Mme Sophie Primas. Liberté !
Mme Cécile Cukierman. Ils le font pour couvrir les dépenses de leur ménage, faisant ainsi fi de leur vie personnelle ainsi que des solidarités familiales et sociales qui se nouent et se renouent le dimanche.
Le second alinéa du préambule de la Constitution de 1946 que je souhaite évoquer ici concerne la nécessaire pérennité des services publics nationaux.
Nous le verrons dès les premiers articles de ce projet de loi, l’attaque portée au service public de chemin de fer est une atteinte directe et grossière au principe de 1946 et, au-delà, une insulte au souvenir de 1936 et de ceux qui ont fait les grandes conquêtes ouvrières.
Je souhaitais resituer votre texte, monsieur le ministre, dans une perspective historique. Mais cette perspective est, selon nous, en recul, puisque votre visée libérale met en cause les grands acquis du monde ouvrier et salarié du XXe siècle. Ils seront nombreux à vous le rappeler, jeudi, dans la rue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour m’en tenir à la question posée, je crois que ce texte est bien conforme à la Constitution. Il serait, en tout cas, jugé comme tel s’il devait être soumis au Conseil constitutionnel. En revanche, il n’est pas écrit en français. (C’est clair ! sur les travées du groupe CRC.)
Avec ce texte, on atteint des sommets dans le charabia et l’illisibilité !
Mes chers collègues, je me demande si vous réalisez bien ce que l’on nous demande : il s’agit de codifier et, dans le même temps, d’établir des lois. Je sais bien que tout le monde fait de même… Mais là, vraiment, on bat des records !
Je trouve tout simplement scandaleux que, pour faciliter la vie des bureaux, on leur fasse faire le boulot. Et, pour comprendre ce texte, c’est un peu coton… M’y étant employé, je peux vous le dire : heureusement que certains le lisent pour vous ! En cherchant bien, on arrive à trouver ce que l’on y cherche ; sinon, on n’y comprend rien !
Je ne parlerai pas du fond, car je pense que l’on aura l’occasion d’y revenir lors de l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable. Mais, à un moment donné, je crois qu’il faut savoir dire : « Assez ! » (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Quels que soient nos réserves et les désaccords que nous pouvons avoir avec le Gouvernement et la majorité à l’Assemblée nationale – nous ne savons d’ailleurs pas exactement quels sont ces désaccords, les députés ne s’étant pas totalement exprimés sur ce texte ! –, nous avons un objectif commun : la croissance économique, l’activité et l’emploi.
Nous pensons que notre économie a besoin de réformes. Le chemin qui nous y conduira n’est peut-être pas exactement le même que celui qui est ici préconisé, mais il y a lieu d’en discuter et, de la part de la majorité sénatoriale, de proposer, à la suite du travail effectué en commission, un texte opérationnel et efficace.
Le groupe UDI-UC rejettera donc cette motion.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1692, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 19 |
Contre | 307 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°1693.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015).
La parole est à Mme Annie David, pour la motion.
Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, intitulé qui traduit un mépris profond à l’égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens, en tout cas de celles et ceux qui nous font confiance, et qui ont fait confiance à François Hollande en 2012.
Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas débité de contrevérités, pas plus que nous n’avons énoncé d’informations fallacieuses. Comme d’autres ici, nous avons étudié votre texte !
Comme le président du Sénat, Gérard Larcher, vous l’a indiqué, dans les colonnes du quotidien Le Figaro :…
M. Didier Guillaume. Belle lecture ! (Sourires.)
Mme Annie David. … « C’est de manière extrêmement pragmatique et non pas idéologique que ce projet de loi va être examiné par la droite sénatoriale ».
Or nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, assumons pleinement notre engagement pour une société plus juste, plus égalitaire, pour retisser du lien social, pour lutter contre le chômage. Tel est, en somme, notre engagement politique et idéologique.
D’ailleurs, vous-même ne manquez pas d’idéologie, monsieur le ministre, notamment quand, à Las Vegas, vous expliquez au Wall Street Journal que « les entreprises pourront contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ».
Votre idéologie est libérale. Elle sous-tend l’ensemble de votre projet de loi, ce qui nous amène à proposer de le rejeter en bloc. En effet, sous l’apparence d’un texte « fourre-tout » ou « éclectique », comme l’a qualifié le corapporteur dans la discussion générale, il a bien une cohérence : déréglementation, recul de l’État, remise en cause des acquis sociaux, pour plus de libéralisme.
Cette cohérence ultralibérale est grave. Elle nous a conduits à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ne répond pas aux grands enjeux de notre société et entraîne notre pays vers une situation économique et sociale pire que celle que nous vivons !
Or nos concitoyennes et nos concitoyens sont à bout. Ils l’ont montré, exprimé, crié par leur vote, ou leur non-vote, lors des dernières élections départementales. Pourquoi refusez-vous de les entendre ?
L’effritement du lien social, le manque de perspectives offertes à notre jeunesse, le développement de la précarité sociale et économique, non seulement ne sont pas pris en compte par ce projet de loi, mais s’en trouveront accentués.
Que dire aux 23 % de jeunes au chômage actuellement ?
Que dire aux salariés, contraints d’accepter tous les contrats qui leur sont proposés et de se plier à toutes les conditions de travail, pour garder ou trouver un emploi ?
Parmi eux, les plus précaires sont sans doute les saisonniers. Ils ont témoigné ici, au Sénat, dans le cadre d’un colloque organisé par mon groupe, des conditions de vie et de travail extrêmes qui sont les leurs, qui détruisent leur santé, leur vie familiale, sociale. Ils en ont fait part à votre collègue, Matthias Fekl, qui était présent.
Monsieur le ministre, comment leur expliquer que vous proposez un texte qui accentuera encore plus leur précarité ?
Et que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte, qui ont appris aujourd'hui même qu’ils avaient perdu leur emploi ?
Dans ce contexte de chantage à l’emploi, c’est toujours le « moins-disant social » qui prime et devient la règle. C’est ce que votre projet de loi organise.
Comme le résume très bien Martine Bulard dans Le Monde diplomatique, ce texte s’articule autour de la formule « toujours moins » : moins de droits sociaux, moins de règles pour les entreprises, moins de contrôle public. Ainsi, on arrive à plus de libéralisme, plus de précarité, plus d’individualisme.
L’exemple du travail du dimanche est en cela flagrant. Le lien familial et social tissé durant ce jour de repos commun à toutes et tous n’existera plus. Cela touchera particulièrement les foyers les plus modestes, là où les gens « n’ont pas le choix » de travailler ou non le dimanche.
Au passage, monsieur le ministre, notez que 70 % des salariés du commerce sont des femmes et que 60 % à 70 % d’entre elles élèvent seules leurs enfants.
Ainsi, sans ce lien social, sans le temps consacré par les parents à leurs enfants, comment éviter le désespoir, l’échec scolaire, l’isolement, voire l’endoctrinement de certains jeunes, qui conduit parfois à des actes irréversibles ?
Qui plus est, aucun effet positif n’est prouvé sur l’économie. À pouvoir d’achat constant, l’ouverture des commerces une journée de plus aura pour résultat de détourner les achats vers cette journée et vers les grandes surfaces, au détriment des petits commerces.
Cette mesure, emblématique, met donc en évidence que ce qui est visé est non pas la croissance, pas plus que « l’égalité des chances économiques », mais la déstructuration du contrat de travail et la promotion d’une société fondée sur la consommation.
L’adoption du « contrat zéro heure » anglais ou du « mini job » allemand, si cher au MEDEF, se profile à l’horizon…
Et, pendant que vous déconstruisez le droit du travail et précarisez les salariés, monsieur le ministre, d’autres s’enrichissent : la France a atteint en 2014 la deuxième place mondiale en termes de rémunération de ses actionnaires, derrière les États-Unis !
En 2014, les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits, en baisse, s’établissaient à 48 milliards d'euros… Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer la question de l’épargne salariale au cours de ce débat, monsieur le ministre.
Parallèlement à cela, ou à cause de cela, depuis la crise, les entreprises ont détruit plus d’un demi-million d’emplois, pour 100 000 actifs qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.
Vous nous parlez d’entreprises en difficultés ? Je vous réponds entreprises gérées de manière court-termiste, le propre du système capitaliste, pour satisfaire la volonté des actionnaires sans prendre en compte les besoins en termes d’investissement et d’emploi.
Mais, au lieu de lutter contre ce système, vous y adaptez notre droit du travail. L’entreprise est-elle en difficulté, car elle a distribué l’essentiel de ses ressources aux actionnaires ? Ce n’est pas bien grave : l’emploi fera office de variable d’ajustement. Pour ce faire, les conditions de licenciement sont assouplies.
Comment faire confiance à ce modèle pour nous sortir de la crise ? Pourquoi vendre à ce système des entreprises publiques, actives dans des domaines stratégiques, si ce n’est par idéologie ?
Il est en effet prouvé qu’en plus d’être injuste ce système libéral est inefficace sur le plan économique. Selon un rapport de l’OCDE, les inégalités ont coûté 8,5 points de PIB sur vingt-cinq ans dans les pays membres de l’OCDE.
Mme Nicole Bricq. Pas en France !
Mme Annie David. Cela rend urgente une intervention de l’État auprès des 40 % de personnes les plus défavorisées.
Ce n’est pas ce que fait ce texte. À la place, il prévoit de « libérer » le patronat de ses « charges » et, dans les faits, de toute responsabilité sociale, territoriale et environnementale.
Ce qui nous pose problème, c’est la quasi-totalité des mesures contenues dans ce texte, qui remettent en cause le service public, le rôle de l’État dans l’économie, les acquis sociaux, les ambitions de notre pays, notamment en termes de développement durable ou de solidarité.
Ainsi, au lieu de vous attaquer à la rente des actionnaires, à la fraude fiscale ou encore à la fraude aux cotisations patronales, vous pointez du doigt la supposée rente des notaires.
« Moderniser » la France nécessiterait, selon vous, d’introduire la liberté d’installation des professions réglementées, en permettant de facto des concentrations au profit de grands groupes, là où ils les jugeront rentables, et des désertifications ailleurs, notamment en zone rurale.
« Moderniser » la France nécessiterait, toujours selon vous, de réintroduire le transport par autocar ! Ce faisant, vous incitez au développement d’un mode de transport présentant un risque de mortalité deux fois plus élevé que le rail, selon une étude de l’Union européenne, mais aussi plus polluant et dont le développement est en total décalage avec les objectifs affichés par le ministère du développement durable.
Là encore, l’objectif de modernisation n’est qu’un leurre, qui cache une volonté de casser le service public de la SNCF.
La casse du service public s’effectue aussi en « bradant » les avoirs de l’État dans certaines entreprises. Ainsi, l’article 47 organise la privatisation du Groupement industriel des armements terrestres. Il en est de même pour les aéroports de Nice-Côte d’Azur ou de Lyon-Saint-Exupéry. De plus, la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB, est préparée, avec une ouverture partielle de son capital à la BPI. (Mme Catherine Génisson s’exclame.)
Ces « opérations sur le capital des sociétés à participation publique » s’inscrivent dans une longue liste de cessions des participations de l’État : l’aéroport de Toulouse-Blagnac récemment, mais aussi EADS, Safran, Aéroports de Paris, GDF-Suez, Orange…
Pour améliorer sa trésorerie à court terme, l’État se prive de 4,5 milliards d'euros de recettes et, surtout, d’un contrôle sur des entreprises clés, actives dans des secteurs stratégiques.
D’ailleurs, la gestion actuelle des autoroutes prouve, s’il en était besoin, que la privatisation ne profite pas au consommateur et conduit à une augmentation des prix.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Chiron. C’est vrai !
Mme Annie David. En ce sens, 78 % des Françaises et des Français sont favorables à la nationalisation des autoroutes.
C’est donc non pas aux besoins de nos concitoyens que vous répondez, mais à ceux des entreprises. Ainsi, pour les entreprises du bâtiment, ce texte lève les obstacles réglementaires qui limiteraient l’offre de logement, afin de développer l’offre de logements intermédiaires. Soit ! Mais quelle réponse est apportée au 1,7 million de ménages en attente d’un logement social ? Quelle réponse est apportée aux 3,5 millions de personnes mal logées dénombrées par la Fondation Abbé Pierre ? Elles sont les grandes oubliées de ce projet de loi sur « l’égalité des chances économiques ».
D’ailleurs, monsieur le ministre, comment prendre en compte l’avis des citoyennes et des citoyens, quand vous méprisez même leurs représentants, en leur retirant leur pouvoir de légiférer ? (M. le ministre s’étonne.)
C’est que notre rejet du texte ne tient pas à son seul contenu : il tient aussi à sa forme.
« Brutalité », « déni de démocratie » : tels sont les mots employés à l’époque par François Hollande pour qualifier l’utilisation du 49-3. Je ne peux, pour une fois, qu’être d’accord avec lui.
Mme Nicole Bricq. Le 49-3 au Sénat ?…
Mme Annie David. Autre coup porté à la démocratie, le recours aux ordonnances, notamment pour modifier le code de l’environnement, mais aussi le code du travail, en particulier l’organisation de l’inspection du travail.
Alors que l’État devrait se donner les moyens de lutter efficacement contre la fraude aux cotisations patronales et le travail illégal, l’inspection du travail sort affaiblie de ce texte. Par voie d’ordonnances, elle devrait voir un certain nombre de ses prérogatives passer aux mains de l’administration ou des juges.
Quand les salariés doivent accepter toujours plus de sacrifices et d’insécurité, quand les assurés sociaux perçoivent de moins en moins de prestations, le détournement du droit du travail à moindres frais est organisé.
C’est notamment le sens de la suppression de la peine d’emprisonnement en cas de délit d’entrave. Certes, cette peine n’avait jamais été utilisée. Pour autant, elle comportait une force dissuasive réelle et envoyait un message fort. Aujourd’hui, une simple amende de 15 000 euros maximum pourra être demandée. Or l’exemple de l’emploi des travailleurs handicapés nous prouve que les entreprises préfèrent trop souvent payer plutôt que de respecter leurs obligations.
Il en va de même concernant les licenciements abusifs. Avec le référentiel indicatif imposé aux conseillers prud’homaux, l’employeur pourra déterminer à l’avance ce qu’il lui en coûtera s’il licencie un salarié sans respecter le droit.
La casse des prud’hommes est également organisée, sous prétexte de raccourcir les délais de jugement. Effectivement, cette juridiction n’est pas du goût du MEDEF : chaque année, 200 000 salariés s’adressent à elle pour faire valoir leurs droits. Au lieu d’allouer les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l’institution, le texte organise la mise en œuvre d’une justice expéditive et privilégie la relation directe entre l’employeur et le salarié, laquelle est forcément inéquitable.
Cette idée parcourt d’ailleurs l’ensemble du texte : la relation patron-salarié prime les accords collectifs. À terme, le code civil pourrait l’emporter sur le code du travail, qui a pour fondement et particularité de reconnaître le lien de subordination existant entre employeurs et salariés.
De même, les décisions prises d’en haut priment les décisions des responsables locaux. L’exemple du travail du dimanche est significatif : pour la délimitation des zones touristiques internationales, les maires ne sont consultés que pour avis, la décision finale revient au Gouvernement.
La liste des mesures qui nous posent problème est longue.
Nous aurions pu aussi évoquer l’assouplissement des conditions de licenciement ou encore des règles concernant l’emploi des travailleurs handicapés.
Ces mesures, cyniques, ultralibérales, inefficaces pour sortir notre pays de la crise, la droite sénatoriale les approuve. Elle va même plus loin : ouverture à la concurrence des trains régionaux, remise en cause des seuils sociaux et des 35 heures, suppression du compte pénibilité, doublement du plafond du dispositif ISF-PME, etc. Elle propose même un amendement spécial « ferme des 1 000 vaches ». Car, oui, la recherche de rentabilité à tout prix n’épargne pas l’agriculture. Tant pis si cela nuit au consommateur et à l’environnement !
Nous ne voulons pas avoir à choisir entre le libéralisme du Gouvernement et l’ultralibéralisme d’une droite décomplexée qui se réjouit de voir passer les mesures qu’elle affectionne, mais qu’elle n’a pas mises en œuvre quand elle était au gouvernement, pour ne pas en supporter le coût électoral…
Nous ne pouvons assister sans réagir à cette casse de tous les garde-fous qui permettaient encore à notre pays de résister à la précarisation profonde de la société. En cela, madame Bricq, je vous rejoins.
D’après l’OCDE, « jamais en trente ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé ». Ce n’est pas acceptable et cela ne vient pas de nulle part : c’est le fruit d’une politique délibérément libérale et injuste, qui consiste à supprimer tout ce qui fait obstacle à l’enrichissement des plus riches et à la mainmise des actionnaires sur les entreprises.
Le résultat est au rendez-vous. Dans certains pays d’Europe, pendant que les peuples luttent pour survivre, garder leur emploi, se soigner, les dividendes versés ont augmenté de 22 % depuis 2009 !
Pourtant, monsieur le ministre, vous continuez de suivre les dogmes libéraux, ce qui vous a attiré les compliments de la Chancelière allemande, Angela Merkel, et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Ce dernier voudrait d’ailleurs que la France aille plus loin dans ses efforts. À lui qui a oublié de lutter contre la fraude fiscale lorsqu’il était Premier ministre du Luxembourg, vous offrez des gages, en lui promettant une loi « Macron II ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. Quel rapport ?
Mme Annie David. Nous aurions préféré voir votre gouvernement de gauche épauler le Premier ministre grec, M. Tsipras ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Monsieur le ministre, au regard des difficultés que vivent nos concitoyens, votre positionnement idéologique est grave. Il s’exprime dans l’ensemble de ce texte. C’est pourquoi nous le rejetons en bloc et c’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.
Mme Catherine Deroche, corapporteur. La commission spéciale émet un avis défavorable sur cette motion.
Dans l’objet de votre motion, madame la sénatrice, vous indiquez que le texte « renvoie aux vieux poncifs du libéralisme du XIXe siècle ». Croyez bien que, si la commission spéciale avait fait preuve d’un libéralisme effréné ou débridé, le projet de loi serait bien différent de celui qui résulte de ses travaux !
On peut admirer votre sincérité, et respecter la constance de vos convictions, mais souffrez qu’on ne les partage pas. Votre obsession du dirigisme et de l’étatisme, votre refus absolu de toute concurrence relèvent, à nos yeux, d’une vision un peu passéiste et dépassée.
Mme Éliane Assassi. Cela fait longtemps que l’on ne nous l’avait pas faite, celle-là !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Je pourrais répondre point par point à l’ensemble des arguments de Mme David, (Protestations amusées sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP), mais puisque vous criez grâce vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous épargnerai ! (Sourires.)
En vous écoutant, madame la sénatrice, je repensais à ces chansons enfantines que l’on dit « en laisse », c'est-à-dire que la dernière syllabe d’un vers inspire la première du vers suivant.
Oui, madame David, vous nous avez finalement livré un petit discours en laisse, rebondissant sans trop de cohérence d’une idée à l’autre. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Vous êtes bien le seul à nous reprocher notre manque de cohérence !
M. Emmanuel Macron, ministre. Vous avez évoqué de nombreux sujets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Nous y reviendrons, mais de manière cohérente, en les abordant successivement, au cours de l’examen des articles, car il existe une véritable cohérence d’ensemble sur ces questions, mais qui n’est pas celle de la chanson en laisse !
J’émets donc un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, vous avez à plusieurs reprises évoqué la philosophie de ce texte, en vous abstenant d’ailleurs prudemment de la définir…
L’intitulé du titre Ier du projet de loi, « Libérer l’activité », la résume parfaitement. C’est la philosophie de multiples textes du même genre qui ont été déposés depuis une trentaine d’années, textes tout aussi pleins de bonnes intentions et proches de celui-ci, parfois au titre près, à l’instar de la fameuse loi du 31 mars 2006 pour « l’égalité des chances », votée, comme celle-ci, au bénéfice du 49-3 à l’Assemblée nationale, et déférée au Conseil constitutionnel par les groupes socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat, alors dans l’opposition – j’en étais.
Autres temps, autres mœurs !
Selon cette croyance, si l’investissement stagne, si le chômage augmente, en un mot, si une économie tourne au ralenti, c’est non pas parce que la demande n’est pas au rendez-vous – le catéchisme est formel : l’offre crée la demande –, mais parce que cette économie est tout simplement enchaînée. Il faut donc la libérer.
Il suffit de libérer de ses entraves le tigre tout prêt à bondir pour que l’activité économique redémarre et que le chômage s’efface. C’est élémentaire.
Libérer l’économie, c’est privatiser les activités immédiatement rentables et externaliser les investissements lourds et le maximum de coûts à la collectivité : ainsi, aux transporteurs privés les autocars utilisant des voies qu’ils n’ont pas payées, à la SNCF et aux collectivités la charge des réseaux.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreux autres.
Libérer l’économie, c’est supprimer progressivement la contribution fiscale des entreprises aux budgets publics, tordre le cou au code du travail qui, chacun le sait, fausse la concurrence entre l’employeur et l’employé, ce dernier étant libre de vivre pour travailler plutôt que de travailler pour vivre, libre de travailler, si bon lui semble, la semaine, le dimanche, le jour, la nuit, et désormais « en soirée ».
Tout le reste est laissé de côté, à commencer par l’essentiel : le circuit économique et comment il fonctionne.
Or le circuit fonctionne lorsque les recettes des uns constituent les dépenses des autres. Mais nous sommes vraiment très forts, nous voulons que les uns aient des recettes, mais que les autres ne dépensent plus. Vous m’expliquerez comment cela peut marcher !
J’ai encore en mémoire la discussion ici du projet de loi pour l’égalité des chances, déjà évoqué. Le ministre du travail de l’époque, qui a fait une belle carrière depuis, expliquait alors que, si l’Espagne avait aussi fortement réduit son chômage en quelques années, notamment le chômage des jeunes – la lutte contre le chômage des jeunes était l’objet principal du texte –, elle le devait au contrat de travail « allégé » du type de celui que le ministre proposait alors, le fameux CPE, ou contrat première embauche, mort d’ailleurs le lendemain de sa naissance. Certains s’en souviennent encore !
Je ne parvins pas à faire admettre au ministre à l’époque que la dynamique économique de l’Espagne, qui était alors effectivement exceptionnelle, était due plutôt à la spéculation immobilière qu’à l’inventivité juridique de son gouvernement et que cela risquait de mal finir. On était en 2005, et vous connaissez la suite.
Vous savez aussi ce qu’il advint du « taureau ibérique » et du « tigre celtique » irlandais. Nicole Bricq rappelait que nous ne sommes pas dans la situation catastrophique des Espagnols. Or, à l’époque, on nous reprochait justement de ne pas faire comme eux ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Mais oui, ma chère collègue !