Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
M. François Fortassin, Mme Odette Herviaux.
2. Adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé. – Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Jacky Le Menn, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Mmes Muguette Dini, Isabelle Pasquet, M. Gilbert Barbier, Mme Françoise Boog, M. Hervé Poher.
Mme Marisol Touraine, ministre.
Clôture de la discussion générale.
Amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Mme Muguette Dini, M. le rapporteur, Mme Marisol Touraine, ministre. – Retrait des deux amendements.
Adoption de l'article.
Article 4 (suppression maintenue)
Adoption définitive de l’ensemble du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
3. Questions cribles thématiques
pratiques et réalités agricoles et code de la propriété intellectuelle
MM. Alain Fouché, Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
MM. Aymeri de Montesquiou, Stéphane Le Foll, ministre.
Mme Renée Nicoux, M. Stéphane Le Foll, ministre.
MM. Michel Le Scouarnec, Stéphane Le Foll, ministre ; Mme Annie David.
MM. Joël Labbé, Stéphane Le Foll, ministre.
MM. Raymond Vall, Stéphane Le Foll, ministre.
MM. Rémy Pointereau, Stéphane Le Foll, ministre.
MM. Richard Yung, Stéphane Le Foll, ministre.
Mme Sophie Primas, M. Stéphane Le Foll, ministre.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
4. Dépôt d’un rapport du Gouvernement
5. Assistance médicalisée pour une fin de vie digne. – Renvoi à la commission d’une proposition de loi
Discussion générale : Mme Corinne Bouchoux, auteur de la proposition de loi ; M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Laurence Cohen, MM. Jean-Pierre Godefroy, François Fortassin.
MM. Jean-Vincent Placé, François Fortassin, le président.
M. Gérard Dériot, Mmes Muguette Dini, Marie-Christine Blandin, M. Roland Courteau.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion n° 1 de la commission. – M. Jean-Pierre Godefroy, vice-président de la commission des affaires sociales ; Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur. – Adoption de la motion de renvoi en commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mmes Hélène Lipietz, auteur de la proposition de loi ; Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois ; Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
MM. Yvon Collin, Jean-Pierre Michel, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Éliane Assassi, Aline Archimbaud.
Clôture de la discussion générale.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.
Articles 1er et 1er bis. – Adoption
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
7. Décisions du Conseil constitutionnel
8. Communication du Conseil constitutionnel
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé
Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé (projet n° 295, texte de la commission n° 325, rapport n° 324).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons le devoir, et l’importante responsabilité, de transposer le droit communautaire en droit interne. Il s’agit là d’une obligation constitutionnelle.
Pour autant, « transposition » ne signifie pas « duplication » ou simple « application » des termes mêmes de la directive. Si nous devons évidemment rester fidèles aux directives prises par l’Union européenne, nous disposons de marges de manœuvre quant aux manières d’atteindre les objectifs fixés par le législateur communautaire. En examinant le présent projet de loi, nous prenons des décisions majeures en matière de santé et nous faisons des choix importants pour renforcer, notamment, la sécurité de nos concitoyens.
Les deux premiers articles du texte traitent d’un enjeu important : ils instaurent l’obligation d’assurance dans le champ des activités de chiropraxie et d’ostéopathie. C’est un enjeu essentiel, car le nombre de ces praticiens a fortement augmenté ces dernières années. Grâce à ce projet de loi, les patients pourront bénéficier des mêmes garanties que lorsqu’ils consultent un professionnel de santé.
L’article 3 vise pour sa part à adapter les dispositions du code de la santé publique au règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. C’est une question essentielle pour notre pays, qui est aujourd’hui leader mondial sur le marché de la beauté.
Ce projet de loi vient ainsi compléter et clarifier le droit interne sur différents points, tels que la terminologie applicable, la notion de personne responsable, l’autorité compétente en charge de la surveillance du marché, à savoir l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ou ANSM, et ses obligations, la notification avant mise sur le marché.
L’objet de cet article est de renforcer la protection de nos concitoyens en permettant que, désormais, l’évaluation de la sécurité des produits cosmétiques se fasse en conformité avec les bonnes pratiques des laboratoires, en garantissant, aussi, qu’elle soit conduite par des professionnels qualifiés et en s’assurant, enfin, que les réactions nocives et les effets indésirables pour la santé, imputables à l’utilisation normale ou raisonnable de ces produits, soient déclarés sans délai. Dorénavant, tout utilisateur professionnel, distributeur ou consommateur, aura l’obligation d’avertir de tout effet indésirable l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Ce même article concerne aussi les produits de tatouage, dont la législation est définie par référence à celle des produits cosmétiques. Il précise ainsi les modalités de la mise sur le marché des produits, prévoit la transmission de leur composition aux centres antipoison et fixe les obligations des importateurs et des fabricants à l’égard de l’ANSM. Par ailleurs, l’obligation d’information au public et les sanctions administratives qui découleraient d’une non-déclaration seront renforcées.
L’article 4 devait permettre d’encadrer la vente à distance des lentilles de contact correctrices.
Néanmoins, des dispositions traitant de ce sujet et ayant une portée plus large encore ont été introduites par amendement à l’article 17 quater du projet de loi relatif à la consommation, porté par Benoît Hamon, ministre chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Or, les dispositions de ce projet de loi seront promulguées avant le texte que nous examinons aujourd’hui. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a supprimé l’article 4, ce qui paraît cohérent.
L’article 5 permet de ratifier l’ordonnance du 19 décembre 2012 relative au « renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente des médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments ». Cette ordonnance transpose la directive européenne relative à la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.
Comme vous le savez, nous avons encadré la vente sur internet en allant aussi loin que le permet la législation européenne. Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres : pour assurer la sécurité des patients, nous devons donc garantir, s’agissant de la vente des médicaments, le même niveau de sécurité, de qualité et de conseil tant sur internet qu’au comptoir de nos officines. Pour ce faire, j’ai mis en place des garde-fous : en premier lieu, j’ai décidé que les sites de vente en ligne seront adossés à une pharmacie ; en second lieu, il appartient à l’agence régionale de santé d’autoriser au préalable toute création de site internet ; enfin, la vente en ligne des médicaments à prescription médicale obligatoire a été exclue.
L’article 5 ajuste les dispositions du code de la santé publique prises jusqu’ici dans ce domaine. L’ordonnance comporte aussi un deuxième volet important, qui précise les sanctions en cas de fabrication, de courtage, de publicité ou de vente de médicaments falsifiés.
L’article 6 entend transposer la directive du 25 octobre 2012 relative à la pharmacovigilance, qui définit les nouvelles obligations des titulaires d’autorisation de mise sur le marché.
Premièrement, les laboratoires devront motiver leurs décisions de suspension ou d’arrêt de commercialisation de médicaments auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM.
Deuxièmement, les laboratoires auront l’obligation d’informer l’ANSM immédiatement et de façon motivée chaque fois qu’ils engageront une action dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers. Ils devront notamment le faire dans le cas où la commercialisation d’un médicament est suspendue ou arrêtée, ou bien dans une situation où une autorisation de mise sur le marché est retirée ou non renouvelée, compte tenu d’un rapport défavorable entre bénéfice et risque.
Ces décisions s’inscrivent dans une action plus large que j’ai engagée pour renforcer la sécurité de nos concitoyens. J’ai retenu une chose des crises récentes de santé publique : il est impératif de réformer notre dispositif de veille et de sécurité sanitaires.
Il faut transformer notre système, afin qu’il devienne plus fiable, plus sûr et de meilleure qualité. Ce travail s’inscrit pleinement dans la stratégie nationale de santé. Pour avoir participé à plusieurs débats départementaux et régionaux parmi ceux qui sont organisés partout en France, je sais que ce travail intéresse directement les Français. La réforme des vigilances sera ainsi un axe central de la loi de santé que je présenterai prochainement en conseil des ministres et à l’ensemble des acteurs concernés.
L’article 7, enfin, concerne la mise en conformité des dispositions relatives aux mentions devant figurer obligatoirement sur la prescription de certains médicaments dits biologiques.
Il faut que les prescriptions médicales établies dans un autre État membre soient mieux reconnues. Lorsqu’une personne se déplace ou voyage à travers l’Union européenne, elle aura ainsi la garantie qu’elle pourra se faire prescrire ses médicaments dans les autres pays de l’Union.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tous les articles de ce texte visent à transposer en droit interne les articles communautaires relatifs à la santé. Le travail que nous avons conduit a pour ambition de garantir et de renforcer encore la protection de nos concitoyens dans le champ sanitaire.
J’en appelle ainsi à la responsabilité et à l’engagement qui sont les vôtres, afin que chacun d’entre vous vote ce projet de loi dans des termes conformes à ceux qui ont été adoptés par l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacky Le Menn, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la commission des affaires sociales, après une large discussion, a adopté sans modification le texte du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé.
La nécessité de mettre notre droit national en conformité avec les normes européennes est une première raison de ce vote. En outre, les dispositions contenues dans le projet de loi tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale viennent consacrer ou compléter des mesures favorisant la sécurité des personnes – j’insiste sur ce point – et renforcer la pharmacovigilance, la « cosmétovigilance » et la « tatouvigilance ».
Madame la ministre, la commission a cependant regretté que l’article 4 du projet de loi initial, relatif à la vente de lentilles de contact sur internet, ait été intégré au projet de loi relatif à la consommation. Il existe incontestablement un enjeu relatif au prix de ces produits. Cependant, cette question aurait d’abord dû, nous a-t-il semblé, être envisagée sous l’angle de la santé publique ; et ce sentiment a d’ailleurs été partagé par les sénateurs de toutes les sensibilités.
Dans le cadre du droit européen, un certain nombre d’évolutions pouvant paraître en rupture avec les pratiques françaises, comme la vente en ligne de produits de santé, constituent une adaptation nécessaire non seulement aux enjeux commerciaux mais aussi aux impératifs de sécurité. Si la France entend garantir effectivement la sécurité des citoyens, elle doit, dans une économie mondialisée, permettre l’apparition d’une offre de produits de santé sur internet qui présente toutes les garanties en termes de qualité, de contrôle et d’approvisionnement.
De ce point de vue, le droit européen n’impose pas la fin des mécanismes de contrôle et de protection conçus par la France. Les directives européennes laissent systématiquement aux États membres le choix des moyens de transposition et n’interviennent pas sur l’organisation du système de soins, laquelle relève de la seule compétence des États membres. Ainsi la France a choisi, conformément à notre législation nationale, de limiter aux seuls pharmaciens d’officine la possibilité de vendre en ligne des médicaments non soumis à prescription. De même, elle a adopté l’interprétation la plus large de l’obligation imposée aux laboratoires pharmaceutiques par la directive 2012/26/UE de justifier le retrait d’un médicament d’un des marchés européens.
Le droit européen permet aussi la diffusion sans entrave à la concurrence des produits français dans des secteurs particulièrement importants de notre économie ; tel est le cas de la cosmétique, qui, je vous le rappelle, est le troisième poste excédentaire de notre balance commerciale. Les entreprises françaises du secteur, dont les deux tiers de la production sont liés à l’exportation, sont très attachées à l’uniformité des règles européennes qu’a apportée le règlement 1223/2009. Il convient de souligner que ce règlement a également renforcé les exigences en matière de justification de l’innocuité des produits cosmétiques.
Ainsi, dans le domaine de la santé comme dans celui du commerce, les objectifs du droit européen coïncident avec ceux du droit national. L’ensemble des professionnels concernés par ce texte ont d’ailleurs manifesté leur satisfaction quant à son contenu lors de leur audition par votre rapporteur.
À l’occasion de l’examen de ce projet de loi, plusieurs questions ont néanmoins été abordées sur lesquelles je souhaite attirer votre attention, madame la ministre.
La première de ces questions concerne les ostéopathes et les chiropracteurs. Les dispositions des articles 1er et 2 du présent projet de loi procèdent à une clarification bienvenue de leur régime de responsabilité civile professionnelle, mais ne couvrent que les cas de responsabilité pour faute. Or, dans la mesure où les ostéopathes et les chiropracteurs ne sont pas reconnus comme professionnels de santé par le droit français, un dommage non fautif survenu dans le cadre de leur activité professionnelle ne peut être couvert par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, qui est financé par la sécurité sociale.
En l’absence de faute, il existe donc un risque important qu’un patient victime d’un dommage ne soit pas indemnisé à hauteur de son préjudice ; cette situation pose à mon avis un problème important d’équité. À ce risque s’ajoute celui d’une certaine confusion lorsque le professionnel concerné exerce par ailleurs une profession de santé reconnue par le code de la santé publique, par exemple celle de médecin généraliste ou de kinésithérapeute. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles est réalisée l’expertise des accidents survenus à l’occasion de l’intervention d’un ostéopathe et d’un chiropracteur ne sont pas sans poser de question, dans la mesure où cette expertise ne peut être réalisée par des représentants de la profession concernée ; en outre, il n’existe pas à ce jour de référentiel de bonnes pratiques spécifique, bien que des travaux soient en cours sur ce point. Pour ces raisons, il me semble indispensable de clarifier le statut de ces deux professions. Sans doute la grande loi de santé publique que nous attendons tous serait-elle le véhicule le plus adapté pour ce faire et pour apporter des clarifications sur ces sujets.
Il me semble que les questions relatives à la répartition des rôles entre les différentes agences sanitaires devront également être abordées. La cosmétovigilance et le contrôle sur les produits de tatouage, qui sont abordés par l’article 3 du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, mobilisent des ressources rares au sein de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, d’après les informations dont nous disposons. Ces fonctions ne trouveraient-elles pas mieux leur place dans le périmètre d’une autre agence ?
J’ai par ailleurs été alerté du risque que constitue l’offre illicite de tatouage sur internet et l’enjeu qu’elle représente en termes de santé publique. Une action résolue pour faire respecter les normes encadrant la profession de tatoueur doit à mon avis être mise en œuvre. Le statut des tatoueurs est également un sujet important pour l’avenir de cette profession.
Enfin, s’agissant de l’article 7 relatif au respect des prescriptions transfrontalières, l’Assemblée nationale a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement prévoyant la création d’un label éthique permettant d’identifier les produits sanguins collectés à partir de dons anonymes et gratuits. Même si je partage le souci de valoriser le don de sang, je m’interroge sur la portée de cette mesure. Pourriez-vous nous faire part, madame la ministre, de votre analyse de cette disposition qui doit être mise en œuvre par voie réglementaire ?
Ainsi que je l’ai dit, ce projet de loi est nécessaire pour répondre à nos obligations européennes et il est utile pour la protection des personnes.
La commission des affaires sociales vous demande donc, mes chers collègues, de l’adopter sans modification.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous revient ce matin d’étudier un projet de loi visant à traduire dans notre droit national les objectifs fixés par cinq textes européens, à savoir quatre directives et un règlement.
Notre groupe ne s’opposera pas à ce texte de loi qui relève d’obligations européennes auxquelles nous ne pouvons de toute façon nous soustraire.
Mais comment ne pas souligner que la France reste une mauvaise élève en matière de transpositions de directives européennes ? Notre pays est en effet très en retard pour adopter ce projet de loi.
Ce ne serait pas grave si c’était exceptionnel ; mais comme vous le savez, madame la ministre, c’est un comportement récurrent de la France, et cela coûte très cher puisque notre pays doit verser des pénalités à l’Europe. Sans doute pourrions-nous éviter ces dérives en nous sentant plus concernés par ce qui se passe à Bruxelles.
En 2009, j’étais intervenue en séance publique dans le cadre d’un débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat pour dénoncer le fait que les résolutions européennes adoptées par le Sénat n’étaient pas défendues par le Gouvernement, et surtout par les fonctionnaires qui le représentent à Bruxelles. Il arrive même que des fonctionnaires, quand ils sont présents, défendent des consignes opposées à celles qui sont données par le Gouvernement.
De même, en matière de transpositions de directives, il est impératif que nous engagions une réflexion sur les modalités de notre intervention parlementaire, afin d’éviter de légiférer dans l’urgence sur des textes très techniques et parfois disparates.
Cela étant dit, je voudrais souligner plusieurs points de ce projet de loi qui me semblent importants, avec pour fil conducteur la sécurité sanitaire de nos concitoyens.
Le présent texte comporte des mesures d’adaptation visant à parachever la libre circulation des patients en Europe prévue par la directive du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.
À la suite de différents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, nous disposons enfin d’un cadre légal clair régissant les soins de santé transfrontaliers et la mobilité des patients. Dans ce domaine, la coordination entre les États membres s’est améliorée, tout comme l’information des patients ainsi que la qualité et la sécurité des soins, sans pour autant qu’ait été remise en cause la liberté des États membres d’organiser leurs systèmes de santé respectifs.
Je tiens aussi à saluer l’obligation pour les ostéopathes et chiropracteurs d’avoir recours à une assurance professionnelle, sur le modèle de celle qui régit les professionnels de santé. Cela va sans aucun doute renforcer la sécurité des patients et leur permettre de bénéficier du même niveau de garantie que pour les soins dispensés par des professionnels de santé.
Madame la ministre, vous avez annoncé une réforme de la profession d’ostéopathe. Actuellement, les jeunes qui choisissent cette profession sont en grande difficulté : trop nombreux à être formés, ils ont beaucoup de mal à trouver une clientèle et à vivre de leur métier lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail. Plusieurs partent d’ailleurs à l’étranger, un peu à l’aventure. Il est indispensable de trouver des solutions en amont. Ne faudrait-il pas travailler sur la question du nombre d’écoles et sur la qualité de la formation ?
M. Gilbert Barbier. Très juste !
Mme Muguette Dini. Nous soutenons votre démarche et souhaitons que vous nous précisiez votre projet.
L’autre profession sur laquelle je souhaiterais recueillir votre position est celle d’étiopathe. Les étiopathes souhaitent faire reconnaître l’usage professionnel du titre d’étiopathe, à l’instar de celui d’ostéopathe. Ils mettent notamment en avant leur formation professionnelle, calquée sur le cursus universitaire LMD, et les six années d’études obligatoires pour obtenir le diplôme d’étiopathe. Cette formation est dispensée dans quatre facultés, dont l’une est située dans le Rhône. Madame la ministre, avez-vous engagé une réflexion afin de doter les étiopathes d’un véritable statut ?
Concernant le bon usage des médicaments, votre adaptation de la législation européenne pour un encadrement maximal de la vente des médicaments sur internet me semble être une bonne chose. Les deux garde-fous que sont l’adossement des sites de vente en ligne à une pharmacie physique et la limitation aux médicaments autorisés à la vente en accès libre en officine concourent à la sécurité des patients.
Toujours sur le sujet de la vente en ligne, ce projet de loi comportait dans sa version initiale un article 4, qui prévoyait expressément la vente à distance des lentilles de contact correctrices, mais également l’encadrement de cette vente à distance. Toutefois, cet article 4 a été supprimé dans la mesure où ses dispositions ont été examinées parallèlement dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation.
Comme vous tous, mes chers collègues, je regrette que nous ayons abordé ce sujet sous l’angle de la consommation. Nous aurions dû le faire dans le cadre du présent projet de loi, qui a une dimension sanitaire. En effet, si les lentilles de contact représentent une alternative efficace au port de lunettes – elles sont même plébiscitées par un grand nombre d’usagers, pour des raisons d’esthétisme ou de pratique sportive –, elles requièrent néanmoins une plus grande attention du fait de leur contact direct avec la cornée. C'est pourquoi il est impossible de les considérer comme des produits de grande consommation. Dans le cadre du présent projet de loi, nous aurions pu étudier sereinement une réelle délégation de compétence des ophtalmologistes vers les opticiens en matière d’adaptation des lentilles de contact. Cela n’a pas été possible.
Je terminerai mon propos en évoquant l’adaptation de notre code de la santé publique au règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. Ma collègue Chantal Jouanno a déposé deux amendements, que j’ai cosignés, visant à interdire l’utilisation de perturbateurs endocriniens et de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, dites CMR, dans la composition des produits cosmétiques. Il convient de rappeler que, dans le cadre de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, à laquelle Chantal Jouanno a participé et qui semble avoir été « enterrée » par le Gouvernement, la question de la composition des produits cosmétiques avait été posée.
Dans son article 15, le règlement européen du 30 novembre 2009 interdit les substances CMR de catégorie 1 et 2. Notre premier amendement vise à transposer de façon explicite cette interdiction dans le droit français et à l’étendre aux perturbateurs endocriniens. Notre second amendement est un amendement de repli, qui prévoit l’interdiction des perturbateurs endocriniens et substances CMR dans les produits cosmétiques à destination des femmes enceintes et des enfants de moins de trois ans, qui, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, sont les publics à protéger en priorité de ces substances.
Madame la ministre, après vous avoir présenté nos observations, questions et propositions, auxquelles je vous remercie par avance de bien vouloir répondre, je vous confirme que nous voterons ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a pour objet de transposer dans notre droit quatre directives et un règlement européens relatifs à la santé. Il s’agit donc d’un texte très technique. Si la transposition des directives européennes est une obligation constitutionnelle, c’est également l’occasion pour nous, parlementaires, d’apporter un certain nombre d’améliorations à notre législation.
Les articles 1er et 2 du projet de loi concernent les ostéopathes et chiropracteurs exerçant à titre libéral. Ceux-ci ne sont pas reconnus comme des professionnels de santé par le code de la santé publique, ce qui me semble dommageable tant pour eux que pour leurs patients.
Il est évident que l’obligation de souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle est une mesure de protection pour les patients. Je regrette toutefois que la reconnaissance du statut s’opère à travers une obligation d’assurance, qui, d’ailleurs, ne sera que partielle, puisqu’elle comportera un plafond. Cela m’amène à poser une question : qu’adviendra-t-il si le montant de la réparation excède le plafond ? Pour les professionnels de santé, c’est l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, qui, dans pareil cas, intervient en complément. En sera-t-il de même pour les ostéopathes et les chiropracteurs ?
L’article 3, qui porte sur les cosmétiques et les produits de tatouage, se limite à transposer dans notre code de la santé publique le règlement européen du 30 novembre 2009, qui, de toute façon, est d’application directe. Il ne pose pas de difficulté particulière dès lors que les règles de cosmétovigilance sont respectées et que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, reste compétente.
Toutefois, si les producteurs et les exploitants de produits cosmétiques sont soumis à des obligations rigoureuses de déclaration de la composition des produits qu’ils vendent, aucune mesure nationale ou européenne n’exige des fabricants qu’ils réalisent des essais sur les effets indésirables des nanomètres rivaux qui composent ces produits. En outre, qu’en est-il des exceptions à l’interdiction d’utiliser des substances classées CMR, rendues possibles par le règlement européen ? Je pense que les amendements déposés nous permettront d’obtenir un certain nombre de réponses.
Je n’ai pas grand-chose à dire sur les dispositions de l’article 4, dans la mesure où ses dispositions ont été supprimées. Je regrette cependant que ces dernières aient été intégrées au projet de loi relatif à la consommation. On semble ainsi assimiler des dispositifs médicaux à des produits de consommation courante.
L’article 5 précise le champ d’application de la vente en ligne de médicaments, qui a été autorisée par l’ordonnance du 19 décembre 2012 pour les seuls médicaments accessibles sans prescription médicale. Ce mouvement de libéralisation de la vente des produits de santé n’est pas à rejeter en bloc. Dans certains cas, cette libéralisation ne pose aucune difficulté majeure ; pour les lunettes, la vente en ligne s’est même paradoxalement accompagnée d’une amélioration de la protection sanitaire. Cependant, tous les médicaments vendus sans ordonnance ne sont pas nécessairement inoffensifs, comme une récente étude du magazine 60 millions de consommateurs en a apporté la preuve. Or les dommages survenus à l’occasion de la prise de médicaments vendus sans ordonnance ne donnent lieu à aucune indemnisation.
En outre, la vente en ligne pourra être effectuée à partir de pharmacies en ligne installées dans d’autres pays, où les règles d’installation peuvent être différentes et les officines majoritairement détenues par des sociétés financières. Cela participe d’une financiarisation et d’une commercialisation du secteur de la santé, auxquelles nous ne pouvons bien évidemment pas souscrire, d’autant que, si le projet de loi précise que la vente doit être accompagnée d’une information en matière de santé, on voit mal comment une telle information rédigée dans une langue étrangère pourrait être utile et pertinente. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas l’article 5.
L’article 6 va dans le sens d’une plus grande sécurité sanitaire, mais il demeure en deçà de la proposition que nous formulons depuis des années, à savoir que l’ANSM cesse d’autoriser la mise sur le marché de médicaments n’ayant pas fait la démonstration qu’ils sont plus efficaces que les médicaments déjà commercialisés. Nous avons toujours défendu l’idée qu’il appartenait aux pouvoirs publics d’être vigilants en la matière. Or l’article 6 renvoie d’une certaine manière cette responsabilité aux producteurs.
Enfin, l’article 7 achève l’harmonisation de la rédaction des prescriptions de médicaments biologiques établies en France mais destinées à être utilisées par le patient dans un autre État membre, afin de garantir l’identification et la délivrance des produits. Comme l’a souligné le rapporteur en commission, la prescription d’un médicament biologique destinée à être utilisée dans un autre État membre devra désormais comporter, outre la désignation de ses principes actifs, nécessaire pour tous les médicaments, la mention du nom de marque et, le cas échéant, du nom de fantaisie de la spécialité.
Ces dispositions améliorent celles qui existent déjà dans notre droit, notamment grâce à l’introduction d’un « label éthique » symbolisé par un pictogramme distinctif apposé sur les médicaments dérivés du sang produits dans des conditions éthiques au sens de la législation française, c’est-à-dire à partir de dons bénévoles, gratuits et anonymes. Les Français, au regard de leur histoire, sont très attachés à ces conditions de production.
Mis à part l’article 5, qui soulève à nos yeux de nombreuses interrogations, ce projet de loi apporte globalement des améliorations à la sécurité sanitaire dans notre pays. C'est pourquoi nous le voterons.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à transposer dans notre droit national plusieurs textes européens en matière de santé. Ses dispositions sont certes de nature technique, mais elles sont loin de n’avoir qu’une portée restreinte.
L’article 1er instaure ainsi une obligation pour les chiropracteurs et les ostéopathes de souscrire une assurance de responsabilité civile professionnelle, conformément à la directive de 2011 dite « soins transfrontaliers ». Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, la sinistralité constatée dans l’exercice de ces deux professions est relativement faible, et la majorité des praticiens sont déjà couverts par une garantie spécifique. Cependant, à défaut d’obligation légale avec des plafonds de garantie minimale, il restera toujours des praticiens qui ne seront pas correctement assurés, ou même pas assurés du tout. L’article 1er protège à la fois les professionnels et les patients ; il représente donc une réelle avancée, que je tiens à saluer.
Cela étant, cet article soulève deux interrogations. La première porte sur la difficulté pour le patient de prouver la faute. Comment l’évaluer ? Y a-t-il des référentiels de bonnes pratiques ? Quels sont les experts ? La seconde interrogation concerne l’indemnisation des victimes de dommages sans faute. Les chiropracteurs et les ostéopathes n’étant pas reconnus comme des professionnels de santé, l’ONIAM ne pourra pas intervenir.
Madame la ministre, vous avez annoncé une réforme des professions de chiropracteur et d’ostéopathe. Sur ce sujet délicat, nous souhaitons vivement que vous nous précisiez votre projet.
Le métier d’ostéopathe a le vent en poupe : environ 2 500 jeunes obtiennent le titre chaque année. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ont du mal à trouver une clientèle et à vivre de leur métier. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a trop d’écoles et que la formation dispensée est très hétérogène. Il faut des critères d’agrément beaucoup plus exigeants pour garantir la qualité de la formation. Où en êtes-vous sur ce point ? Le décret est-il en voie de publication ?
La vente en ligne de médicaments est également un sujet important. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, un médicament vendu en ligne sur deux est un médicament falsifié. C’est dire la grave menace pour la santé publique que constitue ce mode de distribution. Nous étions certes contraints de l’autoriser en France, et je vous reconnais le mérite, madame la ministre, d’avoir fait le maximum pour l’encadrer, en le réservant aux pharmaciens déjà titulaires d’une officine physique et aux médicaments non soumis à prescription obligatoire. Cependant, tous nos partenaires européens n’ont pas opéré le même choix. Le Royaume-Uni, par exemple, fait preuve d’un très grand libéralisme : le secteur est dominé par des pure players, et tous les types de médicaments, avec ou sans ordonnance, peuvent être achetés en ligne.
Or je ne vois pas comment on pourrait empêcher ces sites anglais de traverser la Manche pour proposer la vente de médicaments aux Français, sans parler d’autres pays qui pourraient être moins regardants sur les agréments de leurs sites.
Enfin, ne nous leurrons pas, les faussaires auront toujours un temps d’avance sur la réglementation. Lors de la dernière opération Pangea VI, 114 sites illégaux ont été identifiés par les autorités françaises et plus de 812 000 médicaments, dont certains interdits en France car jugés dangereux, ont été saisis par les douanes.
En pratique, il paraît difficile de remonter les filières du fait de la courte durée de vie de ces sites internet et de l’hétérogénéité des législations nationales. On peut aussi s’interroger sur la capacité des autorités sanitaires et judiciaires à contrôler les sites de commercialisation en ligne si ceux-ci venaient à se développer fortement.
Votre texte tend à limiter les dérives, madame la ministre, mais il faudra rester extrêmement vigilants pour garantir à nos concitoyens la sécurité et la qualité des médicaments qu’ils achètent.
Cette recommandation vaut aussi pour la chaîne d’approvisionnement légale, car l’expérience a montré que les médicaments falsifiés ne parvenaient pas uniquement aux patients par des moyens illégaux. Dans le contexte d’une fragilisation et d’une mondialisation accrues de la production, la traçabilité des matières premières, lesquelles proviennent à 80 % de pays extérieurs à l’Union, est en particulier un enjeu important. Il faut évidemment responsabiliser les fabricants, mais aussi renforcer drastiquement les inspections et contrôles dans les sites de fabrication à l’étranger. Sur ce point, l’ordonnance de 2012, qui transpose la plupart des mesures de la directive de 2011, nous satisfait.
L’article 6, quant à lui, a pour objet de transposer une directive relative à la pharmacovigilance qui renforce les obligations des laboratoires, notamment en leur demandant de justifier la suspension, le retrait d’un médicament d’un marché européen ou le non-renouvellement de son autorisation de mise sur le marché, ou AMM. Ces mesures s’inscrivent dans le prolongement de la loi de 2011 qui a confié à l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, de nouvelles missions pour mieux surveiller et mieux informer.
S’agissant de la vigilance sanitaire, permettez-moi un petit aparté, que j’ai déjà fait lors d’un débat sur le sujet. La France compte pléthore d’organismes de contrôle, mais ne désigne pas toujours le plus compétent. Madame la ministre, vous deviez envisager dès cette année une réorganisation du système de surveillance sanitaire, qui, selon le rapport Grall, a été « construit par strates successives », « sans cohérence globale », et reste « inadapté à la déclaration des citoyens et des professionnels de santé ». Où en êtes-vous de vos réflexions ?
Cela m’amène à dire un dernier mot sur l’article 3, qui concerne les produits cosmétiques, dont Mme Dini a déjà parlé. La mise en œuvre du règlement européen de 2009 se traduit par un accroissement des exigences en matière d’étiquetage, de sécurité et de traçabilité, ce qui est positif. Je note d’ailleurs que la France est un peu en avance à cet égard, en particulier s’agissant de la mention « sans bisphénol A » ou « sans parabène ».
Vous avez fait le choix de maintenir la compétence de l’ANSM en matière de cosmétovigilance, alors que l’activité et l’enjeu de sécurité sanitaire sont plus marginaux qu’en matière de pharmacovigilance, d’hémovigilance, ou de matériovigilance : moins de 200 signalements d’effets négatifs pour les premiers contre plus de 80 000 signalements pour les seconds. La question du transfert de cette compétence à une autre structure, qui pourrait être l’ANSES, aurait mérité d’être posée.
Enfin, comme beaucoup de mes collègues, je regrette la suppression de l’article 4 relatif à la vente de lentilles de contact sur internet. Retirer cette mesure d’une loi sur la santé pour l’inscrire dans un texte relatif à la consommation est un symbole qui ne manquera pas de favoriser la marchandisation de ce produit.
Malgré les interrogations et le contenu imparfait de ce projet de loi, le groupe du RDSE le votera conforme.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Boog.
Mme Françoise Boog. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte très technique vise à remplir l’obligation constitutionnelle d’application du droit communautaire. Dans mon intervention, je mettrai d’abord en évidence quelques réflexions sur le fond des dispositions diffuses que ce projet de loi va mettre en place, puis conduirai une réflexion d’ensemble sur la portée de ce texte et l’intérêt d’une politique communautaire en matière de santé.
En préambule, je veux souligner que le tableau de la transposition par les États membres des directives européennes sur le marché unique, publié par la Commission européenne en février 2013, montre une augmentation du taux de transposition. La France fait partie des douze États membres qui ont enregistré, ou égalé, leur meilleur résultat depuis 1997. Je tenais à saluer ces résultats encourageants qui permettent à notre pays d’être moins sanctionné financièrement.
Alors que la France avait la réputation d’être parmi les mauvais élèves de l’Europe en matière de transposition des directives, ce gouvernement a repris à son compte l’engagement du précédent de présenter régulièrement, chaque année, des textes thématiques intégralement consacrés à la transposition de directives. Nous considérons qu’il est de bonne politique de continuer dans cette voie.
J’en viens au texte qui nous occupe ce matin.
Comme vient de l’expliquer M. le rapporteur, ce projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé est technique et de portée limitée, même s’il concerne un sujet essentiel, à savoir la santé de nos concitoyens.
Permettez-moi tout d’abord de revenir sur l’article 4 relatif aux conditions de vente en ligne des lentilles de contact. Cet article ayant été supprimé par les députés et inséré dans le projet de loi relatif à la consommation, la commission des affaires sociales du Sénat a été écartée de son examen, ce que nous regrettons amèrement.
Comme l’a rappelé mon collègue René-Paul Savary au ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, sans être entendu, « le secteur médical et sanitaire est un marché économique particulier, dans la mesure où le consommateur ne choisit pas le produit qu’il achète : celui-ci lui est prescrit. » Je regrette vivement ce choix de considérer les dispositifs médicaux que sont les lunettes ou les lentilles de contact comme des produits de consommation comme les autres.
Par ailleurs, plusieurs dispositions concernent les médicaments.
C’est le cas de l’article tendant à ratifier l’ordonnance relative à la lutte contre les médicaments falsifiés et à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet, que nous soutenons pleinement. En effet, madame la ministre, vous avez choisi, en cohérence avec la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, de lier obligatoirement les sites de vente en ligne à une officine. Il était à nos yeux essentiel de rappeler le rôle des pharmaciens dans la sécurisation de notre système de santé.
C’est le cas également du renforcement de la pharmacovigilance et de la surveillance des produits cosmétiques, donc des produits de tatouage qui leur sont assimilés par le droit français.
Ce projet de loi tend par ailleurs à imposer une obligation d’assurance professionnelle aux chiropracteurs et aux ostéopathes, ce que nous saluons. Madame la ministre, vous avez annoncé une réforme de ces professions et je souhaiterais que vous nous en précisiez les contours.
Enfin, ce texte a pour objet d’instaurer des mesures facilitant la reconnaissance, dans d’autres États membres de l’Union européenne, des prescriptions médicales portant sur certains médicaments biologiques. C’est à partir de ces dispositions d’harmonisation du contenu des prescriptions médicales transfrontières que j’aimerais, mes chers collègues, vous amener à réfléchir au sens de notre action de parlementaires d’un pays membre de l’Union.
Comme à chaque fois que nous examinons un projet de loi d’adaptation au droit communautaire, nous constatons qu’il s’agit d’un texte très technique. Si nous, parlementaires, avons parfois des difficultés à appréhender toutes les incidences de tels projets de loi, l’exercice est d’autant plus difficile pour nos concitoyens.
Alors que la construction européenne fait souvent les frais des crispations de notre société, il est de notre devoir de faire œuvre de pédagogie. En cette année d’élections au Parlement européen, ne serait-il pas opportun de voter un texte qui retranscrive l’esprit de création d’une communauté sanitaire européenne, plutôt que d’en voter un qui se limite à faire transparaître une technicité incompréhensible ? Dans cette optique, il serait utile que les parlementaires nationaux soient associés davantage en amont à l’élaboration de ces projets de loi.
La construction européenne s’est faite par la mise en commun de nos marchés et de nos ressources, mais, aujourd’hui, nos concitoyens en attendent plus. Plutôt que de critiquer les initiatives quand elles ne nous conviennent pas, plutôt que de nous approprier l’entier mérite des directives populaires, je fais le vœu qu’au niveau national nous devenions des initiateurs de politiques communautaires. À mon sens, c’est la seule façon pour que la France reprenne sa place dans la construction européenne.
Ce texte aurait pu en être l’occasion. Madame la ministre, pourquoi, sur certains points, ne pas aller plus loin que ce que nous demande la directive ?
Au contraire, alors que ce projet de loi aurait pu être la première pierre d’une Europe de la santé, le Gouvernement a choisi de défaire tout ce qui permettait, autour de nos frontières, de faciliter la vie sanitaire et la couverture sociale des frontaliers. En effet, madame la ministre, vous avez décidé de supprimer, à compter de juin 2014, le droit d’option des travailleurs frontaliers en matière d’assurance maladie.
À la suite du rejet des amendements tendant à proroger ce droit d’option pour trois ans, voire six ans, lors de la discussion du PLFSS tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, 11 000 frontaliers ont une nouvelle fois manifesté leur opposition à cette décision, samedi 1er février en Alsace, avec le très fort sentiment de ne pas avoir été, sinon entendus, du moins écoutés.
Force est de constater qu’il n’y a eu aucun débat de fond sur un problème qui touche quelque 170 000 Français travaillant en Suisse, ainsi que leurs familles. Or il y a urgence, car, comme vous le savez, ce droit d’option arrive à échéance en mai 2014. Malgré l’appel des élus des zones frontalières de Franche-Comté, d’Alsace, de l’Ain, du Jura et de la Haute-Savoie, vous avez décidé de ne pas proroger ce dispositif au nom de l’égalité de tous au regard des droits sociaux.
Mais de quelle égalité parle-t-on, car, s’agissant des conditions de travail, l’égalité n’existe pas ?
Je rappelle que ces travailleurs frontaliers français, qui, pour une bonne partie d’entre eux, seraient au chômage s’ils n’étaient pas allés chercher un travail dans un pays voisin, exercent dans un pays où le droit du travail est bien moins protecteur que le nôtre. En outre, ils supportent des contraintes particulières liées aux horaires de travail, aux déplacements, au logement, aux congés et à la précarité de leur emploi. Or demain, en fait d’égalité, il leur en coûtera environ le double pour être assurés contre le risque maladie.
Une fois de plus, votre politique porte en elle sa propre contradiction. Alors que l’on veut construire l’Europe en allant vers plus d’Europe sociale, plus d’Europe de la santé, plus d’Europe pour tous, vous prenez des décisions à rebours de sa construction, décisions qui touchent prioritairement les régions frontalières, les premières concernées.
Au lieu de faciliter la vie des Français travaillant en Suisse, vous la leur compliquez et vous rendez totalement dénués d’intérêt les nombreux efforts que font ces travailleurs pour se rendre chaque jour dans un pays étranger. Pourtant, ne sont-ils pas les acteurs de la construction de l’Europe des peuples ?
Bien que les Français travaillant en Suisse apportent une contribution à la richesse nationale, leur fiscalité va être revue à la hausse. Par ailleurs, en leur imposant d’abandonner leur assurance privée pour rejoindre le régime de la sécurité sociale française, l’égalité n’existera pas non plus dans l’accès aux soins.
En l’espèce, l’enjeu de santé est majeur et n’est que peu abordé. En effet, au vu de l’amateurisme total manifesté à l’occasion de cette décision, on peut légitiment s’interroger sur la prise en compte des conséquences de cette fin du droit d’option, compte tenu notamment de la situation déjà tendue en matière d’offre de soins dans certaines de nos régions frontalières avec la Suisse, laquelle est déjà très encombrée en ce domaine.
Comment va-t-on gérer cet afflux massif de patients ? Les services de santé de nos départements ne sont actuellement pas en état de recevoir l’ensemble des frontaliers. Je ne peux que déplorer une réelle carence en termes d’étude d’impact concernant les incidences d’une telle décision sur les établissements de santé et l’offre médicale de proximité.
Ensuite, sur la question de la poursuite des soins débutés en Suisse, madame la ministre, vous vous êtes engagée lors des précédents débats à ce que tous les patients ayant commencé un traitement lourd dans ce pays puissent le poursuivre sans aucun problème ; cependant, la situation n’est pas clairement établie, et ces personnes n’ont aucune certitude ni aucune garantie quant à leur avenir.
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que les conséquences de cette mesure seront cruelles pour nos territoires, leur dynamisme économique et leur marché immobilier, nous estimons que les conditions d’une extinction du droit d’option ne sont pas réunies. Je vous demande donc une nouvelle fois, au nom de tous les élus frontaliers, d’accepter de prolonger ce dispositif afin d’essayer de trouver une solution équitable et réfléchie pour nos concitoyens travailleurs frontaliers. Je vous demande également de faire réaliser une étude d’impact sur cette question, en y associant les élus de ces territoires et les représentants des salariés frontaliers.
S’agissant du texte que nous examinons ce matin, des interrogations subsistent encore. Par conséquent, le groupe UMP s’abstiendra sur ce projet de loi à portée limitée. (Mme Catherine Deroche applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher.
M. Hervé Poher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que dire quand tout a déjà été dit ? (Sourires.) Je m’en tiendrai à l’essentiel…
Il est toujours rassurant de voir arriver en discussion au Parlement un texte de transposition de directives : la menace d’un recours en manquement contre l’État français s’éloigne, ainsi que le risque de se voir infliger des amendes et des astreintes journalières. Personne, État ou particulier, n’est heureux de payer, encore moins lorsqu’il s’agit d’amendes.
Si la France a pu être parfois mauvaise élève dans ce domaine, nous ne pouvons que saluer les efforts consentis ces dernières années en matière d’adaptation de notre droit. Il faut toujours féliciter celui qui reconnaît ses oublis, même s’il peut passer pour un mauvais élève… Je connais d’ailleurs certains mauvais élèves qui ont tout de même réussi dans la vie ! (Sourires.)
Mme Catherine Deroche. Des noms !
M. Hervé Poher. Mais revenons au texte qui nous occupe aujourd’hui : il est très technique et n’incite pas à la philosophie législative, mais il permet d’aborder quelques questions relatives à notre société et à son évolution.
Ce texte peut paraître, au premier abord, traiter de sujets quelque peu disparates : assurance professionnelle des ostéopathes et des chiropracteurs, encre et sécurité des tatouages, vente de médicaments sur internet, cosmétiques, pharmacovigilance… Tout cela s’inscrivant dans une démarche d’adaptation à une volonté européenne. Certains esprits critiques pourraient parler de melting pot « ostéo-pharmaco-tatouo-cosmétique ». Ne cherchez pas dans le dictionnaire, ce néologisme n’y figure pas !
S’il faut trouver une cohérence d’ensemble à ce texte, si l’on veut se forcer à en extraire le plus petit dénominateur commun, l’exercice est facile : il s’agit simplement d’apporter quelques touches supplémentaires et complémentaires afin de renforcer la sécurité sanitaire de nos concitoyens, qu’ils soient patients d’ostéopathes ou de chiropracteurs, utilisateurs de produits cosmétiques – c’est volontairement que je n’emploie pas le mot « consommateurs » – ou acheteurs de médicaments en ligne. En résumé, ce projet de loi vise avant tout à protéger la santé de tous. En cela, ce melting pot représente tout de même une belle avancée !
Cependant, adoptant une vision d’ensemble, je nuancerai mon enthousiasme en évoquant, à la suite de mes collègues, un point très précis.
Je voudrais redire ici mon regret personnel et mon inquiétude professionnelle de voir la question de la vente des lentilles de contact sur internet traitée dans un projet de loi sur la consommation – aussi bon soit-il, et même si un traitement en urgence était, semble-t-il, nécessaire – et donc soustraite, de fait, à notre débat d’aujourd’hui, l’article 4 du présent projet de loi ayant été supprimé.
Que ce sujet ne soit pas traité dans un texte relatif à la santé publique est intellectuellement et symboliquement dérangeant, pour rester modéré dans l’expression. Les lentilles de contact ne sont, en aucune façon, des produits comparables à des CD, des séjours de vacances ou des tee-shirts ; ce sont des produits médicaux qui, mal utilisés, peuvent être dangereux. Nous regrettons sincèrement de ne pas avoir eu à débattre de ce problème au sein de la commission des affaires sociales, à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur la santé, ce qui aurait permis de dissiper notre trouble.
Alors, laissez-moi émettre le souhait, madame la ministre, que cette façon de faire ne se généralise pas pour tous les équipements médicaux ou paramédicaux et les appareillages de tous ordres, qui doivent toujours relever d’une démarche de santé publique, et non pas d’une adaptation des pratiques de consommation. Même dans un monde où le commerce fait la loi, même dans un monde en pleine révolution des communications, même dans un monde où les pratiques vont plus vite que les règles, tout n’est pas que transaction, négoce et commerce.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Hervé Poher. Pour revenir à notre sujet, je voudrais mettre l’accent, dans la lignée des propos de notre collègue rapporteur Jacky Le Menn, sur deux avancées importantes du présent projet de loi, concernant la cosmétovigilance et la vente de médicaments sur internet.
Tout d’abord, parlons des cosmétiques. Dans un contexte économique difficile, nous ne pouvons que nous féliciter du signal extrêmement positif adressé par ce projet de loi aux entreprises françaises fabriquant des produits cosmétiques, qui sont les leaders mondiaux du secteur.
De fait, l’harmonisation au niveau européen de la réglementation en matière de produits cosmétiques va engendrer une réduction des coûts qui profitera à tous les fabricants, grands et petits, ainsi que, on peut l’espérer – voire en rêver, mais le rêve a ses limites –, aux utilisateurs, qui sont des consommateurs. Par exemple, la simplification de la procédure de notification pour les nouveaux produits cosmétiques devrait conduire à diviser par deux les frais administratifs du secteur.
En outre, en imposant de nouvelles exigences d’information, de sécurité et de traçabilité des produits, le projet de loi renforce la protection de la personne. Il faut bien l’avouer, dans un souci de transparence, d’affichage et d’image, l’industrie du cosmétique était demandeuse d’une telle démarche.
Qu’il nous soit cependant permis d’émettre, là aussi, des réserves, portant sur la pertinence du choix de l’autorité compétente en matière de cosmétovigilance. Je sais que cette remarque a déjà été souvent formulée.
La directive faisant l’objet de la transposition prévoit que l’État membre désigne, en toute liberté, une autorité nationale chargée de la cosmétovigilance. Depuis 2004, cette dernière relève de la compétence de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, qui est déjà chargée d’assurer la pharmacovigilance. Or la cosmétovigilance et la vigilance sur les produits de tatouage apparaissent, de fait, comme des activités marginales de l’ANSM.
M. Gilbert Barbier. Tout à fait !
M. Hervé Poher. Cela a été rappelé, on dénombre chaque année moins de 200 signalements pour les cosmétiques, contre 80 000 déclarations d’effets indésirables liés aux médicaments ; en outre, les désagréments constatés sont généralement de nature différente. Vous pourriez me répondre que « qui peut le plus, peut le moins », mais ce n’est pas un argument d’excellence.
Dans son rapport de mission sur la réorganisation de la vigilance sanitaire remis en juillet 2013, le docteur Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, ne dit pas autre chose : il établit une différence entre les vigilances majeures et les vigilances à enjeux marginaux.
L’ANSM est-elle l’instance la mieux placée pour traiter efficacement des questions de sécurité sanitaire liées à l’usage des produits cosmétiques et de tatouage ? En vous posant la question, madame la ministre, nous osons suggérer une réponse.
Nous savons bien que se pose un problème de police sanitaire, mais une autre solution devrait être possible, d’autant que les responsables de l’ANSM nous ont clairement expliqué qu’ils ne se sentaient pas à l’aise dans ce domaine et que « ce n’est pas leur métier ». La question du transfert de cette compétence à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, mérite d’être évoquée, ce que je fais aujourd’hui.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Hervé Poher. En ce qui concerne la vente de médicaments sur internet, l’article 5 apporte des garanties qui peuvent paraître solides et rassurantes pour essayer de répondre simplement à deux problèmes : le trafic de faux médicaments et la consommation inconsidérée et irraisonnée de médicaments.
Nous le savons tous, le trafic de médicaments falsifiés est une activité qui semble extrêmement lucrative. Il permet de faire vivre certains réseaux, dont on dira pudiquement que les objectifs sanitaires sont douteux, mais les objectifs financiers certains.
Pour le moment, notre pays est relativement épargné, grâce à une politique du médicament efficace qui met en place des contrôles de chaque étape de la chaîne d’approvisionnement légale. Il n’en demeure pas moins qu’internet est un important vecteur de commercialisation de médicaments falsifiés et que la légalisation de la commercialisation en ligne des médicaments en accès libre, puis de tous les médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire, nécessitait la prise de décisions bien cadrées : c’est, à notre avis, ce qui a été fait.
Ainsi, nous saluons le choix du Gouvernement de n’ouvrir l’exercice de la vente en ligne de médicaments qu’aux seuls pharmaciens déjà titulaires d’une officine. Il était indispensable de réaffirmer un principe : la délivrance de médicaments nécessite, pour les patients, l’exercice d’une mission de conseil, à l’officine comme pour la vente en ligne. Le médicament n’est pas un biscuit à apéritif !
De plus, conserver un monopole officinal était, il faut le reconnaître, un choix courageux du Gouvernement, cette option étant loin de faire l’unanimité en Europe. Certains États membres de l’Union européenne, comme l’Allemagne, autorisent la vente en ligne de l’ensemble des médicaments, qu’ils soient ou non soumis à prescription médicale, et par on ne sait qui !
Enfin, si la vente en ligne représente aujourd’hui une part tout à fait négligeable du chiffre d’affaires du secteur, on peut néanmoins s’interroger sur la capacité des autorités sanitaires, policières et judiciaires à contrôler des sites de commercialisation en ligne si ceux-ci venaient à se développer fortement. Nous verrons bien ! On peut penser que la tâche sera plus aisée grâce à l’adossement à une pharmacie physique, mais ne nous faisons pas d’illusions : dans le monde du web, les vrais margoulins et les vrais faussaires sont presque aussi nombreux que les faux génériques !
Je souhaite évoquer un dernier point, madame la ministre. Les discussions au sein de la commission des affaires sociales ont bien évidemment mis en évidence l’interrogation permanente concernant la place occupée par les ostéopathes et les chiropracteurs dans notre fonctionnement collectif. Il faudra bien trouver un jour une ou des solutions à ce problème récurrent : disant cela, je ne préjuge absolument pas de la nature de ces solutions, mais nous croyons savoir que vos services s’intéressent de très près à cette question ; nous nous en félicitons.
Mes chers collègues, je vous invite à voter ce projet de loi dont l’examen nous permet, accessoirement, de soulever certaines questions essentielles sur le fonctionnement de notre société, mais qui présente surtout des avancées en matière de protection de la sécurité sanitaire de nos concitoyens. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier de leurs contributions l’ensemble des intervenants, en premier lieu M. le rapporteur. Sans répondre sur chacune des questions soulevées, je m’attacherai à revenir sur certains points qui ont été abordés par plusieurs orateurs.
Auparavant, je voudrais indiquer à Mme Françoise Boog que ce texte n’est que ce qu’il est ; il n’a pas pour objet de refonder la politique de santé européenne – si tel était le cas, j’ose d’ailleurs espérer que les travées de cet hémicycle seraient plus remplies.
Permettez-moi de vous rappeler ce que vous savez fort bien, madame la sénatrice : les politiques de santé relèvent du niveau national, la France étant l’un des pays les plus en pointe pour faire adopter un cadre européen dans lequel déployer ces politiques, en particulier en matière de vigilance.
En effet, l’enjeu de ce texte, c’est la vigilance. Dans ce domaine, la France est à la pointe du combat, au niveau européen, pour renforcer les pratiques de sécurité afférentes aux dispositifs médicaux, contrairement à la plupart des autres pays, qui privilégient plutôt une logique de marché, volontiers prônée également, d’ailleurs, au sein de la formation politique à laquelle vous appartenez, madame Boog !
De même, la France a mené le combat pour faire adopter une directive sur le tabac visant à réaffirmer et à renforcer la primauté des enjeux de santé publique sur les enjeux commerciaux. Notre pays n’a pas toujours eu gain de cause, et j’aimerais que des voix s’élèvent parfois de vos rangs pour soutenir notre action en matière de santé publique, s’agissant par exemple de la lutte contre le tabagisme.
Par ailleurs, madame Boog, je vous répondrai ultérieurement à propos des frontaliers, de façon brève car je me suis déjà si souvent exprimée sur ce sujet que j’ai l’impression de me répéter !
Vous avez raison, monsieur Poher : tout n’est pas commerce ! En matière de santé, nous devons avoir le courage d’affirmer et de poser des principes de santé publique qui ne relèvent pas de la logique commerciale. C’est ce que j’ai fait à propos de la vente de médicaments sur internet, et je vous remercie de l’avoir tous souligné : les garde-fous les plus solides possible ont été instaurés, sur mon initiative, dans le cadre de la directive européenne autorisant la vente en ligne de médicaments.
Vous avez tous regretté que les dispositions relatives à la vente de lentilles correctrices sur internet aient été intégrées dans le projet de loi relatif à la consommation. Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que cela résulte d’une initiative parlementaire : le Gouvernement n’avait pas inscrit ces dispositions dans son projet de loi initial. En tout état de cause, je ne peux que me réjouir qu’elles aient fait l’objet d’un vaste débat au cours duquel l’accent a été mis sur les préoccupations sanitaires. Il importe d’insister systématiquement sur le cadre sanitaire dans lequel s’inscrivent de telles dispositions.
M. le rapporteur et d’autres intervenants ont évoqué la cosmétovigilance, qui relève aujourd’hui de l’ANSM. Cette solution est-elle la plus cohérente ? On peut s’interroger sur ce point. En tout cas, les autres instances, en particulier l’ANSES, n’ont pas de pouvoirs de police sanitaire. Transférer la surveillance des produits cosmétiques à une autre agence supposerait donc d’avoir préalablement confié à celle-ci de tels pouvoirs.
La cosmétovigilance restera-t-elle ad vitam aeternam du ressort de l’ANSM ? À l’évidence, la réponse est non. Nous devons conduire la réflexion dans l’optique de la refonte des vigilances – vous avez été plusieurs à évoquer le rapport de Jean-Yves Grall –, qui figurera dans la loi de santé publique et doit reposer sur une clarification des responsabilités et des missions, ainsi que sur un resserrement du périmètre de celles-ci. Nos approches sont convergentes. Il conviendra de les mettre en œuvre en prenant bien en compte le paysage d’ensemble de la pharmacovigilance et de la cosmétovigilance.
Monsieur le rapporteur, l’idée de mettre en place un label éthique pour le don du sang est apparue dans le cadre de la mission confiée au député Olivier Véran. Ce label, qui permettrait d’identifier les dons gratuits, recueillis selon les principes de notre système, est demandé par les donneurs, et non par les receveurs, pour qui les garanties en termes de sécurité l’emportent sur toute autre considération.
De plus, la mise en œuvre d’un tel label se heurterait à des difficultés d’application, dans un marché qui est ouvert au niveau de l’Union européenne, dont les États membres n’appliquent pas tous les mêmes règles. Qui décernerait ce label ? Comment serait-il contrôlé ? Je le répète, un receveur veut avant tout que la sécurité du sang transfusé soit garantie : il ne refusera pas un sang non labellisé, pourvu qu’il soit sûr. On risque de banaliser la dimension éthique du don du sang tel qu’il se pratique en France, et donc d’obtenir un effet contreproductif. Quoi qu’il en soit, je crois que la réflexion doit se poursuivre.
Vous avez tous évoqué les régimes d’assurance des ostéopathes et des étiopathes et la question de la responsabilité sans faute.
Ce texte constitue une première étape, en ce sens qu’il vise à apporter, comme l’a dit très explicitement M. Gilbert Barbier, une sécurité renforcée aux patients des ostéopathes. Ceux-ci n’étant pas des professionnels de santé, leur activité ne s’inscrit pas dans le cadre de la responsabilité sans faute telle qu’elle existe aujourd'hui. Cette responsabilité sans faute renvoie, pour l’essentiel, à un champ de pratiques qui ne correspond pas à celui des ostéopathes ; je pense, par exemple, aux maladies nosocomiales.
Qu’une réflexion doive être menée sur les moyens de renforcer encore la sécurité des patients, je l’entends parfaitement, et nous travaillons sur ce sujet au sein du ministère. En tout état de cause, ce texte constitue une première étape significative : nous passons de rien à quelque chose et construisons un environnement plus protecteur pour nos concitoyens.
Pour ce qui est du statut et de la formation des ostéopathes, la réflexion se poursuit. Des groupes de travail sont à l’œuvre au ministère, et des dispositions seront sans doute intégrées dans la loi de santé publique. Comme cela a été souligné, les formations dispensées sont, pour dire les choses de façon modérée, de qualité très inégale et les ostéopathes arrivent chaque année sur le marché en nombre certainement excessif, ce qui pose d’ailleurs problème aussi pour la profession. Si l’offre est trop importante par rapport à la demande, de nombreux ostéopathes risquent de ne pas tirer une rémunération suffisante de leur activité.
Le cas des étiopathes est totalement différent. Ces professionnels pratiquent une forme de « médecine naturelle », qui n’est pas reconnue par la médecine conventionnelle sur le plan scientifique.
À la suite de travaux menés par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, suscités par les interrogations soulevées par toute une série de pratiques non conventionnelles, un groupe de travail a été mis en place, dont la mission est de repérer des pratiques potentiellement dangereuses. Par ailleurs, l’INSERM et la Haute Autorité de santé étudient chacune de ces pratiques non conventionnelles afin de les qualifier et de déterminer dans quelle mesure elles pourraient être encadrées, labellisées et autorisées. Actuellement, l’étiopathie n’entre pas dans le champ de cette évaluation. Cette situation pourra évoluer, mais l’objectif, j’y insiste, est non pas de labelliser toutes les pratiques existantes, mais bien d’identifier des pratiques prometteuses et d’alerter sur des pratiques potentiellement dangereuses.
Madame Pasquet, il me paraît tout à fait nécessaire d’être extrêmement attentifs aux conditions dans lesquelles s’opèrent la vente de médicaments et, en amont, leur production, ainsi que la sécurisation du marché. Cela rejoint un point soulevé par M. Barbier : la chaîne légale d’approvisionnement est évidemment l’objet de toute notre attention. Nous savons que la matière première des médicaments est pour une grande partie produite dans des pays extérieurs à l’Union européenne. Cela impose d’exercer une vigilance renforcée et de mutualiser les contrôles à l’échelon européen, ainsi que de négocier des accords avec les pays partenaires. Ainsi, je me suis entretenue avec le ministre chinois chargé de la politique du médicament pour voir avec lui comment l’administration chinoise peut apporter sa contribution.
M. Gilbert Barbier. Et l’Inde ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Il faudra mener le même genre de démarche avec l’Inde.
J’insiste sur le fait que cet enjeu de sécurité concerne l’ensemble des médicaments, et non pas, comme je l’entends dire parfois, les seuls médicaments génériques. En effet, les mêmes matières premières servent à la fabrication des médicaments de marque et à celle des médicaments génériques.
Pour terminer, je rappelle que le droit communautaire n’a pas grand-chose à voir avec la question des frontaliers travaillant en Suisse. Il n’aura en effet échappé à personne que la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne. Je comprends les inquiétudes, mais si certaines situations sont remises en cause ou menacées, c’est aussi en raison du résultat de la votation qui vient d’avoir lieu.
Le principe d’égalité devant les contributions et les prestations sociales est fixé par la Constitution et garanti par le Conseil constitutionnel. Or si les frontaliers ont pu bénéficier par le passé d’un régime dérogatoire, c’est parce que le droit français ne prenait pas en compte leur situation particulière. Depuis un peu plus de dix ans, un cadre juridique existe. C’est la raison pour laquelle ce statut dérogatoire ne peut être maintenu. La majorité précédente l’avait d’ailleurs annoncé. À la suite des discussions menées par mon ministère avec les associations de frontaliers, nous avons décidé une extinction du dispositif. Celle-ci sera progressive jusqu’au 31 mai 2015, afin de ne pas provoquer une rupture trop brutale. Nous créons donc un taux de contribution réduit de 6 % jusqu’au 1er janvier 2016, avant de passer à 8 %.
Par ailleurs, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, à l’instar d’autres professions ou populations, le caractère particulier des travailleurs frontaliers sera reconnu dans le cadre du régime général de sécurité sociale. Nous reconnaissons donc un régime frontalier identifié comme tel.
Enfin, je l’ai indiqué, des règles seront fixées afin de permettre aux frontaliers, compte tenu de leur situation géographique et de leur lieu de travail, de bénéficier de dispositions spécifiques. Ils pourront, par exemple, choisir un médecin traitant installé en Suisse et bénéficier de la chaîne de remboursement maximal qui en découle. En outre, les traitements lourds engagés en Suisse pourront être poursuivis et remboursés. Pour ce qui est des soins courants dispensés dans ce pays, il ne sera pas nécessaire pour en bénéficier de demander une autorisation préalable auprès de la sécurité sociale.
Tout est donc fait pour assurer la continuité des soins, pour éviter toute rupture dans la prise en charge des frontaliers et pour garantir leur accessibilité quotidienne aux soins puisque, en vertu du principe d’égalité, leur mode de vie particulier sera pris en compte. Telle est la position du Gouvernement, que j’ai défendue devant les associations concernées dans un climat qui m’a paru serein. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
(Non modifié)
I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison du défaut d’un produit de santé, les professionnels autorisés à user du titre d’ostéopathe ou de chiropracteur ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes accomplis dans le cadre de leur activité professionnelle qu’en cas de faute.
II. – Les professionnels autorisés à user du titre d’ostéopathe ou de chiropracteur et exerçant leur activité à titre libéral sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l’ensemble de cette activité.
Les contrats d’assurance souscrits en application du premier alinéa du présent II peuvent prévoir des plafonds de garantie. Le montant minimal de ces plafonds est fixé par décret en Conseil d’État.
Les dispositions prévues aux articles L. 251-2 et L. 251-3 du code des assurances relatives aux contrats d’assurance souscrits par les professionnels de santé en application de l’article L. 1142-2 du code de la santé publique sont applicables aux contrats d’assurance souscrits par les professionnels autorisés à user du titre d’ostéopathe ou de chiropracteur.
Au 1er janvier 2015, tout professionnel autorisé à user du titre d’ostéopathe ou de chiropracteur doit être en mesure de justifier que sa responsabilité est couverte dans les conditions prévues au présent article.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Le manquement à l’obligation d’assurance prévue à l’article 1er de la présente loi est puni de 45 000 € d’amende.
Les personnes physiques coupables de l’infraction mentionnée au présent article encourent également la peine complémentaire d’interdiction, selon les modalités prévues à l’article 131-27 du code pénal, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. Cette interdiction est portée à la connaissance du directeur général de l’agence régionale de santé. – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – Le chapitre Ier du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° À l’article L. 5131-1, le mot : « diverses » est supprimé et les mots : « , notamment l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes, » sont remplacés par les mots : « (l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes) » ;
2° L’article L. 5131-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « , de conditionnement ou d’importation » sont remplacés par les mots : « ou de conditionnement » ;
b) Les trois derniers alinéas sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :
« Toute modification des éléments constitutifs de la déclaration est communiquée à l’agence.
« Les personnes qualifiées en charge de l’évaluation de la sécurité doivent posséder une formation universitaire mentionnée à l’article 10 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques ou une formation équivalente figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de la santé, de l’industrie et de l’enseignement supérieur ou une formation reconnue équivalente par un État membre de l’Union européenne. » ;
3° Les articles L. 5131-3 à L. 5131-11 sont remplacés par des articles L. 5131-3 à L. 5131-8 ainsi rédigés :
« Art. L. 5131-3. – Les produits cosmétiques mis à disposition sur le marché satisfont aux dispositions du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, précité.
« L’autorité compétente mentionnée au paragraphe 5 de l’article 6, au paragraphe 3 de l’article 11, au paragraphe 5 de l’article 13 et aux articles 23 à 30 du même règlement est l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Le ministre chargé de la consommation et les agents mentionnés au 1° de l’article L. 215-1 du code de la consommation ont également la qualité d’autorité compétente pour la mise en œuvre du paragraphe 5 de l’article 6, du paragraphe 3 de l’article 11, du paragraphe 5 de l’article 13, du paragraphe 5 de l’article 23 et des articles 24 à 26 et 28 à 30 dudit règlement, dans la limite des pouvoirs dont ils disposent en vertu des dispositions du code de la consommation et du présent code.
« Art. L. 5131-4. – L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé publie les principes de bonnes pratiques de laboratoire applicables aux études de sécurité non cliniques destinées à évaluer la sécurité des produits cosmétiques pour la mise en œuvre de l’article 10 du même règlement, ainsi que les règles applicables à l’inspection et à la vérification des bonnes pratiques de laboratoire. Elle définit les règles relatives à la délivrance des documents attestant le respect de ces bonnes pratiques.
« Art. L. 5131-5. – I. – Toute personne responsable et tout distributeur de produits cosmétiques peuvent déclarer, en complément de leurs obligations découlant de l’article 23 du même règlement, les autres effets indésirables à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
« II. – Tout professionnel de santé ayant connaissance d’un effet indésirable grave, au sens du p du paragraphe 1 de l’article 2 du même règlement, susceptible de résulter de l’utilisation d’un produit cosmétique, le déclare, sans délai, à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il peut déclarer, en outre, les autres effets indésirables dont il a connaissance. Il peut, d’autre part, déclarer les effets susceptibles de résulter d’un mésusage.
« Tout utilisateur professionnel peut procéder à la déclaration d’effets indésirables à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il peut, d’autre part, déclarer les effets susceptibles de résulter d’un mésusage.
« Tout consommateur de produits cosmétiques peut procéder à la déclaration d’effets indésirables à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il peut, d’autre part, déclarer les effets susceptibles de résulter d’un mésusage.
« Art. L. 5131-6. – En cas de doute sérieux quant à la sécurité d’une substance entrant dans la composition d’un produit cosmétique, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut mettre en demeure la personne responsable de ce produit de lui communiquer les informations mentionnées à l’article 24 du même règlement. Cette mise en demeure peut être assortie d’une astreinte au plus égale à 500 € par jour de retard à compter de la date fixée par l’agence. Le montant maximal de l’astreinte mise en recouvrement ne peut être supérieur au montant maximal de l’amende prévue à l’article L. 5431-9 du présent code.
« Art. L. 5131-7. – Pour tout produit cosmétique mis sur le marché ou importé pour la première fois d’un État non membre de l’Union européenne ou non partie à l’accord sur l’Espace économique européen avant le 11 juillet 2013, le fabricant, son représentant, la personne pour le compte de laquelle le produit est fabriqué ou, en cas d’importation, le responsable de la mise sur le marché conserve, jusqu’au 11 juillet 2020, le dossier rassemblant les informations sur le produit.
« Les centres antipoison mentionnés à l’article L. 6141-4 conservent jusqu’au 11 juillet 2020 les informations adéquates et suffisantes, reçues avant le 11 juillet 2013, concernant les substances utilisées dans les produits cosmétiques.
« Art. L. 5131-8. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent chapitre, notamment :
« 1° Les modalités de présentation et le contenu de la déclaration prévue à l’article L. 5131-2 ;
« 2° Les modalités d’étiquetage des produits cosmétiques mentionnés au paragraphe 4 de l’article 19 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, précité, après avis du Conseil national de la consommation ;
« 3° Les modalités de mise en œuvre du système de cosmétovigilance prévu à l’article L. 5131-5. »
II. – Le chapitre Ier du titre III du livre IV de la même partie est ainsi modifié :
1° L’article L. 5431-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 5431-2. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait :
« 1° Pour toute personne qui fabrique ou conditionne des produits cosmétiques, d’ouvrir ou d’exploiter un établissement de fabrication ou de conditionnement de ces produits, ou d’étendre l’activité d’un établissement à de telles opérations, sans qu’ait été faite au préalable la déclaration prévue à l’article L. 5131-2 à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou sans qu’aient été communiquées les modifications des éléments constitutifs de la déclaration ;
« 2° Pour la personne responsable de la mise sur le marché d’un produit cosmétique, déterminée à l’article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques, de ne pas respecter les obligations de notification à la Commission européenne en ne transmettant pas les informations mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 13 et au paragraphe 3 de l’article 16 du même règlement ;
« 3° Pour la personne responsable de la mise sur le marché d’un produit cosmétique, déterminée à l’article 4 dudit règlement, de mettre sur le marché des produits cosmétiques ou de réaliser des expérimentations animales portant sur des produits cosmétiques finis ou sur des ingrédients ou des combinaisons d’ingrédients en méconnaissance des interdictions prévues au paragraphe 1 de l’article 18 de ce même règlement. » ;
1° bis Au dernier alinéa de l’article L. 5431-3, le mot : « importer, » est remplacé par les mots : « importer et » ;
2° L’article L. 5431-5 est ainsi modifié :
a) Les mots : « les fabricants, leurs représentants, les personnes pour le compte desquelles les produits cosmétiques sont fabriqués ou les responsables de la mise sur le marché des produits cosmétiques importés d’un État qui n’est ni membre de l’Union européenne, ni partie à l’accord sur l’Espace économique européen » sont remplacés par les mots : « la personne responsable, déterminée à l’article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques, » ;
b) À la fin, les mots : « telles qu’elles résultent du 4° de l’article L. 5131-11 » sont remplacés par les mots : « prévues à l’article 14 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 15 du même règlement » ;
3° L’article L. 5431-6 est ainsi modifié :
a) Après la première occurrence du mot : « pour », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « la personne responsable, déterminée par l’article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, précité. » ;
b) Après le mot : « contrôle », la fin du 1° est ainsi rédigée : « mentionnées à l’article L. 5431-1, à l’adresse indiquée sur l’étiquetage de ce produit, le dossier d’information prévu au paragraphe 1 de l’article 11 du même règlement ; »
c) Le 2° est ainsi modifié :
– après le mot : « dossier », sont insérés les mots : « d’information » ;
– la référence : « au troisième alinéa de l’article L. 5131-6 » est remplacée par la référence : « à l’article 11 dudit règlement » ;
– à la fin, la référence : « par le 3° de l’article L. 5131-11 » est remplacée par la référence : « au paragraphe 2 du même article » ;
d) Le 3° est abrogé ;
4° L’article L. 5431-7 est ainsi modifié :
a) Les mots : « les fabricants, leurs représentants, les personnes pour le compte desquelles les produits cosmétiques sont fabriqués ou les responsables de la mise sur le marché des produits cosmétiques importés d’un État qui n’est ni membre de l’Union européenne, ni partie à l’accord sur l’Espace économique européen » sont remplacés par les mots : « la personne responsable, déterminée à l’article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, précité » ;
b) Les références : « au deuxième alinéa de l’article L. 5131-6 et au 1° de l’article L. 5131-11 » sont remplacées par la référence : « à l’article 19 du même règlement » ;
5° Sont ajoutés des articles L. 5431-8 et L. 5431-9 ainsi rédigés :
« Art. L. 5431-8. – Le fait, pour la personne responsable, déterminée à l’article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, précité, et les distributeurs, tels que définis au e du paragraphe 1 de l’article 2 du même règlement, de ne pas signaler à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sans délai et par tout moyen, tous les effets indésirables graves, au sens du p du même paragraphe 1, dans les conditions mentionnées au paragraphe 1 de l’article 23 dudit règlement, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Est puni des mêmes peines le fait, pour le professionnel de santé ayant eu connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, d’un effet indésirable grave, au sens du p du paragraphe 1 de l’article 2 du même règlement, de s’abstenir de le signaler sans délai à l’agence.
« Art. L. 5431-9. – Le fait, pour la personne responsable, déterminée à l’article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, précité, de ne pas transmettre à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, malgré la mise en demeure effectuée dans les conditions fixées à l’article L. 5131-6, l’une des informations mentionnées à l’article 24 du même règlement est puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende. »
III. – Le chapitre X du titre III du livre Ier de la même partie est ainsi modifié :
1° L’article L. 513-10-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 513-10-2. – L’ouverture et l’exploitation de tout établissement de fabrication, de conditionnement ou d’importation, même à titre accessoire, de produits de tatouage, de même que l’extension de l’activité d’un établissement à de telles opérations sont subordonnées à une déclaration auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
« Cette déclaration est faite par la personne responsable de la mise sur le marché des produits de tatouage, qui est, selon le cas, le fabricant ou son représentant, la personne pour le compte de laquelle les produits de tatouage sont fabriqués ou la personne qui met sur le marché les produits de tatouage importés.
« Toute modification des éléments constitutifs de la déclaration est communiquée à l’agence.
« La personne responsable de la mise sur le marché des produits de tatouage désigne une ou plusieurs personnes qualifiées responsables de la fabrication, du conditionnement, de l’importation, des contrôles de qualité, de l’évaluation de la sécurité pour la santé humaine, de la détention et de la surveillance des stocks de matières premières et de produits finis. Ces personnes doivent posséder des connaissances scientifiques suffisantes, attestées par des diplômes, titres ou certificats figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de l’artisanat, de l’enseignement supérieur, de l’industrie et de la santé, ou justifier d’une expérience pratique appropriée dont la durée et le contenu sont déterminés dans les mêmes conditions. » ;
2° Les deux dernières phrases de l’article L. 513-10-3 sont ainsi rédigées :
« L’évaluation de la sécurité pour la santé humaine de ces produits est exécutée en conformité avec les bonnes pratiques de laboratoire dont les principes sont publiés par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, de même que les règles applicables à l’inspection et à la vérification des bonnes pratiques de laboratoire. Un arrêté des ministres chargés de la consommation et de la santé, pris sur proposition de l’agence, définit les règles relatives à la délivrance de documents attestant du respect de ces bonnes pratiques. » ;
3° L’article L. 513-10-4 est ainsi rédigé :
« Art. L. 513-10-4. – Les produits de tatouage mis sur le marché ne doivent pas nuire à la santé humaine lorsqu’ils sont appliqués dans les conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation compte tenu, notamment, de la présentation du produit, des mentions portées sur l’étiquetage ainsi que de toute autre information destinée aux consommateurs. » ;
4° Sont ajoutés des articles L. 513-10-5 à L. 513-10-10 ainsi rédigés :
« Art. L. 513-10-5. – Un produit de tatouage ne peut être mis sur le marché à titre gratuit ou onéreux que s’il remplit les conditions suivantes :
« 1° Son récipient et son emballage comportent le nom ou la raison sociale et l’adresse de la personne responsable de la mise sur le marché du produit, ainsi que les autres mentions prévues par voie réglementaire ;
« 2° La personne responsable de la mise sur le marché du produit tient effectivement à la disposition des autorités de contrôle, à l’adresse mentionnée ci-dessus, un dossier rassemblant toutes les informations utiles, au regard des articles L. 513-10-3 et L. 513-10-4, sur la formule qualitative et quantitative, les spécifications physico-chimiques et microbiologiques, les conditions de fabrication et de contrôle, l’évaluation de la sécurité pour la santé humaine et les effets indésirables de ce produit.
« Art. L. 513-10-6. – La mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux d’un produit de tatouage est subordonnée à la transmission aux centres antipoison mentionnés à l’article L. 6141-4, désignés par arrêté conjoint des ministres chargés de la consommation, de l’industrie et de la santé, d’informations adéquates et suffisantes concernant les substances utilisées dans ce produit.
« La liste de ces informations est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de la consommation, de l’industrie et de la santé.
« Art. L. 513-10-7. – La personne responsable de la mise sur le marché du produit de tatouage met à la disposition du public, par des moyens appropriés, y compris des moyens électroniques, les informations liées à la composition et aux effets indésirables de ce produit, définies par voie réglementaire.
« Art. L. 513-10-8. – I. – La personne responsable de la mise sur le marché d’un produit de tatouage est tenue de participer au système national de vigilance exercé sur les produits de tatouage en déclarant, sans délai, à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé les effets indésirables graves susceptibles de résulter de l’utilisation d’un produit de tatouage dont elle a connaissance. Elle lui déclare, en outre, les autres effets indésirables dont elle a connaissance. Est un effet indésirable grave une réaction nocive et non prévisible, qu’elle se produise dans les conditions normales d’emploi du produit chez l’homme ou qu’elle résulte d’un mésusage, qui est de nature à justifier une hospitalisation ou entraîne une incapacité fonctionnelle temporaire ou permanente, une invalidité, une mise en jeu du pronostic vital immédiat, un décès ou une anomalie ou une malformation congénitale.
« L’obligation mentionnée au premier alinéa du présent I est réputée remplie par le respect de l’obligation d’information prévue à l’article L. 221-1-3 du code de la consommation. Dans ce cas, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est informée, sans délai, par les autorités administratives compétentes mentionnées au même article.
« II. – Tout professionnel de santé ayant connaissance d’un effet indésirable grave, au sens du I du présent article, susceptible de résulter de l’utilisation d’un produit de tatouage le déclare, sans délai, à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il lui déclare, en outre, les autres effets indésirables dont il a connaissance. Dans sa déclaration, il précise si l’effet indésirable résulte d’un mésusage et décrit les conditions dans lesquelles le tatouage a été pratiqué.
« Toute personne qui réalise des tatouages à titre professionnel ayant connaissance d’un effet indésirable grave, au sens du I, susceptible de résulter de l’utilisation d’un produit de tatouage le déclare, sans délai, à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il lui déclare, en outre, les autres effets indésirables dont il a connaissance. Dans sa déclaration, il lui précise si l’effet indésirable résulte d’un mésusage et décrit les conditions dans lesquelles le tatouage a été pratiqué.
« Tout consommateur peut déclarer des effets indésirables à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en faisant état, le cas échéant, d’un mésusage et en décrivant les conditions dans lesquelles le tatouage a été pratiqué.
« Art. L. 513-10-9. – La personne responsable de la mise sur le marché d’un produit de tatouage est tenue, en cas de doute sérieux sur l’innocuité d’une ou de plusieurs substances, de fournir au directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, lorsqu’il lui en fait la demande motivée, la liste de ses produits de tatouage dans la composition desquels entrent une ou plusieurs substances désignées par lui ainsi que la quantité de chacune de ces substances présentes dans le produit.
« L’agence prend toute mesure pour protéger la confidentialité des informations qui lui sont transmises au titre du présent article.
« Art. L. 513-10-10. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent chapitre, notamment :
« 1° Les modalités de présentation et le contenu de la déclaration prévue à l’article L. 513-10-2 ;
« 2° Les mentions que doivent comporter le récipient et l’emballage d’un produit de tatouage en application du 1° de l’article L. 513-10-5 ;
« 3° Le contenu et les modalités de conservation du dossier mentionné au 2° du même article L. 513-10-5 ;
« 4° Les informations que la personne responsable de la mise sur le marché met à la disposition du public en application de l’article L. 513-10-7 ;
« 5° Les modalités de mise en œuvre du système national de vigilance exercé sur les produits de tatouage prévu à l’article L. 513-10-8 ;
« 6° Les exigences de qualité et de sécurité des produits de tatouage et les règles relatives à leur composition. »
IV. – Le chapitre VII du titre III du livre IV de la même partie est ainsi modifié :
1° L’article L. 5437-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 5437-2. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait :
« 1° Pour la personne responsable d’établissement de fabrication, de conditionnement ou d’importation de produits de tatouage, d’ouvrir, d’exploiter ou d’étendre l’activité d’un établissement à de telles opérations, sans qu’ait été faite au préalable la déclaration à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou sans qu’aient été déclarées les modifications des éléments figurant dans la déclaration, prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 513-10-2 ;
« 2° Pour la personne responsable d’établissement de fabrication, de conditionnement ou d’importation de produits de tatouage, de diriger un établissement mentionné au 1° du présent article sans avoir désigné la ou les personnes qualifiées responsables conformément à l’article L. 513-10-2 ;
« 3° Pour la personne responsable de la mise sur le marché national du produit de tatouage, au sens du même article L. 513-10-2, de ne pas transmettre aux centres antipoison les informations mentionnées à l’article L. 513-10-6. » ;
2° Sont ajoutés des articles L. 5437-3 à L. 5437-5 ainsi rédigés :
« Art. L. 5437-3. – Les personnes physiques coupables des infractions définies à l’article L. 5437-2 encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° La diffusion de la décision de condamnation et celle d’un ou de plusieurs messages informant le public de cette décision, dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal ;
« 2° L’affichage de la décision prononcée, dans les conditions et sous les peines prévues au même article ;
« 3° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou du produit de la vente de cette chose, dans les conditions prévues à l’article 131-21 dudit code ;
« 4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, dans les conditions prévues à l’article 131-33 du même code ;
« 5° L’interdiction de fabriquer, de conditionner, d’importer et de mettre sur le marché des produits de tatouage pour une durée maximale de cinq ans.
« Art. L. 5437-4. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du code pénal, des infractions définies à l’article L. 5437-2 du présent code encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal :
« 1° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, dans les conditions prévues au 8° de l’article 131-39 du même code ;
« 2° L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication électronique, dans les conditions prévues au 9° du même article 131-39 ;
« 3° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, dans les conditions prévues au 4° dudit article 131-39.
« Art. L. 5437-5. – Le fait, pour la personne responsable de la mise sur le marché du produit de tatouage, au sens de l’article L. 513-10-2, de ne pas signaler, dès qu’elle en a connaissance et par tout moyen à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé les effets indésirables graves, dans les conditions mentionnées au I de l’article L. 513-10-8, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Est puni des mêmes peines le fait, pour le professionnel de santé ou la personne qui réalise des tatouages à titre professionnel ayant eu personnellement connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, d’un effet indésirable grave, au sens du même I, de s’abstenir de le signaler, sans délai, à l’agence. »
V. – L’article L. 5122-14 du code de la santé publique est abrogé.
VI. – L’article L. 5131-7 du même code, dans sa rédaction résultant de la présente loi, est abrogé à compter du 12 juillet 2020.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Jouanno, Dini, Férat et Morin-Desailly, M. Roche, Mmes N. Goulet et Goy-Chavent et MM. J. Boyer, Détraigne, Bockel, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Guerriau, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 9
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Sont suspendues la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout produit cosmétique comportant :
« 1° soit une des substances définies comme cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques de catégorie 2 au sens de la partie 3 de l’annexe VI du règlement CE n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1970/2006 ;
« 2° soit un perturbateur endocrinien présentant de probables effets sérieux pour la santé humaine, identifié dans les conditions fixées à l’article 59 du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 75/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. J’ai déjà évoqué cet amendement de Mme Jouanno, que j’ai cosigné, lors de mon intervention dans la discussion générale.
Pour appuyer notre proposition, je souhaite faire référence aux termes d’une étude réalisée sur une base de 15 000 produits d’hygiène et de beauté par l’institut de notation Noteo et le Réseau environnement santé, et rendue publique le 13 septembre 2013.
Selon ce travail, près de 40 % des produits d’hygiène et de beauté contiennent au moins un perturbateur endocrinien. Tel est le cas pour 74 % des vernis à ongles, 71 % des fonds de teint, 51 % des produits de maquillage pour les yeux, 43 % des démaquillants, 40 % des rouges à lèvres, 38 % des soins du visage, 36 % des déodorants, 30 % des dentifrices et 24 % des shampoings.
Faut-il rappeler que les perturbateurs endocriniens se définissent comme des substances chimiques interférant avec la régulation hormonale des êtres vivants ? Ils sont susceptibles de provoquer, même à très faibles doses, une grande variété d’effets, notamment sur le développement physiologique des individus exposés pendant la période intra-utérine. Ils sont notamment suspectés d’avoir un impact sur la fertilité et d’être liés à l’augmentation du nombre de cancers dits « hormonodépendants », principalement ceux du sein et de la prostate.
Parmi les perturbateurs endocriniens les plus fréquemment utilisés dans les produits d’hygiène et de beauté, on trouve les parabènes pour 23 % et le cyclopentasiloxane pour 15 %, le triclosan n’étant présent que dans 1,3 % des échantillons.
L’étude précisée souligne que l’on trouve souvent plusieurs de ces substances dans un même produit. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter notre amendement, qui vise à transposer de façon explicite dans notre droit l’interdiction d’utilisation dans les produits cosmétiques des substances classées CMR et des perturbateurs endocriniens. (M. Gilbert Barbier applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mmes Jouanno, Dini, Férat et Morin-Desailly, M. Roche, Mmes N. Goulet et Goy-Chavent et MM. J. Boyer, Détraigne, Bockel, Capo-Canellas, Vanlerenberghe et Guerriau, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 9
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Sont suspendues à compter du 1er janvier 2015 la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout produit cosmétique destiné aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes, aux nourrissons ou aux enfants jusqu’à trois ans comportant :
« 1° soit une des substances définies comme cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques de catégorie 2 au sens de la partie 3 de l’annexe VI du règlement CE n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1970/2006 ;
« 2° soit un perturbateur endocrinien présentant de probables effets sérieux pour la santé humaine, identifié dans les conditions fixées à l’article 59 du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 75/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Cet amendement de repli est plus restrictif que le précédent, dans la mesure où il ne concerne que les femmes enceintes et les enfants de moins de trois ans.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacky Le Menn, rapporteur. Ainsi que je l’ai souligné en commission des affaires sociales, ces amendements posent plusieurs questions de forme et de périmètre d’application. Je relève ainsi que le règlement auquel il est fait référence concerne l’information sur les substances, et non leur interdiction.
En l’état, ces amendements me paraissent contraires au droit européen. Les adopter serait donc sans effet, voire risquerait d’exposer la France à des sanctions. Cela pourrait également avoir un effet négatif immédiat sur l’industrie cosmétique française, sans garantir un renforcement de la sécurité de ces produits par rapport aux normes existantes.
Pour ces raisons, je suis, à titre personnel, défavorable à ces amendements. Il semble cependant que leur objectif soit de susciter un débat avec le Gouvernement sur l’importante question de la cosmétovigilance, que nous avons eu l’occasion d’évoquer lors de la discussion générale. Afin que nous puissions approfondir cette question, la commission des affaires sociales, qui a souhaité à l’unanimité que ces amendements soient présentés en séance publique, a décidé de s’en remettre à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Les produits cosmétiques, surtout ceux qui présentent un risque avéré, sont encadrés par une réglementation européenne très stricte. La législation française s’inscrit dans le même cadre. Elle prévoit ainsi que les produits classés en risque de niveau 1 ne peuvent être mis sur le marché et que, si tel a été le cas, ils doivent être retirés. Les autres sont évalués de manière permanente.
Je rejoins l’analyse du rapporteur, madame Dini. Je m’interroge moi aussi sur la compatibilité juridique de ces deux amendements avec le droit européen. Vous visez en effet une catégorie de produits clairement identifiée : ceux dont les caractéristiques appellent un retrait du marché.
J’appelle également votre attention sur la faisabilité de votre proposition. Nous parlons d’un domaine dans lequel les produits sont mis de façon quasi permanente sur le marché et contiennent un nombre très important de substances. Il nous faut, en réalité, examiner chacune d’entre elles. Les parabènes, par exemple, sont composés de substances très diverses.
Pour autant, loin de moi l’idée qu’il faudrait se désintéresser des problèmes de sécurité que posent les produits cosmétiques. Même s’ils sont à faible pénétration et ne mettent pas en cause les mêmes enjeux que les médicaments et les substances ingérables, il nous faut faire preuve de vigilance. Nous avons d’ailleurs souligné précédemment cette nécessité en nous demandant quelle agence pourrait assumer ce rôle de surveillance. Nous devons nous donner les moyens d’une alerte renforcée. C’est pour atteindre cet objectif que nous travaillons sur ces questions dans le cadre du plan national santé-environnement.
Pour ces motifs d’incompatibilité avec le droit européen et d’organisation des vigilances, je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Madame Dini, les amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié sont-ils maintenus ?
Mme Muguette Dini. Les perturbateurs endocriniens, qui sont présents non seulement dans des produits de beauté mais aussi dans des soins pour enfants, posent problème. Reste que j’ai compris toute la difficulté qu’il y aurait à mettre en place une cosmétovigilance plus complète et rigoureuse dans le présent texte. Mais il s’agissait pour nous de donner l’alerte.
Vous nous avez indiqué que la pénétration des produits cosmétiques était faible. Je tiens à préciser qu’elle n’est pas moins faible que celle de certains médicaments, très efficaces, qui agissent à travers la peau.
Cela étant, vous nous dites travailler sur cette question, à laquelle vous nous assurez ne pas être insensible. Lorsque vous aurez trouvé le moyen de limiter ou d’empêcher l’utilisation de perturbateurs endocriniens dans les produits cosmétiques, alors le moment sera venu de demander fermement à nos fonctionnaires et à ceux de Bruxelles de prendre en compte ces recommandations.
Pour l’heure, afin que nous puissions adopter un texte conforme, je retire ces deux amendements.
M. le président. Les amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié sont retirés.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je vous remercie d’avoir retiré vos amendements, madame Dini, et je tiens à vous indiquer que nous travaillons actuellement à l’élaboration d’une stratégie sur les perturbateurs endocriniens, en vue d’intégrer cette préoccupation dans le plan national santé-environnement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Suppression maintenue)
Article 5
(Non modifié)
I. – L’ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments est ratifiée.
II. – La cinquième partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° Au second alinéa de l’article L. 5124-1, la référence : « L. 5121-19 » est remplacée par la référence : « L. 5124-19 » ;
2° À l’avant-dernier alinéa de l’article L. 5125-33, les mots : « du pharmacien d’officine » sont remplacés par les mots : « de l’un des pharmaciens mentionnés au sixième alinéa » ;
3° L’article L. 5125-34 est ainsi rédigé :
« Art. L. 5125-34. – Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire. » ;
4° (Supprimé)
4° bis L’article L. 5125-40 est ainsi modifié :
a) Le mot : « doit » est remplacé par les mots : « ne peut vendre » ;
b) Après la première occurrence du mot : « France », la fin est ainsi rédigée : « que des médicaments mentionnés à l’article L. 5125-34 et bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché en France en application de l’article L. 5121-8 ou de l’un des enregistrements mentionnés aux articles L. 5121-13 et L. 5121-14-1. » ;
5° à 8° (Supprimés)
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
(Non modifié)
I. – L’article L. 5121-9-4 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 5121-9-4. – Le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament informe, immédiatement et en en précisant les motifs, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de toute action engagée, en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne, pour suspendre ou arrêter la commercialisation de ce médicament, pour solliciter le retrait de cette autorisation ou pour ne pas en demander le renouvellement, en précisant notamment si son action est fondée sur l’un des motifs mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 5121-9. Si son action est fondée sur l’un des mêmes motifs, il en informe également l’Agence européenne des médicaments.
« Lorsque l’une des actions mentionnées au premier alinéa du présent article est engagée dans un pays tiers et qu’elle est fondée sur l’un des motifs mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 5121-9, le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché en informe immédiatement l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et l’Agence européenne des médicaments, en précisant les motifs de son action. »
II. – Le premier alinéa de l’article L. 5124-6 du même code est ainsi modifié :
1° À la première phrase, après le mot : « informe », sont insérés les mots : « , en précisant les motifs de son action, » ;
2° À la troisième phrase, les mots : « la notification doit avoir lieu » sont remplacés par les mots : « l’information de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé se fait, de manière motivée, » ;
3° Après la troisième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Dans tous les cas, l’entreprise pharmaceutique précise si la suspension ou l’arrêt de commercialisation du médicament est fondé sur l’un des motifs mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 5121-9. » – (Adopté.)
Article 7
(Non modifié)
I. – L’article L. 5121-1-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l’article 19 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase, les mots : « européenne ou française » sont supprimés ;
2° À la dernière phrase, les mots : « la dénomination » sont remplacés par les mots : « le nom ».
II. – Après l’article L. 5121-1-3 du même code, il est inséré un article L. 5121-1-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 5121-1-4. – Lorsqu’elle est établie à la demande d’un patient en vue de l’utiliser dans un autre État membre de l’Union européenne, la prescription de l’un des médicaments mentionnés aux 6°, 14° et 15° de l’article L. 5121-1, à l’article L. 5121-3, ainsi qu’aux points a et d du 1 de l’article 2 du règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n° 726/2004, mentionne les principes actifs du médicament, désignés par leur dénomination commune internationale recommandée par l’Organisation mondiale de la santé ou, à défaut, par leur dénomination dans la pharmacopée, ainsi que le nom de marque et, le cas échéant, le nom de fantaisie du médicament prescrit. »
III. – Après le premier alinéa de l’article L. 5121-11 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans des conditions déterminées par voie réglementaire, un médicament mentionné au premier alinéa peut être marqué d’un pictogramme “Label éthique” indiquant qu’il est issu de sang ou de composants du sang prélevés dans les conditions définies aux articles L. 1221-3 à L. 1221-7. »
IV. – L’article L. 5211-6 du même code est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° Les modalités de délivrance des dispositifs médicaux prescrits dans un autre État membre de l’Union européenne ainsi que les modalités de prescription des dispositifs médicaux en vue de leur délivrance dans un autre État membre. » – (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans le texte de la commission.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions cribles thématiques
pratiques et réalités agricoles et code de la propriété intellectuelle
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur les pratiques et réalités agricoles et le code de la propriété intellectuelle, thème choisi par le groupe écologiste.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe.
La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le ministre de l’agriculture, au mois de décembre 2011, une loi a été adoptée, qui autorise enfin la pratique des semences de ferme et vient définir les bases d’un meilleur accès aux ressources génétiques, si importantes pour la biodiversité cultivée.
Nous savons tous que cette loi soulève encore des polémiques chez ceux qui sont opposés, par principe, à la propriété intellectuelle et qui ne souhaitent pas que les sélectionneurs soient rémunérés. Cependant, monsieur le ministre, nous pensons que les délais établis par votre ministère pour publier un certain nombre de décrets prévus par cette loi ne concourent pas à apaiser le climat.
Le Gouvernement a récemment annoncé que le décret sur les espèces autorisées en semences de ferme, dont nous avions souhaité dès 2011 qu’elles soient élargies au-delà des vingt et une espèces autorisées en Europe, paraîtra sous quinze jours. Au-delà, monsieur le ministre, il nous semble urgent d’élaborer le décret concernant la rémunération des sélectionneurs et, enfin, le décret sur la gestion par la France de ses ressources génétiques. Or cela fait près de deux ans que vous êtes à la tête de ce ministère. Espérez-vous y parvenir dans les trois ans qui viennent ?
Le Gouvernement ne doit pas entretenir les peurs. Il s’agit ici de ne pas pénaliser le modèle économique de nos industriels et de garantir l’indépendance semencière de notre pays face aux puissances économiques étrangères, qui disposent d’un cadre légal et réglementaire bien plus souple ; malheureusement, il en va de même dans de nombreux domaines, notamment dans l’aéronautique !
Monsieur le ministre, je vous remercie de nous indiquer les décisions que le Gouvernement compte prendre sur ce dossier très important.
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer cette séance de questions cribles thématiques en formulant une idée simple.
En ce qui concerne la problématique des semences, comme pour toutes les questions relatives à la génétique, notamment aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, de grâce, prenons soin d’éviter les caricatures. Il n’y a pas, d’un côté, les tenants de je ne sais quelle idée rétrograde sur la question des semences, et, de l’autre, ceux qui seraient les partisans du progrès parce qu’ils auraient fait un certain nombre de choix à un moment donné.
J’en viens à votre question, monsieur le sénateur. Vous avez évoqué deux décrets.
Le premier étend la liste des vingt et une semences bénéficiant actuellement d’une dérogation à treize autres semences de ferme, en particulier les sojas, les trèfles, les lupins, les pois.
Quant au second décret que vous avez mentionné et qui porte sur les questions liées à la reconnaissance des organisations faisant de la recherche et au financement de cette dernière, il n’est pas obligatoire. Autrement dit, le Gouvernement n’est pas tenu de le prendre. Nous avons décidé d’attendre que des discussions soient menées et qu’un accord interprofessionnel se dégage avant de publier un décret plus précis. C’est la règle que nous privilégions dans de tels cas.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Ce qui intéresse le monde agricole, c’est le second point que j’ai évoqué, à savoir la rémunération des sélectionneurs. Il faut faire avancer la réflexion et se méfier de la concurrence des grandes multinationales étrangères, qui est très dangereuse pour notre économie.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, chacun le sait, la France est le premier producteur européen et le deuxième exportateur mondial de semences.
Notre pays a une position particulière sur la brevetabilité du vivant. En effet, pour les semences, le système actuel de certificats d’obtention végétale convient à tous les acteurs, agriculteurs comme semenciers, grâce à la législation de 2011.
Pourtant, pour ce qui est des OGM, le dogmatisme l’emporte. La culture en est presque totalement interdite, mais on importe et on consomme du soja transgénique.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. C’est exact !
M. Aymeri de Montesquiou. Où est la cohérence ? Cette schizophrénie est totalement hypocrite.
M. Charles Revet. Elle ne concerne pas que ce seul domaine !
M. Aymeri de Montesquiou. Les grandes entreprises semencières françaises ont dû délocaliser leur recherche à l’étranger, surtout aux États-Unis, qui sont nos principaux concurrents. Cela induit une perte de savoir-faire et d’emplois, ainsi qu’un risque d’exclusion des marchés des semences.
La recherche agricole et agroalimentaire devrait être une priorité, notamment à travers l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, laboratoire d’excellence qui nous ouvre les applications pratiques d’une recherche éthique et encadrée. Faut-il laisser les brevets sur les végétaux aux multinationales américaines ?
Monsieur le ministre, comment pourrez-vous nous défendre dans les négociations sur l’accord transatlantique ? Les enjeux sont évidemment considérables : il s’agit de l’avenir alimentaire de la planète. Ne prenez-vous pas le risque de nous couper des marchés internationaux par dogmatisme ?
Comment comptez-vous amender votre projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que notre assemblée examinera prochainement, pour que ce texte ne nous coupe pas de la recherche, de l’innovation et de la prospective ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le sénateur, j’ai commencé cette séance de questions cribles thématiques en nous invitant mutuellement à éviter les caricatures. Votre question prouve que des progrès restent à faire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Si ce que vous dites était vrai, la France serait-elle aujourd’hui le premier producteur de semences d’Europe, ainsi que le troisième producteur de semences et le premier exportateur de semences du monde ?
Nous devons tout de même être objectifs et examiner la situation avec pragmatisme et réalisme. Les fameux organismes génétiquement modifiés, souvent vantés par certains, constituent-ils l’enjeu du marché mondial de la semence ? Si c’était le cas, notre pays n’occuperait pas la place qui est actuellement la sienne. Il la doit d’ailleurs non pas à de grandes firmes internationales, comme celles dont on entend souvent parler et qui viennent d’outre-Atlantique, mais à un tissu de PME-PMI efficace, qui répond à des objectifs extrêmement précis.
M. Jacky Le Menn. Oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il ne sert à rien de se retourner sur le passé ; nous devons au contraire nous projeter vers l’avenir et lancer les débats en conséquence.
Faisons en sorte de comprendre les enjeux qui nous attendent à l’échelle mondiale et d’y répondre : le défi alimentaire, la prise en compte de la préservation des ressources naturelles et notre capacité à augmenter notre production agricole. Tout le monde en est d’accord. Dès lors, les OGM résistant à tel ou tel herbicide sont-ils la réponse à ces défis ?
M. Joël Labbé. Non !
M. Stéphane Le Foll, ministre. J’en doute, d’autant que la réalité me donne plutôt raison.
Que se passera-t-il demain ? Je tiens à le dire ici, au Sénat : une page va se tourner. La question des OGM de la première génération va devenir obsolète et la recherche scientifique va ouvrir d’autres potentialités.
Cela étant, je ne remets pas en cause la pertinence des recherches génétiques. Je souligne seulement que la page des OGM résistant aux herbicides et des OGM pesticides va se tourner.
M. Joël Labbé. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Une autre va s’ouvrir. Je pense en particulier aux débats sur le riz doré et sur l’amélioration du niveau de vitamine A dans un certain nombre de céréales. Voilà un sujet qui répond à un enjeu d’intérêt général et non pas un enjeu de profits particuliers.
Je le répète : une page se tourne. Écrivons la nouvelle, ensemble. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour la réplique.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, je ne sais pas qui fait des caricatures !
Si je souhaite que l’INRA soit chargé de cette recherche éthique et encadrée, c’est parce que je constate que nous menons ces recherches à l’étranger, faute de pouvoir les faire en France. Je constate également que nous importons des semences que nous n’avons pas le droit de produire. Nous sommes là, à l’évidence, face à un paradoxe.
Monsieur le ministre, ni vous ni moi ne sommes des défenseurs forcenés d’un système ou d’un autre. Force est de reconnaître que certains interdits qui touchent nos semences risquent de nous couper d’un marché international considérable.
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le ministre, ma question porte sur les inquiétudes qu’a récemment exprimées le milieu agricole à l’occasion de la discussion au Parlement de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon, mais également du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, sur le risque de remise en cause du recours aux semences de ferme pour les agriculteurs. Ces inquiétudes ont pu être légitimement suscitées par le renforcement de la protection douanière et son extension aux certificats d’obtention végétale, les COV, prévus par cette proposition de loi.
Ainsi, le contrôle accru sur les droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales a pu s’apparenter à un dessaisissement pour les agriculteurs de leur droit à ressemer, sans autorisation du semencier, le produit de leur récolte obtenu grâce à la mise en culture de certaines variétés protégées.
Or l’avantage toujours mis en avant du certificat d’obtention végétale, tel qu’il a été conçu dès 1961, est que le monopole d’exploitation de la variété qu’il couvre ne vaut que pour l’exploitation de cette variété et ne fait pas obstacle à l’utilisation de celle-ci comme source de nouvelles variétés obtenues par croisement.
Par ailleurs, les prémices des débats autour du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ont souligné une attente largement partagée des agriculteurs pour défendre l’utilisation de semences de ferme sur leur propre exploitation, ce qui est autorisé par la loi. Qu’en est-il de l’échange de semences dans le cadre de l’entraide ou de la vente, dans la mesure où cette transaction de semences autoproduites d’une variété protégée par un certificat d’obtention végétale peut être qualifiée de contrefaçon ?
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que les semences de ferme sont toujours protégées par la législation nationale et que les agriculteurs ne seront pas susceptibles de se retrouver accusés du délit de contrefaçon s’ils utilisent ces semences sur leurs propres exploitations ou s’ils procèdent à des échanges dans le cadre de l’entraide ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Madame la sénatrice, je souhaite, là encore, rappeler la position qui guide mon ministère dans ce débat.
J’ai toujours défendu le système de la protection liée aux obtentions végétales. En effet, je le rappelle, dans le domaine du brevetage du vivant, si nous ne disposions pas de cette capacité forfaitaire de financement de la recherche, tôt ou tard, la capacité d’innovation serait réservée aux grands industriels et aux grandes entreprises. En l’occurrence, nous avons un système qui fonctionne et qui permet de financer la recherche, laquelle profite à tout le monde. Je continuerai donc à défendre ce système de l’obtention, qui me paraît le plus adapté aux enjeux de l’avenir.
En revanche, la question de la garantie à apporter aux semences de ferme a été abordée dans le cadre de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon : nous avons tout d’abord expliqué très clairement que les semences de ferme, dans les conditions définies par le code de la propriété intellectuelle, ne constituaient pas une contrefaçon.
Nous avons donc choisi d’exclure les semences de ferme des domaines dans lesquels des pouvoirs renforcés sont par ailleurs conférés par ce texte aux douanes en matière de retenues et de destructions – n’oublions pas qu’il s’agit d’un texte sur la contrefaçon.
Dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, nous avons explicité le fait que la présence fortuite accidentelle de matériel protégé par des droits de propriété intellectuelle dans des cultures, y compris des semences de ferme, ne constituait pas une contrefaçon.
En outre, nous avons permis, par le régime fiscal applicable aux échanges de semences, dans le respect de la réglementation de l’entraide que vous avez évoquée, madame la sénatrice, de réaliser ces échanges dans le cadre des groupements d’intérêts économiques et environnementaux, les GIEE.
De surcroît, au-delà même de ces textes législatifs en discussion, le décret qui élargit la liste des semences de ferme autorisées, transmis aujourd’hui même au Conseil d’État, ajoute treize espèces aux vingt et une qui existaient déjà, comme je l’ai indiqué précédemment.
Le plan « Semences et agriculture durable », au sein du projet agro-écologique lancé en décembre 2012, vient conforter ces choix stratégiques. Le cofinancement de la recherche sur le développement des variétés adaptées à l’environnement, dans le cadre des appels d’offres du projet CASDAR, le compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, va aussi dans ce sens.
Nous menons donc un travail de fond permanent pour mettre tous les acteurs autour de la table et aboutir à des solutions consensuelles et des accords interprofessionnels sur la rémunération de la recherche, comme je l’ai évoqué dans ma réponse à la question précédente.
Je le répète, nous voulons dépasser les oppositions et faire en sorte que les semences de ferme soient un droit pour les agriculteurs. Et rappelons-nous tout simplement que, si nous n’avions pas de financement de la recherche, seules les grandes industries pourraient financer des innovations, ce qui nous coûterait très cher. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux, pour la réplique.
Mme Renée Nicoux. Je vous remercie de ces précisions et clarifications, qui sont bienvenues, monsieur le ministre.
Nous attendons la suite des travaux dans ce domaine, qu’il s’agisse de l’utilisation des semences dans les exploitations ou de l’entraide, qui constitue une demande légitime de la part des professionnels.
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, la commission des affaires économiques a voté une proposition de résolution relative à la mise sur le marché et la brevetabilité des semences et obtentions végétales. Ce texte est devenu résolution du Sénat le 17 janvier 2014.
Dans sa version initiale transmise à la commission des affaires économiques, la proposition de résolution rappelait notamment que la priorité devait « être accordée à une protection par le certificat d’obtention végétale, le COV, et devait limiter les possibilités de protection par le brevet ».
Lors de l’examen en commission, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ont déposé un amendement afin de réaffirmer le principe de non-brevetabilité du vivant. En effet, nous souhaitions apporter des garanties pour protéger la liberté de la recherche, de la production et des échanges dans le domaine agricole.
Dans l’alinéa 18 de la résolution, issu de l’un de nos amendements, le Sénat affirme « son attachement au caractère non brevetable des plantes issues de la sélection génétique, tout particulièrement dans le cas de plantes obtenues par des procédés d’amélioration classique, et exclut en conséquence les plantes comme les variétés du domaine de la brevetabilité ».
Monsieur le ministre, nous aimerions nous assurer que vous partagez les recommandations du Sénat. Comment allez-vous garantir qu’elles s’appliqueront avec rigueur, malgré la pression des compagnies de biotechnologies transnationales et des États-Unis dans le cadre des négociations du traité transatlantique ?
Portée par le G20, l’initiative pour le blé est présidée par la France. Comment y promouvoir cette position ? Enfin, comment envisagez-vous de traduire ce principe essentiel pour les pratiques agricoles dans les missions particulières concernant la création variétale des différents services d’État et opérateurs publics ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le sénateur, il est vrai que la frontière entre les systèmes d’obtention et de brevetage doit être précisée.
Des travaux ont justement été engagés pour mieux articuler ces deux systèmes, qui correspondent à des choix assez différents – je rappelle que l’obtention permet ensuite d’utiliser et de développer un certain nombre de semences, alors que le brevetage rend difficile ce processus, sauf à acquitter des droits.
Une discussion sur ce sujet associe depuis 2013, au sein du Haut Conseil des biotechnologies, la Confédération paysanne et le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, le GNIS : elle donnera lieu, à la fin du mois d’avril prochain, à un colloque dont j’assurerai moi-même la conclusion.
Deux sujets principaux sont en débat. Il s’agit tout d’abord de veiller à l’articulation claire du champ du brevet avec celui du COV, ainsi qu’à l’encadrement du champ du brevet. C’est, je crois, votre souhait, monsieur le sénateur. Il s’agit ensuite de veiller à ce que tous les acteurs du secteur, y compris les agriculteurs qui utilisent des semences, soient clairement informés des droits de propriété attachés aux semences qu’ils utilisent. Cette diffusion transparente des informations à l’endroit des utilisateurs constitue le deuxième axe du plan « Semences et agriculture durable ».
Un travail approfondi est donc engagé sur ce sujet à l’échelon national, mais je crois qu’une tâche de même nature devra également être entamée à l’échelle européenne, où l’on peut attendre des progrès et des clarifications.
Par ailleurs, dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, nous avons soutenu un amendement qui vise à exclure de la portée des brevets relatifs à une information génétique sur le végétal toute présence fortuite ou accidentelle dans une culture.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour la réplique.
Mme Annie David. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je souhaitais, avec Michel Le Scouarnec et les membres de mon groupe, attirer particulièrement votre attention sur les dérives des droits attachés à la propriété intellectuelle, couplées à l’essor des biotechnologies, dont vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, les conséquences graves sur les pratiques et la recherche agricoles.
Vous le savez, des contentieux sont en cours à l’échelon européen, notamment en raison de la politique menée par l’Office européen des brevets, qui, en mai dernier, octroyait par exemple à Syngenta un brevet garantissant à la firme suisse les droits exclusifs sur un poivron issu du croisement entre un poivron commercialisé et une variété originaire de Jamaïque, connue pour sa capacité à résister à plusieurs insectes nuisibles. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Monsieur le ministre, si ce brevet n’est pas annulé, il empêchera d’autres sélectionneurs d’utiliser librement cette variété, même s’il ne s’agit là en aucun cas d’une « invention ».
Nous sommes satisfaits que vous nous ayez entendus, puisque l’INRA s’est également positionné, à nos côtés, contre la brevetabilité des plantes et des gènes natifs. La charte de propriété de l’Institut est en cours de révision et nous espérons que vous vous en inspirerez, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je profite tout d’abord de cette question pour saluer tous nos concitoyens qui nous regardent et qui sont, paraît-il, de plus en plus nombreux. Je me réjouis qu’ils s’intéressent à nos débats. (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
Ma question portera aujourd’hui sur les efforts nécessaires de recherche agronomique portant sur le développement de variétés de semences et de plants adaptés à des systèmes agri-alimentaires innovants, en cohérence avec les nouvelles orientations agro-écologiques inscrites dans la loi d’avenir agricole.
La diversité génétique participe d’une meilleure utilisation de la biodiversité dans les systèmes agricoles. Elle permet de réduire les risques de maladies, de stabiliser, voire d’augmenter les rendements et d’améliorer la résilience des systèmes de production.
Or la sélection végétale, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, est au service quasi-exclusif du mode de production de l’agriculture intensive, grande consommatrice d’intrants chimiques. Pour accompagner le développement de nouvelles pratiques agro-écologiques, économes et autonomes, liées aux terroirs, il est nécessaire de disposer de variétés adaptées.
Nombreux sont les paysans qui attendent un véritable effort en ce sens de la sélection professionnelle, notamment du service public, dont c’est le rôle. Parallèlement, des initiatives paysannes cherchent à redévelopper les variétés locales, parfois à adapter de nouvelles espèces et à retrouver une autonomie vis-à-vis de la production, de l’utilisation et de la conservation des semences.
Malgré tout l’intérêt qu’elles représentent, ces nombreuses expériences de recherche coopérative ou participative, qui placent le développement de l’innovation paysanne au cœur de leurs objectifs, ne bénéficient pas, faute de chercheurs dédiés, du soutien suffisant des organismes de recherche publique.
En matière de sélection végétale, la collaboration du monde de la recherche avec la société civile et le monde paysan apparaît pourtant indispensable, tant le potentiel d’innovation est important.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, quels moyens vous comptez mettre en œuvre pour impliquer davantage nos organismes de recherche nationaux sur cette question, à l’instar de ce que l’on voit dans certains pays européens, bien plus avancés que le nôtre dans le domaine de la recherche sur les agricultures alternatives.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur Labbé, je souhaite tout d’abord vous préciser que nous publierons, à l’occasion du salon de l’agriculture, un document intitulé Les Dix Points clés pour comprendre l’agro-écologie, dans lequel sera abordée la question des semences.
Le plan « Semences et agriculture durable », qui déclinera les orientations que nous avons évoquées, mobilisera près de 1,33 million d’euros par an. Les principales thématiques des appels à projets lancés dans le cadre de ce plan semences et agriculture durables porteront justement sur les préoccupations agro-écologiques, pour déterminer comment engager ce processus à travers la mobilisation de la recherche et des semences, afin de stimuler la mobilisation des acteurs de la recherche publique et privée française sur le développement de variétés, de semences et de plants adaptés à des systèmes agricoles et alimentaires innovants.
Je rappelle que la France s’est engagée, à l’échelle mondiale, avec la FAO, dans l’organisation d’un grand colloque sur l’agro-écologie. Un processus national, européen et international est donc enclenché.
L’appel à projets pour 2014, qui a été lancé le 23 décembre 2013 et qui se clôt le 5 mars 2014, s’intitule ainsi Développer des variétés, des semences et des plants adaptés à des systèmes agri-alimentaires innovants, en réponse au changement de modèle agricole.
Seront retenus en priorité les projets permettant de favoriser un renforcement de l’orientation du progrès génétique vers les variétés adaptées à des conduites culturales diversifiées, permettant notamment de répondre à l’objectif de réduction des intrants. Il s’agit aussi d’un objectif économique, qui concourt à l’innovation : moins la production nous coûtera, plus nous pourrons être compétitifs. Les décisions que nous prenons en matière d’environnement rejoignent donc nos choix de compétitivité économique.
Les approches systèmes seront privilégiées – vous savez que je suis très attaché à cette idée –, ainsi que les projets permettant d’identifier, d’exploiter et de potentialiser les interactions positives avec les autres leviers de ces actions.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. J’entends votre réponse volontariste, monsieur le ministre.
Ma collègue Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, me rappelle que la loi prévoit désormais que les organismes publics de recherche doivent contribuer aux recherches participatives.
Je rappellerai également que notre grand service public de l’INRA compte moins de 100 équivalents temps plein dédiés à l’agriculture bio sur plus de 7 500 titulaires ! Il reste donc beaucoup à faire, et nous espérons pouvoir compter sur votre volontarisme.
Vous avez également évoqué les appels d’offres. Or l’immense majorité des appels à projets de recherche excluent de fait les associations paysannes et la société civile, qui ne disposent pas des moyens financiers et administratifs exigés. Les partenariats public-privé sont réservés aux entreprises privées susceptibles de bénéficier d’un retour sur investissement issu de droits de propriété intellectuelle qui interdisent les pratiques paysannes collaboratives. Une telle situation mériterait d’être corrigée, me semble-t-il.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez déjà en grande partie répondu à la question que je voulais vous poser.
Je me réjouis tout d'abord que les chiffres illustrant le dynamisme remarquable de nos entreprises de semences et de plants aient été mentionnés ; vous avez eu raison, monsieur le ministre, de les souligner. En 2011, le groupe RDSE a voté la loi relative aux certificats d’obtention végétale. Selon nous, en effet, celle-ci consolidait un modèle de protection de la propriété industrielle moins mauvais que celui qui est fondé sur le brevet, qui verrouille la recherche de façon dramatique.
Le savoir-faire de l’agriculteur, sa volonté patiente et ses choix de rotation ont contribué à la conservation in situ des semences, ainsi qu’à la préservation et, surtout, au renouvellement, de la biodiversité cultivée. C’est pourquoi nous considérions qu’il fallait étendre l’autorisation au-delà des vingt et une espèces recensées à l’échelon européen ; vous avez indiqué, monsieur le ministre, que votre projet prévoyait d’en ajouter treize.
Pour nous, il fallait aussi, au minimum, exonérer de la contribution volontaire obligatoire les agriculteurs utilisant des semences de ferme à des fins d’autoconsommation ou pour des cultures réalisées en application d’obligations environnementales. À cet égard, il semble que des avancées figurent dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ; nous saurons revenir sur la question lorsque ce texte sera soumis à l’examen du Sénat.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050 ; dans cette perspective, nous estimons qu’il y a place pour des modèles culturaux et culturels divers.
Nous devons reconnaître le droit fondamental des agriculteurs à être les inventeurs de leurs choix agronomiques. Nous devons aussi privilégier une logique de complémentarité sur une logique de défiance et d’accaparement.
Monsieur le ministre, pouvez-vous rassurer les agriculteurs au sujet des moyens que vous comptez mettre en œuvre pour sauvegarder l’utilisation des semences de ferme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Dans mes réponses aux précédents orateurs, j’ai déjà apporté un certain nombre de précisions touchant à la question que vous soulevez, monsieur le sénateur.
Il faut se représenter que, pour les semences couvertes par un COV, 15 % de ce qui est collecté sert à financer la recherche. S’il y a un secteur qui fournit un effort collectif d’investissement dans la recherche, c’est bien le secteur semencier français ! Je pense qu’il est très important de favoriser la diversité, au lieu de ne choisir qu’un petit nombre de variétés.
Lorsque je me déplace à l’étranger, je mesure que les semences françaises sont très demandées et que leur qualité est très prisée. De même, l’expérience et l’expertise des entreprises françaises dans ce domaine sont extrêmement recherchées.
Au début de la semaine, un débat a été organisé réunissant l’ensemble des professionnels et nos amis marocains. Tous les participants ont loué la collaboration que nous avons lancée avec le Maroc pour développer des semences adaptées à des climats spécifiques.
J’y insiste, l’innovation et la recherche sont des enjeux essentiels. Nous devons également être ouverts à l’ensemble des modèles possibles et préserver la possibilité des semences de ferme.
Prises dans leur ensemble, ces mesures forment un dispositif très efficace sur les plans économique, écologique et social. La France est, dans ce domaine, le premier exportateur mondial : preuve que ce modèle fonctionne ! À nous d’être capables d’anticiper les besoins de demain et d’y répondre.
J’ajoute, en ce qui concerne le CASDAR, que plus d’un million d’euros seront alloués au plan « Semences et agriculture durable » afin de favoriser la recherche. Je répète que, dans ce secteur, 15 % de ce qui est collecté est réinvesti dans la recherche.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall, pour la réplique.
M. Raymond Vall. Monsieur le ministre, votre réponse me satisfait, ainsi que les membres de mon groupe. Je salue votre courage ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un sujet aussi étroitement circonscrit, il est inévitable que les différentes questions se ressemblent.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est toujours la même question !
M. Rémy Pointereau. En écoutant vos réponses, monsieur le ministre, nous avons bien compris que le gouvernement auquel vous appartenez n’est pas favorable à la brevetabilité des gènes « natifs », c’est-à-dire des gènes qui sont découverts à l’intérieur d’une espèce. Telle est également, depuis 2011, la position des semenciers français.
Dès l’origine, le Sénat a posé des questions au sujet de la brevetabilité des inventions biotechnologiques introduites dans les variétés végétales. Ainsi, nous avons fait reconnaître « l’exception de sélection » dans le cadre de la transcription de la directive 98/44/CE sur les inventions biotechnologiques ; ce principe a été repris dans le cadre du brevet unitaire européen par le précédent gouvernement, mais aussi, heureusement, par le gouvernement actuel.
Un problème persiste néanmoins en ce qui concerne les gènes natifs et le brevet sur ces gènes. En effet, un obtenteur qui intégrerait un gène breveté dans sa variété serait dans l’obligation de s’entendre avec le propriétaire du brevet pour faire l’exploitation commerciale de celle-ci : or, comme vous vous en doutez, ce serait très difficile.
Au-delà des déclarations de principe, quelles démarches comptez-vous entreprendre, monsieur le ministre, pour introduire dans la loi française et dans la réglementation européenne le principe de non-brevetabilité des gènes natifs ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Au sujet des gènes natifs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à être extrêmement précis, car votre travail dans ce domaine illustre l’expertise aiguë dont sait faire preuve votre noble assemblée.
Une discussion est en cours à l’échelle européenne à propos des semences. De fait, dans ce domaine, la législation ne pourra pas être purement nationale.
Monsieur Pointereau, vous avez eu raison de soulever la question des gènes natifs, car c’est un problème sérieux. Dans le cadre des travaux qui ont été entrepris par le Haut Conseil des biotechnologies et avant le colloque qui sera organisé en avril prochain, auquel participeront notamment le Groupement national interprofessionnel des semences et plants et la Confédération paysanne, nous devrons tirer les conclusions des travaux qui sont en cours, en particulier sur la question des gènes natifs.
À propos du brevetage de ces gènes, nous devons conduire à l’échelon national un travail d’anticipation et de réflexion approfondie sur l’articulation des brevets des certificats d’obtention végétale, afin d’être en mesure de faire entendre notre voix à l’échelle européenne. En effet, c’est à cette échelle, grâce à la législation communautaire, que la question devra être traitée.
Il faut éviter que l’on puisse trouver un végétal en quelque endroit du monde, intégrer sans innovation véritable l’un de ses gènes dans une autre plante et, après avoir déposé un brevet, considérer qu’on a un droit de propriété. Il y a là un vrai problème ! (Mme Annie David acquiesce.)
Ce problème, nous allons en discuter. Ensuite, il faudra que nous soyons suffisamment forts pour peser à l’échelle européenne, afin de prévenir les risques que vous venez de signaler, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir constaté que le Sénat était une chambre d’experts,…
M. Rémy Pointereau. … mais je pense que vous le saviez déjà ! (Sourires.)
La loi sur les certificats d’obtention végétale, dont j’ai été le rapporteur, constitue une bonne boîte à outils pour protéger la recherche en création variétale. De fait, elle permet un accès totalement libre à ces variétés, de sorte que quiconque peut créer de nouvelles variétés à partir de variétés déjà commercialisées. Ainsi, tout le monde se trouve sur un pied d’égalité.
Au contraire, le système du brevet bloque l’accès aux variétés, empêchant la création de variétés nouvelles ; à la vérité, il n’est adapté que pour les OGM, qui sont de véritables inventions, puisqu’ils résultent de l’introduction dans un végétal d’un gène commandant, par exemple, un insecticide ou la résistance à un herbicide.
Il faut que les chercheurs, les sélectionneurs et les agriculteurs jouent gagnant-gagnant. Pour cela, il convient de favoriser la recherche, d’autant plus que la nécessité de nourrir la planète entraînera des besoins croissants. Il importe aussi que chaque acteur puisse percevoir une juste rémunération.
Le système de protection de l’obtention végétale encourage davantage la recherche variétale que le brevet : il permet de protéger sans confisquer !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la proposition de règlement que la Commission européenne a présentée au mois de février 2013 en ce qui concerne l’enregistrement des obtentions végétales.
Ce document vise à réunir dans un seul règlement, qui est un texte d’application immédiate, une quinzaine de directives différentes ; l’idée est bonne, car ces directives forment un ensemble confus et assez complexe à appliquer.
Outre une amélioration de l’enregistrement des variétés et de la certification des semences, ce projet de règlement prévoit d’allonger la durée de protection de dix à trente ans, ce qui est considérable ; enfin, il traite de divers autres sujets, en particulier des semences de niche et des variétés anciennes tombées en désuétude.
Les enjeux sont importants pour la France, qui, je le répète, est l’un des principaux pays producteurs et exportateurs de semences. Le Sénat a exprimé certaines réticences au sujet de cette proposition de règlement : les actes délégués donnent à la Commission européenne la maîtrise complète du processus d’application, la durée de trente ans paraît trop longue et les aspects forestiers doivent relever d’autres modes de protection. Du reste, j’observe que le Parlement européen est lui-même très réticent.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement au sujet de cette proposition de règlement, et comment voyez-vous l’avenir de ce texte ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur Yung, vous avez rappelé que la Commission européenne a mis en débat une proposition de règlement ; ce document fait partie de la discussion sur le cadre juridique général de l’obtention et du brevetage, mais il n’a pas vocation à en marquer l’aboutissement.
Avant-hier, cette proposition de règlement a été rejetée par la commission de l’agriculture du Parlement européen.
Le Gouvernement est favorable à une simplification et à une modernisation du droit dans ce domaine.
M. Charles Revet. Il y a du travail !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je pense que nous pouvons tomber d’accord sur ce point.
Nous sommes évidemment favorables aux dispositions qui sont cohérentes avec la politique nationale du plan « Semences et agriculture durable », en particulier à celles qui visent à intégrer la dimension environnementale dans les critères d’examen de la performance des variétés en vue de leur mise sur le marché.
En revanche, il est vrai que les actes délégués placent la Commission européenne dans une position extrêmement favorable ; vous avez rappelé la position du Sénat à cet égard.
Si j’en juge par la décision prise récemment par la Commission européenne d’autoriser le maïs TC1507 du groupe Pioneer, alors que le Parlement européen, à une large majorité, avait voté contre cette autorisation et que dix-neuf pays sur vingt-sept s’y étaient également opposés – quatre autres, et non des moindres s’étant abstenus –, je suis, comme vous, monsieur Yung, extrêmement prudent au sujet de la latitude d’action que les actes délégués doivent laisser à la Commission européenne.
Si donc nous soutenons les objectifs de modernisation et de simplification, ainsi que la prise en compte de la dimension environnementale, nous serons extrêmement vigilants sur les conditions d’application du nouveau dispositif.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour la réplique.
M. Richard Yung. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Nous partageons votre sentiment. Sur le fond, la Commission a été trop timide, en affirmant insuffisamment la primauté du certificat d’obtention végétale dans le système européen. Les États-Unis, en effet, utilisent uniquement le brevet. De fait, il existe donc un combat entre l’Europe et les États-Unis sur cette question, qui fera d’ailleurs l’objet du débat transatlantique.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur un point : la Grande Chambre des recours de l’Office européen des brevets doit rendre, dans les mois qui viennent, une décision sur le fond concernant le brocoli et la tomate. Cette décision posera les fondements de la politique de séparation du brevet et du COV. Comme l’a excellemment dit M. le ministre, les choses se passent donc au niveau non pas français, mais européen.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, m’éloignant quelque peu du sujet des semences, je souhaite attirer votre attention sur les moyens juridiques donnés à la lutte contre la contrefaçon de produits phytosanitaires.
Les importations parallèles et les fraudes aux pesticides sont de véritables fléaux, qui entraînent la diffusion de substances actives non autorisées sur notre territoire. Celles-ci peuvent mettre gravement en péril la santé des utilisateurs, avoir des effets dramatiques sur l’environnement et l’alimentation et causer un préjudice aux entreprises.
Dans le cadre de la mission commune d’information sur les pesticides, nous avons été alertés à de nombreuses reprises sur ce sujet, notamment lors d’une table ronde juridique tout à fait passionnante. Les intervenants ont mis en lumière l’existence de véritables trafics assimilables au grand banditisme, parfois basés dans des laboratoires clandestins.
La lutte contre ces réseaux passe naturellement par un renforcement de la coopération européenne, du soutien logistique et des possibilités de contrôle accordées aux équipes de police, de douane et de justice. Toutefois, en amont, une réflexion sur notre cadre juridique en la matière semble nécessaire, car l’attractivité de ces trafics est renforcée par le manque d’harmonisation de nos dispositifs nationaux. En effet, pour ce type d’infraction, le juge peut se référer à divers codes : le code de la propriété intellectuelle, le code rural, le code de l’environnement, le code de la consommation, ou encore celui des douanes.
Les sanctions encourues sont très variables. Ainsi, une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende est prévue dans le code rural ; elle est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 500 000 euros d’amende dans le code de la propriété intellectuelle.
Pour constituer une réponse efficace aux réseaux de contrebande, il semble important d’ajouter qu’une telle harmonisation législative devrait se faire par le haut, afin que la sanction puisse représenter un signal judiciaire suffisamment dissuasif, face à un commerce illégal susceptible de procurer des gains tout à fait considérables.
Par conséquent, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir m’indiquer votre sentiment sur cette nécessaire harmonisation, ainsi que votre position sur un éventuel soutien à une initiative parlementaire de ma part allant en ce sens, dans le cadre de l’examen à venir de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Madame la sénatrice, je tiens à préciser deux choses.
La première, c’est que, sur ce sujet très important qui n’est pas directement lié aux semences, l’article 23 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que nous examinerons bientôt ensemble, apportera des réponses, au travers de l’obligation renforcée d’enregistrement des produits phytosanitaires au moment de leur vente ou de leur achat. Il s’agit de préciser le numéro de lot et la date de fabrication, entre autres. Cela permettra d’améliorer la traçabilité des produits des filières frauduleuses.
La seconde concerne la position européenne, dont l’évolution est positive. En effet, à la suite de l’affaire de la viande de cheval, l’Europe a décidé de renforcer les contrôles sur les fraudes. À la demande de la France, à l’époque, on avait mobilisé Europol et Eurojust. L’Europe et la Commission européenne ont décidé de mettre en place un système de contrôle et de surveillance effectif et permanent, en coordonnant les actions d’Europol et Eurojust.
J’en viens à votre question sur la nécessité de renforcer les sanctions. Dans le cadre de l’examen prochain, par le Sénat, de la loi d’avenir pour l’agriculture, j’attends, madame la sénatrice, les propositions que vous me ferez.
Je suis tout à fait favorable à ce que la fraude, dans ce domaine comme dans d’autres, soit sanctionnée durement. Il n’y a aucune raison, vous l’avez dit, pour que les niveaux des sanctions soient différents selon le code dont les fraudes relèvent. La situation doit être claire et nette : celui qui fraude, c’est celui qui triche, en mettant en difficulté tous les autres.
Je me tiens donc à votre disposition pour renforcer les sanctions en améliorant la loi.
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.
Mme Sophie Primas. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. Je saisirai donc la balle au bond. Toutefois, je veux insister une nouvelle fois sur l’urgence et l’utilité de cette harmonisation.
Je précise, à titre d’exemple, que l’un des avocats que nous avions auditionnés dans le cadre de la mission d’information avait souligné le cas de récents contentieux, instruits au tribunal de grande instance de Saint-Gaudens et à la cour d’appel de Toulouse, pour lesquels les sanctions prononcées n’avaient été que de très petites peines d’amendes, atteignant au maximum 2 000 euros, une somme qu’il convient de comparer aux gains suscités par ces fraudes.
De telles sanctions sont bien évidemment très insuffisantes au regard de la fraude et du signal que nous donnons, mais aussi de l’énergie et de la mobilisation importante de la brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, que nous devons saluer.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur les pratiques et réalités agricoles et sur code de la propriété intellectuelle.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Dépôt d’un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l’évolution des départs pour l’étranger et des retours en France des contribuables, ainsi que l’évolution du nombre de résidents fiscaux, établi en application de l’article 29 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances.
5
Assistance médicalisée pour une fin de vie digne
Renvoi à la commission d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, la discussion de la proposition de loi relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne, présentée par Mme Corinne Bouchoux et plusieurs de ses collègues (proposition n° 182, résultat des travaux de la commission n° 337, rapport n° 336).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Corinne Bouchoux, auteur de la proposition de loi.
Mme Corinne Bouchoux, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un travail collectif qui a commencé il y a des années au Sénat – bien avant notre propre élection –, sous la houlette de sénatrices et de sénateurs de différentes sensibilités, auxquels je souhaite ici rendre hommage. Ce texte aurait pu être la loi Blandin ou la loi Desessard ; il se trouve que le premier signataire porte aujourd'hui un autre nom, et c’est assumé.
Onze des douze sénatrices et sénateurs écologistes ont cosigné ce texte relatif au choix libre et éclairé d’une assistance – médicalisée pour le moment – pour une fin de vie digne. Le mot « médicalisé » pourrait d’ailleurs ne pas figurer dans ce texte, car il s’agit, selon nous, d’une loi de liberté publique qui dépasse, et de loin, la sphère médicale.
Il ne s’agit en rien de ce que certains de nos détracteurs, qui n’ont pas lu cette proposition de loi, veulent parfois laisser dire. Il ne s’agit en aucun cas d’insécuriser nos aînés qui vivent dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou chez eux ; il s’agit seulement, dans des conditions particulières, de permettre à chacune et à chacun de choisir librement sa fin de vie, quand des circonstances bien spécifiques sont remplies.
Le XXe siècle, en France en tout cas, a été celui de l’accès aux droits égaux entre hommes et femmes. Cela a suscité, notamment ici, de longs et difficiles débats. Nous pensons qu’il en sera de même de ce sujet. Un jour, la raison l’emportera.
Concernant le choix de la fin de vie, les sondages de ces vingt dernières années sont concordants. Les personnes interrogées, pour une immense majorité – 92 % – d’entre elles acceptent l’idée que chacun puisse, en cas de maladie très grave et irréversible, avoir la possibilité de choisir une fin de vie digne.
Ce combat, car il s’agit bien d’un combat, a été porté par des illustres et des inconnus ; certains ont mis en application leurs idées, d’autres sont morts sans que cette question se soit posée à eux.
C’est parce que nous croyons au rôle du législateur que nous avons élaboré ce texte et que nous l’avons présenté avec des membres d’autres familles politiques le 5 février dernier, lors d’une conférence de presse.
À l’Assemblée nationale, par la voie de la députée Véronique Massonneau, que je salue, les écologistes, en juin 2013, ont déposé une autre proposition de loi, différente de la nôtre, visant à inscrire le suicide assisté et l’euthanasie dans la loi. Cette possibilité existe dans d’autres pays, très voisins du nôtre.
Notre proposition de loi encadre très strictement l’assistance pour mourir. En inscrivant ce texte à l’ordre du jour du Sénat lors de son espace réservé de ce jour, le groupe écologiste du Sénat souhaite qu’ait lieu un véritable débat, serein, sur ce sujet.
Aujourd’hui, il faut bien regretter les difficultés et les retards que connaît l’organisation de la prise en charge de la fin de vie dans notre pays. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », a permis d’indéniables avancées, mais elle ne suffit pas à répondre à de nombreuses situations. Tout le monde est d’accord sur ce point.
Il arrive parfois que les proches des patients qui sont aujourd’hui laissés seuls face à la fin de vie se déchirent et s’engagent dans de terribles querelles. Les familles ont besoin de réponses.
La proposition de loi vise à remettre le patient ou le citoyen au cœur du dispositif et à lui donner le droit de choisir librement sa fin de vie, dans la dignité, et à assurer un accès universel aux soins palliatifs, sans opposer, comme certains voudraient le faire, ces deux logiques différentes.
La procédure proposée s’assure du caractère libre et éclairé de la demande et prévoit le respect des directives anticipées, qui sont encore aujourd’hui trop souvent considérées comme de simples souhaits, dans le cas où la personne serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.
C’est en dix articles que nous tentons de répondre à la situation si complexe de la fin de vie.
L’article 1er inscrit le droit au respect de la liberté individuelle du patient dans le code de la santé publique. Le bénéfice d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne est possible.
L’article 2 reconnaît le droit d’obtenir une assistance médicalisée pour mourir à toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, dès lors qu’elle se trouve dans une situation grave ou à tendance très invalidante et incurable, qui lui inflige une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable qu’elle ne peut supporter.
Aux termes de l’article 3, la mort médicalement assistée sera considérée comme une mort naturelle, afin de lever toute ambiguïté juridique concernant, notamment, les contrats auxquels la personne est partie.
L’article 4 détermine la procédure de mise en œuvre d’une assistance médicalisée pour mourir pour les personnes capables d’exprimer leur volonté. Il prévoit une procédure de contrôle de la situation médicale et de la volonté de la personne par deux médecins, qui doivent vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et constant de la demande et lui faire part des possibilités thérapeutiques et des solutions de substitution en matière d’accompagnement de fin de vie.
Le médecin assistera lui-même la personne dont la volonté est établie après l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la confirmation de la demande. L’intéressé peut demander à abréger ce délai si le médecin estime que c’est de nature à préserver la dignité de la personne. Surtout, le patient peut bien sûr à tout moment renoncer à la procédure mise en œuvre, s’il le souhaite.
L’article 5 instaure l’obligation de respecter les directives anticipées d’une personne. Celles-ci indiquent les circonstances dans lesquelles ladite personne désire bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir et désignent la ou les personnes de confiance chargées de sa représentation.
Les directives anticipées, ainsi que le nom de la ou des personnes de confiance, sont enregistrées sur la carte Vitale des assurés sociaux. L’article prévoit également la création d’un fichier national des directives anticipées, géré par un organisme indépendant des autorités médicales.
Les articles 6 et 7 adaptent la procédure au cas où la personne, incapable de s’exprimer, a pu établir des directives anticipées et a désigné une personne de confiance. Un système de contrôle sera évidemment mis en place pour vérifier la validité de ces directives.
L’article 8 reconnaît aux professionnels de santé une clause de conscience s’ils ne souhaitent pas participer à une procédure d’assistance pour mourir. Le médecin qui refuse d’apporter son concours doit, dans un délai de deux jours, s’assurer de l’accord d’un autre praticien et lui avoir transmis le dossier.
L’article 9 réaffirme le droit d’accès universel aux soins palliatifs et à un accompagnement de toute personne en fin de vie qui le demande.
L’article 10 gage les éventuelles conséquences financières.
Mes chers collègues, la personne humaine est au cœur du dispositif proposé dans ce texte. Le respect également. Cette proposition de loi entend encadrer la fin de vie et protéger le patient, car elle place le citoyen au cœur de toutes les décisions.
Ces dernières années, notamment grâce aux malades du SIDA, grâce à ceux qui luttent parfois de très nombreuses années contre le cancer ou d’autres maladies graves, grâce à un certain nombre des patients, un autre regard a enfin été porté sur l’accès aux soins et sur l’attitude face à la fin de vie. Cette proposition de loi n’impose rien à personne ; elle permet à ceux et à celles qui l’ont décidé, tant qu’elles le peuvent, d’avoir une fin de vie digne et choisie.
Je remercie toutes celles et tous ceux, notamment l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD, Jean-Luc Romero et notre collègue Guy Fischer, qui portent ce combat depuis des années.
Aujourd’hui, nous voudrions, avec d’autres collègues, ouvrir une discussion qui pourra être poursuivie dans un autre format. Nous voulons un débat digne, sans instrumentalisation, avec l’idée que, quand on n’a plus que l’amour en partage au soir du grand voyage, on puisse choisir paisiblement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Yann Gaillard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues – je salue également les personnes présentes dans les tribunes, parmi lesquelles l’un de nos collègues –, la commission des affaires sociales ne s’est pas prononcée sur le texte ; par conséquent, en tant que rapporteur, je ne pourrai pas vous indiquer quelle est sa position.
En effet, elle a décidé, sur la proposition de Jean-Pierre Godefroy, de déposer une motion tendant au renvoi de cette proposition de loi en commission.
Ce choix a été fait afin d’approfondir l’analyse des différentes propositions émanant de l’ensemble des groupes politiques. Ainsi, nous pourrons également tenir compte de l’avis rendu en février 2013 sur certaines d’entre elles par le Conseil d’État, à la demande de M. le président du Sénat. Nous espérons que les auteurs de ces propositions de loi nous feront part des remarques formulées par la haute juridiction administrative.
La proposition de loi du groupe écologiste s’inscrit dans la continuité d’un débat déjà dense. Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, au cours des dernières années, de nous pencher sur la question de la fin de vie.
Ce texte ne prétend d’ailleurs en aucun cas se substituer au travail approfondi déjà mené par nos collègues. Il permet cependant de prolonger le débat parlementaire dans l’attente du projet de loi annoncé par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier.
En effet, depuis l’adoption de la loi Leonetti de 2005,…
M. Charles Revet. C’était une très bonne loi !
Mme Muguette Dini. Personne ne prétend le contraire !
M. Jean Desessard, rapporteur. Nous vous le confirmons, cher collègue, et nous allons même analyser les raisons pour lesquelles elle n’est pas appliquée – précisément parce qu’il lui manque un petit quelque chose, qui se trouve dans cette proposition de loi.
Je disais donc que, depuis l’adoption de la loi Leonetti, chaque occasion de débattre a permis de faire progresser la réflexion collective au-delà des points de vue également respectables des partisans et des opposants de l’euthanasie. La création de l’Observatoire national de la fin de vie, en 2010, a posé les prémices d’une étude scientifique et objective de la situation dans laquelle on meurt en France, ce qui permet d’espérer dépasser les analyses partielles ou partisanes.
Le troisième rapport annuel de cet observatoire, remis en janvier dernier à la ministre de la santé, dresse ainsi un portrait de la fin de vie des personnes âgées dans notre pays au travers de sept parcours ordinaires, ce qui est original.
Surtout, conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République a, depuis juillet 2012, engagé un débat public sur la fin de vie. À sa demande, une commission présidée par le professeur Didier Sicard a été constituée, afin d’étudier la fin de vie en France. Cette commission a remis le 18 décembre 2012 son rapport intitulé Penser solidairement la fin de vie.
Le Comité consultatif national d’éthique a par ailleurs été saisi d’une demande d’avis sur la question suivante : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir. » Cet avis a été rendu le 13 juin dernier. Le CCNE formule plusieurs remarques, mais il considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n’est pas close et qu’elle doit se poursuivre sous la forme d’un débat public.
Le CCNE précise également que, le Président de la République ayant mentionné dans sa saisine la présentation prochaine d’un projet de loi sur ces sujets, ce débat public devait, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique, comporter des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis pour représenter la société dans sa diversité. »
Conformément à la mission qui lui a été confiée par le législateur dans le cadre de la loi sur la bioéthique, le CCNE a donc organisé une conférence des citoyens et remettra un rapport, sans doute en mars prochain, préalable au dépôt d’un projet de loi. La conférence des citoyens sur la fin de vie a pour sa part remis un « avis citoyen » le 14 décembre dernier.
Nous disposons donc de plusieurs rapports et avis d’instances publiques collégiales ou de citoyens choisis pour représenter la diversité de la société française et amenés à débattre.
De ces différentes prises de position, il se dégage des points de consensus particulièrement intéressants. Tous les intervenants – j’y insiste particulièrement – dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France, et tous considèrent que la sédation dite « profonde » ou « terminale » doit être possible à la demande des malades en fin de vie. Beaucoup s’interrogent sur l’intérêt d’une procédure d’assistance au suicide, comme elle existe dans l’État de l’Oregon. Il n’y a cependant aucun consensus sur l’euthanasie, définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.
S’agissant tout d’abord des conditions de fin de vie dans notre pays, le constat dressé est sévère, au point que le professeur Sicard parle d’un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette « bonne mort » qu’est étymologiquement l’euthanasie.
Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? L’Observatoire de la fin de vie a mené des études sur cette question. La réponse majoritaire est que l’on souhaite mourir chez soi, entouré et apaisé. Cela peut paraître une évidence. Toutefois, en France, on meurt en EHPAD, c'est-à-dire dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou à l’hôpital, sans prise en charge palliative, dans 80 % des cas, quand ce n’est pas, trop souvent, seul, sur un brancard, dans un service d’urgence.
Toutes les personnes que j’ai auditionnées réfléchissent depuis plusieurs années aux enjeux liés à la fin de vie. Toutes voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d’un refus collectif de penser la mort et de l’admettre comme intrinsèquement liée à la vie.
Trop souvent, la mort est vécue comme un échec médical ou comme l’effet d’un manque de chance. Dans cet esprit, si l’on meurt, c’est que l’on n’a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement ! Cette vision technique de l’existence se combine avec une certaine forme d’utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives, parce qu’elles sont âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.
Cette situation de développement d’institutions médico-sociales et médicales, où sont placées, parfois à l’encontre de leurs souhaits, les personnes en fin de vie est une spécificité française. En Allemagne – un pays qui nous sert d’exemple dans d’autres domaines… – la mort à domicile est la règle. Bien sûr, en la matière, il n’existe aucun pays modèle. Toutefois, il faut nécessairement nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit, malgré des investissements importants et le dévouement des personnels, à ne pas respecter la volonté des personnes de vivre leur fin de vie chez elles.
Le premier enjeu, madame la ministre, est donc est de permettre le plus possible aux personnes en fin de vie de rester à domicile, accompagnées par des aidants. Un tel système a été mis en place en Suède et se révèle moins coûteux que la prise en charge en établissement. Il est à noter que la Suède a également établi une distinction entre les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux, qui fournissent autant que possible un réconfort émotionnel.
Le second enjeu est la prise en charge de la douleur, notamment dans le cadre des soins palliatifs. Incontestablement, et nous ne pouvons que nous en réjouir, de très importants progrès ont été accomplis dans ce domaine. La qualité du travail des équipes de soins palliatifs est très impressionnante, nul ne peut le contester. Toutefois, les progrès restent insuffisants, car il semblerait que seules 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins, malgré les plans successifs et l’action volontariste des différents gouvernements.
De plus, contre la volonté des équipes palliatives, leur intervention n’est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie. Le calcul est pour le moins aléatoire, puisque, la médecine n’étant pas une science exacte, on ne peut savoir exactement quand surviendra le décès. Néanmoins, cette approche renforce l’idée que la médecine palliative est une médecine de la mort. En fait, c’est une médecine de l’accompagnement, du soulagement de la douleur et de l’écoute,…
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Jean Desessard, rapporteur. … qui peut certes aller jusqu’au terme de la vie, mais qui est utile dès le début de la prise en charge des maladies engageant le pronostic vital.
Je dois rappeler que les futurs médecins, madame la ministre, ne reçoivent qu’une heure de formation par an aux soins palliatifs. On est donc bien loin d’avoir intégré une dimension palliative à l’ensemble des prises en charge.
Si tous les malades pouvaient avoir accès aux soins palliatifs, les images de souffrances qui sont associées aux derniers moments de certains malades, notamment atteints du cancer, cesseraient de marquer de manière indélébile les familles. Toute expérience d’une mort douloureuse renforce l’idée qu’il faut mettre en place le moyen d’obtenir une mort douce et rapide.
Il faut donc être clair : la proposition de loi du groupe écologiste, pas plus que celles qui l’ont précédée, n’entend proposer l’assistance médicalisée pour mourir comme une solution de substitution aux soins palliatifs. Au contraire, ce texte réaffirme le droit d’accès à ces soins, un droit qui devrait déjà être effectif depuis la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs.
De même, il est incontestable qu’un certain nombre de choix sociaux, donc financiers, concernant la fin de vie doivent être réévalués parallèlement à l’ouverture de la possibilité d’une aide médicalisée pour mourir, voire avant, faute de quoi le sens de ce nouveau droit s’en trouvera affaibli.
Concrètement, le séjour en EHPAD coûte jusqu’à 2 000 euros par mois à la charge de la personne ou de sa famille. S’il existe une assistance médicalisée pour mourir, certains craignent que l’euthanasie ne soit choisie en raison du coût de ce séjour, ce qui serait bien sûr inacceptable.
À l’inverse, pour poser la question de l’assistance médicalisée pour mourir, faut-il attendre que les soins palliatifs aient atteint un développement complet et que notre politique de prise en charge du vieillissement ait été entièrement refondue ? Faut-il empêcher toute évolution de la loi tant que les droits déjà inscrits ne seront pas effectifs ?
Que faut-il faire face à une demande d’euthanasie ? Personne n’envisage aujourd’hui d’ignorer une telle demande. Certaines des personnes que nous avons entendues lors des auditions considèrent qu’il s’agit dans tous les cas d’un appel à l’aide physique ou, plus profondément peut-être, psychologique, qu’il est de notre devoir de reconnaître comme tel.
On ne peut abdiquer devant le désir de mort des personnes, puisque 90 % des personnes qui ont été ranimées après une tentative de suicide ne commettent pas de nouvelle tentative. Toutefois, faut-il pour autant en conclure qu’une personne saine d’esprit ne peut en aucun cas vouloir mourir ? Il ne peut y avoir qu’une analyse au cas par cas, et il faut donner aux personnes la liberté de choisir.
La présente proposition de loi prévoit que la capacité d’une personne à exprimer sa volonté soit évaluée par deux médecins indépendants. Si la lucidité de la personne qui demande à mourir est reconnue et que ce choix n’est pas la conséquence d’un défaut de prise en charge, au nom de quel droit cette demande ne serait-elle pas satisfaite ?
À ceux qui expriment la crainte que la possibilité d’une mort assistée n’en fasse la mort socialement souhaitable qui serait imposée un jour aux plus faibles – ce sentiment a été formulé par certaines des personnes entendues au cours des auditions –, j’objecterai que, en Belgique et aux Pays-Bas, les cas d’euthanasie n’augmentent pas d’année en année.
L’une des possibilités pour aider à mourir les personnes en fin de vie qui le désirent est de leur donner les moyens de se suicider. Il s’agit là d’une aide au suicide, ce qui suppose que la personne peut toujours changer d’avis, et non d’un suicide assisté, comme en Suisse, où la décision revêt un caractère définitif. Cette possibilité existe aux États-Unis, dans l’État de l’Oregon et, plus récemment, dans l’État de Washington.
Seule la moitié des personnes remplissant les critères d’obtention du poison le demandent et, parmi celles qui l’obtiennent, moins de la moitié en font usage. Cette solution apparaît au professeur Sicard comme une possibilité à étudier. Reste à savoir si les modalités de l’aide au suicide retenues dans ces États sont transposables en France. Surtout, ce dispositif ne concerne que les personnes physiquement capables de prendre elles-mêmes la substance. Je rappelle d’ailleurs que la présente proposition de loi n’aborde pas cette question de l’aide au suicide.
Comme l’a rappelé notre collègue Corinne Bouchoux, la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », permet de laisser des directives anticipées sur la manière dont on souhaite que se termine sa vie si l’on n’est plus capable de s’exprimer le moment venu. Ces directives doivent être régulièrement actualisées et conservées. On pourrait, par exemple, les inscrire dans le dossier médical personnalisé à la suite d’un entretien avec le médecin traitant, ou sur la carte Vitale. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)
Surtout, il me semble que ces directives doivent être respectées. Elles ne sont à l’heure actuelle considérées que comme des souhaits. Les médecins de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs désirent que les directives ne deviennent pas opposables, donc que l’on puisse y déroger si on le justifie par écrit. La conférence des citoyens réclame pour sa part l’opposabilité, c’est-à-dire l’application stricte.
Reste le cas des personnes qui n’auront pas laissé de directives anticipées et se trouveront dans l’incapacité de s’exprimer sur la manière dont elles entendent terminer leur vie. Pour ces personnes, la loi Leonetti propose déjà une solution en interdisant dans son article 1er « l’obstination déraisonnable », ce que l’on nomme couramment « l’acharnement thérapeutique ». Nous suivons avec intérêt la procédure en cours devant le Conseil d’État sur l’affaire Vincent Lambert. La décision rendue est en effet de nature à transformer la manière dont est définie l’obstination déraisonnable.
L’ensemble des personnes auditionnées m’ont indiqué que les dispositions de la loi Leonetti sont peu connues des soignants, huit ans après son vote.
M. Charles Revet. Il y a du travail à faire !
M. Jean Desessard, rapporteur. Le professeur Sicard considère que cette situation est sans doute liée à l’origine parlementaire du texte, qui n’a pas bénéficié du plein appui des administrations.
Pour ma part, je considère que c’est non pas l’inertie de l’administration qui est en cause, mais le refus du législateur de passer à l’acte. En effet, la législation actuelle entretient le flou, car l’aide médicalisée à la fin de vie n’est pas assumée légalement, ce qui nuit à la publicité des dispositions de la loi Leonetti.
C’est pourquoi, mes chers collègues, pour faire connaître ces dispositions, il faudra, à terme, voter la présente proposition de loi. Il est temps pour nous de prendre position et de passer à l’acte !
Le malade en fin de vie, s’il est en mesure de s’exprimer, peut demander la fin des traitements qui le maintiennent en vie. Dans plusieurs cas, comme celui des patients sous dialyse ou sous assistance respiratoire, cela entraînera la mort à brève échéance. Dans d’autres cas, comme celui des patients en coma végétatif, l’absence de traitement ne changera que peu l’état de santé du malade. C’est la fin de la nutrition et, surtout, celle de l’hydratation qui entraîneront le décès.
L’augmentation progressive des traitements antidouleur jusqu’au point de donner la mort est déjà possible dans le cadre de la loi Leonetti. Néanmoins, la sédation profonde ou terminale n’est pas possible à la demande du patient. Sur ce point, dans l’ensemble des rapports qui ont été remis, une évolution de la loi est préconisée ou admise : on respecterait la volonté de la personne, sans pour autant donner une mort immédiate.
Mais, dès lors qu’on accepte de faire advenir le décès, pourquoi refuser que celui-ci soit immédiat, par un acte volontaire ? L’argument que j’ai le plus souvent entendu serait la violence de l’acte pour les familles et les personnels chargés de l’injection létale. Pour ces derniers, donner la mort signifierait de surcroît la perte d’un repère fondateur de leur mission de soignants.
Il m’apparaît cependant que la position des professionnels de santé varie considérablement d’un pays à l’autre. Au Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Collège des médecins du Québec ont sollicité le passage d’une loi sur l’aide médicale à mourir.
L’essentiel est, me semble-t-il, d’admettre une clause de conscience pour l’ensemble des professionnels, sur le modèle de ce qui est prévu pour l’avortement. Cela figure, si je me souviens bien, dans la proposition de loi.
Si la volonté de la personne est claire et libre de toute influence, les professionnels de santé qui sont prêts à le faire devraient pouvoir lui procurer l’assistance qu’elle souhaite pour une mort immédiate et sans douleur.
Reste le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie mais se trouvent réduites à une situation physique qu’elles jugent intolérables. Le seul point de vue qui me paraît fondamental est celui du malade lui-même, qui est, à mes yeux, l’unique personne capable de juger de la dignité de sa vie. La proposition de loi dispose que, dans certains cas précis, ces personnes peuvent également bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
La situation de fin de vie est complexe et soulève de nombreuses questions. Néanmoins, le débat est aujourd’hui bien engagé au sein de la société et le législateur se doit d’apporter une réponse. Les personnes auditionnées, dans leur très grande majorité, m’ont indiqué qu’il fallait faire évoluer la loi. J’estime que, dans la proposition de loi soumise à notre examen, le sujet est abordé avec lucidité et franchise, mais avec un cadre d’application strict. Je me félicite donc de l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de débattre de cette question.
Le renvoi à la commission n’est pas un rejet de cette proposition de loi ; il marque la volonté de construire ensemble un texte clair, qui corresponde à la situation et aux interrogations d’aujourd’hui.
Je souhaite que ce débat ait lieu avec toutes et tous et que, en tout état de cause, nous adoptions un texte de loi avant la fin de l’année 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de me réjouir de l’état d’esprit qui prévaut manifestement au moment où nous abordons ce débat.
Celui-ci exige à la fois de la responsabilité et de la gravité. Je ne crois pas qu’il y ait place pour des surenchères, même si nous pouvons avoir parfois, à titre individuel ou collectif, des positions, des attentes, des propositions différentes, y compris lorsque nous convenons que la loi doit évoluer.
Le respect qui doit entourer nos échanges est le meilleur atout du succès de ce débat, qui s’engage d’ailleurs dans un contexte difficile, certaines affaires venant rappeler l’extrême sensibilité que peuvent aujourd’hui susciter ces questions en France.
Avant d’aborder la présente proposition de loi, je voudrais rappeler ce qui nous conduit à nous interroger sur l’état de notre législation.
Bien sûr, ces interrogations sont liées à l’évolution de notre rapport à la mort.
La fin de la vie est encore la vie. Elle peut arriver à tout âge, même si l’on meurt de plus en plus âgé. À tout âge, la mort est un moment à part entière de l’existence humaine. Elle peut être une période d’extrême solitude, de peur, d’angoisse profonde, mais elle peut aussi se révéler un moment de proximité, de fraternité intense et d’amour vécu en famille, avec les siens, aux côtés de ses proches.
En tout cas, chacun doit pouvoir « vivre sa mort » dans le respect dû à sa personne et à ses convictions ; je souhaite que nous partagions la volonté qu’il en soit ainsi.
La fin de vie nous concerne évidemment toutes et tous, individuellement. Un jour ou l’autre, chacun d’entre nous sera confronté à sa propre finitude, mais il est également confronté à la disparition de ses proches, qu’il s’agisse d’un parent, d’un enfant, d’un ami. La question de la fin de vie relève de l’intime, et, dans le même temps, dit beaucoup de la manière dont une société appréhende la mort. Les conditions dans lesquelles se déroulent les derniers instants, les rites qui accompagnent ensuite le défunt, sont l’expression d’attentes, de valeurs, de besoins aussi.
Chaque société pose un regard sur la mort, un regard qui lui est propre et reste lié aux normes qu’elle produit, aux limites qu’elle pose et à l’état de sa conscience collective. Ce regard n’est pas figé. Il a évolué à travers l’histoire, avec les mutations des contraintes sociales, des attentes de la collectivité.
Comme vient de le rappeler Jean Desessard, le professeur Didier Sicard pose un regard assez désespérant sur notre société en affirmant dans son rapport intitulé Penser solidairement la fin de vie, en introduction, que l’on meurt mal en France aujourd’hui. Notre société a toujours tendance à cacher la mort ; elle l’a surtout institutionnalisée puisque plus des deux tiers de nos concitoyens meurent en établissement. Elle l’a médicalisée alors que les Français sont en attente d’humanité : nous espérons tous que, au moment ultime, nous bénéficierons de bienveillance et de compassion.
Mais la demande d’humanité est aussi une demande de reconnaissance : celle ou celui qui va mourir doit rester jusqu’à la dernière seconde une personne à part entière, et quel que soit l’état dans lequel il se trouve à ce moment.
L’institutionnalisation et la médicalisation de la mort rendent plus difficiles l’expression de la liberté, l’aspiration à l’autonomie et l’exigence absolue de dignité.
Les valeurs collectives de liberté et de dignité : voilà ce qu’il nous revient de concilier.
Je le disais, les conditions de la mort ont été et sont encore largement déterminées socialement. D’une certaine façon, nous assistons à un tournant de l’histoire sociale, car les sociétés contemporaines sont les premières dans lesquelles où se manifeste la volonté de voir prise en compte l’expression de la liberté individuelle à l’heure de la mort.
À cet égard, il est important de récuser toute comparaison avec les pratiques qui ont pu exister en d’autres temps, par exemple dans l’Antiquité. La mort de Socrate n’était que très peu l’expression d’une liberté individuelle : c’était la pression sociale qui amenait l’individu à faire le geste ultime. On a observé et on observe encore aujourd'hui ce phénomène dans des sociétés africaines ou asiatiques très différentes. La pression collective amène l’individu à considérer que le moment est venu pour lui de ne plus peser sur la société parce que, n’étant plus en état de travailler, ne contribuant plus à l’équilibre social, il n’est plus qu’un fardeau.
Une telle conception est exactement l’inverse de celle qui tend à émerger aujourd’hui : loin d’être considérée comme un fardeau, la personne parvenue à un certain stade de sa vie, quel que soit son âge, doit pouvoir exprimer une liberté totalement émancipée de la pression collective, la liberté de choisir si la vie, malgré la souffrance, peut encore être vécue dignement, la liberté de choisir si la douleur – y compris la douleur psychologique – et la dégradation inexorable du corps doivent être abrégées, la liberté de choisir si une maladie grave, qui nous condamne, peut atteindre de quelque manière que ce soit notre dignité.
À l’évidence, nous n’apporterons pas tous, individuellement, la même réponse à ces questions.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
Mme Marisol Touraine, ministre. Il ne s’agit pas d’imposer systématiquement une réponse identique. En revanche, il faut se demander dans quel cadre et dans quelles conditions l’expression de cette volonté et cette aspiration à la dignité peuvent être entendues.
Au fond, choisir les conditions de notre fin de vie, c’est peut-être l’ultime liberté dont nous disposerons.
La loi de 2005 a constitué une première étape en la matière. Elle s’est inscrite dans le large mouvement de démocratie sanitaire, engagé en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin, et qui est venu consacrer les droits des malades. Toutefois, cette loi s’est distinguée de ce mouvement.
Elle a été une avancée parce qu’elle proscrit l’acharnement thérapeutique et confère à un patient le droit de refuser d’être soigné lorsqu’il estime que les traitements ne sont plus utiles. Elle brise aussi le monopole de la décision de poursuivre les soins, qui était autrefois celui du médecin, et qui est désormais partagé avec le malade et sa famille. Elle encourage, enfin, le développement des soins palliatifs, car la fin de vie nécessite une prise en charge globale pour soulager les douleurs physiques, mais aussi tenir compte de la souffrance psychologique, sociale et spirituelle du malade et de ses proches. On sait bien que les approches palliatives répondent aux besoins aussi bien du malade que de ceux qui l’accompagnent et qui ont besoin, dans ces moments, d’être soutenus.
Je me réjouis que les deux intervenants précédents aient insisté sur la nécessité de ne pas opposer la réflexion sur le développement des soins palliatifs et celle qui porte sur la fin de vie. Je le dis tant à ceux qui manifestent des convictions fortes en faveur de la reconnaissance de la liberté en fin de vie qu’à ceux qui défendent les soins palliatifs. Ces derniers ne doivent pas percevoir la demande qui s’exprime par ailleurs comme la volonté de remettre en cause le mouvement qu’ils soutiennent, à l’évidence appelé à se poursuivre et à s’amplifier, en particulier pour ceux qui meurent ou souhaitent mourir chez eux. En effet, il ne peut pas y avoir de mort douce ou sereine chez soi sans le développement de soins palliatifs à domicile.
Toutefois, la loi Leonetti ne porte pas sur les droits des malades. Ce texte est avant tout destiné aux médecins, dont elle a encadré les pratiques et les choix jusque-là confrontés à un vide juridique.
Aujourd’hui, si la législation est appelée à évoluer, il convient d’agir en plaçant le patient – je devrais même dire la personne – au cœur de notre démarche et de nos réflexions. (M. Jean-Pierre Godefroy acquiesce.)
Par ailleurs, j’adhère à ce constat, précédemment dressé : la législation actuelle ne répond pas à toutes les situations. (Marques d’approbation sur les travées socialistes.) C’est pourquoi je suis convaincue que notre corpus législatif doit évoluer, afin de mieux prendre en compte les attentes de nos concitoyens, que les précédents orateurs et moi-même avons déjà rappelées : d’une part, disposer d’une plus grande maîtrise de sa fin de vie et, de l’autre, avoir l’assurance de terminer ses jours en accord avec sa conception de la dignité.
À cet égard, plusieurs cas de figure doivent être distingués.
Je souligne d’emblée que le cas de Vincent Lambert est extrêmement particulier.
M. Yvon Collin. Mais tous les cas sont particuliers !
Mme Marisol Touraine, ministre. Je me suis interdit toute instrumentalisation de cette affaire douloureuse, qui constitue au surplus une affaire privée, portée devant la justice. Les juges apporteront une réponse à la famille de Vincent Lambert, à lui-même et à ceux qui l’entourent, notamment aux personnels médicaux qui le prennent en charge.
Au-delà de la réponse apportée à la famille, dans la diversité de ses composantes, que nous enseigne, aujourd’hui, le cas de ce jeune homme ?
Tout d’abord, on constate que notre législation présente des lacunes, ou en tout cas des zones d’ombre qui méritent sans doute d’être éclaircies. Ensuite, on observe qu’il est essentiel de recueillir la volonté du patient : c’est l’enjeu majeur des directives anticipées. Enfin et surtout, on voit que ce cas ne reflète pas l’ensemble des situations auxquelles une réponse peut ou doit être apportée. En refusant de prendre en compte certaines réalités, nous prenons le risque de rester confrontés à l’hypocrisie.
Sur un tel sujet, chacun s’est forgé ses propres convictions, sans doute indissociables du parcours de vie qui l’a construit, des valeurs auxquelles il croit, de ses conceptions de la vie et de la mort. Pour autant, le débat ne peut s’articuler uniquement sur des conceptions, des histoires et des expériences individuelles. Il s’agit d’élaborer un cadre collectif qui soit à la fois socialement légitime et juridiquement sécurisé. Dans le cadre ainsi construit devra pouvoir s’inscrire l’expression de la volonté individuelle, en s’assurant bien entendu que c’est bien celle-ci qui s’exprime et qu’elle ne subit aucune pression.
Sur un sujet aussi sensible, la précipitation serait regrettable. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité prendre le temps de la réflexion, de l’écoute et de la concertation.
Différentes étapes ont rythmé les débats qui se sont déroulés au cours des dix-huit mois écoulés.
Dès le mois de juillet 2012 a ainsi été confiée au professeur Sicard une mission de réflexion sur cette question, afin que toutes les opinions soient entendues, dans leur pluralité. Son rapport a été remis en décembre 2012. Le Président de la République a alors décidé de saisir le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, en le chargeant de se prononcer sur trois points : premièrement, les directives anticipées ; deuxièmement, les modalités et les conditions permettant à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ; troisièmement, les moyens de rendre plus dignes les derniers moments d’une personne dont les traitements ont été interrompus.
Le CCNE a rendu son avis le 1er juillet 2013. Ses conclusions ont mis en lumière toute la complexité des enjeux soulevés.
Un constat unanime a été dressé quant aux insuffisances de la loi actuelle et au trop faible recours aux soins palliatifs, malgré le déploiement dont ils ont fait l’objet ces dernières années. Par son avis, le CCNE reconnaît également que, s’ils sont fondamentaux, les soins palliatifs ne permettent pas de répondre à toutes les situations de souffrance rencontrées.
M. Jean Desessard, rapporteur. Absolument !
M. Roland Courteau. C’est bien vrai !
Mme Marisol Touraine, ministre. Enfin, il préconise la tenue d’un débat de société sur la fin de vie.
Telle est la démarche qui a ensuite été mise en œuvre.
À l’automne 2013, le CCNE a organisé de façon tout à fait remarquable une conférence de citoyens. Un panel de dix-huit citoyens, constitué par un institut de sondage, a auditionné des personnalités au cours de quatre week-ends, et cela de manière indépendante.
Le 16 décembre dernier, la conférence de citoyens a remis les conclusions de ses travaux et s’est montrée favorable à la légalisation d’une assistance au suicide. Je dois dire ici que les termes dans lesquels s’est exprimée cette conférence de citoyens se distinguent à la fois par leur profondeur et par leur simplicité.
M. Jean-Pierre Godefroy. Oui !
Mme Marisol Touraine, ministre. D’ici à mars prochain, nous attendons un dernier rapport du CCNE. Ce document portera non sur le fond du sujet, mais sur la méthode suivie jusqu’à présent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le chef de l’État tient à ce que ce débat puisse se poursuivre dans les meilleures conditions et de manière apaisée. Il l’a rappelé lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier : il souhaite que soit rendue possible une assistance médicalisée, de telle sorte que chacun puisse terminer sa vie dans la dignité. Pour autant, il n’a pas défini a priori le contenu de cette disposition, qui ne doit pas nécessairement se traduire en termes médicaux.
Le Président de la République m’a chargée de conduire la concertation préalable à l’élaboration d’un projet de loi. J’entendrai donc, au cours des semaines à venir, les grandes familles de pensée, mais aussi les familles politiques, sans oublier les représentants du monde de la santé, auxquels s’ajouteront des chercheurs et des penseurs : ce sujet est, bien sûr, tout sauf technique ; il est avant tout éthique.
Je souhaite que ces consultations soient menées sans polémique et dans un esprit de rassemblement. (M. Jean-Pierre Godefroy opine.) Cela étant, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’immobilisme ne semble pas être une bonne option, et je tiens à ce que nous puissions présenter un projet de loi autour de l’été. Je ne ferai pas pour autant peser sur nos travaux le couperet d’un quelconque calendrier ou agenda prédéfini !
Nous prendrons ensuite le temps nécessaire à la discussion, dans chacune des deux chambres du Parlement. Nos débats seront éclairés par les différents rapports remis, par les avis et par les concertations. Rien ne sera laissé de côté ou passé sous silence. À mon sens, il s’agit là d’une responsabilité que nous devons assumer vis-à-vis des Français. Des millions de familles sont concernées.
Je comprends que les sénateurs du groupe écologiste aient souhaité engager, aujourd’hui, cette discussion, et je les remercie de nouveau d’avoir soulevé cette question dans des termes qui dénotent une grande responsabilité.
Toutefois, compte tenu des travaux engagés, une telle proposition de loi me semble prématurée. C’est pourquoi je souscris à la motion de renvoi en commission qui a été déposée. Le caractère responsable et exigeant, je dirai même la haute tenue du débat que nous consacrons aujourd’hui à cette question nous permet d’espérer le meilleur. (Applaudissements.)
M. Jean Desessard, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en préambule, je me permettrai une remarque de forme.
Si nos collègues du groupe écologiste ont déposé le présent texte, c’était pour que son examen aille à son terme. Une motion de renvoi en commission a été déposée et sera, selon toute vraisemblance, adoptée. Cette procédure, fût-elle utilisée avec l’accord des auteurs de cette proposition de loi, est contraire à l’idée que nous nous faisons des niches parlementaires. Pour notre part, nous considérons qu’il s’agit là d’un contournement de la procédure législative, qui affaiblit le Sénat.
M. Yvon Collin. Ça, c’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Je le dis en toute franchise : il eût été plus judicieux de demander la tenue d’un débat. Cela étant, je n’irai pas plus loin dans mes explications sur cette question de méthode. Ma collègue Éliane Assassi exposera plus en détail notre position sur ce point, en s’exprimant contre la motion de renvoi en commission.
J’en viens au débat de fond.
Au sein du groupe CRC, nous sommes unanimes à reconnaître la nécessité qu’il y a aujourd’hui à renforcer le droit existant, à savoir la loi Leonetti, encore trop méconnue des équipes médicales comme des patients.
Il apparaît tout d’abord que nos concitoyens restent inégaux face à l’accès aux soins palliatifs. En 2012, Édouard Ferrand, chercheur en éthique médicale et responsable de l’unité mobile de soins palliatifs à l’hôpital Foch de Suresnes, a analysé 1 500 dossiers de patients décédés dans l’ensemble des services d’un centre hospitalier universitaire parisien entre 2005 et 2009. Ses travaux l’ont conduit à cette conclusion : malgré l’adoption, sept ans auparavant, de cette loi sur la fin de vie, 74 % des patients décédés dans cet établissement qui auraient dû bénéficier de soins palliatifs n’y ont pas eu accès. Ces soins n’ont été décidés que dans 39 % des cas, et seulement 25 % des patients en ont bénéficié dans les faits.
Pis, cette étude révèle que les soins palliatifs ne sont dispensés que dans les derniers instants : en moyenne, ils ne seraient proposés que dans les deux derniers jours de vie.
Mes chers collègues, cette inégalité est également territoriale. Selon l’Observatoire national de la fin de vie, l’ONFV, cinq régions concentrent les deux tiers des lits d’unités de soins palliatifs.
Les membres du groupe CRC, qu’ils soient ou non favorables à l’instauration dans notre droit national d’une disposition légalisant l’euthanasie, sont persuadés qu’il faut enfin rendre pleinement effectif le droit existant. Or on en est loin ! Comment pourrait-il en être autrement quand – toujours selon l’ONFV – seulement 2,5 % des médecins sont formés aux soins palliatifs et aux techniques d’accompagnement des proches qui y sont associées ? Et il faudrait encore étendre ce constat aux équipes médicales tout entières !
En commission, il a été beaucoup question des moyens humains et financiers nécessaires pour mener à bien ce chantier. Curieusement, une certaine unanimité s’est dégagée, au-delà des clivages politiques. Cette situation n’a pas manqué de m’étonner.
En effet, nous nous sommes sentis bien seuls lors du vote de l’ONDAM – objectif national des dépenses nationales d’assurance maladie – pour 2014, dont le niveau était historiquement bas, et par conséquent dangereusement insuffisant pour répondre aux besoins d’un hôpital du XXIe siècle.
Je n’oublie pas non plus le vote négatif du Sénat – exception faite des sénateurs des groupes CRC et écologiste – sur la proposition de loi que j’ai défendue et tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures ou les regroupements de services et d’établissements de santé.
Aussi, je me réjouis de cette nouvelle prise de conscience. Elle devrait nous permettre de voter un ONDAM plus ambitieux pour 2015, et de répondre ainsi aux exigences de soins de qualité tout au long de l’existence, de la naissance à la fin de vie.
Madame la ministre, nous souhaiterions vous interroger sur les moyens que vous entendez mettre en œuvre pour que, enfin, la loi Leonetti soit mieux connue, mieux respectée et réellement appliquée. Pourquoi les décrets d’application n’ont-ils pas été pris ?
Outre la question de la formation des médecins, les membres de la Haute Assemblée partagent une exigence commune : que les professionnels de santé, qui interviennent au quotidien dans un contexte difficile, bénéficient d’une véritable sécurité juridique. Là encore, c’est loin d’être le cas. L’étude que j’ai déjà citée met en lumière le fait que la personne de confiance censée recevoir la volonté du patient n’a été consultée que dans 6 % des cas.
Et que dire des dossiers incomplets ! Dans seulement un quart des cas, les dossiers médicaux font explicitement mention des décisions de limiter ou d’arrêter le traitement prescrit. Cette situation tient, elle aussi, à un défaut de formation des professionnels de santé. Elle est également liée au déficit de personnel dont souffrent nos hôpitaux. Cette situation conduit à reléguer au second plan les démarches administratives quand bien même celles-ci sont indispensables pour garantir les droits des patients et ceux de leurs proches, et pour sécuriser les équipes médicales.
J’en viens à la question fondamentale, placée au cœur du présent texte, à savoir l’inscription dans la loi d’un droit à bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir.
Les sénateurs du groupe CRC ont beaucoup travaillé sur cette question, sous l’impulsion de notre collègue et camarade Guy Fischer. Si, en la matière, notre position n’est pas unanime, une très large majorité d’entre nous est, comme en 2011, favorable à l’adoption d’une telle réforme.
Cette mesure revient à sacraliser par la loi l’idée que nul n’est mieux placé que soi-même pour décider de ce que doit être sa fin de vie. C’est reconnaître la liberté individuelle et le respect absolu de la volonté de chacune et de chacun, dès lors que cette volonté ne s’impose pas aux autres. C’est reconnaître le même droit pour toutes et tous à décider, y compris de sa fin de vie. C’est admettre que sa propre humanité, sa propre vie n’appartiennent à personne d’autre qu’à soi-même.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Il s’agit de réduire autant que possible des souffrances psychiques et physiques. Mais il s’agit également de reconnaître – et j’insiste sur ce point – que l’autre, notre proche, est toujours, tant que la loi en juge ainsi, une personne capable, dotée de discernement et d’un libre arbitre qu’il convient de respecter.
Oui, la fin de vie a une dimension philosophique, elle relève de l’histoire personnelle, de l’intime. Mais nous sommes ici pour élaborer des lois qui s’appliquent à tous.
Il est important de rappeler que plusieurs propositions de loi ont été déposées par des groupes de diverses sensibilités. Il aurait sans doute été plus efficace et plus pertinent de privilégier une proposition commune. Cela nous aurait peut-être permis d’aller plus loin dans cet accompagnement.
Notre groupe entend s’inscrire dans cette démarche commune, appelée à nous rassembler. Je me réjouis ainsi, comme l’ensemble de mon groupe, des propos tenus par Mme la ministre et qui font appel à cet esprit de responsabilité. C’est cet esprit qui doit nous amener à mettre en avant ce que nous partageons ici, au Sénat, au-delà de nos divergences politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2005, je suis profondément convaincu de la nécessité de légiférer sur l’assistance médicalisée pour mourir.
Cette question revient régulièrement devant notre assemblée, depuis le vote de la loi Leonetti. Le débat que nous avions eu à l’occasion de son examen avait été particulièrement frustrant. Les groupes socialiste, CRC et Union centriste avaient quitté l’hémicycle avant la fin des débats pour protester contre l’impossibilité de faire adopter le moindre amendement, y compris ceux qui avaient été votés le matin même en commission !
J’ai toujours souhaité que ce débat, si sensible, qui met en jeu nos convictions les plus intimes, dépasse les clivages habituels. C’est pourquoi nous avons préféré travailler sur ces questions en commun, avec les membres d’autres groupes. Cela nous a permis de faire adopter en commission des affaires sociales, il y a trois ans, un texte synthétisant les propositions de loi respectivement déposées par notre collègue communiste Guy Fischer, par notre collègue de l’UMP Alain Fouché et par moi-même ainsi qu’un certain nombre de mes collègues socialistes et écologistes.
Aujourd’hui, pas moins de sept propositions de loi relatives à l’assistance médicalisée pour mourir sont enregistrées au Sénat, rassemblant au total les signatures de quelque 105 d’entre nous. Il est donc temps de sortir de l’immobilisme !
Dans la Comédie humaine, Balzac demandait : « Les souffrances les plus vives, ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? »
Ce sujet est délicat. Légiférer sur l’assistance pour mourir, c’est légiférer sur ce qui nous échappe le plus : la mort. Nous ne pouvons pas voter une loi sur la mort, mais nous pouvons faire au mieux pour respecter les individus dans ce moment de l’existence.
Ma détermination à voir une loi adoptée sur cette question n’est guidée que par la place primordiale qui doit être réservée à l’autonomie de la volonté et à la liberté de conscience des individus. Notre rôle de législateur est de permettre aux patients d’être accompagnés dans leur choix, selon leur volonté.
Je suis intimement convaincu qu’il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le dispositif. Dans ces moments qui sont la fin de son existence, la considération la plus grande doit lui être accordée. Le droit des êtres humains sur la fin de leur propre vie devrait être absolu. La vie n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. … ni aux opérateurs des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des patients : seule la volonté de ces derniers devrait être prise en compte.
Sur ces questions, il ne s’agit pas de savoir qui a définitivement raison : les avis sont divergents et le resteront. Laissons donc aux individus la possibilité de décider pour eux-mêmes. Ils sont le juge suprême de leur propre volonté.
Depuis 2002, le consentement libre et éclairé est requis pour les actes de soins. Le patient n’est plus contraint à subir passivement les traitements, il en est acteur à part entière. On doit les lui expliquer, et il peut les refuser ou les accepter. Il est un individu autonome, libre de ses choix et traité en tant que tel. L’écrivain suédois Stig Dagerman l’exprimait parfaitement : « Il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. »
L’adoption d’une loi sur l’assistance médicalisée pour mourir marquera l’aboutissement du mouvement qui reconnaît la primauté du respect de la volonté individuelle comme principe fondamental de la mise en œuvre des soins. Elle mettra fin au paradoxe selon lequel une personne peut prendre l’ensemble des décisions qui orientent son existence, indiquer par testament ce qu’il doit advenir de ses biens après son décès, mais est privée d’un tel droit au moment de sa mort.
C’est donc un texte de liberté que nous souhaitons ! D’ailleurs, qu’il en soit fait usage ou non, le simple fait de disposer du droit de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir, lorsque des conditions strictes sont réunies, constituerait une liberté en soi, qui suffirait, parfois, à apaiser psychologiquement certains malades.
Bien sûr, nous entendons les craintes. Le débat sur la fin de vie met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie, d’une part, le respect de la dignité et de la liberté de l’homme, d’autre part.
Il ne s’agit pas de revenir sur l’interdit éthique et social « Tu ne tueras point », qui concerne la mort imposée à ceux qui ne la désirent pas, mais bien, dans le prolongement de la loi de 2005, de regarder en face la question de la fin de vie et de cesser de nous réfugier derrière des faux-semblants. Dans la proposition de loi que j’ai déposée avec mes collègues socialistes, l’assistance médicalisée pour mourir est prévue comme une exception dans le code de la santé publique et ne modifie en rien le code pénal. Le Conseil d’État n’y avait vu aucun problème juridique.
L’irréversibilité de l’acte fait peur. Comme si c’était l’assistance à mourir qui rendait la mort irréversible ! Quoi de plus respectueux, de plus digne, de plus moral que d’interrompre, comme le permet la loi de 2005, les traitements d’un individu qui demande à ce que ses souffrances soient abrégées, en cessant son alimentation et son hydratation, en lui administrant des sédatifs pour pallier les douleurs qui en résultent ? Il s’agit bien d’une assistance médicale pour mourir, proche de celle que nous préconisons et qui s’effectuerait par un acte délibéré, exécuté à la demande du patient.
Quel sens moral peut-on trouver au fait de laisser un individu mourir dans des conditions contraires à sa volonté ? D’autant que l’omission ou l’interruption d’un traitement ne suffisent pas toujours. La sédation endort, elle ne sert qu’à faire perdre au patient la perception de la réalité, du temps et de sa propre fin de vie. Ne devrait-on pas plutôt l’accompagner dans ses derniers moments, conformément à ses souhaits les plus intimes ? Faut-il continuer à prolonger la vie de ceux qui ne le souhaitent pas ? Laisser mourir est parfois bien plus inhumain que ne le serait une assistance médicalisée active. D’ailleurs, la distinction morale entre assistance médicale active et passive me paraît bien ambiguë.
La seule question est de savoir si l’on reconnaît ou non à chacun le droit à disposer de sa mort. Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort : c’est un choix entre deux façons de mourir.
Dans son ouvrage Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy, malheureusement confronté à ce problème, écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l’homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l’accompagner dans ce monde et l’aider à bien le quitter. » C’est bien ainsi que je conçois l’acte d’assistance pour mourir.
Aussi, je souhaite insister sur un point : contrairement à ce que l’on entend souvent, l’assistance médicalisée pour mourir ne s’oppose pas aux soins palliatifs. Ce ne sont pas là les deux termes d’une alternative : assistance médicalisée pour mourir et soins palliatifs sont complémentaires. Ne pourrait-on pas admettre que l’assistance médicalisée pour mourir soit intégrée au parcours de soins, comme le suggère un rapport de la commission des affaires sociales du gouvernement du Québec ?
Je suis persuadé qu’une loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir apporterait une quadruple réponse.
Premièrement, elle garantirait le respect des souhaits de la personne en lui permettant de rester maîtresse de toutes les décisions concernant la fin de son existence et la manière dont elle souhaite la vivre avant de disparaître. La volonté du patient doit être absolument respectée.
Deuxièmement, elle répondrait aux besoins des médecins confrontés à ces cas douloureux, dans le respect de leur clause de conscience, en leur proposant un cadre juridique au sein duquel ils pourraient satisfaire cette demande d’une manière humaine, sans se mettre eux-mêmes dans l’illégalité. Car, nous le savons bien, il arrive que des médecins accèdent par compassion à la sollicitation pressante de leur patient.
Troisièmement, une telle loi répondrait aux besoins des proches, qui finissent parfois, par amour, par accéder au souhait de la personne malade, mais se mettent ainsi eux-mêmes en danger devant la justice. Si cette dernière fait généralement preuve de clémence dans son verdict, elle n’en poursuit pas moins les personnes concernées pour meurtre. Il faut mettre un terme à cette situation horrible : le malade, avant de fermer les yeux, réclamant ce geste d’amour, ignore ce qu’il adviendra judiciairement de celui qui l’aide.
Enfin, quatrièmement, elle satisferait les juges, qui sont souvent cléments, mais qui doivent être en mesure d’apporter une réponse au nom du peuple français, et non pas seulement en leur âme et conscience.
J’estime que c’est au législateur qu’il revient de fixer les règles autorisant un tel acte de compassion. Nous sommes donc déterminés à traiter les insuffisances de notre droit actuel. Les auditions qui ont été conduites ont d’ailleurs bien montré la nécessité de légiférer.
Dans l’attente d’un projet de loi qui devrait nous être présenté avant ou après l’été ou, à défaut, d’une proposition de loi qui serait le résultat d’un travail commun entre les différents auteurs de propositions de loi déposées devant notre assemblée, je défendrai, non pour le reporter mais pour disposer d’un texte commun, une motion de renvoi en commission.
Celle-ci ne dissimulera pas, comme trop souvent, un rejet, mais offrira une occasion d’approfondir la question en commission pour nous préparer à recevoir le texte du Gouvernement ou à étudier en commun le sujet, dans la perspective d’une nouvelle niche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Yann Gaillard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mourir dans la dignité est l’aspiration de tout individu. Cela a donné lieu à des débats depuis l’Antiquité, sinon avant. Sénèque écrivait d’ailleurs : « Si je puis opter entre une mort compliquée de tortures et une mort simple et douce, pourquoi ne prendrais-je pas cette dernière ? »
C’est là tout l’enjeu de ce débat, qui anime de manière récurrente notre société. Certes, la loi de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a constitué une grande avancée, reconnue par tous. Elle a affirmé le refus de l’acharnement thérapeutique et a permis aux patients de ne pas recevoir les soins nécessaires à une survie artificielle. Elle a conduit à la reconnaissance des directives anticipées et a consacré le droit au laisser mourir. Malheureusement, elle reste trop mal connue, trop mal comprise et trop mal appliquée, le plus souvent par manque de soins palliatifs.
Par ailleurs, nous le savons, l’euthanasie se pratique en France de façon plus ou moins clandestine, ce qui empêche de savoir dans quelle mesure le patient a vraiment fait son choix. Ceux qui persistent à refuser de voir cette réalité se rendent complices de toutes les dérives, laissent les médecins et les juges seuls face à des questions auxquelles il nous appartient d’apporter des réponses claires. Et ce n’est pas le renvoi d’un médecin de Bayonne devant la cour d’assises qui pourra régler le problème !
Surtout, la loi Leonetti ne peut répondre à toutes les situations. J’entends bien les craintes et les réticences que certains peuvent exprimer. Il reste que la mort est pourtant avant tout une affaire personnelle. Je pense que la liberté de chacun doit être respectée.
De quel droit refuserions-nous à une personne de choisir une mort, sinon sans souffrance, au moins sans souffrance excessive ? Pourquoi contester sa volonté, alors qu’elle n’attend que la délivrance qui mettra un terme à son supplice ? Lorsqu’une personne prend la décision de céder face à une vie qui n’est plus qu’une longue agonie, ne laissant aucune place à l’espoir, il est important de lui en reconnaître le droit.
Il ne s’agit en aucun cas d’opposer les soins palliatifs à l’assistance médicale à mourir. II ne s’agit pas, non plus, de banaliser cette pratique, mais d’accepter, au nom de la solidarité, voire de la compassion et de l’humanisme, que des personnes malades puissent vouloir rester maîtresses de leur destin. Nous ne devons pas leur enlever cet ultime espace de liberté auquel a droit tout être humain.
C’est la raison pour laquelle les radicaux de gauche réclament depuis longtemps une loi pour encadrer le droit de mourir dans la dignité. En 1980, déjà, la Haute Assemblée examinait une proposition de loi du sénateur Henri Caillavet, dont je salue la mémoire, relative au droit de vivre sa mort. Malgré la ténacité du rapporteur, Jean Mézard – le père de qui vous savez… (Sourires.) –, le Sénat ne l’avait pas adoptée. Mais, plus de trente ans plus tard, à la suite de plusieurs drames particulièrement médiatisés, la question de l’expression de la volonté du malade en fin de vie est de nouveau posée, alors que les positions ont évolué au sein de la société.
Bien sûr, des réticences s’exprimeront, et pas forcément là où nous les attendons.
Pour autant, fallait-il inscrire aujourd'hui cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée ?
Pendant la campagne présidentielle, le candidat François Hollande s’est déclaré en faveur d’un texte sur la fin de vie, souhaitant que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». C’est donc tout naturellement qu’il a engagé un débat public dès juillet 2012.
Depuis lors, la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, présidée par le professeur Didier Sicard, le Comité consultatif national d’éthique et la Conférence de citoyens ont rendu des avis. Dans les prochaines semaines, le Comité consultatif national d’éthique rendra un nouveau rapport, qui devrait faire la synthèse des propositions ayant émergé du débat public. Nous savons, madame la ministre, que vous travaillez de façon très active, et même ardente, pour qu’un projet de loi soit déposé au Parlement avant l’été prochain.
Dans ces conditions, j’avoue ne pas très bien comprendre la position de nos collègues écologistes. Cela dit, je me félicite de leur présence nombreuse aujourd'hui, un fait tellement rare qu’il mérite d’être relevé. (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Hélène Lipietz. Ce n’est pas rare du tout !
Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes très présents !
M. François Fortassin. Je ne comprends pas très bien, disais-je, leur démarche, qui consiste à vouloir à tout prix débattre de ce texte, alors même que nous savons pertinemment qu’un projet de loi est en préparation. À moins que ce ne soit qu’une pure opération de communication, dont nos collègues écologistes sont d’ailleurs, nous le savons depuis longtemps, très friands ! Toutefois, je me demande si une telle démarche sert le travail parlementaire… J’en doute même vivement !
Il est également très regrettable que nous soyons amenés à débattre d’un texte déposé en décembre 2013 et qui, de ce fait, n’a pas pu être examiné par le Conseil d’État, contrairement aux cinq propositions de loi déposées en 2012 par plusieurs sénateurs de divers groupes, dont le nôtre.
Si l’on ajoute à cela que les auteurs de la présente proposition de loi sont favorables à la motion tendant au renvoi à la commission, comment ne pas conclure à une opération dont l’honorabilité est douteuse, revenant à tirer la couverture à soi pour se mettre en avant médiatiquement, …
Mme Hélène Lipietz. Et vous, jamais ?
M. François Fortassin. … quand d’autres ont entamé un travail de fond depuis longtemps ? Un tel sujet ne mérite pas qu’on recoure à de tels procédés.
À cet égard, permettez-moi une métaphore agricole à laquelle, j’en suis sûr, certains d’entre vous, chers collègues, seront sensibles : vous êtes en train de récolter le regain que d’autres ont fauché ! À chacun ses méthodes !
Pour toutes ces raisons, notre groupe, à la pointe du combat politique en faveur d’une fin de vie dans la dignité, votera à l’unanimité la motion tendant au renvoi à la commission que le rapporteur nous présentera tout à l'heure.
Rappel au règlement
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, je tiens à répondre, avec beaucoup de sympathie et de respect, bien sûr, à notre collègue François Fortassin.
Notre débat est très important et il est empreint, depuis le début, d’une grande dignité. À cet égard, je remercie l’ensemble des intervenants, notamment Mme la ministre.
Entre autres remarques peu amènes que notre collègue François Fortassin, que j’ai connu mieux inspiré, a faites à l’instant sur l’attitude du groupe écologiste, il en est une, concernant notre prétendue fainéantise ou notre faible présence en séance publique, qui relève peut-être d’une sorte de gauloiserie radicale,…
M. François Fortassin. Non !
M. Jean-Vincent Placé. … mais qui me semble appeler des excuses de sa part. D’autant que, si j’en crois le site internet www.nossenateurs.fr, c’est le groupe écologiste qui est le plus présent dans l’hémicycle !
J’ai cru comprendre que certains membres du groupe radical aimaient bien engager, de façon qu’on pourrait qualifier de « virile », des polémiques personnelles avec leurs collègues écologistes. Nous sommes connus pour être pacifiques et non violents : nous ne répondrons donc pas sur le même ton ; nous sommes même prêts à tendre l’autre joue ! François Fortassin, même s’il n’est pas imprégné de christianisme, comprendra certainement mon allusion...
Monsieur le président, je tenais à faire cette mise au point, pour que notre débat se poursuive dans la sérénité.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
M. François Fortassin. Monsieur le président, puis-je répondre à M. Placé ?
M. le président. Monsieur Fortassin, je vous accorde quelques secondes.
M. François Fortassin. Je devrais m’excuser auprès de nos collègues écologistes si j’avais lancé des attaques inqualifiables. Mais je n’ai fait que souligner la présence nombreuse, aujourd'hui, des membres du groupe écologiste, parce qu’elle n’est pas habituelle. Ce n’était pas un reproche qui leur était adressé !
Par ailleurs, j’ai le droit de porter une appréciation sur ce texte, qui n’apporte pas grand-chose, sinon qu’il nous permet d’avoir ce débat.
Restons calmes, mes chers collègues ! Au demeurant, si nos joutes oratoires devaient dégénérer, notre immunité parlementaire nous couvrirait. (Sourires.)
Discussion générale (suite)
M. Gérard Dériot. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe écologiste traite d’un sujet extrêmement sensible, qui renvoie chacun d’entre nous à ses peurs les plus intimes : l’abandon, la souffrance, la mort. Il ne s’agit donc pas d’un débat comme un autre.
Ce texte, qui vise à mettre en place l’assistance médicalisée pour mourir, reprend les principales dispositions de celui qui avait été présenté en 2011 par notre collègue Jean-Pierre Godefroy, lequel avait en outre été rapporteur de trois propositions de loi similaires.
Ce sujet est d’autant plus malaisé à aborder que nos sociétés contemporaines ont manifestement un problème avec la mort. L’allongement de la durée de vie, l’amélioration des soins et de l’hygiène, l’accoutumance à une forme de confort que n’avaient pas connus les générations précédentes ont rendu insupportables la mort, la maladie, voire le handicap. Désormais, nous avons malheureusement le réflexe de détourner les yeux, alors que ces phénomènes sont toujours aussi présents qu’avant.
Chacun l’a rappelé, c’est maintenant à l’hôpital que l’on meurt le plus souvent : deux décès sur trois y surviennent. Si l’hôpital offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur, il symbolise surtout la mort solitaire, anonyme et surmédicalisée que redoute l’immense majorité d’entre nous. Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, dans le silence du recueillement, semble céder la place au défunt anonyme, abandonné dans l’indifférence de l’hôpital en raison de l’impossibilité de l’entourer dans laquelle se trouvent les siens. Bien sûr, il n’est pas question pour moi, en disant cela, de remettre une seconde en cause le travail des personnels soignants, non plus que l’organisation hospitalière, même s’il reste encore beaucoup à faire à cet égard.
Toutes ces angoisses n’étant pas nouvelles, un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est le fruit du consensus recueilli par la commission spéciale présidée par Gaëtan Gorce, et dont le rapporteur était Jean Leonetti. Je souhaite d’ailleurs rendre un hommage tout particulier à son travail, et je suis fier d’avoir été rapporteur de cette loi au Sénat.
Aujourd’hui, je persiste à penser que ce texte constitue la réponse la plus appropriée au problème de la fin de vie dans notre pays. Il est vrai que la loi a été adoptée à l’unanimité par l'Assemblée nationale, où vous siégiez alors, madame le ministre, tandis que ce fut plus difficile au Sénat, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Pierre Godefroy. Mais il fallait un texte : c’était une nécessité absolue. Si ce texte n’avait pas été adopté conforme – il le fut, ici, à l’unanimité des présents –,…
M. Jean-Pierre Godefroy. Des présents seulement !
M. Gérard Dériot. … nous serions repartis pour de nouvelles discussions, et la loi Leonetti n’existerait pas !
M. Jean-Pierre Godefroy. Mais si !
M. Gérard Dériot. Je plaisante, bien sûr, mais force est de constater que nous éprouvons tous la nécessité de parler, de parler toujours et encore. Du reste, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, personne ne peut jamais dire qu’il a absolument raison.
Reste que cette loi existe. J’en suis conscient, moi aussi, elle est malheureusement trop peu connue et, surtout, elle n’est pas assez appliquée. Aussi me semble-t-il indispensable d’en rappeler ici les grandes lignes.
La loi Leonetti consacre le principe déontologique du refus de « l’obstination déraisonnable », définie selon trois critères : l’inutilité des traitements, leur disproportion au regard du bénéfice pour le malade, une finalité exclusivement tournée vers le maintien artificiel de la vie.
De ce principe découlent, d’une part, le droit pour la personne malade de refuser tout traitement et, d’autre part, lorsque la personne ne peut pas elle-même exprimer sa volonté, la possibilité, dans le cadre d’une procédure collégiale, d’une décision médicale de limitation ou d’arrêt des traitements.
En outre, toute personne majeure dispose de la faculté de donner des directives anticipées pour faire connaître ses intentions quant à sa fin de vie, avant de ne plus être en état de le faire.
L’équilibre global du texte repose sur le développement parallèle des soins palliatifs.
La loi s’inscrit dans le cadre préétabli des principes posés par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle comporte non seulement des dispositions spécifiques aux situations de fin de vie, définies comme « la phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable », mais également des dispositions applicables à toute situation de soins : tous les traitements, quels qu’ils soient, sont concernés, y compris les soins de suppléance vitale. La loi prend donc en compte l’ensemble des cas, que la personne soit ou non en état d’exprimer sa volonté.
Lorsque la personne malade est consciente, et alors même qu’elle n’est pas en fin de vie au sens de la loi, son refus de tout traitement, à condition d’être réitéré et après consultation éventuelle d’un autre praticien, s’impose au médecin, même lorsqu’il y a un risque pour la vie du patient.
Toutefois, c’est en situation de fin de vie que le refus de traitement s’impose pleinement, sans consultation d’un autre médecin, ni délai de réflexion, ni procédure collégiale. Le médecin doit alors respecter la volonté de la personne, tout en l’informant des conséquences de son choix.
Ces principes méritaient d’être rappelés, car les travaux d’évaluation de la loi ont montré que celle-ci reste méconnue du grand public.
La Commission de réflexion sur la fin de vie, présidée par le professeur Sicard, fait le constat suivant dans son rapport de décembre 2012 : selon les personnes interrogées, la loi ne permettrait pas aux patients d’exiger l’arrêt ou la limitation des soins, tout comme elle n’interdirait pas l’acharnement thérapeutique, une pratique pourtant interdite par la loi Leonetti et déjà proscrite auparavant par le code de déontologie médicale.
La loi prend donc position en faveur du « laisser mourir », mais refuse l’aide active à mourir. En tout état de cause, donner la mort, que ce soit de manière « active » ou « passive », cela reste de l’euthanasie : l’acte est là, qu’il soit ou non désigné comme tel. Et nous, nous refusons cet acte.
Après ces brefs rappels, j’aborderai le point qui nous réunit aujourd’hui : est-il nécessaire de légiférer de nouveau sur ce sujet ?
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Gérard Dériot. La question a été posée à l’occasion de la médiatisation de différents cas dramatiques. Nous avons tous en mémoire le combat de Chantal Sébire, atteinte d’une tumeur évolutive qui lui a causé de terribles souffrances et l’a défigurée. Nous avons tous salué sa très grande dignité face aux douleurs, tant physiques que morales, qu’elle a dû affronter avant sa disparition.
Chantal Sébire demandait l’euthanasie, une possibilité qui n’est effectivement pas prévue par la loi Leonetti. Mais était-ce la seule solution qui lui était offerte ? Eh bien non ! Comme son avocat l’avait expliqué, Chantal Sébire refusait la solution proposée par la loi, c’est-à-dire le coma artificiel et la mort qui peut s’ensuivre au bout de quelques jours. Nous ne pouvons donc pas prétendre que la loi n’avait pas prévu la situation dans laquelle s’est retrouvée Chantal Sébire.
Je demeure très humble devant ces problématiques si complexes et je me garderai bien de tout jugement. Mais nous devons malgré tout avoir le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder le débat sur la fin de vie et sur les soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes qui nous sont trop souvent présentés dans les débats médiatiques.
Le droit actuel affirme solennellement que tout malade a le droit d’être accompagné en fin de vie et d’être aidé par des soins destinés à soulager sa douleur physique, à apaiser ses souffrances morales et à sauvegarder sa dignité.
La loi n’omet pas de préciser que ces soins doivent être accessibles en institution médicale comme à domicile et qu’ils ont aussi pour objectif de soutenir l’entourage du malade.
Prenons du recul et reconnaissons que, en la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir et celle de se voir voler sa mort par l’administration excessive de sédatifs ; le refus de l’acharnement thérapeutique et l’inquiétude de se voir jugé, par les médecins, inéligible à certains traitements ; la crainte de sa propre déchéance, qu’elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l’on pensera lire dans le regard de l’autre.
Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge sa propre opinion, infiniment variable selon qu’il s’agit d’une éventualité abstraite et à venir ou d’une réalité vécue et subie.
Face à ces interrogations et à ces craintes, certains militent pour le droit à l’euthanasie, au suicide assisté ou encore à l’aide active à mourir. Le contexte émotionnellement dramatique de telle ou telle affaire qui bouleverse nos concitoyens leur donne l’occasion de faire valoir leurs arguments.
Comme je l’ai rappelé, la loi actuelle permet, par une approche globale, d’appréhender de façon humaine et structurée les différentes hypothèses selon lesquelles peut se dérouler la fin d’une vie, tout en respectant une vision profondément morale et éthique de notre société.
En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l’interdit de tuer, interdit dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Comme nombre de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cette limite, que je me refuse à voir franchie.
Le professeur Didier Sicard, dans le rapport dont j’ai déjà parlé, met en garde le législateur contre la tentation de légiférer pour autoriser l’euthanasie, concluant : « L’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait des missions de la médecine, faisant basculer celle-ci du devoir universel d’humanité de soins et d’accompagnement à une action si contestée d’un point de vue universel. La commission ne voit pas comment une disposition législative claire en faveur de l’euthanasie, prise au nom de l’individualisme, pourrait éviter ce basculement. »
En revanche, la commission Sicard fait une recommandation particulière sur la pratique de la sédation, interprétant de façon contestable la loi de 2005. En effet, elle propose l’administration d’une sédation à but terminal : « Lorsque la personne en situation de fin de vie, ou en fonction de ses directives anticipées figurant dans le dossier médical, demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, voire toute alimentation et hydratation, il serait cruel de la "laisser mourir" ou de la "laisser vivre", sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort. »
Jean Leonetti, dans son rapport d’avril 2013 fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, met en garde contre l’extension de l’interprétation de la « sédation terminale » et rappelle : « La sédation en phase terminale prévue par l’article L. 1110-5 du code de la santé publique vise à soulager le malade, en aucun cas à le faire mourir. Si l’on devait accepter cette double intentionnalité, soulager et accélérer la mort, le risque de confusion et de dérive existerait lors de la mise en place de toute sédation profonde en phase terminale. »
Je suis par ailleurs convaincu que la médecine n’est pas faite pour tuer. Tous les professionnels de santé ont été formés pour faire l’inverse ! Le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l’on confonde un jour les officines avec une armurerie vendant de quoi tuer. Certes, j’exagère un peu !
M. Roland Courteau. En effet !
M. Gérard Dériot. Il n’est pas envisageable de demander aux médecins de trahir le serment d’Hippocrate et d’imposer aux personnels médicaux de donner la mort. Cette limite rappelée, nous ne sommes pas hostiles, bien sûr, à la poursuite de ce débat ni, surtout, à la nécessaire évaluation d’ensemble des moyens consacrés à la prise en charge des maladies chroniques, des pathologies lourdes et dégénératives appelant la mise en œuvre de suppléances vitales, ainsi qu’à l’accompagnement du grand âge et de la fin de vie.
J’ai conscience du développement insuffisant des soins palliatifs, que tout le monde a déploré. Il faut absolument, madame le ministre, remédier à cette situation.
Le manque de formation en soins palliatifs et à la prise en charge de la douleur, au cours des études de médecine, explique en grande partie les manques actuels en ce domaine. Selon le rapport Sicard, 80 % des médecins n’auraient jamais suivi de formation sur la prise en charge de la douleur, que ce soit en formation initiale ou continue. En effet, la pratique des soins palliatifs ne doit pas être l’apanage des services de soins palliatifs. Tout médecin peut pratiquer des soins palliatifs, y compris sédatifs, s’il a reçu la formation adéquate et s’il dispose des protocoles appropriés.
Cela étant, il ne faut d’ailleurs pas que soit mis en place dans chaque hôpital un service dédié aux soins palliatifs, car de tels soins doivent pouvoir être prodigués de manière transversale et pratiqués par tous, afin que les patients n’aient pas le sentiment d’être dirigés vers un mouroir.
Par ailleurs, une enquête réalisée auprès des médecins, toutes spécialités confondues, pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, montre que la loi est mal connue par 53 % des praticiens interrogés.
Dans le premier rapport de l’Observatoire national de la fin de vie de février 2011, le professeur Régis Aubry fait état de l’inadéquation de la formation des acteurs de santé : depuis 2005, seulement 2 % des médecins généralistes ont été formés à la question de la fin de vie.
Ce constat sans appel nous oblige à agir, notamment à développer la formation en soins palliatifs.
Il nous appartient aussi de mieux faire connaître la loi et, surtout, de la faire appliquer, car, je le maintiens, elle est équilibrée. Tout d’abord, elle confirme l’interdit de tuer. Ensuite, elle replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit de maîtriser la fin de sa vie. Enfin, elle restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : il lui appartient de faire le choix du traitement adapté, d’informer le malade et son entourage sur les risques véritables liés à certains médicaments et sur les conséquences prévisibles de l’interruption des soins, d’accompagner le patient jusqu’au bout de son chemin et de prendre parfois lui-même, en toute transparence, l’initiative d’y mettre fin.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, cette loi a l’immense mérite d’exister. Nous avons tenu les uns et les autres à ce qu’elle existe. S’il est sans doute nécessaire de continuer à en évaluer l’application, s’il est utile d’en débattre, il est surtout impératif de la faire connaître des professionnels. Il faut surtout, madame le ministre, développer davantage les soins palliatifs, tant à l’hôpital qu’au domicile des malades. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, nous examinons un texte portant sur l’assistance médicalisée pour mourir.
On le voit bien, la proposition de loi de nos collègues écologistes traite à la fois de ce qui est trop communément appelé « euthanasie », mais aussi de l’aide au suicide.
Depuis mon explication de vote, lors du débat du 25 janvier 2011, chacun sait ici que je suis favorable à l’assistance médicalisée pour mourir. J’ai confirmé cette position en déposant moi-même une proposition de loi sur ce sujet le 2 décembre 2013.
Je ne reviendrai pas sur les raisons qui m’animent. Elles sont absolument identiques à celles que mes collègues favorables au texte ont déjà exposées : permettre aux personnes pour qui la vie est devenue physiquement ou moralement insupportable de demander une aide médicale pour abréger leur vie.
Les débats médiatiques et les opinions tranchées appellent de ma part quelques réflexions.
J’évoquerai tout d’abord le terme « euthanasie », abondamment employé par les médias et par nous-mêmes ici. Nous savons ce qu’il signifie exactement : « bonne mort », mais nous savons aussi qu’il a été totalement détourné de son sens parce qu’il a été utilisé pour définir la mort la plus violente qui soit, celle qui a été infligée aux Juifs dans les camps d’extermination aussi bien qu’à l’extérieur de ces derniers. Il ne faut donc pas s’étonner que ce mot évoque une mort violente infligée à l’autre.
Or c’est tout le contraire qui est proposé dans ce texte et dans tous ceux qui ont déjà été déposés.
J’évoquerai ensuite la loi Leonetti puisque c’est généralement son existence qui est invoquée face aux demandes d’assistance médicalisée à mourir.
Personne ne songe à remettre en question cette loi, qui vise à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, car c’est une bonne loi. Et nous souhaitons tous que l’ensemble de nos concitoyens puissent avoir accès à une fin de vie apaisée. Malheureusement, on sait que la loi Leonetti est mal connue, parfois mal interprétée et, de toute façon, très inégalement appliquée sur le territoire.
Par ailleurs, les soins palliatifs s’adressent, par définition, aux personnes qui souffrent dans leur corps et, plus spécifiquement, à celles qui vont mourir des suites d’une maladie souvent longue, toujours incurable et douloureuse.
Mais qu’en est-il des personnes en fin de vie du fait de leur grand âge et qui ne supportent plus la dégradation de leur corps et les souffrances physiques ou psychologiques qui leur sont ainsi infligées ? Qu’en est-il des personnes plongées dans le coma et dans l’impossibilité d’exprimer leur envie de quitter une vie dont elles n’ont quelquefois même plus conscience ? Dans ces deux derniers cas, les soins palliatifs ne sont pas la réponse que les personnes concernées sont en droit d’attendre.
Il faudra bien qu’on se décide un jour à évoquer ces différentes fins de vie et qu’on analyse les solutions humaines à apporter dans ces situations.
Je n’entrerai pas aujourd’hui dans le débat que nous devrons, de toute façon, avoir le plus tôt possible. J’ai bien entendu, madame la ministre, qu’il aurait lieu avant la fin de l’actuelle mandature. Mais je reste convaincue qu’il faudra adopter un texte qui rende à l’individu, dans les conditions restrictives prévues à l’article 2 de la présente proposition de loi, la responsabilité du moment de sa mort.
Permettez-moi de répéter ce que j’ai déjà dit dans cet hémicycle le 25 janvier 2011 et que chaque être humain peut prendre à son compte :
« Alors que j’ai vécu en exerçant ma liberté et ma responsabilité, pourquoi ma fin de vie, si elle me place dans la situation dramatique [visée], devrait-elle être le seul moment qui échappe ma décision ? […]
« Qui peut décider, à ma place, de ce que je considère comme supportable ou non ?
« Qui peut décider, à ma place, que même si mes douleurs physiques sont apaisées, je dois supporter des souffrances morales ou psychologiques ?
« Qui peut décider, à ma place, de me priver d’un adieu lucide et serein, entourée de ceux que j’aime et qui m’aiment ?
« Pourquoi me voler cette ultime liberté ? »
Cette question reste posée. À cet égard, je reprendrai les termes employés par mon collègue Gérard Roche devant la commission la semaine dernière : « Il nous faudra réfléchir à une éthique de la mort qui s’inscrive dans le parcours de santé. » Cette approche permettrait sans doute d’évoquer ce sujet de manière dépassionnée.
Il y a urgence. Nos concitoyens attendent de nous des positions responsables et raisonnables. Ils attendent de pouvoir exercer leur ultime liberté et nous nous devons de répondre sereinement à cette attente.
Je tiens à préciser avec la plus grande clarté que la position que je viens d’exprimer n’est pas celle de la majorité du groupe UDI-UC, qui est plutôt opposé à toute aide à mourir. Mais les sénateurs de mon groupe souhaitent, comme moi, qu’un débat éclairé et serein puisse avoir lieu dans cet hémicycle sur ce sujet. Je peux donc dès à présent vous indiquer qu’ils sont favorables à la motion tendant au renvoi à la commission qui nous sera proposée tout à l’heure. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Catherine Deroche et M. Yann Gaillard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la société a besoin d’un appui, comme en témoignent des milliers d’histoires intimes, toujours émouvantes, souvent tristes, parfois dramatiques. La gravité du sujet mérite bien une procédure originale, dont le seul but est de faire en sorte que se retrouvent tous les auteurs de propositions de loi. Ce n’est vraiment pas l’occasion de joutes politiciennes…
Le Sénat a toujours été en pointe sur la question de la fin de vie et la discussion que nous avons ce soir, à la demande du groupe écologiste, fait suite à de nombreux débats.
En 1978, le sénateur Henri Caillavet avait déposé une proposition de loi relative au droit de vivre sa mort. Cet humaniste et libre penseur avait eu le courage de lancer le débat, mais la société n’était pas prête.
J’évoquerai aussi ce débat de janvier 2011 au cours duquel le Sénat avait malheureusement détricoté une proposition de loi déposée par certains de nos collègues centristes, socialistes, communistes et de l’UMP. Depuis, rien n’a changé : il n’y a plus eu d’initiatives et les propositions de loi restent dans les armoires.
Le seul texte qui traite en partie de ce sujet est la loi Leonetti, votée en 2005. Lors de l’examen de ce texte au Sénat, l’ensemble des forces de gauche avaient décidé de ne pas prendre part au vote, le débat ayant été impossible, car, comme cela vient de nous être rappelé, le gouvernement de l’époque exigeait un vote conforme.
Pourtant, en tant que militante de l’association pour le droit de mourir dans la dignité – ADMD –, dont je tiens à saluer le président, Jean-Luc Romero, ainsi que l’action, j’ai toujours reconnu les avancées de cette loi qui évoque l’interdiction de l’acharnement thérapeutique, qui légalise l’administration de médicaments aux malades pour les soulager, quitte à ce que la dose soit létale. Toutefois, je sais aussi les insuffisances de cette loi, car l’amenuisement physiologique n’est pas une bonne réponse à l’exigence d’un droit de mourir dans la dignité.
Régulièrement, l’actualité révèle le cas de personnes implorant une fin de vie digne. Mais combien peuvent réellement bénéficier des dispositions prévues par la loi Leonetti ? Est-il normal que les médias restent, pour beaucoup de patients, dans ces circonstances solennelles où l’on a avant tout besoin de sérénité, le seul recours pour voir leur situation et leur douleur prises en compte ?
Selon moi, il est de notre rôle de légiférer afin de passer de la pénalisation d’un acte à sa reconnaissance en tant que droit.
Nous le savons, le sujet de la fin de vie est un sujet sensible : il touche à notre conception de la vie, de la mort, de la solidarité, de la dignité. Chacun l’aborde avec son histoire personnelle, avec le souvenir de proches que l’on a vu partir, parfois sereinement, parfois dans la souffrance, alors qu’une mort digne et douce aurait été préférable.
La proposition de loi de notre collègue Corinne Bouchoux se place dans la continuité des débats et des textes de la République pour garantir les libertés : elle va dans le sens d’une reconnaissance du droit des malades et d’une reconnaissance bien encadrée d’un droit à mourir dans la dignité.
Deux événements sont survenus après le choix des écologistes d’inscrire ce texte au débat.
Le drame de Vincent Lambert, entre hôpital, justice et famille divisée, nous montre la nécessité d’un texte et d’outils tels que le registre des directives anticipées.
Quant à l’annonce faite par le Président de la République le 14 janvier 2014, elle aurait pu nous faire renoncer. Toutefois, nous avons choisi de prendre nos responsabilités, d’ouvrir le débat au Parlement, d’y associer tous les collègues mobilisés, sans privilège d’auteur, et d’accepter, dans le consensus que mérite la fin de vie, qu’au sein de la commission des affaires sociales chacun se saisisse de cette question, en disposant du temps de réflexion qu’exige ce grave sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. « Je vous demande le droit de mourir », écrivait Vincent Humbert au Président de la République. C’était en 2002. Mais cette demande pourrait encore être faite aujourd’hui.
En effet, la loi Leonetti est insuffisante.
Comme le rappelait Véronique Neiertz, ancienne ministre, « au vingtième siècle, l’être humain a gagné le droit de donner la vie à un enfant ou de ne pas la donner. » Elle ajoutait : « Une nouvelle frontière des droits de la personne reste à conquérir pour le XXIe siècle : le droit de quitter la vie en toute dignité, le droit d’être humain et de pouvoir le rester jusqu’au bout. »
C’est en quelque sorte un dernier hommage que chacun peut rendre à la condition humaine : choisir le moment et les conditions de sa mort, plutôt que les subir.
J’ai déposé en 2012 une proposition de loi allant dans ce sens et j’apprécie aujourd’hui de pouvoir m’exprimer sur ce sujet. Je le sais sensible et parfois clivant, relevant de la morale et de l’éthique de chacun. Mais je sais aussi qu’il est important que nous ayons ce débat, pour contribuer à faire avancer notre société.
Je remercie donc les auteurs de cette proposition de loi.
L’homme sait que la mort lui appartient. Nul ne devrait pouvoir lui interdire de décider des conditions de sa fin de vie C’est son ultime liberté.
En fait, de la même manière que nous nous battons pour que chaque personne vive libre, dans la seule limite du respect de la liberté des autres, il faudrait, comme l’indiquait le philosophe André Comte-Sponville, ajouter un droit aux droits de l’homme : le droit de s’en aller.
Je ne nie pas que d’importants progrès aient été réalisés, avec le développement des soins palliatifs et l’arrêt de l’acharnement thérapeutique, autorisé par la loi de 2005. Cependant, il demeure beaucoup de personnes dont la souffrance physique et psychique est si grande qu’elle ne peut être apaisée.
Surtout, il est des cas comme le handicap extrême, la dépendance totale, celui de la personne paralysée des quatre membres et qui veut mourir parce qu’elle n’accepte pas la déchéance ou cette lente et terrible dégradation de son corps. Elle veut mourir parce qu’elle refuse d’imposer cette déchéance aux autres, à ses proches et à la société. Tous les hommes et toutes les femmes n’acceptent pas forcément de déchoir. Elle veut mourir, parce que, lucide, elle n’accepte pas cette détérioration intégrale, ce calvaire avilissant qu’elle subit et que la loi lui impose, tel un châtiment.
Pour ces cas-là, chers collègues, les soins antidouleur ne constituent pas une réponse. Pour ces cas-là, la loi demeure insuffisante. Et dans ces cas-là, l’homme, qui est maître de sa vie, doit avoir le droit d’y mettre un terme. Il doit avoir le droit qu’on puisse l’y aider, s’il ne peut, seul, y parvenir.
Oui, ce combat, que nous sommes de plus en plus nombreux à engager, se fonde sur les valeurs essentielles que sont la liberté et la dignité.
La société doit donc permettre à la volonté de chacun de s’exprimer. Il s’agit d’un choix qui est certainement, selon l’expression de Viviane Forrester, le choix « le plus intime d’une vie : sa mort »
C’est la raison pour laquelle, le 8 juin 2012, j’avais moi-même déposé une proposition de loi relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs. Cette proposition, je l’avais déposée en conscience, parce que, aujourd’hui encore, on meurt « mal » en France et que les moyens mis en place par la loi sont, je le répète, loin de régler toutes les situations.
En 2010, un sondage révélait que 94 % des personnes interrogées étaient favorables à la possibilité de recourir à une aide active à mourir. Par ailleurs, une étude menée par l’OCDE montrait que sur trente-trois pays, la France se situait au douzième rang des pays dans lesquels on meurt « le mieux », derrière les Pays-Bas et la Belgique. J’ai donc, moi aussi, pensé à légiférer pour permettre, tout en l’encadrant strictement, le recours à l’aide médicale à mourir dans la dignité.
L’enjeu d’un texte sur la fin de vie et l’aide médicale est de donner une liberté, un nouveau droit. La demande qui sera faite devra bien évidemment être libre, éclairée, réfléchie et réitérée, selon une procédure qui encadre cette aide et dans des délais précis.
Je prône, pour ma part, plusieurs mesures qui devraient figurer dans une loi appelée à constituer, selon moi, une avancée sociétale majeure. Je n’énumérerai pas les différentes dispositions prévues dans le texte de ma proposition de loi, me contentant de vous renvoyer au texte de celle-ci.
Je tenais à exprimer ici mon adhésion à la philosophie générale du texte qui nous est présenté aujourd’hui. Sachez, Corinne Bouchoux, que nous nous rejoignons sur la plupart des dispositions proposées, y compris sur l’importance de la mise en place d’un registre national automatisé.
Mes chers collègues, nous avons été quelques-uns à déposer des textes sur ce sujet. Ceux de MM. Godefroy, Fouché, Gorce, Mézard, de même que le mien, avaient été soumis au Conseil d’État pour avis. Ce dernier avait rendu un avis plutôt positif, malgré quelques réserves nous incitant à les reprendre sur certains points et même à les fusionner dans un texte qui soit le plus exhaustif possible.
C’est ce sur quoi nous pourrions travailler, en incluant la proposition de loi de Mme Bouchoux. Nous avons le devoir d’agir. Nous devons cela aux personnes qui attendent cette loi.
Mais ce débat ne saurait pas avoir lieu dans la précipitation, et je serais enclin à soutenir un texte concerté, transpartisan, sur lequel nous aurions travaillé conjointement au sein, bien sûr, de la commission des affaires sociales, un texte qui pourrait aussi enrichir ou compléter le projet de loi du Gouvernement.
Pour conclure, je reprendrai les propos de mon collègue Jean-Pierre Godefroy, qui affirmait voilà quelques années : « Nous bâtissons un droit, celui de la fin de vie, qui, parce qu’il touche à l’essentiel, ne cessera d’évoluer. » Il ajoutait : « Le chemin sera encore long, mais c’est avec confiance et détermination que nous l’empruntons. » Je crois que l’on ne saurait mieux dire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Desessard, au nom de la commission des affaires sociales, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales la proposition de loi relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne (n° 182, 2013-2014).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, vice-président de la commission des affaires sociales, pour la motion.
M. Jean-Pierre Godefroy, vice-président de la commission des affaires sociales. Il me revient en effet de défendre, au nom de la commission des affaires sociales, cette motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne.
Depuis 2005, le sujet de la fin de vie revient dans nos débats au Sénat avec une fantastique régularité : tous les trois ans. En 2005, nous avons adopté la loi Leonetti. En 2008, mon groupe a pris l’initiative d’une question orale avec débat sur le sujet. En 2011, dépassant nos clivages partisans, nous avons réussi à faire adopter en commission des affaires sociales un texte qui fut ensuite discuté en séance, mais rejeté. Et nous voilà aujourd’hui réunis pour l’examen de cette proposition de loi déposée par certains de nos collègues du groupe écologiste. J’espère que nous n’aurons pas un cinquième débat en 2017 ! Nous avons trop attendu, et je commence à avoir le sentiment de trop me répéter. Cependant, madame la ministre, vos propos et la volonté affichée par le Président de la République me rassurent.
Depuis neuf ans, je suis régulièrement amené à ressortir mes précédentes interventions, en constatant avec regret que je pourrais me dispenser de les modifier puisque rien n’a changé ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Ce sera encore une occasion manquée, aujourd'hui !
M. Jean-Pierre Godefroy, vice-président de la commission des affaires sociales. Notre droit ne permet toujours pas d’assurer le respect de la liberté de choix d’un malade en fin de vie qui souhaite accéder à une assistance médicalisée pour mourir.
Pourquoi suis-je favorable au renvoi en commission alors que je souscris à l’esprit du texte, qui se rapproche à de nombreux égards de la proposition de loi que j’avais déposée avec le groupe socialiste le 31 janvier 2012 ? Permettez-moi de revenir sur la façon dont le sujet de l’assistance médicalisée pour mourir a été abordé dans notre assemblée au cours des dernières années.
En 2010, parce que nous pensions que la question de l’assistance pour mourir dépassait nos clivages partisans habituels, nous avions fait le choix d’un travail en commun réunissant des membres de différents groupes. Le recours à cette méthode dans nos assemblées est suffisamment exceptionnel pour être relevé. Nous disposions à l’époque de trois propositions de loi sur le sujet. Sous la présidence de notre collègue Muguette Dini, que je tiens à remercier, nous avons décidé de faire examiner en commun ces trois propositions de loi par la commission des affaires sociales, laquelle avait alors adopté un texte unique, de synthèse. Issu de propositions de sénateurs de groupes politiques différents, ce texte n’était ni politiquement ni idéologiquement partisan. Il ne reflétait la position unanime d’aucun groupe, nous renvoyant tant à nos convictions personnelles qu’à notre responsabilité de législateurs.
Depuis lors, j’ai toujours souhaité travailler en commun avec l’ensemble des signataires de propositions de loi relatives à la fin de vie, qui appartiennent aux différents groupes politiques composant notre assemblée. Sept propositions de loi relatives à la fin de vie sont actuellement enregistrées au Sénat : celle qu’avait déposée le groupe socialiste en 2012 a été suivie, dans l’ordre chronologique, par celles de Roland Courteau, d’Alain Fouché, de Gaëtan Gorce, de Jacques Mézard, de Muguette Dini et enfin de Corinne Bouchoux.
Les sénateurs du groupe écologiste ont déposé une proposition de loi et demandé son inscription à l’ordre du jour de la présente séance, dans le cadre de leur espace réservé. Nous ne pouvons que les en remercier. Je me félicite que nous puissions aborder ce sujet qui relève d’une démarche commune.
Le 7 février 2013, le Conseil d’État, qui avait été saisi par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, a émis un avis sur les cinq propositions de loi qui étaient déjà enregistrées. La proposition de loi de Corinne Bouchoux n’a donc pas pu bénéficier de l’analyse particulièrement précise et éclairante du Conseil d’État. Les observations qu’il a formulées pourraient très utilement servir la qualité de cette proposition de loi, d’autant qu’elle pose un certain nombre de questions ; je pense notamment à son article 2, qui évoque les personnes atteintes d’une affection « avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable ». La notion de « tendance invalidante » mériterait d’être clarifiée. C’est un point de discussion dont la commission des affaires sociales pourrait s’emparer.
Comme vous le savez, le Président de la République s’était engagé, pendant sa campagne, à permettre l’assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. Conformément aux dispositions issues de la loi relative à la bioéthique de 2011, les projets de loi relatifs aux problèmes éthiques et aux questions de société doivent être précédés d’un débat public, suivi d’un rapport du Comité consultatif national d’éthique. Cette procédure ne s’applique pas aux propositions de loi. Le Gouvernement a choisi – vous nous avez rassurés à cet égard, madame la ministre – de passer par la voie d’un projet de loi, afin de prendre le temps d’une réflexion apaisée et approfondie.
Deux mois après son élection, le Président de la République a commandé au professeur Sicard un rapport sur la fin de vie, qui lui fut remis en décembre 2012. En juillet 2013, le Comité consultatif national d’éthique a rendu son avis. Au mois de décembre dernier, nous avons également recueilli l’avis particulièrement intéressant de la Conférence citoyenne constituée d’un panel de citoyens sélectionnés par l’IFOP. Elle s’est prononcée sur la question, allant d’ailleurs assez loin dans ses recommandations : suicide assisté et exception d’euthanasie.
Le 14 janvier, lors de sa conférence de presse, le Président de la République a réaffirmé sa détermination à agir pour « permettre à toute personne majeure atteinte d’une maladie incurable provoquant une souffrance psychologique ou physique insupportable et qui ne peut être apaisée, de pouvoir demander, dans des conditions strictes, une assistance médicalisée pour terminer sa vie en dignité ». À ma grande satisfaction, le Président de la République a donc repris, à quelques différences près, les termes de la proposition que loi que le groupe socialiste avait déposée en janvier 2012.
Nous sommes aujourd’hui dans l’attente du rapport du Comité consultatif national d’éthique, qui devrait être remis dans les semaines à venir. C’est la dernière étape avant qu’un projet de loi puisse nous être présenté ; nous espérons qu’il le sera avant l’été.
La procédure exigée pour les projets de lois relatifs aux questions éthiques ayant été engagée par le Gouvernement, pouvons-nous nous en exonérer aujourd’hui pour nos propositions de loi ? C’est possible d’un point de vue technique, mais je pense qu’il est préférable d’attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique. Néanmoins, si le texte annoncé par le Président de la République se faisait trop attendre (Sourires.),…
Mme Éliane Assassi. Des menaces ? (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Godefroy, vice-président de la commission des affaires sociales. … le travail réalisé en commun au Sénat trouverait toute son utilité. Un texte élaboré en commun, comme nous l’avions fait en 2011, aurait le poids que lui conférerait l’hétérogénéité politique des signataires.
Au moment où nous apercevons le bout de ce long processus, je ne crois pas qu’il soit opportun d’examiner un texte à la hâte. Ma détermination de sortir de l’immobilisme est bien connue de vous depuis les précédents débats. Le patient doit être traité comme un individu libre, autonome, disposant de la liberté de prendre les décisions qui le concernent, y compris et même surtout lorsqu’il s’agit de sa fin de vie. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce point lors de la discussion générale ; je n’y reviens donc pas.
Bien que je sois convaincu de la nécessité de légiférer rapidement sur les problématiques de l’assistance médicalisée pour mourir, je propose, au nom de la commission des affaires sociales, l’adoption de cette motion tendant au renvoi à la commission. Son but est absolument contraire à celui qui est habituellement poursuivi par les auteurs de ce type de motion.
M. Jean Desessard, rapporteur. Oui !
M. Jean-Pierre Godefroy, vice-président de la commission des affaires sociales. En accord avec l’auteur et le rapporteur de la proposition de loi, je défends cette motion dans le but de voir les choses changer rapidement, éventuellement par le biais d’un texte consensuel, et qui recueillerait, comme en 2011, le soutien de la commission des affaires sociales, voire pourrait être présenté en son nom.
Le délai ainsi ouvert nous permettrait de tenter d’apporter une réponse satisfaisante et juridiquement claire à des situations comme celle de M. Vincent Lambert. En effet, pour avoir suivi ce matin les débats du Conseil d’État, réuni en formation collégiale, j’estime que l’avis formulé par le rapporteur public suscite des interrogations. Sans préjuger de la décision qui sera rendue le 14 février – je rappelle au passage que le délai maximal d’une demande de complément d’information est de six semaines –, quelques points doivent attirer notre attention.
Premièrement, la proposition faite par le rapporteur public d’une nouvelle expertise médicale pour évaluer l’affection de Vincent Lambert et le bien-fondé de la décision collégiale prise par les médecins de l’hôpital de Reims mérite une réflexion de notre part.
Deuxièmement, le rapporteur public a proposé de consulter le Comité consultatif national d’éthique, qui est en train d’élaborer son rapport, ainsi que l’Ordre des médecins et l’Académie de médecine, qui ont déjà été maintes fois consultés sur le sujet.
Troisièmement, le rapporteur public a également suggéré de saisir le rapporteur de la loi de 2005. Mes chers collègues, cette suggestion ne peut-elle être interprétée comme une invite au législateur, afin qu’il conforte les dispositions actuellement prévues par la loi ?
Dans la mesure où nos différentes propositions de loi ne règlent pas ces questions, il me semble qu’il nous appartient de tenter, par un travail commun, d’améliorer ces textes à la lumière des remarques formulées par le Conseil d’État sur les cinq d’entre eux dont il a eu à connaître. Nous n’avons pas encore pu effectuer ce travail.
Cela étant, force est de constater qu’il est nécessaire d’agir rapidement. Notre réflexion commune nous permettra d’aborder dans les meilleures conditions le projet de loi qui devrait être déposé par le Gouvernement ou de prendre l’initiative collective de l’inscription d’une proposition de loi commune à l’ordre du jour de notre assemblée.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, je continue à plaider en faveur de l’élaboration d’un texte consensuel, qui pourrait se suffire à lui-même ou nous servir d’argument dans le débat que nous aurons avec le Gouvernement s’il présente un projet de loi, ce dont je ne doute pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, contre la motion.
Mme Éliane Assassi. Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste voteront en effet contre cette motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne.
Que les choses soient claires : il s'agit d’un vote contre la procédure choisie par les auteurs de la proposition de loi, et non contre la proposition elle-même. Comme l’a indiqué Laurence Cohen, les membres de notre groupe sont majoritairement favorables à cette proposition. J’y suis moi-même favorable ; je me retrouve d'ailleurs dans bon nombre des interventions de cet après-midi.
Comme d’autres groupes politiques du Sénat, nous avons travaillé sur la question de la fin de vie. Nous avons même déposé une proposition de loi, dont le premier signataire était Guy Fischer. C’est donc avec étonnement que nous avons lu tout à l'heure, dans un journal du soir, que le Sénat allait travailler sur la base d’une proposition de loi du groupe écologiste, dont je rappelle à mon tour qu’elle reprend plusieurs propositions déposées auparavant au Sénat.
Que dire, sinon que le débat sur la fin de vie dépasse les clivages partisans ? Il n’y a pas une sensibilité de gauche plus éclairée que les autres sur ce sujet, qui mérite le plus grand respect. La fin de vie ne peut pas et ne doit pas être un sujet de communication.
J’en reviens aux raisons de notre vote contre cette motion de renvoi en commission soutenue par les auteurs mêmes de la proposition de loi. Notre vote repose sur une position de principe : le respect de l’initiative parlementaire, de son intégrité, je dirai même de son sérieux. Nous débattons en effet dans le cadre de l’espace réservé aux groupes, qui, selon la Constitution, permet de débattre et de voter – j’insiste sur ce dernier point – une proposition de loi.
Un groupe peut demander l’inscription d’une autre forme d’initiative : débat sans vote, question orale avec débat ou proposition de résolution, par exemple. Le groupe écologiste a choisi de demander l’inscription d’une proposition de loi abordant un thème important et complexe. Dont acte. Cette forme d’initiative doit être respectée et prise au sérieux, mais elle doit également être menée à son terme.
Notre groupe a toujours défendu l’idée selon laquelle une motion de procédure ne pouvait être déposée pour faire obstacle à une proposition de loi ou de résolution examinée dans le cadre d’une niche réservée à l’initiative parlementaire.
Une telle motion peut être déposée par un groupe opposé au texte, qui refuse le débat, bafouant ainsi, à mon sens, l’esprit et la lettre de la Constitution, qui garantit l’initiative parlementaire. Dès 2009, et encore il y a quelques semaines, en décembre 2013, la conférence des présidents a rappelé de manière consensuelle que le dépôt de ce type de motion de procédure devait être proscrit.
À notre sens, ce principe reste valable même lorsque le groupe à l’origine de l’inscription de la proposition à l’ordre du jour est favorable à la motion. C’est une question de cohérence. Si l’on veut un débat sans vote, des procédures existent ; je les ai évoquées il y a quelques instants. Sinon, de quoi s’agit-il ? D’un effet d’affichage, d’obtenir un rapport écrit et publié, ce qui n’est pas le cas avec un simple débat ou une question orale avec débat… Il s’agirait alors d’une forme de dévoiement du règlement du Sénat et de la Constitution.
Notre opposition à la présente motion vise donc à alerter sur une mise en danger du droit d’initiative parlementaire. Ce qui est vrai aujourd'hui peut ne pas l’être demain.
J’ajoute que l’attitude des auteurs de la proposition de loi pose un problème de fond. Nos concitoyens attendent que les parlementaires agissent, que les parlementaires décident, que les parlementaires votent. Sur toutes les travées, les critiques fusent à l’encontre de la semaine de contrôle, au cours de laquelle se succèdent des débats, toujours intéressants; certes, mais aux conséquences limitées. Cette semaine de contrôle ne nous suffit-elle pas ? Faut-il convertir nos jours d’initiative en jours de contrôle, sans incidences législatives particulières ? Je ne le crois pas. Mes chers collègues, si cette évolution était entérinée, nous ferions fausse route !
Nous estimons que, si la volonté du groupe écologiste était de ne pas aller jusqu’au vote sur sa proposition de loi, il devait, au choix, la transformer en débat sans vote dans le cadre de la présente journée d’initiative, demander l’inscription d’un tel débat à l’ordre du jour d’une future semaine de contrôle, ou encore retirer sa proposition de loi.
Nous demandons au Sénat de garantir l’avenir de l’initiative parlementaire en rejetant cette motion de renvoi en commission, afin de placer chacun et chacune devant ses responsabilités. Je le répète, ce qui est possible aujourd'hui ne le sera peut-être pas demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Il ne m’appartient pas de m’immiscer dans un débat de procédure. Les interventions de cet après-midi montrent la volonté d’aller de l’avant au terme d’une concertation approfondie sur la fin de vie, en évitant toute précipitation. Il convient, à cet effet, de procéder à des auditions et à un travail complémentaire de façon collective. Cette motion de renvoi en commission m’apparaît donc opportune, d’autant qu’elle est soutenue par ceux-là mêmes qui ont présenté la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur. Le groupe écologiste a déposé une proposition de loi parce que l’actualité récente a mis au jour une nécessité.
Mme Éliane Assassi. Je sais bien, mais, dans ce cas, il faut voter !
M. Jean Desessard, rapporteur. Je vais y venir, madame Assassi, car il s’agit du deuxième point de mon argumentation.
Premier point : l’actualité montre que la société est animée aujourd'hui par des débats importants sur cette question et qu’il est donc urgent d’avancer. Le dépôt de cette proposition de loi est une manière de le signifier.
Deuxième point : il est clair que l’ensemble des groupes s’accordent à considérer que ce sujet mérite d’être traité, que la réflexion est sur le point d’aboutir, mais qu’un certain nombre de questions méritent encore d’être examinées collectivement, en partant des acquis. Nous sommes sensibles à cet état d’esprit.
Bien sûr, il est inimaginable qu’un ou deux groupes majoritaires puissent écarter le droit d’initiative d’un groupe minoritaire. Là n’est pas le problème ! Simplement, pour les raisons que je viens de rappeler, tous les membres du groupe écologiste se sont déclarés favorables au renvoi à la commission.
Mme Éliane Assassi. Vous tuez l’initiative parlementaire !
M. Jean Desessard, rapporteur. Il s’agit d’une liberté qu’a prise le groupe de ne pas aller jusqu’au bout de l’examen de cette proposition de loi, de façon que nous puissions arriver à l’élaboration d’un texte susceptible d’être adopté de façon unanime dans cet hémicycle, puisqu’il ne saurait être question de blocs politiques sur un tel sujet de société. Je le répète, notre vœu, en l’occurrence, est de voir l’ensemble du Sénat s’associer à la réflexion.
Comme l’a dit Jean-Pierre Godefroy, nous souhaitons, madame la présidente de la commission des affaires sociales, que celle-ci soit saisie pour faire un vrai travail sur ce point, en collaboration avec le ministère, ce travail devant aboutir – je ne vais pas évoquer de calendrier précis, madame la ministre, car vous nous avez dit que vous ne vouliez pas être contrainte par des délais trop stricts – avant la fin de l’année 2014.
Oui, il faut maintenir le principe d’une initiative parlementaire susceptible d’aller à son terme pour tous les groupes.
Mme Éliane Assassi. Vous avez ouvert une brèche !
M. Jean Desessard, rapporteur. Toutefois, si les membres d’un groupe ayant déposé une proposition de loi pensent qu’il est plus intéressant de rechercher l’unanimité au sein de l’assemblée, en accord avec le Gouvernement, je pense qu’il faut leur permettre de recourir à la procédure du renvoi à la commission.
Mme Éliane Assassi. C’est de l’affichage !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
M. le président. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, la discussion de la proposition de loi relative à la création d’un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d’ordre médical (proposition n° 232, texte de la commission n° 343, rapport n° 342).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Hélène Lipietz, auteur de la proposition de loi.
Mme Hélène Lipietz, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’ouvrir la discussion générale en vertu d’une fiction juridique, puisque je suis présentée comme étant l’auteur de la présente proposition de loi, alors que ce n’est pas le cas.
M. Jean-Pierre Sueur, président de de la commission des lois. Vous en êtes quand même signataire !
Mme Hélène Lipietz. Certes, mais je n’en suis pas l’auteur !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il faut rendre hommage à votre modestie, car, bien souvent, ce ne sont pas les vrais auteurs qui s’en attribuent le mérite ! (Sourires.)
Mme Hélène Lipietz. Je remets donc ma robe d’avocate, ou presque, et je plaide coupable d’usage de fausse qualité en bande organisée ! Cela étant dit, je tiens à rendre hommage aux vrais auteurs et inspirateurs de ce texte.
Je citerai tout d’abord Étienne Noël, présent dans les tribunes aujourd’hui, l’inlassable avocat des prisonniers. C’est à la lecture de son livre intitulé Aux côtés des détenus : un avocat contre l’État que j’ai appris l’existence d’une précédente proposition de loi inspirée de son travail et de celui de sa collaboratrice, Anne Simon, docteur en droit, auteur d’une thèse relative à la protection de l’intégrité physique des personnes détenues. Qu’il lui soit également rendu hommage aujourd’hui !
Je salue donc les auteurs de la proposition de loi n° 400 déposée au Sénat le 1er avril 2011, et dont j’ai repris tous les termes, à la virgule près : Alima Boumediene-Thiery, Dominique Voynet, Alain Anziani, Robert Badinter, Marie-Christine Blandin, Pierre-Yves Collombat, Jean Desessard, Jean-Pierre Michel, Jean-Pierre Sueur et tous les autres membres du groupe socialiste de l’époque.
Je n’oublie pas, bien sûr, notre collaboratrice Vanessa Léglise, qui a œuvré à cette mise en forme.
Je remercie aussi nos collègues et amis communistes, Mme Cukierman notamment, qui a déposé une proposition de loi allant dans le même sens que la nôtre, mais aussi notre ancienne collègue, Nicole Borvo Cohen-Seat, ainsi que Jean-René Lecerf, du groupe UMP, tous deux auteurs en 2012, au nom de la commission des lois, du rapport d’information intitulé Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale.
Je ne peux passer sous silence le groupe de travail mis en place par Mme la garde des sceaux sur ce sujet, ainsi que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le travail est fondamental, lesquels dénoncent les conditions contraires à la dignité humaine qui règnent, hélas, dans nos prisons.
Naturellement, je n’oublie pas les victimes, même si le présent texte ne leur est pas destiné et si elles n’ont pas leur place dans le débat que nous nous apprêtons à mener. En tout état de cause, ce que l’on reconnaît aux uns n’enlève rien aux autres ; ce que l’on reconnaît aux détenus n’enlève rien aux victimes.
Je salue également la contribution d’Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois, qui a totalement réécrit la proposition de loi initiale, à l’exception de l’exposé des motifs, ainsi que le rôle d’Aline Archimbaud, co-auteur, qui a milité au sein du groupe écologiste pour l’utilisation de la niche parlementaire attribuée à notre groupe afin de défendre la sortie de prison pour les personnes en fin de vie ou dont l’état de santé est tel qu’elles ne peuvent rester en détention. Il s’agit d’un point très important.
Enfin, et surtout, je tenais à remercier MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, et Guy-Pierre Cabanel, rapporteur, pour leur œuvre salutaire publiée sous le titre Prisons : une humiliation pour la République, au mois de juin 2000. J’étais avocate à l’époque et la relation, par l’intermédiaire de leur plume, de faits que je connaissais déjà par les récits de mes clients, alors que l’on entendait dire par ailleurs que nous avions des prisons de luxe puisque les détenus pouvaient même regarder la télévision, m’a considérablement aidée à continuer à dénoncer les conditions de détention en prison.
Mais les vrais contributeurs à la présente proposition de loi, mes premiers inspirateurs, sont les premiers concernés, c’est-à-dire mes anciens clients. Je pense notamment à deux d’entre eux.
Le premier était aveugle ou presque : il n’avait qu’une vision latérale et devait se placer de profil pour vous voir. Il était muni d’une canne blanche, mais lorsqu’on est détenu à Fresnes, on n’a pas le droit de circuler avec sa canne blanche ! Or, à Fresnes, les couloirs sont très longs et lorsque l’on doit se déplacer, il faut marcher droit au milieu du couloir. Évidemment, mon client ne pouvait pas le faire : marcher droit devant lui revenait pour lui à s’enfoncer dans la nuit noire. Il se faisait donc régulièrement rappeler à l’ordre et a fini par « péter les plombs », si vous me permettez cette expression, et se retrouver au prétoire.
Par trois fois, j’ai dû défendre ce prévenu au prétoire, tout simplement parce qu’il n’avait pas le droit de se servir de sa canne blanche. Où était alors sa dignité ? Je vous rappelle qu’il s’agissait d’un simple prévenu qui n’avait pas encore été condamné. Respecte-t-on l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les traitements inhumains ou dégradants lorsque l’on prive un aveugle de sa canne blanche ?
À cette époque, j’ai dû présenter une demande de remise en liberté par semaine auprès d’un juge que j’appréciais – et je crois, sans fausse modestie, qu’il m’appréciait aussi –, mais les « nécessités de l’enquête » interdisaient que mon client soit remis en liberté. Après quatre mois, trois prétoires et une dizaine d’aménagements de cellule, mon client a enfin été libéré. La cour d’assises l’a déclaré coupable, mais l’a condamné à une peine assortie du sursis : le temps de sa détention provisoire n’était même pas couvert !
Le second client auquel je pense, avant même d’être présenté au juge d’instruction, souffrait de migraines. En détention, ses migraines se sont aggravées. « Choc carcéral » disait-on. Au bout de quinze jours de détention, alors qu’il en arrivait à se cogner la tête contre les murs pour apaiser ses douleurs, on a accepté de le soumettre à une IRM qui a révélé la présence d’une tumeur au cerveau. J’ai alors dû mener un combat de deux mois pour le sortir de prison.
Je m’appuyais sur l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 4 mars 2002, pour demander au juge d’instruction la remise en liberté de mon client. Ce dernier est décédé un mois après sa libération et je ne saurai jamais s’il était innocent puisque, je vous le rappelle, la mort du suspect éteint l’action publique.
La présente proposition de loi a donc été déposée pour eux, les présumés innocents en prison et malades, car la présomption d’innocence ne protège ni de l’erreur judiciaire ni de la maladie.
Ce texte vaut aussi pour nous tous, car nous sommes tous potentiellement concernés, simples citoyens pouvant un jour céder à une pulsion criminelle ou être victimes d’une dénonciation calomnieuse, mais aussi sénateurs pouvant perdre notre immunité parlementaire et nous retrouver en détention provisoire.
Oui, j’ai bien usé de la fausse qualité d’auteur, mais je pense pouvoir bénéficier des circonstances atténuantes, voire de l’irresponsabilité pénale prévue à l’article 122-3 du code pénal.
Cela étant, dans deux arrêts de 2003 et de 2009, la Cour de cassation a jugé que, dans le silence de la loi, un état de santé incompatible avec la détention pouvait motiver une remise en liberté. La pression de la Cour européenne des droits de l’homme va aussi dans le sens de ce texte.
J’ai légitimement pensé, me semble-t-il, qu’il ne revenait pas à la jurisprudence d’organiser la mise en liberté pour motif d’ordre médical des prisonniers non jugés, mais que c’était à la loi de réaffirmer solennellement cette évidence : un présumé innocent malade a les mêmes droits qu’un coupable malade, car il a la même dignité.
L’avocate que j’étais est redevenue caisse de résonance de l’avancement de notre droit au regard des exigences de la dignité humaine, caisse de résonance des divers courants du Sénat – nous, représentants de la France, de la droite à la gauche de cet hémicycle, petite touche par petite touche, avons tous œuvré et œuvrons tous à cette cause. Le vote de ce jour, si nous parvenons à nous prononcer avant l’expiration du délai qui nous est imparti, après le vote unanime de la commission des lois, fera de ce texte une loi belle et juste, une « petite loi » du Sénat, puis, je l’espère, la loi de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Hélène Lipietz et les différentes initiatives qu’elle a évoquées en ce sens répondent au souci bien déterminé de combler un vide juridique et de mettre un terme à une inégalité de droits entre prévenus et condamnés.
L’enjeu, politique et anthropologique, de notre débat est clairement identifié : c’est du corps qu’il s’agit, du corps malade, du corps souffrant en prison. Dois-je rappeler ce qu’écrivait Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir ? « La prison dans ses dispositifs les plus explicites a toujours ménagé une certaine mesure de souffrance corporelle. […] La critique souvent faite au système pénitentiaire, dans la première moitié du XIXe siècle (la prison n’est pas suffisamment punitive : les détenus ont moins faim, moins froid, sont moins privés au total que beaucoup de pauvres ou même d’ouvriers) indique un postulat qui jamais n’a franchement été levé : il est juste qu’un condamné souffre physiquement plus que les autres hommes. La peine se dissocie mal d’un supplément de douleur physique. Que serait un châtiment incorporel ? Demeure donc un fond “suppliciant” dans les mécanismes modernes de la justice criminelle – un fond qui n’est pas toujours maîtrisé, mais qui est enveloppé, de plus en plus largement, par une pénalité de l’incorporel. »
En une époque, la nôtre – nous ne sommes plus, en principe, au XIXe siècle –, où les droits humains sont devenus la nouvelle religion laïque des pays dits « développés », beaucoup de choses ont changé. Reste que, comme l’écrit encore Michel Foucault, si nos systèmes punitifs « ne font pas appel à des châtiments violents et sanglants, même lorsqu’ils utilisent les méthodes “douces” qui enferment ou corrigent, c’est bien toujours du corps qu’il s’agit ».
Les supplices, certes, ne sont plus de mise aujourd’hui. Pourtant, si le « corps supplicié, dépecé, amputé, symboliquement marqué au visage ou à l’épaule, exposé vif ou mort, donné en spectacle » a disparu, il n’en demeure pas moins que, en prison, la souffrance du corps du détenu ou du condamné n’est pas considérée avec toute l’empathie qu’elle mérite. Elle est occultée, probablement en raison de cet arrière-fond enfoui, mais qui continue de nous « travailler » en secret, en raison de ce passé qui, au moins jusqu’au XVIIIe siècle, prenait « le corps comme cible majeure de la répression pénale ».
Se libérer de ce lourd héritage exige de l’institution pénitentiaire, du corps médical et non moins du législateur un effort continu, obstiné, inlassable. Nous en avons une nouvelle illustration ce jour.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les personnes détenues atteintes « d’une pathologie engageant le pronostic vital » ou dont l’état de santé est « durablement incompatible avec le maintien en détention » peuvent demander à bénéficier d’une suspension de peine, comme le prévoit l’article 720-1-1 du code de procédure pénale.
Ce dispositif est toutefois réservé aux seules personnes condamnées : son bénéfice ne peut être invoqué par les personnes faisant l’objet d’une détention provisoire, que ce soit dans le cadre d’une instruction, dans l’attente d’un procès en appel ou de l’examen d’un pourvoi en cassation.
Cette lacune du droit est d’autant plus préjudiciable que, comme l’observait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport d’activité pour 2012, « les personnes prévenues, présumées innocentes, ont à connaître de très mauvaises conditions de détention en maison d’arrêt » et que « la détention provisoire excède bien souvent la “durée raisonnable” que commande l’article 144-1 du code de procédure pénale ».
Les auteurs de la présente proposition de loi préconisent de remédier à cette situation en instaurant un dispositif de suspension de la détention provisoire pour motif médical, largement inspiré du dispositif applicable aux personnes condamnées.
Cette initiative permettra-t-elle d’assurer la conformité du droit français avec nos engagements européens ? En effet, rien ne justifie aujourd’hui qu’aucun dispositif similaire à celui de l’article 720-1-1 du code précité ne permette à une personne prévenue d’obtenir la suspension de sa mesure de détention provisoire lorsque son état de santé est incompatible avec une détention ou que son pronostic vital est engagé ; ni la différence de statut entre prévenus et condamnés – au contraire, les personnes prévenues, présumées innocentes, devraient en principe pouvoir bénéficier de dispositifs plus favorables – ni les conditions de détention – au contraire, les personnes prévenues, détenues en maison d’arrêt, sont confrontées à des conditions de détention particulièrement dégradées.
La durée de la détention provisoire est très variable d’une personne à l’autre et dépend, notamment, de la nature de l’infraction commise et de la procédure retenue : de quelques jours à quelques mois en matière correctionnelle – douze jours en moyenne dans les procédures de comparution immédiate, sept mois dans les autres procédures correctionnelles –, elle peut atteindre plusieurs années en matière criminelle, avec une moyenne de deux ans.
In fine, les personnes prévenues malades se trouvent donc exposées à des conditions de détention plus défavorables que les personnes condamnées à de longues peines, alors même que leur état de santé présente des caractéristiques comparables. À la différence des personnes condamnées, les personnes prévenues sont exclusivement incarcérées dans les maisons d’arrêt. Or aujourd’hui la plupart de ces établissements sont confrontés à une situation de surpopulation chronique qui nourrit de nombreuses tensions et aggrave les conditions de détention : au 1er décembre 2013, par exemple, on recensait 1 047 détenus obligés de dormir sur un matelas posé à même le sol.
S’agissant de l’accès aux soins, cette situation de surpopulation complique très significativement l’organisation des extractions médicales, pourtant nécessaires pour permettre à une personne détenue de réaliser des examens médicaux ou de subir un traitement particulier dans un établissement de santé situé à l’extérieur de la maison d’arrêt.
Les auteurs de la proposition de loi préconisent, en conséquence, de créer un dispositif de suspension de la détention provisoire pour motif médical, en s’inspirant très largement des dispositions de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale applicables aux détenus condamnés.
À la différence des personnes condamnées, qui exécutent une peine d’emprisonnement ou de réclusion prononcée de façon définitive par une juridiction pénale, les personnes prévenues bénéficient de la présomption d’innocence. Il en résulte que la privation de liberté dont elles peuvent faire l’objet « à titre exceptionnel » dans le cadre de l’instruction ou dans l’attente de leur jugement doit être justifiée à tout instant par l’un des objectifs énoncés à l’article 144 du code de procédure pénale, notamment la nécessité de conserver les preuves ou indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité, d’empêcher une pression sur les témoins.
À cet égard, la proposition tendant à créer un mécanisme de suspension de la détention provisoire impliquerait que, en cas d’amélioration de son état de santé, l’intéressé pourrait être automatiquement réincarcéré en maison d’arrêt, sans débat préalable et sans que le juge n’ait à vérifier que les conditions de la détention provisoire sont toujours réunies.
Afin de surmonter cette difficulté, la commission des lois a adopté un amendement visant à prévoir que l’état de santé du prévenu pourrait constituer non un motif de suspension de la détention provisoire, mais une cause de mise en liberté de l’intéressé. En cas d’amélioration de l’état de santé de ce dernier, il appartiendrait, le cas échéant, au juge d’instruction de demander de nouveau son placement en détention provisoire, dans les conditions de droit commun, en justifiant cette demande par l’un des objectifs énoncés à l’article 144 du code précité.
Mes chers collègues, le texte qui vous est soumis aujourd’hui comporte deux évolutions par rapport au dispositif de la proposition de loi initiale.
D’une part, afin de réserver les situations les plus complexes, l’amendement susvisé a pour objet d’introduire une exception lorsqu’« il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction », à l’instar de ce que prévoit l’article 720-1-1 du code de procédure pénale à l’égard des personnes condamnées.
Il s’agit, comme l’avait souligné notre collègue François Zocchetto lors de l’examen de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales dont résulte l’exception mentionnée à l’article 720-1-1 du code précité, de prévenir « le risque qu’une personne, même diminuée physiquement, puisse reprendre ses activités criminelles si elle fait l’objet d’une libération ». Tel pourrait être le cas du dirigeant d’une organisation criminelle, en particulier.
D’autre part, la commission des lois a souhaité préciser les modalités d’application du dispositif s’agissant des détenus atteints de troubles mentaux.
À l’heure actuelle, l’article 720-1-1 du code de procédure pénale prévoit une exception pour « les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. »
Pour notre collègue Claire-Lise Campion, auteur de l’amendement tendant à introduire cette exception lors de l’examen de la loi du 4 mars 2002, il s’agissait de ne pas prendre le risque de libérer une personne atteinte de troubles mentaux qui, si elle n’a certes pas sa place en prison, pourrait se révéler dangereuse pour elle-même ou pour autrui.
Toutefois, comme l’a expliqué le docteur Michel David, président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, cette restriction a, dans les faits, été interprétée par les professionnels de santé comme interdisant de façon générale l’application du dispositif de suspension de peine aux personnes détenues atteintes de troubles mentaux.
Telle n’était sans doute pas l’intention du législateur : les personnes atteintes de troubles mentaux doivent être considérées comme des malades comme les autres et pouvoir être soignées dans les mêmes conditions que des personnes atteintes de troubles somatiques.
Une exception peut toutefois être consentie aux personnes atteintes de troubles mentaux faisant l’objet d’une mesure d’hospitalisation sous contrainte. Dans ce cas, ces personnes sont soumises à une mesure privative de liberté, dans les conditions définies aux articles L. 3211-1 et suivants du code de la santé publique. Il importe qu’elles puissent continuer à être juridiquement considérées comme des personnes détenues, afin que la privation de liberté dont elles font l’objet dans le cadre de la mesure d’hospitalisation sans consentement puisse être imputée sur la durée de la détention provisoire et, le cas échéant, sur la durée de la peine d’emprisonnement ou de réclusion restant à accomplir.
C’est la raison pour laquelle l’amendement adopté par la commission tendait à préciser le dispositif de la proposition de loi et à prévoir que celle-ci ne s’appliquera pas aux personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement. A contrario, les personnes atteintes de troubles mentaux dont l’état de santé est incompatible avec la détention mais qui acceptent de suivre un traitement pourraient en bénéficier expressément.
Enfin, la commission des lois a conservé les dispositions de la proposition de loi permettant l’application aux prévenus du nouveau dispositif lorsque leur état de santé est « incompatible », et non « durablement incompatible » comme le prévoit l’article 720-1-1 du code de procédure pénale pour les condamnés, avec les conditions de détention et autorisant leur remise en liberté au vu d’une expertise médicale unique.
Ces conditions, plus favorables que celles qui sont applicables aux personnes condamnées, pouvaient se justifier par la différence de statut entre prévenus et condamnés et par la difficulté croissante, compte tenu de la pénurie d’experts, à obtenir la réalisation d’expertises médicales dans des délais brefs, alors même que la détention provisoire doit être la plus courte possible.
Chers collègues, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, et parce que ce texte constitue sans nul doute une première étape vers une meilleure reconnaissance du droit des malades en prison, je vous demande d’adopter la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, étant très consciente du fait que le temps imparti à l’examen de la présente proposition de loi est contraint, je serai brève, afin de ne pas mettre en péril l’aboutissement de ce débat.
Les exposés de Mme Lipietz et de Mme la rapporteur ayant été exhaustifs, je ne m’attarderai ni sur le droit existant ni sur les mesures contenues dans ce texte.
Cela étant, je connais la sensibilité de cette assemblée aux questions pénitentiaires, ayant personnellement participé à de nombreux débats. Peu après mon arrivée à la Chancellerie, j’ai eu le privilège de recevoir le rapport de Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf et celui toujours de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne. J’ai participé, dans cette enceinte même, à un débat consacré à l’application de la loi pénitentiaire de novembre 2009 et, voilà quelques semaines, à la discussion d’une proposition de loi présentée par Catherine Tasca relative aux prérogatives du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Eu égard à cette sensibilité particulière et à votre contribution, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’amélioration des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, il me paraît utile et légitime de vous donner quelques éléments d’information.
Tout d’abord, la présente proposition de loi nous ramène à des valeurs fondamentales, à savoir la dignité et le respect dus à tout individu, y compris aux personnes qui sont privées de liberté, et de rien d’autre, par décision de justice.
Cela nous conduit à nous demander comment apporter des réponses à la fois législatives et pratiques à nos concitoyens en situation de fragilité.
La Haute Assemblée a fortement contribué à l’amélioration des dispositions concernant la prise en charge des malades dans les établissements pénitentiaires ; je pense notamment au rapport de la commission d’enquête Hyest-Cabanel, qui, par sa préconisation n° 5, a contribué à l’élaboration de la loi dite « Kouchner » du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Je tiens à le souligner, ce texte ne vise que les personnes condamnées, c'est-à-dire uniquement les détenus.
À cet égard, il s’agit de savoir non seulement si le dispositif est performant à l’égard de ces personnes condamnées et couvertes par la loi, mais aussi si nous pouvons continuer à nous accommoder du fait que les prévenus, des personnes qui sont détenues mais pas encore condamnées puisque le jugement n’a pas encore eu lieu, puissent rendre leur dernier souffle en prison, dans une cellule, loin de proches qui leur montrent de l’affection. Pour le dire autrement, sommes-nous encore des hommes si nous acceptons une telle situation ?
La présente proposition de loi va nous aider à répondre à cette question de façon efficace ; elle est donc bienvenue.
Depuis mon arrivée à la Chancellerie, une action intense et volontariste a été conduite, car j’ai été alertée, y compris par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur certaines conditions de détention.
De ce point de vue, ces dernières années, le nombre de personnes en situation de fragilité se trouvant dans les établissements pénitentiaires a augmenté de façon significative, que leur fragilité soit liée à la maladie, à l’âge, au handicap, aux addictions. Ainsi, les établissements pénitentiaires accueillent plus de 25 % de personnes souffrant de deux addictions au moins.
En partenariat avec celui des affaires sociales et de la santé, mon ministère a donc apporté un certain nombre de réponses aux problèmes rencontrés en tant que de besoin.
Cette action, nous la menons avec humilité, parce que nous savons qu’il reste encore beaucoup à faire. D’ailleurs, le rapport de la Cour des comptes publié cette semaine rappelle la situation, tout en saluant un certain nombre de mesures que nous avons prises.
Cette action, nous la conduisons aussi avec détermination.
Qu’avons-nous fait pour les personnes frappées de handicap ?
Nous sommes intervenus dans le domaine immobilier en augmentant le nombre des cellules réservées à ces personnes. Ainsi, le taux de cellules adaptées, plus grandes et mieux aménagées, a été porté de 1 % à 3 %.
Nous avons également fait des efforts en matière d’accompagnement humain. À cette fin, nous avons travaillé, pour l’essentiel, avec des fédérations sportives. Nous nous sommes par ailleurs intéressés à l’accès aux services de droit commun, notamment aux diverses allocations et prestations auxquelles peuvent prétendre ces personnes frappées de handicap. Nous avons signé des conventions avec une quarantaine d’associations et d’entreprises spécialisées dans les soins infirmiers et l’intervention à domicile.
En matière de soins psychiatriques, nous avons pris un certain nombre de décisions qui donnent déjà des résultats. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, trois unités hospitalières spécialement aménagées, ou UHSA, existaient à Lyon, Nancy et Toulouse. Souhaitant recentrer les services médico-psychologiques régionaux sur les soins ambulatoires, j’ai voulu développer ces unités.
L’année dernière, quatre UHSA ont été ouvertes, à Villejuif, en Île-de-France, à Lille, à Rennes et à Orléans. En 2015, leur nombre sera porté à neuf. Ce sera la première vague du plan triennal. À partir de 2015, d’autres verront le jour. Mais, tout en saluant le travail accompli dans ce domaine, la Cour des comptes a fait observer que le coût de ces unités méritait d’être étudié plus systématiquement dans le cadre de la modernisation de l’action publique.
Il n’empêche que le besoin existe. Nous allons donc nous donner les moyens de poursuivre dans cette voie.
Par ailleurs, nous avons engagé un travail interministériel important. Avec Marisol Touraine, nous avons mis en place deux groupes de travail, consacrés respectivement à la prévention et à la réduction des risques en milieu carcéral, et à la suspension de peine. Les rapports nous ont été remis. Ils sont actuellement à l’instruction dans nos ministères respectifs. Nous allons procéder très prochainement à des arbitrages solidaires. Parmi les préconisations que comportent ces rapports figure un dispositif équivalent à celui que prévoit la présente proposition de loi.
J’ai signé en tout début de semaine un décret qui permet, en cas d’urgence et avec l’accord du procureur de la République, de se passer de l’expertise psychiatrique prévue à l’article 712-21 du code de procédure pénale qui était un facteur de complication et de retard des décisions de suspension de peine.
Quant au Conseil national de l’exécution de la peine que j’ai mis en place, il s’emparera bien évidemment de ces sujets.
J’ajoute que le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, décidé par le comité interministériel auquel participe le ministère de la justice, permet de nommer des référents justice dans toutes les structures médicales et médico-sociales, et d’ouvrir des permanences en addictologie dans les établissements pénitentiaires.
Je le disais, l’état du droit en matière de suspension de la peine ne concerne que les personnes détenues, donc condamnées : la décision de suspension suppose que la démonstration soit faite d’une incompatibilité durable entre l’état de santé et la détention, ou alors que le pronostic vital soit engagé, ce qui nécessite deux expertises médicales concordantes, sauf, évidemment, dans les situations d’urgence ; dans ce dernier cas, le certificat médical du médecin responsable de l’unité où la personne est prise en charge suffit.
Ce dispositif ne s’applique pas, en revanche, en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction, ou aux personnes qui ont été hospitalisées pour troubles mentaux.
La proposition des auteurs du présent texte permet de combler une lacune du droit. En effet, la loi Kouchner ne concernait pas les personnes prévenues, alors même que celles-ci sont effectivement présumées innocentes. Elles subissent donc, paradoxalement, un régime plus sévère que les personnes condamnées. Pourtant, leur effectif est relativement important : 24,8 % de la population en détention, soit un peu plus de 16 000 personnes. Surtout, elles sont placées en détention provisoire pour une durée moyenne de 4,2 mois, contre 10,8 mois pour les personnes condamnées.
Il s’agit d’une moyenne, j’y insiste. En effet, la détention provisoire pour les délits est de quatre mois renouvelables deux fois, soit un maximum d’un an, et, pour les crimes, d’un an renouvelable deux fois par tranche de six mois, donc un maximum de deux ans, sauf dans les cas de trafic de stupéfiants et de terrorisme.
Il y a donc dans le droit en vigueur un manque incontestable, même s’il a été comblé partiellement par la jurisprudence. La Cour de cassation a en effet jugé, en 2003 et 2009, qu’une décision de mise en liberté pouvait être prise pour motif de santé.
Il n’en reste pas moins que ce texte va stabiliser, consolider le droit en vigueur, en supprimant à la fois l’incertitude et les risques de disparité. Il est donc le bienvenu.
Le dispositif proposé est très proche de celui de la loi Kouchner, à ceci près – et cette nuance est tout à fait importante – qu’une seule expertise médicale est requise pour les prévenus. Par ailleurs, une incompatibilité simple, et non plus « durable », de l’état de santé avec le maintien en détention est suffisante pour justifier la décision de suspension, ce que légitime la durée moyenne de détention que je viens d’indiquer. Enfin, comme pour les condamnés, une double exception est prévue en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction ou si la personne est hospitalisée sans consentement. Ces nuances sont tout à fait appréciables.
En l’occurrence, il s’agit bien d’une remise en liberté, et non d’une suspension de peine, compte tenu de la durée réduite de la détention provisoire. Et puisqu’il s’agit d’une décision de remise en liberté, celle-ci peut être assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique.
Cette proposition de loi répond à notre préoccupation d’introduire davantage d’humanité dans les conditions de détention, et de faire en sorte que notre prison soit républicaine et réponde aux critères, aux exigences et aux principes de l’état de droit. Les apports de ce texte sont par conséquent tout à fait essentiels.
Le Gouvernement est donc favorable à cette proposition de loi. J’ai cru comprendre que l’ensemble des groupes y étaient aussi très sensibles, ce que le vote devrait refléter.
Dans quelques semaines, je le rappelle, nous nous retrouverons pour examiner le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. Nous améliorerons, à cette occasion, le dispositif de suspension de peine applicable aux personnes condamnées en fin de vie ou qui sont atteintes de maladies graves, lequel n’est pas opérationnel actuellement du fait de la complexité des dispositions en vigueur.
Malheureusement, pour des raisons de calendrier, qui concernent autant mon ministère que celui des affaires sociales et de la santé, des dispositions analogues à celles qui seront alors adoptées n’ont pas pu être introduites dans la présente proposition de loi. J’aurais pourtant souhaité le faire car, pour ces personnes, les jours comptent et sont précieux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans leur rapport rendu au mois de janvier 2013 sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, nos collègues députés Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe avaient constaté que la part des prévenus parmi les personnes incarcérées – 16 945 au 1er décembre 2012 – a diminué dans une proportion importante au cours des quinze dernières années, passant de l’ordre de 40 % à 25 % environ. Ces prévenus constituent néanmoins une frange très importante de la population carcérale. Il s’agit, comme toujours en matière de conciliation des libertés et de l’ordre public, d’un casse-tête législatif.
Depuis la loi Kouchner de 2002, la suspension de peine pour raison médicale existe pour les détenus, lorsque leur pronostic vital est engagé ou lorsque leur état de santé est incompatible avec le maintien en détention. Sauf, bien entendu, s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction !
Or, anomalie du travail législatif, les prévenus ne bénéficient pas d’un dispositif analogue. Ces personnes doivent user, en effet, des dispositions générales relatives à l’appel de l’ordonnance de mise en détention provisoire : la demande de mise en liberté prévue aux articles 148 et 148-1 du code de procédure pénale et la procédure accélérée, appelée « référé-liberté », prévue aux articles 187-1 et 187-2 du même code.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler aux juridictions du fond l’obligation de vérifier si l’état de santé du prévenu est compatible avec la détention provisoire. Mais l’absence de disposition spécifique dans la loi rend l’application de cette jurisprudence peu uniforme, voire aléatoire.
La présente proposition de loi tend à remédier à cette singulière lacune de notre droit. Elle fait suite à d’autres propositions, tout à fait semblables et déposées, notamment, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Elle a fait aussi l’objet de la recommandation n° 17 du rapport de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat intitulé Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale.
Enfin, dans son dernier rapport annuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait également émis cette même préconisation.
Il existe ainsi un consensus autour du principe de la création d’un tel dispositif, auquel nous ne dérogeons pas non plus.
Toutefois, nous n’approuvons qu’avec une certaine retenue cette harmonisation des conditions de recours pour les détenus et les prévenus, et ce pour plusieurs motifs, dont nous allons nous expliquer.
Tout d’abord, nous ne pouvons que constater le manque de réflexion en profondeur des auteurs de ce texte. Le dispositif a donc été profondément modifié par la commission des lois, sur le conseil bien avisé du Gouvernement et de la Chancellerie.
Deux précisions ont ainsi été apportées : l’exception relative à un risque grave de renouvellement de l’infraction, qui existe pour les détenus, a été introduite ; la commission des lois a, en outre, souhaité préciser les modalités d’application du dispositif à l’égard des détenus atteints de troubles psychiatriques.
Il s’est également avéré que le décalque parfait du dispositif de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale relatif aux détenus ne pouvait valablement se faire pour les prévenus. L’objet de la présente proposition de loi a donc sensiblement changé, puisqu’il s’agit en réalité non plus d’une suspension de la détention provisoire, mais d’une mise en liberté pour raison médicale grave. C’est un premier signe de très mauvais augure pour le texte initial qui se voit de surcroît confirmé par le manque de vision globale et de bilan autour du dispositif créé en 2002.
Il nous semble ainsi que la proposition de loi initiale du groupe écologiste ne constitue qu’une retouche quasi esthétique, et donc à la marge, d’un problème bien plus vaste.
Par exemple, n’aurait-il pas fallu s’engager dans une véritable simplification de la procédure de référé-liberté prévue aux articles 187-1 et 187-2 du code de procédure pénale ? C’est ce qu’avait suggéré le Sénat, en 2000, en adoptant un amendement de notre ancien collègue Pierre Fauchon.
Notre assemblée, constatant que cette procédure était peu utilisée et qu’elle n’aboutissait que rarement à des remises en liberté, avait proposé de la remplacer par un appel à très bref délai devant la chambre d’instruction. Il s’agissait de modifier la procédure du référé-liberté en transférant l’examen de l’appel, qui doit être interjeté le jour même de la décision de placement en détention provisoire, à la seule chambre d’accusation, afin de rendre la décision collégiale.
N’aurait-il pas fallu également prendre en compte et consolider la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a précisé que « c’est nécessairement à court terme que la pathologie dont souffre [le détenu] doit engager le pronostic » ? Cette mention aurait ainsi pu être insérée, à bon escient, aux articles 720-1-1 et 147-1 du code précité.
Enfin, il paraissait astucieux et raisonnable de prendre en considération la possibilité d’aménagement des conditions de détention, lorsque l’expertise médicale n’a pas formellement conclu à une incompatibilité de l’état de santé du prévenu et a préconisé différents soins et aménagements des conditions de détention. Cette hypothèse a été réservée par certains tribunaux bien avisés.
Malgré ces quelques critiques relatives au manque d’efficacité de cette proposition de loi, nous la voterons, à défaut d’une meilleure solution à court terme pour les prévenus. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, compte tenu de la misère de la santé dans les établissements pénitentiaires, il existe une profusion de textes prévoyant qu’une personne condamnée définitivement peut sortir de prison pour des motifs médicaux lorsque son état de santé est incompatible avec la détention.
Curieusement, rien n’est prévu pour la détention provisoire. Ce n’est d’ailleurs pas si curieux que cela...
Est-ce si paradoxal ? « La détention provisoire est l’exception », entends-je répéter depuis trente ans que je suis parlementaire. La jurisprudence de la Cour de cassation a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises que le juge d’instruction ne devait pas placer en détention provisoire une personne malade ou présentant un état de santé incompatible avec l’enfermement, et qu’il devait accepter les demandes de mise en liberté fondées sur ce motif. Il faut croire que tel n’est pas toujours le cas, puisque Mme Lipietz a cité un certain nombre d’exemples qui vont à l’encontre de ce principe.
Pour ma part, vous le savez, je suis totalement hostile à la détention provisoire, en toutes matières, et je l’ai toujours été. Ce n’est pas aujourd’hui que je changerai d’avis !
Le juge d’instruction a d’autres moyens, en effet, de garder une personne innocente à disposition. (Mme Hélène Lipietz applaudit.) On le sait, la détention provisoire est bien souvent une facilité pour ce magistrat. Or cette mesure est aggravée lorsque s’écoulent, entre la fin d’une instruction et l’audience, plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Durant tout ce temps, cette personne, innocente tant qu’elle n’a pas été condamnée définitivement, est en prison !
Que faut-il faire ?
Puisque la détention provisoire existe encore et puisqu’elle est encore, malheureusement, prononcée par de trop nombreux juges d’instruction et dans trop de matières délictuelles – je le dis comme je le pense ! –, peut-être la proposition de loi présentée par nos collègues Hélène Lipietz et Aline Archimbaud a-t-elle sa raison d’être...
À mon avis, elle aura un effet marginal, car les magistrats prennent déjà en compte, au moment de rendre une décision de mise en détention ou lorsque leur est soumise une demande de mise en liberté, l’état de santé du malade. Toutes les personnes présentées devant les juridictions ne sont pas là pour « faire du cinéma », comme on l’entend dire trop souvent. Pour nombre d’entre elles, leur état de santé ne leur permet véritablement pas d’être en prison. Dans ces cas-là, il n’y aura pas de mise en détention.
Le texte de la proposition de loi est très complet. Je pense qu’il aurait pu être plus simple. Nous aurions pu nous contenter de modifier les articles 144 et 147 du code de procédure pénale en précisant que, dans les cas de décision éventuelle de mise en détention ou de demande de mise en liberté, le juge d’instruction doit prendre en compte l’état de santé de la personne qu’il se propose d’incarcérer, non pour la sanctionner, puisqu’elle est innocente, mais pour les besoins de l’instruction.
Bien entendu, le groupe socialiste votera cette proposition de loi. J’espère qu’elle sera purement théorique et n’aura pas lieu d’être appliquée parce que les juges d’instruction ne mettront pas en détention provisoire les prévenus ou les mettront en liberté très facilement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme cela a été rappelé par notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest en commission des lois, dans sa majorité, le groupe UMP a toujours milité pour que les détenus dont le pronostic vital était engagé puissent être libérés.
Souvent, nous avons débattu des grâces médicales, dispositif très complexe et surtout aléatoire. C’est pourquoi le mécanisme de suspension de peine, que nous avons introduit en 2002, a constitué un réel progrès. Comme vous le savez, il permet à des personnes de ne pas mourir au fond d’une cellule, et ce même lorsqu’elles ont commis des crimes odieux.
Si la détention provisoire, dont nous parlons aujourd’hui, est un outil utile à la poursuite des infractions les plus graves, elle devrait cependant rester exceptionnelle. Et si ce dispositif est régulièrement décrié sur les travées de la majorité, la vérité, révélée par la pratique, démontre qu’il est indispensable à certaines enquêtes, afin non seulement de préserver l’intégrité des preuves ou des témoins, mais aussi d’éviter le renouvellement de l’infraction poursuivie.
Cette détention, bien que provisoire, est cependant une mesure privative de liberté et, en tant que telle, elle doit avoir un régime relativement harmonisé avec celui de la détention pour application de peine. Il y va de la garantie de la dignité humaine que nous avons à cœur de préserver en tout lieu, y compris dans le milieu carcéral.
Évidemment, l’honnêteté nous oblige à relativiser la mesure que nous proposent Hélène Lipietz et ses collègues du groupe écologiste. Il s’agit non pas de formuler un reproche – j’ai été particulièrement sensible aux exemples qu’elle a évoqués tout à l’heure –, mais de bien faire comprendre que nous n’avons jamais négligé cette question auparavant.
Il est surprenant que le régime juridique de la détention provisoire soit, sur ce plan, plus sévère que celui de l’exécution de la peine. C’est sans doute d’ailleurs la raison pour laquelle la jurisprudence a régulièrement permis, pour interrompre cette mesure, de prendre en compte la santé de la personne détenue provisoirement.
Ainsi en 2012 la Cour de cassation a-t-elle réaffirmé que l’état de santé d’une personne mise en détention provisoire est un élément à prendre en considération lors d’une demande de mise en liberté. Par ailleurs, les juges du fond ont estimé que l’incompatibilité de la détention provisoire avec l’état de santé d’un détenu, eu égard à sa « prise en charge difficilement réalisable par l’administration pénitentiaire », devait conduire le juge à lui accorder une mise en liberté.
La codification qui est aujourd'hui proposée permettra de ne pas laisser cette décision à la seule discrétion des magistrats. Il nous semble donc intéressant de pouvoir légiférer sur cette question, quand bien même elle serait extrêmement rare.
Il paraît logique de ne pas laisser perdurer une situation dans laquelle le détenu provisoire semble bien moins traité que l’accusé qui exécute une peine pour laquelle il a été condamné. Toutefois, il est impératif, comme l’a souhaité la commission des lois, que nous puissions nous assurer que cette mise en liberté sera circonscrite aux cas les moins dangereux. Il faut donc en exclure les personnes qui présentent un risque grave de renouvellement de l’infraction et les personnes atteintes de troubles mentaux. Il faut également que la mise en liberté puisse être encadrée, si nécessaire, par un certain nombre de mesures contraignantes, autrement dit des obligations et des interdictions.
Le texte issu des travaux de la commission semble répondre à ces préoccupations ; il est donc de nature à nous satisfaire.
Une personne placée en détention provisoire pourra ainsi obtenir sa mise en liberté pour raison médicale, lorsqu’une expertise médicale établira qu’elle est atteinte d’une pathologie engageant son pronostic vital. Lorsque le pronostic vital est déjà engagé, un simple certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle le demandeur est pris en charge pourra suffire. Cette mise en liberté pourra également être obtenue lorsque l’état de santé est incompatible avec le maintien en détention, exception faite des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement.
Cette mise en liberté, susceptible d’intervenir en toute matière et à tous les stades de la procédure, pourra résulter d’une demande de l’intéressé ou être prononcée d’office par le juge d’instruction.
Elle pourra être assortie d’un placement sous contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, en cas de besoin particulier.
Si le dispositif semble à même de nous satisfaire, je l’ai dit, notre discussion permettra aussi, je l’espère, de lever les quelques interrogations que nous pouvons encore avoir.
Madame la garde des sceaux, en cas de détention pour exécution de peine, deux expertises médicales doivent être réalisées, alors que dans l’hypothèse de la détention provisoire, une seule est prévue. Soyons vigilants ! Pouvez-vous nous assurer que l’on ne nous reprochera pas de favoriser les certificats de complaisance ?
De plus, quel est réellement le dispositif le plus pertinent, la suspension de la détention provisoire ou la remise en liberté ?
Nous le comprenons bien, en cas d’amélioration de l’état de santé de l’intéressé, la remise en détention implique un nouvel examen complet de la pertinence d’une détention provisoire par le juge d’instruction. Pourtant, l’évolution de la situation du détenu repose sur la seule appréhension de son état de santé. Privilégier la remise en liberté plutôt que la suspension n’entraînera-t-il pas une complexification de la procédure, alors même que, de toute évidence, il y a fort à parier que les éléments qui ont justifié la détention existeront toujours ?
Alors, oui, nous pouvons accepter ce texte, à titre préventif, parce qu’il nous donne l’occasion d’encadrer juridiquement des situations rares, mais qui existent, et de faire en sorte que le juge prenne en considération tous les éléments en cause et parvienne à un juste équilibre entre la dignité des détenus et la protection des victimes. Vous l’avez donc compris, mes chers collègues, les membres du groupe UMP voteront la présente proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi, que nous avions cosignée en 2010 avec nos collègues du groupe écologiste, est très importante.
Aujourd’hui, chacun le sait, si une jurisprudence bien établie tient compte de l’état de santé de la personne placée en détention provisoire lors des demandes de mise en liberté, nous souhaitons que cela figure explicitement dans le code de procédure pénale.
En effet, une personne en détention provisoire, dont la situation sanitaire est incompatible avec la détention, doit pouvoir être remise en liberté au profit, par exemple, d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, la loi prévoyant expressément la détention comme ultime recours.
Cependant, les objectifs visés à l’article 144 du code de procédure pénale justifiant le placement ou la prolongation de la détention provisoire ne semblent pas toujours suffisants pour permettre de lever la détention provisoire d’une personne malade.
De ce fait, ces objectifs, résultant notamment des exigences européennes de dignité des personnes détenues, invoqués en 2002 pour soutenir la création de la suspension de peine pour raison médicale, justifient à eux seuls l’impérieuse nécessité d’une réforme des dispositions légales relatives à l’exécution de la détention provisoire. Vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, ces personnes doivent pouvoir bénéficier d’une procédure rapide et efficace. Dès lors, celle-ci doit être inscrite dans la loi pour plus de lisibilité et de sécurité juridique.
Nous soutenons aussi pleinement la modification apportée par la commission des lois visant à prévoir que l’état de santé du prévenu puisse constituer, non un motif de suspension de la détention provisoire, mais une cause de mise en liberté de l’intéressé. La conséquence est non négligeable, puisque, en cas de mise en liberté, il appartient au juge d’instruction de demander de nouveau un placement en détention provisoire dans les conditions énoncées à l’article 144 du code précité, si l’amélioration de l’état de santé du prévenu le permet.
Nous apportons donc notre soutien à cette proposition de loi, qui reprend l’une des préconisations formulées par Nicole Borvo Cohen-Seat, alors présidente du groupe CRC, et Jean-René Lecerf dans leur rapport d’information sur l’application de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, rendu en 2012.
Ce débat est aussi l’occasion de faire le point et d’alerter sur la question plus globale de la santé des personnes détenues, quelques jours après la publication du rapport annuel de la Cour des comptes – vous y avez fait référence, madame la garde des sceaux – qui met l’accent sur la nécessité d’améliorer la prise en charge sanitaire des détenus.
Comme le souligne la Cour des comptes, les suspensions et les aménagements de peine pour raisons médicales restent trop marginaux. L’accès des détenus aux soins dispensés à l’extérieur est subordonné à la disponibilité des équipes pénitentiaires et des forces de l’ordre pour assurer leur extraction et leur garde. Quant à l’accès aux soins à l’intérieur des prisons, il est rendu difficile, voire impossible, par les règles de fonctionnement des prisons.
De plus, la protection sociale des personnes détenues n’est pas toujours effective en raison de problèmes d’affiliation, d’ouverture ou de reprise des droits sociaux.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement les personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques, je rappelle avec force que leur place n’est pas en prison. À cet égard, le manque de places dans les unités hospitalières spécialement aménagées est criant : seules sept des dix-sept unités prévues par la loi du 9 septembre 2002 ont été ouvertes. Mes chers collègues, la prise en charge de ces personnes en souffrance est urgente.
Je ne m’attarderai pas sur leur exclusion de la suspension de peine, d’autant que nous semblons tous d’accord sur ce texte. J’ai entendu avec satisfaction les propositions formulées par Mme la garde des sceaux en la matière, qui seront introduites dans un prochain projet de loi.
Cela étant, nombre de rapports ont été rendus sur ce sujet, qu’il s’agisse de celui de la Cour des comptes ou de celui de Nicole Borvo Cohen-Seat et de Jean-René Lecerf, dans lesquels figurent des recommandations. Il nous appartient d’en traduire un certain nombre dans notre législation, afin de mettre en œuvre une politique de santé publique à la hauteur des enjeux. En attendant, il va de soi que nous soutiendrons la présente proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous parvenons au terme de ce débat et je serai donc brève. Hélène Lipietz, auteur de la proposition de loi, et Esther Benbassa, rapporteur, vous ont déjà expliqué l’intérêt de créer un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d’ordre médical.
Je remercie les différents intervenants d’avoir exprimé, au nom de leur groupe, leur soutien à ce texte. Je vous adresse des remerciements identiques, madame la garde des sceaux.
Les personnes prévenues, au nombre d’environ 16 000, sont soumises, malgré la présomption d’innocence – point important –, à des conditions de détention trop souvent dégradées en maison d’arrêt, mais qui se révèlent paradoxalement beaucoup plus sévères que celles que connaissent les détenus. En outre, elles subissent des durées de détention provisoire pouvant atteindre jusqu’à plusieurs années en matière criminelle.
Cette situation soulève une grave difficulté, notamment pour les personnes en fin de vie ou souffrant d’affection de longue durée.
En effet, la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », ne peut s’appliquer aujourd’hui qu’aux seules personnes détenues atteintes d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention.
Je me réjouis donc que le groupe écologiste puisse présenter aujourd’hui cette proposition de loi, qui répond à une demande formulée de longue date par les professionnels de santé et les associations de défense des prévenus.
Deux arguments majeurs plaident en effet en faveur de ce texte. D’une part, on ne voit effectivement pas pourquoi un droit ouvert en matière de santé à des condamnés ne l’est pas à des prévenus : il y a là une inégalité que le régime juridique distinct des uns et des autres ne justifie pas. D’autre part, la proposition de loi est d’autant moins contestable que l’allongement de la durée moyenne de détention provisoire est régulier.
En cet instant, je souhaiterais très brièvement lancer une alerte et rappeler un élément de contexte, afin que, si ce texte est adopté, la future loi soit appliquée le mieux possible. Et nous devons aussi préparer les débats qui se dérouleront lorsque vous présenterez votre prochain projet de loi, madame la garde des sceaux.
On sait en effet que la loi Kouchner, qui réserve une possibilité de suspension de peine pour les condamnés dont nous souhaitons aujourd’hui étendre le bénéfice aux prévenus, n’est que très peu appliquée, alors même que l’âge moyen des détenus ne cesse d’augmenter. Nous avions déjà débattu de ce sujet l’an dernier, au mois de mars 2013, à l’occasion d’une question orale posée par le groupe écologiste.
Il nous paraît indispensable de réfléchir aux raisons de cette approche restrictive, qui peut éclairer nos débats. L’une de ces raisons est la méconnaissance par les experts médicaux des conditions réelles de la détention. Il nous semble qu’il faudrait donc, comme à l’origine, soumettre la suspension à une seule expertise médicale, mais exiger de l’expert désigné qu’il ait une connaissance de la vie carcérale ou, mieux, qu’il recueille les données particulières au cas d’espèce avant de se prononcer. Le détenu occupe-t-il une cellule individuelle ? Quel est le degré de confort de cette cellule ? Le détenu bénéficie-t-il de l’aide d’un tiers, d’un traitement régulier ?
Par ailleurs, les difficultés d’accès aux soins, qui font l’objet de l’une des principales revendications des détenus, doivent aussi être examinées. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté indique dans son rapport annuel qu’une bonne partie du courrier qu’il reçoit concerne ces dernières. Il est vrai que la problématique des maladies de longue durée est particulièrement difficile à affronter en détention, et trop de soins en la matière sont limités à la distribution d’analgésiques courants.
Par ailleurs, si la propension des spécialistes à se rendre en prison pour donner des consultations est très variable d’un établissement à l’autre, elle est généralement faible. Il faut donc organiser des extractions, opérations lourdes, présentant des aléas – disponibilité, notamment, d’une escorte pénitentiaire – et un risque fréquent de méconnaissance du secret médical en raison de la présence de surveillants pendant les consultations et les soins.
Voilà un certain nombre de points auxquels nous devrons réfléchir à l’avenir.
Pour l’heure, je remercie une nouvelle fois tous les collègues qui se sont exprimés et qui ont manifesté leur soutien : cette proposition de loi peut certes paraître marginale, mais elle constitue un premier pas, et nous espérons pouvoir ensuite aller plus loin. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je souhaite apporter quelques réponses aux questions très précises qui m’ont été posées.
Madame Assassi, en effet, les UHSA ne sont pas en nombre suffisant, mais nous en compterons neuf en 2015, pour une capacité d’accueil de 440 détenus, puis huit de plus dans la vague suivante, soit une capacité de 265 détenus supplémentaires.
Il subsiste certes des divergences sur le coût de ces unités, les estimations de la Cour des comptes et de la direction de l’administration pénitentiaire étant discordantes. J’ai donc demandé des chiffres plus précis. Quoi qu’il en soit, nous augmentons l’offre et la capacité d’accueil.
Madame Garriaud-Maylam, s’agissant de l’expertise unique psychiatrique, je rappelle tout d’abord qu’il s’agit de prévenus, donc de personnes présumées innocentes. On concevrait presque qu’elles puissent bénéficier d’un régime plus favorable. Or, pour l’instant, elles ont paradoxalement un régime plus sévère que celui des personnes condamnées. Je rappelle ensuite que la durée moyenne de détention provisoire ne permettrait pas en pratique de mener une double expertise psychiatrique.
En dernier lieu, je voudrais faire pièce à l’idée selon laquelle il pourrait y avoir des certificats de complaisance. Inversement, les professionnels considèrent que les expertises psychiatriques sont plutôt réticentes. Le risque serait davantage l’excès de sévérité que l’excès de clémence. Comme d’aucuns l’ont rappelé à la tribune, on constate d’ailleurs que les suspensions de peine sont marginales.
Pour être parfaitement transparente et loyale vis-à-vis de la représentation nationale, il me semble qu’il convient au contraire, dans le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, d’aligner le régime des personnes condamnées sur celui des personnes prévenues. La double expertise psychiatrique serait en effet le meilleur moyen d’empêcher le dispositif de fonctionner. Or de deux choses l’une : soit nous le mettons en place, et nous devons créer les conditions de son bon fonctionnement, soit nous y renonçons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
Après l’article 147 du code de procédure pénale, il est inséré un article 147-1 ainsi rédigé :
« Art. 147-1. – En toute matière et à tous les stades de la procédure, sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d’office ou à la demande de l’intéressé, lorsqu’une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé est incompatible avec le maintien en détention, hors les cas des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement.
« Toutefois, en cas d’urgence, lorsque le pronostic vital de la personne est engagé, sa mise en liberté peut être ordonnée au vu d’un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle elle est prise en charge ou par le remplaçant de ce médecin.
« La décision de mise en liberté peut être assortie d’un placement sous contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.
« L’évolution de l’état de santé de la personne peut constituer un élément nouveau permettant qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision de placement en détention provisoire, selon les modalités prévues par le présent code, dès lors que les conditions de cette mesure prévues par l’article 144 sont réunies. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
(Supprimé)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
7
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat, par courriers en date de ce jour, le texte des deux décisions du Conseil constitutionnel relatives :
– à la loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen ;
– et à la loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
Acte est donné de ces communications. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
8
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 13 février 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’alinéa 4 de l’article 41-4 du code de procédure pénale (Attributions du procureur de la République) (2014-390 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 17 février 2014, à seize heures et le soir :
1. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne (n° 332, 2013-2014) ;
Rapport de M. David Assouline, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 365, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 366, 2013-2014).
2. Proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810 (Procédure accélérée) (n° 331, 2013-2014) ;
Rapport de M. Alain Fauconnier, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 362, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 363, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART