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Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Lors du scrutin n° 7 sur l’amendement n° 2 rectifié déposé à l’article 1er du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, j’ai été déclaré votant pour, alors que je souhaitais m’abstenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Simplification de la vie des entreprises
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la simplification de la vie des entreprises.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Tout d’abord, monsieur Labbé, je suis d’accord avec vous concernant la ferme des mille vaches : je trouve le projet scandaleux et je partage votre combat.
Pour revenir au texte en discussion, l’usage sémantique du mot « simple » qui y est fait n’est pas du tout effectué à bon escient. Paul Valéry aurait pu s’inspirer de ce projet de loi lorsqu’il a écrit : « un sujet d’une étendue immense et qui, loin de se simplifier et de s’éclaircir, ne fait que devenir plus complexe et plus trouble à mesure que le regard s’y appuie. »
Les sénateurs du groupe CRC ne sont pas opposés à une simplification de la vie des entreprises, et encore moins à une simplification de la vie des Français. Bien au contraire, nous appelons de nos vœux un certain nombre de mesures, par exemple, l’instauration d’un tiers payant généralisé chez le médecin, disposition utile pour nos concitoyens les plus modestes et qui figurait dans le programme de campagne du candidat François Hollande. Preuve qu’il y avait du bon dans ce programme !
Pourtant, à la lecture de ce projet de loi, on a le sentiment que lorsqu’il s’agit de simplifier la vie quotidienne des Français, le Gouvernement donne du temps au temps, alors que, pour les entreprises, il accélère le changement !
La simplification est une démarche louable, mais, dans le cas présent, elle s’avère trompeuse en raison d’un certain nombre de dispositions.
Avant tout, je voudrais dire un mot sur la procédure employée, qui nous paraît critiquable.
Le présent projet de loi prévoit de modifier huit codes différents, pour l’essentiel par la voie d’habilitations à prendre des ordonnances. Ce recours massif à des habilitations au contenu étendu et incertain n’augure pas d’un travail serein sur le contenu du texte.
Le Gouvernement ne peut pas poursuivre cette stratégie de la coquille vide où les représentants du peuple sont exclus des décisions à mettre en œuvre pour le pays. Les arguments relevant de la complexité et de l’obligation d’aller vite ne peuvent être acceptés en permanence.
Cette critique est accentuée par le fait que de nombreux articles du texte que nous examinons sont issus des propositions du Conseil de la simplification pour les entreprises. Or cette instance n’est composée que d’élus, de hauts fonctionnaires et de chefs d’entreprise. Cela fait déjà beaucoup de monde, mais aucun représentant de syndicat de salariés n’y siège, par conséquent n’a eu son mot à dire. Alors que l’heure est plus que jamais au développement de la démocratie, les salariés auraient certainement été une force de propositions pour la rédaction de ce texte.
Aussi, pour les membres du groupe CRC, la simplicité ne rime pas avec la facilité, tant ce projet de loi procède à un certain nombre de modifications d’importance. Certaines ont déjà été supprimées par la commission des lois, mais d’autres demeurent, notamment celles qui sont relatives au code du travail.
Ainsi, nous ne pouvons pas adhérer à un texte qui considère comme une mesure de simplification la mise en œuvre du CDD à objet défini. Cette disposition ne trouve pas sa place dans un projet de loi ayant pour objet la simplification et sur lequel est engagée la procédure accélérée. Nous estimons qu’un réel débat démocratique doit être mené sur cette question en concertation avec les représentants des salariés et avec les parlementaires.
Il nous est également proposé d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toutes les mesures relevant de la loi pour harmoniser la définition et l’utilisation des notions de « jour », et ce afin d’adapter la quotité des jours dans la législation du travail et de la sécurité sociale. Actuellement, cinq notions de « jour » sont utilisées : jour calendaire, jour ouvrable, jour ouvré, jour franc et jour de travail. Là aussi, selon la notion retenue, l’harmonisation aura des conséquences pour le monde du travail.
Un autre article habilite le Gouvernement à déterminer les conditions essentielles de l’exercice du portage salarial, dont nous connaissons tous les méfaits sur les conditions de travail des salariés pour qui la précarité deviendra alors une norme. Là encore, nous ne pouvons pas nous priver d’un véritable débat démocratique sur un sujet d’une réelle importance pour nos concitoyens.
Comme vous le constatez, mes chers collègues, la simplification est fort compliquée !
Il en va de même des autres thèmes abordés dans ce pêle-mêle de dispositions qui nous est proposé. J’en veux pour preuve les mesures dans le domaine de l’environnement, par exemple la réforme des certificats d’énergie. Pourquoi en débattre à l’occasion de l’examen de ce texte, alors que la plupart d’entre elles auraient dû trouver leur place dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ? Où se situent la logique et la simplification ?
Quant aux mesures qui relèvent des commissions des affaires économiques et du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, notons la volonté, une nouvelle fois affirmée et amplifiée d’ailleurs en commission, de déréglementer le droit des sols, ouvrant ainsi la voie à de multiples dérogations au plan local d’urbanisme, qui relève de la compétence des maires – à cet égard, je me demande si le but visé n’est pas d’écorner le pouvoir de ces derniers. Il faut faire confiance aux maires !
Nous ne pouvons pas non plus souscrire à la volonté de remplacer dans un certain nombre de cas l’enquête publique par une simple mise à disposition du public.
Que dire, aussi, des mesures remettant en cause les dispositions de la loi ALUR, notamment l’article 7 ter, qui revient sur la mention de la surface habitable ? Sur le fond, nous considérons que le présent projet de loi n’est pas de nature à résoudre le problème de la construction qui est moins lié aux normes et à leur complexité qu’à l’asséchement des crédits affectés au logement dans le projet de loi de finances pour 2015.
De plus, nous avons étudié attentivement l’article 27 qui a trait aux marchés publics. Nous avons regretté, dans un premier temps, que l’objet de cet article soit, une nouvelle fois, de démanteler la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite « loi MOP ». Pour cette raison, nous souscrivons à la réécriture de la commission ainsi qu’aux amendements adoptés qui tendent à limiter et à clarifier le recours aux contrats de partenariat, même si, pour notre part, nous souhaitons aller encore beaucoup plus loin dans la limitation de ceux-ci.
Le dernier volet de ce projet de loi porte sur les mesures fiscales et comptables en faveur des entreprises qui se résument essentiellement à l’extension des procédures de télédéclaration et de télépaiement des impositions dues par celles-ci, qu’il s’agisse des grandes sociétés comme des entreprises à caractère artisanal. Ces procédures leur sont de plus en plus imposées. En réalité, elles sont les effets de la politique constante de réduction des effectifs de la direction générale des finances publiques.
Évidemment, dans ce contexte, se pose aussi la question de la fiabilité du contrôle et du suivi du dossier des entreprises. À l’heure où tant de recettes font défaut aux caisses de l’État, peut-on prendre le risque de diminuer les contrôles ?
Vous le constatez, mes chers collègues, le présent projet de loi, qui semble se limiter à faciliter l’obtention de certaines autorisations, à ouvrir la possibilité de dématérialiser certains documents et à harmoniser différents codes, sert en réalité de véhicule pour faire passer des réformes qui touchent au fond du droit, notamment au droit du travail.
Un certain nombre de choix qui sont opérés devraient faire l’objet de véritables débats politiques et non pas figurer dans un projet de loi dit « de simplification », générateur de déréglementation et débattu quelque peu à la hâte. Cela n’est pas une garantie pour l’avenir.
Monsieur le secrétaire d’État, tout à l’heure, dans votre propos liminaire, vous avez parlé de « choc de simplification » et de « rattrapage », et vous avez dit qu’il fallait « mettre les bouchées doubles ». En fait, c’est une route chaotique et peu sûre que vous nous proposez d’emprunter. Pourvu que ce ne soit pas une impasse sans espoir pour notre peuple ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en introduction de mon propos, je rappellerai une anecdote relatée dans le rapport Lambert-Boulard consacré à l’inflation normative.
Par application du décret du 22 octobre 2010, depuis le 1er mai 2011, une nouvelle réglementation antisismique est applicable aux nouvelles constructions dans des zones qui n’ont jamais connu de secousses sismiques. Pour un collège en construction au Mans, une ville qui n’a pourtant jamais connu de tremblement de terre – des courses automobiles, oui, mais pas de tremblement de terre ! (Sourires.) –, le redimensionnement des fondations correspond à un surcoût de 100 000 euros pour les classes et de 60 000 euros pour le restaurant. Le rapport précité proposait une mesure de bon sens : abroger les contraintes antisismiques là où la terre n’a jamais tremblé.
M. Jean-Jacques Hyest. On ne sait jamais !
M. Jean-Claude Requier. Nos entreprises, notamment les PME, qui représentent 57 % de la valeur ajoutée, 65 % des emplois marchands et 82 % des emplois créés dans notre pays, sont soumises au quotidien à de lourdes procédures administratives qui entravent leur développement et leur action. Plusieurs fois par an, elles doivent communiquer leur chiffre d’affaires, faire part de leur respect des normes environnementales, paritaires et autres, sans que les différentes administrations soient aujourd’hui en mesure de croiser, et donc de coordonner les informations qui ont déjà été transmises. Il y a de quoi décourager tout esprit d’entreprise !
Mme Françoise Laborde et M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Au mois de mars 2013, le rapport Lambert-Boulard rappelait : « Le stock est évalué à 400 000 normes. Il s’est constitué au fil du temps par addition, sédimentation, superposition, comme les couches d’une géologie juridique. » Et le même rapport d’ironiser sur le phénomène : « La seule nuit d’abrogation s’est déroulée le 4 août 1789… » Voilà donc plus de 225 ans !
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Roland Courteau. Exact !
M. Jean-Claude Requier. La France a par conséquent bien besoin du choc de simplification. Celui-ci participe d’ailleurs à la mise en œuvre de l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Selon un chiffrage de l’État, pour notre pays, il devrait découler des mesures de simplification une économie globale de 2,4 milliards d’euros.
Mais encore faut-il s’interroger davantage sur les raisons d’une telle complexité des normes, sans quoi la simplification se réduit à un trompe-l’œil pour nos concitoyens.
Plusieurs maux ont déjà été soulignés de longue date : l’inflation normative et ses corollaires, l’usage de la procédure accélérée à tout-va, la sur-transposition des directives européennes, qui surajoute de nouvelles obligations à d’autres, l’absence d’étude d’impact sérieuse accompagnant le plus souvent les projets de loi – les membres du groupe du RDSE ont fait remarquer ce paradoxe lors de l’examen de la réforme territoriale : l’étude d’impact a été conçue pour améliorer la fabrique législative, mais se trouve réduite aujourd’hui à une pure formalité technique –, la simplification par le biais de lois de simplification sans vision d’ensemble, source de complexification…
Pour ne s’attarder que sur cette dernière cause, il est à noter que le Parlement est en quelque sorte « dessaisi » par ces lois fourre-tout qui survolent tous les sujets sans les approfondir. Le législateur se voit ainsi privé de son rôle constitutionnel d’artisan de la loi sur des thèmes aussi essentiels que le droit du travail et la sécurité sociale.
De surcroît, en l’occurrence, la procédure accélérée est une nouvelle fois utilisée, une procédure dont on use et abuse… Les membres de mon groupe l’ont dit et répété en d’autres temps, sous d’autres majorités, et nous regrettons que cela ne change pas.
Cinq projets de loi affichant un objectif de simplification ont été successivement examinés en à peine deux années. Les lois adoptées sont ainsi devenues l’occasion de pallier les carences d’autres lois à peine promulguées. Comment ne pas voir que ce genre d’habitus législatif crée de la confusion chez nos concitoyens, qui ne savent plus à quelle norme se fier, et qui vont se perdre dans le jeu multiple des abrogations et des entrées en vigueur, repoussées, puis avancées et finalement encore décalées ?
Les mesures proposées dans le présent projet de loi en matière de droit du travail – portage salarial et apprentissage – auraient dû faire l’objet, a minima, d’un projet de loi spécifique et, a maxima, d’une grande concertation des partenaires sociaux, comme la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail en a posé le principe.
Par ailleurs, il est à noter que c’est le fonctionnement de l’administration qui est le plus souvent en cause, du fait de rigidités structurelles et de certains comportements ancrés dans la pratique. Tel est largement le cas en matière d’environnement. Il suffit de penser à l’abandon de la construction du centre de formation du Stade brestois pour protéger… l’escargot de Quimper ! (Exclamations.)
Dans un contexte économique difficile, l’abandon de ce chantier de 12 millions d’euros, pour lequel quarante entreprises avaient répondu aux appels d’offres, devient difficilement justifiable.
De plus, comment expliquer que ce qui fait foi, à savoir le Journal officiel, n’est pas intelligible, car non consolidé, alors que ce qui est accessible ou intelligible – les bases de législation consolidée, comme le site Légifrance – ne fait pas foi ? En simplifiant la forme, l’administration contribuerait certainement à se donner les moyens de simplifier le fond.
Accessibilité du droit, dématérialisation des démarches administratives, coordination des divers services, circulation de l’information, tels sont les chantiers urgents de la simplification, qui doit se transformer en véritable révolution de l’esprit administratif.
Les membres du groupe du RDSE voteront le présent texte, mais ils appellent le Gouvernement à revoir sa méthodologie de simplification. Si l’objectif n’est pas contestable, les moyens pour l’atteindre le sont beaucoup plus. Vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le secrétaire d’État, parfois, les lois de simplification sont source de plus de complexité qu’elles ne permettent de remédier à des difficultés.
En conclusion, le poète français Pierre Reverdy écrivait : « Ce n’est pas si simple que ça, d’être simple » (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. André Reichardt, rapporteur. C’est même très compliqué de faire simple !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (M. Olivier Cadic applaudit.)
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comment ne pas souscrire à une démarche de simplification ?
Dans un monde hypercomplexe, aux multiples sources de production normatives et réglementaires, imbriquées et enchevêtrées, la simplification, souvent d’ailleurs associée à la transparence, est devenue à la fois un mirage et un gadget de l’action publique.
Jugeons-en par un seul chiffre : depuis dix ans, on peut recenser treize lois de simplification. Celle que nous nous apprêtons à adopter sera la quatorzième ! La quinzième ne devrait pas tarder si l’on en croit les récentes annonces du Président de la République. Preuve s’il en est que, en la matière, le volontarisme politique ne suffit pas, car la complexification – ce n’est pas seulement une impression, car je suis aussi dans ma vie professionnelle chef d’entreprise de PME – progresse plus vite que la simplification.
En effet, au-delà de l’incantation et de tous les effets d’affichage, il y a la difficulté objective à opérer.
En l’occurrence, que nous propose-t-on ? Certainement pas le fameux « choc de simplification » annoncé depuis plus de deux ans !
Le présent projet de loi de simplification est tout à fait classique par rapport à ses prédécesseurs. Il s’agit d’un texte de recours massif aux ordonnances et, vous le savez, nous sommes toujours par principe très réticents face à ces ordonnances qui dessaisissent le législateur.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Jean-Marc Gabouty. Mais nous pouvons aussi comprendre que la formule soit commode et se justifie dans des matières très techniques où le réglementaire le dispute au législatif, ce qui est largement le cas pour bon nombre des sujets abordés dans le texte que nous examinons. Nous n’en ferons donc pas un casus belli.
Mais ce projet de loi de simplification, comme tous ses prédécesseurs – c’est sa seconde caractéristique – constitue un texte fourre-tout, un catalogue assez hétéroclite de mesures.
Du droit du travail au droit des sociétés, en passant par les déclarations de fermeture des boulangeries – voilà longtemps que celles-ci sont peu effectuées –, son champ matériel est des plus larges, au point que son examen au sein de la Haute Assemblée a dû être saucissonné entre cinq commissions différentes sur les sept commissions permanentes que compte le Sénat. La performance est notable !
Parmi la cinquantaine de mesures proposées, certaines attirent plus spécifiquement notre attention et méritent d’être saluées – nous sommes parfois d’ailleurs en désaccord avec la commission des lois sur ce point : l’article 2 quater permet de régler une insécurité juridique liée aux dispositions relatives au travail à temps partiel ; l’article 4 – j’en regrette la suppression –, l’article 12 – j’en déplore l’amputation – et l’article 13 pouvaient permettre la suppression ou l’allégement de quelques régimes d’autorisation préalable, ainsi que la simplification de certaines obligations déclaratives des entreprises et de certains aspects trop contraignants du droit des sociétés ; l’article 27 simplifie, très partiellement d’ailleurs, le droit de la commande publique.
Je salue aussi particulièrement l’initiative de mon collègue Jean-Jacques Hyest. À la suite de l’adoption de son amendement par la commission des lois, l’article 12 A supprime les dispositions de la loi relative à l’économie sociale et solidaire qui créent une obligation d’information préalable des salariés en cas de cession d’une entreprise. Mais Olivier Cadic y reviendra dans un instant.
Bref, il serait à la fois fastidieux et inutile de commenter chacun des articles du présent projet de loi. Parce que, une fois de plus, il s’agit de simplifier par petites touches impressionnistes, à la marge, de façon homéopathique, pour ne pas dire cosmétique.
Pourrait-on faire autrement ? Même si ce n’est pas évident, je le crois.
Et pour y parvenir, je pense qu’il faut se poser une question élémentaire : pourquoi simplifier ? Autrement dit, quelle est la finalité de la simplification en cause ?
Certains assignent à la simplification l’objectif de permettre des économies financières ou budgétaires. À titre personnel, je ne pense pas que ce soit pour cette raison qu’il faille simplifier.
Bien sûr, de certaines simplifications, procédurales par exemple, peuvent résulter des économies. On ne peut que s’en réjouir ! Mais les économies ne sont que les conséquences positives d’une démarche de simplification, et je ne crois pas que leur perspective doive en être le fait générateur.
En revanche, selon moi, un processus de simplification digne de ce nom doit viser trois objectifs : premièrement, améliorer la compréhensibilité et la lisibilité de la loi ; deuxièmement, réduire les délais de mise en œuvre de la procédure considérée ; troisièmement – ce point n’est pas anodin –, donner plus de liberté aux acteurs, quels qu’ils soient, collectivités, entreprises ou particuliers.
Or pour atteindre pleinement ces objectifs, il doit être possible de passer de l’actuelle simplification, parcellaire et horizontale, à une simplification plus en profondeur. Ne serait-il pas plus productif de procéder à un toilettage global de chaque domaine législatif, un par un, et d’avoir peut-être ainsi le courage de s’attaquer aux sujets qui fâchent ?
On peut m’objecter que l’origine communautaire de la majeure partie du droit positif serait de nature à faire obstacle à une telle démarche. Il me semble toutefois que cet argument n’est pas toujours recevable.
Je citerai un exemple pour illustrer mon propos. La commune dont je suis maire, située en Haute-Vienne, est jumelée avec une commune allemande que j’ai visitée, avec d’autres, voilà quelques années. Le maire de cette dernière nous a alors présenté un skatepark, en précisant que celui-ci avait été construit par ses utilisateurs eux-mêmes, avec l’aide des services municipaux. Nous étions très surpris, car en France cela aurait été impossible, en raison de normes communautaires transposées qu’il faut respecter. En l’occurrence, on m’a expliqué que le skatepark était bien aux normes : après une première vérification et quelques corrections, l’ouvrage avait été certifié par un bureau de contrôle.
C’est toute la différence entre la France et l’Allemagne : dans notre pays, le fait générateur de la conformité aux normes se situe à l’échelon de la fabrication alors que chez notre voisin, au moins dans certains cas, il se situe au niveau de la certification.
On ne peut pas mettre en doute la rigueur de nos amis allemands : autrement dit, il est possible d’assouplir considérablement notre droit tout en restant dans les clous européens.
Toujours pour ce qui concerne la méthodologie, il est bien certain que l’incidence de chaque piste de simplification doit être testée pour chaque situation concrète avant que la mesure ne soit adoptée.
Par exemple, Mme Procaccia proposait d’abandonner la notion de jour ouvrable et de ne retenir que celle de jour calendaire dans le droit du travail. A priori, je trouvais cette idée très intéressante. Toutefois, compte tenu des jours fériés, parfois juxtaposés, cette mesure, qui semble de bon sens, pourrait poser des problèmes d’application dans un certain nombre de situations concrètes. En tout cas, ce genre de disposition mérite toujours une vérification préalable.
Je voudrais maintenant vous mettre en garde, monsieur le secrétaire d’État, sur le projet de simplification du bulletin de paie. Ne l’oubliez pas, ce qui est complexe, c’est non pas le bulletin de paie – certains programmes informatiques l’éditent très bien et de manière répétitive d’un mois sur l’autre –, mais sa préparation, qui relève de dispositions multiples, législatives, réglementaires, mais aussi conventionnelles – je vise ici les conventions collectives. Cette tâche est d’une ampleur certaine et exigera sans doute une vision synthétique.
Simplifier n’est donc pas aisé, mais nous avons la conviction que, en changeant de méthode, le « choc de simplification » pourrait à l’avenir ne plus être un vœu pieux.
La première des simplifications consisterait, me semble-t-il, à obtenir, au plan tant européen que français, un ralentissement significatif de la production de normes et de réglementations nouvelles. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Charles Revet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises est le cinquième texte de la législature à manifester l’ambition de simplifier le droit. Il semble donc qu’il y ait une certaine corrélation, sans aller jusqu’à dire une corrélation certaine, entre la volonté affichée par l’exécutif et la réalité de ses initiatives législatives.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous avons déjà connu cela dans le passé, vous devez vous en souvenir. Il fut un temps où la simplification, parfois sur initiative parlementaire, marchait fort !
Ce projet de loi est une nouvelle occasion pour le Gouvernement de recourir aux ordonnances, après la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction ; la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens ; la loi du 3 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises – décidément, on n’arrête pas ! – et le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, en cours de discussion.
Sans entrer dans le débat sur le bien-fondé du recours aux ordonnances, qui peut être utile et nécessaire, il convient de rappeler que cette procédure exige un contrôle très ferme de la portée des habilitations par le Parlement. Plus c’est flou,…
Mme Françoise Laborde. … moins c’est clair ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. … plus c’est risqué, et l’on peut arriver à des catastrophes.
Or, en l’espèce, les conditions d’un examen minutieux de ces habilitations n’ont pas été réunies, notamment au regard des conditions de travail des rapporteurs.
Si les récentes élections sénatoriales ont leur part de responsabilité dans ces conditions assez acrobatiques, la nature de ce projet de loi, sorte de « voiture-balai » législative, a, elle aussi, complexifié le travail des rapporteurs et de l’ensemble des commissions saisies au fond ou pour avis.
Comme souvent pour ce type de texte, il manque une colonne vertébrale.
Mme Nicole Bricq. L’important, c’est la tête !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez déjà vu des têtes qui se portent sans colonne vertébrale ? (Sourires.) Pour ma part, je n’en connais pas d’exemple !
On pourrait citer les articles 7, 7 bis et 7 ter, qui assurent le « service après-vente » de la loi pour l’accès au logement et l’urbanisme rénové ; l’article 34, qui vise à accroître la protection des consommateurs et qui est l’une des conséquences du caractère incomplet de la loi relative à la consommation ; ou encore les articles 8 à 11 bis A, qui auraient pu figurer dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
On pourrait prendre d’autres exemples d’articles montrant que ce texte non seulement jongle avec les thèmes, mais oscille également entre réformes de poids et mesures sectorielles. Ainsi, l’un de nos collègues a cité le convoyage par motoneige – certes, nous le savons d’expérience, ce genre de mesures se glisse toujours dans ces textes, mais ce n’est pas une raison pour persévérer –, qui voisine avec l’article 28 sur le nouveau régime juridique applicable aux établissements d’enseignement supérieur relevant des chambres de commerce et d’industrie. Quel est le rapport entre les deux ?
Ce projet de loi est en outre trop peu ambitieux, car, comme l’a rappelé Philippe Dominati, sur quatorze articles significatifs examinés par la commission des finances, six seulement concernent directement les entreprises, les huit autres étant d’abord destinés à faciliter la vie de l’administration - j’espère que ce n’est pas pour mieux contrôler le reste de l’activité de notre pays…
J’ai également relevé l’absence de dispositions visant à simplifier le code du travail ou certaines règles sociales, ce qui serait pourtant primordial. On pense ici à la question des seuils sociaux : les partenaires sociaux semblent s’enliser. Il faudra peut-être faire quelque chose un jour.
Toujours pour illustrer le manque d’ambition de ce texte, je citerai l’article 12 sur la réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées. Est-ce vraiment la question ? Ne vaut-il pas mieux modifier l’ensemble du régime des sociétés non cotées ?