M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission, mes chers collègues, Mme Catherine Tasca a parfaitement résumé la genèse de ce texte qu’elle a pris l’initiative de déposer et que nous examinons aujourd’hui. Elle me permet ainsi de concentrer mon propos sur les travaux de la commission, qui a élaboré son texte le 4 novembre dernier.
La commission des lois a revu les incompatibilités professionnelles applicables aux membres des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie, celles qui ont été décidées en 2013 sur l’initiative de l’Assemblée nationale soulevant de réelles difficultés de mise en place.
Le texte adopté en commission a retenu le principe proposé par Mme Tasca conduisant à exclure du champ de l’incompatibilité les emplois publics extérieurs à la Nouvelle-Calédonie, rendant ainsi possible le choix des membres de l’autorité locale de la concurrence parmi des fonctionnaires exerçant en métropole.
Ce texte correspond à une position équilibrée et respectueuse de la Constitution.
Tout d’abord, il est équilibré car il prend en compte l’avis émis par le congrès de la Nouvelle-Calédonie le 28 septembre 2015, à la suite de la saisine du président du Sénat, conformément à l’article 77 de la Constitution.
Le Sénat me semble exercer pleinement son rôle de représentant des collectivités territoriales de la République en accordant une attention particulière à l’expression des élus calédoniens.
La majorité du congrès de la Nouvelle-Calédonie souhaitait que le champ de l’incompatibilité professionnelle soit encore plus réduit que celui qui est proposé par Mme Catherine Tasca, en ne visant plus les fonctionnaires d’État exerçant localement. En complément, le congrès de la Nouvelle-Calédonie suggérait d’instaurer un délai de carence afin d’empêcher la désignation de personnes ayant exercé les fonctions rendues incompatibles.
Votre commission des lois a fait droit à cette seconde demande et a partiellement satisfait la première. Elle n’a pas souhaité totalement exclure les fonctionnaires d’État de l’incompatibilité, car il est délicat d’imaginer un haut fonctionnaire ou un haut magistrat affecté en Nouvelle-Calédonie qui exercerait parallèlement la présidence d’une autorité administrative indépendante locale. C’est un moyen de prévenir tout conflit d’intérêts mais également d’éviter une confusion des pouvoirs et des compétences.
En revanche, cette hypothèse a paru envisageable pour les autres membres de l’autorité qui seront, s’agissant de l’autorité locale de la concurrence, au nombre de trois.
C’est pourquoi la commission a adopté mon amendement dont l’objet est de distinguer la situation du président de l’autorité administrative indépendante des autres membres, l’incompatibilité étant plus exigeante pour le premier que pour les seconds. Le président serait soumis à une incompatibilité professionnelle plus rigoureuse puisqu’il ne pourrait exercer, comme le prévoyait la rédaction initiale du texte, aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie. En revanche, les autres membres pourraient exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de l’État, notamment au sein des juridictions ou de l’université, conformément aux vœux du congrès de la Nouvelle-Calédonie et du député Philippe Gomes.
Ce faisant, votre commission des lois a opté pour une solution qui est conforme au principe d’égalité, car le président est, par rapport aux autres membres, dans une situation différente, ce qui appelle un traitement différent.
Contrairement à ce qui s’était passé en 2013, le législateur organique exerce sa compétence alors que le congrès de la Nouvelle-Calédonie a déjà adopté la loi du pays qui crée l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie. Nous savons donc que le président de cette autorité est appelé à des fonctions importantes puisqu’il exercera ses fonctions à plein temps ; je rappelle également qu’il sera celui auquel les autres membres devront faire état d’éléments de nature à entraîner un conflit d’intérêts.
Aussi, je me félicite du fait que ce texte qui manifeste, comme le soulignait Mme Tasca, un souci du compromis soit rédigé ainsi. Lorsque le président de la commission des lois rapportait, en juin 2015, le dernier projet de loi organique ayant trait à la Nouvelle-Calédonie, il s’était engagé auprès de Mme Tasca à permettre l’adoption de la disposition organique dont nous débattons aujourd’hui. Il a concrétisé son engagement en proposant, dès septembre, à la commission de me désigner comme rapporteur. M. le président du Sénat a consulté, dès le mois d’août, le congrès sur cette proposition de loi organique, lui permettant ainsi de s’exprimer en temps utile.
Ces dernières semaines, j’ai pu sereinement cheminer, en étroite collaboration avec l’auteur de la proposition de la loi organique, vers une rédaction de compromis. Cette dernière a été soumise, en toute transparence, à M. Philippe Gomes, rapporteur d’une proposition de loi organique sur le même sujet qu’il a déposée à l’Assemblée nationale, ainsi qu’à M. René Dosière, qui avait rapporté la loi organique du 15 novembre 2013, à l’origine de la rédaction actuelle. Des échanges fructueux ont permis d’aboutir à une approche convergente.
L’amendement que je vous présenterai vise, dans cet état d’esprit, à lever toute ambiguïté sur l’intention de la commission des lois du Sénat. Ce matin même, en examinant le texte déposé par notre collègue député Philippe Gomes, la commission des lois de l’Assemblée nationale a retenu, sur le fond, la même rédaction que celle qui vous est proposée ce soir.
Pour parachever ce rapprochement, je vous invite donc à adopter la proposition de loi organique ainsi que l’amendement que je vous présenterai. Vous contribuerez par ce vote, mes chers collègues, à lutter de manière décisive contre la « vie chère » – cela a été rappelé par Mme Tasca, auteur de la proposition de loi organique – dans cet archipel et à répondre ainsi à une préoccupation quotidienne de la population locale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons en première lecture la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.
La modification de la loi organique du 19 mars 1999 permettra, je l’espère, à la Nouvelle-Calédonie de se doter d’un cadre juridique équilibré de nature à permettre l’installation d’autorités administratives indépendantes sur le territoire.
Au-delà du débat général, il s’agit en particulier, vous le savez, d’aider les autorités calédoniennes à mettre en place une autorité locale de la concurrence.
La Nouvelle-Calédonie détient en effet de larges compétences en matière de régulation économique. À ce titre, une réflexion a été engagée, depuis plusieurs années, sur la levée des obstacles à la libre concurrence car, comme dans d’autres territoires ultramarins, les prix des biens de consommation courante demeurent élevés.
Comme l’a rappelé Mme Catherine Tasca, des mouvements sociaux se sont élevés contre cet état de fait, qui s’explique par plusieurs raisons. Outre les difficultés touchant à l’insularité et à l’éloignement des circuits de distribution, il y a l’excessive concentration de l’économie calédonienne entre quelques mains. Ainsi, à Nouméa, 80 % de la distribution en grandes surfaces sont détenus par les mêmes acteurs. Ce constat est largement partagé au niveau local : dans certains secteurs, le nombre limité d’opérateurs révèle l’existence d’obstacles à la concurrence, lesquels maintiennent les prix à un niveau élevé.
En 2013, le législateur organique a par conséquent modifié la loi statutaire de 1999 pour donner la possibilité à la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes.
Exploitant cette nouvelle possibilité, la Nouvelle-Calédonie a donc adopté la loi du pays du 24 avril 2014 créant une autorité de la concurrence.
Selon les termes de cette loi du pays, l’autorité nouvellement établie doit « veille[r] au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie et au fonctionnement concurrentiel des marchés en Nouvelle-Calédonie ».
Cette démarche est à saluer. Elle rejoint les préoccupations constantes de ce gouvernement dans la lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Composée d’un président et de trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans, cette autorité locale de la concurrence doit exercer en toute indépendance les prérogatives dévolues au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en la matière.
Des précautions ont été prises pour garantir l’impartialité des décisions arrêtées par cette autorité. Ainsi, une règle de déport a été introduite et un dispositif a été imaginé pour prévenir les conflits d’intérêts.
Toutefois, en dépit de ces avancées juridiques, l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n’a toujours pas commencé ses travaux, alors que plusieurs années se sont écoulées.
En effet, pour la désignation des membres qui la composent, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie se heurte à l’excessive rigueur du régime des incompatibilités. Si la question du président de l’autorité de la concurrence ne pose pas de difficultés sérieuses dès lors que celui-ci exerce son office à temps plein, la question des autres membres du collège est plus délicate dans la mesure où ceux-ci n’exercent leurs fonctions qu’en parallèle de leur activité principale.
Dans la pratique, il est apparu difficile d’identifier des personnalités qualifiées dont l’activité principale ne tombe pas sous le coup des incompatibilités voulues par le législateur organique.
Le besoin s’est donc fait ressentir de pondérer quelque peu les garde-fous mis en place en 2013 en aidant le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à pourvoir aux postes de cette nouvelle autorité de la concurrence.
Le constat relatif à ces points de blocages étant posé, nous avons donc cherché le vecteur législatif approprié. Certains d’entre vous avaient souhaité que nous utilisions la loi relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Toutefois, nous avons préféré, lors de la discussion de ce texte, ne pas accepter d’amendements allant dans ce sens, car nous considérions – et nous l’avons redit dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale – que ce véhicule législatif était spécifique et que, par conséquent, il ne fallait pas y insérer d’autres sujets de réflexion.
Nous sommes donc convenus qu’un texte dédié serait plus opportun pour lever la difficulté technique qui nous occupe aujourd’hui. Je m’y étais engagée, tout comme je m’étais engagée à ce que l’examen de ce texte puisse intervenir rapidement. L’activation de la procédure accélérée atteste aussi cette volonté d’aller vite puisque j’ai bon espoir que ce texte puisse être définitivement adopté et promulgué d’ici à la fin de l’année.
Depuis cet engagement pris en séance publique devant les deux assemblées, les parlementaires ont beaucoup travaillé. Ce ne sont pas moins de trois propositions de loi organique qui ont finalement émergé, l’une au Sénat – celle de Mme Tasca – et deux à l’Assemblée nationale – celles de M. Dosière et de M. Gomes. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce volontarisme législatif !
Nous examinons ici même aujourd’hui la proposition de loi organique déposée le 30 juin 2015 par Mme Tasca. Comme vous l’avez signalé, un travail a été fait avec les députés afin de faire converger les points de vue et les propositions au Sénat et à l’Assemblée nationale. Cela devrait permettre, je l’espère, l’adoption assez rapide d’un texte de compromis entre les trois propositions de loi organique.
Sur le fond, le texte qui vous est présenté vise à modifier l’article 27–1 de la loi organique du 19 mars 1999. Il limite l’incompatibilité applicable aux membres d’une autorité administrative indépendante aux seuls emplois publics exercés sur le territoire. En d’autres termes, un fonctionnaire d’État – par exemple, un universitaire ou un magistrat – pourra exercer les fonctions de membre de l’autorité administrative indépendante.
La proposition de loi prévoit, en outre, la mise en place d’un délai de carence appelé à faire obstacle à la désignation d’une personnalité qualifiée « si au cours des trois années précédant sa nomination, [elle] a exercé un mandat électif ou un emploi public ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec [s]es fonctions ». Cette mesure, également souhaitée par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, doit permettre de renforcer les garanties d’impartialité des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.
S’agissant de l’examen aujourd'hui en séance publique, je note que le rapporteur a déposé un amendement issu de la concertation avec l’ensemble des parties, d’une part, pour clarifier la nature des emplois publics concernés et, d’autre part, pour préciser les modalités d’application du délai de carence. Cet amendement fait également suite aux observations en ce sens du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
La proposition qui vous est soumise trouve ainsi un équilibre plus réaliste entre l’obligation d’impartialité, d’une part, et la nécessité de désigner des personnalités qualifiées à l’expérience reconnue, d’autre part.
L’approche consensuelle qui a présidé à la rédaction de ce texte doit être saluée. Je ne doute pas que si des points de divergence devaient émerger entre les deux chambres du Parlement, ils pourront facilement être dépassés car nous sommes tous attentifs à l’intérêt de la Nouvelle-Calédonie et à la lutte contre la vie chère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde ainsi que MM. Yves Détraigne et Joël Guerriau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’auteur de cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’avis de M. Thani Mohamed Soilihi sur la loi du 21 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer avait mis en exergue l’épineux et récurrent problème de la vie chère dans les outre-mer, difficulté amplifiée par l’insularité, l’éloignement des circuits de distribution ou encore les frais liés au transport aérien ou maritime.
En plus de ces contraintes, et pour répondre à des problématiques spécifiques, la Nouvelle-Calédonie s’est dotée d’un dispositif antitrust afin d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché sur son territoire, où les structures historiques de l’économie locale rendent particulièrement complexes la préservation de l’ordre public économique.
En effet, et comme le constatait l’Autorité de la concurrence dans son rapport du 21 septembre 2012, la Nouvelle-Calédonie souffre à la fois d’un marché relativement étroit, qui limite les gains d’échelle possibles des activités locales, et de situations d’oligopoles. Ces situations quasi monopolistiques se voient renforcées par certaines dispositions, telles que des barrières tarifaires et réglementaires mises en place pour protéger les entreprises locales de la concurrence, ce qui affecte fortement les prix, comme c’est malheureusement bien souvent le cas dans les économies insulaires.
Fort de ce constat, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a profondément rénové et modernisé le cadre juridique de la réglementation économique sur son territoire en faisant le choix d’agir sur les structures de marché plutôt que de contrôler les prix.
Ainsi, les pratiques anticoncurrentielles feront l’objet d’un contrôle étroit, qu’il s’agisse de comportements illégaux – entente, abus de position dominante – ou de structures nuisant au marché, en particulier de concentrations.
Les autorités calédoniennes ont donc décidé de la mise en place d’une autorité de la concurrence afin que celle-ci qualifie, interdise, voire sanctionne ce type de comportement déloyal.
Le choix fait d’une autorité administrative indépendante, dotée de pouvoirs décisionnels, imposait de modifier les dispositions organiques formant le statut de la Nouvelle-Calédonie, dans la mesure où celle-ci déléguait ainsi une part de ses compétences.
Dès lors, comme notre discussion porte sur la création d’une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, il faut bien entendu mettre celle-ci en perspective avec les travaux de la commission d’enquête créée à l’initiative du RDSE sur les autorités administratives indépendantes.
Les conclusions du rapport sur le sujet, présenté par le président Mézard, font apparaître que les autorités administratives indépendantes, qui disposent d’un pouvoir considérable dans des secteurs clés de la nation, risquent de devenir « un État dans l’État » si leur prolifération n’est pas canalisée et si leur contrôle n’est pas assuré.
Par conséquent, il nous semble que l’apparition d’une autorité administrative indépendante, fût-elle de la concurrence et instituée en Nouvelle-Calédonie, pourrait être porteuse de risques quant aux équilibres institutionnels sauf si, là aussi, un cadre juridique strict et un contrôle effectif sont mis en œuvre.
Il est nécessaire que l’indépendance et l’impartialité de cette autorité administrative, ainsi que celles de ses membres, soient assurées. Or il nous semble, après une étude minutieuse du texte d’origine et de ses évolutions, que la proposition de loi organique garantit ces aspects.
En effet, le consensus auquel sont parvenues autorités locales et nationales sur les incompatibilités personnelles et professionnelles des membres de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie paraît bien à même de garantir la prévention des conflits d’intérêts.
La coopération à l’échelon infra-étatique sera également déterminante ; je regrette de ne pas avoir plus d’information sur ce point. Peut-être pourrez-vous m’éclairer, madame la ministre, sur les relations qu’entretiendront les autorités de la concurrence nationale et locale. Comment collaboreront-elles ? A-t-on envisagé la possibilité de mettre en place un système de question préjudicielle ?
Non seulement les dispositions légales dotent l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie de pouvoirs et d’une responsabilité considérables, mais son président sera en outre habilité à siéger seul dans certains cas. Il lui sera possible d’interdire des opérations économiques très importantes en termes financiers et d’infliger des sanctions financières aux entreprises mises en cause.
Bien sûr, un recours devant les instances juridictionnelles est prévu ; néanmoins, la durée de telles procédures devra également être prise en compte.
Enfin, comme le soulignait le rapport de Jacques Mézard, que rejoignent mes interrogations précédentes, il ne faut pas qu’il y ait de transfert de pouvoir sans transfert de responsabilité, notamment devant les instances démocratiques qui se sont délestées d’une partie de leurs attributions au profit de l’autorité en question.
Aussi, nous nous félicitons du fait que la loi organique prévoit que, en contrepartie de cette indépendance, les conditions du contrôle de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par l’autorité politique soient prévues, notamment par la rédaction d’un rapport d’activité présenté annuellement devant le gouvernement et le congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Il faut toutefois, madame la ministre, qu’il ne s’agisse pas d’un rapport de plus et que celui-ci contribue véritablement à mettre en exergue les améliorations possibles de la réglementation des pratiques anticoncurrentielles en Nouvelle-Calédonie.
Dès lors, comme cette proposition de loi organique fait l’objet d’une approche consensuelle, notre groupe est majoritairement favorable à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la vie chère est une calamité pour nos concitoyens ultramarins qui ne bénéficient pas d’une sur-rémunération.
Cela n’est pas une nouveauté. La grève générale conduite contre ce problème par Élie Domota en Martinique en 2009 a constitué l’une des plus importantes manifestations de révolte en outre-mer. La population subit une discrimination par les prix depuis de trop nombreuses années.
Les causes de ce phénomène sont multiples ; elles ont été rappelées à l’instant par mon ami Guillaume Arnell. L’insularité, le coût des transports ainsi que les besoins de conservation des denrées et des biens acheminés provoquent des surcoûts. Trop de dispositifs contraignent toutefois une fixation plus juste des prix par le marché : je pense par exemple à l’octroi de mer, dont l’actualisation a largement occupé nos travaux au printemps dernier.
Ce phénomène généralisé dans nos territoires d’outre-mer trouve une expression particulière en Nouvelle-Calédonie. Cela avait été largement mis en évidence par le rapport d’information de la commission des lois rédigé par nos collègues Sophie Joissains, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca.
En février 2011 et mai 2013, la Nouvelle-Calédonie a été traversée par d’importants mouvements sociaux dont nous avons peu parlé en métropole. Les facteurs objectifs et fiscaux de renchérissement des produits, l’éloignement des circuits de distribution et la structure concurrentielle du marché ont été indéniablement les causes du mécontentement local.
Cette analyse est partagée par l’Autorité de la concurrence, qui relevait déjà en 2012 que deux groupes disposaient à eux seuls de plus de 80 % des parts de marché en surfaces de vente.
Le droit à la concurrence libre et non faussée des prix est un droit fondamental qui doit s’appliquer sur l’ensemble des territoires, que ce soit outre-mer ou en métropole.
Je tiens ici à adresser un message de solidarité et de soutien à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie qui se débattent face à des prix qui creusent l’injustice sociale.
La Nouvelle-Calédonie a tenté de résoudre ce problème par la convention du 14 février 2012. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie y sollicitait l’expertise de l’Autorité de la concurrence en vue de la réalisation de deux études portant respectivement sur les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation et sur l’organisation des structures de contrôle en matière de concurrence. Le diagnostic dressé dans ces études par l’Autorité de la concurrence a confirmé l’existence des obstacles à la libre concurrence.
Outre ce constat, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a souhaité faire usage de l’outil mis à sa disposition par la loi statutaire de 1999 en créant une autorité locale de la concurrence, dont le cadre est précisé dans la loi organique de 2013.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cette filiation et prévoit un simple assouplissement des conditions inhérentes à la composition des membres de cette nouvelle autorité administrative.
Je tiens à saluer l’initiative et le rapport de Mme Catherine Tasca, complété par l’apport de notre collègue Mathieu Darnaud, rapporteur du texte, dont le travail apporte un équilibre rédactionnel approuvé par la commission des lois.
Dans ces conditions, en permettant la mise en place d’une autorité administrative indépendante pour réguler la concurrence sur son territoire, la Nouvelle-Calédonie se dote des moyens nécessaires pour lutter contre « la vie chère ». La mise en place d’une telle autorité de la concurrence, réclamée et votée unanimement, est une nécessité qui ne sera plus empêchée par l’article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013. C’est pourquoi les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur la plupart des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi organique a un grand intérêt en ce qu’elle apporte une solution juridique solide à un cas d’école.
Comme l’a souligné notre rapporteur, il avait échappé au législateur avisé que nous sommes qu’une difficulté d’application de la loi était apparue en 2013.
Cette difficulté tenait à l’introduction, cette année-là, au sein de la loi statutaire de 1999, de la faculté pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes dans les domaines relevant de la compétence de la « loi du pays ».
C’est ainsi que l’installation d’une autorité qui exercerait des prérogatives en matière de régulation de la concurrence sur ce territoire n’a pu s’effectuer. En effet, l’article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013 rendait incompatible la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante néo-calédonienne avec un emploi public.
Cet imbroglio juridico-administratif pourrait paraître anodin. Bien au contraire, il aurait pu avoir de graves conséquences sur une question particulièrement sensible pour nos compatriotes des collectivités et territoires d’outre-mer.
On se souvient que la question de ce que l’on appelle familièrement « la vie chère » avait aussi été, il y a quelques années, à l’origine de très durs conflits sociaux en Guadeloupe, à La Réunion, ou encore à la Martinique.
À cet égard, il faut malheureusement constater que les causes de ces situations existent toujours.
La résolution de ce problème est peut-être rendue plus délicate en Nouvelle-Calédonie du fait des spécificités et du statut même de ce territoire. C’est d’ailleurs ce qu’avaient très bien exposé l’année dernière nos collègues Sophie Joissains, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca dans leur rapport sur la situation sociale de ce territoire.
Ils y relevaient notamment que les graves conflits sociaux de février 2011 et de mai 2013 étaient largement motivés par le mécontentement de la population face aux prix excessifs des biens de consommation courante.
Ils y analysaient aussi l’origine de ce phénomène, commun à nos outre-mer, qui s’explique en partie par l’insularité, l’éloignement des grands circuits de distribution, les frais de transport maritime ou aérien et une consommation captive car étroitement dépendante des produits métropolitains.
Sur le territoire calédonien comme dans l’ensemble de nos outre-mer, l’une des causes des prix élevés des biens de consommation courante est l’absence d’une réelle concurrence. Cela avait d’ailleurs été souligné, en 2012, dans un rapport de l’Autorité de la concurrence.
Si ces causes sont en partie identifiées, il reste tout de même à trouver les moyens d’y remédier.
Pour leur part, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont choisi comme outil, par un vote unanime de leur parlement, une autorité de régulation de la concurrence.
En tentant d’introduire une concurrence jusqu’à présent presque inexistante du fait de monopoles dans certains secteurs, ils pensent avoir trouvé une solution pour faire baisser le niveau général des prix, en particulier ceux des biens de première nécessité.
Je ne me prononcerai ni sur le bien-fondé de cet outil administratif ni sur son éventuelle efficacité pour l’amélioration de la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.
À l’heure où le rapport de la commission d’enquête de nos collègues Marie-Hélène Des Esgaulx et Jacques Mézard a étudié la pertinence et la réalité de l’indépendance de ces autorités administratives, on peut légitimement s’interroger sur la nécessité de créer, en Nouvelle-Calédonie, une autorité de régulation de ce type.
Néanmoins, je considère que, si telle est la volonté de la société calédonienne et de ses élus, il faut que cette autorité locale puisse réellement exister et qu’elle ait les moyens de travailler.
C’est pourquoi le texte issu des travaux de notre commission prévoit un statut réaliste pour les membres de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que les moyens de préserver l’indépendance de cette autorité.
C’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que nous avons apporté au texte initial en commission des lois. Il visait à préciser que seul le président de l’autorité administrative indépendante, compte tenu de la particularité de ses fonctions, serait assujetti à une incompatibilité avec tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie.
Pour ce qui est des autres membres, ils seraient simplement soumis à une incompatibilité avec un emploi public exercé dans les institutions locales.
Ces dispositions sont en outre garanties par le délai de carence de trois ans qui empêcherait leur désignation s’ils ont exercé les fonctions couvertes par les incompatibilités professionnelles trois ans auparavant.
Je pense que nous avons travaillé de façon pragmatique, en tenant compte de l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie sur la proposition de loi organique, mais en ayant aussi le souci de concilier les points de vue avec nos collègues de l’Assemblée nationale.
Enfin, si l’on veut bien considérer le contexte économique et social et les perspectives politiques en Nouvelle-Calédonie, il est impératif de trouver, dans tous les domaines, un consensus. Ce texte y contribue.
Notre groupe estime donc que cette proposition de loi organique était nécessaire et que la méthode retenue et la solution à laquelle nous avons abouti sont les bonnes. C’est la raison pour laquelle nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Félix Desplan.