Mme Catherine Procaccia. Et dans le Val-de-Marne !
M. Jean-Jacques Hyest. Et dans le Val-de-Marne, en effet.
S’agira-t-il simplement d’une correction démographique ? C’est une vraie question, qui mérite d’être posée, monsieur le ministre. Y répondre nous permettra peut-être de préciser la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En tout état de cause, nous considérons qu’il n’y a pas lieu de délibérer parce que, de notre point de vue, et cela a été largement démontré, ce texte ne favorisera pas la parité, contrairement à ce qu’on prétend.
La réalité, c’est qu’il y aura des listes concurrentes. Comme cela a été le cas avec les conseillers départementaux, on va « euthanasier »…
M. Jean-Jacques Mirassou. Le mot est mal choisi !
M. Jean-Jacques Hyest. … tout un ensemble de parlementaires qui n’ont pas démérité, qui ont bien travaillé. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Gérard Longuet approuve.)
C’est la vérité ! Vous le verrez bien ! En tout cas, c’est tout à fait regrettable. De surcroît, cette méthode est brutale et ne favorisera aucunement la parité parce que chacun constituera une liste pour essayer d’être élu. On l’a déjà vu dans le passé. De mon point de vue, l’évolution vers la parité ne résultera pas de cette extension du scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un tour aux départements comptant au moins trois sénateurs à élire.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est incroyable de dire cela. Les chiffes démontrent le contraire !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire de revenir sur la précédente réforme précédente du scrutin sénatorial, aux termes de laquelle le scrutin à la représentation proportionnelle ne s’applique que pour les départements comptant au moins quatre sénateurs à élire, contre cinq auparavant. On ne va pas bouleverser chaque fois et lors de chaque alternance le mode d’élection du Sénat ! Comme le disait M. Maurey, de nombreux élus sont très attachés au scrutin majoritaire dans les départements.
Je le répète, nous voterons donc cette motion déposée par notre collègue tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Que le Sénat refuse de débattre d’une question qui le concerne aussi directement que celle du mode d’élection de ses membres, c’est un peu paradoxal.
Mme Françoise Laborde. C’est sûr !
M. Pierre-Yves Collombat. Comme on l’a fait remarquer tout à l’heure, ce texte ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité.
S’agissant en particulier de son impact sur la représentativité des ruraux – c’est la question qui m’intéresse le plus –, je dirai que mon opinion est nuancée. En effet, l’abaissement de la barre de la proportionnelle aux départements qui élisent trois sénateurs n’est pas forcément défavorable au monde rural. Quand on évoque l’expression des opinions, on pense surtout aux opinions politiques représentées par les partis, mais il faut aussi avoir à l’esprit la représentation des opinions de nos concitoyens habitant dans telle ou telle zone et qui s’estiment particulièrement frustrés dans leur droit à la parole.
Les prochaines élections pourraient donner lieu à certaines péripéties en raison des candidatures dissidentes qui pourraient survenir, en raison des expressions différentes qui pourraient se faire jour sans avoir obtenu le label de tel ou tel parti. D’un point de vue démocratique, ce n’est pas forcément une mauvaise chose.
En revanche, l’augmentation du nombre de délégués dans les communes de plus de 30 000 habitants, avec la désignation par le conseil municipal d’un délégué supplémentaire par tranche de 800 et non plus de 1 000 habitants, est comparativement défavorable aux petites collectivités.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Elles restent très avantagées !
M. Pierre-Yves Collombat. Cela dit, quand on fait le compte, on constate que cette modification ne modifiera qu’à la marge le mode de scrutin.
Mme Catherine Procaccia. Pas à la marge partout !
M. Pierre-Yves Collombat. Les marges sont changeantes, chère collègue. (Sourires.)
Pour reprendre les propos qu’a tenus tout à l’heure Jacques Mézard, président de mon groupe, nous demandons à débattre de ces sujets essentiels pour nous et, par conséquent, nous ne voterons pas cette motion. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 36, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 257 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l’adoption | 167 |
Contre | 178 |
Le Sénat n'a pas adopté. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
M. Henri de Raincourt. Dommage !
3
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Burkina Faso
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, conduite par son président, M. Soungalo Apollinaire Ouattara. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent et applaudissent.)
Cette délégation est accompagnée par M. Jacques Legendre, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique de l’Ouest du Sénat, et des membres de son groupe. Elle effectue cette semaine une visite d’étude lui permettant de mieux connaître le fonctionnement de l’Assemblée nationale française.
Sa venue aujourd’hui au Sénat lui permet également de mieux appréhender le fonctionnement de la Haute Assemblée et d’échanger, à l’occasion du déjeuner, avec les membres du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique de l’Ouest.
Nous formons le vœu que cette visite conforte l’excellence des relations entre nos deux pays, relations tout à la fois historiques et tournées vers l’avenir. Et nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements.)
4
Élection des sénateurs
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs.
Nous poursuivons l’examen des motions.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. J.C. Gaudin, Bas et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 377, 2012–2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à M. Philippe Bas, pour la motion.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, on aimerait pouvoir donner acte au Gouvernement de ses bonnes intentions. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Mais on ne peut pas !
M. Philippe Bas. Davantage de sénatrices, des villes mieux représentées, une plus grande diversité politique : tels sont les objectifs affichés de ce texte. Hélas ! vous n’avez manifestement pas oublié que charité bien ordonnée commence par soi-même.
M. Bruno Sido. Voilà !
M. André Reichardt. Excellent !
M. Jean-Claude Frécon. En la matière, vous êtes des spécialistes !
M. Philippe Bas. En effet, au-delà des apparences, il y a les réalités politiques. Elles sont d’ailleurs tellement limpides que l’on aurait aimé que le Gouvernement les assumât sans détour. La féminisation, la représentation des villes, le pluralisme sont des prétextes ; l’essentiel est ailleurs : vous voulez fortifier la gauche lors des prochains renouvellements du Sénat et vous réclamez à la loi électorale une garantie de résultat.
Jamais on n’aura en si peu de temps tenté de modifier autant de règles du jeu électoral.
M. Charles Revet. C’est le chamboule-tout !
M. Philippe Bas. Et comme par hasard, alors que dans les départements le parti socialiste court-circuite les préfets en élaborant lui-même la carte des nouveaux cantons pour le compte du ministère de l’intérieur (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.), voici que nous sommes invités à délibérer, toutes affaires cessantes, du mode de scrutin sénatorial.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Philippe Bas. Car telles sont bien aujourd’hui les urgences du Gouvernement, alors que la France est entrée en récession, que le chômage explose et que les chiffres de la délinquance ne cessent, hélas, de s’aggraver.
M. Philippe Bas. Dans les circonstances nationales et internationales que nous traversons, l’agenda gouvernemental n’est pas seulement déroutant, voire surréaliste ; il est aussi inconvenant. Il serait tout à fait vain de vouloir vous approprier « la rénovation et la déontologie de la vie publique », pour reprendre l’intitulé de la mission confiée à M. Jospin par le chef de l’État. Aucun d’entre nous n’est obligé d’invoquer la morale à l’appui de chacun de ses actes. Celui qui croit pouvoir le faire s’expose plus que d’autres à être jugé à cette aune.
M. Gérard Longuet. Évidemment !
M. Philippe Bas. Or, de morale, je ne vois guère dans ce texte. Rien ne vous arrête dans votre travail méthodique de déconstruction de ce qui fait l’originalité de l’institution sénatoriale.
M. Jean-Jacques Mirassou. Rien que ça !
M. Philippe Bas. Votre projet d’étendre les incompatibilités entre les différents mandats électoraux amplifierait encore ce travail de déconstruction, en empêchant les sénateurs de demeurer maires parmi les maires, élus locaux parmi les élus locaux.
La seule chose qui vous retienne encore, heureusement, c’est la Constitution, que vous n’avez pas le droit de modifier sans notre accord. Or le Conseil constitutionnel a refusé en 2000 que le collège sénatorial soit déséquilibré et dénaturé par la désignation massive de délégués non élus. Cela n’a pourtant pas empêché Lionel Jospin de proposer, à la fin de l’année dernière, un système baroque d’effet équivalent : on aurait vu partout, pour la première fois dans l’histoire de la République, des délégués sénatoriaux disposer chacun de plusieurs voix – jusqu’à quinze !
Cette astuce n’aurait certainement pas trompé le Conseil constitutionnel. Il faut cependant donner acte au Gouvernement de sa sagesse,…
M. Charles Revet. Ce n’est pas de la sagesse, c’est autre chose !
M. Philippe Bas. … puisqu’il a finalement renoncé à son projet. La crainte du juge constitutionnel est pour vous le commencement de la raison politique.
Je tiens à rappeler les termes de l’article 24 de la Constitution : « Le Sénat […] est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat. »
M. Robert del Picchia. Très bien ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, le Sénat doit être élu par un corps électoral lui-même composé principalement d’élus de ces collectivités. C’est le Conseil constitutionnel qui le dit. Et c’est le critère principal de la composition du Sénat.
M. Alain Fauconnier. C’est le Sénat pour tous ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Vous auriez le droit de remettre en cause les fondements historiques de notre institution, qui n’ont pas changé depuis la Troisième République ; Gambetta les critiquait déjà, en qualifiant notre assemblée de « grand conseil des communes de France ».
Toutefois, vous ne pouvez pas feindre de vous étonner que les délégués des communes dominent le collège sénatorial et que, de ce fait, les communes rurales y soient représentées en fonction de leur nombre, ainsi que de leur population d'ailleurs, c’est-à-dire d’une manière qui ne laisse qu’une moindre place aux communes urbaines, car il s’agit d’une donnée de base de l’institution sénatoriale dans notre République.
Si l’on veut parvenir à une égale représentativité démographique des sénateurs, ce n’est pas la loi électorale qu’il faut changer, mais le Sénat lui-même.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il y a de la marge.
M. Philippe Bas. Il n’est d'ailleurs pas interdit d’en discuter. Les constituants auraient pu concevoir un autre Sénat, ou pas de Sénat du tout. Nous ne sommes pas là pour assurer une défense corporative de notre institution. Celle-ci ne vaut que par son apport au bon fonctionnement de notre régime parlementaire, pour le service de la France et des Français.
Il se trouve que la République a depuis longtemps voulu que le Parlement comprenne, en plus de l’assemblée du peuple, une assemblée des territoires. Dans notre nation une et indivisible, marquée par plusieurs siècles d’absolutisme royal puis de centralisme républicain, la République a veillé à placer au cœur du Parlement un puissant défenseur des libertés locales. C’est un contrepoids indispensable à notre tradition jacobine et aux inévitables excès de pouvoir qu’elle suscite, d’autant que ces excès sont aujourd'hui amplifiés par le fait majoritaire.
M. Gérard Longuet. Et présidentiel !
M. Philippe Bas. Le Sénat reste le meilleur antidote pour combattre les volontés uniformisatrices, par essence négatrices des libertés locales, qui ne cessent d’être à l’œuvre dans notre système politique exagérément étatisé.
Si l’on admet l’utilité et même la nécessité du Sénat, il faut reconnaître aussi que, tout en respectant autant que possible l’égalité de suffrage, sa composition accepte non pas comme une anomalie, mais comme un bienfait la représentation de nos territoires pour eux-mêmes. Les collectivités territoriales de la République ne peuvent être traitées comme de simples circonscriptions taillées pour l’expression du suffrage universel indirect. Ce sont des communautés humaines bien vivantes, qui font vivre la citoyenneté.
La France n’a certes pas voulu d’un régime fédéral, qui n’aurait en rien correspondu à son histoire. Néanmoins, depuis la révision constitutionnelle de 2003, proposée par Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, la Constitution proclame que l’organisation de la République est « décentralisée ». Le moment serait donc bien mal choisi pour affaiblir la représentation des territoires par le Sénat, en partant du principe que celle-ci est suspecte.
Votre réforme, même modeste, porte en germe la négation de l’identité de notre assemblée.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Vous allez loin !
M. Philippe Bas. Vous avez le droit de dire que le Sénat vous gêne. Un débat sur cette question ne serait pas sans intérêt. Ce serait un débat constitutionnel tout à fait digne de notre démocratie. Le Sénat n’aurait d’ailleurs rien à en redouter. Il n’est pas inféodé au pouvoir en place, pas plus aujourd'hui qu’hier. Il sait dire non et, quand il dit oui, il sait le faire autour de majorités d’idées. Il est libre. Il sait prendre ses distances avec le système bipartisan qui irradie aujourd’hui la plupart de nos institutions.
Peut-être est-ce pour cette raison que les Français ont de l’estime pour le Sénat. Plusieurs fois dans son histoire, le peuple français a eu l’occasion de trancher la question du bicamérisme : ce fut le cas en 1946 comme en 1969. Si, comme l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, vous estimez toujours que le Sénat est une « anomalie démocratique », assumez-le, dites-le, tirez-en les conséquences !
Si, au contraire, notre institution trouve enfin grâce à vos yeux depuis que vous y êtes majoritaires, ne cherchez plus à la dénaturer et cessez de saper ses fondements constitutionnels par des critiques incessantes sur sa composition.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Philippe Bas. À règles constitutionnelles inchangées, vous ne parviendrez jamais à viser l’objectif d’équilibre démographique que vous ne cessez de poursuivre, car il est antinomique avec la représentation des collectivités territoriales par des élus de celles-ci. Or cette représentation est imposée par l’article 24 de la Constitution.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
M. Philippe Bas. Prenez deux à deux des départements également peuplés, et vous verrez à quel point le nombre de communes y est différent : 895 dans le Pas-de-Calais, 262 dans les Yvelines ; 163 dans les Alpes-Maritimes, 730 en Moselle ; 601 dans la Manche, 369 dans la Drôme. Et l’on pourrait continuer ainsi indéfiniment. Par conséquent, si l’on veut, comme l’impose notre loi fondamentale, représenter toutes les communes, la composition du collège sénatorial ne peut que refléter d’importants écarts d’un département à l’autre.
Il n’y a pas lieu de s’en scandaliser, puisqu’il s’agit de représenter démocratiquement les territoires et non la population elle-même, comme à l’Assemblée nationale.
M. Alain Richard. Ce n’est pas exact !
M. Philippe Bas. Tant que nous vivrons dans le cadre fixé par la Constitution de la Ve République, le critère déterminant de la composition du Sénat restera la représentation des collectivités territoriales, donc des communes dans leur diversité, par le suffrage indirect. Ce n’est ni anodin ni secondaire : la légitimité propre de notre assemblée en procède.
Le fil qui relie le Sénat aux élus des communes ne doit pas être rompu, ni même distendu. Avec votre réforme, vous allez effriter cette légitimité, l’éroder, la fragiliser en ajoutant au collège sénatorial une fournée de grands électeurs non élus par le peuple, ce qui revient à transposer habilement les méthodes en usage sous la Restauration. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Richard. Vous êtes en dessous de tout !
M. Philippe Bas. Vous faites ainsi le choix de la politisation, en insufflant davantage d’esprit partisan là où le pouvoir constituant avait surtout voulu assurer l’ancrage du Sénat dans l’expérience des responsabilités locales.
M. François Rebsamen. C’est pour cela que le général de Gaulle avait voulu le supprimer !
M. Philippe Bas. Ce n’est décidément pas la bonne voie, même si, au titre de la « correction démographique », le Conseil constitutionnel a admis des tempéraments à l’exigence de désignation des représentants des communes parmi les seuls élus municipaux, à condition, toutefois, que l’on n’aille pas trop loin dans cette direction hasardeuse.
Je veux tout de même rappeler que, réserve faite de l’Italie, partout où existe un Sénat, c’est-à-dire principalement dans les pays fédéraux, c’est non pas la recherche des équilibres démographiques, mais la représentation de territoires clairement identifiés qui l’emporte dans la composition de la deuxième chambre. Pour notre part, nous tenons déjà bien mieux compte de la démographie que ne le font les autres pays, et c’est en quoi notre système est démocratiquement supérieur aux leurs, même s’il est plus difficile à caractériser, dans la mesure où il est en réalité hybride.
M. François Rebsamen. Vous oubliez le système allemand !
M. Philippe Bas. Aux États-Unis – j’évoquerai l’Allemagne ensuite, monsieur Rebsamen –, le Wyoming, le Vermont et le Dakota du Nord, qui comptent moins de 700 000 habitants, ont chacun deux sénateurs, soit autant que la Californie, le Texas ou l’État de New York, qui comptent plus de 19 millions d’habitants. Pauvres Américains !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Cela n’a rien à voir ! Les États-Unis sont un État fédéral.
M. Philippe Bas. En Allemagne, monsieur Rebsamen, la Rhénanie du Nord-Westphalie, qui compte 18 millions d’habitants, dispose du même nombre de sièges – 6 – au Bundesrat que la Bavière, qui compte 12,5 millions d’habitants, et la Hesse, qui ne compte que 6 millions d’habitants, ne possède qu’un siège de moins que ces deux Länder.
Or que va-t-on faire en France ? On va essayer de grignoter ici ou là quelques voix supplémentaires en ajoutant aux élus municipaux une poignée de militants bien choisis au nom d’un prétendu principe d’égale représentativité des délégués sénatoriaux,…
M. Alain Richard. Quelle médiocrité !
M. Philippe Bas. … un principe pourtant refusé par la Constitution, récusé par le Conseil constitutionnel et de toute façon hors d’atteinte à défaut d’une réforme constitutionnelle radicale que vous ne proposez pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Rebsamen. Ne pensez-vous pas que vos propos sont un peu excessifs ? C’est assez bas, comme argument.
M. Philippe Bas. Cette approche n’est pas à la hauteur de notre institution et ne saurait se parer des vertus de l’ambition démocratique.
L’application de la représentation proportionnelle dans les départements comptant trois sénateurs constitue, elle aussi, un recul. Trois élus, ce n’est pas assez pour appliquer correctement la représentation proportionnelle sans prendre le risque de la confusion. Loin d’être un facteur de pluralisme dans ces départements, la représentation proportionnelle favorisera les deux principaux partis. L’attribution du troisième siège ressemblera malheureusement à une sorte de loterie. Ce ne seront plus les résultats électoraux qui feront, directement et de manière lisible, l’élection ; celle-ci procédera de savants calculs mathématiques.
M. Gérard Longuet. Et d’arrangements !
M. Philippe Bas. Vous y voyez peut-être un moyen de favoriser l’élection de sénatrices. C’est très discutable, car, lorsque ce système a été appliqué pour la première fois, on a vu fleurir les listes permettant à des sénateurs sortants, qui avaient sans doute d’excellentes raisons de penser qu’ils n’avaient pas démérité et qu’il serait injuste de les remplacer, de tenter leur chance, souvent avec succès.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est l’affaire des partis !
M. Philippe Bas. Au demeurant, que ceux qui ne cessent de rappeler hors de propos l’exigence d’égalité devant le suffrage universel quand il s’agit d’altérer la composition du collège des grands électeurs se souviennent que la disqualification de candidats du seul fait qu’ils sont de sexe masculin est une telle dérogation aux principes constitutionnels les plus solidement établis qu’il a fallu une révision de la Constitution en 1999 pour l’autoriser.
Le recul manque encore pour apprécier les conséquences de cette exception à nos règles démocratiques. On me permettra toutefois de continuer à penser que, en matière de discrimination positive, la plus grande prudence est nécessaire. Les restrictions de fait à la liberté de candidature peuvent faire progresser l’accès des femmes à la vie publique, mais elles ne font aucunement progresser la démocratie ; ce n’est d’ailleurs ni leur fonction ni leur but.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quel est le rapport ?
M. Philippe Bas. Le Sénat devrait être sensible à la sollicitude du Gouvernement, qui veut bien s’intéresser à lui en proposant de modifier sa composition. Néanmoins, il n’a nul besoin d’une telle attention.
M. Jean-Jacques Mirassou. Et inversement !
M. Philippe Bas. Chers collègues de la majorité, si vous voulez changer radicalement l’esprit et la légitimité du Sénat, vous avez à votre disposition une procédure de révision de la Constitution qui est engagée : libre à vous d’y ajouter des éléments sur la composition de la Haute Assemblée pour assurer l’égale représentativité des sénateurs. Mais ce n’est pas ce que vous avez décidé de faire !
Pour notre part, nous souhaitons que la commission puisse se pencher de manière approfondie sur la question du bicamérisme à partir de votre projet de loi.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est sans intérêt !
M. Philippe Bas. Tel est le sens de la motion de renvoi en commission que j’ai eu l’honneur de défendre à cette tribune. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, contre la motion.
M. Jean-Pierre Michel. En vérité, mes chers collègues, je suis gêné pour répondre à M. Bas, qui, encore une fois, détourne notre règlement.
Vous auriez pu, mon cher collègue, déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité puisque vous invoquez la Constitution à tout propos.
Si le règlement vous y avait autorisé, vous auriez pu aussi défendre une deuxième motion tendant à opposer la question préalable. Au moins, votre propos aurait été un peu plus adapté !
Plus simplement, vous auriez pu tout aussi bien vous exprimer dans la discussion générale… Toutefois, pour cela, il aurait fallu que le président de votre groupe n’ait pas pris les trente minutes réservées au groupe UMP ! (C’est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. André Reichardt. Il en a laissé dix !
M. Jean-Pierre Michel. Mais, au dernier moment, par une espèce de pirouette, vous préférez demander que le travail reprenne en commission, pour discuter d’une autre question, beaucoup plus large, à savoir le bicamérisme.
Je suis désolé, mais ce n’est ni l’endroit ni le lieu pour avoir ce débat, qui n’a rien à voir avec le présent projet de loi.
Mes chers collègues, sachez que la commission des lois a travaillé comme à son habitude, sous la présidence de Jean-Pierre Sueur, qui s’excuse de ne pas pouvoir être là ce matin : il assiste aux obsèques de Pierre Mauroy, à Lille. Nous avons écouté et discuté le rapport de M. Kaltenbach pendant environ quatre heures ; ensuite, nous avons à nouveau travaillé pendant quatre heures pour examiner les nombreux amendements qui seront discutés la semaine prochaine. Vous avez d’ailleurs assisté à ces deux réunions, monsieur Bas.
Par ailleurs, M. le rapporteur a procédé à de nombreuses auditions, notamment celles de tous les présidents de groupe et des spécialistes du ministère de l’intérieur.
La commission des lois a donc travaillé normalement sur ce projet de loi, que tout le monde ici s’accorde à considérer comme étant de portée restreinte,…