Mme Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Emmanuel Macron, ministre. Ce texte, en renforçant les contraintes relatives à la détention du capital par les professionnels du droit, nous permettra de mieux nous battre dans la « compétition » des modèles juridiques à l’œuvre au plan européen. En effet, ainsi que des jurisprudences récentes l’ont montré, nous n’avons pas su protéger notre modèle par rapport au droit allemand, qui autorise l’ouverture de filiales de cabinets juridiques dont le capital est majoritairement détenu par des non professionnels.
Le projet de loi clarifie la situation actuelle et protège les professionnels. Il leur permettra de promouvoir un modèle beaucoup plus robuste au niveau européen.
J’en viens à la séparation entre le droit et le chiffre. Je défendrai un amendement visant précisément à clarifier la notion d’accessoire. Je sais que le sujet est sensible et que M. le corapporteur s’y est particulièrement investi. Il s’agit non pas de revenir sur des équilibres aujourd’hui satisfaisants, mais de prendre en compte certains ajustements nécessaires bien au bon fonctionnement de certaines de ces professions. Ce débat mérite, me semble-t-il, d’être largement dépassionné.
L’interprofession ouverte aux professionnels du chiffre est également strictement limitée. D’abord, les conditions de détention du capital par ces professionnels sont strictement précisées. Ensuite, la séparation stricte de l’expertise-comptable et du commissariat aux comptes, qui procède des scandales auxquels certains d’entre vous ont fait référence, est préservée. Là encore, ne nous amusons pas à agiter des peurs : il y a des acquis, et nous entendons les réaffirmer.
La postulation territoriale pour les professions juridiques a également été évoquée à plusieurs reprises.
Nous voulons tirer les conséquences de la réforme des avoués, qui a été menée voilà plusieurs années, le ressort de la cour d’appel étant considéré comme le bon niveau.
Au regard de la dématérialisation des actes, il nous semble également légitime de permettre aux avocats, sur un certain nombre d’affaires, d’opérer librement d’un tribunal de grande instance, ou TGI, à l’autre au sein du ressort d’une même cour d’appel. En termes d’accès et de clarté du droit, c’est, selon nous, un meilleur service à rendre à nos concitoyens. La postulation territoriale, outre qu’elle apparaît le plus souvent obsolète, est source de surcoûts.
Le sujet est sensible. La profession a indiqué à plusieurs reprises que cette réforme de la postulation pouvait déstabiliser les équilibres économiques de certains barreaux. Certaines matières ont donc été retenues au niveau du TGI.
À cet égard, comme je l’ai indiqué à M. le corapporteur, vouloir simplement poursuivre l’expérimentation qui a déjà été partiellement lancée depuis quelques années relève quelque peu de la procrastination.
Mme Nicole Bricq. La droite dit vouloir aller vite…
M. Emmanuel Macron, ministre. En l’occurrence, une telle position me paraît assez incohérente avec les positions de la commission spéciale sur les autres volets du texte. Pourquoi faudrait-il continuer à expérimenter sur certains points et se jeter immédiatement dans le grand bain sur d’autres pour lesquels le problème n’a pas encore été examiné au fond ? Il y a là, me semble-t-il, une certaine contradiction.
Je trouve que la commission spéciale fait preuve d’une certaine pusillanimité. Je suis toutefois prêt à débattre des matières – je pense notamment aux contentieux impliquant les banques ou les assureurs – que l’on pourrait maintenir au niveau du TGI pour assurer la transition et éviter de déstabiliser la profession. En revanche, il ne m’apparaîtrait pas opportun de différer une réforme somme toute assez logique. Comment expliquer par exemple les quelque 500 euros de postulation territoriale pour régler un divorce entre Annecy et Chambéry ?
M. le corapporteur a eu raison de rappeler que les tarifs étaient à la main du Gouvernement. Leurs modalités de fixation n’étaient toutefois pas suffisamment explicites. Le projet de loi prévoit donc de clarifier les principes que le Gouvernement applique actuellement. Cela nous semble constituer malgré tout une avancée. La commission spéciale a amendé le texte de l’Assemblée nationale, tout en préservant le principe de revues régulières à la lumière des coûts et des investissements. Je ne doute pas que nous pourrons débattre et avancer efficacement.
Je note également une contradiction dans les critiques émises à l’égard du fonds interprofessionnel. D’un côté, les professionnels concernés nous expliquent que leur statut d’officier public ministériel devrait les préserver d’une réforme « à la va-vite », ce qui n’est pas le cas de ce texte ; de l’autre, ils prétendent n’avoir rien à voir avec le financement de l’accès au droit, qui devrait relever exclusivement de la profession d’avocat. L’idée d’un fonds interprofessionnel et d’une mise à contribution de professionnels ayant rappelé à plusieurs reprises leur attachement au service public du droit ne me semble pas relever de l’hérésie. Ne soyons pas captifs d’un double discours selon les intérêts en cause !
Le sujet des tribunaux de commerce spécialisés est, je le sais, sensible dans les territoires. Je connais aussi le dévouement des juges, qui exercent le plus souvent leur mission à titre gracieux.
M. Charles Revet. Et ils sont proches du terrain !
M. Emmanuel Macron, ministre. En effet, monsieur le sénateur. Et nous ne voulons pas mettre fin à cette proximité. D’ailleurs, vous l’aurez noté, contrairement à ce que d’autres ont pu faire par le passé, nous ne supprimons pas de tribunaux de commerce ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Chiron. Ils l’ont déjà oublié !
Mme Nicole Bricq. Ils ont la mémoire courte…
M. Emmanuel Macron, ministre. En revanche, certaines affaires, notamment celles qui concernent des entreprises implantées sur différents sites, nous semblent plus complexes que d’autres à traiter. Je pense en particulier aux exemples de Mory Ducros ou de Pet Food à Villeneuve-sur-Lot. Dans ces cas, les salariés sont soumis à différentes justices consulaires, avec un risque de dissonance.
Au-delà d’un certain seuil de salariés, nous proposons simplement de regrouper ces affaires à quelques juridictions existantes qui se seraient spécialisées dans ce type de contentieux. Cela me semble un élément de clarification et de plus grande sécurité juridique.
Le débat porte surtout sur le seuil à retenir. Le seuil de 400 salariés concernerait seulement quelques affaires. J’avais défendu le chiffre de 150 salariés, mais je suis ouvert à la discussion autour d’un seuil de 200 salariés. Il faudrait qu’une centaine d’affaires puissent ainsi « remonter » chaque année.
Selon nous, une telle mesure ne déstabiliserait pas les tribunaux de commerce existants. Nous devons avoir un discours apaisant et renvoyer aux chiffres. Cela permettrait aux quelques tribunaux de commerce ainsi spécialisés d’être plus au fait de ces procédures complexes, mais aussi aux présidents de tribunaux de commerce impliqués de participer à la formation de jugement, donc de pouvoir porter la vision du terrain.
Je voulais également insister sur l’ambition de ce texte en matière de numérique. Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, je souhaite qu’elle soit renforcée. Vous avez déposé des amendements en ce sens ; nous en défendrons aussi.
Nous devons aller encore plus loin sur le très haut débit ou l’accès aux données publiques. Le sujet est complexe. Même s’il n’est pas totalement stabilisé juridiquement, nous devons pouvoir le faire avancer lors de la discussion au Sénat.
Il faut aussi que l’on puisse aller plus loin sur la couverture mobile, en traduisant dans la loi les engagements pris par le Premier ministre, notamment à Laon voilà quelques semaines.
Je veux aussi apporter des clarifications en matière de privatisations et de gestion du portefeuille de participations publiques.
Ce texte ne permet en aucun cas de faciliter les privatisations de manière rampante. Au contraire ! (Marques de désapprobation sur les travées du groupe CRC.) Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous pensez que le texte facilite les privatisations, il faudra m’en faire la démonstration !
Mme Annie David. On s’en chargera !
M. Emmanuel Macron, ministre. Car nous abaissons le seuil de l’autorisation par le Parlement ! Mon prédécesseur avait pu prendre par décret la décision de privatiser la société de gestion de l’aéroport de Toulouse. Si le texte est adopté, une telle décision devra impérativement relever de la loi.
M. Pierre-Yves Collombat. Quand on a une bonne majorité…
M. Emmanuel Macron, ministre. Il me semble préférable d’avoir un débat préalable transparent plutôt que de devoir ensuite affronter une polémique polluée par le manque de transparence initiale. (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.) Je tenais à dénoncer certaines contre-vérités.
Mme Éliane Assassi. N’employez pas d’argument d’autorité !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je n’emploie pas d’argument d’autorité, madame la sénatrice. Je vous demande de faire preuve d’une courtoisie symétrique à mon endroit. Nous pourrons ainsi avoir des débats de fond ; c’est ce que je recherche.
Le groupe GIAT Industries a deux filiales. La première, SNPE, est d'ores et déjà privatisée. NEXTER est la seconde. Nous demandons l’autorisation de la privatiser, non pas pour nous désengager – l’État ne compte pas vendre quelque action que ce soit –, mais pour pouvoir nous rapprocher d’un acteur allemand, KMW, afin de créer un « EADS des équipements terrestres ». Ce projet industriel est soutenu par le ministre de la défense, par moi-même et par les deux entreprises.
Ces dernières mènent leurs négociations. Dans ce cadre, elles ont à connaître de l’ensemble de la documentation juridique et financière. J’ai lu comme vous un article de presse mentionnant des accusations de corruption à l’étranger dirigées contre KMW. Un processus de vérification est en cours. Nous avons demandé que la lumière soit faite. Elle le sera dans le cadre des négociations conduites par les deux entreprises. C’est ainsi que les choses doivent se dérouler. Nous sommes pleinement vigilants sur ce sujet.
Dans ces secteurs – nous avons eu l’occasion de le vérifier à propos de nombre d’entreprises françaises employant des salariés sur notre territoire –, la mise en cause d’entreprises existe. De telles polémiques peuvent voir le jour. Nous sommes aussi vigilants que vous. Je tiens à vous rassurer. Nous avons demandé à l’entreprise d’exercer une surveillance toute particulière.
Monsieur le sénateur Pierre Laurent, je me dois de vous le dire, vous avez proféré une contre-vérité sur le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB. Le projet de loi ne prévoit en aucun cas sa privatisation.
M. Pierre Laurent. On s’engage quand même dans cette voie !
M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit de permettre à la Banque publique d’investissement, la BPI, dont il n’aura échappé à personne ici qu’elle est codétenue par la Caisse des dépôts et consignations et par l’État, donc pleinement publique, d’entrer au capital du LFB pour accompagner les développements en cours. Je pense en particulier à un investissement de 250 millions d'euros à Lille. Le code de la santé ne le permet pas pour le moment. C’est cette situation que nous souhaitons corriger.
Le débat sera totalement transparent. J’ai entendu beaucoup de contre-vérités. Le sujet est suffisamment sensible – je pense que nous en convenons tous – pour que l’on ne déforme pas le contenu du texte. La filière du sang et la question du don du sang valent mieux que des polémiques fallacieuses et des contre-vérités.
J’ai pris l’engagement devant l’Assemblée nationale qu’il n’y aurait pas d’ouverture, même minoritaire, du capital du LFB. Je l’ai également confirmé par écrit à son président. Aujourd'hui, dans le silence de la loi, un acteur privé peut acquérir jusqu’à 49 % du capital de LFB. Ce ne sera plus possible demain. C’est donc l’inverse de ce que certains ont affirmé.
Je crois avoir été explicite dans mon propos liminaire sur les actions de performance et les retraites chapeaux. J’ai expliqué à la fois la logique et la philosophie de ces mesures. Je n’y reviens pas. Nous en débattrons de nouveau plus tard.
J’en viens aux investissements. Mme la corapporteur a exprimé son souhait de réforme de l’épargne salariale. J’ai expliqué les limites de nos avancées. Nous partageons la même volonté d’aller plus loin pour restaurer la philosophie de l’épargne salariale et du forfait social. Ce sont les contraintes budgétaires qui nous ont empêchés d’aller au bout des recommandations du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS. Elles n’ont pas été levées entre-temps. Je ne veux pas qu’il puisse y avoir de malentendu sur les intentions du Gouvernement.
Je souhaite également revenir sur les propos de Philippe Adnot au sujet du PEA-PME, dont la création est récente : elle date du 1er janvier 2014. Là encore, si nous ne sommes pas allés plus loin, c’est essentiellement à cause des contraintes budgétaires, qui continueront à exister, même si les mesures que le Premier ministre annoncera demain en matière d’investissement public et privé permettront de renforcer l’efficacité des dispositifs existants.
Je souhaite aborder plusieurs points relatifs au volet social.
Tout d'abord, comme cela a été souligné, il faut que nous ayons un débat très détaillé sur les plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE. Le débat a été renvoyé à l’examen des articles. Je suis moi aussi vigilant. Le projet de loi comporte des éléments de clarification et de sécurisation des procédures, et en aucun cas d’allégement des garanties dont disposent les salariés. Nous débattrons en détail des homologations des PSE, des moyens du groupe ou encore de l’ordre de reclassement. Le sujet le mérite. J’expliquerai ce que moi et mon collègue François Rebsamen avons voulu faire.
Pour ce qui est des accords de maintien dans l’emploi, qu’ils soient défensifs ou offensifs, j’ai essayé de rappeler l’articulation des temps. La loi votée en 2013 a apporté une première avancée, en créant les accords de maintien dans l’emploi défensifs. Je partage le constat qui a été dressé ; je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai pu tenir, à quelque période que ce soit. Nous devons aller plus loin. C’est d'ailleurs pour cette raison que le Premier ministre a appelé dès le mois de février à une évaluation du dispositif par les partenaires sociaux.
C’est dans le cadre de la loi dite « Larcher » que toutes les réformes doivent être menées. Il y a eu une négociation sur les accords de maintien dans l’emploi défensifs. Les partenaires sociaux doivent maintenant en faire l’évaluation. De deux choses l’une : soit ils arriveront à un accord lors de leur réunion du 18 mai, et nous en tirerons les conclusions, soit ils ne trouveront pas d'accord, et nous pourrons reprendre la main.
Il n’y a pas eu de négociation à proprement parler pour ce qui est des accords de maintien dans l’emploi offensifs. Nous ne pouvons donc pas prendre la main. Le Premier ministre a toutefois appelé les partenaires sociaux à aller plus loin dans la négociation. Le sujet n’est pas encore mûr. Il ne participe pas de la même logique que les accords de maintien dans l’emploi défensifs, ces derniers permettant à des entreprises en difficulté de procéder à des aménagements par le truchement d’un accord majoritaire. On peut discuter des modalités ; je pense qu’il est déjà possible d’aller très loin en termes de flexisécurité par ce biais, c'est-à-dire de manière négociée.
Le débat sur les accords de maintien dans l’emploi offensifs implique une réflexion plus large sur la hiérarchie des normes. Il faut aborder cette question de manière franche et transparente. Aller vers les accords de maintien dans l’emploi offensifs, c’est aller vers l’inversion de la hiérarchie des normes. Le sujet mérite une négociation en soi. Le Premier ministre l’a lancée. Elle prendra évidemment plusieurs mois, et nécessitera la contribution de toutes et tous.
On ne peut pas avancer sur ce sujet au détour d’un tel projet de loi. Il ne s’agit pas simplement de prolonger la philosophie des accords de maintien dans l’emploi défensifs. Il y a en quelque sorte une « rupture de charge ». Cependant, nous pourrons faire dès à présent beaucoup de bien à notre économie, en termes d’efficacité, si nous parvenons à apporter davantage de fluidité et d’agilité aux accords de maintien dans l’emploi défensifs.
Le travail dominical a donné lieu à de nombreux débats. J’ai évoqué la question de la compensation. Je comprends les sensibilités qui s’expriment sur ce sujet. Toutefois, je ne peux pas laisser dire que le projet de loi prévoit une banalisation du travail dominical. De nombreux verrous sont mis. Je suis sensible à la situation des entreprises de moins de onze salariés, que Mme la corapporteur a évoquée, mais je pense que nous devons aller au bout d’une logique. Nous aurons ce débat.
Le dialogue social est, je le crois profondément, un élément de protection des salariés en même temps qu’un moyen de trouver les bons compromis et les bons équilibres au niveau de la branche, de l’entreprise ou du territoire. La philosophie selon laquelle l’ouverture dominicale nécessite un accord définissant les compensations a cette force. Si l’on commence à prévoir des exceptions à cette philosophie, par exemple dans un souci de simplification pour les plus petites entreprises, on perd en cohérence et en force, et on acte le fait que les salariés n’ont dans certains cas plus les mêmes protections. On change alors de logique, et il faut rouvrir différemment le débat. Pour ma part, je n’ai pas trouvé la solution idéale.
Le projet de loi vise un double objectif de simplicité et de cohérence. Il repose sur la confiance dans le dialogue social ou, si je puis dire, économique et social. C’est cette philosophie qui inspire l’innovation que nous proposons. Ce n’est pas la loi qui définira la compensation, ce qui est une première ; mais, s’il n’y a pas d’accord, il n’y aura pas d’ouverture dominicale, ce qui est aussi une première. C’est, me semble-t-il, la bonne manière d’aller au bout de la logique du dialogue social comme élément d’une meilleure protection et d’une meilleure agilité économique.
Pour certains, nous faisons trop de réformes structurelles ; pour d’autres, nous n’en faisons pas assez. La réforme des prud’hommes est une réforme structurelle. Elle va profondément modifier le contentieux du licenciement individuel, qui constitue un aspect du mauvais fonctionnement de notre marché du travail et une cause d’injustice sociale pour les salariés les plus modestes comme pour les plus petits employeurs. Il me paraît donc faux d’affirmer que le projet de loi ne porte pas de réformes structurelles. Celle que je viens d’évoquer n’est qu’un exemple parmi d’autres.
La réforme des prud’hommes permettra d’améliorer la capacité à trouver les voies et moyens d’accords. Des modes alternatifs de règlement des conflits sont proposés. Je ne veux cependant pas majorer l’importance ou le potentiel succès de ces voies parallèles. Nous avons en revanche une vraie volonté de rendre la conciliation plus efficace. Aujourd'hui, on recourt trop peu à cette procédure, faute peut-être de mise en l’état du dossier. C’est pourquoi nous réformons le dispositif, en le précisant. Je pense que cela va dans le bon sens. Il se peut aussi que les parties n’aient pas suffisamment de visibilité. Le référentiel permet d’avancer en ce sens ; je pense qu’il s’agit d’un véritable apport.
Il faut également des voies accélérées pour éviter la procrastination. Le projet de loi prévoit que l’on puisse réputer la chose jugée en cas de manœuvre dilatoire de l’une ou l’autre partie. Cela évitera que les jugements ne soient différés de six mois en six mois. Nous savons bien que cette pratique existe dans nos territoires. La réforme des prud’hommes est donc un exemple de conciliation entre une plus grande efficacité et une plus grande justice. Ses effets se révéleront progressivement, y compris dans le domaine macroéconomique.
Tels les éléments que je souhaitais apporter en réaction à vos propos.
Je voudrais maintenant répondre aux multiples interpellations sur des sujets européens. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser, ce projet de loi n’est pas un texte fait pour Bruxelles.
Mme Natacha Bouchart. Mais si !
M. Emmanuel Macron, ministre. Cependant, il n’est interdit ni d’avoir un débat avec nos partenaires ni d’engager des réformes qu’ils ont parfois conduites voilà dix ans alors que nous n’avons pas su les mener. Nous le faisons dans un contexte qui n’est pas facile. Cela aurait pu être fait à d’autres moments. Mais nous n’étions pas là, et je le regrette.
Le débat qui doit être organisé au niveau européen est celui des réformes et de la croissance. Ce projet de loi permet de l’amorcer. Si le débat européen consiste simplement à nous dire de ne pas faire trop de réformes, mais d’ajouter, milliards d'euros après milliards d'euros, de nouveaux ajustements en termes d’économies, c’est une mauvaise solution.
Notre trajectoire budgétaire est ce qu’elle est. Pour les uns, elle est excessive ; pour les autres, elle est insuffisante. Je considère simplement que, quand les dépenses publiques représentent plus de 56 % du PIB, le sérieux budgétaire est une nécessité.
Le sérieux budgétaire, ce n’est pas l’austérité ! Prétendre le contraire, c’est manquer de respect à l’égard de ceux qui vivent l’austérité ailleurs en Europe. L’austérité, cela signifie des baisses de salaires et de pensions de retraite ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Alors, non, nous ne menons pas de politique d’austérité dans ce pays. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mais, de la même façon, la dérive budgétaire n’est pas, n’est plus à l’ordre du jour. Nous ne sommes plus au temps où, comme entre 2007 et 2012, on a pu augmenter les dépenses publiques de 120 milliards d’euros. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Ce n’est plus possible, nous n’en avons plus les moyens. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) C’est la réalité !
M. Didier Guillaume. Voilà !
M. Emmanuel Macron, ministre. Eh oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes sur un chemin qui est celui du sérieux budgétaire.
Ces 50 milliards d’économies en trois ans nous permettent, de manière crédible, durable, sans détruire notre économie, de retrouver progressivement, en quelques années,…
Mme Natacha Bouchart. En vingt ans !
M. Emmanuel Macron, ministre. … la moyenne européenne.
En parallèle de ces économies, que nous devons faire et que nous faisons, nous devons conduire des réformes. C’est l’ambition de ce texte.
Grâce à ces réformes, qui prennent du temps et qui, vous avez raison, mettront du temps à produire leur plein effet sur l’économie, nous aurons plus de vitalité économique, donc plus de rentrées budgétaires.
Regardez le cas allemand : si l’Allemagne est aujourd’hui en excédent budgétaire, c’est parce qu’elle a su conduire des réformes voilà dix ans.
Mme Natacha Bouchart. Et le Royanume-Uni !
M. Emmanuel Macron, ministre. Pour le coup, le Royaume-Uni est très loin de la surconsolidation budgétaire, je vous rassure. Son déficit budgétaire est même pire que le nôtre !
Cependant, les pays qui ont su mener des réformes de structure en ont vu les effets avec le temps. Cela prendra donc du temps pour nous, mais je crois en la force, dans le temps, des réformes que nous conduisons.
C’est parce que nous savons nous réformer aujourd’hui, et que nous adoptons simultanément cette démarche de sérieux budgétaire que nous pouvons aussi être exigeants à l’égard de nos partenaires, en demandant plus d’investissements européens, en accroissant la pression pour une meilleure coordination des politiques européennes, en étant plus intransigeants à l’égard du plan Juncker. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Nous ne gagnerons pas à répéter à l’envi que nous n’avons rien à faire sur le plan budgétaire et que les réformes sont pour les autres.
Depuis le début de notre débat, j’ai en effet relevé un paradoxe constant : il faudrait toujours faire plus d’économies et de réformes, mais les économies sont toujours pour l’autre, et les réformes, ce sont toujours celles que l’on ne fait pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il y a constamment chez nous un bovarysme budgétaire et un bovarysme de la réforme économique ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Pour ce qui est des réformes, ce projet de loi en porte déjà un certain nombre. Elles ne sont peut-être pas suffisantes ; elles vont peut-être trop loin. En tout cas, nous les assumons dans un effort de modernité, car nous voulons aller de l’avant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que nous saurons porter collectivement ces réformes et ce sérieux budgétaire que nous pourrons être exigeants avec nos partenaires et retrouver cette capacité à créer une nouvelle donne européenne. En effet, nous avons besoin de beaucoup plus de relance au niveau européen, mais, si la France ne se réforme pas, si la France n’adopte pas la politique de sérieux budgétaire dont je parlais, elle ne pourra pas porter cette voix. À mon sens, ce texte contribue à lui en donner l’opportunité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des motions.
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°1692.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015)
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, alors que nous sortons d’une période électorale marquée par une forte abstention, un sentiment d’abandon des plus précaires et un rejet de la politique libérale menée par François Hollande, à l’évidence, le Gouvernement reste sourd à l’expression de la colère, au dégoût face aux promesses non tenues, aux reniements, aux capitulations.
Vous ignorez cette exigence d’une autre politique qui réponde aux attentes de nos concitoyens, une autre politique qui les rassure sur l’avenir de leurs enfants. Ils n’en peuvent plus de l’accroissement des inégalités sociales et de la désespérance sociale.
Face aux peurs de déclassement, face aux peurs du chômage, du surendettement et de pensions insuffisantes pour survivre, vous nous proposez une loi mastodonte, dont l’unique souci, quand on l’étudie de près, article par article – eh oui, monsieur le ministre, nous travaillons beaucoup, surtout mon groupe ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) –, est de répondre, d’une façon ou d’une autre, aux attentes du marché.
Monsieur le ministre, vous faites miroiter l’idée que votre préoccupation première est la croissance, alors que, en totale contradiction avec cet affichage, vous menez depuis le début du quinquennat une politique d’austérité qui empêche un retour à la création de richesse. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)