M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article16 de celui-ci et a, lui aussi, trait à l’organisation de nos travaux.
Je souhaite revenir plus particulièrement sur le travail de la commission spéciale.
Premièrement, j’estime qu’un texte de cette ampleur aurait dû mobiliser l’ensemble des commissions, pour permettre au plus grand nombre de sénateurs de pouvoir travailler en amont, débattre et défendre des amendements.
La constitution d’une commission spéciale a été décidée le 14 décembre dernier, quand le projet de loi ne comportait que 106 articles et était examiné par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. La prudence aurait nécessité d’attendre avant de déterminer la nature de la structure qui serait chargée de préparer le débat en séance publique.
De plus, pour une raison qui échappe à beaucoup, si huit rapporteurs ont été désignés à l’Assemblée nationale, le travail a été concentré au Sénat sur trois rapporteurs.
Alors que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale ne fut transmis au Sénat que le 19 février, que les assemblées ont suspendu leurs travaux du 23 au 27 février, que la campagne pour les élections départementales, dont les enjeux sont devenus nationaux, mobilisait les énergies de tous, la première date limite de dépôt d’amendements sur près de deux tiers des articles fut fixée au jeudi 12 mars. Il était quasiment impossible aux groupes politiques, et en particulier aux groupes de faible effectif, de réaliser un travail d’analyse et de proposition. Dans ces conditions, mon groupe s’est contenté de déposer, à cette occasion, des amendements de suppression.
Monsieur le président, vous cherchez à promouvoir une attitude constructive du Sénat sur ce texte, mais cette précipitation ne peut permettre de rapprocher les points de vue, bien au contraire.
Ce projet de loi, mes chers collègues, est une démonstration par l’absurde de la raison essentielle des difficultés du travail parlementaire : l’inflation législative. La pression normative en général et la politique de l’affichage par le vote de lois de circonstances provoquent une effervescence du travail législatif nuisible à sa qualité.
Combien de centaines de dispositions comprises dans ce projet de loi seront-elles transcrites réellement dans le droit ?
Comment ne pas s’arrêter un instant sur l’excroissance des ordonnances ? Cette pratique qui, selon les auteurs de la Constitution de 1958, devait être exceptionnelle devient monnaie courante. Le Président de la République, pourtant garant du bon fonctionnement des institutions, a lui-même demandé une multiplication des habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance. La connotation monarchique des ordonnances, par référence aux ordonnances royales, souligne le caractère très peu démocratique de cette méthode législative puisque les ratifications sont soumises au Parlement de manière tout à fait formelle.
Sachant que ce texte compte 254 articles à l’issue des travaux de la commission spéciale du Sénat et que, malgré le nettoyage effectué, il recèle encore très nombreuses habilitations à légiférer par ordonnance, comment considérer, mes chers collègues, que nous allons pouvoir débattre sérieusement ? N’est-ce pas un blanc-seing au Gouvernement et à la technostructure que nous sommes invités à donner ?
Enfin, cette précipitation a nui aux auditions effectuées par la commission spéciale. Alors que les rapporteurs ont beaucoup consulté, la commission n’a procédé qu’à de rares auditions en séance plénière. Les organisations professionnelles, par exemple, n’ont pas été auditionnées. Est-ce acceptable sur un texte comme celui-ci ? J’estime que, si des difficultés apparaissent au cours des débats, il faudra renvoyer le texte à la commission pour qu’elle puisse enfin conduire des auditions en séance plénière. (Protestations sur le banc de la commission.)
Monsieur le président, il serait appréciable que soit arrêtée dès à présent la règle d’un débat sérieux et approfondi, impliquant le refus de travailler dans la précipitation, ce qui va nous conduire à siéger la nuit et même le samedi, afin que le plus grand nombre d’entre nous soient en mesure d’assister aux débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Mes chers collègues, avant que commence la discussion générale et pour faire suite à ces deux rappels au règlement, je voudrais vous inviter à un temps de méditation.
Jamais, depuis 1998, le Sénat n’a eu à examiner autant d’amendements sur un même texte. Monsieur le ministre, le fascicule contenant le projet de loi en l’état représente 228 pages. Il m’a semblé entendre le Président de la République appeler de ses vœux des textes législatifs plus légers, plus toniques. Or, pour ce qui est du projet de loi relatif à la santé, nous en sommes pour le moment à 171 pages…
Je veux saluer le travail très important réalisé par la commission spéciale, remercier son président et ses trois corapporteurs, ainsi que tous ses membres. Ce travail peut être résumé en quelques chiffres : 104 auditions, 218 contributions extérieures, 26 heures de réunions destinées à examiner les 1 000 amendements déposés en commission.
Demain, la conférence des présidents devra se pencher sur le déroulement de nos travaux. Il nous faudra débattre, avec les présidents de groupe, le président de la commission spéciale et tous les autres membres de la conférence des présidents, de la meilleure manière de mener cette discussion à terme.
Vous le savez, monsieur le ministre, vendredi, j’ai écrit au Premier ministre. Il m’est en effet apparu que le dépôt au dernier moment, par le Gouvernement, de quelque 170 amendements, dont certains tendent à récrire entièrement des articles, ne me semblait pas une bonne manière de travailler ni de respecter le bicamérisme. Nous avons mis la fin de la semaine dernière à profit pour avoir des échanges. Je sais que vous-même, monsieur le ministre, avez rencontré le président de la commission spéciale. Le Gouvernement a, ainsi, finalement renoncé à un certain nombre d’amendements.
Je me permets néanmoins d’insister sur le fait que, s’agissant des méthodes de travail, celles du Sénat ne sont pas seules en cause : en l’occurrence, celles du Gouvernement le sont peut-être aussi.
J’appelle donc chacune et chacun à réfléchir, d’ici à la conférence des présidents de demain, à ce qui pourrait nous permettre d’atteindre notre objectif. Car, ne l’oublions pas, c’est dans l’intérêt de notre pays que nous devons élaborer le meilleur texte possible, à l’heure où il nous faut impérativement répondre, en particulier, aux défis du chômage et de la compétitivité de nos entreprises.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Avant toute chose, je veux à mon tour exprimer l’émotion du Gouvernement après la disparition de Jean Germain. L’homme nous manquera, assurément, et je m’associe bien évidemment aux propos tenus par Didier Guillaume, ainsi qu’aux belles paroles prononcées par Gérard Larcher.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui est un texte d’ambition. En effet, c’est l’ambition des Français qui nous oblige à réformer avec ambition. Je parle de l’ambition que les Français ont pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leurs enfants et pour leur pays, car cette ambition est le plus grand de nos atouts collectifs. Elle nous interdit de rester sans rien faire ou d’abandonner les unes après les autres les réformes que nous voulons porter au motif que le combat ne vaudrait pas la peine d’être mené.
Cette ambition, que l’on retrouve chez tous ceux que nous rencontrons au quotidien et qui dépasse nombre de nos débats politiques, est légitime : elle n’est rien d’autre que la volonté ardente de retrouver une fierté, d’avancer et de s’en sortir. Cette ambition est partagée par tous ceux qui souffrent de la faiblesse de notre économie, tous ceux qui ont été affaiblis par des années de crise, tous ceux qui ne demandent rien d’autre que de pouvoir se battre pour retrouver des perspectives.
Cette ambition de créer, d’investir, d’entreprendre et de travailler, nous devrions l’épauler, la renforcer. Or, aujourd’hui, elle est trop souvent bridée dans notre pays : la défiance, la complexité, les corporatismes l’empêchent de se déployer. La libérer, lui permettre de se réaliser, c’est l’unique moyen de débloquer notre économie, de la débloquer fort, de la débloquer vite et de la débloquer pour longtemps.
Les responsables politiques, les pouvoirs publics, le Parlement, le Gouvernement, nous avons tous une responsabilité. C’est pourquoi nous avons le devoir de répondre à ces attentes. Nous avons l’obligation de nous battre pour ceux qui se battent, d’avoir de l’ambition pour ceux qui ont de l’ambition, de défendre tous ceux qui ont l’énergie pour avancer, mais aussi ceux à qui elle fait défaut.
Depuis le début de l’année 2015, une nouvelle donne économique nous permet d’avoir des premiers résultats, qui tiennent non seulement à l’amélioration de la situation macroéconomique, mais aussi aux efforts accomplis par le Gouvernement ; je pense au CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou au pacte de responsabilité et de solidarité. Cette nouvelle donne, loin d’être un quitus, un prétexte à l’inaction, doit être un aiguillon pour continuer le travail. Elle doit nous encourager à réformer sans relâche, afin que nous soyons à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Chaque jour, nous constatons qu’il y a encore trop d’incertitudes, des marges trop faibles et trop peu de créations d’emplois dans notre pays. La reprise reste fragile, et nous devons collectivement tout faire pour la consolider. Tel est précisément l’objet du texte que je vous présente aujourd’hui.
Ce texte a d’abord été préparé par le Gouvernement tout au long de l’automne dernier, en concertation avec toutes les parties concernées. Il a ensuite été enrichi en profondeur par le travail de vos collègues à l’Assemblée nationale, en commission comme en séance – vous faisiez état à l’instant, monsieur le président, du volume de ce texte, mais c’est aussi le résultat de sa coproduction parlementaire. Les chiffres sont là, factuels, objectifs : il y a eu 82 heures de débat en commission, 111 heures en séance ; au total, 495 amendements ont été adoptés en commission et 559 en séance. Je ne vois pas là le signe d’un évitement du débat parlementaire. Aucune entrave n’a, me semble-t-il, été posée au bon déroulement des travaux législatifs, et j’espère que le débat au Sénat sera aussi constructif que celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale, où ce ne sont pas seulement des amendements de la majorité qui ont été adoptés, mais bien des amendements émanant de tous les bords politiques. À cet égard, l’usage de l’article 49-3 était un acte de responsabilité, au moment où notre économie est en état d’urgence et où des mesures sont attendues par nos concitoyens.
Le résultat est là : le texte qui a été soumis à la commission spéciale du Sénat dirigée par Vincent Capo-Canellas, que je tiens à remercier, est bien meilleur que celui que nous avions originellement proposé à l’Assemblée nationale.
M. Jean-Claude Lenoir. Le nôtre sera encore meilleur !
M. Emmanuel Macron, ministre. Il a profité du caractère contradictoire des débats et a été enrichi par des mesures concrètes. Il lève davantage de blocages, comme sur le permis de conduire. Il va vers plus d’efficacité économique, plus de simplicité au quotidien et plus de justice, comme sur le référentiel qui aidera les juges prud’homaux à fixer les indemnités. Il s’applique aussi à donner plus de droits réels et à offrir plus d’opportunités à nos concitoyens.
C’est précisément la philosophie de ce texte que de s’attacher en priorité à recréer des droits réels et à revisiter certains formalismes du droit derrière lesquels il est trop facile de se réfugier. Il vise aussi à rejeter une alternative simpliste : défendre le formalisme du droit existant ou, au contraire, tout libéraliser, qui peut également conduire à une forme d’immobilisme. Il existe selon nous une réponse intermédiaire, qui consiste à revisiter la réalité du quotidien de nos concitoyens en cherchant à récréer concrètement des droits réels et à redonner sa place à chaque acteur.
L’examen du projet de loi au Sénat est un moment décisif du processus parlementaire. Ensemble, fixons-nous trois exigences pour nos échanges à venir : enrichir le texte, l’améliorer et débattre.
La première exigence, c’est d’enrichir le texte en lui permettant d’être le vecteur de nouvelles réformes de structure, tout en conservant sa philosophie, à savoir aller vers plus de justice et plus d’efficacité. Je pense par exemple à la modernisation des chambres de commerce et d’industrie. Je pense également à des dispositions qui n’étaient pas initialement présentes dans le projet de loi. Au cours des discussions que j’ai pu avoir avec nombre d’entre vous ces dernières semaines, j’ai pu mesurer que l’équilibre de nos territoires était peut-être insuffisamment pris en compte. Nous pourrons donc collectivement essayer de créer plus d’unité, plus d’égalité et plus d’équilibre dans nos territoires. La modernisation de notre économie passe aussi par le renforcement de cet équilibre. Il me semble donc que, sur le numérique ou d’autres points, il est possible d’enrichir ce texte dans le bon sens.
La deuxième exigence, c’est précisément d’améliorer le texte, de parfaire ce qu’il contient déjà. Je pense notamment au sujet des autoroutes, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir et pour lequel je vous propose que nous traduisions dans la loi les conclusions du groupe de travail transpartisan auquel nombre d’entre vous ont participé. Je souhaite aussi que l’examen de ce texte soit l’occasion d’avancer sur des enjeux importants comme celui relatif à la constitution de structures d’exercice interprofessionnelle associant des professions juridiques entre elles et des professions juridiques et du chiffre ou à celui concernant l’injonction structurelle ou les contrats de franchise dans les secteurs du commerce de détail.
Enfin, la troisième exigence est celle du débat. Dès aujourd’hui, nous devons engager ensemble des discussions sur des réformes capitales. J’ai en particulier à l’esprit les accords de maintien de l’emploi, ainsi que le droit d’information préalable des salariés. Je sais que vous allez aborder ces sujets lors de nos discussions. Je vous précise que, sur ces deux points, aucun amendement ne pourra obtenir l’avis favorable du Gouvernement, car il y a une articulation des temps à respecter. Les discussions sont en cours avec les partenaires sociaux et un bilan sera établi d’ici à la fin du mois de mai. Il faut donc attendre que le temps de la négociation sociale soit terminé.
Enrichir, améliorer, débattre : voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois exigences que, pour ma part, je compte respecter. Cette volonté me semble partagée par la commission spéciale, qui a adopté 124 articles conformes et largement modifié et enrichi le texte. Soyez assurés que je répondrai sur le fond, point par point, et que je ne me lasserai jamais de tenter de vous convaincre de l’intérêt pour notre économie de chacune des mesures contenues dans ce texte, y compris celles qui n’ont pas emporté l’assentiment de la commission spéciale, comme la question des professions réglementées. Chacune de ces mesures est importante. Aussi ne doivent-elles pas être détournées, amoindries ou émoussées.
Je ne fixe pour ma part qu’une seule limite à ma volonté de débat permanent : ne pas être en deçà de l’ambition réformiste qui est la nôtre. Les 170 amendements de rétablissement déposés par le Gouvernement traduisent cet état d’esprit. J’insiste sur ce point de forme : ils ont été déposés dans les délais. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Heureusement !
M. le président. Sinon ils n’auraient pas été recevables !
M. Emmanuel Macron, ministre. Comme vous le savez, le Gouvernement peut aussi déposer des amendements en séance, au dernier moment.
M. Jean-Claude Lenoir. Oh non ! Pas ça ! (Sourires.)
M. Emmanuel Macron, ministre. Ce n’est pas l’option que nous avons retenue. J’ai refusé l’hypocrisie qui aurait consisté à ne pas chercher à rétablir en séance publique les articles supprimés par la commission spéciale du Sénat et à attendre le retour du texte à l’Assemblée nationale. Ce faisant, je fais peut-être preuve de naïveté ou d’inexpérience, mais c’est, me semble-t-il, une question d’honnêteté. Oui, je crois au débat parlementaire plein et entier, à l’Assemblée nationale comme au Sénat ! Je considère ainsi qu’il est de mon devoir de défendre des articles qui me semblent indispensables à l’équilibre du texte.
Mme Nicole Bricq. Nous vous soutiendrons !
M. Emmanuel Macron, ministre. Les amendements que le Gouvernement a déposés procèdent du souci de préserver l’ambition du texte ; j’ai toutefois décidé de retirer ce matin une cinquantaine d’amendements qui me paraissaient inutiles. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Emmanuel Macron, ministre. Il serait regrettable de revenir sur la réforme des professions réglementées, du transport par autocar, du permis de conduire – beaucoup de nos jeunes l’attendent – ou de la simplification des procédures pour les grands projets. Réduire l’ambition, ce serait en quelque sorte accepter de ne pas être au rendez-vous. Mon état d’esprit, à l’ouverture de cette discussion, est celui d’une ambition commune, mais nous ne pourrons pas construire de bons accords aux dépens des ambitions du Gouvernement.
Je ne considère le Sénat ni comme une chambre d’enregistrement ni comme une chambre de rejet, mais comme une étape à part entière du débat démocratique. Nos discussions ne doivent pas nous empêcher de continuer à avancer, à réformer et à traduire en actes ces réformes, car nos concitoyens les attendent et les réclament. Pour ma part, je n’aurai qu’un seul objectif : l’intérêt général. Collectivement, utilement, avançons dans ce sens autour des trois axes du projet de loi : libérer, investir et travailler.
Libérer – c’est le premier pilier du texte –, c’est donner des accès à notre système, à certains emplois, à certains secteurs. La première égalité à restaurer, c’est l’égalité des opportunités.
L’ouverture concerne certains secteurs majeurs de notre économie. Le projet de loi prévoit notamment de réformer le secteur des autocars, que j’évoquais il y a un instant, afin de favoriser la mobilité. Aujourd'hui, il est impossible de se rendre à peu de frais où l’on veut – par exemple d’aller à Nantes depuis Bordeaux – autrement qu’en voiture ou en train. L’an dernier – je ne citerai que ce chiffre, pour qu’il soit présent dans les esprits –, seules 110 000 personnes ont voyagé en car en France, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. En effet, notre droit pose une interdiction de principe : dans ce domaine, la liberté d’entreprendre est une dérogation.
La portée de la réforme a été – nous aurons l’occasion d’en discuter – quelque peu réduite par les travaux de la commission spéciale, qui a notamment relevé à 200 kilomètres le seuil en dessous duquel l’autorité organisatrice des transports pourra interdire les lignes d’autocars qui feraient concurrence aux services publics de transport, après avis simple de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. Or il faut garder l’ambition de mobilité et de simplicité du projet initial. Il s’agit à la fois de favoriser la mobilité de nos concitoyens, en particulier des plus modestes, et de libérer la capacité à entreprendre et à créer de l’emploi dans un secteur important.
Favoriser la mobilité, cela concerne aussi le permis de conduire. La réforme engagée par le Gouvernement en juin 2014 a franchi une étape importante à l’Assemblée nationale. De nouveaux droits ont été reconnus et une organisation administrative de l’examen pratique et des cours dispensés en amont a été créée pour réduire à 45 jours – c’est la moyenne européenne – les délais d’attente, qui sont aujourd'hui de 98 jours en moyenne et atteignent 200 jours dans certaines régions.
La situation actuelle est une entrave à la mobilité sur le territoire, mais c’est surtout une entrave à l’accès à l’emploi – elle empêche certains de se déplacer pour répondre à une offre d’emploi ou pour travailler – et à la liberté de se distraire. C’est donc une véritable injustice. Réduire l’ambition de la réforme adoptée par l’Assemblée nationale, c’est retirer des chances, en rendant l’obtention du permis de conduire moins simple et moins rapide. Peut-être peut-on faire mieux encore ; je n’aspire qu’à être convaincu. On peut aller plus loin, mais on ne saurait aller moins loin, car le statu quo n’est pas satisfaisant.
Libérer l’activité, c’est également favoriser la concurrence et mieux réguler les situations de monopole. Certains secteurs de notre économie sont insuffisamment transparents, voire même capturés par quelques acteurs. Le projet de loi prévoit de renforcer la transparence à tous les niveaux. Il s’agit par exemple de s’assurer que les documents d’urbanisme ne soient pas trop restrictifs et de permettre un meilleur fonctionnement du marché de la distribution, en donnant des pouvoirs supplémentaires à l’Autorité de la concurrence ; nous aurons l’occasion de revenir sur cette injonction structurelle.
Renforcer la transparence, c’est aussi permettre à une autorité de régulation, ainsi qu’au Parlement, de mieux réguler les concessions autoroutières. S’il y a bien un domaine dans lequel nous avons échoué collectivement depuis dix ans, c’est celui-là : force est de constater que les concessions autoroutières n’ont pas été régulées de manière satisfaisante. Le projet de loi prévoit d’étendre les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, à la régulation du secteur autoroutier et du transport régulier routier de personnes ; il s’agit des autocars, dont je viens de parler. L’ARAF deviendra ainsi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER.
L’ARAFER aura pour mission d’appuyer l’État dans les négociations tarifaires avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Elle devra notamment garantir la meilleure prise en compte de l’intérêt des usagers dans le cadrage financier des investissements autoroutiers, un meilleur paramétrage des contrats de concession et une plus grande transparence dans les procédures de passation des marchés de travaux. C’est sur ce dernier point que nous avons tout particulièrement échoué. L’ARAFER sera dotée des pouvoirs d’investigation nécessaires au suivi des contrats. L’Assemblée nationale a également introduit une disposition prévoyant l’information du Parlement avant la conclusion des contrats. En outre, des clauses de bonne fortune devront obligatoirement être introduites dans le cadre d’une remise à plat des contrats pour les futures concessions.
Je tiens à saluer, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire ici même il y a quelques semaines, le rapport du groupe de travail parlementaire qui s’est réuni pendant près de deux mois afin de rendre une expertise sur le sujet. Dans la lignée du rapport, plusieurs amendements ont été déposés, notamment par Jean-Jacques Filleul, afin de renforcer la transparence des contrats et le pouvoir d’information et d’analyse de l’ARAFER.
Il est aussi proposé d’interdire pour l’avenir l’allongement systématique de la durée des concessions, qui avait été fortement critiqué tant par des parlementaires de tous bords que par les PME du secteur. Les plans de relance éventuels doivent être pleinement transparents vis-à-vis du Parlement et être soumis au plein contrôle, dans tous ses aspects économiques, de la nouvelle autorité de régulation.
Par ailleurs, le projet de loi a pour objectif de moderniser les professions du droit. Cet aspect a beaucoup fait parler de lui. La version du texte adoptée par votre commission spéciale indique que vous ne partagez pas l’approche que nous proposons pour atteindre cet objectif.
M. Henri de Raincourt. Ça, c’est sûr !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je le regrette. D’autres approches ont été tentées par le passé, notamment dans le cadre de la réforme de 2009, mais elles ont échoué. Les professionnels n’ont en effet pas tenu leur engagement – ils l’ont eux-mêmes reconnu – de créer 3 000 à 4 000 postes pleins et entiers de notaires. Il faut dire qu’il n’y avait pas de mouvement spontané. D'ailleurs, oserais-je dire, s’il y avait un mouvement spontané, nous l’aurions collectivement constaté.
J’en viens aux grandes lignes de la réforme. La première est de ne pas toucher à ce qui fonctionne bien.
M. Jean-Pierre Raffarin. Les notaires !
M. David Assouline. Arrêtez de défendre vos copains !
M. Emmanuel Macron, ministre. Les fondamentaux des professions du droit sont conservés. Par exemple, contrairement à ce qui a pu être décidé par le passé, nous n’allons pas revenir sur l’acte authentique des notaires. Il a pu être considéré que l’acte d’avocat pouvait être une bonne façon de le revisiter. Nous ne partageons pas ce point de vue. La sécurité juridique des missions de ces professionnels sera préservée dans son intégralité. Le maillage territorial, qui implique la présence de professionnels partout dans notre pays, est également un élément fondamental. Il est lui aussi préservé ; j’y reviendrai.
Certains éléments peuvent toutefois être améliorés. Le premier est l’accès aux professions du droit. Il existe actuellement des « déserts », des parties du territoire où nous manquons manifestement de notaires, d’huissiers, etc. En outre, les règles d’accès ne sont pas pleinement méritocratiques et manquent de transparence, ce qui est regrettable ; je pense que nous partageons le même attachement aux valeurs de méritocratie et de transparence. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients qu’une liberté complète d’installation ne serait pas satisfaisante, car elle pourrait déstabiliser certains territoires ou certains professionnels garants de la sécurité juridique que j’évoquais il y a un instant.
Le but est d’apporter une information objective, en établissant une cartographie des manques, pleins et entiers ou relatifs, de professionnels sur le territoire. Là où il y a une insuffisance de professionnels, on peut considérer que la liberté d’installation ne va pas déstabiliser les professionnels en place. Là où il y a un manque relatif, on peut ouvrir un peu l’accès tout en laissant un droit de veto à la Chancellerie. Le droit existant est en revanche satisfaisant pour toutes les zones – elles sont majoritaires – où il y a un nombre suffisant de professionnels. Cette réforme me paraît être de bon sens ; elle me semble suffisamment objectivée pour pouvoir fonctionner.
Le deuxième élément est l’interprofession. Je crois – nous aurons l’occasion d’y revenir – que l’ouverture du capital entre professionnels du droit, dont la pleine indépendance déontologique sera garantie, est une bonne mesure pour faciliter le fonctionnement des structures, en particulier dans les territoires, et permettre aux plus jeunes d’accéder plus facilement à la profession, car l’installation sera moins coûteuse et l’organisation plus efficace.
Le texte a été substantiellement amélioré par l’Assemblée nationale. Il s’agit d'abord d’éviter la financiarisation des professions de droit. Contrairement à ce qui a pu être dit, c’était déjà l’intention initiale du Gouvernement. De nombreux verrous avaient été mis, notamment en termes de détention du capital par les professionnels eux-mêmes. Il s’agit ensuite d’éviter de relancer des guerres de territoire entre les professionnels du droit et les professionnels du chiffre. Le texte peut encore être amélioré pour lever toute ambiguïté. Je crois que les interprofessions que nous allons créer permettront une meilleure organisation et une meilleure ouverture des professions.
Les tarifs sont le troisième élément que l’on peut améliorer sans faire de révolution inutile. Le système actuel n’est pas satisfaisant, car les tarifs sont insuffisamment révisés et ne permettent pas le bon fonctionnement de notre économie. C’est un coût pour nos entreprises et nos concitoyens. Les tarifs sont déconnectés des coûts réels, surtout lorsqu’ils sont proportionnés aux actes ou à la vente.
Il n’est pas aberrant de penser que les tarifs des officiers publics ou ministériels doivent être révisés de manière régulière et en rapport avec les investissements consentis et les coûts réels. C’est cette philosophie d’une plus grande transparence et d’une plus grande adaptabilité des tarifs réglementés que nous défendons. Les professionnels concernés sont les notaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les huissiers, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires. Nous voulons promouvoir une juste rémunération plus proche des coûts réels.
Le projet de loi, toujours dans la volonté de libérer certains secteurs, vise à développer le logement, plus particulièrement le logement intermédiaire. Nous devons lever ce blocage. C’est parce que cette analyse est largement partagée parmi vous que la commission spéciale n’a pas modifié les principales dispositions du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Le développement du logement intermédiaire est aujourd'hui entravé à la fois par des difficultés techniques liées à une réglementation excessive et parfois hétérogène entre le zonage « fiscal » et le zonage « réglementaire » – il faut donc la simplifier – et par les problèmes génériques que rencontre le secteur du logement : délai de délivrance des avis et accords périphériques au droit des sols trop long, complexité des régimes d’autorisation, complexité et parfois redondance des études environnementales à produire. Ce sont d’autant d’éléments que le projet de loi tend à simplifier. Il me semble important d’opérer cette simplification, afin de rendre notre droit plus lisible et d’accélérer les procédures, sans renoncer à nos exigences environnementales et démocratiques. Le système sera ainsi plus cohérent.
Il convient aussi de mettre en place des garde-fous pour que le développement du logement intermédiaire ne se fasse pas au détriment du logement social. L’étanchéité entre les offices d’HLM et leurs filiales est renforcée. Concernant les rapports bailleurs-locataires, diverses mesures viennent aménager des dispositions de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », afin d’assurer un juste équilibre entre protection des locataires et incitation à l’investissement dans le logement. Les députés ont par ailleurs adopté une mesure qui protégera les locataires ayant à leur charge une personne âgée, sous condition de ressources ; cette mesure a été conservée par votre commission spéciale. Je crois que, à ce stade, cette partie du texte fait consensus.
Le deuxième pilier du projet de loi, c’est l’investissement. Nous devons investir plus et mieux, car c’est l’un des éléments qui permettra la reprise d’activité dont notre économie a besoin. Diverses dispositions tendent à simplifier les critères d’investissement, à associer davantage les salariés et à renforcer la stratégie de l’État actionnaire.
Le projet de loi vise à accroître l’investissement dans les infrastructures numériques. Comme je l’ai déjà souligné, je crois que nous pouvons aller encore plus loin. Plusieurs amendements ont été déposés en ce sens. Il faut accélérer l’investissement de l’État et des opérateurs dans les infrastructures numériques, afin d’améliorer la couverture fibre et la couverture mobile de notre territoire, car c’est un véritable levier pour garantir une plus grande égalité des territoires, mais aussi – c’est toute la philosophie du projet de loi – pour accroître l’accès réel de nos concitoyens à l’économie et à de nouveaux droits. Or si le numérique ne fonctionne pas sur nos territoires, comment tenir ce discours de manière cohérente ?
Le déploiement de la fibre optique doit être accéléré. Pour ce faire, il nous faut lever les blocages qui empêchent son introduction dans chaque foyer. C’est l’objet de plusieurs dispositions du texte, qui pourront être renforcées. Nous pourrons aussi, comme nous aurons l’occasion d’en débattre, donner de la visibilité aux conditions de passage du réseau hérité du cuivre vers les nouveaux réseaux de fibre optique.
Pour investir efficacement, le projet de loi prévoit un encadrement des accords de partage des réseaux mobiles afin non pas de freiner l’investissement, mais de l’encourager en assurant une transition réaliste dans le temps.
Investir dans l’avenir, c’est aussi apporter des améliorations tangibles dans la vie de nos concitoyens, où qu’ils se trouvent sur le territoire. Des propositions ont été faites à cet égard en matière de couverture des zones blanches de la téléphonie mobile ; nous pourrons nous appuyer sur les travaux réalisés en commission spéciale pour avancer ensemble sur ce sujet d’importance.
Le texte a en outre pour objet de faciliter la réalisation de grands projets en étendant les expérimentations d’autorisation unique et de certificats de projet en cours – j’y faisais référence voilà un instant en matière de logement. Le certificat de projet est une réponse garantie délivrée en deux mois par le préfet de département permettant aux acteurs économiques, pour une opération donnée, de bénéficier notamment d’un interlocuteur unique, d’un engagement de l’administration sur les procédures nécessaires ou potentiellement nécessaires et sur leur délai d’instruction. Enfin, il s’agit d’apporter une sécurité juridique essentielle, grâce à une cristallisation du droit applicable, sauf exception, à la date de délivrance du certificat, et ce pendant dix-huit mois. Ce dispositif, qui a prouvé son efficacité dans le cadre de l’expérimentation, serait par exemple étendu à l’Île-de-France afin de pouvoir s’appliquer aux projets du Grand Paris.
Vous l’aurez compris, par ces mesures, il s’agit d’accélérer la réalisation de grands projets afin de contribuer au retour de la croissance.