M. François Marc. C’est vrai !
M. Emmanuel Macron, ministre. Elles ont été en partie, voire largement supprimées par la commission spéciale, ce que je regrette. Je pense vraiment que nous devrions y revenir, car c’est un élément d’accélération et de simplification de notre économie. En élargissant ces expérimentations, nous ne renonçons en rien à notre degré d’ambition. Nous évitons simplement d’imposer aux acteurs économiques ce qui relève parfois de nos propres turpitudes. Je le répète, je pense que nous devrions collectivement regarder avec plus d’attention ce point.
Le projet de loi permet aussi de renouer avec l’actionnariat salarié. Récompenser le risque et traquer la rente : tel est l’objectif visé par ce texte, et j’assume l’intégralité des mesures qu’il tend à introduire à cet effet.
Chaque jour, dans notre pays, nous pourrions avoir des débats sur la rémunération de nos dirigeants. C’est d’ailleurs le cas… Comme nous vivons dans une économie ouverte, mondialisée, il faut comprendre que si nous continuons à avoir de tels débats, nous aurons beaucoup de mal à attirer les meilleurs, parfois à les garder, en tout cas à faire réussir notre économie. Pour autant, nous devons avoir le souci commun de moraliser certaines pratiques, à tout le moins d’avoir plus de clarté. L’État a pris ses responsabilités en tant qu’actionnaire dans les entreprises au capital desquelles il est, notamment en prenant des dispositions législatives en la matière. Maintenant, il nous faut trouver un équilibre.
Le texte comprend trois éléments illustrant cette philosophie, sur lesquels je veux ici revenir : l’actionnariat salarié, les bons de souscription pour créateurs d’entreprises et les retraites chapeaux. Avec ces trois dispositifs, nous tentons en quelque sorte d’atteindre l’équilibre que je viens de décrire.
La réforme de l’actionnariat salarié vise à restaurer une forme d’attractivité fiscale et sociale pour nos entreprises, qu’elles soient petites ou grandes. En effet, il s’agit de l’une des conditions de la compétitivité de notre économie.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Emmanuel Macron, ministre. À défaut de réforme en la matière, nous continuerons de constater que des entreprises, petites ou grandes, n’arrivent pas à retenir leurs cadres les plus talentueux ou que, pour garder des comités exécutifs, elles les expatrient. Je ne saurais me résoudre à cet état de fait.
Sur ce sujet, nous ne pouvons pas reprocher à nos voisins allemands d’être des grands libéraux dénués de bon sens. Aussi, il me semble qu’aligner notre fiscalité et nos contributions sociales sur le modèle allemand relève du bon sens. Cette philosophie permettra à nos PME de garder ou d’attirer de nouveaux talents, à nos ETI de croître plus vite et à nos grands groupes, qui sont des éléments de notre compétitivité internationale et qui tirent des filières, de rester tout simplement français. Je le répète, je ne me résous pas à voir, mois après mois, des grands groupes décider progressivement, de manière parfois insidieuse, d’installer leur comité exécutif à l’étranger parce qu’ils n’arrivent pas à les rémunérer décemment en France.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je le dis avec beaucoup de gravité, cette ouverture doit aller de pair avec une certaine exigence. Dire que mieux rémunérer des cadres dirigeants est inacceptable ou prétendre qu’il est logique de voir filer ces entreprises à l’étranger sont deux arguments un peu faciles. C’est pourquoi l’appel à la responsabilité que je lance à ces grands dirigeants doit avoir pour symétrie une responsabilité collective afin de pouvoir appréhender le monde ouvert dans lequel nous vivons.
Réformer les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise a pour objet de restaurer les mécanismes fiscaux et sociaux rendant ces outils suffisamment attractifs pour permettre, en particulier à nos entreprises les plus jeunes et les plus innovantes, d’attirer les talents qu’elles ne peuvent pas payer en salaires et de les garder en les intéressant au capital. Il était important de redonner une attractivité pleine et entière à ce dispositif qui a montré sa force par le passé.
Mme Éliane Assassi. Il faut oser ! Comme si c’était la priorité !
M. Emmanuel Macron, ministre. S’agissant des retraites chapeaux des cadres dirigeants ou des mandataires sociaux, nous introduisons pour la première fois des éléments de moralisation. Nous instaurons également de la transparence et des conditions de performance. S’il est vrai que la rémunération du risque est bonne pour l’économie, l’existence de rentes de situation, avec des salaires différés sans aucun critère de performance, ne peut être considérée comme acceptable. C’est justement ce que vient corriger le projet de loi.
L’épargne salariale sera renforcée, car c’est le meilleur moyen d’associer l’ensemble des salariés à la bonne marche de leur entreprise. Or elle est aujourd’hui trop complexe pour jouer ce rôle de manière satisfaisante, ce qui a tendance à créer une inégalité entre les salariés. Il faut être aveugle pour considérer que tout va bien aujourd’hui en matière d’épargne salariale, alors que huit salariés sur dix y ont accès dans les grands groupes, contre un salarié sur dix dans les PME.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Emmanuel Macron, ministre. Dénoncer est une chose, mais corriger est un progrès. Ce texte permet donc de corriger cette inégalité d’accès en étendant pour la première fois les dispositifs aux PME-TPE au travers de la mise en place d’accords d’épargne salariale. Il vise également à améliorer le forfait et, s’agissant des réinvestissements dans un PERCO, un plan d'épargne pour la retraite collectif, les six premières années, à bonifier cet avantage fiscalo-social avec un taux de forfait social encore réduit. (Marques d’impatience sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Charon. Time !
M. Emmanuel Macron, ministre. La commission spéciale a souhaité sur ce point augmenter la diminution du forfait social proposé par le Gouvernement. En toute honnêteté, je tiens à lui rendre pleinement hommage, car elle a repris à cet égard les conclusions du COPIESAS, le Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié, de manière plus rigoureuse que le Gouvernement ne l’avait fait. J’avoue ici que nous n’étions pas allés plus loin pour des raisons budgétaires, ces avantages ayant un coût important. Lorsque nous aurons cette discussion – n’y voyez pas un argument d’autorité –, j’évoquerai cette contrainte budgétaire, même si, vous l’avez compris, la philosophie du COPIESAS est partagée par le Gouvernement. Nous avons d’ailleurs déjà introduit des dispositions qui vont dans le sens qu’il préconise.
Pour pouvoir investir sur ses priorités et se désendetter, le Gouvernement propose d’autoriser l’État à céder certains de ses actifs, ou en tout cas de l’encourager à avoir une gestion plus active de son portefeuille de participations. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Jean Desessard. Oh !
M. Emmanuel Macron, ministre. Ce volet servirait d’abord à mieux accompagner des projets industriels d’entreprises publiques. Des dispositions autoriseraient, en particulier, le Gouvernement à mettre en œuvre le projet de rapprochement entre Nexter et KMW. Ce projet, annoncé le 1er juillet 2014, permettrait de créer un leader européen de l’armement terrestre, bénéficiant des compétences et des savoir-faire complémentaires des deux entreprises et disposant d’une envergure suffisante pour assurer son développement, en particulier à l’export.
Mme Cécile Cukierman. On en parlera aux anciens salariés de GIAT !
M. Emmanuel Macron, ministre. Le projet de loi comporte également des dispositions relatives à la création de sociétés de projet en matière de défense nationale. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Je sais que la commission spéciale a auditionné mon collègue ministre de la défense et que le débat reviendra en séance publique…
Ce volet de la loi ouvrirait aussi le capital de certaines entreprises publiques, en particulier de certains aéroports (Mêmes mouvements.), pour permettre à l’État de dégager des ressources financières, avec deux objectifs : d’une part, le désendettement et, d’autre part, le réinvestissement vers certaines priorités. J’aurai l’occasion d’y revenir de manière détaillée, mais je veux dire dès à présent que l’État n’est pas un bon actionnaire dans les sociétés gestionnaires d’aéroports. J’estime même que c’est une erreur de raisonnement de considérer que l’on peut faire respecter la souveraineté, qu’elle soit économique ou nationale, par ce truchement. L’État, au travers des contrats de régulation économique ou des décisions de la Direction générale de l’aviation civile, les fait déjà pleinement respecter, et il ne peut plus se permettre d’être un actionnaire dormant, comme il l’a été pendant des décennies. Nous pouvons continuer à dormir,…
Mme Éliane Assassi. On peut aussi se réveiller !
M. Emmanuel Macron, ministre. … mais nous considérons qu’il est préférable de se réveiller pour réinvestir sur des priorités. Nous l’avons fait dans le passé avec PSA, pour ne citer qu’un exemple.
M. Pierre Charon. Le PS en action.
M. Emmanuel Macron, ministre. Libérer de l’argent de participations qui ne sont plus des priorités pour aller le réinvestir dans d’autres ou se désendetter nous paraît être une philosophie d’État actionnaire plus constructive.
Enfin, le projet de loi a pour objet de réformer les procédures collectives.
Le droit en vigueur consacre la primauté absolue de l’actionnariat au nom de la protection du droit de propriété, même lorsque cette primauté conduit à la destruction de l’entreprise et des emplois. Nous avons, toutes et tous, vécu des situations où les actionnaires en place peuvent bloquer une opération de reprise par des investisseurs qui porteraient un projet. Lorsque les dirigeants et les actionnaires ne peuvent plus sauver leur entreprise, qui se dirige vers la liquidation, le tribunal pourra, en dernier recours, permettre à des créanciers ou à de nouveaux investisseurs de prendre le contrôle de la société contre l’avis des actionnaires, dans le cadre et les conditions que je viens d’évoquer.
Simplifier, accélérer,…
M. Jacques Grosperrin. Accélérez, oui !
M. Pierre Charon. Oh oui !
M. Emmanuel Macron, ministre. … rendre plus attractif : telles sont les priorités de ces mesures pour favoriser l’investissement productif en France.
J’en viens au travail, qui est, rassurez-vous, le troisième et dernier pilier de ce texte (Ah ! sur les travées de l'UMP.) sur lequel nous devrions avoir une approche pragmatique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pense pas avoir été trop long. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Charon. Si !
M. Emmanuel Macron, ministre. Partant de l’hypothèse que tout le monde n’avait pas lu ce texte, j’ai pensé faire preuve de respect en détaillant les mesures…
Mme Cécile Cukierman. Rassurez-vous, on l’a travaillé !
M. Henri de Raincourt. Présentez-vous aux élections !
M. Emmanuel Macron, ministre. Maintenant, si vous préférez avoir un débat expéditif, je peux m’adapter….
Je veux revenir sur trois éléments.
Tout d’abord, l’ouverture du travail le dimanche… (Ah ! sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Votre réaction traduit un appétit qui m’oblige à m’attarder. (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Il est taquin !
M. Emmanuel Macron, ministre. Le système actuel entraîne des déséquilibres entre les territoires. Force est de constater que la situation est extrêmement insatisfaisante, notamment parce qu’elle est hétérogène : d’un côté, il y a les PUCE, les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, dans lesquels les dimanches travaillés sont compensés ou payés double ; de l’autre, il y a les zones touristiques, dans lesquelles la loi ne prévoit pas de compensation. En outre, il y a des dimanches du maire qui ne sont pas obligatoires et qui peuvent faire l’objet de compensations selon les situations.
Les dispositions du texte portant sur l’exception au repos dominical pour les commerces de détail cherchent à apporter principalement trois éléments de changement.
Le premier est la simplification et l’homogénéisation des règles de compensation : partout sur le territoire, il doit y avoir une compensation au travail le dimanche. Celle-ci ne doit pas être définie par la loi, car les secteurs et les territoires sont très différents. Seul l’accord, soit d’entreprise, soit de branche, soit de territoire, peut la définir. S’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’ouverture. C’est un premier facteur d’homogénéisation, de plus grande justice et, dans le même temps, une marque de confiance dans le dialogue social.
Le deuxième changement consiste en l’instauration de zones touristiques internationales, très circonscrites, où l’ouverture en soirée et le dimanche est source de création d’activité économique. Avec un encadrement très strict et une compensation salariale très généreuse pour le travail en soirée, puisqu’elle est supérieure à ce qui existe aujourd’hui pour le travail de nuit, le projet de loi permet une ouverture décidée par l’exécutif, pour éviter les blocages.
Enfin, le projet de loi offre aux maires la possibilité d’autoriser douze ouvertures dominicales des commerces dans l’année, au lieu de cinq actuellement. Le rapport rendu en 2013 par Jean-Paul Bailly avait prouvé la nécessité de trouver un équilibre entre les cinq dimanches du maire et les cinquante-deux dimanches des PUCE : dans certaines régions, les cinq dimanches ne suffisent pas, dans d’autres, c’est déjà trop ! Enfin, on voit bien que certaines villes cherchent une flexibilité supplémentaire, ce qui les a incitées à se classer en zone touristique, pour n’utiliser qu’un dimanche par mois, donc douze dimanches par an. Le projet de loi permet aux maires d’accorder jusqu’à douze autorisations d’ouverture dominicale, au lieu de cinq actuellement, avec un avis conforme de l’EPCI au-delà de cinq dimanches.
Au-delà de ces trois points sur lesquels je voulais insister, le projet de loi a aussi vocation à protéger le petit commerce, garant de la vitalité de nos territoires, en redonnant des marges de manœuvre aux maires et en coordonnant les ouvertures au niveau de l’EPCI. Les commerces alimentaires de plus de 400 mètres carrés qui, aujourd’hui, ouvrent le dimanche sans accorder de compensation salariale devront désormais verser à leurs salariés une majoration de leur rémunération d’au moins 30 %. Il s’agit de corriger une inégalité entre entreprises, d’apporter davantage de garanties aux salariés et de préserver l’équilibre des territoires, qui s’est largement dégradé ces dernières années.
Ensuite, je souhaite mettre l’accent sur la réforme de la justice prud’homale. Quelle a été notre philosophie ? Nous sommes partis du constat que cette justice était trop lente, la durée d’une procédure pouvant aller jusqu’à vingt-sept mois, et qu’elle recourrait peu à la conciliation – dans 6 % des cas seulement.
M. Pierre Charon. Il y a d’autres orateurs ! Nous voulons entendre Catherine Deroche !
M. Emmanuel Macron, ministre. Cette situation joue au détriment des plus petits employeurs et des salariés les plus fragiles. Notre volonté est donc d’encourager le recours à la conciliation, d’accélérer la mise en état des dossiers et de donner les voies et moyens aux parties de trouver plus vite un accord grâce à la mise en œuvre d’un référentiel, ce dernier point constituant, à mes yeux, l’un des apports majeurs du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Enfin, pour achever mon propos,…
M. Pierre Charon. C’est trop long !
M. Emmanuel Macron, ministre. … je veux revenir sur d’autres mesures en faveur du travail. Nous devons nous battre contre la concurrence déloyale et renforcer l’attractivité de nos territoires. À cette fin, le projet de loi cherche à protéger la vitalité de nos régions et de nos départements en favorisant la lutte contre la concurrence déloyale et le travail illégal. L’inspection du travail serait donc réformée et la lutte contre la prestation de service internationale illégale serait facilitée par le renforcement des sanctions et l’instauration de nouveaux moyens de contrôle.
Le projet de loi simplifie également des dispositions qui ne sont pas utilisées, mais qui nuisent à l’attractivité économique de notre pays, en particulier la peine de prison associée au délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Cette peine est disproportionnée, inefficace et très exceptionnellement appliquée. Parallèlement, le montant de l’amende pénale serait majoré pour rendre le délit d’entrave plus dissuasif – ce montant a été diminué par la commission spéciale, mais nous devrons en débattre.
Enfin, le dispositif de sécurisation de l’emploi, issu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et repris dans la loi du 14 juin 2013, a été corrigé sur certains points qui posaient, notamment, des questions d’interprétation jurisprudentielle. Tous les articles du projet de loi relatifs à cette problématique ont fait l’objet d’une analyse par les services du ministère du travail, ainsi que d’une concertation avec l’ensemble des organisations syndicales avant d’être présentés au vote de l’Assemblée nationale. Certaines interprétations jurisprudentielles sont en effet contraires à l’esprit de la loi de sécurisation de l’emploi et le présent projet de loi tend à clarifier certains points. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur ces mesures qui visent à simplifier les procédures ainsi que leur sécurité juridique.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire. (Ah ! sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Si mon intervention a pu paraître trop longue à certains d’entre vous, croyez que je le regrette (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.), mais je saurai être plus rapide si tel est votre souhait, toujours dans le même esprit constructif. Vous avez pu mesurer ce faisant que, lorsque je parle de débat constructif pour l’intérêt général, je ne me paie pas de mots !
M. Didier Guillaume. Belle démonstration !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je défends mes arguments et j’écouterai ceux qui me seront opposés en temps voulu, mais débattre suppose d’aller au fond.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est ce que nous voulons !
M. Emmanuel Macron, ministre. J’ai donc fait le choix d’aller au fond, parce que je crois en la vertu de l’échange que nous aurons. Aller au fond, pour l’intérêt général, avec plus d’ambition : tel est l’esprit dans lequel s’inscrit ma démarche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’engager le débat en séance publique au nom de notre commission spéciale, qui soumet aujourd’hui à la Haute Assemblée le fruit de ses travaux sur un texte d’une ampleur peu commune et, si l’on se fie à son intitulé, lourd de forts enjeux politiques, économiques et sociaux.
Il m’est revenu d’examiner les dispositions du volet social du projet de loi, c’est-à-dire la réforme des dérogations au repos dominical, le renforcement de la lutte contre le détachement illégal de salariés, les ajustements au droit des plans de sauvegarde de l’emploi et l’épargne salariale, ainsi que celles portant sur le financement des entreprises.
Le travail dominical est une thématique qui, chaque fois qu’elle est soumise au législateur, suscite un débat passionnel. Au-delà de questions purement juridiques sur l’évolution du droit du travail, ses enjeux sociétaux sont majeurs. Pourtant l’époque où toute activité cessait en fin de semaine est désormais révolue : la loi du 13 juillet 1906 prévoyait déjà de nombreuses dérogations au repos dominical, ce qui n’a pas empêché, au fil du temps, le développement des pratiques d’ouverture dominicale illégale.
En 2009, la loi Mallié a tenté d’apporter des réponses à ces situations, sans toutefois parvenir à simplifier la réglementation. Elle l’a même, à certains égards, complexifiée, sans apporter de solution pérenne aux problématiques liées à l’ouverture des commerces le dimanche, alors que la concurrence a désormais lieu en ligne, à tout instant du jour et de la nuit.
C’est pourquoi notre commission spéciale a conforté l’esprit des modifications de la réglementation du travail dominical proposées dans le cadre de ce projet de loi. Elle adhère à la philosophie du rapport remis par Jean-Paul Bailly en novembre 2013, intitulé La question des exceptions au repos dominical dans les commerces : vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs, que l’on peut résumer ainsi : simplifier le cadre juridique existant ; harmoniser, dans la mesure du possible, les contreparties en faveur des salariés privés du repos dominical et respecter leur volontariat ; faire du dialogue social et territorial la clé de ces dérogations et prendre en compte les enjeux d’attractivité touristique internationale de notre territoire associés à l’ouverture dominicale des commerces.
Tout en respectant l’équilibre du texte voté par l’Assemblée nationale, en particulier sur la question des « dimanches du maire », et sans prôner une libéralisation du travail dominical, nous avons souhaité compléter la réforme. Deux objectifs nous ont guidés : tout d’abord, garantir son effectivité afin que, demain, les dérogations au repos dominical que nous allons approuver ne restent pas purement virtuelles ; ensuite, éviter que des commerces qui, aujourd’hui, peuvent ouvrir le dimanche ne se voient contraints de fermer ce jour-là.
La commission spéciale a donc rétabli, pour les commerces situés dans une zone où le travail dominical est autorisé, la possibilité, subsidiaire et ouverte uniquement si la négociation d’un accord collectif de branche, d’entreprise ou d’établissement a échoué, d’ouvrir le dimanche sur la base d’une décision de l’employeur. Cette décision devra être approuvée par les salariés lors d’un référendum et sera soumise aux mêmes obligations, en matière de contreparties sociales, qu’un accord.
Il faut sans nul doute faire confiance au dialogue social. C’est la raison pour laquelle nous pensons, comme vous, monsieur le ministre, que la loi ne doit pas fixer un montant minimal de majoration salariale pour les employés travaillant le dimanche. Pour autant, on ne peut nier, et on peut même regretter, l'existence de nombreuses situations de blocage du dialogue social dans les entreprises sur cette question ainsi qu’une opposition de principe de certaines organisations syndicales, malgré le volontariat de nombreux salariés.
Nous avons ensuite exonéré les entreprises de moins de onze salariés situées dans les zones touristiques des obligations nouvelles en matière de dialogue social et de contreparties fixées par ce texte. Il s’agit d’ailleurs de la traduction d’une des recommandations du rapport Bailly. Ces commerces peuvent ouvrir aujourd’hui sans condition préalable. De petite taille, ils n’ont ni institutions représentatives du personnel ni habitude de la négociation collective. Commerces indépendants, ils assurent l’animation des centres-villes de nos communes touristiques, mais la plupart d’entre eux sont fragilisés économiquement par le développement des zones commerciales périurbaines et l’évolution des modes de consommation. À l’avenir, il ne faut pas qu’ils baissent le rideau le dimanche à cause de ce projet de loi. Je suis d’ailleurs heureuse de constater que Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce et de l’artisanat, a rejoint, dans une interview récente, notre position sur ce sujet.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Enfin, dans un élan d’unanimité, notre commission spéciale a su se montrer plus ferme que vous, monsieur le ministre, puisqu’elle a supprimé l’article 82 bis relatif à l’adaptation des jours fériés outre-mer.
J’en viens aux autres dispositions relatives au droit du travail.
La commission spéciale a tout d’abord supprimé la demande d’habilitation du Gouvernement à réformer par ordonnance les pouvoirs de l’inspection du travail. Cette demande nous a semblé injustifiée, car nous connaissons très précisément son contenu depuis plus d’un an, lorsque notre assemblée a examiné et rejeté, en février 2014, l’article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Cette réforme suscite de nombreuses inquiétudes, dans les entreprises comme chez les inspecteurs, et le recours à une ordonnance ne permet pas d’y répondre.
La commission spéciale a également parachevé la réforme du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel, qui traduit un engagement du Président de la République, en supprimant la peine d’emprisonnement d’un an en cas d’entrave à leur constitution, tout en portant l’amende afférente à ce délit à 15 000 euros.
Nous avons également supprimé les nombreux verrous qui obèrent le développement des accords de maintien de l’emploi, dont l’échec est manifeste, tout en donnant la possibilité aux partenaires sociaux dans l’entreprise de conclure des accords de développement de l’emploi qui seront soumis aux mêmes règles. Gages de flexibilité interne, ces accords permettront aux entreprises de répondre aux fluctuations de l’économie en modifiant l’organisation et la répartition du temps de travail de leurs salariés. L’économie française ne sera plus condamnée à recourir à des ajustements externes qui pénalisent les salariés en contrat précaire et nourrissent le chômage de masse. Nous attachons donc une grande importance à ces accords, car ils pourraient redonner de l’oxygène à nos entreprises qui en ont plus que jamais besoin.
Sur ma proposition, la commission spéciale a également simplifié deux mécanismes qui sont un frein au développement des entreprises et une source de très grande inquiétude pour les chefs d’entreprise. Elle a mis en place un dispositif permanent de lissage dans le temps des conséquences du franchissement des seuils sociaux, afin de laisser trois ans aux entreprises pour se conformer à leurs nouvelles obligations. Dans la même optique, elle a relevé de onze à vingt et un salariés l’effectif à partir duquel l’élection de délégués du personnel devient obligatoire. Enfin, elle a apporté plusieurs modifications au compte personnel de prévention de la pénibilité, en supprimant la fiche individuelle de suivi de chaque salarié et en le recentrant, pour l’instant, sur les trois facteurs de pénibilité dont la mesure est opérationnelle.
S’agissant du volet relatif à l’épargne salariale et à l’actionnariat salarié, la commission spéciale a souhaité s’inscrire, pour partie, dans la continuité des travaux du COPIESAS, ainsi que dans celle du projet de position commune des partenaires sociaux. Elle a ainsi abaissé de 16 % à 12 % le taux du forfait social applicable à un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO, dont au moins 7 % des fonds sont destinés au financement des PME et des ETI. Elle a également totalement exonéré de cette contribution pendant trois ans les entreprises employant moins de cinquante salariés qui concluent pour la première fois un accord de participation ou d’intéressement, tout en prévoyant un taux réduit de 8 % pendant les trois années suivantes.
La commission spéciale a également veillé à tenir compte des spécificités des petites entreprises. Elle a en effet obligé les branches professionnelles à négocier, avant le 30 décembre 2017, un accord d’intéressement qui sera directement applicable par les entreprises souhaitant y avoir recours. Elle a par ailleurs suspendu pendant trois ans l’obligation de conclure un accord de participation pour les entreprises qui franchissent le seuil de cinquante salariés, si elles disposent déjà d’un accord d’intéressement et qu’elles l’appliquent continûment pendant cette période.
La partie du texte qui m’incombe comporte également des mesures qui, si elles ne relèvent pas du champ de l’épargne salariale, visent à améliorer le financement des entreprises. On citera, à titre d’exemple, la création de la société de libre partenariat, un nouveau véhicule de capital-risque destiné à attirer les investisseurs institutionnels étrangers. Je me félicite de bon nombre de ces mesures, qui constituent des avancées modestes, mais réelles.
Toutefois, comme le souligne la dernière note de conjoncture de l’INSEE, l’investissement des entreprises est actuellement au point mort, alors même que les autres moteurs de la croissance repartiraient enfin plutôt à la hausse. Face à l’urgence de la situation, la commission spéciale a tenu à renforcer le texte issu de l’Assemblée nationale plutôt que d’attendre une hypothétique « loi Macron II ». À titre d’exemple, la commission spéciale a adopté un amendement rendant la réduction d’impôt « Madelin » éligible au plafonnement global des avantages fiscaux de 18 000 euros, contre 10 000 euros dans le droit en vigueur. En contrepartie d’un meilleur ciblage qui pourrait être exigé par la Commission européenne, la commission spéciale a également souhaité doubler le montant du plafond de la réduction d’impôt « ISF-PME », le portant à 90 000 euros.
De manière générale, les mesures retenues par la commission spéciale répondent à deux critères.
Premièrement, leur impact budgétaire demeure raisonnable. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas réalisé les économies qui auraient permis de faire des gestes fiscaux de grande ampleur en faveur du développement des entreprises et de la relance de l’activité économique. Le texte actuel ne semble pas adapté pour décider de tels aménagements, dans la mesure où il ne permet pas, contrairement à une loi de finances, de marcher sur deux jambes : réduction des dépenses et baisse des impôts.
Deuxièmement, les mesures retenues bénéficient aux PME. Pour ces sociétés, le niveau de risque très important, l’asymétrie d’information entre l’entreprise et les investisseurs et l’externalité positive liée à l’innovation technologique rendent indispensable la mise en place de dispositifs incitatifs visant à encourager les prises de participation.
Faire preuve de responsabilité budgétaire et d’efficacité économique : c’est de nouveau cette grille d’analyse que j’appliquerai dans ce domaine tout au long de l’examen du présent projet de loi.
Pour conclure, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de ma déception et de mon inquiétude quant à l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement aborde l’examen de votre projet de loi devant le Sénat, tel qu’il résulte des nombreux amendements que vous avez déposés et dont nous avons commencé l’examen ce matin. Je vous ai bien entendu : vous avez déposé ces amendements « dans les délais », mais vous n’en avez retiré qu’une cinquantaine aujourd’hui, à quatorze heures trente-huit, courriel faisant foi.
Permettez-moi de faire un rappel. Lors de ses travaux, la commission spéciale a suivi une ligne directrice claire : ne pas se faire le porte-parole d’intérêts particuliers, mais se saisir de toutes les opportunités présentées dans le projet de loi pour engager les réformes indispensables à la relance de notre économie. Nous avons souhaité partager l’état d’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Pour quelle écoute ? Malgré l’engagement que vous avez pris lorsque la commission spéciale vous a reçu et les assurances que vous aviez alors formulées sur votre volonté d’œuvrer avec le Sénat pour améliorer votre projet de loi, vous proposez une remise en cause quasi systématique des modifications que nous avons apportées, comme si le Gouvernement considérait le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale comme l’alpha et l’oméga, l’optimum de la législation. C’est pourtant loin d’être le cas…
Monsieur le ministre, en dépit de toutes les concessions que vous avez dû faire, vous n’avez pas été en mesure de faire voter ce projet de loi par les députés !