M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à transposer dans notre droit national plusieurs textes européens en matière de santé. Ses dispositions sont certes de nature technique, mais elles sont loin de n’avoir qu’une portée restreinte.
L’article 1er instaure ainsi une obligation pour les chiropracteurs et les ostéopathes de souscrire une assurance de responsabilité civile professionnelle, conformément à la directive de 2011 dite « soins transfrontaliers ». Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, la sinistralité constatée dans l’exercice de ces deux professions est relativement faible, et la majorité des praticiens sont déjà couverts par une garantie spécifique. Cependant, à défaut d’obligation légale avec des plafonds de garantie minimale, il restera toujours des praticiens qui ne seront pas correctement assurés, ou même pas assurés du tout. L’article 1er protège à la fois les professionnels et les patients ; il représente donc une réelle avancée, que je tiens à saluer.
Cela étant, cet article soulève deux interrogations. La première porte sur la difficulté pour le patient de prouver la faute. Comment l’évaluer ? Y a-t-il des référentiels de bonnes pratiques ? Quels sont les experts ? La seconde interrogation concerne l’indemnisation des victimes de dommages sans faute. Les chiropracteurs et les ostéopathes n’étant pas reconnus comme des professionnels de santé, l’ONIAM ne pourra pas intervenir.
Madame la ministre, vous avez annoncé une réforme des professions de chiropracteur et d’ostéopathe. Sur ce sujet délicat, nous souhaitons vivement que vous nous précisiez votre projet.
Le métier d’ostéopathe a le vent en poupe : environ 2 500 jeunes obtiennent le titre chaque année. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ont du mal à trouver une clientèle et à vivre de leur métier. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a trop d’écoles et que la formation dispensée est très hétérogène. Il faut des critères d’agrément beaucoup plus exigeants pour garantir la qualité de la formation. Où en êtes-vous sur ce point ? Le décret est-il en voie de publication ?
La vente en ligne de médicaments est également un sujet important. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, un médicament vendu en ligne sur deux est un médicament falsifié. C’est dire la grave menace pour la santé publique que constitue ce mode de distribution. Nous étions certes contraints de l’autoriser en France, et je vous reconnais le mérite, madame la ministre, d’avoir fait le maximum pour l’encadrer, en le réservant aux pharmaciens déjà titulaires d’une officine physique et aux médicaments non soumis à prescription obligatoire. Cependant, tous nos partenaires européens n’ont pas opéré le même choix. Le Royaume-Uni, par exemple, fait preuve d’un très grand libéralisme : le secteur est dominé par des pure players, et tous les types de médicaments, avec ou sans ordonnance, peuvent être achetés en ligne.
Or je ne vois pas comment on pourrait empêcher ces sites anglais de traverser la Manche pour proposer la vente de médicaments aux Français, sans parler d’autres pays qui pourraient être moins regardants sur les agréments de leurs sites.
Enfin, ne nous leurrons pas, les faussaires auront toujours un temps d’avance sur la réglementation. Lors de la dernière opération Pangea VI, 114 sites illégaux ont été identifiés par les autorités françaises et plus de 812 000 médicaments, dont certains interdits en France car jugés dangereux, ont été saisis par les douanes.
En pratique, il paraît difficile de remonter les filières du fait de la courte durée de vie de ces sites internet et de l’hétérogénéité des législations nationales. On peut aussi s’interroger sur la capacité des autorités sanitaires et judiciaires à contrôler les sites de commercialisation en ligne si ceux-ci venaient à se développer fortement.
Votre texte tend à limiter les dérives, madame la ministre, mais il faudra rester extrêmement vigilants pour garantir à nos concitoyens la sécurité et la qualité des médicaments qu’ils achètent.
Cette recommandation vaut aussi pour la chaîne d’approvisionnement légale, car l’expérience a montré que les médicaments falsifiés ne parvenaient pas uniquement aux patients par des moyens illégaux. Dans le contexte d’une fragilisation et d’une mondialisation accrues de la production, la traçabilité des matières premières, lesquelles proviennent à 80 % de pays extérieurs à l’Union, est en particulier un enjeu important. Il faut évidemment responsabiliser les fabricants, mais aussi renforcer drastiquement les inspections et contrôles dans les sites de fabrication à l’étranger. Sur ce point, l’ordonnance de 2012, qui transpose la plupart des mesures de la directive de 2011, nous satisfait.
L’article 6, quant à lui, a pour objet de transposer une directive relative à la pharmacovigilance qui renforce les obligations des laboratoires, notamment en leur demandant de justifier la suspension, le retrait d’un médicament d’un marché européen ou le non-renouvellement de son autorisation de mise sur le marché, ou AMM. Ces mesures s’inscrivent dans le prolongement de la loi de 2011 qui a confié à l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, de nouvelles missions pour mieux surveiller et mieux informer.
S’agissant de la vigilance sanitaire, permettez-moi un petit aparté, que j’ai déjà fait lors d’un débat sur le sujet. La France compte pléthore d’organismes de contrôle, mais ne désigne pas toujours le plus compétent. Madame la ministre, vous deviez envisager dès cette année une réorganisation du système de surveillance sanitaire, qui, selon le rapport Grall, a été « construit par strates successives », « sans cohérence globale », et reste « inadapté à la déclaration des citoyens et des professionnels de santé ». Où en êtes-vous de vos réflexions ?
Cela m’amène à dire un dernier mot sur l’article 3, qui concerne les produits cosmétiques, dont Mme Dini a déjà parlé. La mise en œuvre du règlement européen de 2009 se traduit par un accroissement des exigences en matière d’étiquetage, de sécurité et de traçabilité, ce qui est positif. Je note d’ailleurs que la France est un peu en avance à cet égard, en particulier s’agissant de la mention « sans bisphénol A » ou « sans parabène ».
Vous avez fait le choix de maintenir la compétence de l’ANSM en matière de cosmétovigilance, alors que l’activité et l’enjeu de sécurité sanitaire sont plus marginaux qu’en matière de pharmacovigilance, d’hémovigilance, ou de matériovigilance : moins de 200 signalements d’effets négatifs pour les premiers contre plus de 80 000 signalements pour les seconds. La question du transfert de cette compétence à une autre structure, qui pourrait être l’ANSES, aurait mérité d’être posée.
Enfin, comme beaucoup de mes collègues, je regrette la suppression de l’article 4 relatif à la vente de lentilles de contact sur internet. Retirer cette mesure d’une loi sur la santé pour l’inscrire dans un texte relatif à la consommation est un symbole qui ne manquera pas de favoriser la marchandisation de ce produit.
Malgré les interrogations et le contenu imparfait de ce projet de loi, le groupe du RDSE le votera conforme.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Boog.
Mme Françoise Boog. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte très technique vise à remplir l’obligation constitutionnelle d’application du droit communautaire. Dans mon intervention, je mettrai d’abord en évidence quelques réflexions sur le fond des dispositions diffuses que ce projet de loi va mettre en place, puis conduirai une réflexion d’ensemble sur la portée de ce texte et l’intérêt d’une politique communautaire en matière de santé.
En préambule, je veux souligner que le tableau de la transposition par les États membres des directives européennes sur le marché unique, publié par la Commission européenne en février 2013, montre une augmentation du taux de transposition. La France fait partie des douze États membres qui ont enregistré, ou égalé, leur meilleur résultat depuis 1997. Je tenais à saluer ces résultats encourageants qui permettent à notre pays d’être moins sanctionné financièrement.
Alors que la France avait la réputation d’être parmi les mauvais élèves de l’Europe en matière de transposition des directives, ce gouvernement a repris à son compte l’engagement du précédent de présenter régulièrement, chaque année, des textes thématiques intégralement consacrés à la transposition de directives. Nous considérons qu’il est de bonne politique de continuer dans cette voie.
J’en viens au texte qui nous occupe ce matin.
Comme vient de l’expliquer M. le rapporteur, ce projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé est technique et de portée limitée, même s’il concerne un sujet essentiel, à savoir la santé de nos concitoyens.
Permettez-moi tout d’abord de revenir sur l’article 4 relatif aux conditions de vente en ligne des lentilles de contact. Cet article ayant été supprimé par les députés et inséré dans le projet de loi relatif à la consommation, la commission des affaires sociales du Sénat a été écartée de son examen, ce que nous regrettons amèrement.
Comme l’a rappelé mon collègue René-Paul Savary au ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, sans être entendu, « le secteur médical et sanitaire est un marché économique particulier, dans la mesure où le consommateur ne choisit pas le produit qu’il achète : celui-ci lui est prescrit. » Je regrette vivement ce choix de considérer les dispositifs médicaux que sont les lunettes ou les lentilles de contact comme des produits de consommation comme les autres.
Par ailleurs, plusieurs dispositions concernent les médicaments.
C’est le cas de l’article tendant à ratifier l’ordonnance relative à la lutte contre les médicaments falsifiés et à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet, que nous soutenons pleinement. En effet, madame la ministre, vous avez choisi, en cohérence avec la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, de lier obligatoirement les sites de vente en ligne à une officine. Il était à nos yeux essentiel de rappeler le rôle des pharmaciens dans la sécurisation de notre système de santé.
C’est le cas également du renforcement de la pharmacovigilance et de la surveillance des produits cosmétiques, donc des produits de tatouage qui leur sont assimilés par le droit français.
Ce projet de loi tend par ailleurs à imposer une obligation d’assurance professionnelle aux chiropracteurs et aux ostéopathes, ce que nous saluons. Madame la ministre, vous avez annoncé une réforme de ces professions et je souhaiterais que vous nous en précisiez les contours.
Enfin, ce texte a pour objet d’instaurer des mesures facilitant la reconnaissance, dans d’autres États membres de l’Union européenne, des prescriptions médicales portant sur certains médicaments biologiques. C’est à partir de ces dispositions d’harmonisation du contenu des prescriptions médicales transfrontières que j’aimerais, mes chers collègues, vous amener à réfléchir au sens de notre action de parlementaires d’un pays membre de l’Union.
Comme à chaque fois que nous examinons un projet de loi d’adaptation au droit communautaire, nous constatons qu’il s’agit d’un texte très technique. Si nous, parlementaires, avons parfois des difficultés à appréhender toutes les incidences de tels projets de loi, l’exercice est d’autant plus difficile pour nos concitoyens.
Alors que la construction européenne fait souvent les frais des crispations de notre société, il est de notre devoir de faire œuvre de pédagogie. En cette année d’élections au Parlement européen, ne serait-il pas opportun de voter un texte qui retranscrive l’esprit de création d’une communauté sanitaire européenne, plutôt que d’en voter un qui se limite à faire transparaître une technicité incompréhensible ? Dans cette optique, il serait utile que les parlementaires nationaux soient associés davantage en amont à l’élaboration de ces projets de loi.
La construction européenne s’est faite par la mise en commun de nos marchés et de nos ressources, mais, aujourd’hui, nos concitoyens en attendent plus. Plutôt que de critiquer les initiatives quand elles ne nous conviennent pas, plutôt que de nous approprier l’entier mérite des directives populaires, je fais le vœu qu’au niveau national nous devenions des initiateurs de politiques communautaires. À mon sens, c’est la seule façon pour que la France reprenne sa place dans la construction européenne.
Ce texte aurait pu en être l’occasion. Madame la ministre, pourquoi, sur certains points, ne pas aller plus loin que ce que nous demande la directive ?
Au contraire, alors que ce projet de loi aurait pu être la première pierre d’une Europe de la santé, le Gouvernement a choisi de défaire tout ce qui permettait, autour de nos frontières, de faciliter la vie sanitaire et la couverture sociale des frontaliers. En effet, madame la ministre, vous avez décidé de supprimer, à compter de juin 2014, le droit d’option des travailleurs frontaliers en matière d’assurance maladie.
À la suite du rejet des amendements tendant à proroger ce droit d’option pour trois ans, voire six ans, lors de la discussion du PLFSS tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, 11 000 frontaliers ont une nouvelle fois manifesté leur opposition à cette décision, samedi 1er février en Alsace, avec le très fort sentiment de ne pas avoir été, sinon entendus, du moins écoutés.
Force est de constater qu’il n’y a eu aucun débat de fond sur un problème qui touche quelque 170 000 Français travaillant en Suisse, ainsi que leurs familles. Or il y a urgence, car, comme vous le savez, ce droit d’option arrive à échéance en mai 2014. Malgré l’appel des élus des zones frontalières de Franche-Comté, d’Alsace, de l’Ain, du Jura et de la Haute-Savoie, vous avez décidé de ne pas proroger ce dispositif au nom de l’égalité de tous au regard des droits sociaux.
Mais de quelle égalité parle-t-on, car, s’agissant des conditions de travail, l’égalité n’existe pas ?
Je rappelle que ces travailleurs frontaliers français, qui, pour une bonne partie d’entre eux, seraient au chômage s’ils n’étaient pas allés chercher un travail dans un pays voisin, exercent dans un pays où le droit du travail est bien moins protecteur que le nôtre. En outre, ils supportent des contraintes particulières liées aux horaires de travail, aux déplacements, au logement, aux congés et à la précarité de leur emploi. Or demain, en fait d’égalité, il leur en coûtera environ le double pour être assurés contre le risque maladie.
Une fois de plus, votre politique porte en elle sa propre contradiction. Alors que l’on veut construire l’Europe en allant vers plus d’Europe sociale, plus d’Europe de la santé, plus d’Europe pour tous, vous prenez des décisions à rebours de sa construction, décisions qui touchent prioritairement les régions frontalières, les premières concernées.
Au lieu de faciliter la vie des Français travaillant en Suisse, vous la leur compliquez et vous rendez totalement dénués d’intérêt les nombreux efforts que font ces travailleurs pour se rendre chaque jour dans un pays étranger. Pourtant, ne sont-ils pas les acteurs de la construction de l’Europe des peuples ?
Bien que les Français travaillant en Suisse apportent une contribution à la richesse nationale, leur fiscalité va être revue à la hausse. Par ailleurs, en leur imposant d’abandonner leur assurance privée pour rejoindre le régime de la sécurité sociale française, l’égalité n’existera pas non plus dans l’accès aux soins.
En l’espèce, l’enjeu de santé est majeur et n’est que peu abordé. En effet, au vu de l’amateurisme total manifesté à l’occasion de cette décision, on peut légitiment s’interroger sur la prise en compte des conséquences de cette fin du droit d’option, compte tenu notamment de la situation déjà tendue en matière d’offre de soins dans certaines de nos régions frontalières avec la Suisse, laquelle est déjà très encombrée en ce domaine.
Comment va-t-on gérer cet afflux massif de patients ? Les services de santé de nos départements ne sont actuellement pas en état de recevoir l’ensemble des frontaliers. Je ne peux que déplorer une réelle carence en termes d’étude d’impact concernant les incidences d’une telle décision sur les établissements de santé et l’offre médicale de proximité.
Ensuite, sur la question de la poursuite des soins débutés en Suisse, madame la ministre, vous vous êtes engagée lors des précédents débats à ce que tous les patients ayant commencé un traitement lourd dans ce pays puissent le poursuivre sans aucun problème ; cependant, la situation n’est pas clairement établie, et ces personnes n’ont aucune certitude ni aucune garantie quant à leur avenir.
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que les conséquences de cette mesure seront cruelles pour nos territoires, leur dynamisme économique et leur marché immobilier, nous estimons que les conditions d’une extinction du droit d’option ne sont pas réunies. Je vous demande donc une nouvelle fois, au nom de tous les élus frontaliers, d’accepter de prolonger ce dispositif afin d’essayer de trouver une solution équitable et réfléchie pour nos concitoyens travailleurs frontaliers. Je vous demande également de faire réaliser une étude d’impact sur cette question, en y associant les élus de ces territoires et les représentants des salariés frontaliers.
S’agissant du texte que nous examinons ce matin, des interrogations subsistent encore. Par conséquent, le groupe UMP s’abstiendra sur ce projet de loi à portée limitée. (Mme Catherine Deroche applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher.
M. Hervé Poher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que dire quand tout a déjà été dit ? (Sourires.) Je m’en tiendrai à l’essentiel…
Il est toujours rassurant de voir arriver en discussion au Parlement un texte de transposition de directives : la menace d’un recours en manquement contre l’État français s’éloigne, ainsi que le risque de se voir infliger des amendes et des astreintes journalières. Personne, État ou particulier, n’est heureux de payer, encore moins lorsqu’il s’agit d’amendes.
Si la France a pu être parfois mauvaise élève dans ce domaine, nous ne pouvons que saluer les efforts consentis ces dernières années en matière d’adaptation de notre droit. Il faut toujours féliciter celui qui reconnaît ses oublis, même s’il peut passer pour un mauvais élève… Je connais d’ailleurs certains mauvais élèves qui ont tout de même réussi dans la vie ! (Sourires.)
Mme Catherine Deroche. Des noms !
M. Hervé Poher. Mais revenons au texte qui nous occupe aujourd’hui : il est très technique et n’incite pas à la philosophie législative, mais il permet d’aborder quelques questions relatives à notre société et à son évolution.
Ce texte peut paraître, au premier abord, traiter de sujets quelque peu disparates : assurance professionnelle des ostéopathes et des chiropracteurs, encre et sécurité des tatouages, vente de médicaments sur internet, cosmétiques, pharmacovigilance… Tout cela s’inscrivant dans une démarche d’adaptation à une volonté européenne. Certains esprits critiques pourraient parler de melting pot « ostéo-pharmaco-tatouo-cosmétique ». Ne cherchez pas dans le dictionnaire, ce néologisme n’y figure pas !
S’il faut trouver une cohérence d’ensemble à ce texte, si l’on veut se forcer à en extraire le plus petit dénominateur commun, l’exercice est facile : il s’agit simplement d’apporter quelques touches supplémentaires et complémentaires afin de renforcer la sécurité sanitaire de nos concitoyens, qu’ils soient patients d’ostéopathes ou de chiropracteurs, utilisateurs de produits cosmétiques – c’est volontairement que je n’emploie pas le mot « consommateurs » – ou acheteurs de médicaments en ligne. En résumé, ce projet de loi vise avant tout à protéger la santé de tous. En cela, ce melting pot représente tout de même une belle avancée !
Cependant, adoptant une vision d’ensemble, je nuancerai mon enthousiasme en évoquant, à la suite de mes collègues, un point très précis.
Je voudrais redire ici mon regret personnel et mon inquiétude professionnelle de voir la question de la vente des lentilles de contact sur internet traitée dans un projet de loi sur la consommation – aussi bon soit-il, et même si un traitement en urgence était, semble-t-il, nécessaire – et donc soustraite, de fait, à notre débat d’aujourd’hui, l’article 4 du présent projet de loi ayant été supprimé.
Que ce sujet ne soit pas traité dans un texte relatif à la santé publique est intellectuellement et symboliquement dérangeant, pour rester modéré dans l’expression. Les lentilles de contact ne sont, en aucune façon, des produits comparables à des CD, des séjours de vacances ou des tee-shirts ; ce sont des produits médicaux qui, mal utilisés, peuvent être dangereux. Nous regrettons sincèrement de ne pas avoir eu à débattre de ce problème au sein de la commission des affaires sociales, à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur la santé, ce qui aurait permis de dissiper notre trouble.
Alors, laissez-moi émettre le souhait, madame la ministre, que cette façon de faire ne se généralise pas pour tous les équipements médicaux ou paramédicaux et les appareillages de tous ordres, qui doivent toujours relever d’une démarche de santé publique, et non pas d’une adaptation des pratiques de consommation. Même dans un monde où le commerce fait la loi, même dans un monde en pleine révolution des communications, même dans un monde où les pratiques vont plus vite que les règles, tout n’est pas que transaction, négoce et commerce.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Hervé Poher. Pour revenir à notre sujet, je voudrais mettre l’accent, dans la lignée des propos de notre collègue rapporteur Jacky Le Menn, sur deux avancées importantes du présent projet de loi, concernant la cosmétovigilance et la vente de médicaments sur internet.
Tout d’abord, parlons des cosmétiques. Dans un contexte économique difficile, nous ne pouvons que nous féliciter du signal extrêmement positif adressé par ce projet de loi aux entreprises françaises fabriquant des produits cosmétiques, qui sont les leaders mondiaux du secteur.
De fait, l’harmonisation au niveau européen de la réglementation en matière de produits cosmétiques va engendrer une réduction des coûts qui profitera à tous les fabricants, grands et petits, ainsi que, on peut l’espérer – voire en rêver, mais le rêve a ses limites –, aux utilisateurs, qui sont des consommateurs. Par exemple, la simplification de la procédure de notification pour les nouveaux produits cosmétiques devrait conduire à diviser par deux les frais administratifs du secteur.
En outre, en imposant de nouvelles exigences d’information, de sécurité et de traçabilité des produits, le projet de loi renforce la protection de la personne. Il faut bien l’avouer, dans un souci de transparence, d’affichage et d’image, l’industrie du cosmétique était demandeuse d’une telle démarche.
Qu’il nous soit cependant permis d’émettre, là aussi, des réserves, portant sur la pertinence du choix de l’autorité compétente en matière de cosmétovigilance. Je sais que cette remarque a déjà été souvent formulée.
La directive faisant l’objet de la transposition prévoit que l’État membre désigne, en toute liberté, une autorité nationale chargée de la cosmétovigilance. Depuis 2004, cette dernière relève de la compétence de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, qui est déjà chargée d’assurer la pharmacovigilance. Or la cosmétovigilance et la vigilance sur les produits de tatouage apparaissent, de fait, comme des activités marginales de l’ANSM.
M. Gilbert Barbier. Tout à fait !
M. Hervé Poher. Cela a été rappelé, on dénombre chaque année moins de 200 signalements pour les cosmétiques, contre 80 000 déclarations d’effets indésirables liés aux médicaments ; en outre, les désagréments constatés sont généralement de nature différente. Vous pourriez me répondre que « qui peut le plus, peut le moins », mais ce n’est pas un argument d’excellence.
Dans son rapport de mission sur la réorganisation de la vigilance sanitaire remis en juillet 2013, le docteur Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, ne dit pas autre chose : il établit une différence entre les vigilances majeures et les vigilances à enjeux marginaux.
L’ANSM est-elle l’instance la mieux placée pour traiter efficacement des questions de sécurité sanitaire liées à l’usage des produits cosmétiques et de tatouage ? En vous posant la question, madame la ministre, nous osons suggérer une réponse.
Nous savons bien que se pose un problème de police sanitaire, mais une autre solution devrait être possible, d’autant que les responsables de l’ANSM nous ont clairement expliqué qu’ils ne se sentaient pas à l’aise dans ce domaine et que « ce n’est pas leur métier ». La question du transfert de cette compétence à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, mérite d’être évoquée, ce que je fais aujourd’hui.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Hervé Poher. En ce qui concerne la vente de médicaments sur internet, l’article 5 apporte des garanties qui peuvent paraître solides et rassurantes pour essayer de répondre simplement à deux problèmes : le trafic de faux médicaments et la consommation inconsidérée et irraisonnée de médicaments.
Nous le savons tous, le trafic de médicaments falsifiés est une activité qui semble extrêmement lucrative. Il permet de faire vivre certains réseaux, dont on dira pudiquement que les objectifs sanitaires sont douteux, mais les objectifs financiers certains.
Pour le moment, notre pays est relativement épargné, grâce à une politique du médicament efficace qui met en place des contrôles de chaque étape de la chaîne d’approvisionnement légale. Il n’en demeure pas moins qu’internet est un important vecteur de commercialisation de médicaments falsifiés et que la légalisation de la commercialisation en ligne des médicaments en accès libre, puis de tous les médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire, nécessitait la prise de décisions bien cadrées : c’est, à notre avis, ce qui a été fait.
Ainsi, nous saluons le choix du Gouvernement de n’ouvrir l’exercice de la vente en ligne de médicaments qu’aux seuls pharmaciens déjà titulaires d’une officine. Il était indispensable de réaffirmer un principe : la délivrance de médicaments nécessite, pour les patients, l’exercice d’une mission de conseil, à l’officine comme pour la vente en ligne. Le médicament n’est pas un biscuit à apéritif !
De plus, conserver un monopole officinal était, il faut le reconnaître, un choix courageux du Gouvernement, cette option étant loin de faire l’unanimité en Europe. Certains États membres de l’Union européenne, comme l’Allemagne, autorisent la vente en ligne de l’ensemble des médicaments, qu’ils soient ou non soumis à prescription médicale, et par on ne sait qui !
Enfin, si la vente en ligne représente aujourd’hui une part tout à fait négligeable du chiffre d’affaires du secteur, on peut néanmoins s’interroger sur la capacité des autorités sanitaires, policières et judiciaires à contrôler des sites de commercialisation en ligne si ceux-ci venaient à se développer fortement. Nous verrons bien ! On peut penser que la tâche sera plus aisée grâce à l’adossement à une pharmacie physique, mais ne nous faisons pas d’illusions : dans le monde du web, les vrais margoulins et les vrais faussaires sont presque aussi nombreux que les faux génériques !
Je souhaite évoquer un dernier point, madame la ministre. Les discussions au sein de la commission des affaires sociales ont bien évidemment mis en évidence l’interrogation permanente concernant la place occupée par les ostéopathes et les chiropracteurs dans notre fonctionnement collectif. Il faudra bien trouver un jour une ou des solutions à ce problème récurrent : disant cela, je ne préjuge absolument pas de la nature de ces solutions, mais nous croyons savoir que vos services s’intéressent de très près à cette question ; nous nous en félicitons.
Mes chers collègues, je vous invite à voter ce projet de loi dont l’examen nous permet, accessoirement, de soulever certaines questions essentielles sur le fonctionnement de notre société, mais qui présente surtout des avancées en matière de protection de la sécurité sanitaire de nos concitoyens. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)