auteurs de la proposition de loi soulèvent une vraie question ; le texte a précisément pour objet de tenter d’y répondre.
Peut-être la réponse proposée n’est-elle pas parfaite. Peut-être le texte comporte-t-il des imprécisions. Mais vous avez la possibilité de l’améliorer !
Depuis 2013, il existe auprès du Premier ministre une plate-forme RSE qui rassemble des industriels, des ONG, des administrations et des organisations représentatives de salariés. Elle a émis un certain nombre de propositions, en se penchant notamment sur le problème des entreprises donneuses d’ordre et de la sous-traitance. En particulier, elle a proposé un dispositif extrêmement intéressant au mois de juillet dernier. Il s’agissait de faire en sorte que l’entreprise donneuse d’ordre se dote des moyens d’audit et de contrôle nécessaires pour s’assurer du respect de sa politique tout au long de la chaîne de valeur de créations de richesses. Voilà une proposition qui pouvait figurer dans le fameux plan de vigilance ! Vous auriez pu la formuler.
Ce qui est inacceptable, c’est que vous ayez choisi la méthode du vide, en partant du principe que le texte n’était pas améliorable. C’est ce que j’ai entendu M. le président de la commission des lois affirmer tout à l’heure. Or c’est très grave. Notre travail de parlementaires est d’arriver à une construction politique. En refusant de le faire, vous n’assumez ni votre rôle ni vos responsabilités.
À propos de compétitivité, savez-vous que les grandes entreprises cotées sont notées par des agences de notations qui prennent en compte l’argument de la responsabilité sociale assumée par les entreprises, via leurs informations extrafinancières ?
Mme Évelyne Didier. Et les fonds d’investissement demandent cette notation !
Mme Nicole Bricq. Votre argument sur la compétitivité ne tient donc pas, notamment s’agissant des entreprises cotées en bourse. (M. Daniel Raoul applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Madame Bricq, il est assez paradoxal de vous entendre reconnaître que le texte n’est pas parfait…
Mme Nicole Bricq. Oui, je le reconnais !
M. Philippe Dallier. … et nous reprocher à nous de ne pas l’avoir amélioré ! C’est tout de même assez curieux de nous accuser de ne pas assumer nos responsabilités s’agissant d’un texte déposé par votre groupe !
Mme Évelyne Didier. Cessons ces arguties ! Parlons du fond !
M. Philippe Dallier. Que n’avez-vous proposé un texte parfait ?
Mme Nicole Bricq. Aucun texte n’est parfait !
Mme Évelyne Didier. Il était temps !
M. Philippe Dallier. Il est évident qu’un problème se pose. Personne ici ne prétend le contraire !
Mais, en l’état actuel, il ne nous paraît pas possible d’adopter des dispositions applicables aux seules entreprises françaises tandis que leurs concurrentes étrangères chez nous n’y seraient pas soumises !
Vous pouvez considérer que notre argument ne vaut pas. Mais nous, nous considérons qu’il vaut. Trouvons les moyens de régler au plus vite ce problème à l’échelon européen, afin d’éviter toute distorsion de concurrence.
Ne faites pas comme s’il y avait les bons et les méchants ! Ce débat a tout de même été légèrement caricatural… Certes, je peux comprendre que le sujet suscite de l’émotion.
M. Joël Labbé. Ce n’est pas de l’émotion ; c’est de la pensée politique !
M. Philippe Dallier. Excusez-moi d’avoir perçu de l’émotion dans vos propos, mon cher collègue ! Mais je continue de penser qu’il y en avait !
Faisons attention à la manière dont nous légiférons. À nos yeux, ce n’est pas possible d’appliquer une législation à nos seules entreprises.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai entendu certains orateurs évoquer ce qu’ils considèrent être les « arguments de la droite ».
Mes chers collègues, lorsque le rapporteur de la commission des lois s’exprime, il ne le fait pas au nom d’un groupe politique. Ce n’est ni la droite, ni la gauche, ni le centre, ni un autre groupe qui parle. C’est la commission des lois du Sénat qui s’exprime, après avoir procédé à de nombreuses auditions, avec le souci de remplir son devoir.
Son devoir, c’est de rédiger la loi de telle manière que les obligations créées soient prévisibles pour ceux auxquels elle s’applique et que les sanctions instituées puissent se fonder sur un cadre juridique clair.
Ce que la commission des lois reproche à ce texte, ce ne sont pas les intentions de ses auteurs, qui sont bonnes.
Mme Évelyne Didier. On ne l’aurait pas cru…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il n’y a pas, dans cet hémicycle ou à la commission des lois, ceux qui ont une conscience politique et une générosité qui les placent au-dessus de tout soupçon et ceux qui seraient seulement mus par des intérêts inavouables.
Mme Évelyne Didier. Prouvez-le !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y a des législateurs qui ne veulent pas créer d’incertitudes dans le droit applicable, en l’occurrence, à des entreprises.
Or il suffit d’une lecture pour constater que le texte est entaché non pas d’insuffisances de rédaction, mais d’une insuffisance grave de conception.
Obliger une entreprise à adopter un plan, au titre d’un devoir de vigilance, avec des obligations aussi floues que « prévenir la réalisation de risques d’atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires » revient à créer dans notre droit un ensemble d’obligations dont le champ n’est pas précisé, ouvrant la voie à des incertitudes contentieuses majeures.
M. Didier Marie. C’est faux !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui, nos entreprises ont une responsabilité sociale ! Elles doivent l’assumer. Mais le moyen que vous imaginez pour renforcer cette obligation n’est certainement le bon.
Nous devrons, en écrivant la loi, la concevoir non pas comme un décor de théâtre que l’on dresse pour tenir des discours politiques, mais comme un ensemble d’obligations précises qui permettent des sanctions effectives quand elles ne sont pas respectées. Ce n’est nullement le cas avec ce texte.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois vous invite à adopter l’amendement de suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. On ne peut pas laisser passer certains propos.
Les notations extrafinancières se multiplient. De plus en plus de fonds de toutes sortes demandent à disposer d’éléments de ce type pour pouvoir prendre des décisions d’investissement dans telle ou telle entreprise. C’est l’avenir !
Par ailleurs, vous vous souvenez tous de l’entreprise Tepco, qui possédait la centrale nucléaire japonaise qui a explosé. Les agences de notation extrafinancières sont les premières à avoir décelé les failles de cette entreprise, notamment, mais pas seulement, en matière de gouvernance. La responsabilité sociale et environnementale, c’est l’avenir pour des entreprises exemplaires.
Il n’est pas admissible, dans un débat comme celui-ci, de s’en tenir à des critiques de forme sans aborder le fond. Je ne fais pas de la morale. Je demande simplement que l’on soit sur des sujets de fond. Il est inacceptable de ne pas avoir de régulation permettant de prendre en compte la santé, la vie et l’environnement des personnes ! C’est pour cela qu’il y a la RSE et la notation extrafinancière !
Il eût fallu que vous vous inscriviez d’une façon bien plus intéressante et moderne dans ce débat. C’est d’abord cela que nous vous reprochons !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe écologiste et, l’autre, du groupe Les Républicains.
Je vous rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est supprimé, et les amendements nos 1, 4, 5, 6 et 7 n’ont plus d'objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.
L’amendement n° 1, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 225-102-4. – I. – Toute société dont le total du bilan dépasse vingt millions d’euros ou le montant net du chiffre d’affaires dépasse quarante millions d’euros et dont le nombre de salariés permanents employés au cours de l’exercice est supérieur à cinq cents établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
L’amendement n° 4, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger
par les mots :
dont le total du bilan est supérieur à vingt millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires net dépasse quarante millions d’euros et dont le nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l’exercice est au moins de cinq cents
L’amendement n° 5, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Après les mots :
relation commerciale
insérer les mots :
, directe ou indirecte,
L’amendement n° 6, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il est mis à l’ordre du jour de la première réunion du comité mentionné à l’article L. 4611-1 du code du travail qui suit sa publication.
L’amendement n° 7, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 8, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Toute personne mentionnée au II peut demander au juge de prononcer une amende civile proportionnée au chiffre d’affaires du groupe auquel appartient la société n’ayant pas respecté les obligations mentionnées au I.
Article 2
Après le même article L. 225-102-3, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :
« Art. 225-102-5. – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du code civil.
« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.
« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »
La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.
Mme Évelyne Didier. Là encore, nous regrettons de ne pas avoir la possibilité de travailler et d’améliorer ce texte.
Comme cela a été souligné lors des débats à l’Assemblée nationale, la référence aux articles 1382 et 1383 du code civil risque d’être contreproductive. Nous proposions donc de la supprimer. La responsabilité de l’entreprise mère pourrait être recherchée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Cela permettrait de faire face à l’ensemble des situations.
En effet, l’esprit de la proposition de loi est aussi d’aller vers la mise en place progressive d’une responsabilité du fait d’autrui. Il est dès lors contradictoire de vouloir l’exclure de manière explicite.
Ce texte n’est qu’un premier pas, mais un pas très intéressant, vers la mise en place d’une véritable responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre pour le manque de vigilance ou les fautes commises par leurs sous-traitants.
Nous savons – ce sont des mécanismes courants du droit des obligations – que ces dernières pourront toujours se retourner contre leurs sous-traitants. Il n’y a là rien de particulièrement scandaleux. C’est l’application simple de la théorie du risque-profit, qui complète la théorie du risque.
Cette théorie du risque, qui a été introduite une première fois en 1898 – cela ne date pas d’hier ! – avec la loi sur la sécurité du travail, prévoit qu’est responsable celui qui a commis une faute, mais également celui qui a créé un risque.
La théorie du risque-profit énonce simplement que celui qui tire profit d’une activité doit également assumer les responsabilités correspondantes, faute de quoi la situation serait évidemment inadmissible.
Il n’y a rien de scandaleux à faciliter les recours des victimes. Trop souvent, ces dernières n’ont pas les mêmes ressources que les entreprises donneuses d’ordre.
L’amendement n° 10 visait à assurer l’application du droit français en cas de conflit de lois et à répondre aux critiques sur le caractère inopérant du texte. La reconnaissance de la compétence des juridictions françaises doit s’accompagner explicitement de la reconnaissance de l’application du droit français en cas de mise en jeu de la responsabilité des sociétés ayant leur siège social en France.
Le règlement européen Rome II prévoit des exceptions en ce sens. Son article 7 donne à la victime d’une atteinte à l’environnement une option entre la loi du lieu du fait générateur et la loi du lieu où le dommage survient. Dans ce cas, le fait générateur du dommage est bien l’inexécution d’une obligation de vigilance. Il est localisé au siège de la société mère ou du donneur d’ordre. Notre amendement aurait permis simplement de montrer le caractère de « loi de police » de cette proposition.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement tend à la suppression de l’article 2, par coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Monsieur le rapporteur, selon vous, il ne faudrait en aucune façon instaurer un devoir de vigilance pour les entreprises de plus de 5 000 salariés.
Expliquez-nous donc pourquoi la plupart de celles qui dépassent le seuil en France se sont engagées dans une démarche de cette nature ! Dites-nous pourquoi de grands groupes, comme Veolia ou Bolloré, soutiennent l’initiative lancée par l’ensemble des ONG, des syndicats et des différents partenaires de la plate-forme RSE !
Tout d’abord, ils considèrent que la compétitivité ne peut pas ignorer le respect des droits humains.
Mme Évelyne Didier. Bien sûr !
M. Didier Marie. Mais ces groupes ont une autre raison de souhaiter l’adoption du texte : l’importance qu’ils accordent à l’opinion des clients !
Ils souhaitent conforter leur réputation et protéger leur marque, en prenant toutes les dispositions de vigilance qui s’imposent et en soutenant les bonnes pratiques. Ils espèrent rétablir un équilibre concurrentiel entre eux, qui sont vertueux, et leurs concurrents, qui ne le sont pas, délocalisent, pratiquent le dumping social ou environnemental et ne respectent pas les droits humains.
Ces grands groupes pensent que leurs clients sont sensibles à une telle démarche. En privilégiant la prévention, les entreprises raisonnent en coût total, pérennisant et fiabilisant leur chaîne de production. Cela leur permet d’éviter les accidents, les pollutions, les éventuels conflits sociaux, les ruptures de la chaîne de production en raison de la défaillance d’un sous-traitant qui serait non performant.
Vous affirmez que le devoir de vigilance ne peut être qu’européen. Effectivement, c’est l’échelon le plus pertinent. C’est la raison pour laquelle la France doit montrer le chemin.
De surcroît, nous sommes assez étonnés que vous renonciez à notre souveraineté nationale. C’est votre majorité qui a instauré, lorsqu’elle était aux responsabilités, avec la loi NRE et le Grenelle II, l’obligation pour les entreprises cotées de faire part à la fois de leurs engagements et des conséquences sociales et environnementales de leur activité.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Didier Marie. Cela a ouvert la voie à l’adoption de la directive sur le reporting non financier.
Nous vous proposons aujourd'hui de voter ce texte, afin que notre pays donne l’exemple à l’échelle européenne.
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. M. le président de la commission des lois a essayé de nous convaincre que les oppositions à ce texte étaient motivées seulement par des considérations juridiques. Or, de la motion préjudicielle aux arguments avancés ce soir, tout indique qu’il y a quand même un peu d’idéologie en l’occurrence !
La commission affirme que le texte est imprécis.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est aussi vrai !
M. Jérôme Durain. Dans ce cas, améliorez la rédaction !
Si vous êtes sincères lorsque vous affirmez partager nos objectifs, contribuez à faire en sorte que ce texte puisse devenir réalité et prendre force de loi !
Nous ne sommes pas inconséquents. Nous sommes plusieurs à faire partie de la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure. Nous parcourons tout le pays. Nous écoutons les chefs d’entreprise. Nous prenons connaissance de leurs difficultés. Nous discutons des améliorations législatives à apporter pour que les TPE et les PME puissent se développer. Or, en écoutant vos arguments, je n’ai pas eu l’impression que c’est cette économie-là qui vous intéressait.
D’ailleurs, il ne me semble pas que la politique industrielle de la droite ces dernières années ait été un grand succès.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous nous faites encore le coup du bilan !
M. Daniel Gremillet. C’est incroyable !
M. Jérôme Durain. Il a tout de même fallu attendre que nous revenions au pouvoir en 2012 pour retrouver un semblant de politique industrielle ambitieuse. Le made in France, c’est nous ! Le redressement productif, c’est nous ! Les trente-quatre plans d’avenir, c’est encore nous !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous voulez vraiment que nous parlions de bilan ?
M. Jérôme Durain. Nous n’avons donc pas de leçons de droit ou d’économie à recevoir !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Et nous de morale !
M. Jérôme Durain. En revanche, il me semble que nous pourrions vous donner quelques leçons d’humanité !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je reste profondément convaincu que les choses vont avancer. Le texte sera évidemment repris à l’Assemblée nationale. Le débat public national aura lieu, car la presse, je l’espère, jouera son rôle et animera le débat public. Il est important que la population puisse s’approprier ces questions et véritablement contrôler l’action des responsables politiques que nous sommes, avec toutes les responsabilités qui nous incombent.
Tant pis si mes propos ont été dérangeants ! Il y avait peut-être de l’émotion, mais elle était fondée sur une véritable conviction politique, partagée par une bonne partie de nos collègues ici ! Je ne prétends qu’il y aurait les bons d’un côté les bons et les mauvais de l’autre. Je constate simplement que nous ne vivons pas dans le même monde et que nous ne parlons plus le même langage.
Mais nous finirons bien par y arriver !
Mme Évelyne Didier. Quel optimisme ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 2 est supprimé, et les amendements nos 3, 8, 9, 10, 2 et 11 n’ont plus d'objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.
L'amendement n° 3, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 225-102-5. – Les sociétés visées à l’article L. 225-102-4 du code de commerce qui méconnaissent les dispositions du présent article ou les mesures de diligence qu’elles devraient mettre en œuvre sont solidairement tenues responsables avec la personne responsable de réparer le dommage que le plan de vigilance était destiné à prévenir.
L'amendement n° 8, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 225-102-5. – En cas de non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4, la société est solidairement responsable des dommages causés par la réalisation des risques visés à cet article. La société mère ou l'entreprise donneuse d’ordre doit apporter la preuve qu’elle a pris toutes les mesures en son pouvoir pour assurer son obligation de vigilance.
L'amendement n° 9, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
dans les conditions prévues aux articles 1382 et 1383 du code civil
L'amendement n° 10, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
quel que soit le lieu de réalisation du dommage et du fait générateur
L'amendement n° 2, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, et l'amendement n° 11, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, étaient identiques.
Tous deux étaient ainsi libellés :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il incombe à la société mère ou donneuse d’ordre de démontrer qu’elle a bien mis en œuvre les mesures en son pouvoir pour assurer son obligation de vigilance.
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 4612-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° De contribuer au suivi de la mise en œuvre des dispositions concernant la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs inclues dans le plan de vigilance mentionné à l’article L. 225-102-4 du code de commerce, dans les sociétés où ce plan existe. »
Compte tenu de la suppression des articles 1er et 2, cet amendement n’a plus d’objet.
Article 3
Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
L’amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l’euro.
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de conséquence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet amendement de suppression était adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.
Quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’amendement ?...
La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je regrette que nos collègues de la majorité sénatoriale aient fui la discussion, essayant à différentes reprises de l’escamoter, que ce soit en commission, en déposant une motion préjudicielle, ou en séance, en supprimant l’ensemble des articles.
Néanmoins, le texte poursuivra sa route, et il finira par être adopté. Je me réjouis donc que la France montre, dans quelque temps, la voie à suivre à l’échelle européenne, en mettant en œuvre un devoir de vigilance pour l’ensemble des grandes entreprises de notre pays et de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je reste convaincu que le positionnement de la majorité sénatoriale s’explique par des pressions exercées par des organismes ne représentant pas le monde économique français dans sa globalité !
L’avenir est évidemment à l’éthique. À la veille de la COP 21, c’est seulement ainsi que l’on pourra envisager un avenir stable, durable et vivable !
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Lutter contre la sous-traitance en cascade est un objectif que nous défendons avec constance depuis de nombreuses années en raison de la dilution des responsabilités. Ainsi, à l’occasion de la rédaction de son rapport d’information sur les travailleurs détachés, notre collègue Éric Bocquet avait formulé une proposition qui s’applique d’ores et déjà en Allemagne – je le dis pour ceux qui craignent la concurrence faussée ! –, à savoir la limitation à trois du nombre de niveaux de sous-traitance.
Répondant aux critiques qui avaient été émises à l’encontre de cette idée, notamment au regard de la liberté d’entreprendre, nous proposons toujours une mesure de responsabilité sociale et environnementale : permettre aux donneurs d’ordre publics de préciser dans leurs appels d’offres, sur la base du volontariat, que la personne ou l’entreprise remportant le marché public devra limiter la délégation de ses missions, sans toutefois préciser un nombre précis de degrés de sous-traitance.
Mes chers collègues, tous les observateurs s’accordent à dire que chaque degré de sous-traitance supplémentaire s’accompagne d’une dégradation des conditions de vie, de rémunération et de travail des salariés, mais aussi d’une dégradation de la prise en compte des contraintes environnementales.
Nous le savons tous, la chaîne de sous-traitance peut parfois être complexe et atteindre huit ou neuf échelons ; c’est une réelle difficulté en matière de responsabilité. On comprend bien que l’obligation de vigilance à l’égard des sous-traitants puisse être difficile à mettre en œuvre. Comment engager ou prouver la responsabilité d’un donneur d’ordre pour le comportement fautif d’un sous-traitant au quatrième, au cinquième ou au sixième degré, voire au-delà ? Nous proposons donc de limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance.
La proposition de loi dont nous venons de débattre aurait dû être l’occasion d’atténuer le caractère systémique et accidentogène de la sous-traitance en cascade. Nous ne pouvons que regretter une telle occasion manquée. Je tiens à vous faire part de notre incompréhension. Je ne suis pas du tout certaine que ceux qui se présentent habituellement comme les défenseurs des entreprises leur rendent service en défendant une position aussi archaïque, pour reprendre l’expression de notre collègue.
De plus en plus de fonds d’investissement réclament le développement de la notation extrafinancière ; certains, notamment des fonds suédois, ne veulent plus investir dans le carbone ou le pétrole. L’avenir est dans la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, et non dans ce qui est défendu aujourd’hui par certains groupes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Je dois avouer que je n’avais pas beaucoup regardé ce texte avant le début de son examen en séance. Depuis, je l’ai parcouru rapidement. J’ai aussi écouté les propos des uns et des autres.
À mon avis, le problème que soulèvent les auteurs de cette proposition de loi est réel ; il faudra effectivement nous y pencher.
Mais il est également vrai que la France aime bien donner des leçons et « laver plus blanc que blanc ». Or les enjeux sont d’une importance considérable, sur une véritable question.
Bien entendu, il convient de ne pas généraliser : toutes les entreprises ne sont pas dirigées par de vils exploiteurs qui se fichent de leurs responsabilités sociales, environnementales ou autres. Cela étant, je crois que nous devons traiter le problème. Après tout, nous sommes en Europe.
Mais, de grâce, n’essayons pas de laver plus blanc que blanc ! Nous risquerions d’en payer le prix.
Je crois qu’il ne faut pas abandonner l’idée envisagée ce soir. Nous devons la défendre, en nous efforçant de convaincre les pays comparables au nôtre d’un point de vue économique et industriel.
Il y a des moyens d’agir. En Europe, et plus particulièrement en France, nous avons souvent été en avance sur un certain nombre de réglementations environnementales ou sociales. Nous devons nous inscrire dans cette perspective. Mais ne nous tirons pas une balle dans le pied, comme nous risquerions de faire en adoptant ce texte !
Examinons le dossier complètement, sans nous isoler. Nous pourrons ainsi faire progresser la société et les entreprises. Combien de fois avons-nous dû subir les conséquences de notre prétention à éclairer le monde ? Ne refaisons pas les mêmes erreurs !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Cette proposition de loi est un texte sur les malheurs du monde et sur le prix qui est payé pour que nous puissions consommer des produits auxquels nous sommes tellement attachés, ces produits qui scintillent dans nos poches et devant nos yeux.
Or ils sont souvent fabriqués par des êtres humains dans des situations lamentables et misérables, quelquefois par des enfants dans des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité extrêmement précaires.
Je vous donne acte que des entreprises françaises ont des considérations éthiques et qu’elles veillent aux conditions de travail appliquées chez leurs sous-traitants. Mais enfin, ce texte est porteur d’une préoccupation éthique centrale pour l’avenir de l’humanité !
Cher Yves Détraigne, je vous entends lorsque vous dites qu’il ne faut pas « laver plus blanc que blanc ». Mais j’ai aussi entendu les propos de Nicole Bricq, Didier Marie et Jérôme Durain.
Ce dernier a fait allusion à Victor Schoelcher, qui siégeait ici même, à cette place où lui succéda Gaston Monnerville. Imaginez que l’on ait dit à Victor Schoelcher : « Ne lavons pas plus blanc que blanc ! Ce n’est pas l’heure ! Attendons ! Faisons en sorte que tous les pays avancent en même temps que nous ! » Il n’y aurait sans doute pas eu le texte que nous connaissons !
Je comprends les termes du débat. Mais ce qui me désole, c’est la réponse, assez terrifiante, du Sénat aux auteurs de cette proposition de loi. Article 1er ? Supprimé ! Article 2 ? Supprimé ! Article 3 ? Supprimé ! M. le président nous a même invités à prendre la parole dès maintenant pour expliquer nos votes, car nous ne pourrons pas le faire après, une fois que l’ensemble du texte sera supprimé.
Mes chers collègues, votre stratégie, c’est d’aboutir à zéro ! À rien !
Mme Évelyne Didier. C’est fait pour !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’allons même pas renvoyer un texte à l’Assemblée nationale, puisque la majorité du Sénat aura considéré qu’elle n’a rien à dire sur le sujet. Je le déplore ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le rapporteur, lors de la discussion générale, vous avez qualifié l’objectif, faire contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme, des normes sanitaires et environnementales, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le monde entier, de « vertueux ».
Vous avez aussi reconnu que les grandes entreprises y avaient intérêt, leur réputation étant un atout commercial à préserver. Nous ne comprenons donc pas votre position, d’autant plus que, par nos amendements, nous avons répondu à vos interrogations sur l’extraterritorialité, sur la portée et la justesse de l’amende prévue dans la proposition de loi initiale, sur le fait que la rédaction actuelle du texte était très éloignée de la mise en place d’une responsabilité du fait d’autrui, au demeurant légitime à nos yeux.
Vous évoquez de nombreuses imprécisions, mais vous n’apportez aucune modification au texte. Or c’est pourtant le cœur du travail législatif, donc de notre mission ! Une telle posture nous semble éloignée de l’intérêt de l’entreprise.
Dans un jeu concurrentiel non faussé, les entreprises ont intérêt à faire preuve de la plus grande transparence et à mettre leurs valeurs en avant, comme autant d’atouts dans la compétition.
C’est l’insécurité juridique que veulent à tout prix éviter les acteurs du marché. Cette proposition de loi répond en partie à ces préoccupations. Si nous ne légiférons pas, c’est in fine la jurisprudence qui s’appliquera. Je ne suis pas sûr que cela corresponde aux attentes des entreprises !
Il est dommage que la majorité sénatoriale s’oppose à la modernité et refuse de faire de la France le fer de lance de cette nécessité, acceptée par les entreprises : l’inscription dans notre droit positif du devoir de vigilance.
Vous nous demandez d’attendre que l’Union européenne légifère. Nous vous répondons qu’il faut être à l’avant-garde. Soyons un moteur et un exemple ! Portons non des paroles de repli ou de frilosité, mais une ambition forte de modernité et de respect des règles élémentaires de décence au travail et d’honnêteté, une ambition forte pour maintenir la France au premier plan en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Mes chers collègues, les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre n’est pas adoptée.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 19 novembre 2015, à onze heures, l’après-midi et, éventuellement, le soir :
Projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale (n° 163, 2015-2016) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances (n° 164, 2015-2016) ;
- Discussion générale ;
- Examen de l’article liminaire ;
- Examen de l’article 22 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART