M. le président. La parole est à M. René Teulade, pour deux phrases de réplique.
M. René Teulade. Pourquoi pas plutôt une demi-phrase ? Ces conditions de travail sont épouvantables !
M. le président. Vous avez deux minutes pour la question et une minute pour la réplique, mon cher collègue ! La règle vaut pour tous.
M. René Teulade. Pour alimenter la réflexion collective, je voudrais vous livrer, madame la ministre, cette citation du conseiller d’État Didier Tabuteau :
« Les urgences sont au carrefour des drames de la vie courante comme des catastrophes. L’hôpital accueille les blessés, mais également les détresses sociales, les malades comme les populations en perdition. Ainsi, en dépit des restructurations hospitalières qui ont marqué les deux dernières décennies, l’hôpital […] redevient le lieu d’accueil et de refuge. Quel paradoxe que de voir les centres d’excellence de la médecine technique […], à la pointe de la science médicale, venir prendre le relais dans de nombreuses régions d’une médecine de ville en mutation. »
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la situation des hôpitaux.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Charles Guené.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Sécurisation de l'emploi
Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurisation de l’emploi.
Nous poursuivons la discussion des articles.
Chapitre Ier (suite)
Créer de nouveaux droits pour les salariés
Section 1 (suite)
De nouveaux droits individuels pour la sécurisation des parcours
M. le président. Dans la suite de la discussion des articles, nous poursuivons les prises de parole sur l’article 1er.
Article 1er (suite)
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à une idée reçue, la France a une culture conventionnelle en matière de relations du travail. Elle est plus ou moins mise à profit selon les gouvernements, et il est certes toujours plus facile de rester soi-même en ne faisant rien.
La négociation entre les partenaires sociaux est aujourd’hui favorisée. Il appartient au législateur de valoriser au mieux ces négociations, qui comportent, par définition, des compromis et ne peuvent exister que par eux.
Les dispositions de l’article 1er de ce projet de loi prévoient incontestablement de nouvelles adaptations favorables aux droits des salariés.
Au fond, les travaux de l’Assemblée nationale ont utilement contribué à améliorer le dispositif de cet article. Les apports de nos collègues députés sont de trois ordres : ils améliorent les prévisions initiales de l’accord national interprofessionnel inscrites dans le projet de loi ; ils clarifient la question importante, non traitée par l’accord, du régime d’Alsace-Moselle ; enfin, ils encadrent précisément la possibilité de désignation de l’organisme complémentaire.
Au titre des améliorations, notons que, par le biais de plusieurs amendements, nos collègues députés ont utilement ajouté aux modalités de mise en œuvre de la protection complémentaire santé l’information du salarié de la décision unilatérale de l’employeur, la mention du maintien de la garantie des droits dans le certificat de travail, le délai d’un mois imparti à l’organisme complémentaire pour proposer au salarié le maintien de ses droits après la cessation de son contrat de travail, l’assujettissement des contrats collectifs d’entreprise aux conditions applicables aux contrats dits responsables et solidaires.
À titre de clarification, compte tenu des difficultés d’articulation entre la généralisation de la complémentaire santé collective et les spécificités du régime local d’Alsace-Moselle, il est également prévu que seront définies des « adaptations » de la couverture des salariés relevant de ce régime.
Enfin, il convenait de clarifier une contradiction inscrite dans l’accord interprofessionnel, concernant la désignation de l’organisme complémentaire. Les partenaires sociaux ont laissé à la fois subsister, dans un même paragraphe, la mention du libre choix de l’entreprise et celle de la possibilité de recommander aux entreprises de s’adresser à un ou plusieurs organismes.
Les députés ont, à cet égard, utilement précisé les règles garantissant la transparence des appels d’offres pour les branches qui recommanderont ou prescriront un choix. Ils ont ainsi prévu une publicité préalable obligatoire, fixé les modalités garantissant le consentement éclairé des partenaires sociaux, ainsi que les règles relatives aux conflits d’intérêts et les modalités de suivi du contrat en cours.
Ces dispositions doivent être considérées pour ce qu’elles sont : un « plus » pour les salariés, inscrit dans un accord d’ensemble, sans préjuger de l’équilibre du système de protection sociale à recréer. Je me réfère sur ce point aux termes sans équivoque employés par le Gouvernement, pour lequel il reste encore à considérer de nouvelles règles de mutualisation, à préciser celles de l’octroi des avantages fiscaux et sociaux des différents contrats existants et à définir le contenu des contrats responsables et solidaires.
L’article 1er doit donc être resitué dans le cadre de la réflexion générale que le Gouvernement a engagée : le Président de la République a fixé à 2017 l’échéance pour la généralisation à tous d’une couverture complémentaire santé de qualité. Le Gouvernement a commandé au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie un rapport, qui doit être rendu l’été prochain.
Nous pourrons alors concrètement poser la question de l’articulation de notre système de sécurité sociale, entre un régime de base obligatoire fort, mais qui s’est malheureusement effrité au cours des dernières années, et un niveau complémentaire qui existe depuis la création de la sécurité sociale, en 1945.
Nous ne devons pas nous diriger vers une répartition des risques entre régime de base et régime complémentaire : à la sécurité sociale, les risques lourds, aux complémentaires santé, les autres risques ! Une telle orientation irait à l’encontre de l’histoire de notre protection sociale et serait dommageable pour la solidarité nationale. Restons-en à la logique du « complément » et n’entrons pas dans celle du « remplacement » ! Nous devons trouver un équilibre qui passe non pas par la sélection des risques ou par la prise en compte de l’état de santé de chaque individu, mais par une juste répartition des charges.
Grâce à la mutualisation, l’occasion nous est offerte, avec la généralisation des contrats collectifs d’entreprise, de défendre cette vision de la sécurité sociale.
Pour ces raisons, dans ces conditions et, surtout, dans cette perspective, l’article 1er du projet de loi peut et doit être approuvé.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l'article.
M. René-Paul Savary. L’accord national interprofessionnel inverse la logique trentenaire qui avait prévalu lors des négociations précédentes.
Auparavant, les entreprises, en cas de difficultés, cherchaient à diminuer leurs charges, donc à réduire leur main-d’œuvre, et n’hésitaient pas à procéder à des licenciements.
Les syndicats, quant à eux, avaient pour objectif de continuer à protéger toujours plus les salariés et de maintenir à tout prix les acquis sociaux.
L’accord national interprofessionnel marque véritablement une rupture, en ce qu’il répond à une logique partenariale.
En ce qui concerne les employeurs, le principe est de tout faire, dans la mesure du possible, pour maintenir les emplois, et non pas les supprimer : il s’agit d’assurer un peu plus de sécurité.
En ce qui concerne les syndicats signataires, le principe est d’accepter des aménagements des conditions de travail, parfois moins avantageux pour les salariés, certes, mais aussi parfois moins pénalisants pour l’avenir en matière d’emploi : il s’agit d’aller vers davantage de flexibilité.
La logique suivie consiste à consentir un effort collectif, à élaborer un compromis fondé sur des droits, mais aussi des devoirs, des contreparties. C’est là, nous semble-t-il, un premier pas vers une modernisation du marché du travail.
Il sera en outre possible d’attacher ces droits et devoirs à la personne, et non pas à un statut : c’est une autre avancée significative.
La même logique doit inspirer les éventuelles modifications apportées par les articles du projet de loi et les amendements.
Pour en revenir à l’article 1er, la généralisation de la couverture complémentaire santé à toutes les entreprises doit donc obéir à cette logique : il faut garantir de la souplesse, et non pas créer une contrainte supplémentaire pour les entrepreneurs.
Cette avancée sociale engendrera, il faut le reconnaître, un coût supplémentaire pour les entreprises et elle restreindra un peu plus encore l’intérêt que présente le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi : attention à ne pas reprendre d’une main ce que l’on donne de l’autre.
Les entreprises ont bien évidemment intérêt, pour limiter l’absentéisme, à ce que leurs salariés soient correctement couverts socialement et aient ainsi la possibilité de se soigner. Faisons-leur donc un peu confiance !
C’est la raison pour laquelle je soutiens toutes les mesures visant à apporter de la souplesse aux entreprises et à les responsabiliser, et combats celles qui vont à l’encontre de cet objectif. Mon collègue Jean-Noël Cardoux défendra ultérieurement des amendements tendant à laisser aux entreprises la liberté du choix.
Monsieur le ministre, vous avez là l’occasion, si vous en avez la volonté, de donner un signe fort à notre groupe : si cette logique d’assouplissement peut contrarier l’aile gauche de la majorité, elle nous convient bien… Par le passé, nous avions d’ailleurs proposé des mesures tendant à instaurer davantage de flexibilité. Notre objectif commun à tous, me semble-t-il, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, est de favoriser le développement de l’emploi, pour répondre à la première des préoccupations de nos concitoyens.
Pour ce qui nous concerne, nous nous bornerons à présenter quelques amendements visant à consolider et à améliorer encore le dispositif du projet de loi, dans l’esprit qui a présidé à la conclusion de l’ANI. Nous espérons qu’une suite favorable leur sera réservée.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l’article.
Mme Isabelle Pasquet. Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont, eux aussi, très soucieux de l’état de santé de nos concitoyens, comme l’attestent les rapports remis, à l’occasion de l’élaboration des deux dernières lois de finances, par notre collègue Dominique Watrin en sa qualité de rapporteur pour avis des crédits de la mission « Santé ».
Le premier constat, que nous partageons, est que la dégradation de l’état de santé de nos concitoyens, sous la pression de facteurs environnementaux, sociétaux, professionnels ou économiques, n’est ni inéluctable ni acceptable.
Outre les coûts financiers qu’elle entraîne pour les comptes publics et sociaux, la baisse de la qualité de vie de nos concitoyens est d’autant moins acceptable que les progrès de la science et des connaissances devraient permettre d’augmenter considérablement l’espérance de vie en bonne santé des femmes et des hommes de notre pays.
Or, selon une étude réalisée, il y a quelques mois, par un grand quotidien national, 29 % de nos concitoyens avouent craindre une dégradation de leur santé dans les cinq ans à venir. Cette inquiétude, il nous faut l’entendre, la mesurer et la resituer dans son contexte, pour mieux la comprendre et pour tenter, collectivement, d’y apporter des réponses.
Le premier des facteurs d’inquiétude tient sans doute à la précarité ou à la peur de voir les conditions de vie ou de travail se détériorer davantage encore chaque année.
Comme le précisait un rapport du Haut Comité de la santé publique, « la précarité envahit peu à peu la vie quotidienne des Français. Elle s’est insinuée dans des domaines jusqu’alors considérés comme les bases de la cohésion sociale – l’emploi, l’école, le logement, la famille – qu’elle a radicalement contribué à transformer. Elle est devenue un phénomène que plus personne ne peut ignorer tant ses effets sont visibles. »
Il suffit d’ailleurs de regarder autour de nous pour voir combien jeunes et étudiants sont nombreux à renoncer aux soins ; j’ai déjà largement développé ce point ce matin. Cela peut avoir des conséquences dramatiques, dans la mesure où les jeunes constituent une population particulièrement concernée par les conduites à risques et difficile à toucher par les messages de prévention.
Ayant déposé, au nom de mon groupe, une proposition de résolution tendant à la création d’un observatoire des suicides et des conduites suicidaires en France, je sais aussi que les jeunes sont sans doute encore plus nombreux à renoncer à des soins psychologiques ou, tout du moins, visant à préserver la santé mentale.
Les conséquences de cette situation, nous les connaissons : la France compte parmi les pays où le taux de suicide chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est le plus élevé, avec environ 600 décès par an et des milliers de tentatives, sans parler des maladies psychologiques qui touchent plus spécifiquement ce public, telle l’anorexie, dont souffriraient entre 30 000 et 40 000 jeunes, surtout des jeunes filles.
Force est de constater que notre système de santé et de protection sociale, victime d’une politique de réduction de l’offre de soins et d’accompagnement menée de façon continue depuis des décennies, n’est pas adapté aux besoins des jeunes en la matière.
Il faut trouver pour eux des solutions efficaces et solidaires. Il y va de leur intérêt, mais aussi de l’avenir de notre pays. La santé des jeunes d’aujourd’hui, c’est la santé, le dynamisme des travailleurs de demain. Il nous incombe de veiller à ce que la génération montante vive aussi bien, mieux même, que la nôtre.
Malheureusement, le dispositif de cet article, dont le champ est limité aux seuls salariés, ne permettra pas de relever le défi auquel nous devons collectivement faire face. Pourtant, des mesures simples pourraient être prises : recrutement de médecins, d’infirmiers et de psychologues scolaires, suppression du doublement de la taxe sur les contrats mutualistes ou, bien entendu – d’autres collègues reviendront sur cette question –, prise en charge à 100 % des dépenses de santé par la sécurité sociale.
Rien de tout cela n’est prévu dans l’article 1er, et votre texte, monsieur le ministre, à l’instar du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, ne comporte aucune mesure tendant à renforcer le financement solidaire de la sécurité sociale. Pourtant, celle-ci demeure la seule véritable protection des faibles, même si nous admettons aisément qu’il est nécessaire de la conforter, comme nous avions d’ailleurs vainement tenté de le faire lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, en proposant de soumettre à cotisations les revenus financiers des entreprises.
Au total, notre groupe considère que cet article 1er est largement insuffisant !
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. Sans répéter ce que vient de dire ma collègue Isabelle Pasquet, je souhaiterais revenir sur la question fondamentale de l’accès aux soins pour toutes et pour tous.
Monsieur le ministre, nous attendons que le Gouvernement nous réponde sur ce sujet. Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, « l’absence ou l’insuffisance d’assurance complémentaire est un facteur significatif de renoncement aux soins ». Dont acte ! Ce document comporte en outre des données chiffrées : « environ 15 % de la population adulte déclarait avoir renoncé à des soins au cours des douze derniers mois en 2008 pour des raisons financières, les plus concernés étant les soins dentaires (10 %) et, dans une moindre mesure, l’optique (4,1 %) ». Je ne pense pas que la situation se soit améliorée depuis 2008 !
Si cette analyse n’est pas fausse, elle n’est cependant que partielle. En effet, au-delà de la question de la couverture complémentaire, ce sont bien les lacunes, l’insuffisance ou la faiblesse de notre système de sécurité sociale qui posent problème. Pourtant, monsieur le ministre, vous considérez que le problème réside dans l’accès aux couvertures complémentaires santé, ce qui vous conduit logiquement à présenter un article dont l’objet est de favoriser le recours à ces contrats.
Or vous n’êtes pas sans savoir que ces derniers n’obéissent pas aux mêmes règles que la sécurité sociale. Celle-ci, faut-il le rappeler, repose sur un principe simple : les cotisations sont fonction des ressources, les prestations sont fonction des besoins. De leur côté, les mutuelles ou les contrats complémentaires proposés par les sociétés d’assurance obéissent à d’autres règles : leur financement dépend des capacités contributives et le fait que l’employeur y participe ne règle rien. Il est injuste que les cadres dirigeants, ceux qui bénéficient déjà des plus hautes rémunérations, s’acquittent d’une participation financière identique à celle qui est consentie par les salariés les moins bien rémunérés. Selon nous, il y a là une dérogation au programme élaboré par le Conseil national de la Résistance et au principe même de la sécurité sociale.
On présente le dispositif de l’article 1er comme équilibré, puisque financé à 50 % au moins par l’employeur et à 50 % au plus par le salarié. Toutefois, c’est oublier que, dans le système de la sécurité sociale, les employeurs prennent en charge 98 % des cotisations d’assurance maladie !
Un autre problème se pose : celui du panier de soins, c’est-à-dire du champ des dépenses de santé qui seront remboursées aux patients. Le projet de loi renvoie la fixation des détails de cette couverture à un décret. Tout juste sait-on que la couverture complémentaire de base devra garantir le remboursement à 100 % du tarif de base pour les consultations, les actes techniques et la pharmacie, du forfait hospitalier, et un remboursement à hauteur de 125 % du tarif de base pour les prothèses dentaires, ainsi qu’un forfait de 100 euros par an pour l’optique. Autrement dit, les prestations seront identiques, voire inférieures dans certains cas, à celles qui sont garanties aux bénéficiaires de la CMU-C.
Monsieur le ministre, accorder des exonérations de cotisations patronales pour que, au bout du compte, les salariés soient protégés a minima, avouez que c’est un comble !
En définitive, l’article 1er du projet de loi ouvre la voie à un nouveau marché, non encadré et plus inégalitaire : celui des sur-complémentaires. Les demandeurs devront satisfaire à deux conditions : remplir des critères sanitaires – ils devront répondre à un questionnaire de santé, une pratique interdite pour les contrats responsables – et, bien entendu, disposer de ressources financières suffisantes.
Confrontés aux remboursements trop partiels accordés par les organismes complémentaires de groupe, les salariés seront en fait invités à souscrire des sur-complémentaires. C’est le chien qui se mord la queue ! Plus on ouvre le champ des complémentaires, plus on affaiblit la sécurité sociale et plus il faut payer pour les complémentaires, voire pour des sur-complémentaires. Ce n’est pas ainsi que l’on réglera les problèmes sur le fond et dans la durée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
M. Jean Desessard. Nos collègues du groupe CRC ont beaucoup de choses à dire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Certains des amendements que nous avions déposés, à la suite des députés du groupe GDR, afin de permettre aux stagiaires en entreprise de bénéficier de la couverture complémentaire d’entreprise ont été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 40 de la Constitution.
M. Philippe Dallier. Eh oui ! Il y a une Constitution, elle s’applique !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela nous a surpris car, dans la mesure où ces contrats sont financés en partie par les employeurs et en partie par leurs bénéficiaires, nous pensions que la recevabilité financière d’une telle disposition ne soulèverait pas de difficulté. Puis, nous avons compris que l’application de l’article 40 portait non pas sur l’extension de la mesure elle-même, mais sur son corollaire, à savoir les exonérations de cotisations sociales consenties aux employeurs.
En effet, chaque fois qu’un employeur propose à ses salariés un contrat d’assurance complémentaire qu’il finance partiellement, il bénéficie d’exonérations de cotisations sociales. En somme, comme vient de le souligner mon collègue Dominique Watrin, pour développer la couverture complémentaire censée compléter la couverture obligatoire de base garantie par la sécurité sociale, on opère sur les ressources de cette dernière une ponction non négligeable.
De ce fait, monsieur le ministre, vous engendrez, contre toute attente et à rebours de l’objectif de réduction du déficit public que vous ne cessez de rappeler, un déficit social encore plus important, d’autant que vous ne prévoyez pas, pour compenser cet accroissement du déficit de notre régime de protection sociale, d’augmentation des cotisations sociales patronales.
C’est ainsi que, demain, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2014, vous pourrez constater le déficit du régime obligatoire de base, résultant notamment de cette mesure, et proposer d’accroître les prélèvements sociaux sur les ménages. Cet alourdissement pourra prendre la forme d’une augmentation de la CSG ou de la CRDS, principalement supportées par les ménages, voire, comme l’a annoncé le Président de la République, celle d’une hausse de la TVA. Ce surcroît de TVA viendrait se substituer à une partie des cotisations, afin de compenser le nouveau cadeau offert aux patrons.
Ce transfert de financement des entreprises vers les ménages par l’augmentation de la TVA ressemble à s’y méprendre à la TVA antisociale dont l’instauration était souhaitée par Nicolas Sarkozy et que nous avions pourtant combattue ensemble.
On voit donc bien que le dispositif de l’article 1er ne constitue pas un nouveau droit pour les salariés. Au contraire, il prépare un affaiblissement supplémentaire de la sécurité sociale, qui s’éloignera encore davantage de l’objectif fixé initialement par le Conseil national de la Résistance : la prise en charge intégrale des dépenses de santé. C’est un pas de plus vers la renonciation à l’universalité de l’assurance maladie !
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, sur l'article.
M. Jean-Noël Cardoux. Je dois avouer que, hier soir, après avoir entendu la réponse de M. le ministre aux orateurs de la discussion générale, j’étais plein d’espoir.
En effet, monsieur le ministre, vous avez affirmé que, contrairement à ce que nous soutenions, vous aviez rigoureusement retranscrit l’ANI dans l’article 1er du projet de loi. Relisant le texte de cet accord avant de m’endormir (Sourires.), j’ai retrouvé la phrase que vous aviez citée : « Toutefois, ils pourront, s’ils le souhaitent, recommander aux entreprises de s’adresser à un ou plusieurs organismes. » Le verbe « désigner » n’apparaissait nulle part. J’ai pensé que nous avions été écoutés et que nous allions parvenir à trouver un accord.
Mais, ce matin, le réveil a été douloureux. En effet, en écoutant les propos du rapporteur et les vôtres, monsieur le ministre, je me suis rendu compte que l’on maintenait l’intégration, d’une manière un peu détournée, de la clause de désignation à travers l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale.
Monsieur le ministre, vous avez fait valoir que l’Autorité de la concurrence n’a pas déclaré illégales de telles clauses de désignation. Cela est vrai, mais, quand on analyse de manière approfondie la position prise par l’Autorité de la concurrence, on constate que celle-ci a posé de nombreuses restrictions. En particulier, elle estime que la désignation « constitue la modalité la moins favorable au dynamisme de la concurrence », et parle même d’« opacité ».
De surcroît, l’Autorité de la concurrence préconise que la clause de désignation porte sur plusieurs organismes, sans quoi il y aurait un transfert massif de la couverture des mutuelles et des compagnies d’assurance vers des institutions de prévoyance. Quand on sait que, en 2012, 90 % des clauses de désignation visaient ces dernières, on est fondé à nourrir des craintes au sujet de la généralisation de ces clauses. Les mutuelles ont annoncé que cette généralisation risque de détruire 30 000 emplois en leur sein. Dans le contexte économique actuel, ce n’est pas la moindre des choses !
Enfin, les clauses de désignation risquent de soulever un problème de fond dans les relations entre les organisations syndicales de branche et les institutions de prévoyance : il y aura malheureusement des conflits d’intérêts, puisque l’acheteur et le vendeur de la prestation ne feront qu’un. Du reste, ce phénomène existe déjà actuellement et a donné naissance à un certain contentieux.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je conçois que la clause de désignation ne soit pas illégale. Permettez-moi néanmoins de rappeler les chiffres que j’ai indiqués hier lors de la discussion générale : l’enjeu n’est pas marginal, puisqu’il s’agit de l’ouverture d’un nouveau marché de prestations sociales représentant 35 milliards d’euros à l’échelle nationale, qui entraînera une perte de recettes fiscales de 20 milliards d’euros. Au total, ce sont donc 55 milliards d’euros qui sont en jeu !
S’agissant de montants aussi importants, que l’on puisse mettre en place un tel mécanisme sans assurer une transparence totale en ouvrant une concurrence globale nous laisse dubitatifs, d’autant que l’argument avancé par M. le ministre, selon lequel la clause de désignation aboutira à une meilleure mutualisation, n’est pas totalement pertinent à nos yeux. En effet, afin de récupérer les sommes en jeu, l’ensemble des acteurs de la prévoyance feront des efforts considérables pour offrir des produits compétitifs, de sorte que la mutualisation s’opérera d’elle-même en amont.
Monsieur le ministre, si vous tenez à la clause de désignation, maintenons-là ; mais suivez au moins l’une des recommandations de l’Autorité de la concurrence, consistant à prévoir que les branches désignent plusieurs organismes. À cet égard, nous avons déposé un amendement prévoyant que les branches devront désigner au moins trois organismes, ce qui permettrait de donner le choix entre une institution de prévoyance, un organisme d’assurance et une mutuelle.
Avec ce système, je pense que, malgré la clause de désignation, nous ouvririons encore plus la concurrence ; une telle démarche serait plus saine ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.