9

Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire
Article 1er

Économie sociale et solidaire

Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen de l’article 1er.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire
Article 2

Article 1er (suite)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 33, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Alinéas 10 et 11

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

a) Elles respectent les conditions fixées au I du présent article ;

b) Elles recherchent une utilité sociale au sens de l’article 2 de la présente loi ;

c) Elles appliquent les principes de gestion suivants :

La parole est à M. Alain Anziani, rapporteur pour avis.

M. Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, qui a pour objet de simplifier et de clarifier les critères qu’une société commerciale doit respecter pour être reconnue comme entreprise de l’économie sociale et solidaire.

M. le président. L'amendement n° 218 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

a) Elles respectent les conditions fixées au I et leur objet à titre principal satisfait l’une au moins des deux conditions suivantes :

- elles ont pour but d'apporter un soutien à des personnes en situation de fragilité, soit du fait de leur situation économique ou sociale, soit du fait de leur situation personnelle. Ces personnes peuvent être des salariés, des clients, des membres, des adhérents ou des bénéficiaires de l’entreprise ;

- elles ont pour objectif de contribuer à la préservation et au développement du lien social, au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale, de concourir au développement durable.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement a pour objet de préciser dans l’article 1er les champs d’intervention des sociétés commerciales appartenant à l’économie sociale et solidaire.

Ces sociétés peuvent avoir pour but d’apporter un soutien à des personnes en situation de fragilité, de contribuer à la préservation et au développement du lien social, de contribuer au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale ou de concourir au développement durable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Daunis, rapporteur de la commission des affaires économiques. M. Anziani propose une coordination juridique rendue tout à fait utile par la réécriture de l’article 1er à laquelle nous avons procédé. Je suis donc favorable à l'amendement n° 33.

De ce fait, je suggère à notre collègue Jean-Claude Requier de bien vouloir retirer l’amendement n° 218 rectifié, au travers duquel il reprend et insère dans l’article 1er des dispositions de l’article 2 du projet de loi initial, annulant ainsi les améliorations apportées par la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Même avis.

M. le président. Monsieur Requier, l'amendement n° 218 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 218 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 33.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 274, présenté par Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Alinéas 12 à 14

Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :

- la création obligatoire d’une réserve statutaire qui ne peut être ni distribuée ni incorporée au capital. Celle-ci est constituée par l’affectation de 50 % au moins des bénéfices de l’exercice, diminués le cas échéant des pertes antérieures et des sommes réparties entre les associés au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux ou du travail fourni par lui ;

- l’affectation au report à nouveau de 30 % au moins des bénéfices de l’exercice diminués le cas échéant des pertes antérieures et des sommes réparties entre les associés au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux ou du travail fourni par lui.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 274 est retiré.

L'amendement n° 219 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéas 12 et 13

Rédiger ainsi ces alinéas :

- la création obligatoire d’une réserve statutaire qui ne peut être ni distribuée ni incorporée au capital. Celle-ci est constituée par l’affectation de 50 % au moins des bénéfices de l’exercice, diminués le cas échéant des pertes antérieures et des sommes réparties entre les associés au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux ou du travail fourni par lui. Pour les entreprises bénéficiaires de l’agrément défini à l’article L. 3332-17-1 du code du travail, ce pourcentage est fixé à 20 % ;

- l’affectation au report à nouveau de 30 % au moins des bénéfices de l’exercice diminués le cas échéant des pertes antérieures et des sommes réparties entre les associés au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux ou du travail fourni par lui. Pour les entreprises bénéficiaires de l’agrément défini à l’article L. 3332-17-1 du code du travail, le pourcentage est fixé à 50 % ;

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’une des principales préoccupations de notre groupe concernant ce projet de loi, et plus particulièrement son article 1er, est de s’assurer du respect des principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire par l’ensemble de ses acteurs.

Ces principes sont la lucrativité nulle ou limitée, la gouvernance démocratique et la propriété collective. Élargir le périmètre de l’ESS ne doit pas conduire à réduire le niveau d’exigence respecté historiquement par tous les acteurs de ce secteur.

C’est pourquoi le présent amendement vise à préciser la définition des deux caractéristiques fondamentales de l’ESS que sont la lucrativité nulle ou limitée et la propriété collective. Il tend à prévoir que la lucrativité des structures de l’ESS est strictement encadrée, les bénéfices étant majoritairement affectés à la bonne marche de l’entreprise.

Par ailleurs, nous proposons de développer dans les sociétés commerciales appartenant à l’ESS un mécanisme de propriété collective allant au-delà de la réserve légale plafonnée à 10 % du capital social. Notre rédaction prend en compte les spécificités des « entreprises solidaires » en leur permettant de distribuer une partie plus importante de leurs bénéfices afin de rémunérer les épargnants qui contribuent à leur financement au travers de l’épargne solidaire.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 83 est présenté par M. Le Cam, Mme Schurch et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 188 rectifié septies est présenté par M. Kerdraon, Mme Printz, MM. Magner, Courteau, Berson, Daudigny, Anziani, Botrel et Le Menn, Mmes D. Gillot et Alquier, MM. Rainaud, Vaugrenard et S. Larcher, Mmes Bataille et Génisson et MM. Chastan, Filleul, J.C. Leroy, Vincent et Delebarre.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 12

Remplacer le pourcentage :

15 %

par le pourcentage :

20 %

La parole est à M. Gérard Le Cam, pour présenter l’amendement n° 83.

M. Gérard Le Cam. Cet amendement est le premier d’une série de plusieurs amendements visant à renforcer les contraintes tirées du principe de « lucrativité limitée ».

L’article 1er définit les conditions de l’appartenance au champ de l’ESS : le respect de la gouvernance démocratique ; un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ; une gestion garantissant le maintien et le développement de l’activité de l’entreprise ; l’ « impartageabilité » des réserves obligatoires. Outre le respect de ces critères, il tend à imposer aux sociétés commerciales de consacrer une fraction de leurs bénéfices nets annuels à la réserve statutaire.

Un amendement adopté en commission a uniformisé ce pourcentage dédié aux réserves statutaires à 15 %. Nous proposons de le faire passer à 20 %.

D’une part, un tel chiffre reste en deçà des pratiques du secteur. Ainsi, pour une société coopérative d’intérêt commercial, une SCIC, la réserve légale, comme pour toute coopérative, représente au minimum 15 % de ses résultats, et, une fois la réserve légale dotée, elle a l’obligation de verser au minimum 50 % du solde à une réserve dite « statutaire », également appelée « fonds de développement ».

D’autre part, à la suite d’une modification en commission, les 15 % ne s’ajoutent pas aux 50 % visés à l’alinéa 13, qui sont affectés au report bénéficiaire.

En bref, on ne touche pas au report bénéficiaire, on augmente simplement la part des bénéfices consacrés au développement et au maintien de l’activité. Cet amendement est donc de bon sens, au nom de l’intérêt de tous les acteurs de la société commerciale qui prétend relever de l’ESS.

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour présenter l’amendement n° 188 rectifié septies.

M. Ronan Kerdraon. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement n° 189 rectifié septies.

Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, instaure, pour les sociétés commerciales désirant intégrer l’économie sociale et solidaire, des obligations souples d’utilisation du résultat, qui permettent l’appropriation par les propriétaires de l’entreprise commerciale d’une fraction équivalente, au maximum, à 50 % du résultat, puisqu’elles doivent affecter 50 % de ce résultat en report à nouveau et réserves, dont 15 % en réserves impartageables.

De nombreuses entreprises commerciales ne se réclamant pas de l’économie sociale et solidaire distribuent aujourd’hui moins de 40 % de leurs résultats à leurs actionnaires, dans un souci de consolidation de leur organisation.

Dans le respect des valeurs fondatrices de l’économie sociale et solidaire, mais aussi pour favoriser la pérennité de structures répondant à des besoins collectifs, il semble donc nécessaire de prévoir des règles d’affectation du résultat significativement plus contraignantes. C’est d’autant plus important que, en année n+1, la part affectée en année n au report à nouveau devient distribuable sous forme de dividendes. Seule la part affectée aux réserves statutaires, à hauteur de 15 % au minimum, est ainsi véritablement impartageable.

Mes chers collègues, pour préserver les valeurs de l’économie sociale et solidaire et valoriser davantage le facteur travail par rapport au facteur capital, je vous propose de faire passer la part de résultat affectée aux réserves statutaires de 15 % à 20 %, tout en augmentant de 50 % à 70 % la part de résultat affectée globalement à l’entreprise ; c’est l’objet de l’amendement n° 189 rectifié septies.

L’adoption de cet amendement permettrait de s’assurer qu’une large part des résultats de l’année est dédiée au financement de la structure pour faire face soit à ses besoins de développement, soit à ses besoins de trésorerie.

J’ajoute, d’une part, qu’aucune association, structure historique de l’économie sociale et solidaire, ne peut redistribuer une part de ses bénéfices à ses dirigeants, et, d’autre part, que de nombreuses sociétés commerciales, dont la stratégie est axée sur le développement, souscrivent aujourd’hui à cette condition.

M. le président. L’amendement n° 300, présenté par M. Daunis, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Compléter cet alinéa par les mots :

, tant que les diverses réserves totalisées n’atteignent pas le montant du capital social

La parole est à M. le rapporteur.

M. Marc Daunis, rapporteur. Monsieur le président, ma défense de cet amendement tiendra lieu aussi d’avis sur les autres amendements faisant l’objet de cette discussion commune.

Le code de commerce prévoit qu’une société anonyme ou une SARL doit mettre en réserve 5 % de ses bénéfices ; cette obligation cesse lorsque les réserves accumulées atteignent 10 % du capital social.

Le projet de loi accroît très nettement cette obligation, puisqu’il impose une réserve statutaire de 15 % des bénéfices. Il prévoit également l’affectation de 50 % des bénéfices soit aux réserves obligatoires, soit au report bénéficiaire.

J’ai entendu critiquer cette disposition sur diverses travées, au motif qu’elle ne serait pas assez contraignante. Je souhaite faire observer, dans un premier temps, que l’obligation de mise en réserve est seulement de 15 % pour les coopératives.

Une obligation de mise en réserve trop élevée, surtout – j’y insiste – si elle n’est pas plafonnée par rapport au capital social, risque de compliquer considérablement la gestion de l’entreprise au détriment de la réalisation de son projet. Tel est le sens de l’amendement n° 300, que je présente au nom de la commission des affaires économiques.

Sur le fond, quel sens a une telle thésaurisation indéfinie si elle n’est pas justifiée par les besoins de l’entreprise ? Ne risque-t-elle pas de pousser à des stratégies inappropriées, pariant, par exemple, sur la liquidation de l’entreprise pour reverser ces actifs à une autre société ?

De plus, l’affectation massive aux réserves ne permet pas d’alimenter les dispositifs de participation à destination des salariés non associés. Ainsi, l’amendement n° 274, qui tendait à rendre indisponibles 80 % des bénéfices de l’année, a été retiré ; j’en remercie son auteur, qui a bien compris que, si son intention était louable, les effets pervers d’une telle mesure pouvaient l’emporter sur les effets positifs attendus.

Par ailleurs, je rappelle qu’une coopérative peut subventionner d’autres structures avec une partie de ses bénéfices annuels, ce qui serait rendu très difficile pour les sociétés commerciales si la plupart de ces amendements étaient adoptés.

Mes chers collègues, comprenant toutefois les préoccupations à l’égard du dispositif actuel, je vous propose une réponse en deux temps.

D’une part, les amendements identiques nos 83 et 188 rectifié septies tendent à relever, avec raison me semble-t-il, le taux de mise en réserve à 20 % pour les sociétés commerciales. Ce niveau est élevé, mais demeure acceptable.

D’autre part, l’amendement n° 300 de la commission vise à mettre fin à l’obligation de mise en réserve, lorsque ces réserves atteignent un niveau égal au capital social, ce qui correspond à la règle applicable aux coopératives et pourrait éviter certaines dérives.

Le dispositif qui résulterait de l’adoption de ces dispositions devrait permettre un bon fonctionnement des entreprises et la réalisation des objectifs que nous souhaitons atteindre.

M. le président. L’amendement n° 189 rectifié septies, présenté par M. Kerdraon, Mme Printz, MM. Berson, Magner, Courteau, Daudigny, Botrel, Anziani et Le Menn, Mmes Claireaux, D. Gillot et Alquier, MM. Rainaud, Vaugrenard et S. Larcher, Mmes Bataille et Génisson, MM. Chastan, Filleul et J.C. Leroy, Mmes D. Michel et Cartron et MM. Delebarre et Vincent, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Remplacer les mots :

50 % des bénéfices de l’exercice diminués

par les mots :

70 % du bénéfice de l’exercice diminué

Cet amendement a déjà été défendu.

L’amendement n° 84, présenté par M. Le Cam, Mme Schurch et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Remplacer le pourcentage :

50 %

par le pourcentage :

70 %

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 82, présenté par M. Le Cam, Mme Schurch et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Supprimer les mots :

ainsi qu’aux réserves obligatoires

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?

M. Marc Daunis, rapporteur. Pour les raisons que j’ai évoquées à l’instant, j’émets un avis favorable sur les amendements identiques nos 83 et 188 rectifié septies et demande le retrait des amendements nos 219 rectifié, 189 rectifié septies, 84 et 82.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. La règle applicable aujourd’hui aux coopératives impose une réserve statutaire de 15 % des bénéfices. Relever les réserves non partageables à 50 % et les reports à nouveau à 30 % aboutirait à immobiliser 80 % des bénéfices, ce qui rendrait l’exercice compliqué pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. C’est la raison pour laquelle je souscris à l’analyse de M. le rapporteur.

J’émets donc un avis favorable sur les amendements identiques nos 83 et 188 rectifié septies, ainsi que sur l'amendement n° 300, et je demande le retrait des amendements nos 219 rectifié, 189 rectifié septies, 84 et 82.

M. le président. Monsieur Kerdraon, l'amendement n° 189 rectifié septies est-il maintenu ?

M. Ronan Kerdraon. J’ai entendu l’explication talentueuse de M. le rapporteur, et sa force de conviction a pu atteindre les travées les plus élevées de cet hémicycle ! (Sourires.)

Sans bonnet rouge, mais avec conviction, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 189 rectifié septies est retiré.

Monsieur Le Cam, les amendements nos 84 et 82 sont-ils maintenus ?

M. Gérard Le Cam. Non, je les retire, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 84 et 82 sont retirés.

Monsieur Requier, l’amendement n° 219 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Claude Requier. « L’ennui naquit un jour de l’uniformité ». Pour apporter un peu de variété dans ce débat, je maintiens donc mon amendement, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je remercie M. le rapporteur et M. le ministre d’avoir compris l’état d’esprit d’une partie du groupe socialiste qui, en déposant l’amendement n° 274, souhaitait donner un contour clair à la notion de non-lucrativité.

Les dispositions de l’amendement n° 219 rectifié de nos collègues du RDSE ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles de l’amendement que nous avons retiré. Toutefois, nous ne voterons pas cet amendement et nous soutiendrons les amendements identiques nos 83 et 188 rectifié septies, ainsi que l’amendement n° 300 de M. le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. À cette heure de la soirée, je me sens très mal à l’aise, car j’ai le sentiment qu’un véritable hiatus sépare nos conceptions des entreprises, de leur raison d’être et de leur vie.

J’aimerais connaître les statistiques générales relatives à la part des bénéfices nets comptables conservée dans l’entreprise et à la part distribuée – vous devez d'ailleurs les connaître, monsieur le ministre –, quel que soit par ailleurs le statut de ces entreprises. En effet, on nous dit que le passage des réserves obligatoires de 5 % à 15 % représente une révolution, mais je n’en suis pas sûr.

Quel est l’alpha et l’oméga de l’entreprise ? Je regrette que nous ne soyons pas assez nombreux pour en parler. Le cœur du sujet, qu’il s’agisse du chômage ou des difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, au-delà des entreprises sociales et solidaires, c’est bel et bien l’entreprise et son rôle dans notre société !

La plupart de nos entreprises rencontrent des difficultés. Elles travaillent jour et nuit pour trouver des clients potentiels, des débouchés, etc. Aujourd'hui, leur souci primordial est de ne pas enregistrer de pertes, et non de se demander comment distribuer leurs bénéfices. Je suis désolé de vous le rappeler, chers collègues.

J’ai l’impression que règne une réelle incompréhension. Malgré un certain vernis, on sent bien que, pour la gauche de cet hémicycle, l’entreprise se résume à du cash flow qui sort en permanence. Ce n’est pas cela, l’entreprise, hélas !

M. Roland Courteau. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Bruno Sido. Certes, l’idée de l’entreprise sociale et solidaire est excellente, mais là n’est pas la question.

Pour l’entreprise en général, celle qui n’est pas sociale et solidaire selon les critères du I de l’article 1er dont nous débattions tout à l’heure, notamment les entreprises familiales ou artisanales, la question essentielle n’est pas de distribuer des bénéfices, mais de survivre et d’avoir un bilan équilibré en fin d’année.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Vous êtes hors sujet !

M. Bruno Sido. Au contraire, je suis tout à fait dans le sujet ! Chers collègues de la majorité, nous avons l’impression que, pour vous, l’entreprise est une vache à traire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Or ce n’est pas cela, l’entreprise !

Pour les entreprises, la vie est difficile. Il n’y a ici que des professeurs d’université pour nous parler des entreprises, alors qu’ils n’y connaissent rien, puisqu’ils n’en ont jamais dirigé ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous confondez tout !

M. Yannick Vaugrenard. Vous enfoncez des portes ouvertes !

M. Bruno Sido. Il faut savoir que l’entreprise peine, qu’elle s’efforce de payer ses salaires et de boucler son exercice.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Monsieur Sido, vous me stimulez ! (Sourires.) Je souhaite vous répondre sur deux points.

Tout d’abord, nous pouvons tous nous accorder pour reconnaître qu’il n’est pas besoin d’être chef d’entreprise pour pouvoir parler de l’entreprise. Sinon, les salariés se verraient refuser toute possibilité d’émettre un avis sur l’entreprise.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Ou alors, seuls les médecins pourraient parler de santé.

M. Bruno Sido. C’est le cas !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. C’est parfois vrai, je vous l’accorde. (Sourires.)

Je vous invite à comprendre le sens de notre démarche : les entreprises de l’économie sociale et solidaire ont un modèle particulier ; leur spécificité est de s’obliger à mettre une partie de leurs bénéfices en réserve impartageable. L’objectif est de privilégier la consolidation de l’entreprise elle-même sur la rémunération du capital. Cela ne rend pas pour autant mauvais un autre modèle d’entreprise, qui privilégierait la remontée de dividendes et la rémunération des actionnaires. Je le répète, nous ne portons pas de jugement moral sur les uns et les autres.

N’allez pas nous prêter un jugement moral là où nous commentons des modes d’entreprenariat auxquels nous reconnaissons des vertus différentes ! En l’occurrence, la principale vertu des entreprises de l’ESS, c’est d’avoir une espérance de vie plus longue que celle d’autres entreprises de même taille, implantées sur les mêmes marchés dans un secteur concurrentiel.

Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est une étude du Trésor comparant les entreprises transmises aux salariés à celles qui sont transmises à un tiers. Quand une entreprise est transmise à ses salariés, au bout de cinq ans, dans 75 % des cas, elle est toujours en vie – c’est ce qu’avait dit tout à l’heure le président Mézard. Cette statistique tombe à 60 % quand l’entreprise est transmise à un tiers.

En effet, il arrive qu’un tiers repreneur s’intéresse aux brevets, au savoir-faire, au capital et cherche à faire une plus-value. Les salariés auxquels l’entreprise est transmise se préoccupent quant à eux, assez logiquement, du maintien de leur emploi. C’est la raison pour laquelle nous voulons développer ce modèle, qui nous paraît intéressant.

Cela m’amène à évoquer la notion de personne morale dans sa définition pleine et entière. La personne morale est une entité qui survit au chef d’entreprise. Or le sort de bien des entreprises est aujourd’hui lié à celui du chef d’entreprise. Et ce qui nous intéresse, nous, dans le modèle des entreprises de l’ESS, c’est la primauté de la personne morale sur le propriétaire du capital.

C’est en ce sens que le débat que nous avons sur la mise en réserve impartageable est intéressant, même si ma position diffère de celle de Marie-Noëlle Lienemann ou de celle de Jean-Claude Requier. Je pense que le seuil de 15 % que nous avons retenu dans le texte, qui est celui des entreprises coopératives, est le bon. Nous pouvons, sur l’initiative du rapporteur et de M. Le Cam, élever quelque peu les seuils, mais il faut tout de même rester dans des étiages raisonnables au regard des enjeux économiques auxquels sont confrontées ces entreprises de l’ESS, comme leurs concurrentes.

Lors de mes discussions avec des représentants d’organisations patronales, j’ai été très frappé et surpris de voir que certains de mes interlocuteurs sont des permanents syndicaux, qui n’ont jamais dirigé une entreprise !

M. Bruno Sido. C’est vrai.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. J’ai moi-même dirigé une entreprise et j’ai été salarié du privé. Cette singularité, je la garde pour moi face aux représentants des fédérations patronales qui me disent mieux connaître l’entreprise que moi. Ils sont très bons, très efficaces, et je ne leur dénie pas le droit de s’exprimer.

Toutefois, je leur dis aussi que, indépendamment des trajectoires personnelles, au Gouvernement et au Parlement, nous sommes quelques-uns à nous intéresser, depuis longtemps, aux entreprises, parce qu’elles créent la richesse. Nous nous intéressons à celles et à ceux qui constituent la communauté entrepreneuriale, laquelle comprend les chefs d’entreprise, les cadres et les salariés.

Nous avons donc une légitimité à travailler, comme vous l’avez fait, monsieur Sido, pour la croissance de ce pays, en développant et l’économie classique et, à l’intérieur ou à côté de cette dernière, l’économie sociale et solidaire. Nous avons, les uns et les autres, nos trajectoires, nos expériences Ceux qui se targuent de représenter le patronat, d’être porteurs d’un uniforme et de vertus sans doute réelles ne sont pas forcément toujours mieux placés que nous pour parler de l’entreprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)