M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe du RDSE, nous débattons aujourd’hui des fondements démocratiques du Sénat, à la suite du rapport Bartolone-Winock intitulé Refaire la démocratie.
Force est en effet de constater que l’existence du Sénat est directement menacée, dans la lettre et l’esprit, par ce rapport. La proposition n° 10 prévoit, en effet, de fusionner le Conseil économique, social et environnemental et le Sénat, de conditionner l’adoption de nos amendements à la majorité des trois cinquièmes, enfin d’ôter à notre assemblée tout pouvoir de blocage constitutionnel, qui est effectivement bien gênant lorsque l’on veut modifier la Constitution pour des raisons conjoncturelles.
Ce que proposent les auteurs du rapport, c’est un véritable bouleversement de notre équilibre institutionnel. Une fois encore dans notre histoire politique, le Sénat se trouve sur le banc des accusés. Une fois encore, on nous somme de répondre à la fameuse injonction de Victor Hugo : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires. »
Permettez-moi, mes chers collègues, de prendre à cœur cette injonction. Nul ne contestera parmi nous qu’il est légitime que les Français exigent une réforme de notre fonctionnement. Cette réforme de notre règlement, le Président de notre assemblée l’a engagée ; elle est en application depuis le 1er octobre dernier.
Personne, dans cette assemblée, ne prétendra non plus qu’il n’est pas de notre devoir de sénateurs d’expliquer et de justifier inlassablement l’existence de la seconde chambre. Une telle fonction nous honore, et elle manifeste notre lien profond et permanent avec la démocratie.
Je m’attacherai donc à répondre aux objections qui sont faites à la chambre du dialogue réfléchi, du contre-pouvoir législatif et des territoires.
Ce procès est instruit par une gauche minoritaire et défaite au Sénat. Pourquoi la critique du Sénat par la gauche se réveille-t-elle soudainement après le départ de Jean-Pierre Bel ? À vrai dire, la réponse fait peu de doute.
En 2015, encore, il semblerait que le principal défaut du Sénat soit de ne pas être de gauche, comme en 1930, lorsqu’il renversait un peu trop de gouvernements de gauche au goût du président du Conseil, le radical Édouard Herriot, ou comme en 1875, lorsque la gauche républicaine bataillait pour que les communes ne puissent pas être représentées par une assemblée spécifique.
Passons outre ces calculs politiques, aussi visibles qu’inefficaces, et venons-en directement au fond du débat. Avant même de nous justifier sur la légitimité démocratique du Sénat, il me semble qu’il faut nous entendre sur le procès auquel notre assemblée doit répondre, je l’espère collectivement.
En effet, il faut bien reconnaître, en premier lieu, que règnent une certaine confusion et une certaine ambiguïté dans la position de la majorité actuelle. Nous reproche-t-on, par exemple, la lenteur supposée du Sénat et son inefficacité ? Le Président de la République a clairement formulé ce reproche : « Six mois, un an, c’est trop pour voter et appliquer une loi. »
Que n’a-t-il attendu le rapport Bartolone-Winock ! Celui-ci démontre, en effet, combien cette assertion contient d’inexactitude et d’hypocrisie. Les comparaisons internationales citées dans le rapport montrent que, en France, le délai moyen d’adoption des projets de loi est de 149 jours, contre 156 en Allemagne, 164 au Royaume-Uni et même 400 aux Pays-Bas. Il faut se rendre à l’évidence : la majorité des pays bicaméraux sont plus lents que nous.
Et quand bien même nous serions trop lents dans notre examen des textes, l’exécutif dispose de tous les moyens nécessaires pour accélérer le processus législatif : procédure accélérée, ordonnances, vote bloqué, etc. Il a suffi de deux jours pour adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2008, en pleine crise financière, et de trois jours pour abroger le contrat première embauche, en 2006.
Notre chambre n’a d’ailleurs pas à rougir des réformes qu’elle a entreprises. Elle a même anticipé le rapport Bartolone-Winock ! Ainsi, nous appliquons déjà certaines des mesures visant à alléger le travail législatif qui sont préconisées dans le rapport, comme la procédure d’examen simplifié pour les textes dont l’enjeu politique est moindre, ou la concentration du travail d’amendement en commission.
Là encore, il n’aura échappé à personne que cette mise en cause du rythme législatif intervient à point nommé pour éviter à l’exécutif d’assumer le retard irrattrapable qu’il a pris dans la réalisation de ses promesses. Il est pour le moins paradoxal pour le Gouvernement de présenter des textes aussi massifs que la loi Macron et de reprocher au Sénat, par la suite, d’y consacrer un temps excessif, lequel, au demeurant, n’excède pas de plus de deux jours celui qui a été utilisé par l’Assemblée nationale, alors même que nous avions plus du double d’articles à examiner.
L’offensive masque mal deux problèmes majeurs de ce quinquennat : le Gouvernement légifère sur tout – des concessions autoroutières aux cabines de bronzage – et régule si peu ; le Gouvernement envoie au Sénat des lois qui ne seront pas appliquées en temps utile, puisque le taux d’application des lois est de 54 % seulement, contre 90 % à la fin du précédent quinquennat.
Cette manœuvre pourrait nous laisser indifférents si, derrière elle, ne se cachait le mépris du temps long, de l’opposition réfléchie, de tout ce qu’incarne le Sénat dans notre République.
Je n’insisterai pas sur cette évidence : la durée et la réflexion sont précisément ce dont a besoin notre modernité, si friande des « lois faits divers » et des soubresauts médiatiques.
Les conséquences heureuses de la présence d’une chambre moins soumise au temps médiatique, concentrée sur le long terme, ne sont plus à prouver. La loi du 29 juin 1881 sur la liberté de réunion a été proposée en 1878, rapportée en 1879 et discutée en 1880. Et c’est à l’intervention, en 1971, du président du Sénat, Alain Poher, que nous en devons aujourd’hui la sauvegarde.
Faut-il aussi rappeler que le Parlement a travaillé pendant plusieurs années sur la loi de 1905, y consacrant 45 jours de séance à l’Assemblée et 21 au Sénat ?
Les contempteurs du Sénat ont la mémoire courte : les lois les plus solides de notre République sont celles qui ont été le plus longtemps examinées. Mettons en garde le Gouvernement et la majorité : quelques mois pour discuter de telles lois, ce n’est pas trop long. Toutefois, un an ou deux ans pour les appliquer, voilà qui est inacceptable !
Par ailleurs, doit-on considérer le Sénat comme inutile quand quelque 60 % de ses amendements sont repris par l’Assemblée nationale et figurent dans le texte de loi définitivement voté ?
Il nous faut porter fièrement l’héritage de cette chambre du dialogue et de l’action réfléchie, et refuser fermement qu’on la détruise. Cette force d’opposition est inscrite dans le marbre de nos institutions et de notre État de droit, qui repose sur la division du pouvoir législatif.
Ceux qui aiment tant nous soumettre à l’injonction de Victor Hugo devraient se rappeler la réponse du pair de France : « La France gouvernée par une assemblée unique, c’est l’océan gouverné par l’ouragan ». (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.)
L’héritage de notre chambre pour la France et la République d’aujourd’hui, c’est également son lien si fondamental aux territoires. Il nous est impossible de ne pas démentir immédiatement le président de l’Assemblée nationale lorsqu’il prétend refaire la démocratie en transformant progressivement la chambre des territoires en chambre consultative, au motif qu’il faudrait mettre fin aux doublons de la procédure législative et redonner tout son sens à un bicamérisme fondé sur la complémentarité !
Le Sénat souffre-t-il réellement d’un manque de complémentarité vis-à-vis de l’Assemblée tant qu’il n’est pas fusionné avec le CESE ? Est-il actuellement un simple « doublon législatif » ?
Ma réponse est celle que nous apporte sans équivoque l’article 24 de la Constitution : à la différence de l’Assemblée, le Sénat « représente les collectivités territoriales ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Mathieu Darnaud. Telle est la spécificité du Sénat – nul besoin de la chercher ailleurs. (M. Jacques Mézard opine.) La décentralisation appelle un renforcement de ce rôle, non son affaiblissement.
J’ai déjà eu l’occasion, lors de l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », de souligner le rôle majeur que joue la Haute Assemblée dans la défense de la proximité et de la ruralité. À l’écoute des élus locaux, nous n’avons eu de cesse de lutter contre la vision abstraite de nos territoires et la conception théorique du Gouvernement et de sa majorité selon laquelle la commune et le département sont des collectivités d’un autre âge.
On ne reprochera pas au parti socialiste son manque de cohérence sur ce point : après avoir opéré un redécoupage purement abstrait des régions et dépossédé les départements et les communes d’une grande partie de leurs prérogatives, il voudrait que nous entérinions la disparition progressive de la chambre qui écoute les territoires.
On nous opposera peut-être que ni le Président de la République ni le président de l’Assemblée nationale n’ont nié l’importance de la seconde chambre dans l’équilibre des pouvoirs, non plus que sa fonction de représentation des collectivités territoriales.
Ne nous laissons pas aveugler par cette rhétorique conciliatrice. Le Sénat, chambre des territoires, du dialogue et du contre-pouvoir, n’a de sens que si sa voix porte et si son avis est pris en compte. Il y va du respect du pacte démocratique qui nous unit aux territoires et à la France des communes.
Le Sénat n’est pas et ne sera pas une instance consultative. Il n’a pas vocation à devenir un club de discussion délivrant des avis formels. Si les électeurs confient un mandat à leurs sénateurs, c’est pour qu’ils exercent, en leur nom, leur bien le plus précieux : la souveraineté nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les événements qui frappent notre pays nous rappellent à quel point nos institutions sont précieuses. Celles-ci font partie de notre patrimoine commun ; il est de notre devoir de les préserver.
Ce devoir ne doit pas occulter la grave crise économique, sociale et morale que notre pays connaît. Sa persistance met en évidence les carences de certaines de nos institutions. Ne nous leurrons pas, toutefois : la réponse ne pourra être seulement institutionnelle. Il ne suffit pas de modifier la Constitution pour résoudre les problèmes, quand bien même ceux-ci seraient de la plus extrême gravité.
Le débat de cette après-midi pose la question de l’apport du bicamérisme. Toutefois, le rôle du Parlement, sa structure duale, son fonctionnement n’ont de sens que pris dans une vision d’ensemble.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Lors de la fondation de la Ve République, nos concitoyens étaient las d’une instabilité gouvernementale chronique. Les Français voulaient retrouver un minimum de prise sur leur destin. Ils souhaitaient être entendus. Ces aspirations demeurent.
Nos concitoyens, en effet, demandent d’abord la lisibilité et l’efficacité de l’action publique. À cet égard, il nous faut oser bousculer un totem. Il ne peut pas y avoir deux commandants légitimes sur la passerelle du même bateau : le Président et le Premier ministre.
Cette construction provient chez nous de la rencontre, en 1962, entre des circonstances dramatiques et un homme exceptionnel. Nous vivons depuis lors sans jamais avoir réussi à dépasser cette incongruité. Elle demeure, car elle flatte notre égo : nous élisons notre monarque. Elle alimente surtout notre croyance, indue, selon moi, en l’homme providentiel, laquelle épuise notre énergie, assèche le débat des idées et nous infantilise.
Il nous faut retrouver l’équilibre qui prévalait dans la constitution originelle de la Ve République. Celle-ci comptait deux fonctions centrales, mais aux prérogatives différenciées : un chef de gouvernement, qui dirige, et un arbitre, au-dessus des partis, garant de nos intérêts supérieurs.
À mes yeux, cet arbitre doit être un sage. Sa légitimité tient à son expérience et à son impartialité. Son élection au second degré se trouverait ainsi fondée et le ferait échapper aux clivages partisans réducteurs.
Évidemment, l’abandon de l’élection du Président au suffrage universel serait présenté par certains comme un séisme. Toutefois, n’oublions pas que la Constitution de la Ve République avait été adoptée par 82 % des Français.
Le pendant de ce retour aux sources consiste en une revalorisation du Parlement et, en premier lieu, de l’élection législative. Il s’agit non plus d’élire des députés qui soutiendront l’action du Président de la République, mais de désigner un chef de gouvernement qui aura la pleine légitimité du suffrage universel.
Pour cela, il nous faut concilier la double aspiration de chaque citoyen : garder la main sur un député de proximité qui le représente personnellement – c’est l’objet du scrutin uninominal –, mais aussi choisir l’homme ou la femme qui conduira la politique gouvernementale – c’est la fonction d’un scrutin proportionnel, où chaque parti est conduit par son champion, futur Premier ministre. Combiner les deux est possible. Les Allemands nous le démontrent, puisque, le même jour, chaque électeur coche deux cases.
La prééminence redonnée au Premier ministre, donc au Parlement, doit être associée au maintien d’un parlementarisme rationalisé, afin de ne point retomber, bien évidemment, dans les errements antérieurs. Toutefois, un parlementarisme rationalisé ne signifie pas un Parlement rabougri.
Le temps long de l’élaboration de la loi est critiqué. Je ne suis guère convaincu par l’argument et encore moins par l’idée selon laquelle le monocaméralisme serait la réponse. Les quelques semaines gagnées pèsent peu, cela a été dit, au regard des risques que sont l’emballement de l’Assemblée unique sans possibilité de retour en arrière et l’appauvrissement du débat par la disparition de la seule chambre indépendante de l’exécutif.
Les solutions sont ailleurs, nous le savons bien : moins de textes mal préparés, moins de textes trop bavards. Les textes doivent au contraire décliner des obligations de résultat et non un empilement de normes ; ils doivent faire jouer le principe de subsidiarité.
C’est ici que le Sénat a un rôle fondamental à jouer, car il est le garant de la pluralité de la représentation, de la qualité de la loi et de la défense des libertés.
Observons que le Sénat de la Ve République a su trouver sa place. Il ne s’est pas contenté de demeurer un outil du parlementarisme rationalisé. Il a pris son autonomie par rapport à l’approche gaullienne de la présidence et s’est imposé – c’est bien cela aussi qui gêne – comme le défenseur des libertés.
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. François Zocchetto. C’est le Sénat qui a permis au Conseil constitutionnel de donner une portée juridique au préambule de notre Constitution et de mettre la Déclaration de 1789 à la portée des citoyens.
À mon tour, je le souligne : combien de propositions et d’amendements, préparés en ces murs et votés dans cet hémicycle, structurent la vie quotidienne des Français ? Ils sont innombrables ! D'ailleurs, plus d’une loi sur cinq est d’origine sénatoriale.
Le Sénat a su corriger les problèmes inhérents à sa représentativité. L’Assemblée nationale a-t-elle su en faire de même ? Je n’en suis pas certain.
Je réfute catégoriquement l’équation qui voudrait que, pour moderniser nos institutions, il faille supprimer la seconde chambre ou lui donner un rôle de super-Conseil économique, social et environnemental. Cela ne ferait qu’affaiblir la voix du Parlement, dont la principale activité se limiterait aux questions d’actualité, dont je vous laisse apprécier certains jours la qualité.
M. Gérard Longuet. Et l’utilité !
M. François Zocchetto. Nous devons et pouvons, en revanche, accroître encore notre autre mission constitutionnelle, qui est celle du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques.
M. Gérard Longuet. C’est vrai.
M. François Zocchetto. Nous avons un peu progressé, mais convenons, dans cette enceinte, que nous disposons de quelques marges de progrès dans ce domaine.
Je pense également que nous ne pouvons pas, en tant que parlementaires, accaparer la totalité du débat législatif. Retrouver l’esprit de 1958 n’interdit pas de tenir compte de l’aspiration de nos concitoyens à être plus régulièrement sollicités. La pratique référendaire était d’ailleurs une innovation de la Constitution de 1958. La consultation du peuple est toutefois devenue rare aujourd'hui…
Mes chers collègues, observons la Grèce ! Ce pays fait l’objet de nombreuses critiques, mais son gouvernement a organisé, l’été dernier, une consultation capitale en moins de dix jours. Beaucoup ont applaudi le geste, sur tout le spectre politique.
On pourrait ainsi imaginer, en France, que des « référendums minute », à l’issue – j’insiste sur ce point – de travaux législatifs qui auront éclairé l’opinion, soient garants de la démocratie.
Une telle pratique régulière associerait les Français au processus législatif. Je suis convaincu que la seule existence de ce mécanisme modifierait le jeu des acteurs, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, en nous rendant collectivement plus constructifs et responsables.
Moderniser nos institutions, ce n’est pas reprendre la question du Sénat, bien au contraire. Moderniser nos institutions, c’est avant tout prendre notre autonomie au regard de la mythologie présidentielle ; c’est aussi garantir au peuple sa juste place et son droit d’être entendu.
Toute réforme isolée, en particulier si elle concerne le Sénat, ne ferait que rendre notre Constitution bancale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les temps de débat sur le fonctionnement de nos institutions sont, à mon sens, trop rares face à la crise profonde qui affecte celles-ci.
Je remercie notre collègue Jacques Mézard d’en avoir pris l’initiative, en axant plus précisément sa demande de débat sur les propositions relatives au devenir du bicamérisme émises par la mission installée par le président Claude Bartolone, aboutissant à un rapport intitulé, ni plus ni moins, Refaire la démocratie.
S’il était intéressant que le Parlement soit lui-même à l’origine d’une réflexion approfondie – les travaux ont duré de novembre 2014 à septembre 2015 –, il est regrettable que la composition de ce groupe de travail sur l’avenir des institutions ait été quelque peu arbitraire et ne se soit pas établie sur un fondement pluraliste mieux structuré, pour dire les choses gentiment…
Au-delà même des questions sur la composition de cette commission, pourquoi les présidentes et présidents des groupes parlementaires n’ont-ils pas été auditionnés, garantissant ainsi un travail réellement pluraliste ? (Marques d’approbation sur de nombreuses travées.)
Ce rapport ne se résume pas bien entendu à un examen de la question sénatoriale. Comme l’indique son intitulé, il est ambitieux, et son titre même témoigne d’un constat que nous partageons : notre système institutionnel est malade et dépassé ; il ne répond pas aux exigences démocratiques.
Naturellement, sept minutes d’intervention, madame la présidente, ne me permettront pas de balayer l’ensemble des questions induites par ce constat ! Pour notre part, nous estimons que les constats dressés et certaines des propositions et des pistes proposées sont pertinents et exigeraient non pas de rafistoler la Ve République, mais bien de construire une VIe République, une République sociale.
La crise institutionnelle est, selon nous, étroitement liée à la crise économique et sociale.
La remise en cause régulière, et même permanente, il faut le dire, par un nombre croissant de citoyens, de l’exécutif, du Parlement, plus généralement des femmes et des hommes politiques, à l’exception remarquable et remarquée des élus de proximité – les maires en particulier –, puise sa source dans l’absence dramatique de résolution des problèmes rencontrés par l’immense majorité de la population, au premier rang desquels le chômage, la précarité, l’insuffisance du pouvoir d’achat, la détérioration des services publics et l’insécurité.
Les habitants de notre pays ont le sentiment de ne pas être entendus. Ils sont las des promesses non tenues, du « travailler plus pour gagner plus » au « mon ennemi, c’est la finance ». Ils veulent enfin avoir prise sur le pouvoir ; ils exigent un système politique en lien étroit avec leurs préoccupations, car ils estiment, à raison, que la coupure entre les représentants et les représentés est profonde.
Les pistes étudiées et certaines solutions avancées par ce rapport rejoignent nos réflexions.
Oui, les modes d’élection sont à revoir, à commencer par celui des députés. Oui, la proportionnelle doit être généralisée. Nous sommes, pour notre part, favorables à une proportionnelle intégrale. Il ne faut pas, je l’ai dit à plusieurs reprises, avoir peur de la démocratie. La force du Front national provient en grande partie d’une défiance à l’égard de notre système politique.
Il faut en tout cas avancer vers une plus juste représentation, garantissant le pluralisme. De nombreux pays européens, et non des moindres, ont choisi la proportionnelle. Pourquoi cette défiance en France ? Il n’est plus supportable que des partis ne recueillant pas plus d’un quart des voix puissent disposer à eux seuls de la majorité absolue à l’Assemblée nationale. C’est un système dépassé, une véritable machine à rejet de la démocratie !
Un autre point crucial pour nous est le rôle de la présidentialisation du régime dans la crise actuelle. Depuis 1958, nous avons constaté que les institutions soumettaient un Parlement affaibli, mal élu, à un pouvoir exécutif dominé par un Président de la République intouchable durant son mandat, hormis la procédure d’empêchement. Cette présidentialisation s’est accentuée au cours des années, en particulier avec la mise en place d’un quinquennat renouvelable et d’une inversion du calendrier électoral, qui soumet l’élection des députés à l’effet de souffle de l’élection présidentielle.
La révision constitutionnelle de 2008 a, selon nous, affaibli plus encore le Parlement, par exemple en limitant le droit d’amendement et le droit d’expression. Selon nous, les choses sont simples : si l’on affaiblit le Parlement, on renforce l’exécutif.
Avec le quinquennat, nous assistons ces dernières années à une inflation législative qui asphyxie nos assemblées, d’autant que la partition de l’ordre du jour limite à deux semaines par mois le temps d’examen des textes gouvernementaux.
Le contrôle est certes important, mais n’oublions pas, mes chers collègues, que le rôle premier du Parlement est de faire la loi ! Or, dans les années quatre-vingt-dix, nous examinions en moyenne 2 000 pages de projets de loi par an. Aujourd’hui, nous en sommes à 4 000 pages, et parfois plus !
Le pouvoir exécutif écrase donc le législatif, et l’hyperprésidentialisation, enclenchée par Nicolas Sarkozy et malheureusement peu contestée par son successeur, aggrave cette situation. Nous proposons pour notre part de remettre profondément en cause le caractère présidentiel ou semi-présidentiel, comme disent les spécialistes, de notre régime en soumettant au débat la question même de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.
Nous suggérons de renforcer fortement les pouvoirs du Parlement et de lui permettre d’effectuer correctement son travail législatif. Nous approuvons bien entendu l’idée de revenir sur l’inversion du calendrier, car il s’agit d’une exigence démocratique.
D’autres questions de première importance ont été abordées dans ce rapport, comme le rôle et la composition du Conseil constitutionnel, un sujet sur lequel je n’ai pas le temps de m’étendre.
J’en viens maintenant à la question du bicamérisme. Nous ne sommes pas, au groupe CRC, partisans du statu quo. Contrairement à ce qu’affirment les écrits d’un ancien secrétaire général du Sénat mis en exergue par le rapport de la commission Bartolone, le bicamérisme n’est pas forcément une évidence.
Dans le cadre institutionnel actuel que je viens de critiquer lourdement, le Sénat joue un rôle important, qu’il s’agisse d’assurer la qualité du travail législatif ou une représentation des territoires différente et intéressante. De plus, le poids de la proportionnelle dans l’élection sénatoriale permet un débat pluraliste et un respect des différentes sensibilités, ce qui n’est pas toujours le cas à l’Assemblée nationale.
Le devenir du bicamérisme est donc un vrai sujet – un colloque s’est tenu au Sénat sur ce sujet –, mais qui n’a, selon moi, pas de sens en dehors d’une réforme globale de nos institutions, parmi lesquelles je place le Sénat.
Ceux qui nous connaissent savent que nous portons le projet d’un Sénat qui soit, plus et mieux qu’il ne l’est aujourd’hui, la chambre des territoires, c’est-à-dire des élus et des populations, dotée d’une initiative législative réellement ouverte au peuple.
Vous le savez, mes chers collègues, notre groupe est particulièrement actif dans cette assemblée. Nous prenons notre part au travail sénatorial, et de façon sérieuse, me semble-t-il. Toutefois, cela ne nous empêche pas d’être lucides : il y a urgence à révolutionner nos institutions, à sortir d’une sclérose qui peut, à terme, nuire à l’image même de la démocratie et détourner le peuple de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Jacques Mézard d’avoir suscité ce débat, qui porte sur un sujet très important.
Nous sommes ici, aujourd’hui, non pas pour protéger une maison, le Sénat, parce que nous sommes sénateurs, mais pour défendre une certaine idée de la République et de la loi. En effet, si l’on fusionnait le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, on accepterait que la loi ne fût plus écrite, rédigée, préparée et votée par des élus. Ce serait inacceptable !
Dans une république, la loi doit être préparée, élaborée, discutée et approuvée par les élus de la nation. C’est d’ailleurs le fondement de toutes les philosophies issues de la Révolution française et c’est pour moi un principe intangible, l’une des sources de la démocratie.
Toutefois, si je suis, comme vous, mes chers collègues, profondément attaché au bicamérisme, cela tient à cet exercice particulier qu’est l’écriture de la loi.
En effet, la loi est une norme qui a la particularité de ne pas être rédigée par des juristes, même si ces derniers sont utiles et précieux, bien entendu, mais d’être écrite, préparée et discutée dans le feu du débat. La loi, c’est du discursif qui devient du normatif. Je vois là l’un des principaux arguments en faveur du bicamérisme.
La loi comporte tous les signes linguistiques de la norme et obéit à une écriture très particulière : le présent y a valeur d’impératif ; elle ne comprend de pronom personnel qu’à la troisième personne, aucun déictique – ni « ici » ni « maintenant » –, aucun passé simple, même si elle n’est pas avare de temps composés et surcomposés.
Pour façonner cette loi, il y a le débat, auquel nous tenons profondément. Parce que nous passons des jours et parfois des nuits, ici, dans cet hémicycle, à discuter, il nous semble utile, et même indispensable, sur chaque phrase de la loi, d’écouter les points de vue des uns et des autres, issus des six groupes de cette assemblée. En effet, chaque sénateur et chaque sénatrice a le droit imprescriptible de proposer un ou plusieurs amendements sur chaque membre de phrase, sur chaque alinéa.
Ainsi, au cours de la première lecture, nous façonnons nos pensées et nos idées sur la loi, en entendant ce que disent ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord, en leur répondant, en réfléchissant à nos arguments et contre-arguments.
Je vous invite aussi, mes chers collègues, à lire notre production lorsque nous adoptons un article modifié par dix ou quinze amendements. Vous verrez que le texte n’est pas d’une grande limpidité, qu’il n’est pas linéaire, qu’il est assez complexe à lire. La loi est parfois abrupte et râpeuse, rédigée dans une langue qui ne coule pas de source. Et c’est normal, parce que nous avons intégré les apports des uns et des autres.
Il arrive même quelquefois que la loi soit contradictoire, qu’elle contienne des omissions ou des oublis. On ne trouve pas du premier coup la bonne façon d’écrire la loi. J’en veux pour preuve ce texte adopté dans une grande précipitation en 2013, après une seule lecture rapide, et sur lequel nous avons dû revenir récemment, car une disposition importante avait été omise.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. En conséquence, le temps que nous consacrons à réfléchir aux amendements est infiniment précieux. C’est pourquoi la navette est si importante : après une première lecture dans une chambre, le texte va dans l’autre assemblée, puis revient dans la première, avant de repartir dans la seconde.
Lorsque nous recevons des visiteurs au Sénat et que nous leur expliquons ce processus, ils soulignent sa longueur et sa complexité. Je leur réponds que le texte dont nous débattons va ensuite s’appliquer au peuple français tout entier, de Dunkerque à Nouméa, de Saint-Pierre-et-Miquelon à la Polynésie. Toutes les Françaises, tous les Français vont devoir appliquer la loi – on dit même que nul n’est censé l’ignorer !
Vous ne l’ignorez pas, mes chers collègues – c’est notre quotidien –, chaque mot de la loi est essentiel. Il se peut en effet qu’un terme ait des conséquences que nous ne mesurons pas toujours pour telle ou telle personne. Lorsque nous votons une loi sur les retraites ou sur la sécurité sociale, dès le lendemain, les gens nous interrogent sur les conséquences concrètes que ces textes auront pour eux, et c’est normal. Il faut donc du temps pour passer de la discussion à la norme. Si l’on veut que la loi soit vite faite, alors elle sera mal faite !
On me dira que le Sénat examine vendredi prochain le projet de loi sur l’état d’urgence en procédure accélérée. Voilà un cas où le recours à cette procédure est parfaitement légitime : en effet, il y a réellement urgence, et aucun de nos concitoyens ne comprendrait que l’on ne prenne pas la mesure du drame qu’ils ont vécu.
Toutefois, dans combien d’autres cas, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, l’emploi de cette procédure accélérée est-il réellement fondé ? Je vous le dis clairement, je regrette que la procédure accélérée soit devenue la norme, l’habitude, et la procédure complète prévue par la Constitution l’exception. (MM. Yvon Collin et Jacques Mézard opinent.)
En effet, nous sommes attachés au travail bien fait. Si nous voulons écrire comme Portalis, si nous voulons rédiger dans cette langue limpide de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – chaque fois que nous relisons ce texte, nous sommes émerveillés de voir combien ses auteurs ont pu dire de choses importantes et essentielles en si peu de mots –, il faut du temps.
Ce travail ne se fait ni par hasard ni spontanément, ou alors on aboutit à des lois technocratiques, des lois auxquelles personne ne comprend grand-chose, des lois qui empiètent sur le domaine du règlement, des lois bavardes, des lois qui enfilent des perles et de bons principes… En réalité, la loi est une norme qui est prévue par l’article 34 de la Constitution.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas là pour défendre l’intérêt d’une « maison ». Nous n’oublions pas que notre ami Guy Carcassonne, malheureusement décédé, pourfendait les « lois du 20 heures » !
M. Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr, il y a des situations ou des événements tragiques qui demandent de revoir telle ou telle disposition. Toutefois, les lois de circonstance ne sont pas toujours de bonnes lois. Les bonnes lois sont celles qui ont donné lieu à d’importants débats. J’en donnerai deux exemples simples.
Tout d’abord, j’évoquerai la loi MAPTAM sur les métropoles, en faveur de laquelle certains ici ont voté, et d’autres non. Elle a recueilli, dans cette assemblée, une majorité constituée de représentants de plusieurs groupes, fruit d’un long débat qui s’est déroulé en suivant toutes les lectures requises.
Ensuite, je dirai un mot de la loi NOTRe. Nous avons passé beaucoup de temps pour trouver une issue, qui s’est révélée différente de celle qui aurait été constatée avec la seule lecture de l’Assemblée nationale. Nos rapporteurs et nos collègues, quel que soit leur groupe d’appartenance, ont apporté leur pierre. Et, ensemble, nous avons été les défenseurs des communes et d’une certaine idée de la décentralisation.
Nous pouvons ainsi démontrer que prendre le temps d’écrire la loi est bénéfique.
Nous sommes foncièrement favorables au bicamérisme, et d’abord en vertu d’une certaine idée de la loi, bien commun du peuple français. Le bicamérisme permet de polir la loi, comme la mer polit les galets, avec l’objectif de faire une belle œuvre, qui soit utile et républicaine. Nous sommes des artisans de la loi et nous pouvons en être fiers.
C’est pour cette raison fondamentale que le bicamérisme est une absolue nécessité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier, pour le groupe Les Républicains.
M. Bernard Fournier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur le bicamérisme revient comme un serpent de mer depuis qu’une seconde chambre a été introduite par le Directoire en 1795.
Ce débat récurrent est-il le bon ? Ou plutôt, nous posons-nous la bonne question ? Dans un régime semi-présidentiel, où la très grande majorité des pouvoirs définis par la Constitution revient au Président de la République et à l’exécutif, pourquoi remettre en question sans cesse le bicamérisme et, en particulier, le rôle du Sénat, alors même que celui-ci a participé, en France, à la stabilité institutionnelle ?
Ne serait-il pas plus pertinent de s’interroger sur les moyens de rééquilibrer les pouvoirs ou sur la manière de renforcer le rôle du Parlement ?
Je crois qu’il y a un certain populisme et, disons-le clairement, une certaine fainéantise intellectuelle à toujours « taper » sur le Sénat…
M. Yvon Collin. Une certaine démagogie, oui !