compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. François Fortassin.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jacques Mézard un rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée le 3 octobre 2012, sur l’initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en application de l’article 6 bis du règlement.
Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et Décrets », d’aujourd’hui jeudi 4 avril 2013. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera publié sous le n° 480, le 10 avril 2013, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.
3
Fiscalité numérique neutre et équitable
Suite de la discussion et renvoi à la commission d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la suite de la discussion de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par M. Philippe Marini (proposition n° 682 rectifié [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 288, rapport n° 287, avis nos 291, 298 et 299).
Je rappelle que nous avions commencé l’examen de cette proposition de loi le jeudi 31 janvier dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, défendue par M. Marini, soulève des questions majeures, comme nous l’avons tous souligné. Cette discussion ne relève pas du débat technique entre spécialistes, car elle s’inscrit au cœur des problématiques de régulation en temps de crise, à l’heure ou les avancées technologiques modifient non seulement les modèles économiques et industriels, mais aussi les habitudes de consommation culturelle.
L’économie numérique est partout, elle capte au quotidien des milliards d’individus connectés et irrigue l’ensemble des secteurs économiques. Dans le monde, Google a dépassé les 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2012 et son bénéfice net a augmenté de 10 %. En France, Google, Amazon, Facebook et Apple, à eux seuls, dégagent de 2,5 milliards d’euros à 3 milliards d’euros de revenus.
Les entreprises que je viens de citer sont emblématiques de l’industrie numérique, qui reste fondamentalement une industrie de contenus. Dès lors, vous pouvez imaginer que l’instauration d’une fiscalité neutre et équitable s’avère cruciale pour la culture et pour la presse, notamment avec la question des droits d’auteurs et de la rémunération des contenus par les moteurs de recherche. L’accord récent entre Google et l’Association de la presse d’information politique et générale, qui n’a pas de lien avec les réflexions en cours sur l’intervention de l’État en faveur de la presse, constitue une avancée qu’il faut saluer. Par ailleurs, l’État a pu aider à la mise en place d’un fonds dédié, d’un montant de 60 millions d’euros, qui facilitera la transition de la presse vers le monde numérique : ce n’est qu’un début, car cette mesure ne représente pas la solution définitive. Tous ces éléments montrent qu’il est légitime de se pencher sur l’argent qui irrigue le numérique, et Google l’a bien compris !
Il s’agit en l’espèce de redistribuer de la richesse, de favoriser l’innovation et la création culturelle. Les acteurs de la culture sont concernés au premier chef, parce que leurs ressources sont tirées de taxes affectées. Or le secteur de l’économie numérique échappe à l’impôt depuis trop longtemps, et nous ne pouvons plus regarder ailleurs. Prolonger notre temps de réaction ne fera que rendre la situation plus difficile. Les marchés classiques du livre et de la musique, pour ne parler que de supports physiques, sont en difficulté et voient leur assiette de taxation se réduire. Dans le même temps, l’édition et la distribution d’œuvres, surtout audiovisuelles, ont des besoins de financement importants, et le contexte budgétaire est contraint.
S’il faut être connecté pour réaliser des transactions dématérialisées, l’impôt sur les sociétés et la TVA, eux, sont déconnectés du pays de consommation. Prenons l’exemple des médias : certains groupes de presse se sont alliés, compte tenu de la crise qu’ils traversent, pour demander la création d’une taxe sur ceux qui captent leurs productions. On a invoqué les compétences de l’Union européenne, avant que les Allemands n’adoptent une telle taxe. On a alors organisé des réunions intergouvernementales, notamment avec les Portugais. Depuis, Google s’inquiète de l’adoption éventuelle d’une législation et en tient compte. Il est donc nécessaire à la fois de sortir du cadre restreint du commerce en ligne et de dépasser le cadre national. Pour défendre la culture et la communication, il faudra agir au niveau global.
Malheureusement, cette proposition de loi ne voit pas assez loin et son champ n’est pas assez large. Son auteur envisage la création de taxes sectorielles sur la publicité en ligne et le commerce électronique sur le territoire national. Or, en réalité, nous avons besoin de mesures fiscales adaptées à chaque domaine. Il faut cibler pour être efficace : c’est la seule solution pour avancer dans ce dossier complexe. Tous les secteurs de la culture sont physiquement touchés : les archives, les bibliothèques, le cinéma. Avec cette proposition de loi, nous abordons le problème sous un angle trop général, mélangeant les aspects technique, économique, de compatibilité européenne, de sorte que nous n’y voyons plus clair. Nous gagnerions à adopter une stratégie de taxation ciblée sur chacun des champs de notre compétence.
À ce titre, le rapport de MM. Collin et Colin, remis le 18 janvier 2013, trace des perspectives très intéressantes, en dehors des sentiers battus, qu’il s’agisse du recensement des données des utilisateurs ou du financement par le marché de ce secteur. Il est donc trop tôt, à mon avis, pour se doter d’un arsenal législatif qui fermerait des portes au lieu d’en ouvrir. En outre, dans l’état actuel des choses, ce dernier serait difficile à rendre opérationnel non seulement du point de vue fiscal, mais aussi au regard du droit européen – vous le savez d’ailleurs bien, monsieur Marini.
M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. Cela se discute !
M. David Assouline. Il nous revient de réfléchir à un meilleur fléchage des rentrées fiscales – et cette question m’intéresse en tant que membre de la commission de la culture –, qui, si l’on suit les préconisations de l’auteur de la proposition de loi, tomberaient simplement dans le « pot commun » du budget général de l’État ou reviendraient aux collectivités territoriales, sans que de nouvelles ressources soient affectées aux industries culturelles.
Avec l’enjeu que représente aujourd’hui la négociation commerciale internationale, où l’exception culturelle française est nettement menacée, en particulier pour l’audiovisuel, il me semble que cette voie ne doit pas être suivie. Au contraire, comme l’ont fait jusqu’à présent tous les gouvernements, de droite comme de gauche, il faut continuer à mener la bataille de la France pour l’exception culturelle.
On le voit, la problématique du financement de la culture est centrale, compte tenu de l’importance de l’échange des supports culturels dans les communications dématérialisées. Il y a là une manne financière qui pourrait soutenir l’industrie culturelle. À ce sujet, il serait important d’attendre les conclusions des travaux de la commission présidée par M. Pierre Lescure, qui seront rendues en avril 2013, donc dans quelques jours, pour envisager de nouvelles perspectives.
M. Philippe Marini. Cette commission ne travaille pas sur la fiscalité !
M. David Assouline. J’ignore en quoi elles consisteront exactement, mais nous aurons ici, le moment venu, un vrai débat. Un « acte II » de l’exception culturelle, à préserver et à financer, prenant en compte la révolution numérique, devra voir le jour. Il sera incontournable pour protéger les créateurs contre les grands groupes, ces derniers s’apparentant aujourd’hui à des « monstres » qui captent tout sans rien créer ! Ce n’est rien moins que la survie de la création pluraliste dans le monde qui est en jeu, et nous ne l’oublions pas dans notre volonté de faire participer les grands acteurs du numérique à l’effort fiscal.
Néanmoins, monsieur Marini, votre proposition de loi a eu le mérite de provoquer un débat et de rappeler que le Sénat est attentif à cette question. (MM. Michel Le Scouarnec et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par Philippe Marini, a le mérite de rappeler la nécessité de l’équité fiscale, alors que les grands groupes de l’Internet, tels que Google, Apple, Facebook, Amazon ou eBay, ne paient pas, ou quasiment pas, l’impôt sur les sociétés en France, parce qu’ils ont fait le choix de s’établir en Irlande ou au Luxembourg.
Ces entreprises dissocient presque systématiquement leur lieu d’établissement des lieux de consommation. Comme l’indique le rapport commandé par le Gouvernement à MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, ces entreprises « sont d’emblée organisées en vue de tirer le meilleur parti des différences de systèmes fiscaux ». En conséquence, il est difficile de fiscaliser leurs bénéfices.
Ainsi, le texte de Philippe Marini vise à instaurer une taxe sur la publicité en ligne et une autre taxe sur les services de commerce électronique, dans le cadre d’une obligation de déclaration d’activité pour les acteurs de services en ligne basés à l’étranger.
Ces propositions s’inscrivent dans une logique d’équité fiscale, dans la mesure où les acteurs de l’économie numérique établis en France, et soumis à l’impôt, sont concurrencés par des sites internet basés à l’étranger, qui ne supportent ni les mêmes charges fiscales en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés ni les taxations spécifiques à la France, et destinées à financer les réseaux ou encore l’audiovisuel public.
Assujettir les sites internet basés à l’étranger à la fiscalité présenterait, en outre, le grand intérêt d’augmenter les recettes fiscales, dans une période où les contraintes budgétaires sont très fortes et où l’État doit pourtant faire face à des dépenses d’investissement essentielles. Je pense en particulier à la couverture de l’ensemble du territoire par le très haut débit, action majeure pour laquelle le Gouvernement vient de présenter une feuille de route pour les dix ans à venir. Il y est prévu que l’État apporte trois milliards d’euros, sur l’ensemble de la période, pour aider les collectivités locales à déployer des réseaux de communication électronique dans les secteurs les moins denses démographiquement.
La fiscalisation des recettes de la « bande GAFA » – Google, Amazon, Facebook et Apple – est donc non seulement une question d’équité fiscale, mais aussi une nécessité pour redonner des marges financières à l’action publique.
Tous les avis convergent donc sur la nécessité de mettre en place une fiscalité numérique, neutre et équitable. Cependant, d’autres solutions que celles de Philippe Marini ont été proposées. Ainsi, le rapport d’expertise précité tend à mettre en place une fiscalité incitative en matière de collecte, de gestion et d’exploitation des données personnelles.
Dès lors, la motion de renvoi à la commission, adoptée par la commission des finances du Sénat, paraît parfaitement adaptée. Elle permet de disposer du temps nécessaire pour étudier les diverses solutions envisagées, et ce dans la perspective d’une réforme plus globale.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois utile de prendre la parole à ce stade, avant que Mme la ministre ne réponde aux différents orateurs de cette discussion générale qui se déroule en deux temps, séparés par une interruption de deux mois. En effet, l’examen de ma proposition de loi, lors de l’inscription initiale de cette dernière à l’ordre du jour du Sénat, n’avait pu être mené à bien, faute de temps, et nous devons le terminer ce matin.
Je voudrais simplement vous inviter, mes chers collègues, à réfléchir sur ce qui s’est passé au cours de ces deux mois. Quelles ont été les initiatives du Gouvernement pour faire progresser la recherche concrète d’une solution ? Quelles sont les évolutions du contexte national et international ?
La commission des finances s’est efforcée, pour sa part, de continuer à faire vivre le débat, tout particulièrement grâce à l’audition, le 20 février dernier, de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Il nous a exposé – il a d’ailleurs très largement communiqué sur ce sujet – les conditions dans lesquelles le G20 a donné mandat à l’OCDE pour fournir, d’ici au mois de juin de cette année, un plan d’action définissant la direction dans laquelle de nouveaux instruments seront présentés pour lutter contre l’érosion des bases fiscales.
Les grands groupes de l’économie numérique offrent un exemple – seulement un exemple, mais un bel exemple – des situations décrites par l’OCDE et des difficultés à localiser les bénéfices taxables selon les territoires où exercent les filiales d’une multinationale.
Nous avons donc compris que la négociation d’un modèle de convention fiscale multilatérale qui viendrait remplacer certaines dispositions des conventions bilatérales serait sans doute plus rapide que l’élaboration d’un nouveau modèle de convention bilatérale et la renégociation de l’ensemble des conventions bilatérales existantes.
C’est un processus que la France soutient dans le cadre d’un mouvement qu’elle a lancé de concert avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
J’en viens à un autre aspect des choses : l’argument de l’euro-compatibilité ou incompatibilité de ma proposition de loi m’ayant été opposé lors du débat précédent, notamment par le Gouvernement, je me suis efforcé de fouiller ce point ; j’ai donc interrogé par courrier, le 6 mars dernier, les deux commissaires européens compétents, Michel Barnier, en charge du marché intérieur et des services, et, surtout, Algirdas Šemeta, en charge de la fiscalité, de l’union douanière, de l’audit et de la lutte antifraude, leur posant noir sur blanc deux questions.
Première question, « ne pourrait-on soutenir que le respect des principes de la concurrence sur le marché intérieur, qui constitue l’un des fondements de l’Union, doit être regardé comme un motif d’intérêt général, eu égard au déséquilibre flagrant de la publicité en ligne, justifiant l’application d’un régime dérogatoire prévoyant la désignation d’un représentant fiscal ? » – la désignation de ce représentant fiscal est en effet, vous le savez, l’un des éléments clés de la proposition que j’ai formulée.
Seconde question, « l’extension de la procédure simplifiée de déclaration des services fournis par voie électronique aux fins d’application de taxes nationales spécifiques soulève-t-elle des objections au regard du droit communautaire ? »
MM. les commissaires ont bien voulu me faire parvenir en tout début de semaine une réponse documentée que je tiens à votre disposition, madame la ministre. J’ai noté avec intérêt que le contenu de ce courrier était loin d’être aussi négatif que les arguments que le Gouvernement m’oppose depuis des mois. Certes, il m’a été répondu que seule la Cour de justice de l’Union européenne peut donner une interprétation contraignante sur la compatibilité d’une législation nationale avec le droit européen. Mais cela, tout bon étudiant en droit le sait dès le début de ses études supérieures !
Toutefois, si les commissaires semblent écarter, à ce stade, l’argument tiré du respect des principes de la concurrence pour justifier l’entrave aux libertés que constituerait la désignation obligatoire d’un représentant fiscal, je pense qu’il faut lire leur réponse comme on lirait un arrêt ou un avis du Conseil d’État, c'est-à-dire à la fois « en plein et en creux ». Que nous disent-ils précisément ? « […] la Cour de justice, selon une jurisprudence constante, examine l’existence d’un lien direct entre la restriction apportée par une mesure nationale à l’exercice des libertés garanties par le Traité, d’une part, et le motif d’intérêt général invoqué pour justifier de cette restriction, d’autre part. Ce lien est également nécessaire pour apprécier le respect du principe de proportionnalité, dans l’hypothèse où la condition relative à l’existence d’une raison d’intérêt général est remplie ».
Dès lors, la Commission ne se prononce pas ici sur l’existence de ce lien. Mais elle nous indique a contrario que c’est à nous de démontrer le lien.
Or quel est le lien ? Il s’agit du déséquilibre fondamental de ce marché caractérisé par la position dominante de certaines sociétés au détriment des autres sociétés, déséquilibre qui se manifeste particulièrement en ce qui concerne la publicité.
De quoi s’agit-il ? De créer un système déclaratif et de représentation fiscale pour mieux connaître ledit marché de la publicité en ligne. Il me semble que l’on peut au moins plaider avec une bonne structure d’argumentation et avec conviction – sans être certain, naturellement, comme dans toute plaidoirie, d’aboutir – que le lien direct est établi !
J’en tire pour conséquence, madame la ministre – j’espère que vous ne m’en voudrez pas –, qu’il est de la responsabilité du Gouvernement de demander et de faire constater ce lien de causalité pour rendre possible l’obligation de désignation d’un représentant fiscal.
Par ailleurs, les commissaires soulignent aussi la possibilité de mettre en place des taxes nationales utilisant un autre système déclaratif : « Si la France souhaite mettre en place des taxes nationales non harmonisées, sous réserve de respecter le droit de l’Union, elle peut établir son propre système de déclaration, le cas échéant dématérialisé ». Or c’est bien ce que je demande dans ma proposition de loi. Madame la ministre, je tiens à votre disposition ce courrier pour que vos services puissent l’étudier et agir en conséquence.
J’observe – et là, il s’agit du contexte – que Google fait actuellement l’objet d’une procédure pour abus de position dominante, lancée par le commissaire européen chargé de la concurrence. Ce n’est pas une imagination des sénateurs, c’est bien la réalité : il y a des procédures en cours pour entorse au droit de la concurrence et pour abus de position dominante. Et il appartient aujourd’hui au commissaire Almunia de décider s’il recherche un processus transactionnel ou s’il va au contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre de Google, en particulier.
Sur ce point, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement français. Est-il plutôt favorable à un contentieux qui permettrait de mettre sur la table, en toute transparence, les arguments et les chiffres, un contentieux qui permettrait d’évoluer vers une jurisprudence publique, accessible à tous ? Le Gouvernement est-il plutôt – telle est l’inclination actuelle des services de la Commission, me semble-t-il – en faveur de la recherche d’une sorte de transaction ? Ce serait une façon de demander à Google de se mettre en conformité. Au terme d’un certain délai, il serait procédé à une analyse de la situation pour décider que faire. C’est concevable, car il existe beaucoup de précédents pour une telle voie de conciliation et de corrections de pratiques qui ne seraient pas conformes au droit de la concurrence.
Mais l’inconvénient d’une procédure transactionnelle, c’est qu’elle est forcément moins transparente, moins publique, et qu’elle peut aussi revêtir certains aspects dilatoires au bénéfice du groupe économique susceptible de tirer avantage d’une position dominante sur le marché.
J’espère, madame la ministre, que l’on va avancer. Je n’ai pas eu le sentiment que le Gouvernement avait, de son côté, beaucoup progressé. MM. Collin et Colin nous ont livré une superbe réflexion technologique et presque philosophique…
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Intellectuelle !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … qui est, en effet, d’un niveau intellectuel très élevé.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Absolument !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Malheureusement, la fiscalité est loin de se situer sur ces hauteurs ! Mme la ministre le sait, la fiscalité, ce sont une assiette, un taux, un système de recouvrement et des sanctions. Cela ne nécessite pas de faire appel à de hautes compétences intellectuelles ! C’est une discipline pratique, c’est quelque chose qui doit tourner, qui doit fonctionner !
Peut-être nous direz-vous, madame la ministre, si MM. Collin et Colin ont progressé, si leurs travaux ont été complétés et si l’on peut voir un vrai impôt mis en place sur les données personnelles et leur absorption par des moteurs de recherche.
Ce que je sais, c’est que, dans un domaine très précis, celui de la rémunération des éditeurs de presse, domaine qui ne peut évidemment être que très attentivement suivi par nos excellents collègues de la commission de la culture, l’Allemagne, quant à elle, a continué à avancer. Elle a adopté une loi, votée par le Bundestag le 1er mars, ratifiée par le Bundesrat le 22 mars, établissant des droits voisins du droit d’auteur pour les éditeurs de presse. Certes, le lobby de Google s’est absolument déchaîné en mettant en œuvre des moyens considérables. Quant à la France, elle n’a pas voulu suivre cette voie législative en ce qui concerne les éditeurs de presse, préférant un accord a minima négocié entre les éditeurs et Google, certes signé sous les ors de l’Élysée et en présence de M. le Président de la République lui-même.
Mais, vous le savez, il reste beaucoup de choses à clarifier. Et je ne parle pas seulement de la nomination du président du conseil d’administration du Fonds d’aide à la transition numérique de la presse : si je ne me trompe, il y a polémique sur ce sujet, et on n’a pas vraiment réussi à se mettre d’accord.
Je ne sais pas non plus quel est le statut de ce Fonds. Je ne sais pas s’il fonctionnera avec de l’argent privé ou de l’argent public. Si argent privé il y a, je ne sais pas s’il sera utilisé selon des prescriptions publiques. Je ne sais pas si ces 60 millions d’euros sont un fusil à un coup. À la vérité, je ne sais pas non plus de manière certaine quelle est la provenance de ces crédits.
Je n’irai pas plus loin dans les questions. Peut-être, madame la ministre, nous apporterez-vous des éléments de réponse ? En tout cas, cher président David Assouline, par rapport à une loi votée par une représentation nationale, par deux assemblées, comme l’ont fait nos collègues et partenaires allemands, le dispositif dans lequel nous nous sommes engagés comporte à mon avis des faiblesses. Il est en tout cas beaucoup moins transparent et clair que celui qui a été mis en place outre-Rhin.
Vous allez sans doute évoquer de nouveau, madame la ministre – et je le souhaite vivement –, la feuille de route numérique adoptée par le Gouvernement. Celle-ci comporte un volet que j’applaudis, relatif au « rétablissement de notre souveraineté fiscale ».
Comme chacun le sait, plusieurs étages sont à considérer. Nous sommes bien engagés, avec d’autres, dans le processus mondial lancé par l’OCDE et le G20, dans lequel s’intègre le concept d’établissement stable virtuel.
Par ailleurs, l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises du numérique, à savoir l’opération communautaire ACCIS, suivra le sort de l’ensemble de l’opération ACCIS de modification des règles internationales de l’OCDE et communautaires : il faudra parvenir à un consensus des États membres de l’Union européenne. Or je ne crois pas que vous ayez la capacité divinatoire de nous indiquer quand il sera à notre portée. Cet objectif, qu’il nous faut manifestement chercher à atteindre, paraît encore bien lointain.
En outre, vous avez sollicité l’avis du nouveau Conseil national du numérique, le CNN, ce qui est une excellente chose, mais le précédent s’était livré au même exercice.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les professionnels qui siègent au sein d’un tel conseil sectoriel, et donc quelque peu corporatif, ne sont que rarement enthousiastes à l’idée de concevoir eux-mêmes une taxation s’appliquant à leur propre secteur.
Enfin, en matière de TVA, j’ai lu que la France exigerait de ses partenaires européens le strict respect du calendrier relatif à la mise en place du « mini-guichet » européen de TVA, qui permettra, dès 2015, de taxer la consommation de services en ligne dans l’État du consommateur. C’est une excellente chose. Je pense qu’il faut en effet veiller au strict respect des engagements pris par nos partenaires en ce sens.
Vous me pardonnerez mon insistance et mon impatience, mais il y aura tant de sujets à traiter dans le projet de loi de finances pour 2014 ! Le renvoi à la commission de cette proposition de loi était tout à fait envisageable voilà deux mois, et je l’avais alors approuvé. Depuis lors, le rapport de MM. Colin et Collin a-t-il donné lieu à la définition d’une taxe opérationnelle ? Je ne le crois pas.
Avec cette motion tendant au renvoi à la commission qui, je le répète, pouvait sembler naturelle au départ, n’essaie-t-on pas d’enterrer la démarche dans des méandres procéduraux, afin de ne rien faire ? Vous ne m’en voudrez pas de le suspecter quelque peu.
M. David Assouline. Vous n’avez rien fait pendant dix ans !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cher président Assouline, la situation du numérique était assez différente il y a dix ans ! Vous-même auriez été bien en peine, en dépit de votre capacité d’anticipation, de nous expliquer comment allait évoluer ce marché.