M. Pierre-Yves Collombat. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. En revanche, vos choix favorisent une croissance et une seule : celle des dividendes des actionnaires du CAC 40 !
Chers collègues du groupe socialiste, osez dire que ce n’est pas vrai !
Vous faites assaut de démagogie, monsieur le ministre, pour protéger les vrais responsables de la dégradation de la situation économique de notre pays.
Pour vous, la France est malade de son aspiration à l’égalité et à la justice, malade de son particularisme social, mais aussi territorial – vous n’avez aujourd’hui que le mot « territoires » à la bouche, sans doute pour complaire aux sénateurs –,…
M. Dominique Bailly. Ce n’est pas possible d’entendre cela !
Mme Éliane Assassi. … alors même que notre modèle social nous a permis d’éviter des effets encore plus désastreux de la crise économique.
Ainsi, vous faites vivre, dans un long développement, la fiction d’un discours moderniste et simpliste pour cacher de vieilles recettes néolibérales qui consistent à mettre à bas les acquis gagnés à coup de luttes sociales et de résistance.
« La République partout, la République pour tous » disait il y a peu le Premier ministre, oubliant que notre République est avant tout sociale.
Vous le savez, monsieur le ministre, les mots ont un sens, et si la tentation est forte pour le Gouvernement d’utiliser le même langage que M. Gattaz, nous savons lire entre les lignes lorsque vous parlez de « pacte de responsabilité », de « choc de compétitivité » et de « libérer la croissance ». Les mots ont effectivement un sens, et nous sommes là pour vous le rappeler.
La liberté, monsieur le ministre, est une valeur de gauche. (Protestations sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme Catherine Deroche, corapporteur. C’est universel, madame !
Mme Éliane Assassi. C’est une valeur républicaine qui permet à l’homme de s’émanciper, de se libérer des jougs qui pèsent sur ses épaules, à commencer par celui d’une exploitation sans borne.
Nous entendons sans arrêt cette rengaine usée : il faut redonner confiance aux entreprises pour ensuite redistribuer de la richesse. En réalité, et tous les chiffres le montrent, cette richesse est de moins en moins distribuée, alors que les profits ne diminuent pas.
Ainsi, sous le titre prometteur de « projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », votre texte utilise les mots du MEDEF ou même les noms de commissions créées par Nicolas Sarkozy.
M. Alain Joyandet. Vous le regrettez, n’est-ce pas ?
Mme Éliane Assassi. Mais ce titre est aussi trompeur. Les mesures proposées ne créeront ni activités ni emplois ; elles se contentent en réalité de transférer des services et des activités du secteur public vers le secteur privé, sans la moindre utilité sociale ou économique.
Pire, des mesures facilitant les licenciements économiques et la casse du droit du travail, prévues dans la dernière partie du texte, desserviront l’activité économique et aggraveront encore la condition sociale des salariés. À moins que vous ne fassiez vôtre ce point de vue thatchérien selon lequel les droits des salariés, les droits syndicaux sont un frein à la croissance…
L’ordonnance du 20 août 2014 relative aux privatisations permettra de brader les biens publics, tandis que la première partie du texte s’attaque aux impératifs d’aménagement du territoire. Il s’agit en fait d’une remise en cause de l’État social, voire de l’État, tout simplement.
D’un point de vue juridique, ce projet de loi suscite plusieurs griefs quant à sa constitutionnalité. Si l’on ne peut que lui reconnaître une réelle cohérence doctrinale, il n’en demeure pas moins que son caractère formellement désordonné et sectoriel remet en cause les principes de sincérité des débats et de clarté de la loi, ainsi que ses corollaires que sont les principes d’égalité et d’intelligibilité de la loi. Les guides légistiques nous rappellent pourtant que, lorsque le Parlement débat d’un projet de loi et procède au vote, il le fait article par article, la clarté et la cohérence du contenu de l’article facilitant le débat et l’expression du vote.
Or nous sommes vraiment loin de la clarté et de la cohérence permettant l’expression de la représentation nationale.
Ainsi, dans ce projet de loi, il est question, pour reprendre l’énumération faite voilà peu par La Semaine Juridique, des administrateurs judiciaires, d’autorisations d’urbanisme, des autocars, de diverses autorités administratives indépendantes, des avocats, du bail commercial, du cadre juridique de l’intervention de l’État actionnaire, de la carte d’identification professionnelle des salariés du bâtiment et des travaux publics, des commissaires-priseurs, du compte épargne-temps, de concentration économique, des conseils en propriété industrielle, de la copropriété des immeubles bâtis, des dispositifs publicitaires implantés sur des équipements sportifs, des experts-comptables, des installations classées pour la protection de l’environnement, des greffiers des tribunaux de commerce, de la justice prud’homale, de la liquidation judiciaire, de la lutte contre la prestation de service internationale illégale, des microentreprises, des notaires, des péages autoroutiers, du permis de conduire, des plans de sauvegarde de l’emploi, des positions dominantes, du redressement judiciaire, des relations dématérialisées des entreprises avec l’administration et les tiers, du repos dominical, du repos en soirée, des réseaux de communication électronique à haut débit, des sociétés à participation publique, des sociétés d’exercice libéral, des taxis, des tribunaux de commerce, d’urbanisme, sans oublier la mérule, chère à Éric Bocquet….
J’arrête là cet inventaire à la Prévert, pourtant loin d’être exhaustif !
Ce texte, pour certains, ne mérite pas d’être qualifié de « projet de loi », parce qu’il a pour projet non pas une loi, mais au mieux plusieurs lois, rendant le travail parlementaire des plus difficiles, voire impossible.
Cette pratique questionne les principes de clarté et d’intelligibilité de la loi, qui découlent des articles IV, V, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ces exigences constitutionnelles imposent que les dispositions législatives soient formulées de manière « suffisamment précise ». Avouez, mes chers collègues, qu’au vu de la rédaction des plus byzantines de certains articles nous en sommes loin !
Pourtant, garantir au citoyen une accessibilité à la loi tant matérielle qu’intellectuelle signifie que la norme doit être compréhensible.
Et même si le principe de sincérité des débats relève de la loi de finances, une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière serait des plus opportunes, tant l’étude d’impact du présent texte est lacunaire, ce qui questionne, cette fois, la compétence du législateur
De plus, nous considérons que le recours aux ordonnances prévu dans le projet de loi initial est détourné de son utilisation normale. Il n’y avait pas moins d’une vingtaine de demandes d’autorisation de recourir aux ordonnances, soit, en moyenne, dans un article sur sept.
Ces ordonnances concernent des sujets tels que le projet de canal Seine-Nord-Europe, estimé, excusez du peu, à 5 milliards d’euros, ou la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, évaluée à 1,5 milliard d’euros.
Elles concernent aussi le droit des privatisations, le droit du logement, le texte allant même jusqu’à demander la ratification d’ordonnances qu’il modifie.
Mes chers collègues, il n’y a pas de limite à la complexité !
En ce qui concerne le droit de l’environnement, les ordonnances prévues par le texte interrogent le respect de principes fondamentaux reconnus par la Charte de l’environnement. Monsieur le ministre, comment prétendre que les procédures d’information du public sont une contrainte, alors qu’elles sont, au contraire, une exigence de nature constitutionnelle ?
L’article 38 de la Constitution autorise le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnances, en cas d’urgence et de technicité. Or, force est de le constater, la justification de l’urgence a conduit, depuis de nombreuses années, à faire exploser le recours aux ordonnances par les gouvernements successifs. Pourtant, jamais, vraiment jamais, l’urgence n’est démontrée !
À l’origine, le recours aux ordonnances était exceptionnel et réservé à des matières très techniques. Progressivement, et surtout depuis le début des années deux mille, le recours aux ordonnances, de l’exception qu’il était, est devenu le principe. Dans leur quasi-totalité, les lois comportent désormais un tel renvoi, qui équivaut à un dessaisissement du Parlement, n’en déplaise à certaines et à certains.
C’est pourquoi, d’un point de vue démocratique, nous condamnons le dessaisissement des représentants du peuple sur des sujets d’ampleur.
Cependant, comme l’ont souligné de nombreux juristes, la méthode des ordonnances n’est pas simplement critiquable en raison de son caractère antidémocratique, elle est également l’une des causes de l’inflation normative et de la complexité du droit. Il s’agit d’un outil absolument inadapté pour simplifier le droit en général.
Le recours aux ordonnances est toujours la promesse d’un surplus de normes dont la rédaction et l’application n’auront pas été suffisamment réfléchies.
Pour les élus du groupe CRC, ce procédé est anticonstitutionnel, parce que les conditions d’urgence et de technicité ne sont pas réunies.
Ce projet de loi porte aussi atteinte au principe de sécurité juridique. Ainsi, le Conseil d’État souligne, dans son avis, que « en modifiant à nouveau des dispositions relatives au régime de l’épargne salariale, lesquelles ont déjà fait l’objet de nombreuses modifications législatives ces dernières années, le projet de loi accroît l’instabilité de ce régime, ce qui paraît préjudiciable à son bon fonctionnement. »
Ce n’est là qu’un exemple !
De plus, le texte prévoit de donner de nouvelles compétences à l’Autorité de la concurrence en matière de documents d’urbanisme, afin de s’assurer que les dispositions d’urbanisme commercial respectent les conditions d’une concurrence équitable. Or les documents d’urbanisme sont des outils de concertation et de pilotage qui permettent aux élus locaux d’organiser l’aménagement de leur territoire en fixant les règles d’utilisation du sol et en répartissant les surfaces dédiées au logement, aux équipements publics, au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, en vue de satisfaire les besoins de développement local de façon durable.
Cette intervention de l’Autorité de la concurrence est, pour nous, contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Enfin, le droit au repos est un élément de la protection de la santé des salariés reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui prévoit que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Le Conseil constitutionnel en a déduit que le principe d’un repos hebdomadaire est l’une des garanties du droit au repos ainsi reconnu aux salariés.
Les articles 72, 73 et 74 du présent projet de loi dérogent aux règles du repos dominical pour les établissements de vente au détail situés dans certaines zones géographiques, et l’article 80 autorise à déroger au repos dominical à douze reprises par an.
Quant aux dispositions relatives au travail de nuit, elles répondent aux attentes de quelques grandes enseignes seulement : le principe d’égalité est bafoué, sacrifié sur l’autel de quelques intérêts particuliers !
Nous ne faisons donc pas preuve d’un égalitarisme forcené, nous demandons simplement le respect de notre Constitution.
À partir du moment où les salariés sont amenés à travailler le dimanche une fois par mois, la récurrence est telle que le travail dominical est non plus une exception, mais bien un principe contraignant pour les salariés.
Pour cette raison, nous estimons que le texte est inconstitutionnel.
Le principe d’égalité est énoncé à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui précise que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Et relisons l’article XVI de cette même déclaration : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Pour le Conseil constitutionnel, « si le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ».
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. J’en ai bientôt terminé, madame la présidente. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Le projet de loi prévoit une distinction entre les salariés qui n’est pas justifiée. En effet, comment admettre, ainsi que le prévoit l’article 76, qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de moins de onze salariés n’ait pas les mêmes droits qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de plus de onze salariés ?
Que prévoit le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Or l’article 85 bis du présent texte supprime la peine d’emprisonnement applicable aux employeurs en cas d’entrave au fonctionnement régulier des délégués du personnel. Cette mesure remet donc en question le droit de participation des salariés à la gestion des entreprises.
Mme la présidente. Madame Assassi, je vous demande de conclure !
M. Marc Daunis. Vous faites des heures supplémentaires de nuit !
Mme Éliane Assassi. Je sais bien que mes propos vous gênent, chers collègues… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Respect de la Charte de l’environnement,…
Mme la présidente. Madame Assassi, il s’agit ici de respecter votre temps de parole !
Mme Éliane Assassi. … respect de la libre administration des collectivités territoriales, des principes du droit de participation à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, droit au repos des salariés, protection du patrimoine public et des droits du Parlement revalorisés par la réforme constitutionnelle de 2008, la liste des griefs constitutionnels contre ce projet de loi est longue. (On en appelle à la présidente sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
Mme la présidente. Mme Assassi conclut, mes chers collègues !
Mme Éliane Assassi. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.
Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Bien évidemment, la commission spéciale n’est pas favorable à l’adoption de cette motion : nous n’avons pas travaillé pendant des semaines pour que notre travail, que nous jugeons pertinent et positif par rapport au texte transmis par l’Assemblée nationale, soit ainsi réduit à néant.
Nous contestons le grief selon lequel ce projet de loi ne respecterait pas les principes d’intelligibilité de la loi et de sécurité juridique.
M. Pierre-Yves Collombat. En tout cas, le projet de loi n’est pas écrit en français !
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Certes, ce texte est copieux et très riche, mais nous l’avons allégé, puisqu’il est passé de 295 à 254 articles.
M. Pierre Laurent. C’est pour la galerie !
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Nous avons amélioré ce texte sur le fond et sur la forme, c’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Beaucoup d’arguments ont été invoqués, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, on ne peut pas parler d’austérité pour qualifier la politique économique actuelle du Gouvernement.
Quant au simplisme, l’accusation pourrait s’appliquer à la motion qui vient d’être défendue, puisque, sur chaque article, la description de l’existant était une véritable caricature.
Pour ne prendre qu’un exemple, je reviendrai sur ce que vous avez pu dire au sujet du travail dominical ou du travail en soirée.
Le projet de loi tend à clarifier la situation du travail en soirée dans les zones touristiques internationales, donc de manière très circonscrite, là où un flou existe encore aujourd’hui sur le plan jurisprudentiel en ce qui concerne le travail effectué jusqu’à 22 heures, et là où aussi les compensations salariales actuelles pour travail de nuit sont largement inférieures à ce que le projet de loi, tel qu’il vous est présenté, prévoit pour le travail en soirée. Comment pouvez-vous soutenir que ce texte constitue un recul, en particulier pour les salariés ?
M. Didier Guillaume. C’est l’inverse !
M. Emmanuel Macron, ministre. Ensuite, j’ai bien entendu vos arguments concernant l’exception au repos dominical. Mais quelle est la réalité dans notre pays ? Aujourd’hui, 30 % de nos concitoyens travaillent de manière occasionnelle ou régulière le dimanche. Ce projet de loi procède non pas à une généralisation du travail dominical, mais bien à une clarification des règles de compensation et augmente seulement de cinq à douze le nombre d’ouvertures des commerces le dimanche que peut décider le maire, avec les éléments de régulation territoriale que j’ai évoqués dans mon propos introductif.
Permettez-moi de m’interroger : pourquoi ne vous indignez-vous pas de la situation actuelle, alors que le travail dominical, dans les 640 zones touristiques, n’ouvre pas forcément le droit à une compensation salariale, de par la loi ? Cela ne choque personne ! Pourquoi ne vous interrogez-vous pas sur le fait que, pour le travail de nuit, les accords de branche n’accordent, en moyenne, qu’une compensation de 8 % du salaire, alors que, dans ce projet de loi, c’est un doublement qui est prévu pour le travail en soirée ? (M. Pierre Laurent proteste.)
Excusez-moi, mais la réalité du pays dans lequel nous vivons n’est pas conforme à ce que vous en dites !
Mme Annie David. C’est vous qui ne vivez pas dans la réalité !
M. Emmanuel Macron, ministre. Sur ce point, ce texte comporte des avancées et les reproches que vous avez pu formuler ne sont pas conformes à la réalité des avancées juridiques qu’il contient.
Enfin, en ce qui concerne la méthode, ce projet de loi est effectivement transversal et s’applique à divers secteurs. J’assume totalement cette méthode, puisque c’est la seule manière de réformer ces secteurs les uns après les autres…
Mme Éliane Assassi. Non, ce n’est pas la seule manière !
M. Emmanuel Macron, ministre. Peut-être auriez-vous préféré, en opportunité, quinze réformes mises bout à bout, mais je ne crois pas que le fait de toucher en même temps à plusieurs secteurs soit un obstacle à l’intelligibilité de la loi ; quoi qu’il en soit, le juge constitutionnel aura à en juger si vous décidez de le saisir. Il me semble cependant que votre interprétation va bien au-delà de la signification que la jurisprudence du Conseil constitutionnel accorde à ce terme.
En l’espèce, le quotidien de nos concitoyens et de nos entreprises, la complexité de notre vie économique et tous les éléments très concrets que vous avez pu citer sont revisités par ce projet de loi, parce qu’il faut débloquer la situation de manière ambitieuse, plus ou moins radicale, pour que tout marche mieux.
J’assume pleinement cette philosophie et c’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
Mme Élisabeth Lamure. Le groupe CRC a souhaité déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le présent projet de loi en invoquant deux griefs, touchant au non-respect du principe d’intelligibilité de la loi et du principe de sécurité juridique.
En premier lieu, le principe d’intelligibilité de la loi signifie que la loi doit être « intelligible et accessible » et qu’elle ne peut « priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ». La loi doit être claire pour ne pas être équivoque et source d’insécurité juridique. Or, mon groupe et moi-même le disons sans crainte, le projet de loi, tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, témoigne à certains égards d’une méconnaissance de ce principe.
Pour autant, le législateur ne saurait se substituer au Conseil constitutionnel dans son contrôle a priori de la loi. Surtout, le Sénat et la commission spéciale ont souhaité pleinement jouer leur rôle, en corrigeant, autant qu’il était possible, les lacunes de ce texte, y compris celles qui sont de nature à constituer un grief constitutionnel, tel que le manque d’intelligibilité de la loi ou la méconnaissance de l’exigence de sécurité juridique.
Cependant, comme pour la plupart des griefs qui peuvent être invoqués, ceux-ci ne revêtent aucun caractère absolu. Dans le cas de ce projet de loi, le nombre de mesures réglementaires déjà prévu est, certes, important. Pour autant, si nous pouvons légitimement nous interroger sur le futur taux d’application de ces mesures, nous estimons que, dans le cadre de ce projet de loi, le législateur n’a pas confié au pouvoir réglementaire l’élaboration de dispositions qui relèveraient de sa compétence exclusive au titre de l’article 34 de la Constitution.
Pour notre part, nous n’avons aucun doute sur le fait que le législateur est allé au bout de sa compétence, qu’il s’agisse des dispositions relatives aux professions réglementées, au travail du dimanche, aux transports ou à la participation. Toutes ces dispositions sont en effet déjà codifiées, le législateur n’a donc fait que marcher dans les pas de ses prédécesseurs en inscrivant directement dans la loi les modifications souhaitées.
Par ailleurs, nous estimons que le travail en commission a pu être réalisé dans de bonnes conditions.
L’objectif que se fixent les auteurs de ce projet de loi est la croissance. Nous approuvons ce choix, monsieur le ministre, même si nous regrettons que vous vous soyez arrêté au milieu du gué. Pour notre groupe, proposer un projet pour la croissance, l’activité et l’égalité, eu égard à la situation économique de notre pays, relevait de l’urgence.
Encore faudrait-il que les mesures proposées aient un effet significatif sur l’économie. C’est pourquoi nous avons proposé de nombreux amendements visant à faire de ce texte un véritable texte sur la croissance.
Nos propositions sont ambitieuses, elles sont à la hauteur des défis économiques que notre pays doit relever, car nous ne souhaitons pas inscrire notre démarche dans une opposition systématique, bien au contraire ! Tel est le sens des travaux menés par nos rapporteurs, Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et François Pillet au sein de la commission spéciale, sous la présidence de Vincent Capo-Canellas. Tel est aussi le sens des amendements que présentera notre groupe.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, qui ne paraît pas juridiquement fondée. Nous souhaitons que l’examen de ce projet de loi aille jusqu’à son terme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste ne votera pas cette motion.
Madame Assassi, vous avez commencé très fort en évoquant une prétendue politique d’austérité, et le ministre vous a répondu sur ce point.
Les Français ne sont ni les Irlandais ni les Espagnols. Nous avons traversé la crise avec tous les amortisseurs sociaux, et il faut plutôt nous en féliciter. (Mme Éliane Assassi et M. Pierre-Yves Collombat s’exclament.)
Avec des dépenses publiques qui s’élèvent à 57 % du produit intérieur brut et 84 milliards d’euros de déficit, on ne peut pas parler d’austérité. Ce n’est pas la vérité !
Vous reprenez des arguments concernant la lisibilité du projet de loi. Or nombre de dispositions prévues dans ce texte apportent une sécurité juridique, éclairent le droit et facilitent sa compréhension.
Vous invoquez le recours aux ordonnances. Mais vous avez, en tant que législateur, la possibilité de les encadrer, et les rapporteurs ne s’en sont pas privés. Ils l’ont fait systématiquement ; vous pouviez et pouvez le faire aussi.
Enfin, ce texte ne supprime ni n’ampute aucun droit.
Mme Éliane Assassi. Si !
Mme Nicole Bricq. Au contraire, il introduit des droits nouveaux. Il est dommage que vous ne reconnaissiez pas ces avancées du droit favorables aux salariés !
Mme Éliane Assassi. Il est dommage que vous ne nous ayez pas entendus… Vous restez droits dans vos bottes !
Mme Nicole Bricq. Je ne porte jamais de bottes, c’est très mauvais pour la circulation ! (Sourires.)
Le groupe socialiste ne peut donc pas voter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Pierre Laurent. Continuez à aller dans le mur !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre, madame la rapporteur – ce n’est malheureusement pas une surprise ! –, aux arguments précis que nous avons développés en présentant cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je tiens à le rappeler ici, présenter une telle motion ne revient pas à remettre en cause le travail de la commission spéciale. Nous avons d’ailleurs dénoncé, dans un précédent rappel au règlement, les conditions dans lesquelles cette commission avait dû examiner le projet de loi.
Ce que nous remettons en cause, c’est ce texte, qui vise, à nos yeux, à fragiliser le droit, et nous semble donc de nature à justifier une telle motion.
J’ajouterai un rappel historique aux propos d’Éliane Assassi.
À l’heure où l’on commémore l’esprit de la Résistance, dont tous se glorifient, à l’heure où l’on célèbre les valeurs républicaines et le vivre ensemble, et ce encore davantage depuis les tragiques événements du mois de janvier, ce projet de loi foule aux pieds l’idéal du Conseil national de la Résistance, dont l’expression constitutionnelle se retrouve au sein du préambule de la Constitution, lequel, je le rappelle, a valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence de 1971, a en effet intégré ce texte fondamental dans le bloc de constitutionnalité.
Deux alinéas du texte de 1946 sont, à mon sens particulièrement, visés par ce projet de loi.
Permettez-moi de citer le huitième alinéa : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Votre texte, monsieur le ministre, impose de manière autoritaire de nouvelles conditions de travail détestables. Je pense à l’extension du travail du dimanche et à la promotion du travail « de soirée avant minuit », comme vous le rebaptisez pudiquement.
Non, madame Bricq, nous ne partageons pas votre avis : ce texte ne contient pas de droits nouveaux !
Monsieur le ministre, s’il y a contrevérité, elle vient plutôt de vous, car rien dans ce texte ne renforce ni ne développe le dialogue social, bien au contraire !
Vous le savez, comme nous tous – les salariés, et même des chefs d’entreprises et des commerçants, le disent ! –, le travail du dimanche n’est pas un choix, mais bien souvent une contrainte, que le dialogue social ne permettra pas de surmonter. En effet, c’est l’état actuel du pouvoir d’achat, des salaires et des contrats de travail qui fait qu’un certain nombre de personnes acceptent in fine, de façon dite « volontaire », de travailler le dimanche.