M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. L’ordonnance du 28 juin 2012, qu’il s’agit ici de ratifier, a procédé à la transposition en droit interne de ces différentes dispositions. Elle modifie essentiellement le code de l’environnement.
Premièrement, la directive prévoit que doit entrer dans le champ de la directive toute installation de combustion, quelle que soit sa nature. Les installations nucléaires de base seront donc ainsi intégrées au dispositif.
Deuxièmement, l’article 27 de la directive prévoit que les États peuvent exclure du système de quotas un certain nombre d’installations de petite dimension ainsi que les hôpitaux. Dans la transposition proposée, cette exclusion est prévue pour les seuls hôpitaux, lesquels se voient, en contrepartie, assignés des objectifs de réduction de leurs émissions.
Troisièmement, l’article L. 229-8 du code de l’environnement est réécrit pour prévoir que, désormais, la mise aux enchères des quotas est le mode d’allocation de principe. Le taux de quotas gratuits pour les secteurs non exposés aux risques de délocalisations doit diminuer progressivement chaque année pour s’établir à 30 % en 2020. En revanche, les installations des secteurs considérés comme exposés aux fuites de carbone bénéficieront d’un taux de quotas gratuits de 100 %.
Quatrièmement, le code de l’environnement est adapté pour définir une durée des phases du système d’échange de huit ans au lieu de cinq ans et prévoir un registre des émissions à l’échelon européen et non plus national.
La commission du développement durable a constaté que l’ordonnance de 2012 opérait une transposition rigoureuse de la directive de 2009. Il lui a toutefois semblé nécessaire d’adopter un amendement afin de compléter le quatrième article de l’ordonnance. Celui-ci prévoit, conformément à la directive, que l’allocation de quotas gratuits doit diminuer chaque année pour s’établir à 30 % en 2020. Cependant, et contrairement à ce qui est prévu dans la directive, l’ordonnance ne précise pas l’échéance suivante, à savoir la suppression totale des quotas gratuits en 2027. Le nouvel article 2 vise donc à réparer cet oubli. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’à terme les quotas dans leur ensemble doivent être alloués par enchères.
Aujourd’hui, cependant, l’enjeu n’est plus seulement la transposition correcte des textes européens. Le marché carbone fait face à de nombreuses difficultés structurelles et le débat sur ce texte doit être l’occasion d’attirer votre attention, madame la ministre – mais vous avez déjà ouvert ce débat –, et celle du Gouvernement tout entier sur un certain nombre de points.
Le système d’échange de quotas a été marqué par des scandales récents, qui soulèvent la question cruciale de la régulation de ce marché.
En 2009-2010, une fraude à la TVA de type « carrousel » a touché le marché carbone. Cette fraude s’est appuyée sur le régime fiscal applicable aux transactions transfrontalières entre deux États membres de l’Union européenne. Certains opérateurs achetaient des quotas dans un pays où les ventes étaient réalisées hors taxe. Ces quotas étaient ensuite revendus dans des pays où les transactions incluaient la TVA dans le prix. Au lieu de la reverser à l’État concerné, ils conservaient cette TVA comme un bénéfice. Cette fraude a concerné d’importants volumes, très difficiles à chiffrer avec précision : Europol a évoqué le chiffre de 5 milliards d’euros. Le scandale a conduit plusieurs États, dont la France, à mettre fin en urgence à la TVA sur les échanges de quotas d’émissions.
En filigrane se dessine donc la question de la régulation du marché carbone. La commission des finances du Sénat s’est penchée à de nombreuses reprises sur cette question.
M. François Marc. Oui !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. Il est important de souligner qu’en l’état actuel de la réglementation, avec la directive de 2009, la question n’est pas tranchée. Le texte ne prévoit qu’un contrôle ex post du marché par la Commission européenne. Aujourd’hui, il n’existe toujours pas de « gendarme » du marché européen du carbone.
Autre illustration des difficultés de ce marché, l’intégration des compagnies aériennes dans le dispositif est en recul. Selon le calendrier initial, les compagnies aériennes opérant dans le ciel de l’Union européenne devaient, au mois d’avril 2013, compenser 15 % de leurs émissions de gaz à effet de serre de l’année 2012 en achetant des crédits carbone sur le marché, les 85 % restants leur étant alloués sous forme de quotas gratuits. Sous la pression internationale, la mise en œuvre de cette obligation a été gelée jusqu’à l’automne 2013 pour les vols intercontinentaux. La taxe sur les émissions polluantes des avions s’applique, toutefois, pour les vols intérieurs dans le ciel européen.
En outre, ces dernières années, le marché a dû faire face à l’effondrement des cours du carbone. Du fait de la crise et, surtout, d’une allocation initiale beaucoup trop généreuse de quotas, le cours a considérablement diminué, pour s’établir aujourd’hui aux alentours de 5 euros la tonne. Or on estime qu’il devrait atteindre entre 25 euros à 30 euros pour que le système soit vraiment incitatif d’un point de vue environnemental.
C’est tout l’enjeu des négociations en cours à l’échelon européen. La Commission européenne a proposé de procéder à un gel, ou back loading, des enchères à venir, vous l’avez évoqué, madame la ministre. Ainsi, 900 millions de quotas, qui devaient être mis aux enchères dans les trois prochaines années, ne le seraient qu’en 2019. Ce gel permettrait de faire remonter le cours du carbone et d’absorber une partie des excédents actuellement sur le marché, que les spécialistes estiment à 1,4 milliard de tonnes.
Cette proposition doit toutefois être adoptée par le Parlement européen, puis par les États. La commission de l’industrie du Parlement européen s’est prononcée contre le dispositif au mois de janvier dernier, tandis que, la semaine dernière, la commission de l’environnement a voté en faveur de ce gel, à condition que des circonstances exceptionnelles le justifient et que la Commission européenne ne procède qu’une seule fois à cette adaptation. Un vote en séance plénière devrait intervenir au mois de mars ou d’avril prochain. Les États devront ensuite approuver cette proposition, ce qui s’annonce difficile. Si la France a rappelé son soutien à la proposition de la Commission européenne, ce que vous nous confirmerez, madame la ministre, plusieurs États, avec à leur tête la Pologne, ont d’ores et déjà annoncé leur opposition à ce gel des quotas.
En tout état de cause, il s’agit là d’une mesure cosmétique, d’un remède temporaire, qui illustre une fois encore la nécessité de remettre à plat le système. Lors de la conférence environnementale, le Président de la République a indiqué son souhait que soient fixés des objectifs plus ambitieux pour la réduction des gaz à effet de serre, notamment une baisse des émissions de 40 % en 2030 et de 60 % en 2040. L’enjeu est fondamental pour la lutte contre le changement climatique. Le système d’échange des quotas de carbone n’est plus aujourd’hui un outil incitatif pour la transition vers une économie plus sobre en carbone.
À partir de ce diagnostic certes un peu sévère, plusieurs choix sont possibles. Dans une déclaration intitulée « Il est temps de mettre fin au marché du carbone européen », plus de 120 organisations européennes exigent la fin du système des quotas.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. J’ai pu entendre en audition des représentants de ce collectif d’ONG qui appelle à l’abandon du marché et à son remplacement par une politique de lutte contre le réchauffement plus ambitieuse.
Si la suppression du marché n’est pas la seule solution en Europe, ni même la plus facile et la plus consensuelle, il faut néanmoins se demander dans quelle mesure le marché peut être réformé. Quelle régulation peut être mise en place ? Comment retrouver un prix du quota incitatif ? Cela passe-t-il par un prix plancher et un prix plafond ?
M. Roland Courteau. Bonnes questions !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. Quels sont les rapports de force dans les négociations sur la politique climatique européenne ? Quelle peut être la marge de manœuvre en cette période de crise ? Autant de questions auxquelles il faudra apporter rapidement des réponses. Les échéances sont proches, avec la perspective de la conférence sur le climat à Paris en 2015 et la négociation qui débute en Europe autour du paquet énergie-climat à l’horizon 2030.
La France, qui porte sur son propre territoire une politique ambitieuse en matière de transition énergétique, est attendue pour faire de même à l’échelon européen en adaptant les objectifs de réduction des émissions de CO2 aux nouvelles donnes climatiques que vous avez évoquées, madame la ministre, soit une hausse de quatre degrés de la température du globe à l’horizon 2060.
Madame la ministre, vos propos en ont témoigné : ni les turpitudes ni l’échec du marché européen du carbone ne vous ont échappé. Vous avez ouvert des pistes et donné à notre assemblée les signes que nous attendions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’assurer, par voie d’ordonnance, la transposition de la directive 2009/29/CE et, ainsi, de permettre la mise en œuvre de la troisième phase, de 2013 à 2020, du système de quotas d’émission de gaz à effet de serre engagé par l’Union européenne parallèlement au protocole de Kyoto.
Je me félicite de cette démarche de transposition à un double titre.
D’une part, sur la forme, cette ordonnance se conforme à l’article 2 de la loi du 5 janvier 2011 dont j’étais à l’origine avec mes collègues Emorine et Longuet. Il nous avait semblé indispensable à l’époque que le Parlement soit à l’initiative d’un texte qui permettait de rattraper notre retard en matière de transposition et ainsi d’éviter à la France de s’exposer à des condamnations pécuniaires majeures. Nous avions considéré, à ce titre, qu’il était nécessaire de balayer un large domaine d’intervention et de permettre ainsi de transposer plusieurs directives par un seul texte législatif, ce qui constituait d’ailleurs une véritable innovation pour une proposition de loi.
D’autre part, sur le fond, cette ordonnance nous permet de nous mettre en conformité avec la législation européenne. Elle réalise une transposition précise des textes européens en vigueur. De ce point de vue, cela n’appelle pas de commentaires particuliers de ma part.
Ma préoccupation porte plus sur l’efficience et la portée de la législation communautaire en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vigueur depuis 2005. On constate, après plusieurs années, que le bilan est assez mitigé, ce qui met bien en lumière la difficulté de l’exercice.
En effet, si le principe même d’une législation à l’échelle de l’Union européenne permettant de compléter les engagements du protocole de Kyoto est particulièrement louable, ce dont nous sommes convaincus, la situation actuelle du marché européen du carbone pointe les limites du dispositif. Une allocation de quotas trop généreuse au démarrage, complétée par un ralentissement de l’activité en raison de la crise économique, entraîne une baisse importante du prix de la tonne de CO2. Nous savons que le prix minimum, pour que le dispositif soit incitatif et pousse les industriels à accomplir des efforts, se situe en réalité entre 20 euros et 30 euros. Or, depuis le début de l’année, nous sommes sous le seuil de 5 euros.
Pour tenter de rééquilibrer le marché, la commissaire en charge du climat, Connie Hedegaard, a formulé des propositions sur lesquelles les avis de la commission de l’industrie et de celle de l’environnement du Parlement européen divergent. Bien évidemment, on comprend les approches et les priorités différentes défendues par ces deux commissions, ce qui illustre clairement l’ambiguïté du dispositif. Comment être vertueux en matière d’environnement sans amputer la compétitivité de nos entreprises ? Comment être innovants en matière d’environnement lorsque certains de nos partenaires internationaux ne se fixent pas les mêmes objectifs ?
Preuve en est l’impérieuse nécessité pour la Commission européenne de prévoir un mécanisme dérogatoire d’attribution de quotas gratuits pour les secteurs exposés aux risques de fuite de carbone. C’est bien là le tendon d’Achille du système de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Nous ne pouvons évidemment pas fragiliser nos entreprises et risquer des pertes d’emplois par de possibles délocalisations dans des pays où la législation environnementale est beaucoup moins contraignante.
Nous devons demeurer excessivement vigilants à ce propos et bien mesurer les effets indirects sur notre économie. Certains secteurs sont par principe exclus de ce dispositif ; c’est notamment le cas de l’agriculture. Toutefois, la directive 2009/29/CE prend en compte de nouveaux gaz, tel le protoxyde d’azote. Les fabricants d’engrais sont donc concernés et cela a des conséquences sur l’agriculture ; nous avons eu des débats en commission sur ce sujet. Il est essentiel de considérer une filière au sens large afin de bien mesurer toutes les interactions.
Je me félicite que l’activité de fabrication de produits azotés et d’engrais ait été jugée par Bruxelles comme étant justement exposée au risque de fuite de carbone et qu’elle bénéficie désormais, à ce titre, de quotas gratuits. Il aurait été en effet fort néfaste de pénaliser encore un peu plus notre agriculture par un surenchérissement du coût des intrants, alors que nos éleveurs sont déjà confrontés à la hausse du coût des matières premières pour nourrir leurs animaux.
Je me permets également de rappeler le rôle des prairies comme puits de carbone – on l’oublie trop souvent ! – et de souligner qu’il n’y a point de prairies sans animaux. Ce ne sont pas des surfaces en jachères qui permettraient de remplir ce rôle. Au-delà, c’est tout l’entretien des zones rurales qui serait remis en question. À cet égard, chacun doit y regarder à deux fois.
Permettez-moi à ce propos une digression concernant la situation de l’élevage à la lumière de la récente fraude liée à la nature de la viande utilisée dans la préparation de plats cuisinés. Au-delà du caractère particulier de cette affaire, on se doit de mettre en perspective l’importation de viande de cheval avec les difficultés de la filière bovine française, qui connaît un déficit de production se traduisant non seulement par une augmentation du prix payé par le consommateur, mais aussi par une baisse de la rentabilité pour les éleveurs, compte tenu de la hausse des coûts de production. Je vous indique ce chiffre qui m’a été récemment communiqué : notre déficit de production est de 50 millions à 60 millions de tonnes. Ce n’est pas Marcel Deneux, fin connaisseur de ce sujet, qui me démentira. À l’évidence, nous ne devons pas fragiliser davantage la filière bovine.
Aussi, prenons bien garde à ne pas mettre en péril antage une des composantes de notre secteur agroalimentaire qui contribue pour 11,5 milliards d’euros à l’excédent de notre balance commerciale. En ces temps de crise économique et de difficultés budgétaires, cela est essentiel.
C’est bien là le cœur du problème : comment concilier protection de l’environnement et compétitivité économique ? Je le dis à mes collègues écologistes : nous devons avoir le sens de la mesure et cesser de toujours vouloir en faire plus que les autres. Je suis bien entendu favorable à la préservation de l’environnement, notamment pour les générations futures. Toutefois, soyons pragmatiques et sachons voter des dispositifs qui permettent de maintenir les conditions d’une activité économique dynamique. Soyons précurseurs à l’égard de nos partenaires internationaux, mais ne soyons pas naïfs dans les négociations commerciales internationales et ne pénalisons pas unilatéralement nos entreprises et nos forces vives. Sur ce sujet, les débats ont bien avancé et le principe de réciprocité est désormais pratiquement admis par tous.
Oui à l’écologie innovante et prospective, non à l’écologie punitive !
Je voterai, ainsi que la grande majorité de mon groupe, ce projet de loi visant à transposer une directive européenne, et ce sans excès. Nous attendons avec impatience le lancement d’un plan de rénovation thermique, précisément dans nos zones rurales, puisque telle doit être la finalité du produit de ces échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui le projet de loi ratifiant l’ordonnance transposant la directive de 2009 qui permet un élargissement du marché carbone, ainsi qu’une évolution de son fonctionnement, autorisée par la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance.
Vous le savez, mes chers collègues, les parlementaires du groupe CRC ont toujours été extrêmement dubitatifs face à l’instauration d’un marché carbone, pour ne pas dire opposés à un tel principe.
En effet, ce marché est fondé sur des systèmes de quotas et d’échange qui permettent aux participants d’acheter et de vendre des permis d’émissions. L’objectif est de rendre économiquement rentables des comportements écologiquement vertueux, le marché n’étant guidé, chacun le sait, que par la perspective du profit économique au plus court terme. Disons-le tout net, cela ne marche pas...
Pourtant, l’Union européenne continue de faire de cet outil, mis en œuvre dès 2005, le principal instrument de sa politique climatique et environnementale pour atteindre les objectifs du plan énergie-climat, adopté en 2008, permettant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % à l’horizon 2020 par rapport à son niveau de 1990.
L’expérience dont nous disposons aujourd’hui a conduit 110 organisations de la société civile – 120, selon ma collègue – à demander son abandon pur et simple, comme en témoigne l’appel rendu public dernièrement. Bien entendu, cela ne fait que conforter notre analyse.
Il faut dire que l’instauration d’un marché carbone n’a pas répondu aux objectifs qui lui étaient assignés. Bien pis, il a fonctionné comme un marché hautement spéculatif, sujet à de fortes variations. Il est d’ailleurs regrettable que n’importe quelle personne puisse aujourd’hui acheter ou vendre des quotas carbone et que ce marché ne soit pas exclusivement réservé aux industriels, ce qui ouvre la voie à la spéculation et à la financiarisation.
Les principaux bénéficiaires du marché carbone ont ainsi été les plus gros pollueurs eux-mêmes, ce qui, vous l’avouerez, est pour le moins contradictoire. Je prendrai pour simple exemple une entreprise emblématique qui s’illustre régulièrement dans l’actualité nationale : Mittal. Jusqu’à présent, elle recevait chaque année, pour le seul site de Florange, 4 millions de tonnes de CO2 gratuites.
Il faut savoir que, lorsqu’une usine est à l’arrêt, une entreprise bénéficie encore de ses quotas carbone. Selon le journal Le Monde, Mittal a ainsi accumulé, sur ses sites européens, à coups d’arrêts partiels, un bonus de 156 millions de quotas de carbone, soit l’équivalent de plus de 1 milliard d’euros ! Ce marché n’a donc pas encouragé cette société à investir dans des modes de production écologiquement responsables. Au contraire, il lui a fourni de nouveaux instruments pour gagner encore plus, alors même qu’elle cassait l’outil de travail pour lequel elle avait obtenu ces quotas.
Puisqu’il s’agit d’un marché, il n’est pas étonnant que celui-ci se soit également caractérisé par une forte volatilité. Après une envolée, ses prix se sont écroulés depuis 2008, en deçà même de 5 euros, ce qui n’a guère incité les entreprises à investir dans des technologies plus performantes.
Le marché a donc échoué. Il s’est par ailleurs révélé inefficace, puisque la diminution des émissions de gaz à effet de serre constatée est directement due à la crise et à la baisse de l’activité.
À ce titre, il est bon de savoir que les émissions des secteurs économiques relevant du marché carbone diminuent moins vite que celles des secteurs qui n’en relèvent pas : leurs taux sont respectivement de 1,8 % et de 3 % ! De tels chiffres devraient nous interpeller.
Il s’agit enfin d’un marché largement soumis à la fraude : en 2010, une malversation extrêmement importante a coûté plus de 5 milliards d’euros de pertes de recettes de TVA ; Europol a ainsi pu affirmer que, « dans certains pays, jusqu’à 90 % du marché carbone était le fait d’activités frauduleuses ». Cet outil n’a donc pas encore fait la preuve de sa pertinence dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de corriger les défaillances de ce marché.
Nous admettons que ce texte permet de réaliser un progrès sensible en prévoyant la fin du principe des allocations gratuites. En effet, les deux premières phases accordant des permis gratuits ont coûté quelque 14 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne et constitué de belles opportunités pour les plus gros pollueurs.
Si le principe posé aujourd’hui est celui de la mise aux enchères, il n’en reste pas moins que 75 % de l’industrie manufacturière européenne continuera à disposer de quotas gratuits pour une valeur d’environ 7 milliards d’euros. Seul le secteur de l’énergie devra acheter ses crédits aux enchères. Cependant, même dans ce dernier cas, des exceptions ont été prévues, notamment pour l’Europe de l’Est qui dépend fortement du charbon.
De plus, une dérogation a été mise en place pour les producteurs de produits dits « sujets à fuite de carbone », c’est-à-dire à délocalisation : les installations concernées ne verront pas leur allocation gratuite diminuer sur l’ensemble de la phase 3. Or une grande majorité des installations non-électriques en bénéficiera, ce qui portera un sérieux coup d’arrêt au caractère décroissant de l’allocation gratuite sur la période 2013-2027.
Par ailleurs, au regard de la proposition de résolution adoptée ici même en 2009, l’instauration d’un marché nécessite un encadrement bien plus fort que celui qui est actuellement proposé.
Lors d’une audition au Sénat, le président du comité pour la fiscalité écologique, Christian de Perthuis, a ainsi estimé que la situation du marché européen du carbone était extrêmement grave et que les mesures préconisées par la Commission européenne – le gel de 900 millions de quotas – relevaient du « bricolage ». Selon lui, la crise du marché du carbone est plutôt due à un problème de « gouvernance » : « Aujourd’hui, il n’y a pas une autorité publique capable de gérer correctement la mise aux enchères des quotas. Comment voulez-vous qu’un instrument de politique publique fonctionne s’il n’y a pas derrière un portage politique fort ? »
Nous partageons ces propos et déplorons que les mécanismes d’inclusion aux frontières n’aient pas été davantage étudiés, alors même qu’ils présentent un intérêt certain. Sans cette inclusion, le marché carbone ne peut qu’encourager la délocalisation des activités polluantes, ce qui ne fera qu’aggraver la situation des pays pauvres, premières victimes des dérèglements climatiques.
Vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe CRC estiment sur le fond que la transition écologique et la réduction de l’empreinte carbone de nos sociétés ne peuvent reposer sur l’instauration d’un marché ni sur les instruments financiers qui l’accompagnent, quand bien même ceux-ci présenteraient un affichage vertueux. La marchandisation ne constitue en aucun cas la solution aux problèmes posés à l’avenir de notre planète.
Nous devons aujourd’hui encourager la recherche d’autres réponses. L’avenir de la transition énergétique et écologique passe d’abord, à l’échelle de l’Union européenne, par un renforcement des obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 40 % en 2030 et de 60 % en 2040, comme s’y est engagé le Président de la République lors de la conférence environnementale.
Par ailleurs, la transition écologique appelle d’urgence d’autres mesures : interventions plus directes de l’Union européenne mais également des États en faveur du financement de la recherche, du développement des énergies propres, de la rénovation du bâti, afin de permettre la construction d’un réseau de transports efficace s’appuyant, bien entendu, sur le report modal.
La transition énergétique ne saurait s’opérer dans le cadre d’une libéralisation toujours plus poussée ; elle passe, bien au contraire, par l’affirmation du rôle premier des États, des services publics des transports, de l’énergie et de l’eau, services publics dont la finalité est d’assurer l’intérêt général.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe CRC s’abstiendront sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, madame la ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi, comme l’ont déjà rappelé les différents orateurs qui m’ont précédé, a pour objet la ratification de l’ordonnance du 28 juin 2012 relative au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
Avant d’aborder le fond du texte, madame la ministre, je souhaite rappeler la position constante et unanime du groupe centriste en matière de recours aux ordonnances.
Cette procédure dessaisit le législateur de son rôle et minimise son pouvoir, tant au moment de l’habilitation législative qu’à celui de la ratification de l’ordonnance. Nous ne pourrons jamais nous en satisfaire.
C’est pourquoi, aujourd’hui comme hier, nous nous opposons à chaque demande d’habilitation législative, quelle que soit la couleur politique du gouvernement demandant à utiliser les dispositions de l’article 38 de la Constitution.
En l’espèce, cette ordonnance transpose une directive européenne de 2009. C’est dire si les législateurs que nous sommes disposent de marges de manœuvre réduites, comme l’a d’ailleurs souligné le rapporteur lors de l’examen du texte en commission.
J’en viens maintenant au fond du projet de loi qui nous est soumis, c'est-à-dire au contenu de la directive du 23 avril 2009.
En 2005, l’Union européenne s’est fixé de nouveaux objectifs environnementaux, parmi lesquels figure la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020 par rapport au niveau de 1990.
Je partage totalement les objectifs ambitieux du paquet énergie-climat, également appelés objectifs des « trois fois vingt » ; je fus d’ailleurs le rapporteur de la proposition de résolution européenne portant sur ces dispositions. Je me permets aussi de saluer l’action de notre collègue Chantal Jouanno qui a œuvré, dans le cadre de toutes ses fonctions antérieures, au respect de ces objectifs.
La directive de 2009 propose donc d’aller encore plus loin et d’atteindre un taux de réduction de 21 % en 2020. Pourquoi pas ? Soyons cependant conscients que les moyens que nous nous donnons pour parvenir à diminuer nos émissions de dioxyde de carbone comptent plus que les objectifs que nous nous fixons.
Les mécanismes mis en œuvre sont d’autant plus primordiaux que le système communautaire d’échange de quotas d’émission de CO2 est actuellement à une période charnière et qu’il présente quelques défauts – qui ont été rappelés ici ou là – pointés par la Commission européenne ; j’y reviendrai.
J’en viens à l’ordonnance qui nous est soumise et à la directive de 2009. Nous soutenons l’harmonisation et la gestion européennes des mécanismes d’échange de quotas, qui permettront de faire disparaître les différences d’allocation entre les pays.
De plus, la directive intègre dans le dispositif de nouveaux secteurs et de nouveaux gaz, tels le protoxyde d’azote ou le perfluorocarbone. L’élargissement du marché d’échange me semble une bonne initiative, car il permettra de diminuer encore nos émissions de gaz à effet de serre.
Néanmoins, comme l’a souligné Jean Bizet, il est nécessaire d’être attentif aux secteurs d’application du dispositif d’échange : celui-ci ne doit pas s’imposer à des secteurs déjà fragiles, comme l’agriculture, ni à des entreprises susceptibles de délocaliser pour pouvoir polluer.
Enfin, la directive met un terme à l’allocation gratuite de quotas, à partir de 2013 pour les entreprises d’électricité et de manière progressive pour celles des autres secteurs. Cela permettra d’accentuer notre chemin de réduction de CO2 vers les 20 % fixés à l’horizon 2020.
Ces différentes évolutions du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre vont dans le bon sens, et ce d’autant plus que le système a pâti d’une double difficulté : d’une part, le marché s’est noyé dans un excédent de 1,4 milliard d’euros de crédits, en raison d’une allocation trop généreuse ; d’autre part, il a souffert d’une baisse de la demande liée au ralentissement de l’activité économique depuis le début de la crise qui touche l’Europe.
Ainsi le prix de la tonne de CO2 oscille-t-il depuis des mois entre 5 euros et 7 euros. Il est même tombé brièvement à 2,81 euros, le 24 janvier dernier, comme vous l’avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre. Or il faudrait qu’il se situe entre 20 euros et 30 euros pour inciter les industriels à développer des technologies propres.
Afin de créer de la rareté et, ainsi, de faire remonter les prix, la Commission européenne a demandé aux États membres de l’Union européenne de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur les 8,5 milliards qui doivent être mis sur le marché pour la période 2013-2015. L’application de ce plan de sauvetage, qui devait être approuvé avant la fin 2012, a pourtant dû être retardée en raison de divisions entre États membres : beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas pénaliser la compétitivité de leur économie en renchérissant le prix du carbone.
Le vote positif de la commission de l’environnement du Parlement européen doit encore être confirmé par les députés en séance plénière, peut-être au mois d’avril prochain. Nous espérons que le principe du gel des quotas sera retenu.
Parmi les autres évolutions possibles du système d’échange de quotas sont déjà évoquées ici ou là l’extension du marché à de nouveaux secteurs de l’économie et la création d’un prix plancher.
Madame la ministre, quel est votre avis sur ces différents sujets ? Disposez-vous, comme vous l’avez laissé entrevoir tout à l'heure, d’autres informations ? C’est avec beaucoup d’intérêt que nous vous entendrons. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)