Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaires :
M. Marc Daunis, Mme Odette Herviaux.
2. Démission et remplacement d'un sénateur
3. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de deux projets de loi
4. Demande d'avis sur un projet de nomination
5. Dépôt de rapports du Gouvernement
6. Candidature à une commission
7. Communication du Conseil constitutionnel
8. Retrait de questions orales
médecine du travail et collectivités territoriales
Question n° 125 de M. Jean-Pierre Chauveau. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jean-Pierre Chauveau.
aménagement du carrefour giratoire des couleurs situé à valence
Question n° 170 de M. Bernard Piras. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Bernard Piras.
Question n° 325 de M. Bruno Sido. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Bruno Sido.
Suspension et reprise de la séance
concertation autour du retour à la semaine de quatre jours et demi de cours
Question n° 153 de M. Rémy Pointereau. – Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative ; M. Rémy Pointereau.
Suspension et reprise de la séance
délai d'instruction des dossiers par le conseil national des activités privées de sécurité
Question n° 308 de M. Philippe Dallier. – MM. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Philippe Dallier.
entrée en vigueur de la réforme de la défense contre l'incendie
Question n° 319 de M. Ambroise Dupont. – MM. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Ambroise Dupont.
défendre nos artisans-boulangers et, avec eux, les consommateurs
Question n° 324 de M. Alain Gournac. – Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme ; M. Alain Gournac.
dérives dans les cuisines des restaurants
Question n° 349 de M. Christian Cambon. – Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme ; M. Christian Cambon.
Suspension et reprise de la séance
prévention de l'obésité et loi de santé publique
Question n° 321 de M. René Teulade. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. René Teulade.
ouverture d'une formation de maïeutique au sein de la faculté de médecine de saint-étienne
Question n° 307 de M. Maurice Vincent. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Maurice Vincent.
transfert d’une officine de pharmacie dans la commune de régusse (var)
Question n° 333 de M. Pierre-Yves Collombat. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Pierre-Yves Collombat.
Question n° 221 de M. Vincent Capo-Canellas. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Vincent Capo-Canellas.
Suspension et reprise de la séance
conditions d'accès aux actes d'état civil
Question n° 205 de M. Richard Yung. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Richard Yung.
Suspension et reprise de la séance
concurrence de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur du btp
Question n° 327 de M. Jacques-Bernard Magner. – MM. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; Jacques-Bernard Magner.
situation des agents de la direccte à nancy
Question n° 208 de M. Daniel Reiner. – MM. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; Daniel Reiner.
accès des détenus et anciens détenus à la protection sociale
Question n° 344 de Mme Aline Archimbaud. – M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; Mme Aline Archimbaud.
assurance chômage des français ayant travaillé dans un autre pays de l'union européenne
Question n° 244 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
10. Nomination d'un membre d'une commission
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
11. Éloge funèbre de René Vestri, sénateur des Alpes-Maritimes
MM. le président, Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
Mme Chantal Jouanno, M. le président.
13. Conventions internationales. – Adoption en procédure d’examen simplifié de sept projets de loi dans les textes de la commission
Traité d’extradition avec l’Argentine. – Adoption de l'article unique du projet de loi.
14. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 mars 2013
MM. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes ; Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes ; Mme Michèle André, vice-présidente de la commission des finances.
MM. Ronan Dantec, Philippe Marini, Michel Billout, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Jean-Claude Requier, Alain Richard.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. Jean Bizet, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. Roland Ries, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
M. le président de la commission.
Mme Colette Mélot, M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. Roland Courteau, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. Jean-Paul Emorine, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. René Teulade, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
MM. David Assouline, Bernard Cazeneuve, ministre délégué.
Suspension et reprise de la séance
15. Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. – Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mmes Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; Laurence Rossignol, rapporteur de la commission du développement durable.
M. Jean Bizet, Mme Évelyne Didier, MM. Marcel Deneux, Raymond Vall, Ronan Dantec, Jean-Jacques Filleul, Mme Fabienne Keller, MM. François Marc, Alain Le Vern.
Mme Delphine Batho, ministre.
Clôture de la discussion générale.
M. Roland Courteau.
Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Adoption de l'article.
Article 2 (nouveau). – Adoption
Adoption de l’ensemble du projet de loi dans le texte de la commission.
Mmes la rapporteur, Delphine Batho, ministre.
16. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Marc Daunis,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Démission et remplacement d'un sénateur
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de Mme Odette Duriez une lettre par laquelle elle se démettait de son mandat de sénatrice du Pas-de-Calais, à compter du jeudi 28 février à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, elle a été remplacée par M. Hervé Poher, dont le mandat de sénateur du Pas-de-Calais a commencé le vendredi 1er mars, à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite à M. Hervé Poher la plus cordiale bienvenue.
3
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de deux projets de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi et du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale le 6 mars 2013.
4
Demande d'avis sur un projet de nomination
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 6 mars 2013, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Jean-Yves Le Gall comme président du conseil d’administration du Centre national d’études spatiales.
Acte est donné de cette communication.
Ce courrier a été transmis à la commission des affaires économiques.
5
Dépôt de rapports du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, d’une part, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 et, d’autre part, le rapport 2011 sur les chiffres de la politique de l’immigration et de l’intégration, établi en application de l’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Le premier a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des finances ; le second, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ils sont disponibles au bureau de la distribution.
6
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales à la place laissée vacante par Mme Odette Duriez, démissionnaire de son mandat de sénatrice.
Cette candidature a été affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 11 mars 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 60 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 (dispositifs temporaires d’achèvement et de rationalisation de l’intercommunalité) (2013-315 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
8
Retrait de questions orales
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 348 de M. Thierry Foucaud est retirée de l’ordre du jour de la présente séance, à la demande de son auteur.
Par ailleurs, j’informe le Sénat que les questions orales n° 340, de M. Ronan Kerdraon, n° 351, de Mme Leila Aïchi, et nos 371 et 372, de M. Jacques Mézard, sont retirées du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.
9
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
médecine du travail et collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chauveau, auteur de la question n° 125, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.
M. Jean-Pierre Chauveau. Madame le ministre, je souhaite appeler votre attention sur les appels de cotisations de la médecine du travail pour les collectivités territoriales.
Toutes les collectivités et tous les établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, sont soumis à une stricte obligation de versement de leurs cotisations. Le montant de celles-ci est calculé en fonction de l’effectif déclaré.
Ce mode de calcul serait bien compréhensible si chacun des salariés était réellement convoqué à une visite annuelle ou biennale.
En théorie, ces visites périodiques ont lieu tous les vingt-quatre mois. Une dérogation est même possible, au-delà de deux ans, sous réserve de l’obtention d’un agrément du service de santé au travail. Cependant, le paiement par les collectivités et le calcul des cotisations demeurent annuels.
Il existe néanmoins un réel décalage entre le principe et la réalité, décalage qui m’a été confirmé par tous les représentants des collectivités que j’ai pu interroger.
Ainsi, dans la communauté de communes que je préside, seulement 20 % des salariés sont en moyenne examinés chaque année. Autrement dit, les salariés ne sont examinés qu’une fois tous les cinq ans !
En pratique, on peut constater que les services de la médecine du travail examinent les salariés très au-delà de la limite des deux ans. Bien sûr, les salariés peuvent toujours être examinés à leur demande.
Mon but n’est pas de remettre en cause le fonctionnement de la médecine du travail : en réalité, ma question se fonde sur le mode de calcul des cotisations. En effet, au regard des visites réellement effectuées, l’établissement d’un nouveau mode de calcul pourrait permettre aux collectivités territoriales et à leurs EPCI d’échapper à des dépenses indues.
Concrètement, compte tenu des sommes versées, une visite médicale périodique effectivement réalisée coûte aujourd'hui aux alentours de 500 euros par agent ! Par ailleurs, dans la Sarthe, les visites effectuées au travers du service Santé au travail 72 le sont non plus par des médecins, mais par des infirmières spécialisées.
Aussi, je souhaiterais savoir si le Gouvernement envisage un nouveau mode de calcul. Celui-ci pourrait s’établir en fonction de la réalité du service rendu, ce qui me semblerait tout à fait logique : il s’agit non pas de réduire le financement des services de la médecine du travail, mais plutôt de le moderniser pour permettre un paiement à l’acte. Cette réforme permettrait aux collectivités d’économiser la moitié de leurs dépenses liées aux visites périodiques, soit la part correspondant aux visites qui ne sont pas réalisées.
Ma question ne vise pas à déclencher une polémique : je souhaite simplement faire preuve de pragmatisme et trouver des pistes pour réaliser des économies dans ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Chauveau, Mme Marylise Lebranchu aurait souhaité être présente pour répondre plus précisément encore que je ne saurais le faire à la question que vous venez de poser, mais elle est retenue ce matin par l’ouverture des négociations avec les syndicats de la fonction publique. Elle m’a donc chargée de vous répondre.
Vous avez précisé que votre objectif n’était pas du tout de modifier le contexte dans lequel sont organisées la médecine du travail et la médecine préventive, laquelle a été prévue et organisée par le décret du 10 juin 1985, pris en application de la loi de 1984.
Vous le savez, chaque collectivité est normalement tenue d’organiser un service de médecine préventive. Elle peut créer ce service ou adhérer à un service commun à plusieurs collectivités.
En fait, il existe au moins trois autres possibilités.
Premièrement, les collectivités peuvent faire appel à un service de santé au travail régi par le titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail : service de médecine du travail interentreprises ou service de santé au travail du secteur agricole.
Deuxièmement, elles peuvent avoir recours aux associations à but non lucratif qui se sont justement créées pour répondre aux obligations en matière de médecine du travail. Cette possibilité se développe fortement dans nos territoires.
Troisièmement, enfin, les collectivités peuvent disposer, soit dans des conditions conventionnelles, soit par le versement d’une cotisation additionnelle à la cotisation obligatoire due au centre de gestion, du service de médecine préventive qui existe dans les locaux mêmes de ce dernier.
Je veux rappeler les difficultés que rencontre aujourd'hui la France pour se doter de médecins du travail : vous le savez, la médecine du travail fait partie des spécialités les plus difficiles, et le manque de praticiens est cruel.
Les médecins du travail se sont vu confier deux missions : une mission de santé en milieu de travail et une mission de médecine préventive, laquelle ne correspond qu’à un tiers – un peu plus peut-être – du temps d’activité de ces médecins. Monsieur Chauveau, ce partage explique ce que vous avez relevé : le fait que seuls 20 % de nos fonctionnaires bénéficient d’un contrôle tous les ans et que nos agents ne se font contrôler, au mieux, que tous les deux ou trois ans, alors que la cotisation, elle, est calculée chaque année.
Ne pouvant déterminer exactement les parts de l’activité des médecins du travail qui seront respectivement consacrées aux contrôles effectués au titre de la mission de santé en milieu de travail et à la médecine préventive, nous devons aujourd'hui en rester à la cotisation au forfait.
Monsieur le sénateur, soyez assuré que Mme Lebranchu a examiné et continuera d’examiner ce point avec l’ensemble de ses partenaires, dans les meilleures conditions possibles, pour mieux répondre à vos attentes. Néanmoins, cette préoccupation ne l’amène pas pour le moment à privilégier un changement de la législation et de la réglementation en vigueur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chauveau.
M. Jean-Pierre Chauveau. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Il faudrait que nous parvenions à trouver une solution, notamment en explorant les trois pistes que vous avez évoquées.
À une époque où l’on cherche par tous les moyens à serrer au maximum nos budgets, la situation actuelle ne me semble pas tout à fait logique. Nous devons donc essayer de trouver des solutions qui soient mieux adaptées à la réalité. L’idéal serait tout de même qu’existe une certaine adéquation entre, d’un côté, les services rendus et, de l’autre, le paiement effectué par les collectivités.
aménagement du carrefour giratoire des couleurs situé à valence
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Bernard Piras, auteur de la question n° 170, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Jean-Louis Carrère. Madame la ministre, notre collègue Bernard Piras étant retenu pour des raisons d’ordre climatique, je m’exprimerai en son nom.
Bernard Piras a attiré l’attention de M. le ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche sur l’aménagement du carrefour giratoire dit « des Couleurs », situé à Valence, dans la Drôme.
En effet, l’aménagement de ce carrefour giratoire, attendu depuis longtemps par l’ensemble des élus locaux, représente un enjeu très important en matière d’aménagement du territoire et de développement économique du nord de Valence, ainsi qu’en termes de sécurité.
Ce carrefour giratoire présente une double spécificité : d’une part, il comporte sept branches et, d’autre part, il concentre une superposition de trois trafics de différentes natures, à savoir un transit autoroutier et interurbain – sur les routes nationales 7 et 532 –, un trafic pendulaire entre les lieux de domicile et les lieux de travail et de scolarité, enfin, un trafic de loisir, des zones commerciales jouxtant le carrefour giratoire.
Ce carrefour est d’ores et déjà très souvent saturé, des pointes à environ 8 000 véhicules par heure ayant été relevées. Ces graves dysfonctionnements sont très contraignants pour la population et risquent de l’être encore davantage compte tenu des projets de développement en cours.
Madame la ministre, il convient de rappeler qu’à l’origine avait été prévue la construction d’un carrefour giratoire à plusieurs niveaux, afin d’éviter le mélange des transits. Ce projet n’a pas été réalisé pour des raisons de coût.
Désormais, la configuration actuelle du carrefour giratoire est obsolète et source d’engorgements préjudiciables et en accroissement.
Conscient de ce désordre, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a commandé une étude d'opportunité quant à l'aménagement de ce carrefour giratoire, étude remise en février 2011. Cette étude propose et évalue plusieurs scénarios d'aménagement, dont les coûts sont estimés dans une fourchette allant de 20 à 30 millions d'euros.
Une décision politique est à présent attendue par les élus, la population et les usagers concernés. M. Bernard Piras demande ainsi à M. le ministre délégué de lui indiquer à quelle échéance cet aménagement est programmé dans un contexte où, vous l’aurez compris, une certaine impatience s’exprime localement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur Carrère, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, qui, sans doute bloqué lui aussi par des congères l’empêchant de quitter la Côte d’Opale, m’a demandé de répondre à votre question. Cette dernière correspond d’ailleurs à une véritable préoccupation de Frédéric Cuvillier.
Le projet d'aménagement du carrefour des Couleurs situé sur la route nationale 7, à l’est de Valence, doit contribuer à décongestionner un nœud majeur de communication où se rencontrent et se croisent chaque jour d'importants trafics locaux.
Le projet d'aménagement du carrefour des Couleurs a fait l'objet d'études d'opportunité qui ont porté sur différents scénarios de dénivellation. Comme M. Piras l’a relevé dans sa question, ces études sont aujourd'hui achevées et ouvrent ainsi la voie à une phase de concertation avec l'ensemble des acteurs et élus locaux concernés autour du choix du scénario d'aménagement.
Cette phase de concertation doit être surtout l'occasion de définir les modalités de financement de travaux dont vous avez également indiqué le coût, effectivement compris entre 20 et 30 millions d’euros suivant la variante d'aménagement retenue.
Or, le financement de cette opération n'a pas été prévu par l’actuel programme de modernisation des itinéraires routiers, ou PDMI, de la région Rhône-Alpes qui avait été arrêté en 2009. Compte tenu du contexte économique actuel, le Gouvernement souhaite qu’une nouvelle négociation soit entamée pour que de nouveaux travaux soient entrepris. Ainsi, l’année 2014, avec l’échéance des PDMI actuels, devra être l’occasion d’une nouvelle réflexion demandée aux préfets de région. Dans ce cadre, ces derniers devront élaborer une liste hiérarchisée des opérations de modernisation du réseau routier national dont la poursuite ou l'engagement des travaux paraissent nécessaires à un horizon de cinq ans.
Ces opérations devront répondre prioritairement à des enjeux de sécurité, de réduction d’une congestion chronique, de désenclavement et d'amélioration nécessaire de la desserte des territoires ou encore de la qualité de vie.
À l'évidence, les critères que je viens de rappeler correspondent assez bien aux difficultés rencontrées au carrefour des Couleurs. M. Cuvillier s’engage bien entendu, au nom du Gouvernement, à reprendre les négociations pour apporter les solutions les plus opérantes dans les meilleurs délais possibles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse que je transmettrai dans son intégralité à M. Bernard Piras. J’attire cependant l’attention du Gouvernement sur le fait que l’année 2014 n’est pas un terme très éloigné. Ainsi, il serait particulièrement intéressant que puisse être mise en œuvre, dans les délais les plus brefs, la procédure de concertation de telle sorte que le problème du carrefour des Couleurs puisse être traité prioritairement.
N’étant pas un usager quotidien de ce carrefour, je ne ressens pas l’urgence de son aménagement comme M. Bernard Piras ; je crois néanmoins savoir que les usagers de ce carrefour aimeraient que le processus qui conduira à la dénivellation de ce dernier se mette en place le plus rapidement possible, de telle sorte qu’il n’y ait pas de retard à compter de 2014, soit dans un an.
avant-projet de loi de décentralisation et clarification des compétences en matière de desserte ferroviaire
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, auteur de la question n° 325, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Bruno Sido. Ma question, qui concerne non pas seulement mon département de la Haute-Marne mais toute la France, s’adressait au ministre délégué chargé des transports. Mais ce dernier étant bloqué par des congères, c’est Mme la ministre déléguée chargée de la décentralisation qui va me répondre, et je m’en réjouis.
L'avant-projet de loi de décentralisation et de réforme de l'action publique, dans son chapitre IX consacré aux transports, prévoit de clarifier les compétences de l'État et des conseils régionaux en matière de desserte ferroviaire.
Si l’intention est louable, les conséquences des dispositions de ce chapitre peuvent se révéler dramatiques pour le niveau de service, en particulier sur la ligne Paris-Belfort.
En effet, d'après les informations dont je dispose, les lignes d'intérêt national devraient à l'avenir desservir au moins deux villes de plus de 100 000 habitants situées, qui plus est dans deux régions non contiguës.
Si les dispositions concernées de l'avant-projet de loi n'étaient pas modifiées, elles entraîneraient une dégradation très nette de la qualité de la desserte entre Paris et la Haute-Marne : onze trains au départ de Chaumont seraient supprimés chaque semaine !
Alors que le conseil général met tout en œuvre pour moderniser le département et l'ouvrir aux grands axes de circulation, cette perspective est inacceptable.
La Haute-Marne est en reconversion industrielle depuis plus de trente ans : depuis la fin des Trente glorieuses et le premier choc pétrolier. La crise des industries et de la métallurgie y a apporté, comme dans tout l'est du pays, son cortège de licenciements et de souffrances.
Tous les élus du territoire sont mobilisés depuis une dizaine d'années, bien au-delà des sensibilités partisanes. Ainsi les élus au conseil général ont-ils décidé de faire de la modernisation des infrastructures une priorité pour gagner en attractivité.
Madame la ministre, je ne vous citerai qu'un seul exemple : nous investissons 40 millions d'euros pour poser 1 200 kilomètres de fibre optique et permettre aux habitants des zones rurales, qui ne sont pas des citoyens de seconde zone, de disposer du haut débit comme tout le monde.
Le conseil régional, le conseil général et les parlementaires partagent cette même préoccupation pour laquelle nous sommes tous mobilisés.
Je vous remercie donc, madame la ministre, de m'indiquer si le Gouvernement entend modifier cet avant-projet de loi afin de conserver à la Haute-Marne, en particulier, une politique d'aménagement du territoire digne de ce nom.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Vous avez évoqué, au début de votre question, un avant-projet de loi dans une version très antérieure à celle qui a été transmise jeudi dernier au Conseil d’État : dans cette dernière, en effet, le chapitre IX n’existe plus en tant que tel et ses dispositions se trouvent donc considérablement modifiées.
Dans le projet de loi soumis au Conseil d’État, qui sera examiné le 10 avril prochain en conseil des ministres, les dispositions concernées sont très édulcorées. En effet, l’intention de Frédéric Cuvillier est de disposer d’un véhicule législatif propre qui lui permettra d’aborder complètement la problématique des transports ferroviaires, notamment dans le cadre de la concertation à laquelle il s’est engagé, concertation qui doit être longue, lourde et nourrie compte tenu des enjeux que vous avez rappelés.
S’agissant de ces enjeux, nous n’étions pas allés au bout des logiques qui auraient permis de répondre à ce maillage indispensable pour l’ensemble de notre territoire, et c’est peut-être la raison pour laquelle la partie de texte que vous aviez lue a disparu.
Tel est le contexte général que je voulais rappeler.
J’en viens à des réponses plus techniques. M. Frédéric Cuvillier m'a en effet demandé de partager avec vous certaines de ses convictions sur les trains d'équilibre du territoire, les fameux TET.
Ces trains sont un lourd héritage pour l'État, qui en est depuis peu l'autorité organisatrice. Ils sont fortement déficitaires ; la SNCF, qui en avait précédemment la responsabilité, n'y investissait plus.
Les TET jouent pourtant – vous l’avez rappelé – un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire et dans le quotidien de nos concitoyens. Ils doivent en outre constituer une offre commerciale complémentaire du TGV par des horaires et des correspondances adaptés, l'accent étant mis sur l'accessibilité et la qualité du service à bord.
L'évolution de ces trains du quotidien est donc une priorité du Gouvernement. C'est la raison pour laquelle mon collègue Frédéric Cuvillier a annoncé le lancement dans les tout prochains mois d'une première tranche d'investissement de 400 millions d'euros pour le renouvellement du matériel roulant.
Mais l'investissement, seul, ne suffira pas pour améliorer la qualité du service à la hauteur de ce qu'attendent les usagers. L’offre doit aussi évoluer pour mieux répondre aux besoins de déplacement.
De ce point de vue, et comme vous l’avez dit, les régions sont les premières à reconnaître qu’elles rencontrent parfois des difficultés pour tracer, sur certains trains, la frontière entre leurs trains express régionaux et nos trains d’équilibre du territoire, car ils concernent des liaisons entre deux régions. Cette imbrication des services est à l'origine de problèmes qui pèsent au final sur les coûts et sur la qualité de service.
Derrière les autorités organisatrices, il y a des usagers qui doivent être satisfaits, chacun au mieux de ses moyens. Les régions ont reçu compétence d’organiser les services de transport régional, ce qu’elles font remarquablement bien.
Dès lors, l'État a-t-il vocation à les concurrencer avec ses trains sur ces liaisons entre deux régions seulement ? N'est-il pas plus intéressant pour les régions de disposer de l'ensemble des leviers sur les trains qui assurent les déplacements domicile-travail à l'intérieur d'une région ou entre deux régions limitrophes ?
L'État, en revanche, a vocation à conserver la maîtrise des trains qui assurent l'aménagement du territoire entre trois régions, là où n'existe aucune offre alternative. Il nous faut donc réfléchir à la manière de mieux organiser les offres dans le respect, naturellement, d'un juste équilibre financier des parties. Il va de soi que, en cas de transfert de certaines liaisons aux régions, celles-ci se verraient attribuer la compensation financière existante.
Vous constatez ainsi, monsieur le sénateur, que le Gouvernement prend le problème à bras-le-corps et qu’il le traitera, comme il en a aujourd'hui l’habitude, en suivant sa méthode de concertation, d’écoute et de dialogue avec les élus locaux.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je ne sais si mon inquiétude doit subsister ; mais ma vigilance, certainement ! En effet, vous venez de me dire, pour résumer, que les dispositions concernées ne figurent plus dans le projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique, mais qu’elles seront inscrites dans un véhicule législatif propre. Cela ne retirerait rien à mes craintes si, comme vous l’avez heureusement dit à l’instant, ces TET ne devaient relier trois régions, ce qui est le cas du train Paris-Belfort. Par conséquent, avec les investissements prévus, qui s’élèvent à 400 millions d'euros, nous pourrons à mon avis maintenir le niveau de service.
Je précise que les difficultés sont réelles ! Ainsi, hier soir, venant en train à Paris, je me suis trouvé dans un wagon non chauffé et mal éclairé au point qu’il était impossible de lire le journal ! À l'évidence, ce matériel arrive à bout de course et il faut absolument le remplacer. Certes, des investissements importants ont été réalisés par Réseau ferré de France pour améliorer la ligne. Encore faut-il que des trains puissent rouler dessus…
M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la prochaine question orale sans débat, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures cinquante-huit, est reprise à dix heures une.)
M. le président. La séance est reprise.
concertation autour du retour à la semaine de quatre jours et demi de cours
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 153, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Rémy Pointereau. Madame la ministre, ma question, qui s’adresse au ministre de l’éducation nationale, M. Vincent Peillon – et je remercie par avance Mme Pau-Langevin, ministre chargée de la réussite éducative, de bien vouloir me répondre –, concerne la réforme des rythmes scolaires, avec notamment le retour de la semaine à quatre jours et demi qui pose quelques difficultés, non pas sur le fond mais surtout sur la forme.
Tout d'abord, en termes de concertation, on nous dit qu’un consensus existait, mais je n’en suis pas tout à fait sûr. Ainsi, en octobre, une consultation dans les 300 écoles de mon département, le Cher, représentant 1 200 personnes au total dont 800 professeurs des écoles et 400 parents d’élèves, laissait apparaître au contraire un rejet du retour à la demi-journée supplémentaire de cours.
En outre, une réunion a été organisée à l’intention des élus du Cher le 18 février dernier à la demande du directeur académique et sous la présidence du préfet du Cher, réunion à laquelle l’association des maires du Cher que je préside a bien voulu s’associer. Plus de 200 élus étaient présents lors de cette réunion, et je peux vous dire que tous étaient inquiets. J’ai rappelé qu’une motion avait été adoptée lors de notre dernière assemblée générale extraordinaire réunie sur ce sujet. Compte tenu des délais extrêmement contraints, les élus présents ont demandé à l’unanimité le report de la réforme à la rentrée de 2014.
Les élus sont bien sûr conscients de la nécessité de mettre en avant l’intérêt de l’enfant et du fait qu’il ne s’agit en aucun cas d’une position politique, de nombreux élus de toutes sensibilités, de droite comme de gauche, partageant le même avis.
Toutefois, il faut permettre aux communes de s’organiser dans les meilleures conditions, s’agissant notamment du temps périscolaire ; elles seront obligées de recruter du personnel adapté, ce qui entraînera pour elles un coût financier important, estimé à environ 150 euros par élève.
Par ailleurs, s’agissant des transports scolaires, dont les conseils généraux ont la charge, le coût supplémentaire est estimé entre 500 000 euros et 1,2 million d’euros pour le département du Cher.
En outre, une telle mesure risque de créer des inégalités territoriales dans la mesure où il faudra mettre à disposition des locaux supplémentaires afin de mettre en place des activités culturelles, sportives et autres. En milieu rural, ce sera beaucoup plus difficile.
Enfin, le Gouvernement a décidé au mois de décembre d’accorder une aide de 50 euros par élève, avec une majoration pouvant aller jusqu’à 40 euros dans les « communes urbaines ou rurales les plus en difficulté », afin d’inciter les communes à appliquer la réforme dans l’enseignement primaire dès 2013.
Madame la ministre, comment ce fonds de 250 millions d’euros pour les rentrées 2013 et 2014 sera-t-il financé et que va-t-il se passer ensuite pour les rentrées suivantes ? Comment allez-vous identifier les communes rurales et urbaines les plus en difficulté ? Enfin, allez-vous compenser « à l’euro près » cette dépense nouvelle imposée aux conseils généraux ?
L’Association des maires de France a fait savoir depuis que nombre de communes ou d’intercommunalités ne seraient pas en mesure d’appliquer la réforme des rythmes scolaires avant 2014, malgré sa volonté – je la cite – de « sauver » la réforme. Elle a estimé, je le répète, à 150 euros par enfant le coût réel de la réforme.
Alors même que des réductions de dotations aux collectivités de 4,5 milliards d’euros en 2014 et en 2015 viennent d’être annoncées, comment comptez-vous faire pour rassurer les maires sur le soutien pérenne de l’État ?
Écoutez les élus locaux : ils sont suffisamment sollicités ! Ne leur mettez pas la pression pour une application anticipée qu’ils ne peuvent pas assumer !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le sénateur Rémy Pointereau, il importe de nous remémorer tout d’abord pourquoi nous engageons cette réforme. Je vous rappelle que notre pays n’est actuellement pas en très bonne place dans les évaluations internationales, que notre système éducatif n’est plus aussi performant que nous le souhaiterions et que cela serait nécessaire pour maintenir la compétitivité indispensable au maintien des emplois notamment. Par conséquent, il est urgent que nos enfants disposent à nouveau de bonnes conditions pour étudier.
Tel est le constat auquel était parvenue la concertation menée notamment sous l’égide de Luc Chatel entre 2010 et 2012, à savoir la nécessité de revoir l’organisation de notre système éducatif, en particulier les rythmes scolaires. Il y eut ensuite « l’appel de Bobigny ». Bref, toutes les personnes qui ont étudié le sujet s’accordent à dire que nous devons rapidement revoir l’organisation de notre semaine scolaire, qui n’offre plus à nos enfants de bonnes conditions, et surtout le temps nécessaire, pour étudier. Prévoir une matinée de classe supplémentaire est indispensable pour que les enfants puissent travailler correctement.
Dès lors, il y aura un certain nombre de difficultés à affronter, comme à chaque changement.
Nous savons que les élus ont des préoccupations et nous convenons qu’il est légitime de leur part de se demander comment ils feront pour mettre en œuvre la réforme. À partir du moment où nous sommes conscients du caractère utile voire indispensable de cette réforme, cela change la donne, et nous pouvons débattre de ses modalités de mise en application. Et si nous sommes en outre convaincus que cette réforme doit être menée pour le bien des enfants, en vue de les aider à étudier, il ne semble dès lors guère souhaitable de la retarder d’année en année.
Comme vous le savez, le calendrier a été assoupli. Les élus ont la possibilité d’appliquer la réforme en 2013 ou en 2014. La demi-journée d’école supplémentaire n’est plus obligatoirement le samedi matin, et les élus peuvent donc désormais choisir de la mettre en place le mercredi matin, si c’est plus facile pour eux.
Vous avez par ailleurs évoqué les inquiétudes des élus quant au financement de cette réorganisation. C'est la raison pour laquelle un fonds d’amorçage a été créé. Les communes se verront allouer une dotation de 50 euros par élève, majorée de 40 euros pour les communes les plus en difficulté. Ces dernières sont définies selon un critère objectif, puisque ce sont celles qui bénéficient de la dotation de solidarité urbaine ou de la dotation de solidarité rurale dites « cible ». Nous n’aurons donc aucun « tri » à opérer.
Les services de l’éducation nationale, les élus, mais aussi les associations seront concernés. Tous les acteurs qui interviennent dans l’éducation de nos enfants seront amenés à s’organiser. C’est un aspect important, et nous sommes intimement persuadés que, ce faisant, nous pourrons améliorer la démocratie locale.
Cette nouvelle manière de travailler demandera sans doute un effort aux uns et aux autres, mais le bien-être de nos enfants vaut bien que nous le réalisions.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, même si elle ne me satisfait pas entièrement. La semaine scolaire était autrefois organisée sur quatre jours et demi : si cela avait procuré du bien-être à nos enfants, nous le saurions, et les résultats auraient été au rendez-vous.
Les élus sont conscients, je l’ai dit, que l’intérêt de l’enfant prime dans cette réforme. Toutefois, les conditions de l’application de cette dernière doivent être optimales, et la rentrée de 2013 est une échéance trop proche compte tenu des moyens à mettre en œuvre : je pense aux locaux supplémentaires dont il faut disposer et, surtout, aux moyens financiers.
Vous évoquez la dotation de 50 euros par élève pour les communes qui appliqueront la réforme dès 2013. Qu’en sera-t-il en 2014 et les années suivantes avec des budgets contraints, des dotations qui vont baisser de 4,5 milliards d’euros en 2014 et en 2015, ce qui équivaut à près de 5 % de dotation globale de fonctionnement pour les communes concernées ?
Comment cette réorganisation sera-t-elle financée, y compris par les conseils généraux dont les budgets sont déjà très sollicités ? Je rappelle que le coût de la réforme est estimé, pour le département du Cher, entre 500 000 euros et 1,2 million d’euros. Vous n’avez pas répondu à cette question, madame la ministre : allez-vous compenser les dépenses des conseils généraux « à l’euro près », comme les élus de la majorité actuelle n’ont cessé de le demander depuis des années dans les deux assemblées parlementaires ? Je voudrais savoir qui va financer la réforme !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je voudrais simplement rappeler que le nombre d’heures passées à l’école par les enfants sera strictement le même. Il s’agit par conséquent, de la part de l’État, non d’une diminution de ses obligations, mais d’une réorganisation. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Si cette réforme ne crée pas d’inégalités, elle souligne cependant celles, significatives, qui existent aujourd'hui entre les communes en matière d’organisation d’activités périscolaires. Au fond, cela nous donne à réfléchir !
MM. Philippe Dallier, Alain Gournac et Rémy Pointereau. Ce sera pareil !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. La part de l’État sera exactement la même. Vous soulignez les efforts financiers demandés aux collectivités territoriales, mais l’État engage lui aussi un effort financier considérable pour répondre à cet objectif prioritaire qu’est l’éducation. Des économies sont demandées partout, dans de nombreux ministères ; il est clair que le maintien de la priorité accordée à l’éducation se fera en réalisant des économies par ailleurs.
Par conséquent, si nous sommes d’accord sur le caractère essentiel que revêt l’avenir de nos enfants, je pense que l’État accomplit largement sa part en respectant sa parole et cette priorité. Il est évident qu’un effort sera demandé aux collectivités locales, mais je suis persuadée que la plupart d’entre elles sont prêtes à le faire parce qu’elles sont convaincues qu’il en va de l’avenir de notre pays.
M. le président. Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de M. le ministre de l'intérieur, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures douze, est reprise à dix heures dix-sept.)
M. le président. La séance est reprise.
délai d'instruction des dossiers par le conseil national des activités privées de sécurité
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, auteur de la question n° 308, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, en 2011, la loi dite « LOPPSI 2 » a créé le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, établissement public administratif placé sous la tutelle de votre ministère. Depuis le 1er janvier 2012, cet organisme est notamment chargé, au nom de l’État, de la régulation de l’accès aux activités privées de sécurité. À ce titre, il contrôle les professionnels, qu’il s’agisse de personnes morales ou de personnes physiques, et délivre les agréments nécessaires à l’exercice de ces professions.
Pour bénéficier d’une autorisation d’exercer ou de se former à ces métiers, le demandeur doit évidemment ne pas avoir commis d’acte répréhensible et incompatible avec la profession. Cette condition impérative est bien sûr vérifiée par le CNAPS avant toute délivrance de titre.
Dans le cadre de ce contrôle, le CNAPS est amené à instruire deux types de dossiers : d’une part, ceux des personnes souhaitant accéder à une formation avant de demander la délivrance d’une carte professionnelle d’agent privé de sécurité et, d’autre part, ceux des personnes en voie de recrutement par une entreprise de sécurité privée leur garantissant ensuite une formation en vue de satisfaire à la condition d’aptitude professionnelle.
La procédure d’examen des dossiers aboutit, si la décision de la délégation territoriale du CNAPS compétente est positive, soit à la délivrance d’un numéro d’autorisation préalable dans le premier cas, soit à la délivrance d’un numéro d’autorisation provisoire dans le second cas. Ces numéros sont obligatoires et doivent avoir été transmis au préalable par le CNAPS pour que le candidat puisse valider le contrat de travail ou l’inscription auprès d’un organisme de formation.
Telle est, monsieur le ministre, mes chers collègues, la théorie.
En pratique, les délais anormalement longs d’instruction des dossiers et de délivrance des numéros d’autorisation, voire parfois l’absence de réponse de l’administration, pénalisent fréquemment tant les candidats à ces métiers que les entreprises pourtant prêtes à les recruter.
Pourriez-vous donc, monsieur le ministre, préciser la durée moyenne constatée du délai d’instruction des dossiers d’autorisation, détailler les objectifs assignés au CNAPS et les instructions de l’autorité de tutelle en la matière ? Pourriez-vous également nous dire s’il existe des indicateurs de performance ? Par ailleurs, quels sont les moyens attribués aux délégations territoriales pour l’exercice de leur mission ? Sont-ils suffisants ? Enfin, quelles mesures pourriez-vous prendre, monsieur le ministre, pour améliorer la procédure d’instruction des dossiers, notamment pour en réduire les délais ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présente tout d’abord mes excuses pour mon léger retard.
Monsieur le sénateur Philippe Dallier, vous m’interrogez sur les délais d’instruction des dossiers par le Conseil national des activités privées de sécurité.
Vous l’avez rappelé, le CNAPS assure une triple mission : une mission de police administrative, une mission disciplinaire et une mission de conseil et d’assistance à la profession. Les organes du CNAPS – collège, commission nationale d’agrément et de contrôle, commissions régionales, interrégionales ou locales d’agrément et de contrôle, les CIAC – ont été installés en janvier et en février 2012. Le déploiement des sept délégations territoriales du CNAPS s’est effectué de manière progressive tout au long de l’année 2012.
Le transfert de ces compétences des préfectures à l’établissement public a été opéré en deux étapes : à compter de leur installation effective en février 2012, les CIAC se sont prononcées dans un premier temps sur des dossiers qui continuaient à être instruits par les préfectures : dans un second temps, au fur et à mesure que s’ouvraient les délégations territoriales, l’instruction des dossiers a été assurée par les personnels du CNAPS.
Si ces transitions successives ont provoqué quelques difficultés au premier semestre, les retards ponctuels dans la délivrance des titres se sont résorbés dans les semaines qui ont suivi l’ouverture des délégations territoriales, même si, certes, quelques difficultés subsistent évidemment encore ici ou là. Le CNAPS a ainsi produit dès la première année 83 408 décisions conduisant à la délivrance de 75 355 cartes professionnelles et autorisations préalables. Certaines délégations ont dû en effet faire face à une augmentation des demandes lors du dernier trimestre 2012. Cette hausse s’explique pour partie par le caractère dissuasif des 826 contrôles effectués par le CNAPS en 2012.
En matière de délais, la notification de l’autorisation préalable ou provisoire comme celle de l’octroi de la carte professionnelle s’effectue aujourd’hui, pour 80 % des dossiers, dans un délai moyen de dix jours suivant l’envoi par la délégation territoriale de l’accusé de réception attestant de la complétude du dossier.
Dans les 20 % de cas restants, la durée de traitement des demandes est plus longue. Ces cas correspondent à des situations dans lesquelles une enquête approfondie doit être menée par les services de police et de gendarmerie afin de satisfaire aux conditions exigées par la loi, comme je l’ai moi-même rappelé devant le CNAPS.
En effet, les agents du CNAPS en charge de l’instruction des demandes d’autorisation doivent, lorsque des antécédents judiciaires sont constatés, saisir les services de police ou de gendarmerie afin de connaître les raisons précises ayant justifié cette mention et vérifier si cette dernière est ou non compatible avec la délivrance de l’autorisation sollicitée. Il faut également obtenir la position de l’autorité judiciaire. La collaboration vertueuse entre le CNAPS et les services concernés augure à court terme de l’harmonisation des modalités de traitement des enquêtes de moralité et une réduction des délais.
Par ailleurs, l’expertise acquise par les agents du CNAPS et les effets des démarches en cours pour optimiser le processus d’instruction et les systèmes d’information associés devraient, je l’espère – c’est attendu ainsi –, produire leurs effets dès 2013.
La combinaison de ces facteurs contribuera à l’amélioration du délai de traitement des demandes d’autorisations et de cartes professionnelles formulées par les futurs agents de sécurité privée.
En tant que tutelle de l’établissement public, le ministère de l’intérieur veille attentivement à l’amélioration de la qualité du service proposé par le CNAPS et à la réduction des délais de traitement. La moralisation de ce secteur, sa professionnalisation, objectifs que nous partageons tous, sont évidemment au cœur des priorités de l’établissement public, de la profession, ainsi, évidemment, que du ministère de l’intérieur. L’année 2013 devrait permettre des améliorations.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces éléments et des améliorations que vous nous laissez espérer.
Je ne sais pas s’il faut s’en féliciter ou le regretter, mais le fait est que le secteur de la sécurité est un grand pourvoyeur d’emplois. Dans un département comme le mien, la Seine-Saint-Denis, de nombreux jeunes en difficulté et sans véritables qualifications peuvent espérer y trouver un emploi.
Je comprends tout à fait qu’il faille vérifier de la manière la plus sérieuse possible, et en prenant le temps nécessaire, les profils des demandeurs, notamment pour les plateformes aéroportuaires. Cela étant dit, des organismes de formation et des professionnels m’ont récemment fait part de leurs difficultés concernant des cas ne posant a priori pas de problème particulier.
J’espère donc que les améliorations que vous nous promettez pour l’année 2013 seront au rendez-vous, monsieur le ministre.
entrée en vigueur de la réforme de la défense contre l'incendie
M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont, auteur de la question n° 319, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer un sujet technique important pour les collectivités locales : la réforme de la défense extérieure contre l’incendie dans les communes.
Attendue avec intérêt depuis 2004 par les professionnels de la sécurité et les élus, cette réforme a connu une évolution notable grâce à l’article 77 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Ce texte, codifié au code général des collectivités territoriales, a permis de confirmer et de préciser les règles de la défense extérieure contre l’incendie, ainsi que la répartition des compétences.
Les conditions d’application sont toutefois renvoyées au décret relatif à l’aménagement, l’entretien et la vérification des points d’eau servant à l’alimentation des moyens de lutte contre l’incendie, ainsi qu’à un référentiel national de défense extérieure contre l’incendie, qui tardent singulièrement à être publiés.
Monsieur le ministre, comme vous le savez, de nombreux élus souhaitent depuis longtemps une clarification des compétences ; ils soulignent l’inadéquation aux réalités locales de la réglementation en vigueur en matière de lutte contre l’incendie, les réalités locales étant très disparates, notamment dans les territoires ruraux en cas d’habitat dispersé.
En effet, certaines collectivités rurales, dans l’incapacité d’assurer un débit suffisant, se retrouvent contraintes d’engager des investissements particulièrement coûteux pour se doter de réservoirs d’eau alors qu’une adaptation aux débits produits par les réseaux d’eau potable pourrait dans certains cas permettre de satisfaire aux exigences de la défense extérieure contre l’incendie.
L’enjeu de ce texte est de permettre aux acteurs, en particulier aux maires et aux présidents d’EPCI, d’ajuster les débits en fonction des circonstances locales – risques identifiés, caractéristiques locales du bâti ou de l’urbanisation –, dans le cadre d’une fourchette définie de débit ou de volume en eau devant être disponible.
Les mesures d’application de la réforme relative à la défense contre l’incendie sont depuis longtemps annoncées comme imminentes, mais elles ne cessent d’être reportées, malgré l’avis favorable du bureau de l’Association des maires de France et de la commission consultative d’évaluation des normes en 2012. Sur le terrain, les maires, relayés par les associations d’élus, s’inquiètent de ces retards.
Je vous serais donc reconnaissant, monsieur le ministre, de bien vouloir nous préciser quand ces mesures entreront effectivement en vigueur. Celles-ci semblent toujours suspendues à l’avis du Conseil d’État, lequel constitue a priori la dernière étape du processus.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la réforme de la défense contre l’incendie, même si le sujet d’actualité dans votre département aujourd'hui est plutôt la neige ! (Sourires.) S’agissant de ce dernier point, soyez assuré que les services de l’État, en lien avec les collectivités territoriales, font tout pour que la situation redevienne normale, dans votre département comme dans les autres.
Votre question témoigne de la forte attente, pour ne pas dire de la légitime impatience, de nombreux élus territoriaux de voir enfin aboutir la réforme de la défense extérieure contre l’incendie. Je vous remercie de relayer ces préoccupations de terrain au sein de cette assemblée.
Je réaffirme devant vous ma volonté de mener à bien ce projet engagé depuis 2005. En premier lieu, je tiens à vous informer de l’état d’avancement de cette réforme.
Comme vous le soulignez, l’article 77 de la loi du 17 mai 2011, codifié au code général des collectivités territoriales, a fixé le nouveau cadre législatif de ce domaine.
Le projet de décret d’application est prêt. Il avait d’ailleurs reçu, au début de 2012, les avis favorables de tous les organismes consultatifs intéressés, en particulier celui de la commission consultative d’évaluation des normes. J’ajouterai que le bureau de l’Association des maires de France le soutient également. Ce texte avait été déposé devant le Conseil d’État voilà presque un an, en avril 2012, mais il n’a pu être examiné avant le changement de gouvernement.
J’ai donc relancé la procédure d’adoption du décret dès l’été dernier, mais, en préalable à la saisine du Conseil d’État, nous avons dû consulter les ministères contresignataires du nouveau gouvernement. Cette procédure s’achève enfin. Cela nous permettra de présenter très prochainement le texte devant le Conseil d’État : c’est l’ultime étape avant sa signature et sa publication. J’ajoute que ce décret sera complété par un catalogue de solutions techniques à disposition des acteurs territoriaux : il s’agit du référentiel national de la défense extérieure contre l’incendie, qui prendra la forme d’un arrêté.
En second lieu, sur le fond, sachez, monsieur le sénateur, que la réforme a pour objet de définir le plus précisément possible le rôle de chacun des différents intervenants.
Comme vous le rappelez, la gestion de ce service public et le pouvoir de police administrative spéciale lié sont désormais transférables aux établissements publics de coopération intercommunale. En pratique, ce transfert, opéré sur la base du volontariat, dégagera les maires, en particulier ceux des communes rurales, de toute responsabilité dans ce domaine. Ce transfert total s’effectuera au profit de structures disposant des capacités techniques et juridiques pour exercer cette compétence particulièrement complexe.
En outre, la loi, comme le futur décret, distingue bien ce qui relève du service de l’eau potable de ce qui a trait à la défense contre l’incendie. Les financements respectifs de ces deux services publics sont, par conséquent, scindés. Le décret et le référentiel national préciseront les interactions juridiques et techniques entre ces deux services.
Vous avez également évoqué, monsieur le sénateur, l’impossibilité de surdimensionner, dans les zones rurales, les réseaux d’eau potable au profit de la défense contre l’incendie. Sans entrer dans le détail, sachez qu’il existe des solutions techniques pour utiliser, malgré tout, les capacités de ce type de réseaux, sans abaisser le niveau de sécurité.
Enfin, précisons que les réseaux d’eau potable ne sont pas l’unique ressource en eau de la défense extérieure contre l’incendie, les citernes ou les points d’eau naturels, notamment, pouvant aussi être utilisés. Pour ces cas, des solutions pragmatiques seront trouvées grâce à la collaboration de tous les acteurs concernés par la défense contre l’incendie, à qui je tiens à rendre hommage à cet instant : les services d’incendie et de secours, les collectivités territoriales ou les opérateurs de réseaux d’eau. Ce partenariat est à la fois promu et rendu obligatoire par la réforme. Il est la clef du développement d’une défense contre l’incendie raisonnée.
Vous l’avez compris, monsieur le sénateur, je souhaite que cette réforme puisse entrer en application le plus vite possible.
M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le ministre, je vous remercie de cet historique. Se pencher sur cette question me semble d’autant plus indispensable que, avec la mise en place de plans locaux d’urbanisme intercommunaux, les communes se trouvent complètement démunies lorsque la compétence est transférée à l’EPCI.
Monsieur le ministre, vous avez dressé un état des lieux exhaustif, mais, pour l’heure, nous en sommes toujours au même point. Je voudrais que, à l’époque où les marronniers fleurissent, vous abattiez celui-là !
M. Christian Cambon. On est poétique, à l’UMP ! (Sourires.)
défendre nos artisans-boulangers et, avec eux, les consommateurs
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question n° 324, adressée à Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme.
M. Alain Gournac. Le pain français, que l’on nous envie un peu partout dans le monde et qui participe à la qualité de la table française, est une spécificité qui ne doit pas être abandonnée et qu’il faut donc défendre et soutenir.
L’appellation « boulanger » ne peut être utilisée que par les artisans qui, « à partir de matières premières choisies », assurent eux-mêmes « le pétrissage de la pâte, sa fermentation et sa mise en forme, ainsi que la cuisson du pain sur le lieu de vente au consommateur final ».
Or il semble que les consommateurs ne soient pas bien informés de cette règle et que celle-ci ne soit pas toujours respectée.
Concernant la viennoiserie, par exemple, selon certains membres de la profession, un produit vendu en boulangerie sur deux serait de fabrication industrielle. D’autres, minimisant la réalité, affirment, au contraire, que l’utilisation de produits industriels congelés demeure marginale.
Produire français, madame la ministre, c’est, notamment dans ce domaine, respecter des règles et des méthodes qui ont concouru à la qualité de nos produits et, partant, à leur notoriété. Aussi aimerais-je savoir ce qu’il en est exactement en matière de mode de fabrication des produits vendus en boulangerie : pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Par ailleurs, ne conviendrait-il pas, pour défendre cet artisanat de la boulangerie sur l’ensemble de notre territoire, voire à l’étranger, assurer une véritable promotion des boulangeries méritant leur appellation, par la mise en place d’une signalétique efficace, visible et sans ambiguïté à destination des consommateurs ?
La semaine dernière, le Sénat a organisé la remise des prix du concours national des meilleurs apprentis de France. C’est une magnifique manifestation, qui nous permet de rencontrer chaque année une jeunesse dont notre pays peut s’enorgueillir.
Madame la ministre, ma question relève, certes, du souci de défendre cette grande tradition française de la boulangerie, mais je la pose également par respect pour l’engagement de ces jeunes apprentis, par respect pour le formidable travail de leurs maîtres d’apprentissage, par respect, aussi, pour le soutien que leur apportent leurs parents, dont la fierté faisait plaisir à voir, mercredi dernier.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme. Monsieur le sénateur, je partage pleinement votre vision du travail de nos boulangers et de la contribution de cette profession à la réputation et au rayonnement de notre pays.
Le secteur de la boulangerie regroupe quelque 32 000 entreprises de commerce de détail alimentaire de proximité réparties sur l’ensemble du territoire. Son chiffre d’affaires annuel atteint environ 11 milliards d’euros et il compte 160 000 salariés. Chaque jour, plus de 12 millions de clients poussent la porte d’une boulangerie. Le pays tout entier est fier de cette spécificité, protégée par la loi du 25 mai 1998, qui détermine les conditions juridiques de l’exercice de la profession d’artisan boulanger. En effet, depuis cette date, l’appellation de « boulanger » et l’enseigne de « boulangerie » bénéficient d’une protection codifiée dans le code de la consommation. Ainsi, comme vous l’avez rappelé, ce dernier dispose que les professionnels « ne peuvent utiliser l’appellation de "boulanger" et l’enseigne commerciale de "boulangerie" » s’ils « n’assurent pas eux-mêmes, à partir de matières premières choisies, le pétrissage de la pâte, sa fermentation et sa mise en forme ainsi que la cuisson du pain sur le lieu de vente au consommateur final ». Il est également précisé que « les produits ne peuvent à aucun stade de la production ou de la vente être surgelés ou congelés ». Ces dispositions s’appliquent également lorsque le pain est vendu de façon itinérante par le professionnel. Des sanctions pénales assez sévères sont prévues dans la loi, puisque l’infraction à cette législation est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans et d’une amende de 37 500 euros.
Les viennoiseries vendues en boulangerie bénéficient du même gage de qualité. Par ailleurs, afin de valoriser la fabrication « maison », la profession travaille actuellement à la réalisation d’un code des usages incitant à la fabrication « maison » et qui permettra d’améliorer l’information des clients.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le cadre juridique permettant de protéger cette profession à laquelle nous sommes tous très attachés existe. Le Gouvernement fera tout pour assurer le respect de la législation en vigueur.
L’enjeu, pour la profession, est aujourd’hui de valoriser ces métiers passionnants mais confrontés, comme les autres métiers de l’artisanat, à la nécessité d’attirer des jeunes. Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, une manifestation qui a eu lieu la semaine dernière au Sénat. Le Gouvernement partage votre ambition d’inciter de plus en plus de jeunes à s’orienter vers cette belle profession et s’associe à l’hommage que vous avez rendu aux maîtres d’apprentissage et à l’ensemble des structures qui permettent à nos jeunes de se former dans de bonnes conditions afin de devenir, demain, des professionnels qui auront à cœur d’élaborer des produits de qualité, dans des conditions propres à rassurer le consommateur.
Dans cette perspective, le pacte pour l’artisanat que j’ai présenté en janvier dernier contient des dispositions en faveur de la valorisation et du renforcement de l’attractivité des métiers de l’artisanat, ainsi que des mesures relatives à la formation des jeunes. Sont ainsi prévus, notamment, une réforme de l’orientation, des campagnes ciblées de promotion des savoir-faire, plusieurs e-concours pour attirer les jeunes. En outre, certaines manifestations organisées par les professionnels, comme la « fête du pain » ou la « fête de la gastronomie », sont l’occasion de mettre en valeur les nombreux savoir-faire d’excellence de notre pays.
Enfin, je précise que, dans le cadre du pacte pour l’artisanat, j’ai engagé une réflexion sur le statut de l’artisan, en vue de clarifier les qualifications requises pour exercer ces métiers si utiles et représentés sur l’ensemble du territoire national.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, les préoccupations du Gouvernement rejoignent les vôtres. J’espère pouvoir, sur ces sujets, compter sur le soutien du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Je vous remercie de cette réponse très claire, madame la ministre ; je ne vois pas de désaccord entre nous.
Cela étant, vous nous avez exposé un idéal : je suis persuadé que le consommateur reste mal informé sur le caractère industriel de la fabrication du pain qu’il achète dans ce qu’il croit être une authentique boulangerie. Chacun est bien sûr libre d’acheter un tel produit, mais ce doit être en connaissance de cause, en sachant qu’il ne s’agit pas de pain fabriqué sur place, par un boulanger qui s’est levé en pleine nuit pour préparer sa pâte.
Le même manque d’information prévaut pour la pâtisserie. En principe, un gâteau ayant été congelé doit être signalé par un petit ours, mais je vous mets au défi, madame la ministre, de me citer un commerce pratiquant cet affichage. En effet, les professionnels craignent les réactions négatives des consommateurs.
En définitive, tout ce que je souhaite, c’est que notre formidable tradition du pain, renommée dans le monde entier, ne se perde pas. Soyez assurée, madame la ministre, de mon soutien pour la défendre !
dérives dans les cuisines des restaurants
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 349, adressée à Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme.
M. Christian Cambon. Madame la ministre, ma question recoupe en partie celle de mon collègue Alain Gournac : si elle concerne un autre secteur, elle porte sur le même sujet.
Les crises successives que vient de connaître le secteur agroalimentaire incitent de plus en plus les consommateurs à rechercher la transparence sur l’origine, la composition et la qualité gustative des produits qu’ils achètent et consomment, notamment dans les restaurants.
Or, en ces temps de crise économique, nous devons tout faire pour promouvoir la qualité de nos productions alimentaires. L’agroalimentaire représente en effet un secteur de l’économie nationale source d’emplois, de formations pour nos jeunes et de débouchés à l’export.
Dans le département dont je suis l’élu, le marché d’intérêt national de Rungis est la vitrine par excellence de ce savoir-faire français. Cette qualité vient d’être récompensée, puisque le « repas gastronomique des Français » a été classé au patrimoine mondial immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2011.
Néanmoins, ce secteur subit une évolution inquiétante. En effet, pour des raisons pratiques, économiques ou financières, de plus en plus de restaurants proposent des modes de cuisine très différents, qui ne respectent pas totalement les valeurs de la gastronomie française.
En fait, trois modes de cuisine sont pratiqués dans nos restaurants : le réchauffage, l’assemblage et la cuisine « maison ».
Le réchauffage consiste, comme son nom l’indique, à décongeler des produits surgelés, à réchauffer des plats sous vide ou le contenu de boîtes de conserve. Ainsi, sans le savoir, on peut déguster, dans certains restaurants situés sur les bords de la Méditerranée, une soupe de poissons qui n’a rien à voir avec la pêche du jour, mais provient de boîtes de conserve. De même, la traditionnelle tarte des demoiselles Tatin peut avoir été fraîchement décongelée et provenir d’un établissement industriel qui semble détenir une forme de monopole de la fabrication en masse de cette pâtisserie, magnifique lorsqu’elle est bien travaillée.
L’assemblage est une pratique permettant de présenter sur une même assiette des produits qui n’ont pas été élaborés sur place, ou seulement en partie.
Enfin, la cuisine « maison », pour laquelle nombre de nos artisans restaurateurs se battent avec courage, respecte les savoir-faire traditionnels et propose des repas préparés entièrement sur place, à base de produits frais.
Malheureusement, faute de label précis, le consommateur ne s’y retrouve pas et risque de finir par perdre confiance, comme pour le pain.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Christian Cambon. De surcroît, le secteur est en crise : les recettes ont connu une baisse de 2 % en volume en 2012, et la situation ne devrait pas s’améliorer en 2013. En outre, la restauration commerciale devra composer avec un relèvement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée de 7 % aujourd’hui à 10 % en 2014. Ces évolutions pourraient profiter aux industriels de l’agroalimentaire et nuire aux restaurateurs pratiquant la cuisine « maison », l’assemblage assurant des performances économiques beaucoup plus élevées.
Pour lutter contre cette tendance, des restaurateurs se mobilisent, à l’instar des artisans boulangers, pour valoriser leurs savoir-faire et leur travail grâce à différents labels.
Ainsi, depuis le mois de février dernier, en région d’Île-de-France, le Centre régional de valorisation et d’innovation agricole et alimentaire a lancé le label « des produits d’ici, cuisinés ici ». Les professionnels signataires de la charte doivent utiliser en priorité des matières premières issues de l’agriculture francilienne, appartenir au secteur de la restauration commerciale traditionnelle et transformer eux-mêmes les produits frais dans la cuisine de leur restaurant. Ce nouveau label régional vient s’ajouter à ceux qui ont déjà été mis en place dans différentes régions par les restaurateurs.
Toutefois, cela n’est guère lisible pour les consommateurs. Par conséquent, ne faudrait-il pas instituer, à l’exemple de la classification hôtelière, un label national validé par l’État pour aider les consommateurs à mieux comprendre la nature des produits qu’ils vont trouver dans leur assiette ?
Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour valoriser la cuisine « maison » et le travail des restaurateurs – ce ne sont pas forcément les plus grands –…
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. Christian Cambon. … qui s’attachent à maintenir les valeurs de la gastronomie française ? (M. Alain Gournac applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme. Monsieur le sénateur, valoriser la qualité dans la restauration est l’une de mes priorités.
Dans cet esprit, conformément aux engagements du Président de la République, j’ai établi, avec les organisations représentatives des professionnels du secteur, un bilan de la mise en place du contrat d’avenir dans la restauration. Nous avons constaté que ce dispositif n’avait pas permis de répondre à l’ensemble des attentes.
J’ai donc décidé de définir, en lien avec les organisations professionnelles, une méthode de travail. J’aurai le plaisir d’installer prochainement un comité stratégique de filière pour la restauration. Il travaillera sur les sujets que vous avez évoqués, monsieur le sénateur, ainsi que sur le dialogue social, les conditions de travail, la modernisation de nos restaurants, la création d’emplois. Nous devons notamment accompagner les professionnels de la restauration dans la réflexion sur la qualité et la transformation des produits.
Une première réponse à vos préoccupations a déjà été apportée par l’État avec la création du titre de maître-restaurateur, qui vise à distinguer les professionnels de la restauration traditionnelle, sur la base d’une qualification professionnelle et du respect d’un cahier des charges très précis, fondé sur une forte exigence de qualité. Ce dernier impose en particulier que la cuisine soit faite sur place, à partir de produits majoritairement frais, sans recourir à des plats préparés. En matière d’accueil des clients, il prévoit la présence d’au moins un personnel de salle titulaire d’un certificat d’aptitude professionnelle « restaurant », d’un titre homologué ou de deux ans d’expérience. Le niveau d’exigence est également élevé pour les aménagements intérieurs, qui doivent être soignés, l’environnement et, bien sûr, l’hygiène.
Malheureusement, nous constatons aujourd'hui que le titre de maître-restaurateur n’a pas rencontré le succès escompté : le 12 novembre dernier, j’ai remis le 2 000ème. Ce chiffre est insuffisant, c’est pourquoi je souhaite que nous puissions travailler à la rénovation de ce titre dans le cadre du comité stratégique de filière, en vue non pas d’abaisser l’exigence de qualité, mais plutôt de simplifier le cahier des charges pour le rendre plus accessible aux professionnels, en particulier aux petits restaurateurs. En effet, ceux-ci peuvent être effrayés par le volume du dossier administratif à compléter pour l’obtention du titre de maître-restaurateur.
C’est là une première piste de travail pour à la fois valoriser le travail des professionnels et rassurer les clients, qui ont évidemment le droit de savoir si les plats qui leur sont servis ont été ou non préparés sur place et d’être informés sur la provenance des produits.
Il s’agit donc d’une problématique globale. La fête de la gastronomie, au mois de septembre prochain, devra permettre aux professionnels de présenter leur savoir-faire, leur excellence et, surtout, leur passion.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Madame la ministre, je vous remercie des informations précises que vous venez de nous apporter sur ce sujet consensuel, notamment au Sénat, qui, en tant qu’assemblée des territoires, entend porter haut les couleurs de notre gastronomie.
M. Jean-Claude Lenoir. Comme au restaurant du Sénat ! (Sourires.)
M. Christian Cambon. Le président Carle nous conseillera peut-être de ne manger que de la raclette : avec ce plat, impossible de tricher ! (Nouveaux sourires.)
Plus sérieusement, j’approuve votre approche concernant l’évolution du titre de maître-restaurateur, madame la ministre. Mais si la qualité de la formation des professionnels est une question essentielle, je voudrais surtout insister ici sur l’importance de travailler des produits frais. Trop souvent, il est recouru à l’assemblage d’éléments préconfectionnés, et cela vaut aussi pour des établissements prestigieux ! On constate des choses très surprenantes à cet égard ! A contrario, certains petits restaurants consentent beaucoup d’efforts pour défendre les valeurs de notre gastronomie en cuisinant des produits frais. (M. Alain Gournac acquiesce.)
Sachez, madame la ministre, que toutes les initiatives du Gouvernement visant à promouvoir la gastronomie de notre pays recevront notre assentiment et notre soutien.
M. le président. Mon cher collègue, je vous remercie de cette défense et illustration de la raclette, mais n’oubliez pas la fondue ! (Sourires.)
M. Christian Cambon. On ne peut pas tricher avec la fondue !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à onze heures.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade, auteur de la question n° 321, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. René Teulade. Voilà une vingtaine d’années, Guy Bedos déclarait, dans un hebdomadaire, que « personne n’est à l’abri d’une sorte d’obésité morale : il est nécessaire de se faire transpirer l’âme ». Aujourd'hui, je voudrais évoquer non pas les maux de l’âme, mais l’obésité corporelle, qui connaît une dangereuse progression depuis une quinzaine d’années.
En effet, le constat issu de l’enquête nationale Obepi-Roche de 2012 est inquiétant. L’obésité concernerait à l’heure actuelle près de 7 millions de Français, soit 15 % de la population, et le surpoids quelque 15 millions de nos compatriotes. Ainsi, le nombre de personnes obèses a augmenté de 76 % depuis 1997.
En outre, d’autres tendances, tout aussi pernicieuses, méritent d’être soulignées.
Ainsi, la prévalence de l’obésité a crû de 1,4 point en seulement trois ans chez les 18-24 ans.
Par ailleurs, les inégalités territoriales se sont creusées. Désormais, quatre régions affichent un taux de prévalence de l’obésité supérieur de près de 40 % à la moyenne nationale, tandis que le gradient décroissant Nord-Sud et Est-Ouest, déjà observable quinze années auparavant, est plus que jamais une réalité.
Enfin, l’obésité s’est développée du fait des inégalités de revenus. Il existe toujours une relation inversement proportionnelle entre le niveau de revenu des ménages et la prévalence de l’obésité.
Outre l’impact potentiellement négatif de l’obésité sur la psychologie de l’individu – elle s’accompagne souvent d’une perte de confiance, d’un mal-être et d’un enfermement sur soi –, les risques cardiovasculaires augmentent nettement. Par exemple, les personnes obèses sont trois fois plus souvent affectées que les autres par la dyslipidémie, sept fois plus par le diabète et quatre fois plus par des problèmes d’hypertension.
Dans ces conditions, il est primordial de lutter activement contre cette maladie. La prévention, l’éducation à la nutrition et la protection des consommateurs sont les principaux leviers d’action dont disposent les pouvoirs publics.
Or, plus d’une décennie après les premières décisions prises par l’industrie agroalimentaire afin d’améliorer les recettes des produits, les derniers chiffres diffusés par l’Observatoire de la qualité de l’alimentation indiquent que les produits agroalimentaires ne respectent toujours pas les préconisations du Programme national nutrition santé, lancé en 2001.
Si certains progrès sont à noter, le récent scandale de la viande chevaline rappelle l’impérieuse nécessité de renforcer les contrôles sanitaires, l’information des consommateurs et la qualité nutritionnelle des produits agroalimentaires, ainsi que d’encadrer davantage le marketing promotionnel, notamment à destination des plus jeunes.
Enfin, la lutte contre l’obésité nécessite des moyens, comme en témoigne le programme lancé par la première dame des États-Unis, la semaine passée, visant à promouvoir l’activité physique au sein des écoles. Ce programme sera financé par un partenariat public-privé à hauteur de 150 millions de dollars par an.
Par conséquent, des solutions concrètes existent. Je souhaiterais savoir si des actions nouvelles sont envisagées par le Gouvernement en matière de prévention de l’obésité. Est-il prévu d’inscrire des mesures législatives à ce titre dans la future loi de santé publique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, il est exact que l’obésité est devenue un enjeu de santé publique majeur dans notre pays : 15 % de la population adulte serait concernée.
Comme vous l’avez souligné, il est préoccupant de constater que les données statistiques globales cachent des réalités très diverses selon les territoires et les catégories sociales : le surpoids et l’obésité sont devenus des marqueurs d’inégalités parfaitement identifiés. Il y a dix fois plus d’enfants obèses chez les ouvriers que chez les cadres. De même, plusieurs régions affichent des taux élevés d’obésité : 21,3 % pour le Nord-Pas-de-Calais, 20,9 % pour Champagne-Ardenne, 20 % pour la Picardie, alors que la moyenne nationale est de 15 %.
Nous sommes donc confrontés à un enjeu majeur, ce qui doit nous amener à développer des actions multiples et cohérentes dans divers milieux. En effet, les actions ciblées, si elles restent concentrées sur un seul secteur, ne sont plus suffisantes aujourd’hui. Il faut pouvoir mettre en place des chaînes d’actions, depuis les familles jusqu’à l’école ou au milieu de travail. De ce point de vue, les collectivités territoriales ont bien entendu un rôle essentiel à tenir, en tant qu’acteurs de proximité.
La première priorité du Gouvernement est d’agir très en amont, pour prévenir le surpoids et l’obésité le plus tôt possible.
Pour ce faire, il convient, tout d’abord, de développer, en particulier en direction des jeunes, des actions de sensibilisation afin de promouvoir une bonne alimentation et la pratique d’une activité physique régulière. L’école a un rôle important à jouer à ce titre : l’activité sportive fait d’ailleurs partie, en France, du programme scolaire, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. Je me réjouis qu’un nombre croissant de collectivités s’engagent dans la promotion d’une bonne alimentation dans les restaurants scolaires.
Par ailleurs, nous devons renforcer les actions de repérage des enfants à risque par les médecins généralistes et les pédiatres. Nous avons entrepris une démarche de sensibilisation de ces professionnels à cette problématique.
Nous devons, enfin, organiser des prises en charge de proximité plus soutenues et mieux coordonnées.
Pour réussir, il faut démultiplier les lieux d’action, qu’il s’agisse du milieu scolaire, des lieux de travail ou des lieux de vie. Nous entendons aller vers une « labellisation » des actions menées par les collectivités et les entreprises, afin de garantir des obligations non seulement de moyens, mais aussi de résultats.
Cette démarche sera intégrée dans le projet de loi de santé publique qui sera présenté prochainement au Parlement. C’est un élément-clé de la stratégie nationale de santé voulue par le Gouvernement. La lutte contre l’obésité illustre la déclinaison de notre politique de santé, allant de la prévention jusqu’à l’accompagnement et au soin.
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre.
Vous pouvez compter sur notre engagement à vos côtés. Je partage particulièrement votre ambition d’agir auprès des jeunes dans le milieu scolaire. Aujourd’hui, de moins en moins d’enfants se rendent à l’école à pieds : même quand il n’y a que 500 mètres à parcourir, leurs parents les y emmènent en voiture !
ouverture d'une formation de maïeutique au sein de la faculté de médecine de saint-étienne
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent, auteur de la question n° 307, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Maurice Vincent. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le projet d’ouverture d’une formation de maïeutique au sein de la faculté de médecine de Saint-Étienne, seule ville universitaire de France à en être dépourvue.
Je souligne que l’absence d’une telle formation porte préjudice aux étudiants ligériens, souvent d’origine modeste. Ils sont contraints de payer un loyer pour se loger à Lyon ou à Bourg-en-Bresse, ce qui renforce les inégalités territoriales.
Le département de la Loire, je le souligne, accueille un nombre significatif de patientes venues des départements limitrophes de la région Auvergne, qui ne sont habituellement pas prises en compte dans les statistiques.
Le projet d’ouverture d’une formation à la profession de sage-femme, engagé dès 2006, vise à répondre à une situation devenue sensible : pyramide des âges défavorable, contexte réglementaire ayant élargi très significativement le champ de compétence des sages-femmes, diminution du nombre des gynécologues médicaux et des obstétriciens.
Ce projet, étudié de longue date, a fait l’objet d’un travail partenarial entre le CHU de Saint-Étienne, l’ordre des sages-femmes de la Loire, l’agglomération Saint-Étienne Métropole et la région Rhône-Alpes. Il s’est heurté jusqu’ici à l’existence d’un numerus clausus, pour l’accès à la deuxième année de formation au métier de sage-femme, de quatre-vingt-seize places pour l’ensemble de la région.
Sur un plan pédagogique et logistique, la formation pourrait être accueillie sans difficulté dans les locaux actuels de la faculté de médecine, puis, à partir de 2014, sur le pôle de santé devant être créé au nord de l’agglomération.
La région Rhône-Alpes soutient l’ouverture d’une telle formation à Saint-Étienne et s’est engagée à financer l’intégralité du coût de celle-ci, soit un montant de l’ordre de 500 000 euros par an, sous réserve qu’un arrêté ministériel autorise l’élargissement du numerus clausus afin de rendre la réalisation de ce projet possible.
Un accroissement du numerus clausus de quinze à vingt places permettrait de répondre aux besoins du territoire et serait conforme à l’esprit de la loi du 13 août 2004, qui a confié aux régions le soin de veiller à l’organisation et au financement des formations paramédicales.
Compte tenu de ces éléments, j’aimerais connaître les intentions du Gouvernement quant à l’ouverture d’une formation de maïeutique au sein de la faculté de médecine de Saint-Étienne. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez donner une réponse favorable à ma demande.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, vous appelez mon attention sur le projet, amorcé en 2006, de création d’une école de sages-femmes à Saint-Étienne. Ce projet, porté par l’ensemble des acteurs locaux, suppose que le numerus clausus soit accru de quinze à vingt places.
Le nombre d’étudiants admis en filière maïeutique est fixé chaque année par les ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, après consultation des autorités compétentes et en fonction de la démographie des femmes en âge de procréer, ainsi que de l’effectif et de l’âge des sages-femmes en exercice.
La région Rhône-Alpes connaît incontestablement un fort taux de naissances, puisqu’il s’élevait à 10 % en 2009. Dans le département de la Loire, le taux brut de natalité est de 12,3 % et l’indicateur conjoncturel de fécondité est également élevé, puisqu’il s’établit à 212 enfants pour 100 femmes âgées de 15 à 49 ans.
Au 1er janvier 2012, 12 % des effectifs de sages-femmes exerçaient en région Rhône-Alpes, soit 265 des 2 256 sages-femmes en activité en France métropolitaine. Cette densité de sages-femmes plutôt élevée classe la région Rhône-Alpes parmi les mieux dotées de France. Pour autant, il est exact que des différences existent au sein de la région : la densité de sages-femmes dans le département de la Loire est relativement forte, même si les perspectives en matière de départs à la retraite doivent nous alerter.
Actuellement, douze places de formation en maïeutique sont ouvertes pour les étudiants au concours de première année commune aux études de santé à l’université de Saint-Étienne, se répartissant entre l’école du centre hospitalier régional de Lyon et celle de Bourg-en-Bresse.
L’ouverture d’une formation de maïeutique à Saint-Étienne doit être étudiée en prenant en compte l’évolution de l’offre de soins en périnatalité et en pédiatrie, les perspectives offertes par les coopérations interprofessionnelles, ainsi qu’une meilleure répartition des formations sur les territoires en Rhône-Alpes.
Monsieur le sénateur, sans exclure a priori une augmentation du nombre de places offertes, je tiens à vous dire que l’ouverture d’une nouvelle formation en maïeutique à Saint-Étienne devra d’abord s’appuyer sur un redéploiement du numerus clausus sans altérer les conditions de formation au sein des écoles de Lyon et de Bourg-en-Bresse. Ce redéploiement me paraît possible ; nous devrions pouvoir travailler ensemble en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, même si elle ne me satisfait pas totalement compte tenu des difficultés que pose un redéploiement du numerus clausus entre les écoles.
J’insiste une nouvelle fois sur le fait que le département de la Loire accueille des patientes extérieures à la région Rhône-Alpes. L’influence exercée par l’agglomération stéphanoise sur les bassins de vie du Puy-en-Velay et de Monistrol-sur-Loire a une incidence sur l’activité de nos établissements de santé, qui doit aussi être prise en considération pour l’évaluation des besoins, outre les éléments que vous avez cités, madame le ministre.
Quoi qu’il en soit, je reste optimiste. Vous pouvez compter sur ma motivation pour faire avancer ce dossier, dans le sens d’une amélioration de la répartition de l’offre de formation, au bénéfice des étudiants stéphanois.
transfert d’une officine de pharmacie dans la commune de régusse (var)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la question n° 333, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je souhaiterais connaître votre sentiment sur les obstacles rencontrés par la commune de Régusse, dans le Var, pour obtenir l’implantation sur son territoire d’une pharmacie, dont la nécessité est évidente – en tout cas, je voudrais vous en persuader –, dans le cadre du transfert d’une officine.
Régusse, qui est la plus grande commune du canton de Taverne, lequel ne compte aucune pharmacie, connaît depuis longtemps, du fait de sa situation dans la zone d’influence de l’agglomération Marseille-Aix-en-Provence, une dynamique démographique exceptionnelle. Sa population est passée de 820 habitants en 1990 à 1 133 en 1999, puis à 1 729 habitants en 2008. À partir de cette date, la croissance s’accélère, la population atteignant 2 067 habitants au recensement de 2011, soit une augmentation de 19,5 % en trois ans. À ce rythme, la population permanente de Régusse dépassera 2 500 habitants en 2015, c’est-à-dire demain matin.
Si l’on ajoute que la proximité des gorges du Verdon et du lac de Sainte-Croix entraîne un triplement de la population du secteur en période estivale, on a un peu de peine à comprendre l’application sans nuance de l’article L. 5125-11 du code de la santé publique par l’agence régionale de santé, l’ARS, et le préfet du Var pour s’opposer au transfert d’une officine demandé par la commune de Régusse.
En conséquence, madame la ministre, je vous prie de bien vouloir m’indiquer si vous disposez d’une marge d’appréciation dans l’application de l’article L. 5125-11 du code de la santé publique, ouvrant la possibilité d’un nouvel examen de la demande de la commune de Régusse, et si, à défaut, vous envisagez, dans le cadre de la politique gouvernementale d’égalité des territoires, de prendre des dispositions permettant, dans les secteurs ruraux et périurbains, de donner un contenu autre que décoratif à l’article L. 1411-11 du code de la santé publique, qui dispose que « l’accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité, qui s’apprécie en termes de distance et de temps de parcours ».
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, je suis particulièrement attachée à garantir l’accès aux soins pour tous nos concitoyens, sur l’ensemble du territoire. À l’évidence, l’officine de pharmacie joue un rôle important à cet égard.
Aujourd'hui, de nouvelles perspectives sont offertes aux pharmaciens d’officine : nous avons la volonté de leur permettre de répondre aux préoccupations et aux attentes de la population française. Cela se traduira par l’attribution de missions nouvelles identifiées comme telles, notamment en matière de conseil, qui seront rémunérées. L’officine de pharmacie est donc un acteur à part entière de notre système de soins.
En matière d’implantation d’officines, des règles sont fixées au niveau législatif. Elles sont appliquées de façon claire et stricte. La France bénéficie incontestablement d’une des plus fortes densités officinales d’Europe. Même si nous sommes attachés à cette spécificité, nous devons veiller à ce que les pharmacies puissent conserver une taille suffisante, qui leur permette à la fois de développer de nouveaux services à la population et de maintenir un équilibre économique.
Actuellement, le dispositif législatif autorise l’implantation d’une pharmacie dans une commune de moins de 2500 habitants qui en est dépourvue dans deux cas seulement : soit par voie de transfert, afin de favoriser le rééquilibrage du réseau officinal, soit lorsqu’une pharmacie a cessé définitivement son activité, en vue de préserver la desserte en médicaments des populations concernées.
Cette législation a permis un maillage du territoire très homogène. Aujourd'hui, il n’y a pas de déserts officinaux dans notre pays, alors que nous sommes confrontés au risque de voir apparaître des déserts médicaux.
En application de cette législation, une autorisation d’ouverture d’une pharmacie dans la commune de Régusse serait illégale et susceptible d’un recours contentieux, qui ne manquerait pas d’être formé.
Cependant, au regard de l’évolution démographique très rapide de cette commune, le seuil des 2 500 habitants devrait être atteint très prochainement : l’ouverture d’une pharmacie pourrait alors être envisagée de manière tout à fait différente. Vous le voyez, monsieur le sénateur, des perspectives sont ouvertes à ce titre pour la commune de Régusse, compte tenu de son dynamisme démographique.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, j’ai un peu de mal à comprendre votre réponse. Vous dites que l’implantation d’une officine est possible en cas de transfert, or c’est bien de cela qu’il s’agit en l’occurrence ! Pourtant, vous concluez qu’il faut attendre… Le pharmacien qui est disposé à venir n’attendra pas trois, quatre ou cinq ans !
Je voudrais aussi vous faire observer que l’article L. 5125-11 du code de la santé publique a été durci il y a quelques années : dans sa rédaction antérieure, il était tenu compte, pour autoriser l’implantation d’une pharmacie, non pas de la population de la commune, mais de celle de la zone de chalandise, en l’espèce un canton entier.
Je constate donc que vous m’opposez une fin de non-recevoir. J’en ai d'ailleurs l’habitude : à propos du dossier, tout aussi important, de la maternité de La Seyne-sur-Mer, dont je vous avais saisie précédemment, vous vous étiez contentée de suivre l’avis de l’ARS. Comme le dit la chanson, « à quoi bon assurément changer de gouvernement » !
compétences respectives du maire et du préfet en matière de lutte contre l’insalubrité pour les communes de moins de 20 000 habitants
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, auteur de la question n° 221, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, ma question concerne les compétences respectives du maire et du préfet en matière de lutte contre l’insalubrité. En particulier, quelle est l’autorité compétente pour instruire les signalements d’insalubrité ? C’est un sujet récurrent de débat entre les collectivités et les services déconcentrés de l’État, notamment pour le cas des communes de moins de 20 000 habitants, qui ne disposent en général ni d’un service communal d’hygiène et de santé, un SCHS, ni d’un inspecteur de salubrité : quel est alors le service compétent, communal ou étatique, pour effectuer la « première visite » d’un logement suspecté d’insalubrité ?
Nombre de ces communes se heurtent à un refus persistant de la part des services des agences régionales de santé d’instruire les plaintes d’insalubrité que les administrés leur transmettent. Pourtant, la liste exhaustive des services communaux d’hygiène et de santé subventionnés a été arrêtée par l’État au début des années quatre-vingt et n’a pas été amendée depuis. Or les villes de moins de 20 000 habitants ne sont pas éligibles à ces aides et n’ont donc pas les moyens d’effectuer la démarche que les services de l’État leur demandent d’assumer.
Malgré cela, certaines préfectures et agences régionales de santé estiment qu’il ne leur revient pas de procéder à la première visite, arguant des pouvoirs généraux de police du maire définis à l’article L. 2212 du code général des collectivités territoriales et des pouvoirs conférés par l’article L. 421-4 du code de la santé publique. En d’autres termes, les ARS attendent des communes que leurs services procèdent eux-mêmes aux premières visites, l’État prenant ensuite le relais.
Cela est logique pour les grandes villes. En revanche, pour les communes de moins de 20 000 habitants, qui ne disposent pas des moyens humains ou financiers nécessaires à l’exécution de ces missions, cette situation pose de véritables difficultés.
En outre, les articles L. 1331-26 et L. 1331-28 du code de la santé publique prévoient expressément que les services sanitaires et sociaux de l’État établissent le rapport motivé sur l’insalubrité d’un immeuble signalé. Le préfet, pour sa part, une fois saisi de ce rapport, a compétence pour consulter la commission départementale.
Cette interprétation a d’ailleurs été confirmée par un arrêt de principe « Ministre du travail, de l’emploi et de la santé contre commune de Rodez » du Conseil d’État en date du 14 novembre 2011. Le Conseil d’État a clairement condamné, à cette occasion, certaines pratiques locales consistant, pour les services déconcentrés, à demander au maire d’intervenir lors de la première visite d’un logement suspecté d’insalubrité, aux fins de filtrer les signalements. Dans cette décision, la haute juridiction administrative a également posé le principe selon lequel il appartient aux services préfectoraux d’effectuer la première visite d’un logement concerné par une plainte pour insalubrité. Certains services de l’État persistent néanmoins à demander aux communes de moins de 20 000 habitants d’accomplir cette mission à leur place.
Madame la ministre, au regard de cette difficulté, pouvez-vous clarifier les compétences respectives des services de la préfecture et des services municipaux en matière de lutte contre l’insalubrité dans le cas des villes de moins de 20 000 habitants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, il revient effectivement au maire de contrôler l’application du règlement sanitaire départemental, qui comporte les règles d’hygiène de l’habitat. Il lui appartient donc d’intervenir pour constater une éventuelle infraction à cette réglementation et pour mettre en demeure la personne concernée de se conformer à celle-ci.
En effet, les maires sont chargés de veiller au respect des règles de salubrité sur le territoire de la commune, en vertu de leurs pouvoirs généraux de police, d’une part, et de leurs pouvoirs de contrôle administratif et technique des règles générales d’hygiène applicables aux habitations et à leurs abords, d’autre part.
En complément, les services de l’État sont tenus de mettre en œuvre la procédure visant à mettre fin à des situations d’insalubrité dans des logements présentant un danger pour la santé des occupants ou des voisins.
La loi a prévu la procédure suivante.
Le directeur général de l’agence régionale de santé ou le directeur du service communal d’hygiène et de sécurité doit établir un rapport motivé sur l’état du logement. Le préfet prescrit alors les mesures proposées par la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques qui est saisie du dossier : réalisation de travaux ou interdiction définitive d’habiter.
On distingue donc deux situations différentes en fonction de la situation du logement, avec une graduation des mesures coercitives : le maire intervient pour de simples infractions au règlement sanitaire départemental ou en cas de manque d’hygiène ; le préfet et l’agence régionale de santé interviennent en cas de désordres plus importants conduisant à une situation d’insalubrité.
Quelle que soit la commune, il revient au préfet de prescrire les mesures propres à remédier à l’insalubrité d’un immeuble. Pour les communes de moins de 20 000 habitants ne disposant pas d’un SCHS, c’est l’agence régionale de santé qui établit le rapport constatant l’insalubrité.
S’agissant des plaintes ou des signalements reçus ne faisant pas mention d’insalubrité, les maires restent compétents pour intervenir et mener une visite du logement. Si, lors de cette visite, une insalubrité est constatée, il revient au maire de transmettre à l’agence régionale de santé ou au préfet le dossier, qui relève alors de la compétence de l’État.
La situation, je le comprends, monsieur le sénateur, peut paraître compliquée. Tout l’enjeu est de parvenir à caractériser les situations en amont, afin de déterminer si elles relèvent de mesures d’hygiène, la mairie étant alors compétente, ou de mesures de salubrité et de santé, incombant à l’État.
Mon ministère travaille donc actuellement à l’élaboration d’un formulaire qui pourra être complété par le plaignant ou, en cas de visite de la municipalité, par le maire ou l’adjoint délégué sur place, et qui permettra de déterminer si les situations relèvent de la compétence de la municipalité ou de celle de l’agence régionale de santé.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, vous en conviendrez, le distinguo que vous avez établi suppose que l’on puisse déterminer, lors de la première visite, dans quel cas on se situe. Cependant, il est nécessaire que ce soit un agent spécialement formé à cette fin qui établisse le diagnostic, car je ne crois pas que le maire soit en mesure de déterminer lui-même s’il s’agit d’une situation grave d’insalubrité ou d’un simple problème d’hygiène.
Je voudrais insister sur le cas des petites villes, et particulièrement de celles qui comptent un grand nombre de logements insalubres, construits par exemple dans les années trente. Il faudrait donner des consignes de souplesse aux services de l’État, car il arrive parfois que les agences régionales de santé renvoient les plaignants vers la commune, qui est quelque peu démunie pour faire face à ce type de situations. La régionalisation d'un certain nombre de services de l'État se traduit quelquefois par une perte de proximité avec les territoires ; trop souvent, les plaignants sont renvoyés vers le maire. Il en est ainsi dans ma commune, Le Bourget, en Seine-Saint-Denis, qui compte un important parc de logements insalubres : confrontés à la rigueur et à la longueur des procédures, nous ne pouvons traiter tous les problèmes.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, dans l’attente de l’arrivée de Mme la garde des sceaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-cinq.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 205, transmise à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Richard Yung. Ma question est relative aux conditions d'accès aux actes d'état civil, en particulier aux actes de naissance.
Je souhaite attirer votre attention, madame la garde des sceaux, sur un problème qui, certes, ne met pas en péril la République, mais fait partie des petites nuisances de la vie courante dont on doit se préoccuper.
Désormais, il est possible de demander un extrait ou une copie intégrale d’acte de naissance en ligne, sur un site internet dédié, très bien conçu. Le document est ensuite envoyé par courrier au domicile du demandeur. Cela est très satisfaisant pour les administrés et permet de plus de soulager les services de l’état civil.
Toutefois, lorsque j’ai voulu recourir à ce service, la mairie de ma commune de naissance m’a informé qu’elle enverrait l’acte demandé non pas à mon domicile, mais à la mairie du lieu de résidence, au motif qu'il s’agit ainsi d’éviter la fraude.
J’ai donc dû me rendre à deux reprises à la mairie du XIVe arrondissement de Paris, l’extrait d’acte de naissance n'étant pas encore arrivé la première fois où je me suis déplacé…
Je tenais à attirer votre attention sur ce sujet. À une époque où l’on développe toujours davantage l'administration électronique, il s’agit là d’une sorte de régression. En effet, hormis certains cas bien particuliers, il devrait être possible de faire plus simple et plus rapide pour les usagers.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon retard. Je croyais pourtant être en avance, mais le Sénat travaille plus vite que l’on a coutume de le dire ! (Sourires.)
Monsieur Yung, je partage votre souci de voir l'administration faciliter les démarches des usagers. Si la démocratie se laisse rogner par la bureaucratie, non seulement nos concitoyens seront mécontents, mais surtout notre service public, à l’échelon tant de l’État que des collectivités locales, perdra de son crédit.
Je rappelle que, aux termes du décret du 3 août 1962, il est possible de demander l’envoi par la poste d’un extrait ou d’une copie intégrale d'acte d'état civil. Si cette demande peut désormais être adressée sous forme dématérialisée, il n’en va pas de même pour le document envoyé par l'administration, car seuls les copies intégrales et extraits d’actes délivrés sous format papier ont valeur d’acte authentique. L’administration a l’obligation, pour éviter les usurpations d'identité ou les fraudes, de vérifier l'identité du demandeur, mais c'est à l’officier d'état civil qu’il revient de le faire, au moment où il traite la demande. Une fois qu'il s'est acquitté de cette tâche, il doit envoyer le document à l'adresse indiquée par le demandeur : il n'existe aucun fondement juridique justifiant qu’il soit envoyé à la mairie du lieu de résidence, permanente ou provisoire.
Je profite de cette occasion pour vous signaler qu’a été lancé, sur la base du décret de février 2011, le projet COMEDEC, qui doit permettre à des tiers de procéder à la vérification des données relatives à l’état civil du demandeur directement auprès de l’officier de l'état civil détenteur de l’acte. Ainsi, lorsqu'un usager effectuera une démarche requérant la preuve de son état civil auprès d'une personne morale, qu’il s’agisse d’une administration, d’un établissement assimilé à une administration ou d’un notaire, cette dernière pourra vérifier, via un processus dématérialisé, l’exactitude des informations fournies. L’expérimentation est actuellement en cours en Seine-et-Marne ; elle devra faire l’objet d’une évaluation, avant d’être éventuellement généralisée en 2015.
Nous sommes donc engagés dans une démarche visant à faciliter la vie des citoyens, tout en maintenant un niveau élevé de sécurité.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la ministre, je me réjouis de cette réponse positive.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-deux, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
concurrence de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur du btp
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, auteur de la question n° 327, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les graves problèmes posés par les pratiques de sous-traitance en cascade impliquant des entreprises étrangères, en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, ainsi que dans celui du transport routier de marchandises.
Le principe de la liberté de prestation de services inscrit à l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne a permis le développement des interventions sur le sol français d’entreprises étrangères et de leurs salariés.
Afin d’encourager l’exercice du principe de la liberté de prestation de services dans un cadre bien défini, de garantir une concurrence loyale entre les entreprises et de mieux protéger les travailleurs, les États membres de l’Union et le Parlement européen ont adopté, le 16 décembre 1996, la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
Malheureusement, au mépris complet de cette directive, de véritables réseaux ont été organisés afin d’offrir à des entreprises françaises une main-d’œuvre à bas coût. Une telle pratique bafoue les droits élémentaires normalement garantis par la législation, tant européenne que française, en matière de détachement de travailleurs étrangers.
En conséquence, de nombreux salariés travaillent sur le territoire français tout en étant soumis à un contrat de travail conclu dans leur pays d’origine et ne respectant pas les minima sociaux imposés par la législation française et les conventions collectives étendues.
Je peux citer, à cet égard, l’exemple d’un grand chantier du centre-ville de Clermont-Ferrand, où les activités de ferraillage ont été sous-traitées à des entreprises spécialisées dans le dumping social qui emploient des Africains ayant fui la misère de leur pays en transitant, le plus souvent, par le Portugal. Des ouvriers polonais travaillent aussi sur ce chantier.
En 2012, l’une de ces entreprises a été placée en redressement judiciaire, et les personnels intérimaires n’ont pas été payés pendant trois mois. En fait, les salariés sont rémunérés à la tonne de ferraille posée. En cas d’intempéries, ils ne sont donc plus payés… Aucune qualification n’est reconnue et les déplacements sont très faiblement indemnisés.
Cette situation porte préjudice à l’ensemble des travailleurs du secteur du bâtiment. Elle est difficilement supportable pour les salariés soumis aux règles de droit françaises, qui se sentent mis en concurrence, dans leurs entreprises, avec ces travailleurs à bas coût, au mépris des règles du détachement fixées par la directive européenne précédemment citée.
De telles dérives ne devraient pas exister. Plusieurs mesures sont nécessaires pour remédier à cette situation : il convient, en particulier, d’assurer la transparence sociale par la mise à disposition des fiches de paie et des contrats des salariés employés sur un chantier, et de vérifier le respect des règles légales et conventionnelles pour tous les salariés employés en sous-traitance ou en intérim.
Monsieur le ministre, ces pratiques, qui nuisent aux professions concernées, sont créatrices de chômage et ne respectent pas l’être humain. Je compte sur le Gouvernement pour les faire cesser.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le président, je vous prie tout d’abord d’excuser mon retard : de fortes chutes de neige ont immobilisé de longues heures le TGV qui m’amenait à Paris !
M. le président. Vous n’êtes pas en retard, monsieur le ministre, c’est nous qui avons pris de l’avance !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, l’intervention d’entreprises prestataires procédant à des détachements de salariés dans notre pays s’est développée au cours de ces dernières années. Selon la dernière étude disponible sur le sujet, en 2011, le nombre de déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France s’est élevé à 45 000 et celui des salariés détachés à 145 000. Ces niveaux n’avaient jamais été atteints auparavant. Le secteur du BTP est le premier concerné. S’il ne s’agit pas de procéder à des généralisations, il est à souligner qu’un certain nombre de ces opérations sont à l’origine de difficultés d’application de notre réglementation du travail et faussent la concurrence entre les entreprises. Une partie de ces dérives sont liées à des pratiques de sous-traitance en cascade ou, parfois, au recours à l’intérim.
Le code du travail encadre pourtant les conditions d’intervention en France des entreprises établies hors de notre pays, conformément aux dispositions de la directive européenne du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Les entreprises étrangères sont ainsi tenues de respecter certaines règles françaises en matière de conditions de travail et d’emploi, notamment celles qui sont relatives à la rémunération, à la durée du travail, à la santé et aux règles de sécurité au travail. Elles doivent transmettre une déclaration préalable au détachement à l’inspection du travail concernée. Des obligations visent également le donneur d’ordres, qui doit se faire remettre par l’entreprise étrangère des documents préalablement à la conclusion de la prestation. Sa responsabilité solidaire peut être engagée.
Le Gouvernement, qui attache, comme vous, monsieur le sénateur, une grande importance à cette question, a présenté, conformément à la feuille de route de la grande conférence sociale de juillet 2012, un plan national de lutte contre le travail illégal. Il a été adopté le 27 novembre dernier, sous la présidence du Premier ministre, devant la commission nationale de lutte contre le travail illégal.
Ce plan pluriannuel, qui couvre la période 2013-2015, a défini des priorités pour concentrer les actions sur les secteurs et les situations les plus problématiques : travail dissimulé, sous-traitance en cascade, prestations de services internationales, faux statuts, emploi d’étrangers sans papiers. Il vise particulièrement les opérations complexes ou les fraudes organisées. Ce plan, qui tend à renforcer les actions de contrôle coordonnées entre les différents services pour accroître leur efficacité, met l’accent sur la coopération entre les services de contrôle, la formation de leurs agents, la constitution de véritables réseaux, à l’échelon tant national que territorial.
Le plan pluriannuel permettra aussi de développer les actions de prévention en direction des principaux acteurs économiques : branches, entreprises, salariés, donneurs d’ordres. Dans ce dessein, des conventions de partenariat vont être conclues avec les partenaires sociaux des principaux secteurs concernés et l’État. Ce plan sera décliné dans chaque région et chaque département. Préfets et procureurs devront, dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude, les CODAF, élaborer et mettre en œuvre un plan d’action adapté à leur territoire. Le secteur du BTP, qui est l’un des secteurs prioritaires, sera particulièrement suivi.
Au-delà, notre action doit s’inscrire dans un cadre européen. Nous avons établi des relations avec plusieurs pays européens, par la constitution de bureaux de liaison ayant pour objet de faciliter les contrôles. La Commission européenne a adopté, le 21 mars 2012, une proposition de directive visant à renforcer l’effectivité de la mise en œuvre de la directive de 1996. Ce texte a pour objet de permettre une information plus précise et plus accessible des acteurs du détachement, ainsi que de faciliter le contrôle et la sanction des entreprises qui ne respectent pas les droits des salariés détachés et les règles encadrant la prestation de services transnationale. Michel Sapin, qui, retenu ce matin à l’Assemblée nationale, vous prie de bien vouloir excuser son absence, veillera activement à ce que le contenu de cette proposition de directive permette de lutter efficacement contre les fraudes et les abus.
Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse qui montre que le Gouvernement se préoccupe de cette question souvent soulevée lors de nos rencontres avec les professionnels du bâtiment et des travaux publics, les responsables d’entreprises ou d’organisations professionnelles. Dans le secteur du BTP, mais aussi dans celui du transport, on s’inquiète du développement d’une concurrence déloyale difficile à mettre en évidence, les services de l’État manquant de moyens pour effectuer les contrôles. Or ceux-ci sont nécessaires à la fois pour assurer la justice et pour éviter un préjudice économique à nos entreprises, qui, elles, respectent les règles.
situation des agents de la direccte à nancy
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question n° 208, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Daniel Reiner. Je souhaite, par cette question, attirer l’attention de M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur ce que le personnel concerné désigne comme une « menace de fermeture des services régionaux de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi implantés à Nancy ».
Lors du comité technique régional qui s’est tenu le 11 septembre 2012, le préfet de région a annoncé à la directrice de la DIRECCTE Lorraine que « la réflexion sur la rationalisation des services de l’État se poursuivait. »
Une réunion interministérielle a été organisée le 14 septembre suivant, à Paris, pour faire le point sur le contrat de redynamisation du site de défense de Metz, fortement touché par les restructurations militaires. Aurait alors été évoqué, sinon validé, le déménagement à Metz des services régionaux de la DIRECCTE implantés aujourd’hui à Nancy.
Depuis la mise en place de la DIRECCTE, en février 2010, la structure régionale lorraine est localisée à la fois à Nancy et à Metz, selon une répartition équilibrée des services. Cette répartition permet notamment d’assurer une bonne couverture géographique de la région, en particulier des départements des Vosges et de la Meuse, dont la situation économique est très fragile. Cette organisation bipolaire, fruit de l’histoire administrative de la région Lorraine, sur laquelle je pourrais être intarissable, donne d’ailleurs pleine satisfaction aujourd’hui et n’a jamais, depuis 2010, posé la moindre difficulté ni occasionné de dépenses supplémentaires, bien au contraire.
En outre, les agents nancéiens de la DIRECCTE, dont la moyenne d’âge est de 45 ans, ont évidemment organisé leur vie professionnelle, familiale et sociale dans l’agglomération de Nancy. Le déménagement de leurs bureaux à Metz ne ferait qu’engendrer de la gêne et de la fatigue, ainsi que des coûts supplémentaires.
Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous puissiez me confirmer le maintien de l’actuelle répartition des services régionaux de la DIRECCTE Lorraine entre Metz et Nancy.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le sénateur, la DIRRECTE Lorraine a été créée en février 2010 pour regrouper six services administratifs provenant du ministère du travail et de l’emploi et du ministère de l’économie : les anciennes directions régionales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, les DRTEFP, les directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle et l’inspection du travail, les DDTEFPI, la partie des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, les DRIRE, compétente pour le développement économique, les anciennes directions régionales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les DRCCRF, les anciennes directions régionales du commerce et l’artisanat et du tourisme et les services de coordination de l’intelligence économique.
La DIRRECTE comprend une unité centrale, ou régionale, et une unité territoriale dans chacun des départements de la région. Pour des raisons liées au particularisme régional et à l’histoire des services ayant composé la DIRRECTE Lorraine, l’unité centrale de cette dernière est répartie entre deux sites : celui de Metz, qui compte cinquante-sept agents, regroupe des services du pôle Entreprise-économie-emploi, du pôle Concurrence et du secrétariat général ; celui de Nancy, qui compte soixante et un agents, rassemble des services du pôle Travail, du pôle Entreprise-économie-emploi et du secrétariat général.
La possibilité de regrouper l’ensemble des services de l’unité centrale et ceux de l’unité territoriale de Moselle sur un nouveau site à Metz a effectivement été étudiée. L’affectation à cette fin de locaux de l’ancienne gare impériale située à proximité de l’actuelle gare SNCF a été envisagée.
En première analyse, ce scénario présentait plusieurs avantages.
En premier lieu, il permettait de faciliter les relations, les synergies et les modes de coopération entre services réunis sur un même site : les services du pôle Entreprise-économie-emploi et ceux du secrétariat général, actuellement répartis entre deux sites, les services régionaux du développement économique et ceux de l’emploi, dont le rapprochement est un axe majeur de coopération au sein des DIRRECTE. Ce scénario permettait aussi de rendre plus aisées les relations entre tous les pôles réunis dans un même local et de mutualiser une partie des fonctions supports de l’unité régionale et de l’unité territoriale.
En second lieu, la mise en œuvre du projet de relogement de l’ensemble des services régionaux et de l’unité territoriale à Metz dans des locaux appartenant à l’État aurait contribué à une réduction des coûts d’occupation.
Après avoir analysé l’ensemble des paramètres, Michel Sapin a proposé au préfet de ne pas retenir ce projet de regroupement à Metz pour les prochaines années. D’une part, les services de la DIRECCTE ont su mettre en place des modes de coopération qui lui permettent de fonctionner de façon satisfaisante sur les deux sites de Nancy et de Metz. D’autre part, la mise en œuvre de ce projet aurait eu, comme vous l’avez indiqué, des conséquences sociales importantes pour les agents concernés, qui auraient pu conduire à une déstabilisation des services de la DIRECCTE, ce que nous n’avons pas voulu dans le contexte économique et social que nous connaissons.
J’espère que cette réponse aura répondu à vos attentes, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse, dont je ferai part aux personnels concernés.
J’ai bien noté qu’il n’y aurait pas a priori de modification de la situation actuelle au cours des prochaines années. Il n’est pas possible, bien sûr, de s’engager pour l’éternité. Cela étant, j’observe qu’il n’est nullement garanti que le regroupement des services sur un seul site soit un facteur d’amélioration de l’efficacité, étant donné la géographie de la région, ni une source d’économies.
En tant que parlementaire meurthe-et-mosellan, je suis particulièrement attaché à ce que des services administratifs restent implantés à Nancy. On peut comprendre que l’idée d’un regroupement ait jailli dans un bureau parisien, mais la réalité locale montre que, en définitive, le système fonctionne très bien et de façon assez économique dans sa configuration actuelle.
accès des détenus et anciens détenus à la protection sociale
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 344, adressée à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Mme Aline Archimbaud. Actuellement, le travail réalisé en prison n’ouvre aucun droit à l’assurance chômage. Cette situation compromet singulièrement la réinsertion des sortants.
Pour ce qui est de l’assurance vieillesse, aux termes de l’article 94 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, « le Gouvernement remet, au plus tard le 30 juin 2011, aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, un rapport portant sur l’assimilation des périodes de travail en détention à des périodes de cotisation à part entière ».
À ce jour, la situation des personnes incarcérées au regard de la retraite reste éminemment problématique. En l’absence d’un mode de calcul spécifique, la validation des semestres de cotisation est particulièrement difficile en prison et les montants des pensions sont très bas, puisqu’ils s’établissent à quelques dizaines d’euros seulement.
En vertu de l’article R. 381-105 du code de la sécurité sociale, seuls les détenus travaillant au service général sont en mesure de valider leurs semestres de cotisation sur la base du temps de travail, plutôt que sur celle de la rémunération. Ce principe n’est d’ailleurs pas systématiquement appliqué par la Caisse nationale d’assurance vieillesse. L’élargissement de ce régime à tous les détenus ayant accès au travail serait un premier pas, même s’il n’apporterait pas de réponse à la situation des nombreux détenus privés de toute possibilité de travailler ou n’accédant au travail que de façon fugace et épisodique.
Une réflexion plus approfondie sur les moyens de faire progresser l’accès à la protection sociale des personnes passées par la prison semble, à ce titre, nécessaire et urgente. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, connaître l’état des travaux et réflexions menés sur ce sujet au sein du ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Madame la sénatrice, votre question est en fait double puisqu’elle recoupe, à la fois, le champ de compétence du ministère du travail et celui du ministère des affaires sociales et de la santé. Cependant, je vais tenter de vous apporter une réponse satisfaisante sur ces deux aspects.
Comme vous le savez, la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 a supprimé l’obligation de travailler pour les détenus : seuls ceux qui le souhaitent peuvent exercer une activité de travail pénitentiaire ou une activité de formation professionnelle.
Ainsi, le travail effectué en prison ne faisant pas l’objet d’un contrat de travail, notamment en raison de l’absence de lien de subordination entre l’administration pénitentiaire et le détenu, il n’ouvre pas droit à l’assurance chômage. En application de l’article 1er du règlement général annexé à la convention d’assurance chômage du 6 mai 2011, seules les personnes liées par un contrat de travail peuvent être affiliées à l’assurance chômage.
Toutefois, il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l’extérieur des établissements pénitentiaires. Un certain nombre de détenus travaillent en effet dans ces conditions quelques heures par jour. Ces périodes d’activité constituent des périodes d’affiliation au sens de l’article 3 du règlement général, permettant d’ouvrir droit à l’assurance chômage. Il convient donc de distinguer les détenus qui exercent une activité à l’extérieur des établissements pénitentiaires de ceux qui travaillent alors qu’ils exécutent leur peine sans sortir de prison.
Cependant, justement pour pallier cette absence de droit à l’assurance chômage, les détenus libérés peuvent, lorsque la durée de leur détention a été supérieure ou égale à deux mois, bénéficier de l’allocation temporaire d’attente, en application de l’article R. 5423-21 du code du travail, pendant une durée maximale de douze mois.
L’allocation temporaire d’attente est versée aux personnes inscrites comme demandeurs d’emploi, sans que leurs ressources puissent excéder un plafond équivalent au RSA. Le montant de l’allocation, revalorisé chaque année, est au 1er janvier 2013 de 336 euros par mois.
En matière d’assurance vieillesse, il convient là aussi de distinguer la situation des détenus employés au service général de l’administration pénitentiaire de celle des détenus occupés à des activités de production.
Les détenus occupés au service général valident des droits à retraite sur la base d’une assiette forfaitaire leur permettant de valider un trimestre d’assurance en trois mois d’activité sur l’année civile. Les cotisations sont prélevées au taux de droit commun et intégralement prises en charge par l’administration.
Les détenus occupés à une activité de production, pour le compte d’entreprises concessionnaires, du service de l’emploi pénitentiaire ou de la régie industrielle des établissements pénitentiaires, cotisent quant à eux dans les conditions de droit commun, à hauteur de la rémunération qu’ils ont réellement perçue. Cette rémunération est dérogatoire en matière de droit du travail, son minimum étant fixé à 45 % du SMIC. En outre, les détenus exercent souvent une activité à temps partiel : les cotisations, prélevées dans les conditions de droit commun, sont dans ce cas assises sur des montants de rémunération faibles.
La situation actuelle conduit donc à ce que certains détenus valident de faibles droits à l’assurance retraite. Vous proposez d’étendre le mécanisme d’assiette forfaitaire appliqué aux détenus employés au service général aux détenus occupés à une activité de production : cette piste de réflexion méritera d’être explorée lors du rendez-vous sur les retraites de 2013 et pourra notamment être soumise aux partenaires sociaux dans le cadre du processus de concertation que le Gouvernement a décidé d’engager au cours des prochains mois.
Je vous incite également à examiner le contenu du projet de loi de décentralisation que présentera bientôt ma collègue Marylise Lebranchu et qui comportera une quinzaine d’articles relatifs à la formation professionnelle. En effet, il importe que les détenus mettent à profit le temps de leur détention pour se former. Nous généraliserons sans doute les expérimentations confiant aux régions Pays-de-la-Loire et Aquitaine la formation professionnelle des détenus, car elles ont permis des avancées considérables.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la réponse précise que vous m’avez apportée. L’idée consistant à étendre à l’ensemble des détenus exerçant une activité le régime appliqué à ceux qui sont employés au service général mérite d’être approfondie. Par ailleurs, je prends bonne note du fait que les expérimentations visant à confier aux régions la formation professionnelle des détenus semblent donner des résultats encourageants.
Toutes ces questions sont sensibles, en particulier celle des droits à retraite des personnes ayant travaillé en détention, sachant que les montants des pensions obtenues sont extrêmement faibles. La question fondamentale, éminemment républicaine, est la suivante : comment préparer la réinsertion des détenus ?
assurance chômage des français ayant travaillé dans un autre pays de l'union européenne
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la question n° 244, adressée à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur l’accès à l’assurance chômage pour les Français ayant travaillé dans un autre pays de l’Union européenne.
Selon les derniers chiffres de l’INSEE, publiés jeudi dernier, 10,2 % de la population active était au chômage en France métropolitaine au quatrième trimestre de 2012. Un tel niveau n’avait pas été atteint depuis le printemps 1999. Même durant la crise des années 2008 et 2009, le taux de chômage n’avait pas franchi ce seuil.
Les jeunes sont les plus touchés. Plus d’un quart d’entre eux sont aujourd’hui au chômage. D’après un sondage Deloitte-IFOP publié il y a deux semaines, 27 % des jeunes diplômés cherchant un travail pensent que leur avenir professionnel se situe à l’étranger plutôt qu’en France. Bien souvent, ceux qui partent bénéficient non pas de contrats mirifiques, mais plutôt de contrats de volontariat international en entreprise ou de contrats locaux.
Dans ce contexte, nous sommes confrontés à deux impératifs : d’une part, favoriser la mobilité professionnelle, en particulier celle des jeunes ; d’autre part, assurer un filet social minimal à ces professionnels s’ils reviennent en France après avoir perdu leur emploi à l’étranger. Ces deux objectifs sont bien évidemment liés, puisqu’il est plus facile de partir lorsque l’on sait qu’une sécurité minimale est assurée au retour.
Faciliter la mobilité professionnelle est l’un des objectifs de l’Union européenne. Le principe de la libre circulation des personnes et celui de la non-discrimination du fait de la nationalité autorisent un individu à conserver ses droits aux allocations de chômage acquis dans un pays de l’Espace économique européen et à les faire valoir dans un autre pays.
Les règlements communautaires nos 883/2004 et 987/2009 visent à concrétiser ces droits en améliorant la coordination des systèmes d’assurance chômage. La législation européenne dispose ainsi que les périodes d’activité accomplies dans un autre État de l’Espace économique européen doivent être prises en compte par l’État de résidence pour le calcul des périodes d’emploi ouvrant droit à l’octroi de prestations.
Pourtant, un Français rentrant en France après avoir travaillé dans un autre État de l’Espace économique européen ou en Suisse et y ayant donc cotisé à l’assurance chômage semble ne pouvoir prétendre à une allocation chômage qu’à condition de pouvoir justifier d’une période minimale d’activité salariée sur le sol français postérieure à l’activité exercée à l’étranger. S’il ne satisfait pas à cette exigence, le demandeur d’emploi ne peut bénéficier, sous conditions, que d’une allocation forfaitaire : l’allocation temporaire d’attente. Seuls les travailleurs frontaliers bénéficient de dispositions particulières permettant de déroger à cette règle.
Monsieur le ministre, cette exigence française de justification d’une durée minimale de travail en France postérieure à l’activité exercée à l’étranger est-elle bien conforme au droit européen ?
Par ailleurs, le calcul du montant de l’allocation versée par Pôle emploi est établi sur la base des seules rémunérations perçues en France après le retour d’expatriation dans un autre pays de l’Espace économique européen. De ce fait, les rémunérations perçues au titre d’une activité exercée dans un autre État de l’Espace économique européen ne sont prises en compte que pour déterminer la durée des droits à l’allocation chômage, et non pour le calcul du montant de celle-ci, ce qui peut être fortement pénalisant pour les personnes de retour d’expatriation. Ne serait-il pas envisageable de modifier cette disposition afin de favoriser la réinsertion en France des personnes ayant travaillé ailleurs en Europe et d’encourager ainsi nos chercheurs d’emploi à tenter leur chance dans d’autres pays de l’Union européenne, puisqu’ils sauront alors qu’ils bénéficieront d’un filet de sécurité à leur retour ?
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur la nécessité d’une meilleure information des travailleurs quant aux conséquences d’une expatriation sur leurs droits en matière d’indemnisation du chômage. Un salarié ayant travaillé sous contrat local dans un autre pays européen ne pourra bénéficier d’une indemnité chômage en France que si la cessation de son contrat répond à certains critères, variables d’un pays à l’autre, et s’il respecte un certain nombre de procédures. Monsieur le ministre, le Gouvernement pourrait-il prendre des mesures pour améliorer l’information de ces salariés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Madame la sénatrice, les règles communautaires de coordination de sécurité sociale permettent de garantir et de faciliter la libre circulation des travailleurs salariés, même si, nous en sommes tous conscients, il reste encore des améliorations à apporter.
Ainsi, l’article 51 du traité de Rome prévoit les mesures nécessaires pour faciliter la libre circulation des travailleurs, en instituant notamment, pour l’ouverture, le calcul et le maintien des droits aux prestations, un système de totalisation des périodes prises en considération par les différentes législations nationales.
La mise en œuvre du principe de totalisation est alors subordonnée à la condition que l’intéressé ait accompli, en dernier lieu, soit des périodes d’assurance, soit des périodes d’emploi dans l’État où les prestations sont sollicitées. En conséquence, pour pouvoir prétendre aux allocations du régime d’assurance chômage français, l’intéressé doit, avant de s’inscrire comme demandeur d’emploi, avoir retravaillé en France.
Par ailleurs, le règlement européen n° 883-2004 modifié et son règlement d’application n° 987-2009 ont instauré, depuis le 1er mai 2010, de nouvelles règles relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale des États membres.
S’agissant plus particulièrement des règles relatives à l’assurance chômage, l’une des principales modifications apportées par ces nouveaux règlements concerne la suppression d’un salaire d’équivalence pour les personnes ayant travaillé moins de quatre semaines à leur retour en France. C’est sur la base de ce salaire, déterminé par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, en référence au salaire versé pour un emploi équivalent en France, que le montant de l’allocation chômage était auparavant calculé.
Depuis le 1er mai 2010, en application des dispositions de l’article 62 du règlement n° 883-2004, le calcul de l’allocation chômage est effectué directement par Pôle emploi, sur la base des seules rémunérations perçues par l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a exercée sous la législation de l’État où les prestations sont sollicitées. Les rémunérations perçues au titre d’une activité exercée dans un autre État membre de l’Union européenne ne sont pas prises en compte dans ce calcul.
Par ailleurs, pour déterminer la durée d’indemnisation, Pôle emploi prend en compte la durée d’affiliation correspondant aux périodes de travail accomplies dans l’État membre de l’Union européenne via un formulaire communautaire. Ce document est délivré, sur demande, par l’institution compétente de l’État dans lequel les périodes de travail ont été accomplies.
Dès lors, madame la sénatrice, c’est bien la réglementation européenne qui fixe les principes de coordination des régimes d’assurance chômage permettant de prendre en compte les périodes d’activité accomplies dans un autre État membre.
Enfin, la nouvelle réglementation européenne, en supprimant l’obligation pour les DIRECCTE d’établir un salaire d’équivalence, a permis la simplification des procédures et, par voie de conséquence, la réduction des délais de traitement des dossiers.
En résumé, des progrès ont été accomplis, mais il reste encore du chemin à faire. Je sais que la sénatrice représentant les Français de l’étranger que vous êtes sera attentive à l’obtention des avancées que vous appelez légitimement de vos vœux.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces précisions.
Il reste effectivement beaucoup d’améliorations à apporter. C’est un sujet essentiel pour les Français de l’étranger, surtout en cette période de crise économique aiguë. Il est important d’assurer une meilleure information, car beaucoup de nos compatriotes partant travailler à l’étranger ignorent les règles que vous avez rappelées. Il serait bon que le Gouvernement prenne des mesures à cette fin, à l’heure où les jeunes Français sont de plus en plus nombreux à rechercher un premier emploi hors de nos frontières.
10
Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Hervé Poher membre de la commission des affaires sociales, à la place laissée vacante par Mme Odette Duriez, démissionnaire de son mandat de sénatrice.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
11
Éloge funèbre de René Vestri, sénateur des Alpes-Maritimes
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est avec une profonde tristesse que j’accomplis pour la première fois devant vous le pénible devoir qui revient au président du Sénat de saluer solennellement dans notre hémicycle la mémoire d’un collègue disparu. (M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Je prends aujourd’hui la parole devant notre assemblée réunie pour rendre hommage à notre collègue René Vestri, sénateur des Alpes-Maritimes, qui nous a quittés le 6 février dernier.
Rien ne laissait présager le malaise cardiaque qui l’a frappé dans la nuit précédente et qui lui a été fatal. La veille encore, il avait participé avec beaucoup d’intérêt aux travaux de la commission du développement durable consacrés à la présence médicale sur l’ensemble du territoire et à l’avenir de notre système énergétique, deux thèmes qui lui tenaient particulièrement à cœur et illustraient bien ses préoccupations d’élu de terrain proche de ses concitoyens et sensible aux questions d’environnement.
Le jour même de son malaise, son retard très inhabituel à un petit-déjeuner de travail a permis de donner l’alerte, mais les services de secours dépêchés sur place n’ont pu, hélas, que constater son décès... C’est ainsi avec stupeur et émotion que nous avons appris sa brutale disparition.
Les obsèques de René Vestri ont été célébrées le 9 février en l’église de Saint-Jean-Cap-Ferrat, dont il aura été le premier magistrat durant près de trente ans. Cette cérémonie se déroula dans la simplicité, au milieu de ses proches et de très nombreux Saint-Jeannois. Nos collègues Marc Daunis, membre du bureau du Sénat, et le président Jean-Claude Gaudin, que je remercie, ont tenu à assister à cette émouvante cérémonie.
Cet adieu, au milieu des siens, sur cette terre de Saint-Jean-Cap-Ferrat qui lui était si chère, devait trouver son écho aujourd’hui au Palais du Luxembourg, dans notre hémicycle, en présence de sa famille rassemblée dans nos tribunes.
Avant de devenir le parlementaire actif que nous connaissions, René Vestri fut d’abord un homme de convictions et un élu local passionné.
René Vestri avait fait son entrée au Sénat en septembre 2008 pour représenter son département de naissance des Alpes-Maritimes. Son élection à la Haute Assemblée couronnait une longue carrière d’élu local au service de son village, devenu l’un des lieux de villégiature les plus recherchés du littoral méditerranéen.
Issu d’une famille modeste, il n’hésitait pas à rappeler que son père avait été maçon et que sa mère ramassait des olives… Ayant très tôt commencé à travailler comme terrassier, il avait lui-même développé avec succès une entreprise de travaux publics, connaissant une incontestable réussite professionnelle grâce à sa détermination et à sa force de travail.
René Vestri avait parallèlement décidé de mettre son énergie et ses compétences au service de la collectivité. L’enracinement local, le sens des responsabilités et la force de ses convictions personnelles le conduisirent naturellement à s’engager dans la vie politique locale pour la défense de ses idées et de ses concitoyens. Dès 1983, il décidait de se présenter aux élections municipales à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Élu sans interruption, il aura été le maire de l’une des plus belles communes de France, dont il défendit les intérêts jusqu’à son dernier souffle.
René Vestri aura toujours su garder un contact très étroit et chaleureux avec les Saint-Jeannois, qui, sans interruption, lui ont renouvelé leur confiance durant trois décennies.
Son engagement politique et son ancrage local le conduisirent aussi à participer aux élections cantonales en 1985, pour y représenter le canton de Villefranche-sur-Mer. Une nouvelle fois élu, il conserve ce mandat jusqu’en 2011 et exerce même, de 2004 à 2008, les fonctions de vice-président du conseil général, chargé de la façade maritime. Il fut également vice-président de la communauté urbaine Nice-Côte d’Azur de 2008 à 2011.
Même si la vie politique n’est pas toujours « un long fleuve tranquille », jamais elle n’entama la détermination de René Vestri, qui se plaisait à rappeler que « tout ce qui ne tue pas rend plus fort » et qui réagissait toujours en allant de l’avant face aux difficultés.
C’est, je l’ai dit, en 2008 qu’il décide de briguer l’un des cinq sièges de sénateur des Alpes-Maritimes en présentant une liste dénommée « Mer et montagne 06 », manifestant ainsi clairement son intérêt pour les questions environnementales et d’aménagement du territoire. C’est sous cette bannière qu’il fait son entrée dans notre hémicycle, au sein du groupe UMP.
Il choisit d’abord de rejoindre la commission des affaires sociales, avant de devenir membre de la commission de l’économie en octobre 2010. Son attention pour les questions d’environnement et d’aménagement du territoire le conduit enfin tout naturellement à rejoindre la nouvelle commission du développement durable, dès la création de notre septième commission permanente, en février 2012.
René Vestri met également son expérience d’élu local au service de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation et participe aux travaux de la délégation à la prospective, ainsi qu’à ceux du groupe de travail « mer et littoral ».
Sa passion pour l’univers marin et, tout particulièrement, pour la Méditerranée, René Vestri l’aura portée tout au long de sa carrière d’élu. Il milita pour la préservation de l’environnement en Méditerranée et pour la défense des espèces menacées qui vivent dans cet espace privilégié.
En 1989, s’indignant de l’indifférence dans laquelle sont décimées certaines espèces animales, notamment les dauphins, il décide de créer l’association SOS Grand Bleu. Dix ans plus tard, il aura la satisfaction de voir aboutir le projet Pelagos tendant à la création d’un espace maritime protégé de plus de 87 500 kilomètres carrés au large des côtes de la Corse.
Son action locale en faveur de la protection de la mer, René Vestri la relaie aussi au Sénat, en s’exprimant en faveur de la ratification de conventions internationales de défense des espèces menacées telles que le thon rouge ou lors des débats sur l’organisation de la politique de gestion des ressources halieutiques.
Lors des débats sur le Grenelle de l’environnement, il expose, avec conviction, tout l’intérêt d’une meilleure implication de nos concitoyens dans la lutte contre les pollutions marines.
Notre collègue ne méconnaissait pas pour autant les nécessités du développement économique de sa région et des activités maritimes qui la caractérisent. Il participa ainsi aux travaux de la mission sur la réforme portuaire, sans jamais toutefois perdre de vue la défense de l’environnement, essentielle à ses yeux.
Toujours tourné vers l’avenir, René Vestri était aussi persuadé que l’éducation des jeunes constitue un vecteur indispensable à la préservation de l’environnement. Il s’impliqua ainsi dans la création d’une école départementale de la mer, dont il était particulièrement fier, et qui permet chaque année à plus de 1 500 enfants du département des Alpes-Maritimes de découvrir leur environnement naturel proche et d’apprendre à le préserver.
Ses préoccupations en faveur de la préservation du domaine maritime l’avaient conduit à devenir membre, en décembre 2011, du Conseil national de la mer et des littoraux.
Désireux de convaincre ses interlocuteurs, René Vestri était soucieux de partager ses préoccupations dans les cadres les plus variés. Il se plaisait ainsi à échanger sur l’avenir de la Méditerranée avec ses collègues des groupes d’amitié France-Italie ou France-Monaco. Mais son intérêt pour les affaires internationales allait bien au-delà de notre région méditerranéenne.
Mes chers collègues, la disparition de René Vestri nous a tous laissés stupéfaits par son caractère brutal et soudain. Les sénatrices et les sénateurs perdent en sa personne un collègue chaleureux, qui restera longtemps présent dans leur mémoire.
L’heure est aujourd’hui au recueillement.
À ses collègues du groupe UMP, éprouvés par sa disparition, aux membres de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, à laquelle il appartenait, j’adresse les sincères condoléances de la Haute Assemblée.
À vous particulièrement, madame, à vos filles Olivia et Marjorie, et à tous les vôtres, je renouvelle les condoléances très sincères de l’ensemble des sénatrices et des sénateurs et vous assure de ma profonde sympathie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de René Vestri. (M. le ministre délégué, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame, c’est avec tristesse que le Gouvernement ainsi que l’ensemble des membres de la Haute Assemblée ont appris le décès subit du sénateur René Vestri survenu à Paris dans la nuit du 6 février dernier, en plein cœur du travail parlementaire qu’il exerçait depuis de nombreuses années.
On sait qu’il avait participé tout l’après-midi de ce mardi du mois de février, au sein de la commission du développement durable du Sénat dans laquelle il siégeait, aux travaux consacrés à l’avenir de notre système énergétique et à la présence médicale sur l’ensemble du territoire.
L’élection de René Vestri à la Haute Assemblée, il faut le rappeler, prolongeait une longue carrière d’élu local au service de son célèbre village et de son département de naissance, les Alpes-Maritimes.
Il fit son entrée au Palais du Luxembourg en 2008, où il adhéra au groupe UMP. Son intérêt pour les questions relatives à l’environnement et à l’aménagement du territoire le conduisit à rejoindre la nouvelle commission du développement durable dès sa création.
On se souviendra aussi qu’il mit son expérience d’élu local au service de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Il participa aussi au groupe de travail « mer et littoral ».
René Vestri se plaisait également à échanger sur l’avenir du bassin méditerranéen avec ses collègues des groupes d’amitié France-Italie ou France-Monaco.
Issu d’une famille modeste, René Vestri rappelait avec fierté que son père avait été maçon et qu’il avait lui-même réussi à créer et à développer une entreprise dans le domaine des travaux publics.
Si René Vesti eut un métier, il eut aussi une passion : la vie publique et la politique. Gaulliste de toujours, la politique était pour lui un combat et un engagement. Pendant trente ans, ce fut sa vie.
Très investi à l’échelon local, René Vestri avait décidé parallèlement de mettre toute son énergie au service de ses concitoyens, se présentant ainsi dès 1983 aux élections municipales de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Sans discontinuer, il aura été le maire passionné de l’une des plus belles communes de notre pays. En plus d’un quart de siècle de mandat municipal, René Vestri aura transformé Saint-Jean-Cap-Ferrat grâce à sa détermination et à son engagement obstiné.
Il prolongea son investissement personnel en étant pendant près de vingt ans conseiller général du canton de Villefranche-sur-Mer. Il exerça même, de 2004 à 2008, les fonctions de vice-président du conseil général, chargé de la façade maritime ; il sera également vice-président de la communauté urbaine Nice-Côte d’Azur.
Dans sa commune, René Vestri était aussi connu et respecté pour un engagement qui le mobilisait constamment.
En 1989, s’indignant de l’indifférence dans laquelle étaient décimées certaines espèces animales, notamment les dauphins, il décida de créer l’association SOS Grand Bleu, qui fut reconnue d’utilité publique le 10 janvier 2005.
Ainsi qu’il le dit lui-même en ces murs, lors de sa première prise de parole en tant que sénateur nouvellement élu, l’une de ses grandes satisfactions fut de voir aboutir le projet Pelagos. Réunissant la France, Monaco et l’Italie, ce projet a abouti à la signature à Rome, le 25 novembre 1999, d’un accord international ayant pour objet la protection des mammifères marins en Méditerranée. Cet accord constitue le premier texte juridique au monde conclu par plusieurs pays créant une aire marine protégée dans des eaux internationales. Ce sanctuaire protégé s’étend sur 87 500 kilomètres carrés, au sein du bassin corso-liguro-provençal.
René Vestri rappelait, avec la passion que chacun lui reconnaissait, que « la Méditerranée ne représente que 0,7 % de la surface des océans, mais constitue un réservoir majeur de la biodiversité, avec 28 % d’espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs ». Il répétait avec constance que « la France est présente dans la plupart des océans du globe et dispose du deuxième patrimoine maritime mondial en termes de surface ».
Pour le sénateur Vestri, la responsabilité en matière de préservation de l’environnement marin de notre pays était donc majeure.
Homme affable et chaleureux, René Vestri fut aussi soucieux de faire partager ses préoccupations dans les cadres les plus variés. Souhaitant transmettre son engagement aux plus jeunes, il avait ainsi lancé l’initiative « École de la Mer », grâce à laquelle, « chaque année, des milliers d’enfants apprennent que la mer n’est pas seulement une étendue qui se perd à l’horizon, mais aussi un volume habité par un monde fragile qui produit plus de 80 % de l’oxygène de notre atmosphère ».
Ses préoccupations en faveur de la préservation du domaine maritime, il comptait en faire part au sein du Conseil national de la mer et des littoraux, dont il était membre depuis le mois de décembre 2011.
Mesdames, messieurs les sénateurs, après le décès brutal de René Vestri, je présente les très sincères condoléances et la sympathie attristée du Gouvernement à son épouse, à ses enfants, à sa famille, à tous les habitants de Saint-Jean-Cap-de-Ferrat, aux membres du conseil municipal, aujourd’hui présents, à la commission du développement durable, au groupe UMP, ainsi qu’à l’ensemble des membres de la Haute Assemblée.
M. le président. Mes chers collègues, conformément à notre tradition, en signe d’hommage à René Vestri, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
12
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour un rappel au règlement.
Mme Chantal Jouanno. Notre groupe souhaite effectuer un rappel au règlement sur le fondement de l’article 37 de notre règlement.
Nous ne pouvons tolérer que notre République soit salie et marquée par la honte après les propos du ministre des outre-mer, Victorin Lurel, lors des obsèques du Président vénézuélien.
Ces propos sont injurieux à l’égard du peuple vénézuélien : la mort n’est jamais risible ! Comment peut-on dire d’un mort qu’« il était tout mignon » ?
Ces propos sont insultants pour les démocrates, les républicains, les défenseurs des droits de l’homme. Comment peut-on comparer Hugo Chavez au général de Gaulle ou à Léon Blum, dont la rigueur morale était sans faille ? Comment peut-on dire d’un dictateur, d’un populiste, que « le monde gagnerait à avoir beaucoup de dictateurs comme [lui] » ? Dois-je rappeler son amitié avec le chef d’État iranien ? Y aurait-il, pour le Gouvernement, des dictateurs acceptables ?
Qu’ils relèvent de l’incompétence, de l’aveuglement idéologique ou d’une incompréhensible légèreté, ces propos constituent une faute lourde, inexcusable dans la bouche d’un ministre de la République en déplacement officiel. Nous demandons donc un désaveu officiel. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
MM. René Beaumont et François Trucy. Très bien !
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.
13
Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de sept projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de sept projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces sept projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord de partenariat et de coopération avec le turkménistan
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et le Turkménistan, d'autre part (ensemble cinq annexes, un protocole et un acte final), signé à Bruxelles le 25 mai 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification d’un accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Turkménistan, d’autre part (projet n° 523 [2011-2012], texte de la commission n° 396, rapport n° 395).
(Le projet de loi est adopté.)
traité d’extradition avec l’argentine
Article unique
Est autorisée la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République argentine, signé à Paris, le 26 juillet 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité d’extradition entre la République française et la République argentine (projet n° 492 [2011-2012], texte de la commission n° 398, rapport n° 397).
(Le projet de loi est adopté.)
accord avec le liban relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de République libanaise relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels (ensemble deux annexes), signé à Beyrouth, le 26 juin 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels (projet n° 456 [2011-2012], texte de la commission n° 392, rapport n° 391).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec la serbie relatif à la mobilité des jeunes
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la mobilité des jeunes (ensemble une annexe), signé à Belgrade, le 2 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la mobilité des jeunes (projet n° 351 [2011-2012], texte de la commission n° 401, rapport n° 399).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec le monténégro relatif à la mobilité des jeunes
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Monténégro relatif à la mobilité des jeunes (ensemble deux annexes), signé à Podgorica, le 1er décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Monténégro relatif à la mobilité des jeunes (projet n° 350 [2011-2012], texte de la commission n° 400, rapport n° 399).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec l’azerbaïdjan relatif aux centres culturels
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Azerbaïdjan relatif à la création et aux conditions d'activités des centres culturels, signé à Paris le 9 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Azerbaïdjan relatif à la création et aux conditions d’activités des centres culturels (projet n° 708 [2011-2012], texte de la commission n° 403, rapport n° 402).
(Le projet de loi est adopté.)
accord avec la bulgarie relatif à la lutte contre l’emploi non déclaré
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord de coopération administrative entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services, signé à Sofia le 30 mai 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération administrative entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la lutte contre l’emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services (projet n° 465 [2010-2011], texte de la commission n° 394, rapport n° 393).
(Le projet de loi est adopté.)
14
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 mars 2013
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires européennes, le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 mars 2013.
Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme nous en avons désormais pris l’habitude, nous nous retrouvons pour préparer ensemble la réunion du Conseil européen qui se tiendra dans quelques jours à Bruxelles.
Le Gouvernement aborde cette discussion dans un contexte particulier, que je veux rappeler.
Le contexte, c’est d’abord la crise que connaît l’Union européenne. Cette crise s’approfondit, s’aggrave, s’enkyste même dans un certain nombre de pays. La récession accomplit son œuvre de destruction d’emplois et le chômage augmente partout en Europe.
Le contexte, c’est ensuite le semestre européen, c'est-à-dire cet exercice de relations entre la Commission européenne et les gouvernements des États membres encadré par les textes du six-pack, du two-pack et du traité budgétaire. Ces textes prévoient que les gouvernements définissent, en lien avec la Commission européenne, la manière dont ils pourront atteindre les objectifs de réduction des déficits publics qu’ils se sont assignés lors de l’adoption de leurs budgets.
Nous sommes donc confrontés à un double exercice : évaluer l’efficience de nos politiques économiques et assurer leur convergence vers un équilibre qui permettra d’accélérer la sortie de crise ; rendre compte de la façon dont nous réduisons nos déficits publics.
Rappelons que, depuis le mois de juin dernier, la France a souhaité s’engager dans une réorientation très profonde de la politique de l’Union européenne, afin d’équilibrer les politiques de sérieux budgétaire par des initiatives en faveur de la croissance. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, nous avions trois objectifs principaux.
Premièrement, faire en sorte que la croissance redevienne possible au sein de l’Union européenne, en équilibrant par des initiatives prises au niveau de l’Union les politiques de sérieux budgétaire que les États se sont engagés à conduire dans le cadre des textes et traités récemment adoptés ; je pense notamment au semestre européen.
Deuxièmement, remettre en ordre le système financier et bancaire au sein de l’Union européenne pour favoriser le retour de la croissance.
Troisièmement, créer les conditions, notamment dans le cadre de la réflexion en cours conduite par Herman Van Rompuy, d’un approfondissement de l’Union économique et monétaire, en ayant constamment à l’esprit le souci du renforcement de la solidarité.
À la veille du Conseil européen, je voudrais profiter de notre échange d’aujourd’hui pour faire un point sur ces trois sujets essentiels, autour desquels nous pouvons rééquilibrer les politiques de l’Union européenne.
Les institutions européennes, comme l’ensemble des pays de l’Union, sont bien décidées à ce que le Conseil européen des 13 et 14 mars soit l’occasion de mener un débat approfondi sur la pertinence des politiques économiques conduites au sein de cet espace et sur les conditions dans lesquelles l’équilibre entre croissance, sérieux budgétaire et solidarité va pouvoir se matérialiser dans les mois à venir.
Pour ce qui concerne la croissance, le Conseil a décidé d’inscrire à l’ordre du jour la question du pacte de croissance de 120 milliards d’euros, décidé à l’occasion du Conseil européen du mois de juin dernier, dont la déclinaison sur les territoires est en cours. Nous devons profiter de ce rendez-vous pour évaluer très concrètement son impact sur les politiques de l’Union, sur le développement des territoires et sur la croissance.
Ce débat se fera en deux temps : il y aura d’abord une évocation des instruments du pacte de croissance mis en place par l’ensemble des institutions de l’Union européenne, avec le concours des États membres, jeudi et vendredi prochains, puis une prolongation de ce débat aura lieu à l’occasion du Conseil du mois de juin. Par-delà l’évaluation de l’efficacité des instruments, cette seconde étape visera à mesurer concrètement les résultats obtenus par ce pacte en termes de croissance dans les différents pays de l’Union.
Il arrive très souvent que certains, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, s’interrogent, avec plus ou moins de bonne foi, sur la réalité de ce pacte. Je veux donc rappeler que celui-ci se répartit en trois enveloppes : 55 milliards d’euros de fonds structurels, qui correspondent à des sommes budgétées dans le cadre des perspectives financières pour la période 2007-2013 mais non dépensées ; 60 milliards d’euros de prêts de la Banque européenne d’investissement, la BEI, rendus possibles par sa recapitalisation à hauteur de 10 milliards d’euros ; 4,5 milliards d’euros d’obligations de projets, grâce à la mobilisation de 350 millions d’euros de garanties dans le budget de l’Union.
Concernant les 55 milliards d’euros de fonds structurels, la France bénéficie d’une « enveloppe plancher » de 2,2 milliards d’euros, laquelle ne présage en rien la mobilisation globale des fonds au terme de la période.
S’agissant des prêts de la BEI, le retour est à peu près de 13 % pour l’Allemagne, tandis qu’il est de l’ordre de 7 % pour la France. Si, par une bonne mobilisation des territoires, des industriels et des services financiers, nous parvenons à optimiser ce retour, nous pourrions escompter de 7 milliards à 8 milliards d’euros de retombées.
Enfin, nous attendons entre 600 millions et 700 millions d’euros des obligations de projets.
Si la commission des affaires européennes du Sénat le souhaite, je peux lui donner la déclinaison territoriale de ces fonds et les projets auxquels ils ont été affectés. En attendant, je puis vous dire très précisément que la France bénéficiera de la mobilisation de près de 11 milliards d’euros d’argent européen au titre du plan de croissance dans les mois à venir, ce qui, par effet de levier, devrait permettre d’avoir un impact global de près de 24 milliards d’euros. Dans le contexte de crise auquel notre pays est confronté, cette somme représente une opportunité non négligeable en termes d’investissement.
Je tenais à apporter ces précisions sur le pacte de croissance, qui sera évoqué à l’occasion des deux prochains Conseils européens, pour bien montrer à la Haute Assemblée que ce plan n’est pas virtuel et qu’il est en train d’être décliné dans les différents territoires.
Par ailleurs, nous souhaitons que le budget de l’Union pour la période 2014-2020 contribue à la croissance. Pour des raisons qui tiennent au rabotage constant des crédits de paiement nécessaires au financement du précédent cadre budgétaire, qui fut préconisé dans la lettre de novembre 2010 envoyée par l’ancien Président de la République française, la Chancelière allemande et les Premiers ministres finlandais et néerlandais au président de la Commission européenne, il faut savoir que seuls 860 milliards d’euros ont été utilisés entre 2007 et 2013, soit 80 milliards d’euros de moins que l’enveloppe de 942 milliards d’euros de crédits de paiement que le budget initial prévoyait. Si nous mobilisons la totalité des crédits du budget qui vient d’être adopté, cela représentera donc 50 milliards d’euros de plus que dans le précédent cadre budgétaire.
Je veux rappeler que les crédits alloués à la croissance dans le budget 2014-2020 augmenteront de près de 40 % au cours des six prochaines années, tandis que les budgets du programme Connecting Europe connaîtront une hausse de près de 120 %.
Sachez également que, pour ce qui concerne la politique de cohésion et la politique agricole commune, nous avons atteint tous nos objectifs. Nous avons également procédé à la création d’un fonds d’accompagnement des jeunes pour les régions ayant un taux de chômage supérieur à 25 %.
Tout cela nous conduit à optimiser fortement notre retour sur tous les objectifs sur lesquels nous étions mobilisés dans le cadre de la négociation budgétaire qui vient de s’achever.
Enfin, nous voudrions que l’acte II du marché intérieur soit l’occasion de multiplier les initiatives de croissance, de réaliser des efforts en matière d’harmonisation sociale et fiscale – nous pourrons en parler à l’occasion du débat interactif et spontané qui suivra –, d’instaurer le principe du juste échange. Les discussions en cours sur les directives Concessions et Marchés publics devraient permettre de ne plus ouvrir nos marchés publics à des entreprises venant de pays qui n’ont pas ouvert les leurs à nos propres entreprises. Ces projets de directives procèdent de la volonté de faire en sorte que le « mieux-disant social et environnemental », qui s’applique à nos acteurs économiques, avec un haut niveau de normes élaborées par l’Union européenne, ne soit pas un handicap dans la mondialisation.
Telles sont nos orientations en termes de croissance. Mais nous souhaitons que le Conseil européen, qui permettra de faire le point sur tous ces sujets concernant la stratégie d’investissement public et la croissance en Europe, soit aussi l’occasion d’aborder la remise en ordre de la finance, sans laquelle il n’y aura pas de croissance.
Depuis le Conseil de juin dernier, et cela a été confirmé en octobre et en décembre, nous avons réussi à créer les conditions de la mise en place de l’union bancaire au sein de l’Union européenne. La supervision bancaire a fait l’objet d’un compromis avec l’Allemagne. La Commission européenne, sous l’égide du commissaire Barnier, qui fait un très bon travail, sur ces questions comme sur d’autres, œuvre actuellement à l’élaboration de textes de nature législative visant à compléter la supervision par un dispositif de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts pour que nous arrivions à un dispositif complet.
Dès que la supervision bancaire sera mise en œuvre, il sera possible de recapitaliser directement les banques par le Mécanisme européen de stabilité, le MES. Le lien entre dette souveraine et dette bancaire, qui oblige actuellement les États à supporter des taux d’intérêt très élevés sur les marchés financiers, sera rompu.
M. Philippe Marini. Ce n’est pas pour demain !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous créerons ainsi les conditions permettant au système financier européen d’être directement au service de l’économie réelle et non d’activités spéculatives, destructrices de valeurs et de richesses sur les territoires de l’Union européenne.
Je rappelle que, dans le même temps, nous avons acté que le MES et le Fonds européen de stabilité financière, le FESF pourront intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines.
La Banque centrale européenne a emboîté le pas, via le programme Outright Monetary Transactions, lequel permet, toujours sur le marché secondaire des dettes souveraines, d’accompagner l’intervention du MES et du FESF, de manière à mettre en place un véritable pare-feu face à la spéculation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je terminerai par la solidarité, le Conseil européen devant également être en situation de préparer les débats qui auront lieu au mois de juin, sous l’égide du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, sur l’avenir de l’Union économique et monétaire.
Nous désirons profiter de la réflexion que M. Van Rompuy a conduite pour que, sur un certain nombre de questions, nous puissions approfondir l’Union économique et monétaire, ainsi que le dispositif d’intégration politique qui en serait la conséquence nécessaire. Plusieurs options et hypothèses se présentent à nous.
Nous devons envisager l’approfondissement de la gouvernance de la zone euro, car il ne sera pas possible de surmonter la crise si l’Union européenne ne parvient pas à rendre plus efficients les dispositifs de gouvernance à Dix-Sept. Reste que ce que nous ferons pour approfondir l’Union économique et monétaire à Dix-Sept ne peut pas se faire au détriment de l’intégrité de l’Europe à Vingt-Sept. Il nous faut donc trouver une articulation entre ces deux exigences : améliorer la gouvernance de la zone euro et maintenir l’intégrité du marché intérieur.
Tel est l’un des enjeux considérables des débats en cours avec Herman Van Rompuy et l’ensemble des institutions de l’Union et des chefs d’État et de gouvernement.
Nous devons examiner chacune des opportunités induites par cette réflexion.
Tout d’abord, dès lors qu’il y a une meilleure gouvernance de la zone euro, il convient de doter celle-ci d’une capacité budgétaire susceptible de lui permettre de faire face aux chocs conjoncturels et de mener de véritables politiques pour les surmonter lorsqu’ils se présentent à nous de façon violente.
M. Philippe Marini. Financées par l’impôt !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ensuite, il convient d’approfondir la réflexion sur la mutualisation de la dette.
J’ai souvent entendu dire sur ces travées que cette question n’était plus d’actualité, mais les plus européens d’entre vous auront sans doute remarqué que le Parlement européen a obtenu, dans le cadre du trilogue, c’est-à-dire au terme d’une discussion avec la Commission et le Conseil, qu’un groupe de travail particulier soit mis en place pour définir les conditions dans lesquelles nous pourrions avancer ensemble vers les eurobills et, à terme, les eurobonds. Il faut savoir qu’une grande majorité des membres du Parlement européen, toutes tendances politiques confondues, considèrent que, à partir du moment où il y a convergence des politiques budgétaires vers la discipline, il doit y avoir une possibilité de mutualiser la dette.
Le fait que l’ensemble des institutions de l’Union ait acté le principe de la mise en place de ce groupe de travail montre bien le chemin et les opportunités qui s’offrent à nous.
Enfin, il y a devant nous la question de l’Europe sociale, qui a été mise à l’ordre du jour des travaux du Conseil européen dans le cadre de l’acte II du marché intérieur. De nombreux sujets sont à examiner, qu’il s’agisse de la reconnaissance des qualifications professionnelles au niveau européen, de la reconnaissance de la portabilité des droits sociaux ou de la possibilité d’engager une réflexion sur la mise en place d’un salaire minimum européen.
Telles sont les questions que nous aurons à traiter dans les semaines et les mois à venir, plus particulièrement à l’occasion des deux Conseils européens de mars et de juin, dans le cadre de la feuille de route d’Herman Van Rompuy.
Je voudrais conclure en indiquant que ce Conseil sera aussi l’occasion pour la France d’indiquer la manière dont elle entend respecter les objectifs de redressement qu’elle s’est assignés.
La conjoncture européenne très difficile, avec une croissance très faible, ne permet pas d’atteindre les objectifs de réduction des déficits que nous nous étions fixés. Mais la Commission européenne et la Cour des comptes ont reconnu que les deux tiers des efforts de rétablissement du déficit structurel de la France résultaient des efforts accomplis depuis le mois de juin dernier.
M. Philippe Marini. Tout va bien !
M. Alain Richard. Mieux !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En tout cas, cela va beaucoup moins mal que précédemment, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Réjouissons-nous !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais quand même vous rappeler, vous qui aimez les chiffres, que vous nous avez laissé 75 milliards de déficit du commerce extérieur.
M. Philippe Marini. Celle-là, on nous l’a déjà faite !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Peut-être, mais on l’a bien ressenti, car cela fait partie des choses que nous sommes obligés de corriger. Le doublement de la dette en cinq ans et le creusement abyssal des déficits vous confèrent toute l’autorité nécessaire pour nous donner des leçons que nous recevons avec une grande humilité…
M. Philippe Marini. C’est facile !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne cède pas à la facilité : je rappelle tout simplement la vérité des chiffres !
M. Philippe Marini. Faites preuve d’un peu plus d’imagination !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La rigueur des chiffres nous impose une réalité qui nous interdit toute forme d’imagination. Elle semble vous poser beaucoup de difficultés, et je le regrette. Pourtant, entre personnes honnêtes et de bonne compagnie, il devrait être possible d’examiner ces chiffres avec lucidité.
M. Philippe Marini. Tous ceux qui ne sont pas de votre avis sont malhonnêtes !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Absolument pas ! Je le répète, les chiffres sont là : vous avez doublé la dette en cinq ans, vous avez laissé un déficit budgétaire abyssal et un déficit du commerce extérieur de 75 milliards d’euros, ce qui vous autorise à donner des leçons de sérieux budgétaire et de compétitivité économique…
M. Philippe Marini. Allez-y ! Continuez comme ça !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne le ferai pas, car ce que j’ai dit devrait suffire à vous éclairer.
M. Philippe Marini. Vous voulez faire taire vos opposants avec une vérité officielle !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il n’y a pas de vérité officielle, mais la vérité des chiffres fournis par des institutions françaises auxquelles vous vous êtes souvent référé lorsqu’il s’agissait de nous accabler. En revanche, lorsqu’il s’agit de regarder en face la situation que vous nous avez laissée, les institutions de la République ne donnent plus les bons chiffres ! Pour moi, cette attitude est le contraire de l’honnêteté intellectuelle, mais peut-être ai-je tort, monsieur Marini ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini. Seuls vos amis sont honnêtes, c’est bien connu !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je souhaite donc que ce débat soit l’occasion de faire la clarté sur tous ces sujets, et notamment sur ce que nous avons fait. Comme je suis très impatient de vous entendre m’apporter la contradiction, monsieur Marini, j’arrête là mon propos et je retourne à ma place afin de vous entendre développer vos vérités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui va se tenir les 14 et 15 mars prochain est particulièrement important. En effet, il va se prononcer sur les lignes directrices de l’Union européenne concernant les programmes de stabilité et les programmes nationaux de réforme, dont M. le ministre vient de nous détailler la teneur. Je remercie donc tout particulièrement M. le président du Sénat d’avoir veillé à ce que ce débat se tienne aujourd’hui à un horaire convenable. Je remercie aussi M. le ministre de sa disponibilité pour répondre à nos questions.
Les récentes prévisions de la Commission européenne confirment malheureusement la dégradation de la conjoncture économique qui concerne l’ensemble de l’Union européenne. Selon la Commission européenne, la croissance économique ne devrait atteindre que 0,1 % en 2013 dans l’Union et, dans la seule zone euro, l’économie devrait se contracter de 0,3 %. Cette faiblesse de l’économie devrait avoir des conséquences directes sur le chômage : le taux de chômage devrait atteindre 11,1 % dans l’Union européenne et 12,2 % dans la zone euro, avec des pics extrêmement inquiétants pour le chômage des jeunes. On ne peut imaginer que cette conjoncture économique très dégradée ne soit pas prise en compte dans la définition des lignes directrices pour les politiques nationales.
L’effort de stabilisation des finances publiques répond à une exigence et doit être poursuivi avec détermination. La France a engagé, en 2012 et en 2013, un effort d’ajustement structurel sans précédent, mais cet effort doit aussi s’inscrire dans la durée, selon un calendrier réaliste. Dès lors que la conjoncture économique se dégrade, chacun peut comprendre que ce calendrier doive être adapté – il l’a d’ailleurs été. Le Fonds monétaire international lui-même a récemment émis une mise en garde contre l’excès d’austérité. Comme nous le disons souvent, mieux vaut éviter que le malade ne meure guéri !
Il faut aussi poursuivre les réformes structurelles et agir pour la compétitivité de nos économies. Depuis dix mois, la France est engagée dans ce sens : nous avons adopté un pacte national pour la compétitivité et l’emploi et nous allons bientôt transcrire dans la loi l’accord historique entre les partenaires sociaux qui réforme en profondeur le marché du travail.
Dans le même temps, l’Union européenne doit elle-même mettre au premier plan le soutien à la croissance. La France a contribué à ce débat au sein des instances européennes et elle a été entendue, avec l’adoption, en juin 2012, du pacte européen pour la croissance et l’emploi. Il faut poursuivre dans cette voie et aboutir rapidement à des réalisations concrètes.
L’emploi des jeunes doit être la priorité des priorités. En décembre, la Commission européenne a proposé un train de mesures dans ce domaine. Grâce à la détermination du Président de la République, la France a obtenu, lors du Conseil européen de février, la création d’un fonds de lutte contre le chômage des jeunes. Ce fonds de 6 milliards d’euros sera destiné aux régions où le taux de chômage des jeunes dépasse les 25 %. Ma région va en bénéficier, mais j’aurais évidemment préféré qu’elle ne soit pas concernée. Je mesure donc, à titre personnel, l’importance pour nos territoires d’une action européenne bien orientée.
Intensifier cette action est d’autant plus nécessaire que l’Europe sert souvent de bouc émissaire en période de difficultés nationales. Nous le constatons tous les jours, et les résultats des récentes élections italiennes viennent de nous le rappeler. Le rétablissement des finances publiques ne sera donc compris que s’il s’accompagne d’une plus grande solidarité et d’une action énergique pour la croissance et l’emploi.
Malheureusement, l’épisode de la négociation du cadre financier pluriannuel a cruellement révélé l’altération de l’esprit de solidarité. Le budget européen est, par définition, un exercice de solidarité ; il doit aussi refléter une certaine vision de l’Europe. Or, nous le savons tous, le sens même du projet européen est aujourd’hui discuté. La France doit donc continuer à œuvrer, comme elle le fait depuis dix mois, afin de redonner du sens au projet européen en le réorientant pour qu’il réponde aux attentes de nos concitoyens.
L’absence de véritables ressources propres de l’Union européenne a perverti la négociation, car les États membres se sont focalisés sur leur solde net, c’est-à-dire sur la différence entre ce qu’ils versent et ce qu’ils reçoivent du budget européen. Cette logique prévaudra tant que le budget sera financé par des contributions nationales, ce qui est la négation même de la solidarité européenne ! C’est pourquoi nous devons travailler à la création de nouvelles ressources propres, comme le Sénat l’a souligné en décembre dernier.
Dans ce contexte très difficile, la France a bien négocié. Quand on se souvient de la manière dont les discussions s’étaient engagées, nous avons réussi à éviter le pire. De plus, nous ne sommes qu’à la première étape du processus, je tiens à insister sur ce point. En effet, le Parlement européen dispose d’un réel pouvoir, puisqu’il doit maintenant donner son approbation au budget adopté par le Conseil. Je souhaite donc qu’il mette ce pouvoir à profit pour revoir à la hausse certaines enveloppes. Ce serait la preuve que l’esprit de solidarité a encore un sens en Europe !
Puisque l’on va fixer des lignes directrices sur les politiques nationales, nous devons aussi nous interroger sur leur coordination. D’un côté, certains pays ont des excédents et une compétitivité élevée ; de l’autre, se trouvent des États qui luttent pour réduire leurs déficits. Que les premiers relancent leur demande intérieure serait bénéfique pour l’ensemble de l’Union européenne. C’est aussi cela, la solidarité européenne !
Notre débat se déroule alors que se développent les réflexions sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Le Conseil européen de décembre a adopté une feuille de route et celui de juin prendra des décisions. Il est indispensable que ces décisions concilient la rigueur financière avec une approche dynamique en faveur de la croissance et de l’emploi – j’insiste toujours sur ces deux mots. Pour cela, il faut renforcer l’intégration à partir d’objectifs partagés.
Nous travaillons à rendre nos économies plus fortes et plus compétitives, mais nous avons aussi besoin d’une harmonisation des politiques fiscales et d’actions ambitieuses, sur le plan européen, pour développer les infrastructures et encourager la recherche. À cette fin, nous avions insisté, dans notre résolution de décembre 2012, sur l’importance du projet de mécanisme européen d’interconnexion dans ses trois volets, transports, énergie et numérique. Or la diminution, envisagée par le Conseil européen, de 50 milliards d’euros à 30 milliards d’euros des moyens consacrés à ce mécanisme d’interconnexion est particulièrement préoccupante. Nous sommes aussi inquiets des moyens qui seront alloués au programme de recherche Horizon 2020. Où est le souci de la croissance ?
Enfin, une Europe réorientée, c’est une Europe dotée d’une véritable ambition sociale. Face à la situation de l’emploi, la solidarité doit s’exercer à l’égard des territoires durement touchés par le chômage. C’est l’intérêt du fonds de lutte contre le chômage des jeunes, dont la France a obtenu la création ; c’est aussi l’enjeu du fonds d’adaptation à la mondialisation ou du fonds d’aide alimentaire, qui, à la demande du Président de la République, sera maintenu à un niveau de 2,5 milliards d’euros. Il est cependant inquiétant de voir certains pays remettre en cause ce type de mécanisme lors des débats européens.
Comme nous l’avons déjà dit, nous verrions également un avantage à lancer des emprunts communs entre États membres. Ils seraient l’expression de cette solidarité concrète que l’Europe doit traduire aujourd’hui si elle veut éviter la désaffection des peuples, défi majeur de l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, vice-présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, François Marc, retenu dans son département par des conditions météorologiques difficiles, aurait dû s’adresser à vous aujourd’hui. Je vais donc tenter de vous entretenir pendant quelques minutes de la question suivante : pourquoi ne nous intéressons-nous pas plus à l’Europe ? J’espère que nous trouverons le moyen d’en faire un peu plus chaque jour pour apprécier davantage cette Europe et nous en sentir toujours plus parties prenantes, plutôt que de la considérer uniquement en spectateurs critiques.
Ce débat préalable au Conseil européen des 14 et 15 mars souligne la volonté du Parlement d’occuper toute sa place dans ce qu’il convient désormais d’appeler le « semestre européen ». En effet, la prochaine réunion du Conseil européen va traiter de questions importantes relatives à la trajectoire économique et budgétaire des pays européens, dont celle de la France.
Dans ses recommandations adressées à la France en juin 2012, le Conseil européen avait rappelé l’objectif de ramener notre déficit public à 3 % du PIB en 2013. Faut-il encore le rappeler, au moment de ces recommandations, la Commission européenne estimait la croissance du PIB à 1,3 % pour l’année 2013 ?
Cet objectif, on le sait, ne sera pas atteint, en raison de la dégradation de la situation économique dans l’ensemble de la zone euro. À cet égard, certains semblent tentés de verser dans le catastrophisme, mais cela n’a pas de sens : vouloir coûte que coûte ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013, sans considérer le contexte économique, provoquerait une récession qui nuirait en retour à notre trajectoire de redressement. La Cour des comptes ne recommande d’ailleurs pas de prendre des mesures supplémentaires dès 2013 pour atteindre l’objectif des 3 %, mais insiste sur la réalisation effective de l’effort structurel programmé.
Notre crédibilité repose sur notre détermination à redresser durablement nos finances publiques. Pour la première fois, les dépenses de l’État en 2012 ont été inférieures à celles de l’année précédente ; s’agissant de l’année 2013, l’effort budgétaire est jugé « sans précédent » par la Cour des comptes elle-même ! Enfin, entre 2010 et 2013, selon la Commission européenne, la réduction de notre déficit structurel se sera établie à plus de 4 points de PIB, comme la France s’y était engagée. Cette détermination ne peut donc être mise en doute et justifie que nous obtenions de nos partenaires européens le report à 2014 de l’objectif de retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB.
En juin 2012, il faut le rappeler, le Conseil n’avait pas fait référence au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG, qui raisonne uniquement en termes de solde structurel, car celui-ci n’était pas encore entré en vigueur. Toutefois, les institutions communautaires devront prendre en compte cette évolution de la gouvernance de la zone euro, qui, si elle ne modifie pas le pacte de stabilité, aura nécessairement des conséquences sur la manière dont elles décideront de l’appliquer.
S’agissant des prévisions de déficit public pour 2013 et 2014, personne, pas même la Commission européenne, n’est capable de dire aujourd’hui avec certitude ce que seront la croissance du PIB et l’évolution de nos recettes en fonction de celle-ci. Ces prévisions montrent cependant quel effort supplémentaire nous pourrions avoir à produire en 2014 pour faire en sorte que notre déficit public soit sensiblement inférieur à 3 % du PIB.
Le Gouvernement a engagé cet approfondissement de l’effort ; c’est le sens des audits qu’il a demandés dans le cadre de la modernisation de l’action publique et de la réflexion menée en vue d’une nouvelle réforme des retraites. Ce sont ces réformes, plutôt que des mesures destinées à faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB dès 2013, sans que soient considérées leurs conséquences immédiates et futures, qui permettront de sécuriser durablement notre redressement et qu’attendent nos partenaires européens comme, d’ailleurs, les investisseurs.
Le Gouvernement a pris des mesures importantes pour relancer la croissance et dynamiser le marché du travail. Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi doit permettre aux entreprises d’embaucher, d’investir et de gagner des parts de marché. Dans ce cadre, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi a opéré un déplacement significatif de la fiscalité du travail vers la TVA et la fiscalité écologique, laquelle doit favoriser notre transition énergétique.
Au-delà de ce pacte, l’accord national interprofessionnel conclu en janvier dernier, dont la transcription dans la loi sera prochainement soumise à notre examen, devrait permettre de dynamiser notre marché du travail.
Ces mesures visent à renouer avec une croissance durable et à améliorer notre compétitivité ; elles ne sont certainement pas en contradiction avec les recommandations adressées à la France par le Conseil européen en juin 2012, recommandations qui, d'ailleurs, rejoignent celles que plusieurs organisations internationales et observateurs étrangers nous ont faites.
Il s’agit donc de convaincre pleinement ceux de nos partenaires européens qui auraient encore des doutes sur ce point de notre détermination à redresser nos finances publiques et à renouer avec une croissance plus forte, afin d’obtenir le report d’une année de l’objectif de retour de notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB. Il faut aussi inviter le Conseil européen à préconiser des orientations favorisant le retour de la croissance et l’amélioration de la situation de l’emploi dans l’ensemble de l’Union européenne, car c’est dans la faible croissance que réside la cause de nos déficits, au-delà de la part structurelle que tous les pays européens s’emploient désormais à résorber. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. François Trucy applaudit également.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes au porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans ignorer l’importance du premier point inscrit au programme du Conseil européen de cette semaine – nous en avons parlé –, je centrerai mon propos sur le second item figurant au projet d’ordre du jour, qui porte sur les relations extérieures de l’Union européenne.
En effet, le Conseil européen sera l’occasion de procéder « à un échange de vues ouvert sur les relations avec les partenaires stratégiques », étant entendu qu’il « ne devrait pas adopter de conclusions écrites sur ce sujet ». Cette formulation n’a rien d’original ; elle est même assez habituelle pour les Conseils européens.
Cependant, le contexte actuel n’est pas anodin, en particulier s’agissant des « partenaires stratégiques » de l’Europe, entendus ici principalement au sens économique.
Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec l’annonce du lancement prochain de négociations visant à instaurer un accord de libre-échange qui engloberait les deux rives de l’océan Atlantique, Union européenne et États-Unis, récemment faite par le Président Obama. Cet accord serait le plus important de ce type jamais conclu dans le monde. Il concernerait le tiers du commerce international et la moitié de la production économique globale ; autant dire que son rôle de régulation et son impact sur l’économie mondiale seraient centraux !
Certes, il est plus habituel d’évoquer ces sujets dans le cadre de discussions sur les questions commerciales qu’à l’occasion d’un point sur les affaires extérieures. Toutefois, il paraît difficile de ne pas prêter une dimension stratégique globale à ce nouveau partenariat éventuel avec les États-Unis.
Que savons-nous, à cette heure, du dialogue qui s’ouvre ?
D’abord, nous savons qu’il devrait débuter formellement cet été. En effet, c’est le Conseil européen du mois de juin qui devrait donner à la Commission européenne le mandat par lequel elle mènera les négociations, d’où l’intérêt des discussions informelles qui s’amorcent maintenant.
Ensuite, si l’on en croit les précédents, notamment la recherche d’un accord du même type avec le Canada, nous pouvons craindre que ce dialogue ne brille pas non plus tout à fait par sa transparence.
Enfin, les sujets abordés sont aujourd'hui loin d’être consensuels.
En l’occurrence, cet accord de libre-échange ne devrait pas diminuer drastiquement les droits de douane, déjà très faibles. On parle de taux moyens situés aux alentours de 3,5 % pour les importations depuis l’Europe vers les États-Unis et de 5,2 % en sens inverse. On peut toutefois remarquer – c’était le sens de l’intervention précédente – qu’une nouvelle restriction affaiblira d’autant le budget de l’Union : les droits de douane, déjà presque marginaux suite à d’autres accords similaires, représentent aujourd’hui environ 15 % de ce dernier. Il faudra quand même voir comment compenser cette diminution si nous voulons toujours donner une certaine ambition au budget européen et à sa capacité d’agir sur l’économie européenne !
Cela étant, c’est dans le domaine de la réglementation sanitaire, sociale ou environnementale que cet accord pourrait avoir le plus d’impact. Et ses conséquences pourraient bien s’avérer négatives pour les citoyens et les consommateurs européens !
Nous le savons, la conception que les États-Unis et l’Europe ont de la protection des données personnelles diffère radicalement l’une de l’autre, ce qui pose déjà des problèmes avec des géants comme Google ou Facebook, dont le modèle économique repose justement sur la commercialisation de ces données ; la presse s’en est largement fait l’écho ces derniers temps. Cette question promet d’être complexe.
Les États-Unis et l’Europe ont aussi une vision totalement différente des modes de production alimentaire et du principe de précaution. La politique agricole commune est déjà problématique sur un certain nombre de points. Mais on parle ici de la possible importation d’OGM, de volailles traitées au chlore ou de porcs soignés à fortes doses d’antibiotiques ! Les élus et le lobby agroalimentaire américains ont d’ores et déjà écrit à l’administration Obama pour réclamer que ces points précis soient compris dans les négociations. Or ce serait évidemment pour nous une évolution totalement inacceptable, dont l’éventualité même paraît absurde aujourd’hui, alors que nous nous trouvons au milieu de scandales sanitaires à l’ampleur non négligeable.
Monsieur le ministre, je tiens à dire cet après-midi que, sur ce point, vous trouverez, à l’échelle européenne, des écologistes particulièrement attentifs et mobilisés pour la défense de l’environnement et de la santé des consommateurs.
Au vu de ces enjeux, le débat se devra donc d’être transparent et d’associer les instances législatives et la société civile.
Les écologistes ne sont pas opposés a priori à l’idée d’accords commerciaux. Mais cette idée ne doit pas conduire à un nivellement par le bas de règles dont le seul but est de protéger la santé, la vie privée ou le bien-être des Européens.
En conclusion, les rapprochements entre législations sont évidemment possibles. Toutefois, un accord avec les États-Unis aussi étendu ne serait pertinent que dans la mesure où il instaurerait un terrain d’entente minimale qui constituerait déjà un mieux-disant par rapport aux pratiques actuellement en vigueur dans le monde sur toutes ces questions, mais aussi, plus globalement, sur les questions relatives au climat ou à la préservation de ressources. Il serait alors bien plus aisé d’influencer ces pratiques, compte tenu du poids qu’aurait un tel marché par rapport aux autres acteurs économiques. C’est véritablement dans ce cadre que nous devons appréhender l’ouverture d’une telle négociation.
Après les annonces de l’administration Obama sur la nécessité de répondre aux défis du changement climatique, engagement confirmé par la nomination de John Kerry, avec, en perspective, la fin du cycle de négociations climatiques entamées à Durban voilà maintenant un peu plus d’un an – négociations qui s’achèveront à Paris en 2015 –, nous devons plus que jamais lier négociations commerciales et climatiques pour aboutir à un accord de régulation globale, vital pour l’avenir de nos sociétés.
L’expérience nous montre que l’échec des précédentes négociations climatiques est justement venu de notre incapacité à lier le commercial et l’environnement ; tel a tout particulièrement été le cas à Copenhague. À partir du moment où les grandes négociations s’ignorent, elles sont condamnées à l’échec.
Cette fois, le calendrier de l’administration Obama est cohérent ou tout du moins compatible avec les échéances en matière de négociations environnementales. C’est une chance que nous ne devons pas laisser passer.
Le volontarisme européen sur le climat ne doit pas être limité aux discours de façade ; il doit s’insérer dans une logique cohérente de toute la diplomatie européenne. Les négociations commerciales bilatérales en font partie, avec les États-Unis mais aussi, évidemment, avec la Chine et les grands pays émergents.
En effet – soyons lucides –, l’aggravation des crises environnementales, qui se déclineront en crises alimentaires et sociales, conduira sans nul doute au repli et à la fin du libre-échange. Ceux qui pensent que l’échange économique mondial est globalement bénéfique doivent donc intégrer urgemment dans leurs propres logiciels les enjeux environnementaux, s’ils ne veulent pas, demain, assister impuissants aux replis nationaux dans un monde en souffrance.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, pour le groupe UMP.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me semble que jamais la distance entre l’Europe institutionnelle et nos concitoyens n’a été aussi grande qu’en ce début d’année.
Jamais la distance entre les propos officiels, techniques, technocratiques que l’on nous tient et la réalité vécue n’a été aussi considérable.
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Alain Richard. Vous manquez de mémoire !
M. Philippe Marini. Cette distance est à l’image de celle qui sépare deux langages : le langage que notre pays tient à l’égard de ses partenaires dans les enceintes feutrées des réunions ministérielles ou institutionnelles, à Bruxelles ou ailleurs, et le langage du Gouvernement vis-à-vis de l’opinion publique et des représentants des divers milieux qui composent notre société.
Nous avons bien vu cette distance entre les opinions et l’Europe institutionnelle à l’occasion des élections italiennes. Tenons compte de cette réalité exprimée par le suffrage !
Sans doute avons-nous aussi affaire à des instances européennes, qui, bien souvent, font semblant, pour avancer, de laisser croire à l’existence d’un consensus ou d’une direction commune, alors que bien des points reposent sur l’à-peu-près ou le malentendu.
Ainsi en va-t-il de la coordination des politiques fiscales. Quand on lit les documents officiels, il est question de progresser en matière de fiscalité de l’énergie, de fiscalité de l’épargne ou encore vers une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés. Mais qu’en est-il en réalité ? Chacun le sait, aucune chance de faire progresser ces sujets n’existe à brève échéance, car tout dépend de l’avis d’un seul des vingt-sept membres de l’Union européenne.
Vous-même, monsieur le ministre, lorsque je vous ai interrogé sur le renflouement financier de Chypre lors d’un précédent débat, vous n’avez pas eu une seule parole sur l’impôt sur les sociétés au taux de 10 %. Bien entendu, comme tout à l'heure, vous m’avez répondu en incriminant le précédent gouvernement et le précédent Président de la République à propos des affaires irlandaises de l’époque.
M. Alain Néri. C’était une réponse spontanée !
M. Philippe Marini. Au moins le Président de la République d’alors avait-il dénoncé le dumping fiscal, même si ses partenaires ne l’ont pas rejoint sur ce point.
Aujourd'hui, je le répète, sur le taux d’impôt sur les sociétés de 10 % applicable à Chypre, je n’ai pas entendu l’ombre d’une seule parole, si je puis ainsi m’exprimer ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, en ce début d’après-midi, je me félicite d’avoir su éveiller votre attention sur un sujet européen, ce qui n’est pas nécessairement chose facile !
M. Alain Richard. Le propos, lui, est facile !
M. Philippe Marini. Il est encore plus gênant d’observer les ambiguïtés en matière bancaire. On ne sait plus vraiment quel est le but politique recherché à travers l’union bancaire. On nous dit qu’il faut rompre le lien entre dette souveraine et dette bancaire mais aucun accord sur les conditions dans lesquelles le Mécanisme européen de stabilité pourra prêter directement aux banques ne semble se dessiner. Certes, monsieur le ministre, vous en avez parlé, mais il ne s’agit là que d’une figure de style convenue : il n’existe aucun calendrier ni aucun progrès réel en ce sens, et vous le savez fort bien.
Dès lors, il faut peut-être tâcher de rendre un sens politique à ce que nous faisons dans le cadre de la construction européenne. Sans doute est-il nécessaire que les parlements nationaux utilisent mieux l’article 13 du TSCG, alors que, jusqu’à présent, les rencontres qui se sont multipliées demeurent désespérément formelles. Sans doute est-il également nécessaire de s’approprier dans le débat national – ce qui nécessite du travail – les notions, les procédures et les instruments qui nous parviennent du droit communautaire, en particulier de ce « two-pack » qui vient d'être finalement adopté. Mais encore faudrait-il que nous sachions exactement comment s’enchaînent diverses notions, des « contrats de croissance et de solidarité » aux « plans budgétaires nationaux », en passant par bien d’autres choses…
L’ambiguïté dans laquelle nous sommes, sans doute réside-t-elle aussi dans la distance entre les recommandations adressées par le Conseil européen à la France en matière de réforme structurelle et la manière dont le Gouvernement, de façon erratique et, à mon sens, souvent contradictoire, décline sa politique. Les chantiers à ouvrir en matière de compétitivité, de réforme du marché du travail, de fiscalité écologique, de TVA, de formation professionnelle et de salaire minimum me semblent, à tout le moins, marqués du sceau de l’ambiguïté, entre le langage européen, que nous recevons et acceptons, et le langage national que nous pratiquons.
Mes chers collègues, notre pays, même s’il semble abandonner dans l’immédiat l’objectif d’un déficit nominal de 3 % du PIB en 2013, a le devoir de demeurer crédible. Or, ainsi que le Gouvernement l’a indiqué lors du Conseil des ministres du 27 février dernier, des mesures supplémentaires de gestion budgétaire – au-delà de celles qui sont déjà mises en œuvre – sont désormais considérées comme inopportunes pour l’année en cours. Dès lors, monsieur le ministre, que répondra-t-on si, à la table du Conseil, on nous demande dans quelle mesure nous resterons sans rien faire lorsqu’il s’avérera que le déficit pour 2013 s’approchera des 4 %, ce qui est probable ? Que répondra-t-on lorsqu’on nous demandera s’il est crédible de conserver comme objectif un déficit compris entre 2,5 % et 3 % en 2014, alors que les prévisions macroéconomiques de la Commission européenne, comme des meilleurs experts, nous indiquent que, sans mesures supplémentaires de consolidation budgétaire, nous risquons encore d’avoisiner les 4 % de déficit ?
En tout état de cause, puisqu’il n’est pas prévu d’efforts supplémentaires en 2013, nous savons que, pour 2014, compte tenu de l’ensemble des facteurs à prendre en compte, il faudrait que les mesures supplémentaires représentent – c’est un ordre de grandeur – entre 20 et 40 milliards d'euros, soit l’équivalent de 1 à 2 points de PIB. Il s’agit en effet d’un effort gigantesque, qui, n’étant ni documenté ni précisé à ce stade, ne paraît pas réellement vraisemblable, ce qui, me semble-t-il, est de nature à porter atteinte au crédit de notre pays.
Mes chers collègues, c’est au moment où le Conseil européen de printemps va examiner les grandes orientations de politique économique que ces questions se posent. Pardonnez-moi, monsieur le ministre, de devoir les poser, même si elles vous semblent désagréables. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Richard. Et surtout, non pertinentes !
M. le président. La parole est à M. Michel Billout pour le groupe CRC.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auspices sous lesquels se prépare le Conseil européen de cette semaine sont bien sombres. Les nuages s'accumulent. Partout, en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Bulgarie, en Italie et même dans notre pays, les conséquences des orientations européennes voulues et défendues par les gouvernements montrent les limites de leur efficacité économique et ont surtout des conséquences dramatiques pour les peuples. La croissance est partout en berne, et les prévisions pour cette année ne sont guère optimistes.
Les chiffres du chômage explosent. N'avons-nous pas dépassé ce trimestre, dans notre pays, la barre symbolique des 10 % de chômeurs indemnisés ? Sans compter celles et ceux qui n'ont pas droit aux allocations et qui, de ce fait, n'apparaissent pas dans les statistiques…
Cette politique « austéritaire », voulue et orchestrée par l'Union européenne et les États qui la composent, conduit à une impasse. Partout, elle provoque des crises sociales, économiques et politiques. Le pacte budgétaire ratifié en octobre dernier, que notre groupe a refusé de voter, portait en lui les germes des drames sociaux que nous vivons au sein de l'Union. Le volet de cet accord consacré à la croissance, qui devait nous apporter un « mieux » économique et social, n'a pas résisté aux dogmes libéraux qui sous-tendaient le traité.
L'austérité est bien pour maintenant. La croissance, elle, est pour plus tard, peut-être...
Monsieur le ministre, vous allez discuter avec vos collègues, pendant deux jours, de la coordination des politiques dans le domaine économique, budgétaire et de l'emploi ainsi que des orientations des programmes de stabilité et de convergence. Beau programme s'il en est ! Mais si l'on traduit la « novlangue » européenne, tout cela veut dire : accord sur la logique de récession et d'austérité.
Cette logique, nous le voyons bien, a aussi des conséquences sur le code du travail. L'accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi en France est bien de la même veine. Ces recettes seront-elles aussi le fil conducteur de la future réforme des retraites et des allocations familiales ? Je vous pose la question.
Les mêmes recettes n'ont-elles pas déjà été appliquées en Espagne, en Italie, en Grèce, après l’avoir été en Allemagne même ? Avec quels résultats ?
Le patron de Renault expliquait récemment qu'il ne comprenait pas pourquoi l'accord de compétitivité dans son entreprise n'était pas accepté par tous en France, alors qu'il avait obtenu l’accord des salariés en Espagne. Mais croyez-vous que, lorsque l'on a le couteau sous la gorge, on est en mesure de négocier d'égal à égal ?
Cependant, cette crise n'est pas un moment difficile à passer pour tout le monde. Il y a cette année 200 milliardaires de plus dans le monde et la première fortune française, celle de Mme Bettencourt, s'est encore accrue cette année. Que doit-on en penser ? Que l'Europe qui aurait pu, qui aurait dû jouer le rôle de bouclier social, d’exemple mondial de mieux-disant social, a décidé au contraire de s'aligner sur le moins-disant social. Dans ces conditions, la course vers une meilleure compétitivité de l'économie européenne, face aux économies des pays émergents et de la puissance états-unienne, risque bien d’être perdue d'avance.
C'est exactement l'inverse qu'il faut faire. C'est par la relance du marché intérieur européen que l'on peut espérer un nouvel élan de l'économie. Et la relance passe non seulement par une politique d'investissements tant européens que nationaux, mais aussi par une politique salariale volontariste qui permettrait aux Européens de reprendre le chemin de la consommation, donc de la croissance et de l'emploi.
Est-ce à dire qu'il ne faut pas s'intéresser aux modes de production et aux choses produites ? Non, bien entendu ! L'Europe reste un espace où la recherche et l'inventivité sont encore une réalité, mais pour combien de temps ? À chaque fois que l’on ferme un laboratoire, on fait reculer notre capacité d'innovation et donc de réussite. Or il nous faut absolument développer la recherche, car la relance de l’économie européenne ne peut que passer par le respect des critères de développement durable et du progrès social.
Vous allez engager la discussion après-demain sur les orientations européennes pour une durée de sept ans. L'accord sur le budget européen, que vous avez négocié en février dernier et que vous avez qualifié de bon compromis, a été rejeté par la quasi-totalité des groupes au Parlement européen. Pervenche Berès, présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales au Parlement européen, a ainsi une tout autre lecture que la vôtre, monsieur le ministre. Au cours d'une récente réunion à Bobigny avec des élus et des acteurs départementaux de la solidarité, elle a annoncé qu'elle s'opposerait à sa ratification en l'état par le Parlement. Que faut-il en penser ?
Cet accord est en fait la consécration des égoïsmes de certains États. Croyez-vous sincèrement qu’il fallait réduire de 1 milliard d'euros les budgets de solidarité et élargir le nombre de pays éligibles alors que l'Europe s'enfonce dans la crise et que, partout, le nombre de bénéficiaires de ces aides ne cesse de croître ? C'est pourtant le message que la France et l'Europe envoient aux 25 % de la population de l'Union qui vit en dessous du seuil de pauvreté.
La confédération européenne des syndicats ne s'y est pas trompée. Pour la première fois, celle-ci a demandé aux parlementaires européens et nationaux de ne pas ratifier un traité européen. Croyez-vous que cela soit une nouvelle lubie de la gauche de la gauche ? Non, la confédération confirme dans son appel à manifester à Bruxelles le 14 mars que « l'Europe n'est pas une zone de libre-échange mais un espace dont l'objectif est le progrès économique et social ». Dans sa déclaration, elle ajoute qu’« une feuille de route sur la dimension sociale de l'UEM dans le cadre d'une coordination renforcée des politiques doit tendre à une convergence ascendante pour s'attaquer aux inégalités, à la pauvreté, au chômage et au travail précaire qui sont éthiquement inacceptables et créent une situation d'urgence sociale ».
Dans cette négociation, voilà quelle devrait être votre feuille de route, monsieur le ministre. Vous ne seriez pas isolés, car vous auriez le soutien du monde du travail, des exclus, des précaires et des forces vives européennes.
Si, en revanche, l'Union européenne poursuit le même chemin, elle contribuera à créer de la désespérance et, de fait, à renforcer les nationalismes, la xénophobie et les égoïsmes. Les résultats des élections en Italie devraient nous y faire réfléchir.
Bien sûr, le chemin est étroit et difficile, mais pensez que la France n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle tient le discours de la justice et de l'égalité. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe UDI-UC.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs mois que j'ai le plaisir de participer aux travaux de la commission des affaires européennes. Je me réjouis de la qualité générale de nos débats et des propositions stimulantes de nos collègues, qui ont su établir un diagnostic juste tant sur le fonctionnement de l'Union que sur les actes législatifs qui y sont produits.
Voilà pourquoi on ne peut que regretter que le débat préalable au Conseil européen soit finalement un exercice un peu stérile de commentaires – pourtant toujours intéressants – sur un ordre du jour qui nous dépasse et nous interpelle, quoi qu’on en dise, par sa vacuité politique ! Je regrette le caractère essentiellement tribunicien du rôle laissé au Parlement en l'absence d'une procédure qui nous permettrait, sur le modèle de l'article 88-4 de la Constitution, de peser davantage sur le Conseil européen.
L'ordre du jour du prochain Conseil appelle la conclusion de la première phase du semestre européen, consacrée à l'examen des efforts de coordination entrepris par les États membres en matière de politique budgétaire.
On ne peut que se satisfaire de la montée en puissance du principe de coordination, qui reste l'un des grands acquis du pacte pour l'euro adopté il y a deux ans. Pourtant, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que mesurer l'insuffisance du présent exercice et de la réunion du Conseil face à la crise et au ressentiment qui traversent l'Europe.
Les dernières élections en Italie ont été l'occasion d’une sanction dramatique du gouvernement de Mario Monti, mis à mal par la progression spectaculaire de formations populistes. Ce phénomène est identique dans beaucoup de pays membres.
La récente déclaration de David Cameron relative à une éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne par la voie d'un référendum attise aussi les tensions populistes, que l'on retrouve également en France. N'oublions pas que les formations eurosceptiques et populistes ont cumulé près de 30 % des suffrages exprimés…
Au même moment, le Parlement français, notamment le Sénat, a été privé d'un véritable débat et d'une véritable explication sur le budget européen. Pourtant, ce débat sur les modalités consternantes d'adoption d'un budget qui, à bien des égards, ne peut que nous sidérer, a été demandé conjointement par Jean-Louis Borloo à l’Assemblée nationale et, ici même, par François Zocchetto. À moins d'un an des prochaines élections européennes, ce budget engagera la prochaine Commission et le prochain Parlement. Comment ne pas souligner une telle anomalie institutionnelle ?
Ce budget est également consternant du fait qu’il se trouve pour la première fois en nette diminution, ce qui pourrait remettre en cause, à terme, les investissements d'avenir, dont nous avons terriblement besoin pour démontrer à nos concitoyens que l'Europe n'est ni un carcan ni un poids, mais au contraire une force d'avenir, une force pour l'emploi, pour la formation, l'éducation et l'avenir de nos enfants.
Le groupe UDI-UC avait demandé à plusieurs reprises un débat spécifique sur cette question, mais, à chaque fois, on nous renvoie au débat préalable sans plus de précisions comme si l’Europe, finalement, n’avait qu’une place restreinte au Parlement.
Ainsi, nos discussions masquent mal le fossé qui se creuse sans cesse entre l’Union, les citoyens et l’idéal européen que nous devrions tous partager. L’Europe, de la manière dont elle fonctionne, ne correspond plus aux aspirations de la population. Peut-être a-t-on mal mesuré les racines profondes du référendum du 29 mai 2005 : à certains égards, le « non » à la Constitution a été le signe avant-coureur de la crise morale que traverse le continent aujourd’hui.
Les générations actuelles n’ont pas connu la guerre. Aussi ne pouvons-nous plus uniquement invoquer le souvenir des pères fondateurs de l’Europe comme l’argument d’autorité suprême dans le débat européen. L’Europe ne peut plus se vivre seulement comme un idéal, alors que nos concitoyens nous demandent une Europe concrète, une Europe protectrice, une Europe de la prospérité, une Europe de l’emploi, bref, une Europe de l’avenir et pas seulement une Europe mémorielle qui se reposerait sur les lauriers du travail accompli.
Le groupe UDI-UC se veut le porte-parole de la voie européenne dans le débat public national, et c’est justement parce que nous sommes viscéralement attachés à l’idée européenne que nous nous permettons d’être critiques à l’égard du fonctionnement actuel de l’Union.
J’ai eu l’occasion, dans le cadre de ma mission sur l’Europe du numérique, de travailler avec l’administration bruxelloise. Force est de constater, je suis désolée de le dire, que nous faisons face à une administration d’un autre temps. L’Europe doit redevenir une aventure politique tournée vers l’avenir et ne saurait rester une machine purement technocratique.
Le ressentiment de nos concitoyens est désormais trop palpable, la crise est trop grave, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pour que nous en restions à un tel degré de complexité et d’éloignement entre l’Union et le peuple. Ce ressentiment doit nous alerter sur la marche à suivre désormais, et il nous faut impérativement resserrer le lien entre l’Union et les citoyens.
Au regard du prochain Conseil européen, nous mesurons tous que le TSCG donnera de fait à la Commission un pouvoir considérable en matière budgétaire et donc en matière fiscale. Or nous ne pouvons oublier, en tant que parlementaires, que la première des responsabilités des assemblées est de garantir le respect du principe du consentement à l’impôt et de voter le budget.
Comment voulez-vous assurer le lien démocratique entre l’Union et les citoyens si la Commission décide de tout sans être responsable de rien ? Comment ce lien pourrait-il vivre lorsque des décisions entraînant le destin de millions de citoyens européens se jouent parfois dans des cénacles fermés, entre deux heures et trois heures du matin ?
Pour prendre un exemple précis, la rectification des prévisions de croissance de la France pour cette année vous impose, pour se conformer aux exigences de la programmation prise en conformité avec les dispositions du TSCG, de souscrire à deux hypothèses pour maintenir une trajectoire vertueuse de désendettement : soit vous jouez sur les recettes et vous serez contraints de créer de nouveaux impôts pour combler l’écart de prévision, soit vous jouez sur l’exécution pour imposer des économies aux administrations de l’État.
Dans tous les cas, la simple correction d’un chiffre par Bruxelles entraîne des conséquences lourdes pour nos concitoyens et remet in fine en cause l’autorisation votée en loi de finances initiale. C’est la démocratie parlementaire nationale qui est atteinte par le manque de démocratie à l’échelon fédéral.
Nous devons donc associer les citoyens à la prise de décision politique pour faire de l’Europe une Europe politique. Nous devons renforcer les pouvoirs de contrôle des parlements nationaux. Nous devons également établir une véritable définition du principe de subsidiarité pour enfin sauter le pas. Donnons à l’Union des compétences véritablement fédérales en contrepartie d’une démocratie renforcée qui rendra l’Union politique et stratégique, et non plus administrative et technocratique ! Ainsi, les États s’occuperont de ce qui est de leur ressort naturel.
Je ne compte plus le nombre de fois où je suis interpellée, avec d’autres, par des entreprises qui souffrent d’une concurrence déloyale imposée de fait par Bruxelles à travers un ensemble colossal de normes qui favorisent finalement les entreprises étrangères. Pétroplus, dans mon département, en est un exemple, mais la France en compte bien d’autres.
Monsieur le ministre, comme vous le savez, l’engagement européen est unanime au sein du groupe politique UDI-UC et semble aller de soi. C’est au nom de cet engagement que je souhaiterais que vous nous éclairiez, non pas tant sur la position de la France dans la procédure de conclusion du semestre européen, mais sur les propositions du Gouvernement en matière de restauration du lien de confiance entre l’Europe et ses citoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder les enjeux de ce Conseil européen de printemps, qui constitue une étape importante du nouveau semestre européen, j’aimerais revenir un instant sur le compromis budgétaire issu du dernier Conseil européen du mois de février.
Ce n’est évidemment pas le résultat dont nous rêvions. Malgré les efforts de la France pour préserver les politiques traditionnelles, le nouveau cadre financier pour la période 2014-2020 représente une réduction des crédits de l’ordre de 35 milliards d’euros par rapport à la période précédente et de 12 milliards d’euros par rapport à la proposition de Herman Van Rompuy formulée en novembre.
J’entends bien que ce compromis est le moins mauvais possible dans le contexte européen le plus difficile que nous ayons dû affronter, face à des pays conservateurs, majoritaires au sein du Conseil, qui entendaient procéder à des coupes partout.
J’ai le sentiment aussi que nos intérêts nationaux ont été dans une large mesure préservés. Ainsi, si les crédits de la PAC ont diminué, les retours français sont maintenus. Ce résultat très satisfaisant n’était pas gagné d’avance.
Je salue enfin les avancées non négligeables obtenues concernant la jeunesse, qu’il s’agisse des crédits du programme Erasmus ou de l’initiative pour l’emploi des jeunes, voulue par le Président de la République et dotée de 6 milliards d’euros.
M. Jean-Michel Baylet. Très bonne initiative !
M. Jean-Claude Requier. Le chômage frappe, en effet, durement les jeunes : plus d’un sur deux en Grèce, en Espagne et dans certaines régions de l’Italie et du Portugal. L’Union européenne est parvenue à sauver ses banques en dépensant 700 milliards d’euros, mais peine à dégager les milliards d’euros indispensables pour soutenir directement les catégories victimes de la crise.
Cela étant, nous avons des doutes quant à la capacité de ce budget à relancer la croissance et à renforcer la compétitivité de l’économie européenne, car c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, cette proposition de cadre financier pluriannuel doit encore être approuvée par le Parlement européen ; ce ne sera pas chose facile si l’on en croit les déclarations des responsables des principaux groupes politiques qui ont tous dénoncé un budget d’austérité.
Dans un tel contexte, le moins qu’on puisse attendre du Conseil européen est qu’il se montre ouvert à l’égard de la volonté de négocier affichée par le Parlement européen, dont la position est positive et constructive sur plusieurs points importants. Je pense notamment à la flexibilité entre rubriques ou à la nécessité d’envisager de nouvelles ressources propres. Comment progresser sur cette dernière question, en particulier sur la taxation des transactions financières que nous appelons de nos vœux et dont le principe a été décidé ?
Au fond, le principal intérêt du Conseil européen à venir sera de nous en dire plus sur la portée politique réelle de l’ensemble des réformes de la gouvernance économique entreprises ces dernières années.
La crise a rappelé la très forte interdépendance des pays européens, et donc l’utilité d’une approche à la fois large et coordonnée des choix économiques et sociaux nationaux.
Sur ce sujet, quels sont les progrès ? Aujourd’hui, le projet européen semble se limiter à une gestion disciplinaire des politiques budgétaires et à quelques recommandations économiques sans grandes incidences concrètes.
Oui, il est indispensable de réduire les déficits ! Pour autant, cette stratégie doit être mise en œuvre avec discernement. D’ailleurs, l’OCDE et le FMI – qui ont pourtant prêché pendant de longues années une discipline budgétaire absolue comme seule et unique voie de rédemption – nous invitent aujourd’hui à sortir de l’austérité.
Les gouvernements et les peuples qui ont entrepris des ajustements à la fois nécessaires et douloureux ne peuvent se faire sans cesse rappeler à l’ordre par la Commission, sauf à considérer celle-ci comme une « maison de redressement » budgétaire. Il semble que celle-ci soit disposée à une certaine flexibilité à l’égard de plusieurs pays dont la France. Pouvez-vous nous le confirmer, monsieur le ministre ?
La plupart des pays de l’Union européenne sont actuellement confrontés à des perspectives de récession, voire de dépression. Selon les prévisions de la Commission, treize d’entre eux auront un déficit excessif, c’est-à-dire supérieur à 3 % du PIB, en 2013.
La consolidation des comptes publics est certes nécessaire, mais ce qui compte, ce sont avant tout les orientations prises par les gouvernements de l’Union européenne, moins que le calendrier, qui doit être réaménagé chaque fois que nécessaire.
Les difficultés que notre pays traverse actuellement sont essentiellement liées à la conjoncture, comme le prouvent nos bons résultats en matière de déficit structurel. La Cour des comptes a d’ailleurs souligné dans son dernier rapport qu’en réalisant un « effort structurel » de 1,4 point en 2012, notre pays a non seulement respecté ses engagements, ce qu’a reconnu la Commission, mais également entrepris un effort jamais réalisé depuis plusieurs décennies.
Le Conseil européen doit évoquer l’état d’avancement du pacte européen pour la croissance et l’emploi, notamment en ce qui concerne le marché unique : quelles sont les principales priorités ?
Il faut mettre en œuvre sans délai le volet financier de ce pacte, c’est-à-dire confirmer la mobilisation des 60 milliards d’euros de fonds structurels non utilisés, l’augmentation des capacités de prêt de la Banque européenne d’investissement et le lancement de project bonds. C’est encore plus nécessaire qu’il y a un an, compte tenu de l’évolution de la croissance et de la nature du compromis sur le budget communautaire qui vient d’être conclu par le Conseil européen.
Enfin, l’Europe a besoin d’incarnation politique et surtout d’une dimension sociale pour une authentique union économique et monétaire. Cette réflexion est finalement entamée, sous l’impulsion de la France. Dans le contexte actuel, avec un taux de chômage qui ne cesse de battre des records de mois en mois au sein de l’Union européenne – plus encore au sein de la zone euro – et tous les indicateurs qui virent au rouge – pauvreté, précarité énergétique –, il faut rééquilibrer l’approche privilégiée jusque-là envers la crise. Le projet politique de l’Europe ne peut pas se limiter à sauver les banques ; il doit être tourné vers la prospérité, la création de richesses, l’innovation, la formation, l’emploi et surtout la croissance.
Telle est la voie sur laquelle le Gouvernement peut être assuré de l’entier soutien des radicaux de gauche, qui plaident pour une Europe plus forte, plus démocratique et plus solidaire.
En matière d’Europe, arrêtons les normes, les interdits et l’omniprésence des réglementations ! Redonnons du souffle, du corps et de la hauteur à cette belle idée toujours d’avenir ! Monsieur le ministre, parlez-nous d’Europe et essayez de nous faire un peu rêver ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe socialiste.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens au préalable à saluer la décision de la conférence des présidents d’inscrire ce débat à un horaire convenable, comme vient de le souligner le président Sutour, et à remercier M. le ministre de sa capacité de dialogue avec le Parlement. C’est un exercice qu’il apprécie comme ancien parlementaire, et il le pratique avec beaucoup de talent.
Je m’efforcerai de développer, au nom du groupe socialiste, une perspective générale de politique européenne – même si l’un des orateurs précédents a eu la tentation assez visible de détourner le débat vers des questions de politique intérieure, qui n’ont d’ailleurs pas forcément tourné à son avantage – et ce que nous sommes capables d’en faire entre nos vingt-sept nations.
Il me semble que nous nous approchons de la sortie de la crise financière, si j’en juge par les avancées relatives à la gestion des finances publiques des Vingt-Sept et à celle de notre système bancaire commun.
Le nouveau dispositif de préparation concertée des budgets et des comptes nationaux commence à être au point. Le dialogue avec le Parlement européen gagne en profondeur. Il faut encourager la Commission, et nous comptons à cet égard sur le Gouvernement, à jouer pleinement la carte d’un dialogue ouvert avec le Parlement européen tenant compte dans la préparation des perspectives budgétaires des impératifs économiques et de croissance.
Les dialogues avec les parlements nationaux doivent également être approfondis, afin que puissent s’exprimer toutes les opinions démocratiques sur les politiques financières de nos pays et, plus largement, sur la politique que nous menons en tant qu’Union – y compris les opinions de ceux qui continuent de défendre l’opportunité d’accumuler les déficits, d'ailleurs.
Il faut laisser jouer la persuasion, me semble-t-il. La valeur relative des différentes opinions doit pouvoir être testée. Il faut donc considérer comme bienvenu le développement de ce système maintenant acquis, fondé sur des décisions définitives.
Toutefois, dans nos démocraties, le fait majoritaire finit par reprendre ses droits. Une fois passé le temps de l’expression des opinions et du dialogue avec les institutions européennes, il appartient dans chaque pays au Gouvernement et à la majorité qui le soutient de prendre leurs responsabilités concernant les options budgétaires à retenir, en instaurant – c’est un point sur lequel il m’arrive d’insister de façon parfois un peu déplacée – un climat de confiance entre États européens et entre autorités budgétaires.
Je rappelle tout de même que si nous en sommes là, si les technocrates, que vous avez mis en cause, madame Morin-Desailly, sont obligés de vérifier les comptes des différents États, c’est parce que la situation désastreuse dans laquelle nous nous sommes trouvés voilà trois ans résultait de falsifications de comptes.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Alain Richard. Il faut bien en sortir. Je n’insisterai pas davantage sur ce point. Je dirai simplement que chacun doit balayer devant sa porte.
Mme Catherine Morin-Desailly. Vous n’avez pas commencé !
M. Alain Richard. Je pense également que le dialogue entre le Parlement européen et les parlements nationaux doit, lui aussi, être encore approfondi, car, dans une union monétaire, il faut que la solidarité financière, mise en œuvre progressivement, se fasse dans la clarté vis-à-vis des citoyens.
Nous allons donc continuer tout prochainement, entre parlementaires français, de discuter de la bonne application de la résolution dite « ancrage démocratique », afin de déterminer la façon de progresser ensemble et, surtout, d’expliquer à nos mandants, à notre opinion démocratique, les choix budgétaires que nous opérons en concertation entre Européens, ce qui me semble constituer un progrès, tout simplement.
Les avancées réalisées sur ce point permettent de constater que la consolidation collective des finances publiques des Vingt-Sept est en bonne voie. Comme l’a déclaré M. Sutour, et il a tout à fait raison, nous avançons vers la mutualisation de la dette.
Si les conditions de la confiance sont réunies, si les comptes sont clairs et transparents pour nos partenaires, les objections, qui étaient quelque peu fondées, seront levées et nous pourrons aller vers une véritable solidarité budgétaire. Je rappelle que, étymologiquement, le mot « crédit » vient de « croire » : il vaut mieux que chacun puisse être cru de ses partenaires.
L’autre aspect de la sortie de crise financière, c’est la mise en place de la régulation bancaire partagée. À cet égard, l’année 2013 sera véritablement décisive. Le manque de régulation était, force est de le reconnaître, une lacune considérable de l’euro tel qu’il avait été mis en place voilà une douzaine d’années. Or une régulation partagée est indispensable pour prévenir de nouveaux dérapages bancaires ou financiers, tels que nous en avons connu au cours des trois ou quatre dernières années.
Les engagements en matière de supervision sont en principe tenus. Toutefois, pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, si vous êtes optimiste sur la mise en place du dispositif d’ici à la fin de l’année ? Il s'agit là d’un objectif politique auquel, je pense, nous souscrivons tous, car il répond à un besoin de sécurité des marchés et des acteurs financiers.
La sécurisation du système financier conjoint des Vingt-Sept constituera une grande étape de notre stabilisation financière. Cette sécurisation faisait défaut à l’Union européenne, il faut le dire avec lucidité. Les gouvernements et les majorités successives ont négligé cette question pendant toute la période calme. Nous avons donc été obligés de la traiter en pleine crise, et nous sommes en train d’y parvenir. Il faut saluer ce résultat.
Il faut d’ailleurs noter, et en tirer quelques réflexions, que, au cours de la négociation, un accord préliminaire s’est dégagé, largement majoritaire, en faveur de l’instauration d’un plafonnement des rémunérations dans le système bancaire européen.
À cet égard, il me semble que nos amis du Royaume-Uni devraient s’interroger – je le dis amicalement, car j’aime beaucoup ce pays – sur les conséquences de l’hypertrophie de leur système financier, totalement dérégulé, sur leur propre économie – celle-ci connaît une récession prolongée depuis deux ans et demi –, ainsi que sur leur capacité d’entraînement, de conviction, de partage d’opinions au sein du Conseil de l’Union européenne depuis que le Premier ministre David Cameron a déclaré douter de la poursuite de la participation du Royaume-Uni à l’Union européenne.
Si nous avons su organiser dans la douleur une sortie de crise financière, nous n’avons pas encore su sortir collectivement de la crise économique, laquelle se traduit par un déficit de croissance. Certes, il y a des contrastes entre pays. Si l’on examinait plus finement la situation, on constaterait même des différences entre régions, à l’intérieur de l’Union européenne. Certains secteurs et certaines régions géographiques s’en sortent mieux que d’autres, mais la tendance globale est tout de même à une stagnation prononcée. Simon Sutour a rappelé les chiffres pertinents tout à l’heure : le taux de croissance anticipé pour 2013 est de 0,1 %. Quant au taux de chômage, il s’établira à plus de 11 % en fin d’année.
De ce fait, le débat doit être poursuivi et approfondi sur les modalités et le rythme du rééquilibrage des finances publiques et sur le maintien d’une demande suffisante. Vous nous en avez déjà beaucoup dit, monsieur le ministre, mais nous pouvons poursuivre l’échange.
En tant que grand ensemble économique, comme les États-Unis, l’Union européenne est une économie collectivement assez peu ouverte. Les échanges extérieurs de l’Union comptent pour moins de 15 % de son PIB conjoint. La demande interne est donc le premier moteur de la croissance dans un tel ensemble. Aussi, le retour vers les équilibres financiers n’est-il pas trop brutal et trop indifférencié ? C’est une question sur laquelle, à mon avis, il faut poursuivre le débat.
Nous partirons de trois points solides pour continuer cette discussion. Premièrement, plusieurs orateurs l’ont dit, nous avons effectué une grande partie de notre travail d’assainissement budgétaire. Deuxièmement, la commission, dans son rôle d’expertise, l’a reconnu de façon inconditionnelle. Troisièmement, de nombreuses voix en Europe, et de toutes tendances politiques, s’élèvent pour souligner le risque de stagnation. Le débat va donc se poursuivre. L’argumentaire du Gouvernement est selon nous convaincant, et nous y souscrivons. Il faut aller plus vite dans le sens de la croissance.
Je ne reviendrai pas sur l’application du paquet croissance, que vous avez mentionné, monsieur le ministre, sinon pour vous poser une question. Vous souhaitez que ces ressources, ces capacités d’investissement soient mobilisées pour des projets en France et vous œuvrez en ce sens, je le sais. Pourriez-vous donc nous dire si vous progressez sur ce sujet ?
En conclusion, l’enjeu est ici profondément politique. L’orateur de l’UMP l’a d’ailleurs relevé à sa façon, certes avec des approximations. S’il était encore parmi nous, je lui dirais que ce qui est d’abord politique, c’est la Commission européenne et le Conseil européen, qui ont tous deux une majorité conservatrice.
Ceux qui, aujourd'hui, expriment des reproches sur l’état de la construction européenne et la « perception de l’Union européenne par les peuples », pour reprendre l’expression qui a été employée, devraient se demander si leur propre famille politique, laquelle est largement dominante dans les institutions européennes, n’y est pas pour quelque chose ! Pour ma part, je pense qu’il y a un lien.
Nous allons donc faire vivre le pluralisme et la diversité de pensée politique à l’intérieur de l’Union européenne. Je pense que le Gouvernement et le Président de la République ont bien fait de chercher à nouer des alliances, mais que le débat politique européen entre les conservateurs et les progressistes est légitime. Nous aurons l’occasion de le poursuivre, y compris devant le peuple français, dans les mois qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier très sincèrement de la qualité de ce débat, de votre implication dans nos échanges et du temps que vous avez pris pour développer vos questionnements. J’ai apprécié la pertinence des interrogations qui ont été formulées sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Nombre d’entre elles portent sur un sujet sur lequel je souhaite revenir rapidement, à savoir la croissance.
Vous vous êtes interrogés à plusieurs reprises – ce fut le cas de M. Billout, de M. Dantec, de M. Sutour et de Mme André – sur la pertinence des actions que nous conduisons en faveur de la croissance et sur le risque récessif des politiques mises en œuvre au sein de l’Union européenne. À cet égard, je tiens à apporter des précisions très concrètes à certaines des interrogations qui ont été formulées.
Tout d’abord, il faut d’abord tenir compte de la nouvelle donne institutionnelle dans laquelle s’inscrit la discussion budgétaire concernant le budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020. Je le dis notamment à M. Billout.
Il faut également tenir compte de l’endroit d’où nous sommes partis pour apprécier le point auquel nous sommes arrivés. La discussion budgétaire, qui avait été engagée bien avant notre arrivée au Gouvernement, opposait deux groupes de pays, qui constituent d’ailleurs deux clubs au sein de l’Union européenne : le club dit « des contributeurs nets », également appelé « club des like-minded » ou « club des radins », d’une part, et le club « des amis de la cohésion », d’autre part.
Or, au sein du club des radins, nous figurions parmi les plus pingres. Permettez-moi ici de rappeler quelle était la position de la France concernant le budget de l’Union européenne avant notre arrivée aux responsabilités. Elle figure d'ailleurs dans une lettre que j’ai ici et que je tiens à la disposition de la Haute Assemblée pour le cas où elle n’en aurait pas eu communication. Cette lettre est datée de novembre 2010 et signée du Président de la République française, de la chancelière allemande, du Premier ministre britannique et des Premiers ministres des Pays-Bas et de la Finlande. Elle préconisait que l’on coupât le budget de l’Union européenne de 200 milliards d’euros.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ceux qui, parfois, trouvent que le budget que nous avons adopté n’est pas tout à fait conforme à leurs souhaits sont les mêmes qui préconisaient une coupe de 200 milliards d’euros du budget de l’Union européenne par rapport à la proposition de la Commission !
D’ailleurs, si M. Cameron avait gagné la négociation qui vient de s’achever à Bruxelles sur le budget de l’Union européenne, comme je l’ai souvent entendu dire, nous en serions non pas à 960 milliards d’euros de crédits d’engagement, mais à 840 milliards d’euros. Ce que lui et les pays du club des contributeurs nets souhaitaient – en tout cas certains d’entre eux, parmi les plus conservateurs –, c’était 200 milliards d’euros de coupes par rapport à la proposition de la Commission.
La même lettre a été appliquée à l’exécution du précédent budget. Or, sans autres considérations, nous avons suffisamment de difficultés budgétaires chez nous pour ne pas alimenter le budget de l’Union européenne de nos propres fonds et financer avec des crédits de paiement les politiques de l’Union.
Sans cette lettre, je le dis à M. Billout et aux orateurs qui se sont exprimés sur la croissance, les crédits de paiement nécessaires au financement des politiques de l’Union européenne pour la période 2017-2013 n’auraient pas été rabotés.
Que s’est-il passé ? Le budget sur lequel le Conseil européen et les institutions de l’Union européenne sont tombés d’accord en 2007 s’élevait, je le rappelle, à 986 milliards d’euros de crédits d’engagement et à 942 milliards d’euros de crédits de paiement. Monsieur Billout, savez-vous que seuls 860 milliards d’euros ont été dépensés, soit 80 milliards d’euros de moins que ce qui était prévu ?
À la lecture de cette lettre, on voit que les crédits de paiement nécessaires au financement du budget de l’Union européenne ont délibérément été rabotés de 80 milliards d’euros par les gouvernements conservateurs. Voilà la situation que nous avons trouvée !
Nous avons également trouvé un déficit organisé du budget de l’Union européenne de 16 milliards d’euros. Le décalage entre ce que l’Union avait prévu de dépenser et les crédits qui lui avaient été alloués était tel que le président du Parlement européen, Martin Schulz, a constaté une situation de déficit chronique de son budget. Voilà, je le répète, la situation que nous avons trouvée !
Nous avons fait tout ce que nous avons pu lors de la négociation. J’ai donc un peu de peine à entendre ce que nous dit M. Billout. En fait, il nous reproche de ne pas faire ce que, en réalité, nous faisons bel et bien.
Autour de la table du Conseil européen, nous avons demandé à tourner le dos à cette stratégie funeste. Nous avons souhaité – c’est l’article 109 des conclusions du Conseil – que l’on introduise en matière de gestion du budget de l’Union européenne pour la période qui s’ouvre ce que nous avons appelé la « flexibilité maximale », c'est-à-dire la flexibilité entre les exercices et entre les rubriques budgétaires.
Ainsi, lorsque des crédits de paiement seront disponibles à la fin d’une année budgétaire, ils seront affectés au budget de l’Union européenne, les États ne les récupérant pas pour leurs propres budgets. De même, en cas de surconsommation dans une rubrique et de sous-consommation dans une autre, il sera possible de transférer les crédits de paiement concernés pour assurer leur complète mobilisation.
Cela signifie, monsieur Billout, monsieur Sutour, madame André, que si nous mobilisons, avec une flexibilité maximale, tous les crédits de paiement du budget récemment adopté, nous dépenserons 50 milliards d’euros de plus qu’avec le budget précédent.
J’ajoute que l’examen des rubriques consacrées à la croissance au sein du précédent budget fait apparaître une somme globale de 90 milliards d’euros. Or les rubriques consacrées à la croissance, à la stratégie Europe 2020, à la recherche et à l’innovation technologique, autant de politiques dont vous avez souligné l’importance, monsieur Billout, connaissent une augmentation de 40 %, puisqu’elles représentent désormais une somme de 140 milliards d’euros !
Vous disiez, monsieur Requier, qu’il faut faire rêver les Européens, et vous aviez raison. Pour ce faire, il faut de grandes politiques pour l’Union, articulées autour du programme Erasmus, qui permettent aux jeunes étudiants de passer d’une université à une autre et de traverser les frontières, d’apprendre les langues de l’Union européenne, d’avoir accès à la connaissance dans d’autres pays que le nôtre et de pouvoir, ainsi, suivre dans toute l’Europe des parcours professionnels, gages de leur capacité à réussir une carrière, à mener des recherches et à faire preuve d’innovation.
Cela suppose également que l’on organise le transfert de technologies et que nous engagions la transition énergétique à l’échelle de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons – la France est, d’ailleurs, l’un des rares pays à plaider en ce sens – que l’Union européenne soit dotée de ressources propres, afin que son budget ne dépende pas de la seule contribution RNB, allouée par les États membres.
En effet, s’il continue à ne dépendre que de cette ressource, le budget de l’Union européenne ne sera rien d’autre que la juxtaposition des demandes particulières des États, qui veulent s’assurer du retour de l’argent qu’ils lui versent. Un véritable budget européen requerrait des ressources propres, qui lui permettent de mener des politiques ambitieuses, que nous appelons de nos vœux.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’état des lieux de notre action en ce domaine.
J’y insiste, monsieur Billout, encouragé en cela par l’intervention d’Alain Richard : je suis en mesure de vous donner, programme par programme et région par région, les conditions dans lesquelles le plan de croissance, d’un montant de 120 milliards d’euros, soutiendra les projets engagés sur notre territoire. Je le ferai, si vous en êtes d’accord, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’occasion de la réunion de la commission des affaires européennes qui se tiendra après la tenue du Conseil européen.
Ce plan a des implications concrètes, dont je vais vous donner quelques exemples. Ainsi, avec les fonds structurels et les prêts de la Banque européenne d’investissement, la BEI, nous finançons des investissements massifs dans les bâtiments d’habitat collectif en région Champagne-Ardenne, afin de maîtriser leur bilan thermique, ce qui est source de croissance. Grâce à la remobilisation des fonds structurels, nous investissons massivement dans la transition énergétique sur le port de Cherbourg, qui va accueillir une usine de fabrication d’éoliennes – c’est un hasard, monsieur Bizet ! (Sourires.)
De même, dans la région Aquitaine, nous investissons massivement dans le développement de l’énergie solaire, autour du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA. Nous sommes en train d’accompagner le département de la Haute-Savoie dans l’aménagement numérique de son territoire, en essayant de combiner des prêts de la BEI avec la mobilisation de fonds structurels.
Ceux qui prétendent que le plan de 120 milliards d’euros n’existe pas le font soit parce qu’ils ont l’intention de nuire à ceux qui ont demandé sa mise en place et concourent à sa réussite, soit parce qu’ils n’en savent rien. Quelle que soit l’explication retenue, elle est très ennuyeuse : dans le premier cas, il n’est jamais bon de vouloir entraver la croissance ; dans le second, il est toujours préférable d’émettre des critiques en connaissance de cause.
Voilà ce que je tenais à vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la croissance en Europe.
J’en viens maintenant à un deuxième sujet, évoqué par l’excellent président de la commission des finances du Sénat, qui m’a très aimablement indiqué qu’il devait nous quitter prématurément. J’apporterai, malgré son absence, une réponse à ses propos, car je tiens à ce qu’elle figure dans le compte rendu de la séance.
M. David Assouline. « Excellent président de la commission des finances », c’est excessif !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C’est du troisième degré, monsieur le sénateur ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Je veux confirmer au sénateur Marini ce que je lui ai déjà dit à l’occasion de la précédente séance de débat sur le budget européen : la question de l’impôt sur les sociétés à Chypre figure bien dans le dialogue en cours entre Chypre et la troïka.
En effet, nous avons souhaité mettre ce dossier à l’ordre du jour de nos échanges. Le sénateur Marini avait raison de le souligner, nous ne pouvons pas, d’un côté, regretter que ce sujet n’ait pas été évoqué pour l’Irlande quand il aurait dû l’être – cela a été ma position, d’ailleurs –, et, de l’autre, refuser de nous poser la question pour Chypre, alors que nous sommes en situation de le faire ! Nous avons donc souhaité que ce sujet figure à l’ordre du jour des discussions. Les propos tenus tout à l’heure par M. Marini n’étaient donc pas justes, et je veux que le compte rendu de la séance apporte cette correction.
Autre affirmation incorrecte, il a prétendu que nous avions élaboré un système fixant les modalités d’intervention des mécanismes de solidarité sur le marché secondaire des dettes souveraines et que nous avions engagé l’union bancaire sans établir aucun calendrier précis pour leur mise en œuvre.
Il a formulé la même critique pour la recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité, le MES. Or c’est tout à fait faux ! Le Conseil européen du mois de décembre dernier a décidé d’un calendrier extrêmement précis de mise en œuvre de l’union bancaire. La Commission devra avoir rédigé la totalité des textes relatifs à la mise en place de la supervision bancaire avant la fin du premier semestre de l’année 2013. Nous devons cela au travail des commissaires européens, au premier rang desquels Michel Barnier. Si M. Marini le désire, je peux lui donner les coordonnées du commissaire Barnier, qui lui confirmera ce calendrier. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Avant la fin de l’année 2013, c’est-à-dire une fois que la supervision bancaire sera opératoire, la recapitalisation directe des banques par le MES sera possible. Les textes relatifs à cette recapitalisation sont en cours d’élaboration. Ce que le président de la commission des finances a indiqué devant votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, n’est donc pas juste.
Enfin, il a souligné que la France allait devoir rendre compte des réformes structurelles qu’elle met en œuvre devant la Commission, dans le cadre du semestre européen. Il a sur ce point parfaitement raison. Toutefois, en tant que président de la commission des finances du Sénat, il n’est pas sans savoir que, dans le cadre du même semestre européen, le Gouvernement devra également exposer au Sénat et à l’Assemblée nationale son programme national de réforme et son programme de stabilité, qui définiront, l’un et l’autre, les conditions dans lesquelles la France entreprendra les réformes nécessaires au respect des objectifs qu’elle s’est engagée à atteindre.
Il sait parfaitement que le dispositif même du semestre européen oblige le Gouvernement à faire état des réformes auxquelles il s’attelle et à veiller à ce qu’elles soient bien appliquées, la Commission pouvant lui demander des comptes, voire, éventuellement, lui infliger des pénalités.
De la même manière, il n’est pas juste d’occulter le compromis historique sur la réforme du marché du travail, conclu entre les organisations syndicales. S’il fait l’objet de discussions, il existe bel et bien.
Enfin, il n’est pas juste de passer sous silence l’adoption du plan de compétitivité, inspiré des préconisations du rapport Gallois. Alors que certains annonçaient que ces dernières ne seraient jamais mises en œuvre, le plan en reprend la quasi-totalité.
Un débat portant sur les questions européennes est toujours technique et compliqué. Cependant, et je rejoins en ce sens les propos tenus par Mme Morin-Desailly, ainsi que par MM. Dantec et Requier, il ne doit pas nous faire oublier l’objectif, l’ambition, la part de rêve du projet politique européen. Dès lors, si nous ne voulons pas que les populismes triomphent, débattre de ces sujets implique d’avancer des arguments précis, rigoureux et empreints d’un minimum de vérité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin du mois de février dernier, la Commission européenne a rendu publiques ses prévisions de croissance, qui sont très pessimistes, malheureusement, pour la zone euro en général, et pour la France en particulier. Nous sommes à la veille d’un Conseil européen dont l’ordre du jour se compose du suivi des mécanismes de coordination des politiques économiques nationales.
À ce stade, nous ne pouvons que constater ce qui paraissait déjà très probable depuis l’automne dernier : la France ne respectera pas en 2013, hélas, son engagement d’avoir un déficit inférieur à 3 % du PIB, et son endettement public continuera d’augmenter.
Nous nous posons la question, et nous nous inquiétons, de ce que le Gouvernement va décider dans les prochains mois. Quelle est sa stratégie économique ? Après une très forte hausse de la fiscalité – de plus de 30 milliards d’euros, je le rappelle –, en 2012 et 2013, va-t-il continuer sur cette voie, ou bien va-t-il s’engager résolument sur celle des réformes structurelles et de la baisse de la dépense publique ? Pouvons-nous espérer une ligne claire et un plan crédible, qui puissent rassurer nos partenaires et les marchés ? Cette question était également, si j’en crois la lecture d’un grand quotidien du soir, celle de M. Collomb.
Alors que l’Italie et l’Espagne sont particulièrement fragilisées, que le sauvetage par la BCE est susceptible de trouver ses limites et que la France sera le premier emprunteur de la zone euro en 2013, la situation de notre pays devient un enjeu européen, et non plus seulement national.
Monsieur le ministre, quelle est donc la stratégie politique du Gouvernement pour l’Union européenne ? Quand admettrez-vous que la divergence de plus en plus grande entre les économies allemande et française non seulement déstabilise le couple franco-allemand, mais également fait courir un grand risque à l’ensemble de la zone euro ? Je ne puis imaginer que votre projet européen est d’isoler l’Allemagne ! Que signifie la solidarité lorsque l’on n’est pas capable d’y participer soi-même ? C’est la question qui risque de se poser si notre économie ne redémarre pas.
Voilà, monsieur le ministre, les questions que je tenais à vous poser.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur Bizet, je tiens à vous remercier de votre question qui, en réalité est double.
Premièrement, vous me demandez ce que nous allons faire pour rétablir la situation de nos comptes et, ainsi, retrouver de la crédibilité à l’échelle européenne.
Deuxièmement, vous vous demandez comment articuler la relation de la France avec l’Allemagne, de façon à ce que ces deux pays puissent continuer à jouer le rôle de moteur de la construction européenne.
Tout d’abord, je comprends parfaitement votre inquiétude quant au déficit public, même si je regrette de ne pas l’avoir vue s’exprimer avec autant d’acuité et de précision au cours des dix dernières années.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. De deux choses l’une : soit on est inquiet du niveau des déficits, et alors on l’est systématiquement dès qu’ils se creusent, nonobstant la situation politique du moment ; soit on est inquiet dans un contexte politique particulier, en feignant d’oublier le précédent. Dans ce dernier cas, le ministre que je suis, dans les responsabilités qui sont les siennes depuis peu de temps, ne peut manquer de s’interroger sur les arrière-pensées qui président à ce tourment.
Mme Bernadette Bourzai. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Tâchons donc, monsieur le sénateur, d’étudier le problème hors de tout contexte politique. Nous le ferons en nous posant une première question : quelle a été l’évolution de la dette ?
La semaine dernière, le ministre de l’économie et des finances et moi-même nous sommes rendus à Bruxelles, dans le cadre du semestre européen. J’ai pu y rencontrer nos partenaires européens. Ces derniers constatent que la situation de la France s’est profondément dégradée au cours des dix dernières années. Ils nous le disent, ils ont vu la dette de notre pays doubler entre 2002 et 2013. Ils nous disent également avoir vu les déficits français s’approfondir au cours des dix dernières années, ce qui les inquiète.
Ils ont vu la France demander à la Commission, il y a quelques années de cela, que l’objectif de 3 %, au respect duquel elle s’était pourtant engagée dans le cadre du traité de Maastricht, ne soit pas respecté. Ils se souviennent que le gouvernement qui a accompli cette démarche n’était pas celui d’aujourd'hui, qu’il avait une autre sensibilité politique.
Ils constatent également le décrochage économique de la France par rapport à l’Allemagne. Alors que le déficit du commerce extérieur français se monte à 75 milliards d’euros, l’Allemagne affiche, quant à elle, un excédent de 150 milliards d’euros. Nos partenaires savent bien que cette situation n’est pas le résultat des politiques menées depuis neuf mois.
Les interrogations de la Commission sur la situation française sont donc beaucoup plus objectives et impartiales que les vôtres, monsieur le sénateur, et elles portent sur des aspects structurels.
Toutefois, cela ne nous dispense pas d’y répondre. Nous le faisons en affichant ce que nous avons fait depuis notre arrivée au pouvoir. Trois points sont susceptibles d’affecter le regard que la Commission porte sur notre pays. Tout d’abord, nous avons adopté un plan de redressement des finances publiques, à hauteur de 30 milliards d’euros. Ensuite, nous avons développé un plan destiné à renforcer la compétitivité des entreprises, qui se monte à 20 milliards d’euros. Enfin, un accord social historique autour de la sécurisation des parcours professionnels a été trouvé.
Nous en voyons déjà les premiers résultats. Les partenaires européens le constatent désormais, l’engagement, pris devant la Commission, de diminuer de plus de 1 % par an le déficit structurel sur la période 2010-2013 a été tenu. Or, nos partenaires européens en conviennent eux-mêmes, l’effort d’amélioration du déficit structurel français entre 2010 et 2013 a été fourni, pour les deux tiers, depuis le mois de juin dernier. Cela figure dans le rapport de la Cour des comptes, que nos partenaires ont lu, et dans les conclusions de l’évaluation de la Commission européenne sur notre trajectoire budgétaire, auxquelles le commissaire Olli Rehn a fait référence.
Nous indiquons à la Commission que nous allons poursuivre le travail de rétablissement de nos comptes, ainsi que les réformes. D’ailleurs, le programme national de réformes présentera clairement le cap qui est le nôtre en la matière. En outre, le semestre européen permettra d’approfondir intelligemment le dialogue engagé avec la Commission.
Enfin, monsieur Bizet, la relation franco-allemande ne s’est pas détériorée... (M. Jean Bizet manifeste son scepticisme.) Je vais d’ailleurs vous en apporter la démonstration.
Pour vous, et pour un certain nombre de vos amis, cette relation est d’autant plus forte que les Français oublient d’exprimer leur point de vue lorsque les deux pays ont à statuer sur une question donnée. Telle n’est pas notre approche. Selon nous, la relation franco-allemande est d’autant plus forte, et les chances de compromis d’autant plus réelles que nous sommes capables de nous parler franchement en assumant nos positions respectives.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Et, depuis neuf mois, nous avons trouvé des compromis sur tous les sujets.
Par exemple, il n’y avait pas d'accord franco-allemand sur l’union bancaire et la supervision des banques ; il y avait même des divergences. Nous avons trouvé un compromis.
De même, il existait un désaccord profond sur les mécanismes d’intervention des dispositifs de solidarité sur le marché secondaire des dettes souveraines. Cette situation avait même conduit le président Nicolas Sarkozy à affirmer, lors de son débat avec François Hollande, que nous n’obtiendrions jamais la mobilisation de tels mécanismes pour faire baisser les taux. Or nous avons obtenu les mécanismes de solidarité et l’intervention de la BCE.
On nous expliquait aussi que le pacte de croissance et la taxe sur les transactions financières n’étaient pas possibles, parce que les Allemands n’en voulaient pas. Or c’est avec eux que nous avons conçu le pacte de croissance. Et ce sont Pierre Moscovici et son homologue d’outre-Rhin, Wolfgang Schäuble, qui ont signé la lettre adressée à tous les pays de l’Union européenne pour obtenir la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières en coopération renforcée.
Enfin, alors que nous sortons de la célébration du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, nous avons défini pour les trois années venir un programme franco-allemand autour de soixante-dix actions concrètes, dont les premières sont d'ailleurs entrées en vigueur voilà quelques semaines.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Heureusement que la relation franco-allemande est détériorée. Qu’aurions-nous fait ensemble si elle avait été idyllique ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le ministre, tout d'abord, je souscris pleinement à vos propos sur les relations entre la France et l’Allemagne. Qu’il puisse y avoir des approches différentes, c’est certain. Mais que la recherche du nécessaire compromis par concessions mutuelles soit permanente, je le confirme ici, en tant que maire de Strasbourg, ville symbole de la réconciliation entre nos deux pays.
Ma question porte sur le point essentiel qui sera abordé lors de ce prochain Conseil européen : le cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire le budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020.
Comme vous le savez, le projet est issu d’un accord politique conclu entre les chefs d’État et de gouvernement le 8 février dernier. Le budget doit à présent être approuvé par le Parlement européen.
Or, dans sa forme actuelle, l’accord du 8 février suscite de fortes réticences de la part du Parlement européen. D’ailleurs, l’ensemble des groupes parlementaires vont sans doute poser des conditions à son adoption, sous la houlette de M. Martin Schulz, le président de l’institution. On peut schématiquement, me semble-t-il, répertorier quatre conditions.
Premièrement, une clause de révision permettant la réouverture du dossier après les prochaines élections européennes, prévues en 2014.
Deuxièmement, une plus grande flexibilité entre les lignes budgétaires et entre les années financières.
Troisièmement, des ressources propres, avec une réforme du fameux chèque de compensation pour sortir de l’ère du « I want my money back ».
Quatrièmement, le règlement de la question du budget rectificatif pour 2013.
Monsieur le ministre, le gouvernement français est-il disposé à tenir compte de ces quatre conditions pour sortir de l’impasse politique dont l’Union européenne risque de faire les frais ? Et quelles sont les positions des différents chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne sur ces perspectives ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. M. le président m’a déjà laissé répondre très longuement à la question de M. Bizet, et je ne voudrais pas abuser du temps de parole qui m’est aimablement imparti par la Haute Assemblée. Je serai donc très bref.
Le Parlement européen a posé quatre conditions. D’ailleurs, c’est un enseignement très intéressant : les positions que nous avons engagées dans la négociation ne suscitent pas d’opposition de la part des eurodéputés, qui manifestent au contraire leur volonté d’avancer avec nous.
Premièrement, nous sommes favorables à la flexibilité maximale. D’ailleurs, ce principe figure désormais à l’article 109 des conclusions du Conseil européen, comme nous l’avions nous-mêmes demandé.
Deuxièmement, nous approuvons la clause de révision à mi-parcours, qui permet au Parlement européen d’examiner les conditions d’exécution du budget. Il ne serait tout de même pas fondamentalement anormal que les députés élus dans un an aient à connaître des conditions d’exécution du budget adopté pour cinq ans. On ne peut pas demander au Parlement européen d’être un partenaire dormant pendant ces cinq années.
Troisièmement, doter le budget de l’Union européenne de ressources propres est, pour ce gouvernement comme pour les membres du Parlement européen de sensibilité progressiste, un combat historique. D’ailleurs, c’est la condition pour que le budget devienne à terme un vrai budget européen, et non la simple juxtaposition des demandes des États.
Quatrièmement, et c’est le point le plus délicat, il est demandé de combler dès cette année le déficit résultant des politiques passées, que je décrivais tout à l’heure. C’est effectivement le plus difficile, car nous devons à la fois répondre aux exigences de réduction du déficit posées par le Parlement européen et faire en sorte que l’Europe ait un bon budget.
C'est la raison pour laquelle nous sommes engagés dans un processus de discussions, non seulement avec le Parlement européen et au sein du Conseil, mais également dans un cadre interministériel, pour examiner les conditions dans lesquelles nous pouvons répondre le plus favorablement possible aux demandes des eurodéputés.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Je souhaite insister sur ce que le processus d’élaboration du budget européen pour la période 2014-2020 a de novateur.
Auparavant, seul le Conseil décidait. Désormais, et le Président de la République, François Hollande, l’a rappelé, une fois que le Conseil est parvenu à un accord, une phase de discussions s’engage avec le Parlement européen. En effet, aux termes du traité de Lisbonne, le Parlement européen doit approuver le budget. C’est donc une avancée démocratique importante. D’ailleurs, je n’ai de cesse de souligner les apports de ce traité en matière d’approfondissement de la démocratie à l'échelle européenne.
Notre collègue Catherine Morin-Desailly nous a interpellés sur le débat européen. Nous y prenons part, y compris au niveau national. Ainsi, le 2 avril prochain, les commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat tiendront au palais du Luxembourg une réunion commune avec les eurodéputés français et M. Alain Lamassoure, le président de la commission des budgets du Parlement européen, pour répondre à de telles questions.
Je tenais à rappeler ces quelques éléments dans un souci pédagogique, afin de montrer que le processus n’est pas terminé.
Je pense que le gouvernement français et le Président de la République ont bien travaillé au sein du Conseil européen. C’est désormais aux parlementaires européens de jouer. Et les parlements nationaux ont évidemment aussi leur mot à dire.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les prévisions économiques de la Commission européenne confirment nos doutes : la France ne pourra respecter l’objectif d’un déficit en deçà de 3 % du produit intérieur brut pour 2013. C’est ce que nous craignions depuis l’année dernière. Nous avions d’ailleurs saisi le Conseil constitutionnel sur ce motif.
Les hypothèses de croissance du Gouvernement étaient optimistes, au-delà du raisonnable. Que va faire celui-ci à présent ? Pour atténuer les effets des chiffres, il va raisonner en termes de déficit structurel, c’est-à-dire sans tenir compte des aléas de la conjoncture. Il est tout à fait en droit de procéder ainsi : c’est la méthode de calcul établie dans le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, un texte qui a été négocié par la précédente majorité et dont nous avons soutenu la ratification.
Pour autant, il s’agit là d’une question formelle. Le problème fondamental de notre économie, c’est la faiblesse de la croissance potentielle.
Dès lors, quelles mesures cohérentes le Gouvernement va-t-il prendre pour améliorer notre croissance potentielle et notre compétitivité ? En particulier, que va-t-il répondre à la Commission européenne ? Dans ses prévisions publiées à la fin du mois de février dernier, celle-ci estime que la seule mesure du Gouvernement en faveur de la compétitivité de notre économie, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, risque d’aggraver le déficit, faute de financement.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la sénatrice, selon vous, les hypothèses de croissance sur lesquelles a été fondée l’élaboration du budget pour 2013 étaient excessivement optimistes.
Je me permets de rappeler que la majorité à laquelle vous apparteniez avait conçu ce même budget sur une hypothèse de progression du PIB de 1,7 %. Nous avons ramené cette prévision à 0,8 %. Ainsi, le chiffre de 1,7 % ne vous semblait pas trop optimiste, mais celui de 0,8 % vous paraît déraisonnable… J’ai du mal à comprendre votre raisonnement.
M. David Assouline. C’est parce qu’ils sont de mauvaise foi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous avons fondé le budget sur l’hypothèse d’une progression du PIB de 0,8 %, dans un contexte qui ne correspondait pas à nos souhaits en termes de croissance.
Nous sommes amenés à procéder à des ajustements. Nous le faisons en relation avec la Commission européenne, dans le cadre du semestre européen, ainsi que je l’ai décrit.
J’ai indiqué à M. Jean Bizet les mesures que nous nous apprêtions à prendre. Je vous confirme qu’elles seront mises en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer une question dont le coût pour le budget européen est nul.
Après plusieurs années de lutte pour le rétablissement des droits de plantation de vigne, la bataille engagée par les professionnels et les élus au niveau européen trouvera-t-elle un épilogue heureux ?
Les propositions du groupe à haut niveau réuni par la Commission européenne vont incontestablement dans le bon sens, en ouvrant la voie à la prolongation d’un dispositif d’encadrement du potentiel viticole.
Toutefois, la semaine qui vient sera décisive, avec le vote du Parlement européen et la poursuite des discussions au Conseil. Les organisations professionnelles sont particulièrement critiques sur la durée proposée pour le nouveau régime.
Si l’encadrement de toutes les plantations est, certes, maintenu, il est prévu qu’il prenne fin en 2021, c'est-à-dire au bout de trois ans seulement, ce qui ne serait pas acceptable. C’est le spectre de la libéralisation qui revient !
Je voudrais rappeler qu’une proposition de résolution européenne a été soumise à la commission des affaires économiques sur l’initiative de nos collègues Simon Sutour et Gérard César. En tant que rapporteur, je précise que le texte a été adopté à l’unanimité.
Dans cette résolution, qui comprend dix points, nous réclamons surtout une instauration pérenne du nouveau dispositif d’encadrement des plantations ; le secteur viticole doit bénéficier d’un cadre réglementaire stable. Et nous plaidons par ailleurs pour une entrée en vigueur sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne au 31 décembre 2018.
Certes, le rôle du Parlement européen sera important. Toutefois, nous demandons que les principaux points de la proposition de résolution adoptée au Sénat à l’unanimité deviennent les priorités de la France dans les discussions européennes et que le Gouvernement pèse de tout son poids pour les faire aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Il s’agit d’un sujet sur lequel le Gouvernement, en particulier le ministre de l’agriculture, M. Le Foll, s’est fortement mobilisé.
Le vent de libéralisme qui soufflait suscitait des inquiétudes chez les viticulteurs de notre pays quant aux conditions de plantation des vignes dans les années à venir.
Le Gouvernement, héritant d’une situation où la libération des droits de plantation semblait être acquise, a voulu corriger le tir et revenir sur le dispositif qui paraissait établi.
Vous avez fait référence, monsieur le sénateur, au groupe de travail de haut niveau qui a été mis en place. Celui-ci a, notamment, rendu successivement deux plates-formes de conclusions communes, qui définissent des orientations que le Gouvernement approuve et appuie.
Premièrement, nous souhaitons encadrer toutes les plantations de vignes après 2015, afin de corriger les effets du dispositif de libéralisation initialement prévu par la Commission.
Deuxièmement, nous voulons assurer la pérennité du dispositif de régulation prévu après 2015, ce qui répond, monsieur le sénateur, à l’une de vos préoccupations.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les négociations, auxquelles participe le ministre de l'agriculture, M. Le Foll, sont encore en cours. Même s’il est prématuré de se prononcer sur la forme définitive du futur compromis, je puis dès à présent vous assurer que la discussion se poursuit dans de bonnes conditions sur les deux points que je viens d’évoquer.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, le coût de la transition énergétique de l’Allemagne vers le non-nucléaire est évalué à près de 1 000 milliards d’euros. Avons-nous les moyens financiers de faire passer la part du nucléaire dans la production française d’électricité de 78 % à 50 %, comme s’y est engagé le Président de la République ?
Un calendrier fixe et ferme sur le long terme a-t-il été établi ou s’agit-il d’une simple promesse électorale, sachant que le coût d’une telle transition s’élèverait pour la France à 650 ou à 700 milliards d’euros et que l’énergie actuellement produite dans notre pays est meilleur marché que celle de nos principaux concurrents, ce qui constitue l’un des rares avantages-coûts dont nous disposions ?
Je vous poserai une autre question, monsieur le ministre. Les Américains impriment de nombreux dollars pour relancer leur économie intérieure et le yuan est une monnaie sans doute légèrement sous-évaluée. Cette situation conduit à un renchérissement de l’euro, ce qui a des conséquences très négatives sur notre commerce extérieur.
Ne pourrions-nous convaincre Mme Merkel que des investissements structurels, contrairement à ce qu’elle pense, seraient profitables à l’ensemble des économies de l’Union européenne, y compris à celle de l’Allemagne ? Ne serait-il pas temps de dépasser le blocage quasi religieux qui commande que l’euro soit une monnaie ferme, dans la continuité du deutsche mark ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, votre question aborde de nombreux sujets : la pertinence du scénario de transition énergétique dans lequel la France est engagée, la stabilité de la monnaie unique, le financement des infrastructures de connexion énergétique au sein de l’Union européenne, le tout dans la perspective d’une relation franco-allemande s’intéressant également aux questions de politique énergétique.
Malgré une telle diversité, je tenterai de vous apporter une réponse susceptible de vous satisfaire.
Vous m’avez interrogé sur la transition énergétique dans laquelle la France et l’Allemagne se sont engagées. Si nous voulons restaurer durablement notre compétitivité sur le plan mondial, il est nécessaire que l’Union européenne produise une énergie à un coût compatible avec la concurrence internationale.
Par conséquent, la question du coût de l’énergie pour l’industrie européenne et pour le développement de l’Europe est centrale, ce qui soulève plusieurs interrogations.
Tout d’abord, pouvons-nous mettre en place une politique énergétique commune au sein de l’Union européenne, malgré des scénarios de transition énergétique parfois divergents ? Dans l’affirmative, pouvons-nous plus particulièrement œuvrer avec l’Allemagne ? Enfin, quels fonds européens pouvons-nous mobiliser pour accompagner cette transition énergétique ?
En répondant à ces trois questions, j’espère pouvoir répondre en partie à vos interrogations, monsieur le sénateur.
Pouvons-nous mettre en place une politique énergétique européenne ? C’est un souhait du Président de la République, qui a évoqué cette nécessité à l’occasion de la tenue, il y a quelques mois à Paris, de la Conférence nationale sur l’environnement. Le ministre des affaires étrangères a souhaité que nous puissions, en liaison avec nos partenaires européens, définir certaines orientations.
Nous avons commencé à le faire avec l’Allemagne. Parmi les soixante-dix propositions qui ont été arrêtées à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, une concerne la transition énergétique. Il a été décidé de travailler sur trois sujets : l’amélioration du bilan thermique des bâtiments publics, ce qui sera fortement générateur de croissance et ira dans le sens du plan climat ; le développement commun des énergies renouvelables ; le financement conjoint des interconnexions.
En ce qui concerne le développement conjoint des énergies renouvelables, nous n’avons pas tardé à donner une transcription concrète à cette ambition, puisque, le 7 février dernier, les ministres Delphine Batho et Peter Altmaier ont annoncé la création de l’office franco-allemand des énergies renouvelables.
En ce qui concerne le financement des interconnexions, le programme Connecting Europe Facility passera de 8 milliards d’euros à 20 milliards d’euros dans le budget de l’Union européenne, ce qui permettra d’affecter une part significative de ce programme au développement des infrastructures de connexions énergétiques ; cela répond, je pense, à votre préoccupation. C’est dans cet esprit que nous essayons de cheminer vers les objectifs qui sous-tendent vos questions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Alors que, en 2013, le Gouvernement ne pourra pas respecter son engagement de ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB, l’heure est non plus à la réflexion, mais à l’action.
La marge de manœuvre du Gouvernement pour accroître les recettes, c’est-à-dire la fiscalité, est désormais quasi inexistante après l’augmentation massive des impôts à laquelle vous vous êtes livrés depuis juillet 2012, au point que cela a fini par fragiliser nos entreprises.
Reste la baisse de la dépense publique. C’est sur ce point que je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, car il s’agit d’un sujet intéressant dans le contexte européen.
Alors que nous avons un taux de prélèvements obligatoires des plus élevés – 46 % du PIB –, notre taux de dépenses publiques est également l’un des plus forts de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, puisqu’il atteint 56 % du PIB,…
M. Roland Courteau. La faute à qui ?
M. Jean-Paul Emorine. … soit 10 points de plus qu’en Allemagne. Cela représente 200 milliards d’euros.
Or vivons-nous mieux que nos voisins allemands ? La réponse est non.
Monsieur le ministre, vous ne sauverez pas notre modèle social sans réformes structurelles, c’est-à-dire sans réduction des dépenses de fonctionnement et de prestations de l’État, de ses opérateurs et des organismes de sécurité sociale.
La crédibilité des politiques de baisse des dépenses publiques est fondamentale pour la sortie de crise, ne serait-ce que parce qu’elle est susceptible de rendre des marges de manœuvre à l’État.
Vous avez supprimé la révision générale des politiques publiques, la RGPP, pour la remplacer par la modernisation de l’action publique, la MAP. Vous avez ainsi perdu un an pour agir et vous en êtes toujours à fixer des objectifs.
Ma question est simple : quand et comment allez-vous mener une politique déterminée et lisible de réduction de la dépense publique (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), sans affecter pour autant nos capacités d’investissement, ni notre croissance potentielle ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je ne suis pas un homme-orchestre qui aurait la parfaite maîtrise de tous les dossiers relevant de la compétence gouvernementale !
Vous m’interrogez sur la trajectoire des finances publiques. Avant vous, le sénateur Aymeri de Montesquiou m’a questionné sur la transition énergétique.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est un sujet européen !
M. Roland Courteau. Mais vous avez du talent, monsieur le ministre !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne connais pas sur le bout des doigts les sujets qui relèvent de la compétence des autres ministères de la République, et qui n’ont parfois qu’un lointain rapport avec la question qui nous rassemble aujourd’hui.
Cela dit, monsieur le sénateur, je tenterai de vous répondre en vous communiquant des éléments qui sont publics sur la politique que le Gouvernement a l’intention de conduire.
Premièrement, vous affirmez que la pression fiscale a considérablement augmenté depuis notre arrivée au Gouvernement.
Or, dans le cadre du semestre européen, tous les pays doivent indiquer clairement à la Commission européenne les dispositions qu’ils entendent prendre en matière d’augmentation de la pression fiscale et d’économies budgétaires. Il est ainsi tout à fait possible d’établir la traçabilité des décisions prises par les gouvernements français successifs. Nous savons donc parfaitement ce que le précédent gouvernement avait l’intention de faire, puisqu’il en a laissé des traces à travers les communications qu’il a bien voulu adresser à la Commission européenne pour lui expliquer comment il envisageait de redresser les comptes publics.
Quand on regarde les engagements pris devant la Commission européenne par le précédent gouvernement – la commission spécialisée de votre assemblée pourrait, d’ailleurs, se pencher sur ces documents très intéressants –, on s’aperçoit que le niveau de pression fiscale que nos prédécesseurs s’apprêtaient à instaurer est tout à fait comparable à celui que nous avons décidé.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ils comptaient augmenter la pression fiscale de 15 milliards d’euros quand nous l’accroissons de 20 milliards d’euros. Ces 5 milliards d’euros supplémentaires sont-ils suffisants pour faire la différence entre une bonne politique fiscale, dont vous auriez été les auteurs, et une mauvaise, dont nous serions les comptables ?
Par ailleurs, il convient de noter que le surplus de fiscalité pour lequel nous avons opté s’accomplit dans un contexte de relative justice fiscale.
M. Roland Courteau. Eh oui, voilà la différence !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. À une époque particulièrement difficile pour l’ensemble des Français, nous mettons à contribution les plus riches d’entre eux, alors qu’ils avaient été singulièrement épargnés durant la période précédente, vous en conviendrez, monsieur le sénateur.
M. David Assouline. On leur avait même fait des cadeaux !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. C’est mieux que le bouclier fiscal !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Deuxièmement, vous évoquez les économies à réaliser.
Or dans les 30 milliards d’euros d’effort de redressement budgétaire, il y a 10 milliards d’euros d’économies, auxquelles s’ajoutent – il ne faut pas les oublier – les 10 milliards d’euros d’économies qui sont nécessaires pour financer le plan compétitivité. Celui-ci, contrairement à ce que vous avez affirmé tout à l’heure, madame Mélot, est donc bien financé, notamment par des augmentations de TVA que nous équilibrerons pour qu’elles ne touchent pas les Français les plus modestes.
Telles sont les mesures que nous avons prises au regard de celles que vous vous apprêtiez à prendre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. En juillet dernier, le président du Parlement européen, M. Martin Schulz, évoquait le risque d’explosion sociale qui menace l’Europe.
Parallèlement, tout récemment, lors de la transmission d’un document de travail au président du Conseil européen, le ministre français du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a effectué un constat difficilement contestable : « L’Europe sociale est en panne ».
Quel contraste saisissant entre les besoins avérés d’une Union européenne plus sociale et la timidité déraisonnable des institutions sur ce sujet !
Les origines et les données de la crise sociale sont connues : un chômage de masse qui ébranle presque l’intégralité des pays de l’Union européenne – 26 millions de chômeurs, soit 14,8 % de la population active, avec des taux culminant à 27 %, à 26,2 % et à 17,6 % pour la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Plus grave encore, l’horizon obscur qui se dresse devant la jeunesse européenne entraîne une perte de confiance dans l’avenir.
L’Organisation internationale du travail évoque une « génération traumatisée » par les difficultés rencontrées sur le marché de l’emploi et met en garde contre « un vrai risque de génération perdue ». Comment faire fi de ces avertissements dès lors que, en moyenne, un jeune sur quatre est au chômage en France – plus d’un sur deux en Espagne ou en Grèce ?
L’urgence ne commande pas de se focaliser uniquement sur la consolidation des politiques budgétaires. L’amoncellement des mesures d’austérité a abouti à une exaspération sociale qui, bien qu’encore celée, est perceptible.
Il faut donc agir très rapidement, notamment en direction des jeunes, comme l’a fait le Gouvernement, à l’échelle nationale, par le truchement des contrats d’avenir, des contrats de génération, de la « garantie jeunes », de la future réforme sur la formation professionnelle ou de la refondation de l’école.
À cet égard, dans une communication du 20 février dernier portant sur l’investissement social en faveur de la croissance et de la cohésion sociale, la Commission européenne a rappelé l’importance fondamentale d’investir dans le capital humain – conformément aux théories économiques développées, en particulier, par Lucas ou Rebelo –, et ce dès le plus jeune âge, afin d’éviter l’exclusion sociale des enfants.
Par conséquent, en vue de donner corps à une véritable union sociale, nous souhaiterions savoir, monsieur le ministre, si, dans le cadre de la feuille de route ayant trait au renforcement de l’union économique et monétaire, qui devrait être présentée au Conseil européen de juin prochain par M. Van Rompuy, le volet social est intégré.
Ainsi, qu’en est-il de l’instauration d’un salaire minimum dans tous les États européens, une mesure préconisée par les ministres du travail français et allemand, et d’un pacte de progrès social qui complèterait le pacte de stabilité et de croissance ?
Enfin, l’idée de créer un Eurogroupe bis, à vocation sociale et en amont du conseil ECOFIN, avance-t-elle parmi nos partenaires européens ?
L’union économique et monétaire n’a qu’un sens restreint si elle n’est pas pleinement rattachée à un objectif plus concret : l’union sociale. Or c’est précisément ce visage humain, marqué d’espoir et d’optimisme, le seul de nature à pouvoir rapprocher de nouveau les citoyens du projet européen, qui manque à l’Europe aujourd’hui.
Je vous remercie, par avance, monsieur le ministre, de vos réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie, monsieur Teulade, de votre question très importante, qui renvoie au projet social dont l’Europe a besoin.
Vous avez raison : il n’y a pas que le sérieux budgétaire ; il y a aussi le sérieux social, avec, par exemple, la nécessité d’effectuer un bond en termes de couverture des salariés de l’Union européenne par la mise en place de conventions collectives, qui n’existent pas dans tous les pays de l’Union européenne. Un certain nombre de ces derniers réclament d'ailleurs avec insistance que le sérieux budgétaire soit mis en œuvre partout au sein de l’Union européenne sans se demander quel en est le pendant social.
Ainsi, le salaire minimum garanti n’existe pas dans tous les pays de l’Union européenne. Son absence conduit un certain nombre de pays à salarier des ouvriers agricoles dans des conditions qui seraient absolument inconcevables dans un pays comme le nôtre, organisant ainsi la délocalisation d’une partie de l’activité d’abattage ou d’élevage porcin de pays de l’Union européenne vers d’autres.
Vous avez également soulevé dans votre intervention des questions très importantes pour la jeunesse ou pour les salariés, que nous avons bien à l’esprit, qu’il s’agisse de la reconnaissance des qualifications professionnelles, de la portabilité des droits sociaux, de l’évocation d’un salaire minimum garanti européen, ou encore du soutien aux jeunes chômeurs les plus en difficulté dans les régions où le taux de chômage est très important ; d’où la création d’un fonds doté de 6 milliards d'euros décidée à l’occasion du précédent budget.
Sur ce terrain-là comme dans les autres domaines, les choses avancent – certes moins vite que nous ne le souhaiterions, mais elles auraient progressé beaucoup moins rapidement encore si nous n’avions pas été là –, grâce à des décisions très concrètes, que je vais rappeler avant de conclure.
Premièrement, la question sociale figure désormais dans la feuille de route de M. Van Rompuy. Ce n’était pas le cas quand nous sommes arrivés aux responsabilités.
Deuxièmement, nous avons fait de la garantie des droits sociaux, et non pas simplement de la compétitivité, une préoccupation franco-allemande. L’une des soixante-dix décisions dont je parlais tout à l’heure consiste à réunir l’ensemble des partenaires sociaux sur la question de la compétitivité et du progrès et des garanties sociales.
Troisièmement, au-delà du fonds de soutien aux jeunes chômeurs, nous voulons profiter de l’acte II du marché unique pour faire progresser l’harmonisation sociale par le haut.
Cet agenda est celui du gouvernement français au sein de l’Union européenne ; nous avons la volonté qu’il devienne l’agenda de l’Union tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, vous le savez, nous ne cessons de pâtir des notes salées qui nous ont été laissées par le précédent gouvernement et par sa majorité.
Hier matin, à propos des contentieux que nous avons avec l’Europe, un grand journal du matin titrait, et c’était un plus par rapport à ce que nous savions déjà : « Impôts indus, subventions illégales… Une ardoise à 9 milliards d'euros ».
Bien entendu, dans cet ensemble, vous le savez, il y a des choses bien différentes. Toutefois, monsieur le ministre, nous aimerions que vous nous éclairiez sur ces diverses factures qui risquent de nous tomber dessus et qui suscitent notre inquiétude, comme celle de l’ensemble des Français. D’ailleurs, ce titre visait à inquiéter.
Parmi les dossiers en cours, il y en a un que je connais bien, celui de la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, créée par une loi du 5 mars 2009, après la décision brutale du précédent Président de la République de supprimer la publicité sur France Télévisions. D’autres modes de financement, faits de bric et de broc, souvent contestables, ont dû être trouvés. La suite nous a en tout cas montré que cette décision était plus que contestable, puisque le service public est aujourd'hui tout à fait fragilisé.
La taxe sur les fournisseurs d’accès à internet destinée à financer France Télévisions, la seule qui rapportait beaucoup, à savoir près de 300 millions d'euros, nous a d'ailleurs valu d’être condamnés par l’Europe. Un appel a été déposé et la Cour de justice de l’Union européenne devrait, dans les mois qui viennent, rendre sa décision définitive.
Il y a donc beaucoup d’inquiétudes, et d’abord parce que nous tenons au financement du service public. Si cette taxe sur les fournisseurs d’accès est jugée illégale, l’État devra rembourser à ces derniers 1,3 milliard d'euros, ce qui est beaucoup. C’est la faute de la droite, que nous avions à l’époque prévenue, mais qui, malheureusement, a persisté dans sa décision. J’espère en tout cas que la France ne sera pas condamnée.
Peut-être pourrez-vous nous éclairer davantage sur cette question, nous dire où nous en sommes aujourd'hui et, surtout, s’il faudra trouver chaque année 300 millions d'euros pour préserver le service public de l’audiovisuel ?
Monsieur le ministre, ma question porte donc sur ce titre choc qui nous inquiète, sur ce remboursement éventuel, et dans quels délais, de 1,3 milliard d'euros. Quelles prévisions peut-on faire en ce qui concerne cette facture ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, effectivement, au cours des derniers jours, un certain nombre de communications par voie de presse ont rendu compte de l’impact financier des contentieux dont la France fait l’objet devant les instances de l’Union européenne.
Un certain nombre de ces contentieux étant en cours, vous comprendrez que je sois prudent dans ma manière d’aborder les questions que vous avez évoquées : je ne veux pas qu’une déclaration hasardeuse puisse être utilisée, dans le cadre de ces affaires, par telle ou telle partie, compliquant ainsi leur issue pour la France.
Je rappellerai cependant que ces contentieux, qui sont importants en termes de volume et d’impact financier potentiel, concernent essentiellement trois affaires.
La première est celle dite « des OPCVM », les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, dans laquelle la Cour de justice européenne, en mai 2012, a considéré que la législation française, qui traitait différemment les dividendes suscités par les placements en France des OPCVM selon que leur siège était ou non sur notre territoire – les dividendes versés à des OPCVM ne résidant pas en France sont imposés à la source, au taux de 25 %, tandis qu’ils ne sont pas imposés lorsqu’ils sont versés à un OPCVM résident –, était contraire au droit de l’Union.
Nous avons un deuxième contentieux, qui porte sur la taxe dite « Copé-Fillon », dont vous avez plus particulièrement parlé dans votre question et qui frappe les fournisseurs d’accès à internet.
Dans le contexte particulier propre à la France, a été instituée une taxe sur le chiffre d’affaires des fournisseurs d’accès à internet. La Commission estime que la législation européenne en matière de télécommunications comporte des dispositions d’harmonisation fiscale qui encadrent ce type de taxe. Elle a par conséquent saisi la Cour de justice de cette question.
L’audience a eu lieu, les conclusions de l’avocat général n’ont pas encore été rendues. S’agissant d’un contentieux en cours, dont l’issue est incertaine, vous comprendrez que je ne veuille pas en dire davantage sur ce sujet, afin de ne pas compliquer le bon règlement de ce litige.
Enfin, le troisième sujet, c’est l’affaire du « précompte mobilier », qui a été tranchée par l’arrêt du 15 septembre 2011 et qui portait sur le régime français de l’avoir fiscal et du précompte. Vous connaissez les conditions dans lesquelles cette affaire a été traitée.
L’ensemble de ces contentieux, vous l’avez à juste raison souligné, monsieur Assouline, constitue pour nous un héritage lourd, dont nous nous serions bien passés. Leur impact en termes de finances publiques, si nous ne devions pas sortir de ces litiges par le haut, serait de nature à inquiéter davantage encore tous ceux qui s’inquiètent des niveaux des déficits aujourd'hui, sans toujours s’en être préoccupés hier, d'ailleurs. C'est la raison pour laquelle nous faisons en sorte de pouvoir sortir de ces contentieux dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 mars prochain.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
15
Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre
Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2012-827 du 28 juin 2012 relative au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre pour la période 2013-2020 (projet n° 770 [2011-2012], texte de la commission n° 408, rapport n° 407).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination de la France à lutter contre le réchauffement climatique est sans faille. Ce phénomène est un fait scientifique irréfutable, comme l’a confirmé la Banque mondiale dans son rapport publié au mois de novembre 2012. Il y est précisé qu’une hausse de quatre degrés de la température du globe est à prévoir à l’horizon 2060, ce qui est bien supérieur aux estimations scientifiques réalisées jusqu’à présent.
C'est une réalité : le changement climatique s’accélère. La crise écologique s’ajoute aujourd'hui à la crise économique que nous traversons. Elle se traduit par des changements climatiques aux dommages considérables, comme des vagues de chaleur extrême ou des tempêtes avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur la vie humaine et, bien évidemment, sur l’économie.
Lors de la dernière conférence sur le climat, à Doha, à laquelle un certain nombre de sénateurs étaient présents, j’ai eu l’occasion de mesurer le décalage entre l’urgence de la situation, qui nécessiterait un engagement vigoureux et déterminé de la communauté internationale, et la complexité, voire la lenteur, des négociations en cours.
Depuis la conférence de Copenhague, aujourd'hui considérée comme un échec, on peut dire que, d’un certain point de vue, nous sommes entrés dans une phase de stagnation, voire de recul, des négociations internationales sur le climat. Cette conférence s’est achevée sur un résultat modeste, notamment l’engagement de l’Europe dans une deuxième période du protocole de Kyoto.
Le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre est aujourd'hui l’outil indispensable de la mise en œuvre de ce protocole. Il a jusqu’à présent constitué la pierre angulaire de la stratégie européenne pour réduire ces émissions.
Le marché européen du carbone a permis à l’Union européenne et, au sein de celle-ci, à la France d’atteindre à moindre coût l’objectif de réduction fixé au titre du protocole de Kyoto pour 2012. En donnant aux émissions de gaz à effet de serre une valeur économique, il a pour vocation d’inciter les pollueurs à intégrer celles-ci dans leurs décisions d’investissement et dans leur stratégie de développement. Par ailleurs, il stimule l’apparition de projets dans le domaine des technologies à faibles émissions de CO2. Enfin, il est devenu le moteur du développement d’un marché mondial du carbone et a ainsi aidé à canaliser vers les économies en transition des fonds contribuant à leur développement durable.
Le système couvre 12 000 installations industrielles responsables d’environ 40 % des rejets totaux de gaz à effet de serre dans l’Union européenne. Il a commencé à fonctionner le 1er janvier 2005. La première phase de trois ans, de 2005 à 2007, a été suivie par une deuxième phase de cinq ans, de 2008 à 2012.
Pour la troisième phase, qui couvre la période 2013-2020, un nouveau dispositif a été mis en place par la directive européenne du 23 avril 2009, modifiant la directive Quotas de 2003.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier ce soir permet d’intégrer cette modification dans notre droit national. Elle prévoit principalement l’extension du champ d’application du système d’échange de quotas et la modification du système d’allocation.
Tout d’abord, le périmètre du système d’échange est étendu à de nouveaux secteurs, notamment ceux de la chimie et de l’aluminium, et à de nouveaux gaz à effet de serre, comme le protoxyde d’azote. Par ailleurs, le dispositif dominant d’allocation gratuite des quotas est progressivement remplacé par un système de mise aux enchères. Une partie importante des acteurs concernés devront ainsi acheter les quotas nécessaires pour couvrir toutes leurs émissions de gaz à effet de serre.
Pour les secteurs non exposés à un risque important de concurrence internationale, les quotas alloués gratuitement seront progressivement réduits de 80 % en 2013 à 30 % en 2020. La production d’électricité n’en bénéficiera plus.
En revanche, le principe d’allocation gratuite de quotas est conservé pour certains secteurs industriels exposés à un risque important de concurrence internationale : 170 secteurs continueront donc à recevoir 100 % de quotas gratuits, à condition que leurs installations n’émettent pas plus de gaz à effet de serre que les 10 % d’installations les moins émettrices de l’Union européenne. Cela concerne notamment les activités de production manufacturière, la métallurgie, les matières premières, le textile, le papier, la construction, l’agroalimentaire et la chimie.
Ce nouveau système d’allocation par enchères permettra de recueillir à partir de 2013 des recettes qui serviront à financer le plan de rénovation thermique, au travers du budget de l’Agence nationale de l’habitat. Cette mesure fait partie des décisions prises dès l’été dernier dans le cadre des arbitrages budgétaires.
La ratification de l’ordonnance du 28 juin 2012 est, par conséquent, une étape nécessaire dans notre politique de lutte contre le réchauffement climatique.
Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteur, Laurence Rossignol, qui a contribué à enrichir le texte d’un amendement important, visant à compléter l’article L. 229-8 du code de l’environnement par une disposition prévue dans la directive, selon laquelle l’allocation de quotas à titre gratuit diminue chaque année jusqu’à disparaître en 2027. Cet objectif, qui renforce l’efficacité environnementale du système, me paraît nécessaire ; c’est pourquoi le Gouvernement approuve cette initiative.
Le débat de ce soir nous offre également l’occasion d’aborder la situation du marché carbone et la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle européenne.
Il faut, je crois, regarder les choses en face.
Le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre est confronté depuis 2008 à une crise sans précédent, essentiellement due à deux facteurs.
En premier lieu, la crise économique a réduit l’activité des industries les plus émettrices, ce qui a mécaniquement entraîné une diminution des émissions de gaz à effet de serre, sans qu’un effort significatif supplémentaire s’impose. Presque tous les secteurs ont bénéficié d’un niveau de quotas supérieur à celui qui leur était nécessaire, ce qui explique qu’il y ait à ce jour environ un an d’émissions « en trop » dans le système. En l’absence d’un retour à une croissance économique forte, ce déséquilibre provoque automatiquement une baisse du prix du carbone.
En second lieu, une incertitude pèse sur l’avenir des négociations internationales relatives au climat, des efforts communs de la communauté internationale dans la lutte contre le réchauffement climatique et même du système européen après 2020.
En conséquence, le cours de la tonne de CO2 est passé d’environ 8 euros au mois d’octobre 2012 à 4 euros aujourd’hui. Le 24 janvier dernier, le prix du quota a atteint son niveau historiquement le plus bas : 2,81 euros.
Cette situation entraîne des conséquences très importantes, puisque le prix de la tonne de CO2 ne remplit plus le rôle de signal qu’il était censé jouer pour infléchir les décisions d’investissement des industries émettrices.
Autre conséquence majeure, le charbon fait son retour dans les principaux pays européens.
C'est le cas en Allemagne où, d’après l’Institut national de la statistique allemand, les émissions du secteur électrique fonctionnant au charbon ont augmenté de 5 % en 2012 par rapport à 2011.
Au Royaume-Uni, la part de l’électricité produite à partir du charbon est passée de 27 % en 2011 à 38 % en 2012.
En France même, les émissions de CO2 sont en hausse dans le secteur électrique. Ainsi, la part du charbon dans la production d’électricité a progressé de 35 % en 2012, même si elle reste modeste, passant de 2,5 % à 3,3 %. Entre 2009 et 2011, la consommation de charbon a augmenté de 7 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Je prends cet exemple, parce qu’il montre de façon nette le lien entre prix à la tonne de CO2 et recours aux énergies fossiles.
Ces tendances contredisent la croyance – je ne sais pas si c’est le mot qui convient – selon laquelle nos économies évolueraient mécaniquement vers des modes de production moins émetteurs de gaz à effet de serre.
La hausse de la consommation du charbon en Europe est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un mouvement observé à l’échelle mondiale. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le charbon serait, d’ici à une décennie, la première énergie mondiale, devant le pétrole.
Dans ce contexte, la France soutient actuellement, avec douze autres États membres, les initiatives de la Commission européenne en vue d’améliorer la régulation immédiate du marché européen du carbone. Elle apporte notamment son appui à la proposition de la Commission européenne dite « back loading » qui consiste à procéder à un gel de 900 millions de quotas de CO2 dont la mise aux enchères serait reportée dans le temps.
Préoccupé par la volatilité des prix du carbone, le Gouvernement considère néanmoins qu’il ne peut s’agir que d’une réponse à court terme et qu’il faut désormais envisager des changements structurels. Nous souhaitons qu’un débat puisse s’engager rapidement au sein de l’Union européenne, notamment lors du Conseil européen du mois de mai prochain, sur les solutions structurelles de réforme du système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
Pour promouvoir en particulier la décarbonisation de nos économies, il est impératif de s’inscrire dans une perspective de long terme et de fixer dès à présent des objectifs au-delà de 2020.
C’est ce que le Président de la République François Hollande a indiqué lors de la conférence environnementale. Il a précisé que notre ambition était de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030, de 60 % en 2040, ce qui nous conduira sur la route du facteur 4 en 2050.
Ce sont des objectifs absolument nécessaires pour donner aux acteurs économiques la visibilité de long terme qu’ils attendent aujourd’hui. Ils contribueront également à relever le prix du quota, ce qui permettra à l’Europe de conserver son rôle de pionnier dans le débat international sur le climat.
Il est aussi urgent de mettre en place un cadre de régulation garantissant le bon fonctionnement du marché carbone et favorisant la transparence et l’intégrité. Le rapport de Laurence Rossignol contient un certain nombre d’éléments sur les dysfonctionnements successifs qu’a connus le marché européen du carbone, dysfonctionnements dont il est temps de tenir compte.
Le marché européen du carbone ne couvre pas non plus tous les secteurs économiques et n’est pas le seul instrument pertinent. La Commission européenne a par exemple engagé une révision de la législation sur la taxation de l’énergie pour y introduire une composante carbone. Nous soutenons ses travaux. J’estime que l’extension du marché carbone à de nouveaux secteurs économiques doit être envisagée.
Enfin, à travers ces réformes, l’Union européenne devra savoir faire preuve d’un « patriotisme écologique » européen, pour reprendre une formule que j’ai utilisée dans les débats français sur les énergies renouvelables. Pour des raisons à la fois industrielles et sociales, il nous faut prendre en compte le fait qu’aujourd’hui, dans les produits de consommation courante, la part des émissions de gaz à effet de serre liée à notre production nationale a diminué, tandis que la part des émissions de gaz à effet de serre liée aux importations a augmenté. C’est la fameuse question du mécanisme d’inclusion carbone dont nous souhaitons qu’il soit mis en débat à l’échelle européenne.
Face au défi mondial du réchauffement climatique, les négociations internationales sur le climat restent un enjeu de taille. Je pense notamment à la conférence sur le climat qui se tiendra en 2015. La France s’est portée candidate pour accueillir ce rendez-vous majeur.
Le débat national sur la transition énergétique doit aussi nous permettre d’être exemplaires dans cette perspective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincue que l’examen de ce texte nous donnera l’occasion d’une discussion fructueuse sur l’ensemble de ces questions. La ratification de cette ordonnance est indispensable à la poursuite de nos efforts. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la ratification de l’ordonnance de transposition de la directive de 2009 relative au marché d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre.
En tant que parlementaires, notre marge de manœuvre dans le cadre de ce texte de ratification d’une ordonnance, qui est, de plus, une transposition de directive, est relativement réduite. Ce projet de loi nous offre néanmoins l’opportunité de nous pencher, après Mme la ministre, sur le fonctionnement du marché des quotas de CO2 et sur ses nombreuses difficultés.
Lors de la signature du protocole de Kyoto en 1997, les États ont pris des engagements contraignants en termes de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne s’est alors engagée à réduire, d’ici à 2012, ses émissions globales de 8 % par rapport au niveau de 1990. Afin de remplir cette obligation, la solution retenue a été de mettre en place un système communautaire d’échange de quotas de gaz à effet de serre à l’usage des sites industriels les plus émetteurs de CO2. C’est l’objet de la directive Énergie du 13 octobre 2003.
Dans le cadre de ce marché, chaque État détermine, en lien avec la Commission européenne, un niveau global d’émissions de CO2 compatible avec l’objectif de Kyoto. Il lui revient ensuite de répartir ce montant global en quotas de CO2, c’est-à-dire en autorisations d’émissions de CO2, entre les installations industrielles situées sur son territoire et entrant dans le champ du dispositif.
Jusqu’à présent, les quotas ont été attribués gratuitement aux exploitants, en fonction des émissions générées au cours des années précédentes, diminuées d’un taux d’effort. Le système est simple : l’exploitant qui a consommé tous ses quotas de CO2 doit racheter, sur le marché secondaire, des quantités supplémentaires auprès d’autres opérateurs disposant, quant à eux, d’un excédent. Dans l’hypothèse où il demeurerait en déficit de quotas, il doit s’acquitter de pénalités financières non libératoires.
Les deux premières phases du marché de quotas, de 2005 à 2007, puis de 2008 à 2012, ont permis la mise en place du dispositif et son lancement. Le système concerne aujourd’hui plus de 11 000 installations en Europe, dont 10 % en France. Les trois secteurs les plus importants en termes de quotas de CO2 sont ceux de l’acier, de l’électricité et du ciment.
La mise en place du marché des quotas s’est accompagnée du développement d’un marché secondaire, avec des places d’échanges comme BlueNext, à Paris, ou encore ECX, à Londres.
À partir de 2013, les choses vont devoir quelque peu changer. Le paquet énergie-climat de décembre 2008 a conduit à l’adoption de la directive 2009/29/UE du 23 avril 2009. Ce texte fixe un objectif ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 21 % en 2020 par rapport au niveau de 2005, soit une baisse annuelle moyenne de 1,74 %. Il remanie en conséquence le marché d’échange des quotas carbone en vue de la troisième phase 2013-2020. C’est cette directive dont il s’agit ici d’approuver la transposition.
La directive de 2009 fait évoluer le système actuel vers des mécanismes harmonisés et gérés à l’échelon européen. Désormais, un montant global de quotas sera disponible pour l’ensemble de l’Union européenne afin d’être réparti entre les différents secteurs d’activité. Ce mécanisme doit permettre de mettre fin aux disparités actuellement constatées entre les différents plans nationaux d’allocation des quotas.
La directive vise aussi à inclure de nouveaux secteurs et de nouveaux gaz dans le dispositif afin d’améliorer son efficacité environnementale. Il s’agit principalement d’inclure les émissions de CO2 liées aux produits pétrochimiques, à l’ammoniac et à l’aluminium ainsi que les émissions de protoxyde d’azote.
Enfin et surtout, la directive de 2009 met un terme à l’allocation gratuite des quotas. À compter de 2013, le principe applicable est celui de la mise aux enchères des quotas par les États membres. Les entreprises d’électricité devront acquérir la totalité de leurs quotas dans le cadre d’enchères. Les autres secteurs verront progressivement la part d’allocation gratuite de quotas diminuer, passant de 80 % en 2013 à 30 % en 2020, en vue de parvenir à la suppression des quotas gratuits en 2027.
La possibilité d’attribuer des quotas gratuits existera toujours pour les secteurs d’activité exposés à un risque important de fuite de carbone, c’est-à-dire de délocalisations industrielles motivées par le coût du carbone au sein de l’Union européenne.
L’article 10 de la directive impose que la moitié au moins du produit des enchères soit affectée à des actions en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En France, le Gouvernement a indiqué que les crédits dégagés serviraient à financer le plan de rénovation thermique annoncé lors de la conférence environnementale du mois de septembre dernier, ce qui paraît tout à fait conforme à l’objectif européen.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. L’ordonnance du 28 juin 2012, qu’il s’agit ici de ratifier, a procédé à la transposition en droit interne de ces différentes dispositions. Elle modifie essentiellement le code de l’environnement.
Premièrement, la directive prévoit que doit entrer dans le champ de la directive toute installation de combustion, quelle que soit sa nature. Les installations nucléaires de base seront donc ainsi intégrées au dispositif.
Deuxièmement, l’article 27 de la directive prévoit que les États peuvent exclure du système de quotas un certain nombre d’installations de petite dimension ainsi que les hôpitaux. Dans la transposition proposée, cette exclusion est prévue pour les seuls hôpitaux, lesquels se voient, en contrepartie, assignés des objectifs de réduction de leurs émissions.
Troisièmement, l’article L. 229-8 du code de l’environnement est réécrit pour prévoir que, désormais, la mise aux enchères des quotas est le mode d’allocation de principe. Le taux de quotas gratuits pour les secteurs non exposés aux risques de délocalisations doit diminuer progressivement chaque année pour s’établir à 30 % en 2020. En revanche, les installations des secteurs considérés comme exposés aux fuites de carbone bénéficieront d’un taux de quotas gratuits de 100 %.
Quatrièmement, le code de l’environnement est adapté pour définir une durée des phases du système d’échange de huit ans au lieu de cinq ans et prévoir un registre des émissions à l’échelon européen et non plus national.
La commission du développement durable a constaté que l’ordonnance de 2012 opérait une transposition rigoureuse de la directive de 2009. Il lui a toutefois semblé nécessaire d’adopter un amendement afin de compléter le quatrième article de l’ordonnance. Celui-ci prévoit, conformément à la directive, que l’allocation de quotas gratuits doit diminuer chaque année pour s’établir à 30 % en 2020. Cependant, et contrairement à ce qui est prévu dans la directive, l’ordonnance ne précise pas l’échéance suivante, à savoir la suppression totale des quotas gratuits en 2027. Le nouvel article 2 vise donc à réparer cet oubli. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’à terme les quotas dans leur ensemble doivent être alloués par enchères.
Aujourd’hui, cependant, l’enjeu n’est plus seulement la transposition correcte des textes européens. Le marché carbone fait face à de nombreuses difficultés structurelles et le débat sur ce texte doit être l’occasion d’attirer votre attention, madame la ministre – mais vous avez déjà ouvert ce débat –, et celle du Gouvernement tout entier sur un certain nombre de points.
Le système d’échange de quotas a été marqué par des scandales récents, qui soulèvent la question cruciale de la régulation de ce marché.
En 2009-2010, une fraude à la TVA de type « carrousel » a touché le marché carbone. Cette fraude s’est appuyée sur le régime fiscal applicable aux transactions transfrontalières entre deux États membres de l’Union européenne. Certains opérateurs achetaient des quotas dans un pays où les ventes étaient réalisées hors taxe. Ces quotas étaient ensuite revendus dans des pays où les transactions incluaient la TVA dans le prix. Au lieu de la reverser à l’État concerné, ils conservaient cette TVA comme un bénéfice. Cette fraude a concerné d’importants volumes, très difficiles à chiffrer avec précision : Europol a évoqué le chiffre de 5 milliards d’euros. Le scandale a conduit plusieurs États, dont la France, à mettre fin en urgence à la TVA sur les échanges de quotas d’émissions.
En filigrane se dessine donc la question de la régulation du marché carbone. La commission des finances du Sénat s’est penchée à de nombreuses reprises sur cette question.
M. François Marc. Oui !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. Il est important de souligner qu’en l’état actuel de la réglementation, avec la directive de 2009, la question n’est pas tranchée. Le texte ne prévoit qu’un contrôle ex post du marché par la Commission européenne. Aujourd’hui, il n’existe toujours pas de « gendarme » du marché européen du carbone.
Autre illustration des difficultés de ce marché, l’intégration des compagnies aériennes dans le dispositif est en recul. Selon le calendrier initial, les compagnies aériennes opérant dans le ciel de l’Union européenne devaient, au mois d’avril 2013, compenser 15 % de leurs émissions de gaz à effet de serre de l’année 2012 en achetant des crédits carbone sur le marché, les 85 % restants leur étant alloués sous forme de quotas gratuits. Sous la pression internationale, la mise en œuvre de cette obligation a été gelée jusqu’à l’automne 2013 pour les vols intercontinentaux. La taxe sur les émissions polluantes des avions s’applique, toutefois, pour les vols intérieurs dans le ciel européen.
En outre, ces dernières années, le marché a dû faire face à l’effondrement des cours du carbone. Du fait de la crise et, surtout, d’une allocation initiale beaucoup trop généreuse de quotas, le cours a considérablement diminué, pour s’établir aujourd’hui aux alentours de 5 euros la tonne. Or on estime qu’il devrait atteindre entre 25 euros à 30 euros pour que le système soit vraiment incitatif d’un point de vue environnemental.
C’est tout l’enjeu des négociations en cours à l’échelon européen. La Commission européenne a proposé de procéder à un gel, ou back loading, des enchères à venir, vous l’avez évoqué, madame la ministre. Ainsi, 900 millions de quotas, qui devaient être mis aux enchères dans les trois prochaines années, ne le seraient qu’en 2019. Ce gel permettrait de faire remonter le cours du carbone et d’absorber une partie des excédents actuellement sur le marché, que les spécialistes estiment à 1,4 milliard de tonnes.
Cette proposition doit toutefois être adoptée par le Parlement européen, puis par les États. La commission de l’industrie du Parlement européen s’est prononcée contre le dispositif au mois de janvier dernier, tandis que, la semaine dernière, la commission de l’environnement a voté en faveur de ce gel, à condition que des circonstances exceptionnelles le justifient et que la Commission européenne ne procède qu’une seule fois à cette adaptation. Un vote en séance plénière devrait intervenir au mois de mars ou d’avril prochain. Les États devront ensuite approuver cette proposition, ce qui s’annonce difficile. Si la France a rappelé son soutien à la proposition de la Commission européenne, ce que vous nous confirmerez, madame la ministre, plusieurs États, avec à leur tête la Pologne, ont d’ores et déjà annoncé leur opposition à ce gel des quotas.
En tout état de cause, il s’agit là d’une mesure cosmétique, d’un remède temporaire, qui illustre une fois encore la nécessité de remettre à plat le système. Lors de la conférence environnementale, le Président de la République a indiqué son souhait que soient fixés des objectifs plus ambitieux pour la réduction des gaz à effet de serre, notamment une baisse des émissions de 40 % en 2030 et de 60 % en 2040. L’enjeu est fondamental pour la lutte contre le changement climatique. Le système d’échange des quotas de carbone n’est plus aujourd’hui un outil incitatif pour la transition vers une économie plus sobre en carbone.
À partir de ce diagnostic certes un peu sévère, plusieurs choix sont possibles. Dans une déclaration intitulée « Il est temps de mettre fin au marché du carbone européen », plus de 120 organisations européennes exigent la fin du système des quotas.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. J’ai pu entendre en audition des représentants de ce collectif d’ONG qui appelle à l’abandon du marché et à son remplacement par une politique de lutte contre le réchauffement plus ambitieuse.
Si la suppression du marché n’est pas la seule solution en Europe, ni même la plus facile et la plus consensuelle, il faut néanmoins se demander dans quelle mesure le marché peut être réformé. Quelle régulation peut être mise en place ? Comment retrouver un prix du quota incitatif ? Cela passe-t-il par un prix plancher et un prix plafond ?
M. Roland Courteau. Bonnes questions !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. Quels sont les rapports de force dans les négociations sur la politique climatique européenne ? Quelle peut être la marge de manœuvre en cette période de crise ? Autant de questions auxquelles il faudra apporter rapidement des réponses. Les échéances sont proches, avec la perspective de la conférence sur le climat à Paris en 2015 et la négociation qui débute en Europe autour du paquet énergie-climat à l’horizon 2030.
La France, qui porte sur son propre territoire une politique ambitieuse en matière de transition énergétique, est attendue pour faire de même à l’échelon européen en adaptant les objectifs de réduction des émissions de CO2 aux nouvelles donnes climatiques que vous avez évoquées, madame la ministre, soit une hausse de quatre degrés de la température du globe à l’horizon 2060.
Madame la ministre, vos propos en ont témoigné : ni les turpitudes ni l’échec du marché européen du carbone ne vous ont échappé. Vous avez ouvert des pistes et donné à notre assemblée les signes que nous attendions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’assurer, par voie d’ordonnance, la transposition de la directive 2009/29/CE et, ainsi, de permettre la mise en œuvre de la troisième phase, de 2013 à 2020, du système de quotas d’émission de gaz à effet de serre engagé par l’Union européenne parallèlement au protocole de Kyoto.
Je me félicite de cette démarche de transposition à un double titre.
D’une part, sur la forme, cette ordonnance se conforme à l’article 2 de la loi du 5 janvier 2011 dont j’étais à l’origine avec mes collègues Emorine et Longuet. Il nous avait semblé indispensable à l’époque que le Parlement soit à l’initiative d’un texte qui permettait de rattraper notre retard en matière de transposition et ainsi d’éviter à la France de s’exposer à des condamnations pécuniaires majeures. Nous avions considéré, à ce titre, qu’il était nécessaire de balayer un large domaine d’intervention et de permettre ainsi de transposer plusieurs directives par un seul texte législatif, ce qui constituait d’ailleurs une véritable innovation pour une proposition de loi.
D’autre part, sur le fond, cette ordonnance nous permet de nous mettre en conformité avec la législation européenne. Elle réalise une transposition précise des textes européens en vigueur. De ce point de vue, cela n’appelle pas de commentaires particuliers de ma part.
Ma préoccupation porte plus sur l’efficience et la portée de la législation communautaire en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vigueur depuis 2005. On constate, après plusieurs années, que le bilan est assez mitigé, ce qui met bien en lumière la difficulté de l’exercice.
En effet, si le principe même d’une législation à l’échelle de l’Union européenne permettant de compléter les engagements du protocole de Kyoto est particulièrement louable, ce dont nous sommes convaincus, la situation actuelle du marché européen du carbone pointe les limites du dispositif. Une allocation de quotas trop généreuse au démarrage, complétée par un ralentissement de l’activité en raison de la crise économique, entraîne une baisse importante du prix de la tonne de CO2. Nous savons que le prix minimum, pour que le dispositif soit incitatif et pousse les industriels à accomplir des efforts, se situe en réalité entre 20 euros et 30 euros. Or, depuis le début de l’année, nous sommes sous le seuil de 5 euros.
Pour tenter de rééquilibrer le marché, la commissaire en charge du climat, Connie Hedegaard, a formulé des propositions sur lesquelles les avis de la commission de l’industrie et de celle de l’environnement du Parlement européen divergent. Bien évidemment, on comprend les approches et les priorités différentes défendues par ces deux commissions, ce qui illustre clairement l’ambiguïté du dispositif. Comment être vertueux en matière d’environnement sans amputer la compétitivité de nos entreprises ? Comment être innovants en matière d’environnement lorsque certains de nos partenaires internationaux ne se fixent pas les mêmes objectifs ?
Preuve en est l’impérieuse nécessité pour la Commission européenne de prévoir un mécanisme dérogatoire d’attribution de quotas gratuits pour les secteurs exposés aux risques de fuite de carbone. C’est bien là le tendon d’Achille du système de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Nous ne pouvons évidemment pas fragiliser nos entreprises et risquer des pertes d’emplois par de possibles délocalisations dans des pays où la législation environnementale est beaucoup moins contraignante.
Nous devons demeurer excessivement vigilants à ce propos et bien mesurer les effets indirects sur notre économie. Certains secteurs sont par principe exclus de ce dispositif ; c’est notamment le cas de l’agriculture. Toutefois, la directive 2009/29/CE prend en compte de nouveaux gaz, tel le protoxyde d’azote. Les fabricants d’engrais sont donc concernés et cela a des conséquences sur l’agriculture ; nous avons eu des débats en commission sur ce sujet. Il est essentiel de considérer une filière au sens large afin de bien mesurer toutes les interactions.
Je me félicite que l’activité de fabrication de produits azotés et d’engrais ait été jugée par Bruxelles comme étant justement exposée au risque de fuite de carbone et qu’elle bénéficie désormais, à ce titre, de quotas gratuits. Il aurait été en effet fort néfaste de pénaliser encore un peu plus notre agriculture par un surenchérissement du coût des intrants, alors que nos éleveurs sont déjà confrontés à la hausse du coût des matières premières pour nourrir leurs animaux.
Je me permets également de rappeler le rôle des prairies comme puits de carbone – on l’oublie trop souvent ! – et de souligner qu’il n’y a point de prairies sans animaux. Ce ne sont pas des surfaces en jachères qui permettraient de remplir ce rôle. Au-delà, c’est tout l’entretien des zones rurales qui serait remis en question. À cet égard, chacun doit y regarder à deux fois.
Permettez-moi à ce propos une digression concernant la situation de l’élevage à la lumière de la récente fraude liée à la nature de la viande utilisée dans la préparation de plats cuisinés. Au-delà du caractère particulier de cette affaire, on se doit de mettre en perspective l’importation de viande de cheval avec les difficultés de la filière bovine française, qui connaît un déficit de production se traduisant non seulement par une augmentation du prix payé par le consommateur, mais aussi par une baisse de la rentabilité pour les éleveurs, compte tenu de la hausse des coûts de production. Je vous indique ce chiffre qui m’a été récemment communiqué : notre déficit de production est de 50 millions à 60 millions de tonnes. Ce n’est pas Marcel Deneux, fin connaisseur de ce sujet, qui me démentira. À l’évidence, nous ne devons pas fragiliser davantage la filière bovine.
Aussi, prenons bien garde à ne pas mettre en péril antage une des composantes de notre secteur agroalimentaire qui contribue pour 11,5 milliards d’euros à l’excédent de notre balance commerciale. En ces temps de crise économique et de difficultés budgétaires, cela est essentiel.
C’est bien là le cœur du problème : comment concilier protection de l’environnement et compétitivité économique ? Je le dis à mes collègues écologistes : nous devons avoir le sens de la mesure et cesser de toujours vouloir en faire plus que les autres. Je suis bien entendu favorable à la préservation de l’environnement, notamment pour les générations futures. Toutefois, soyons pragmatiques et sachons voter des dispositifs qui permettent de maintenir les conditions d’une activité économique dynamique. Soyons précurseurs à l’égard de nos partenaires internationaux, mais ne soyons pas naïfs dans les négociations commerciales internationales et ne pénalisons pas unilatéralement nos entreprises et nos forces vives. Sur ce sujet, les débats ont bien avancé et le principe de réciprocité est désormais pratiquement admis par tous.
Oui à l’écologie innovante et prospective, non à l’écologie punitive !
Je voterai, ainsi que la grande majorité de mon groupe, ce projet de loi visant à transposer une directive européenne, et ce sans excès. Nous attendons avec impatience le lancement d’un plan de rénovation thermique, précisément dans nos zones rurales, puisque telle doit être la finalité du produit de ces échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui le projet de loi ratifiant l’ordonnance transposant la directive de 2009 qui permet un élargissement du marché carbone, ainsi qu’une évolution de son fonctionnement, autorisée par la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance.
Vous le savez, mes chers collègues, les parlementaires du groupe CRC ont toujours été extrêmement dubitatifs face à l’instauration d’un marché carbone, pour ne pas dire opposés à un tel principe.
En effet, ce marché est fondé sur des systèmes de quotas et d’échange qui permettent aux participants d’acheter et de vendre des permis d’émissions. L’objectif est de rendre économiquement rentables des comportements écologiquement vertueux, le marché n’étant guidé, chacun le sait, que par la perspective du profit économique au plus court terme. Disons-le tout net, cela ne marche pas...
Pourtant, l’Union européenne continue de faire de cet outil, mis en œuvre dès 2005, le principal instrument de sa politique climatique et environnementale pour atteindre les objectifs du plan énergie-climat, adopté en 2008, permettant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % à l’horizon 2020 par rapport à son niveau de 1990.
L’expérience dont nous disposons aujourd’hui a conduit 110 organisations de la société civile – 120, selon ma collègue – à demander son abandon pur et simple, comme en témoigne l’appel rendu public dernièrement. Bien entendu, cela ne fait que conforter notre analyse.
Il faut dire que l’instauration d’un marché carbone n’a pas répondu aux objectifs qui lui étaient assignés. Bien pis, il a fonctionné comme un marché hautement spéculatif, sujet à de fortes variations. Il est d’ailleurs regrettable que n’importe quelle personne puisse aujourd’hui acheter ou vendre des quotas carbone et que ce marché ne soit pas exclusivement réservé aux industriels, ce qui ouvre la voie à la spéculation et à la financiarisation.
Les principaux bénéficiaires du marché carbone ont ainsi été les plus gros pollueurs eux-mêmes, ce qui, vous l’avouerez, est pour le moins contradictoire. Je prendrai pour simple exemple une entreprise emblématique qui s’illustre régulièrement dans l’actualité nationale : Mittal. Jusqu’à présent, elle recevait chaque année, pour le seul site de Florange, 4 millions de tonnes de CO2 gratuites.
Il faut savoir que, lorsqu’une usine est à l’arrêt, une entreprise bénéficie encore de ses quotas carbone. Selon le journal Le Monde, Mittal a ainsi accumulé, sur ses sites européens, à coups d’arrêts partiels, un bonus de 156 millions de quotas de carbone, soit l’équivalent de plus de 1 milliard d’euros ! Ce marché n’a donc pas encouragé cette société à investir dans des modes de production écologiquement responsables. Au contraire, il lui a fourni de nouveaux instruments pour gagner encore plus, alors même qu’elle cassait l’outil de travail pour lequel elle avait obtenu ces quotas.
Puisqu’il s’agit d’un marché, il n’est pas étonnant que celui-ci se soit également caractérisé par une forte volatilité. Après une envolée, ses prix se sont écroulés depuis 2008, en deçà même de 5 euros, ce qui n’a guère incité les entreprises à investir dans des technologies plus performantes.
Le marché a donc échoué. Il s’est par ailleurs révélé inefficace, puisque la diminution des émissions de gaz à effet de serre constatée est directement due à la crise et à la baisse de l’activité.
À ce titre, il est bon de savoir que les émissions des secteurs économiques relevant du marché carbone diminuent moins vite que celles des secteurs qui n’en relèvent pas : leurs taux sont respectivement de 1,8 % et de 3 % ! De tels chiffres devraient nous interpeller.
Il s’agit enfin d’un marché largement soumis à la fraude : en 2010, une malversation extrêmement importante a coûté plus de 5 milliards d’euros de pertes de recettes de TVA ; Europol a ainsi pu affirmer que, « dans certains pays, jusqu’à 90 % du marché carbone était le fait d’activités frauduleuses ». Cet outil n’a donc pas encore fait la preuve de sa pertinence dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de corriger les défaillances de ce marché.
Nous admettons que ce texte permet de réaliser un progrès sensible en prévoyant la fin du principe des allocations gratuites. En effet, les deux premières phases accordant des permis gratuits ont coûté quelque 14 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne et constitué de belles opportunités pour les plus gros pollueurs.
Si le principe posé aujourd’hui est celui de la mise aux enchères, il n’en reste pas moins que 75 % de l’industrie manufacturière européenne continuera à disposer de quotas gratuits pour une valeur d’environ 7 milliards d’euros. Seul le secteur de l’énergie devra acheter ses crédits aux enchères. Cependant, même dans ce dernier cas, des exceptions ont été prévues, notamment pour l’Europe de l’Est qui dépend fortement du charbon.
De plus, une dérogation a été mise en place pour les producteurs de produits dits « sujets à fuite de carbone », c’est-à-dire à délocalisation : les installations concernées ne verront pas leur allocation gratuite diminuer sur l’ensemble de la phase 3. Or une grande majorité des installations non-électriques en bénéficiera, ce qui portera un sérieux coup d’arrêt au caractère décroissant de l’allocation gratuite sur la période 2013-2027.
Par ailleurs, au regard de la proposition de résolution adoptée ici même en 2009, l’instauration d’un marché nécessite un encadrement bien plus fort que celui qui est actuellement proposé.
Lors d’une audition au Sénat, le président du comité pour la fiscalité écologique, Christian de Perthuis, a ainsi estimé que la situation du marché européen du carbone était extrêmement grave et que les mesures préconisées par la Commission européenne – le gel de 900 millions de quotas – relevaient du « bricolage ». Selon lui, la crise du marché du carbone est plutôt due à un problème de « gouvernance » : « Aujourd’hui, il n’y a pas une autorité publique capable de gérer correctement la mise aux enchères des quotas. Comment voulez-vous qu’un instrument de politique publique fonctionne s’il n’y a pas derrière un portage politique fort ? »
Nous partageons ces propos et déplorons que les mécanismes d’inclusion aux frontières n’aient pas été davantage étudiés, alors même qu’ils présentent un intérêt certain. Sans cette inclusion, le marché carbone ne peut qu’encourager la délocalisation des activités polluantes, ce qui ne fera qu’aggraver la situation des pays pauvres, premières victimes des dérèglements climatiques.
Vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe CRC estiment sur le fond que la transition écologique et la réduction de l’empreinte carbone de nos sociétés ne peuvent reposer sur l’instauration d’un marché ni sur les instruments financiers qui l’accompagnent, quand bien même ceux-ci présenteraient un affichage vertueux. La marchandisation ne constitue en aucun cas la solution aux problèmes posés à l’avenir de notre planète.
Nous devons aujourd’hui encourager la recherche d’autres réponses. L’avenir de la transition énergétique et écologique passe d’abord, à l’échelle de l’Union européenne, par un renforcement des obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 40 % en 2030 et de 60 % en 2040, comme s’y est engagé le Président de la République lors de la conférence environnementale.
Par ailleurs, la transition écologique appelle d’urgence d’autres mesures : interventions plus directes de l’Union européenne mais également des États en faveur du financement de la recherche, du développement des énergies propres, de la rénovation du bâti, afin de permettre la construction d’un réseau de transports efficace s’appuyant, bien entendu, sur le report modal.
La transition énergétique ne saurait s’opérer dans le cadre d’une libéralisation toujours plus poussée ; elle passe, bien au contraire, par l’affirmation du rôle premier des États, des services publics des transports, de l’énergie et de l’eau, services publics dont la finalité est d’assurer l’intérêt général.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe CRC s’abstiendront sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, madame la ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi, comme l’ont déjà rappelé les différents orateurs qui m’ont précédé, a pour objet la ratification de l’ordonnance du 28 juin 2012 relative au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
Avant d’aborder le fond du texte, madame la ministre, je souhaite rappeler la position constante et unanime du groupe centriste en matière de recours aux ordonnances.
Cette procédure dessaisit le législateur de son rôle et minimise son pouvoir, tant au moment de l’habilitation législative qu’à celui de la ratification de l’ordonnance. Nous ne pourrons jamais nous en satisfaire.
C’est pourquoi, aujourd’hui comme hier, nous nous opposons à chaque demande d’habilitation législative, quelle que soit la couleur politique du gouvernement demandant à utiliser les dispositions de l’article 38 de la Constitution.
En l’espèce, cette ordonnance transpose une directive européenne de 2009. C’est dire si les législateurs que nous sommes disposent de marges de manœuvre réduites, comme l’a d’ailleurs souligné le rapporteur lors de l’examen du texte en commission.
J’en viens maintenant au fond du projet de loi qui nous est soumis, c'est-à-dire au contenu de la directive du 23 avril 2009.
En 2005, l’Union européenne s’est fixé de nouveaux objectifs environnementaux, parmi lesquels figure la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020 par rapport au niveau de 1990.
Je partage totalement les objectifs ambitieux du paquet énergie-climat, également appelés objectifs des « trois fois vingt » ; je fus d’ailleurs le rapporteur de la proposition de résolution européenne portant sur ces dispositions. Je me permets aussi de saluer l’action de notre collègue Chantal Jouanno qui a œuvré, dans le cadre de toutes ses fonctions antérieures, au respect de ces objectifs.
La directive de 2009 propose donc d’aller encore plus loin et d’atteindre un taux de réduction de 21 % en 2020. Pourquoi pas ? Soyons cependant conscients que les moyens que nous nous donnons pour parvenir à diminuer nos émissions de dioxyde de carbone comptent plus que les objectifs que nous nous fixons.
Les mécanismes mis en œuvre sont d’autant plus primordiaux que le système communautaire d’échange de quotas d’émission de CO2 est actuellement à une période charnière et qu’il présente quelques défauts – qui ont été rappelés ici ou là – pointés par la Commission européenne ; j’y reviendrai.
J’en viens à l’ordonnance qui nous est soumise et à la directive de 2009. Nous soutenons l’harmonisation et la gestion européennes des mécanismes d’échange de quotas, qui permettront de faire disparaître les différences d’allocation entre les pays.
De plus, la directive intègre dans le dispositif de nouveaux secteurs et de nouveaux gaz, tels le protoxyde d’azote ou le perfluorocarbone. L’élargissement du marché d’échange me semble une bonne initiative, car il permettra de diminuer encore nos émissions de gaz à effet de serre.
Néanmoins, comme l’a souligné Jean Bizet, il est nécessaire d’être attentif aux secteurs d’application du dispositif d’échange : celui-ci ne doit pas s’imposer à des secteurs déjà fragiles, comme l’agriculture, ni à des entreprises susceptibles de délocaliser pour pouvoir polluer.
Enfin, la directive met un terme à l’allocation gratuite de quotas, à partir de 2013 pour les entreprises d’électricité et de manière progressive pour celles des autres secteurs. Cela permettra d’accentuer notre chemin de réduction de CO2 vers les 20 % fixés à l’horizon 2020.
Ces différentes évolutions du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre vont dans le bon sens, et ce d’autant plus que le système a pâti d’une double difficulté : d’une part, le marché s’est noyé dans un excédent de 1,4 milliard d’euros de crédits, en raison d’une allocation trop généreuse ; d’autre part, il a souffert d’une baisse de la demande liée au ralentissement de l’activité économique depuis le début de la crise qui touche l’Europe.
Ainsi le prix de la tonne de CO2 oscille-t-il depuis des mois entre 5 euros et 7 euros. Il est même tombé brièvement à 2,81 euros, le 24 janvier dernier, comme vous l’avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre. Or il faudrait qu’il se situe entre 20 euros et 30 euros pour inciter les industriels à développer des technologies propres.
Afin de créer de la rareté et, ainsi, de faire remonter les prix, la Commission européenne a demandé aux États membres de l’Union européenne de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur les 8,5 milliards qui doivent être mis sur le marché pour la période 2013-2015. L’application de ce plan de sauvetage, qui devait être approuvé avant la fin 2012, a pourtant dû être retardée en raison de divisions entre États membres : beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas pénaliser la compétitivité de leur économie en renchérissant le prix du carbone.
Le vote positif de la commission de l’environnement du Parlement européen doit encore être confirmé par les députés en séance plénière, peut-être au mois d’avril prochain. Nous espérons que le principe du gel des quotas sera retenu.
Parmi les autres évolutions possibles du système d’échange de quotas sont déjà évoquées ici ou là l’extension du marché à de nouveaux secteurs de l’économie et la création d’un prix plancher.
Madame la ministre, quel est votre avis sur ces différents sujets ? Disposez-vous, comme vous l’avez laissé entrevoir tout à l'heure, d’autres informations ? C’est avec beaucoup d’intérêt que nous vous entendrons. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai mon intervention par une citation du troisième président des États-Unis d’Amérique, Thomas Jefferson, laquelle a, deux siècles plus tard, conservé sa pertinence et son actualité : « Si l’un des liens de la chaîne de la nature est perdu, un autre se perd, jusqu’au moment où tout disparaîtra morceau après morceau. » Tout est dit…
Nous le voyons : la défense de l’environnement n’a rien d’une cause nouvelle. Notre biosphère forme un tout : des liens d’interdépendance existent entre tout ce qui y vit. Si l’on en détériore ou détruit l’un des éléments, c’est l’existence même de l’homme qui est menacée.
Nous n’en sommes malheureusement pas assez conscients. À cet égard, le réchauffement climatique constitue un enjeu vital, pour nous comme pour les générations futures.
La préservation des ressources naturelles de notre planète – dont nous abusons quand nous ne les gaspillons pas – est une priorité incontournable. Sauvegarder les écosystèmes, la biodiversité, les biens mondiaux que sont l’eau, les ressources agricoles et alimentaires, la santé des habitants de la planète est une exigence dont nous n’avons pas encore pleinement mesuré l’urgence.
Nous ne pouvons que le constater : nous ne savons toujours pas prendre en compte l’urgence environnementale dans nos choix politiques, que ce soit à l’échelle mondiale, nationale ou locale. Nous ne parvenons pas à réguler nos activités. Nous continuons à prélever sans compter sur le patrimoine naturel de la planète, à porter atteinte à la biodiversité, à spolier nos enfants des richesses naturelles au lieu de consacrer toute notre énergie à les préserver.
Face à cette situation, le dispositif européen que nous devons ratifier ce soir paraît bien timide. Il vise certes à sanctionner les pollutions industrielles les plus criantes – et c’est un bon début –, mais il est loin d’être à la hauteur des enjeux. Comme l’a fort justement souligné le rapporteur, Laurence Rossignol, il est temps de passer à un autre niveau d’intervention.
Vingt-cinq ans après la signature du protocole de Kyoto, on peut regretter que ce marché carbone constitue, à côté de la réglementation, le principal pilier de la politique environnementale européenne. Quand parviendrons-nous à mettre en place des politiques plus efficaces, donc plus contraignantes, en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Quand verrons-nous la mise en place d’une véritable taxe carbone ? Surtout, quand nous déciderons-nous à engager une politique de transformation des modes de production sur l’ensemble de la planète ?
L’Union européenne doit être un moteur et la France se placer à l’avant-garde de ce combat, d’autant que, comme le rappelait la ministre tout à l'heure, nous souhaitons accueillir à Paris, en 2015, la prochaine conférence sur le climat.
Cette échéance et la crise économique que nous traversons doivent donc, plus que jamais, nous inciter à réfléchir à un vrai changement de système. Nous considérons que la transposition de la directive soumise à notre examen ce soir constitue un premier pas dans cette direction.
La mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, et non plus leur gratuité, et, pour les États européens, la possibilité de dégager quelques ressources nouvelles afin de mettre en œuvre des politiques de réduction de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique ou de développement des énergies renouvelables sont autant d’éléments positifs.
Bien qu’elles s’inscrivent en retrait des principes énoncés dans la directive, la prise en compte des industries les plus exposées aux risques de délocalisations en raison du coût du carbone et la non-application du dispositif au secteur agricole sont des dispositions de bons sens et nous y souscrivons.
À mon tour, je regrette l’entorse faite pour le transport aérien, même si on peut la comprendre. Je souhaite vivement qu’un accord international, dans le cadre de l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI, permette de trouver une solution satisfaisante à l’échelle mondiale, car il est impératif que le secteur aérien participe, comme les autres, à la réduction des gaz à effet de serre. Je note d’ailleurs que l’OACI s’est engagée, bien que de manière non contraignante, à stabiliser ses émissions de gaz à effet de serre à partir de 2020.
À ce stade de mon propos, je voudrais souligner que, malgré les lacunes de l’action globale que je viens de dénoncer, de nombreuses initiatives émergent dans la lutte contre le changement climatique, qui méritent d’être mieux connues et encouragées. Ainsi, tout particulièrement à l’échelle des pays, de nombreux plans climat-énergie territoriaux ont été engagés.
Je voudrais citer l’exemple d’Ecocert, une entreprise dont nous avons, au sein de la commission que j’ai l’honneur de présider, auditionné les responsables et qui a mis en place un référentiel destiné à intégrer de façon pragmatique la transition carbone au cœur de l’activité économique. Il s’agit de permettre à une entité économique de mesurer efficacement ses émissions de gaz à effet de serre, puis de déterminer un processus conduisant à réduire ces émissions, pour enfin définir un moyen de compenser celles-ci, par exemple en participant à des actions de solidarité climatique, c’est-à-dire en ayant une action responsable et solidaire envers des pays ou des populations qui, autrement, seraient tentés de reproduire le modèle de développement énergivore occidental.
Recherche de la croissance et défense de l’environnement doivent désormais aller de concert. La transformation de nos économies en des modèles économiques plus durables doit être une priorité.
C’est pourquoi, conformément à nos engagements internationaux et à la nécessaire évolution du système de quotas d’émission de gaz à effet de serre, le RDSE soutiendra la ratification de cette ordonnance relative au système d’échange desdits quotas.
Mais je ne peux conclure mon intervention sans vous faire part d’un rêve,…
M. Roland Courteau. Oui, faites-nous rêver, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Raymond Vall. … celui de voir un jour ratifier par notre pays et le plus grand nombre d’États possible la déclaration universelle d’interdépendance, adoptée en préambule de la déclaration de Rio de 1992, qui affirme que notre communauté de destin sur la Terre appelle la proclamation du principe de l’intersolidarité planétaire et de toutes ses déclinaisons pour préserver la planète, ses habitants et l’humanité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc aujourd’hui face à un sujet très technique, qui passionne généralement assez peu les foules – même si nous sommes relativement nombreux, ce soir, dans l’hémicycle –, mais qui représente un enjeu extrêmement important dans la lutte contre le changement climatique.
En lançant son système d’échange de quotas d’émission à la suite de la signature du protocole de Kyoto, l’Union européenne a en effet créé le principal outil mondial de régulation des émissions de CO2. L’avenir de ce système est donc un sujet absolument central.
Les mécanismes européens ont été reconduits a minima pour la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto, entérinée en décembre dernier lors du sommet de Doha, auquel j’ai pu participer avec vous, madame la ministre. Disons-le : l’objectif était alors plus de sauver le mécanisme que de lui donner une nouvelle ambition, celle-ci ne pouvant venir que d’un réel succès des prochaines négociations, qui doivent se dérouler à Paris en 2015.
La directive de 2009, que transpose l’ordonnance qu’il s’agit de ratifier aujourd’hui, va dans le sens d’un approfondissement du système européen d’échange de quotas. Le groupe écologiste ne peut donc que soutenir cette ratification, qui prévoit l’extension de ce système à de nouveaux secteurs industriels et à de nouveaux gaz à effet de serre.
Malheureusement, comme plusieurs orateurs l’ont dit avant moi, le système européen est en crise et ne peut plus jouer son rôle incitatif.
Avec une moyenne de 5 euros la tonne – un record historique à 2,81 euros la tonne a même été atteint le 24 janvier dernier –, il ne peut y avoir de signal-prix incitatif pour le financement des technologies vertes.
Dans l’urgence, les écologistes soutiennent aujourd’hui la proposition de la commissaire à l’action pour le climat, Connie Hedegaard, de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur la période 2013-2015, proposition qui a reçu le soutien de la commission Environnement du Parlement européen et de certains États membres, dont la France.
Mais cette mesure d’urgence n’a de sens que si elle s’accompagne d’une réforme en profondeur du système européen d’échange de quotas. La commissaire européenne avait d’ailleurs lancé sur ce point une consultation publique, dont les résultats ont été révélés voilà quelques jours. Parmi les six options envisagées, les écologistes défendent d’abord le relèvement de l’objectif de réduction des émissions de 20 % à 30 % pour 2020, ainsi que l’engagement sur des objectifs hauts pour 2030 et au-delà.
François Hollande a d’ailleurs annoncé, lors de la conférence environnementale, un objectif de long terme ambitieux sur le plan national, impliquant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030. Cet objectif, que nous devons utiliser comme base pour notre débat national sur la transition énergétique, apparaît également aujourd'hui même dans un papier d’orientation, ou draft text, que vient de publier la Commission européenne.
Nous ne doutons donc pas que la France pèsera de tout son poids dans les discussions avec ses partenaires européens pour obtenir la confirmation de cet objectif pour 2030, qui offrirait une nouvelle visibilité aux acteurs publics et privés.
Les écologistes appellent également au retrait pur et simple d’au moins 1,4 milliard de quotas excédentaires qui noient aujourd’hui le marché et à la modification du plafond linéaire de réduction annuelle des émissions, afin de le faire passer de 1,74 % actuellement – cela correspond à l’objectif de réduction de 20 % d’ici à 2020 – à 2,5 % au minimum. Selon une étude réalisée en juillet dernier par plusieurs associations, dont le Réseau Action Climat, un retrait des quotas sur le long terme conjugué à un passage du taux de réduction annuelle à 2,6 % permettrait d’augmenter le prix de la tonne à 13 euros dès 2013 et à 17 euros d’ici à 2020. Il ne s’agit là évidemment que d’estimations, mais on voit bien qu’une combinaison de l’ensemble de ces mesures peut faire gagner en efficacité.
Il nous faut un prix du carbone élevé pour inciter à la réduction des émissions et stimuler les investissements dans les technologies vertes. Renoncer à ces réformes durables reviendrait à condamner le système européen et, derrière l’abandon de ce levier majeur de la politique climatique de l’Union européenne, c’est l’impossibilité de pouvoir disposer d’un outil de régulation mondiale qui se profilerait.
J’ajoute que nous devons impérativement arrêter de saucissonner nos débats sur ce sujet. Il se trouve que, cet après-midi même, nous discutions de la question de l’ouverture d’une nouvelle négociation commerciale entre l’Europe et les États-Unis. Or je ne suis pas sûr que les négociateurs européens qui s’apprêtent à participer à cette conférence aient en tête le calendrier de la négociation climatique, la nouvelle tonalité du discours de l’administration américaine sur le sujet et l’objectif Paris 2015. Il est pourtant très clair que, si nous ne lions pas les négociations – c’est bien ce que nous attendons aujourd’hui de l’Europe –, nous n’arriverons jamais à rien !
L’échec de Copenhague tient aussi au fait que l’on ait pu considérer qu’une négociation climatique pouvait se contenter de parler de CO2, alors qu’il nous faut aujourd’hui jeter les bases d’une régulation mondiale liant économie et environnement.
J’entends les voix qui doutent de la capacité du système actuel, le cape and trade – plafond et marché –, à fonctionner du fait des difficultés de contrôle technique. Il est vrai qu’un certain nombre de scandales ainsi que le prix de la tonne de CO2 plaident en ce sens. La proposition alternative d’une taxe CO2 européenne spécifique est tout à fait légitime, et nous y sommes évidemment très attentifs. Toutefois, ne nous voilons pas la face : il serait assurément très difficile d’obtenir un accord des Vingt-Sept sur une taxe commune européenne.
Devant cette difficulté, et de peur de lâcher la proie pour l’ombre alors qu’il y a urgence, de très grandes associations environnementales européennes ont plutôt fait le choix de défendre l’amélioration du système actuel.
Ne perdons pas non plus de vue l’établissement, envisageable à moyen terme, d’une compatibilité entre différents marchés régionaux, européen, chinois, voire américain demain – des expérimentations sont actuellement menées en Chine sur ce point. Car, et nous sommes tous d’accord sur ce point, ces mécanismes n’ont de sens que si l’on se place dans une perspective mondiale de régulation des principales économies.
Ce qui dysfonctionne dans le système européen aujourd’hui, c’est bien en premier lieu la partie « régulation ». Le volontarisme politique fait défaut : il y a trop de tonnes et trop d’exonérations !
Si nous changeons la hauteur du plafond, le prix de la tonne de CO2 peut remonter rapidement et venir abonder les budgets des États, particulièrement, pour ce qui concerne la France, les recettes de l’Agence nationale de l’habitat. Mais cela permettrait aussi de financer les actions du mécanisme de développement propre, ou MDP, au bénéfice des pays du Sud, qui forment la nécessaire dimension de solidarité du système, même s’il convient toujours d’être vigilant sur les risques de fuites de carbone.
Pour avoir négocié, au nom des réseaux mondiaux de collectivités locales, à Cancun, en 2010, un programme du mécanisme de développement propre pour les grandes villes du Sud, je peux aujourd’hui témoigner de l’attente de ces dernières et de leur grande déception face à l’écroulement des prix et au tarissement des flux financiers du MDP.
La troisième phase du marché européen doit donc nous permettre de dégager de nouvelles recettes et nous donner une marge de manœuvre pour investir dans la transition énergétique. La directive prévoit que la moitié au moins de ces recettes devra être consacrée à des actions en faveur de la réduction des émissions. En créant des flux financiers au service de la transition énergétique européenne, cette mise aux enchères doit donc être vue comme une opportunité au service de l’économie européenne, et non comme une contrainte supplémentaire, même si la question d’une taxe d’ajustement aux frontières reste posée, dans l’hypothèse où nous ne verrions pas émerger demain d’autres mécanismes de taxation des grandes économies mondiales. Nous sommes là, probablement, au cœur de la question clef de la négociation de Paris 2015.
J’en arrive à ma conclusion. Nous savons que la situation est très grave : les prévisions météorologiques pour le XXIe siècle sont de plus en plus alarmantes et les mesures dépassent toutes les prévisions antérieures. Si polémique scientifique il doit y avoir, ce n’est pas autour du climato-scepticisme, mais bien d’une sous-estimation de la vitesse du changement climatique. Dans ces conditions, il me semble que certains attentismes qui se drapent de pragmatisme confinent à l’inconscience.
Il est tard, mais il n’est jamais trop tard. Il faut donc faire remonter au plus vite le prix de la tonne de CO2 comme signal, tant interne qu’externe, pour affirmer, trois ans avant la conférence sur le climat de Paris, que nous sommes porteurs d’une ambition forte et que la France est mobilisée, prête pour ce rendez-vous majeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’enjeu climatique met au défi les responsables politiques de promouvoir un nouveau modèle de développement qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
C’est tout l’enjeu du protocole de Kyoto, signé en 1997, par lequel l’Union européenne s’est engagée à diminuer de 8 % ses émissions globales d’ici entre 1990 et 2012. C’est afin de remplir cette obligation qu’a été mis en œuvre, à partir du 1er janvier 2005, un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, qui concerne les sites industriels les plus émetteurs de CO2.
Les 12 000 sites industriels assujettis au marché carbone européen se voient attribuer chaque année un plafond d’émissions de CO2. Les entreprises qui dépassent le volume alloué doivent acheter des quotas sur le marché ; celles qui ont suffisamment réduit leurs émissions peuvent à l’inverse vendre leurs quotas excédentaires.
Ce dispositif, instauré par une directive de 2003, constitue l’un des principaux instruments de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique. Il permet à chaque État de déterminer un niveau global d’émissions de CO2 et de le répartir gratuitement, sous forme de quotas, entre les installations industrielles concernées situées sur son territoire.
La détermination d’un prix du carbone est censée encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre des sites industriels les plus polluants, le développement des nouvelles technologies vertes et des industries propres, ainsi que la conversion écologique de ces sites.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de ratifier l’ordonnance, prise par le Gouvernement le 28 juin 2012, relative au système d’échange de quotas pour la période 2013-2020 et qui transpose une directive de 2009.
Celle-ci entre dans le cadre du paquet énergie-climat présenté par la Commission européenne en 2008, et par lequel elle a affiché sa volonté de renforcer sa politique énergétique. Les deux priorités de cet ensemble de propositions étaient la mise en place d’une politique européenne commune et durable de l’énergie, d’une part, la lutte contre le changement climatique, d’autre part.
L’objectif essentiel était de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’ici à 2020, mais aussi d’atteindre 20 % d’énergies renouvelables et d’accroître de 20 % l’efficacité énergétique.
Il fallait, de fait, réviser la directive de 2003 ; c’est le rôle de celle de 2009, qui fait évoluer le système actuel selon deux axes : en premier lieu, elle étend le champ d’application du système à de nouveaux secteurs industriels encore non concernés ainsi qu’à de nouveaux gaz à effet de serre ; en second lieu, à compter de 2013, la suppression progressive de la distribution gratuite des quotas se fera au profit d’une allocation aux industries polluantes par mise aux enchères. Les industriels devront donc acheter des quotas pour couvrir leurs émissions de gaz à effet de serre.
La Commission européenne avait à l’époque estimé que « les ventes aux enchères [procureraient] des revenus importants aux États membres et contribueront au processus d’ajustement à une économie sobre en carbone en soutenant les secteurs de la R&D et de l’innovation dans des domaines tels que les énergies renouvelables, le captage et le stockage du carbone, en soutenant les pays en développement et en aidant les moins prospères à investir dans des mesures d’efficacité énergétique. »
Ce marché aurait pu bien fonctionner – certes, de nombreuses interrogations ont été émises ce soir – et générer des recettes importantes si la crise financière n’était pas intervenue entre-temps, appelant une réforme de fond. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point.
Par ailleurs, la directive de 2009 maintient une allocation gratuite de quotas pour les secteurs exposés au risque de « fuites carbone », c’est-à-dire au risque de délocalisation d’industries fortement émettrices de gaz à effet de serre dans des pays tiers où un tel système de quotas n’existe pas.
Pour ce qui concerne la France, nous ne pouvons que nous féliciter que le Gouvernement se soit engagé à utiliser le produit des mises aux enchères des quotas pour financer le plan de rénovation thermique annoncé lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012.
Le présent projet de loi est examiné au moment où le marché européen du carbone connaît une grave crise de fonctionnement depuis des mois, alors qu’il devait être le fer de lance de la politique climatique européenne.
Comme l’ont indiqué certains de mes collègues, le système d’échanges de quotas est noyé dans un excédent de 1,4 milliard de crédits en raison d’une allocation trop généreuse et d’une baisse de la demande due au ralentissement économique. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, le prix du quota de CO2 oscille autour de 5 euros la tonne alors qu’il devrait se situer entre 25 et 30 euros pour inciter les industriels à développer des technologies propres.
Eu égard à un prix du marché trop bas et à une crise financière et industrielle profonde et durable, les modifications apportées par la directive de 2009 ne suffiront pas, à elles seules, à revitaliser un marché défaillant, qui ne peut plus jouer son rôle.
Cela est d’autant plus vrai que le marché carbone connaît de graves dysfonctionnements. Certaines entreprises ont, par exemple, répercuté dans leurs prix le coût des quotas qu’elles avaient obtenus gratuitement, augmentant ainsi la facture des consommateurs et gonflant indûment leurs profits.
Le marché carbone a également été victime de pratiques frauduleuses, telles que des escroqueries à la TVA, le recyclage de crédits carbone qui avaient déjà été utilisés ou encore des vols électroniques de quotas d’émission.
Ces dysfonctionnements et pratiques douteuses appellent une réforme très poussée du dispositif. La Commission européenne est-elle sensible à ces situations, sans parler des complexités administratives pour obtenir des quotas de CO2 ?
Les réformes proposées par la commissaire européenne chargée de l’action pour le climat vont sans doute dans le bon sens, mais le contexte de crise ne facilite malheureusement pas les choses, alors qu’il est urgent d’agir face au changement climatique.
Faut-il conserver le système des quotas dans le cadre d’un marché ? Cette question mérite d’être posée. J’approuve les propos que Laurence Rossignol, notre rapporteur, a tenus sur ce point. Peut-être avez-vous vous-même des propositions à formuler, madame la ministre.
Pour faire remonter les prix, la commissaire européenne a proposé de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur les 8,5 milliards qui doivent être mis sur le marché pour la période 2013-2015. L’approbation de ce plan de sauvetage devait intervenir à la fin de l’année dernière, mais elle a été reportée et le Parlement européen est divisé sur ce sujet. En effet, de nombreux États ne souhaitent pas pénaliser la compétitivité de leur économie en renchérissant le prix du carbone.
Aujourd’hui, le marché carbone ne joue donc plus qu’un rôle marginal dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il ne permettra pas, à lui seul, d’atteindre l’objectif de réduction que s’est fixé l’Europe. Il faut par conséquent aller plus loin. L’action politique doit accompagner efficacement et justement la mutation de notre économie et la modification des comportements individuels et collectifs.
Une réforme importante doit être conduite à l’échelon européen pour que le système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre redevienne un instrument incitatif. Il faut que l’Europe opère une transition vers une consommation énergétique plus sobre et pauvre en carbone. Effectivement, il est impératif de mener une politique climatique à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire une politique qui permette de réduire fortement la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis des énergies fossiles et de transformer nos modes de production et de consommation.
Madame la ministre, les membres du groupe socialiste comptent sur vous, ainsi que sur le Gouvernement, pour « pousser » la Commission européenne dans cette direction et pour participer ainsi au développement de l’économie verte, à la croissance et à l’emploi. Ils voteront bien évidemment le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre est l’un des principaux outils dont s’est dotée l’Union européenne pour respecter les engagements pris par ses membres dans le cadre du protocole de Kyoto ; l’objectif était de donner un « prix » à la nuisance que représentent ces émissions. En effet, les quotas d’émission de carbone ne constituent pas un produit classique, comme un quintal de blé, par exemple. Leur création résulte de la volonté publique de chiffrer, en quelque sorte, la dégradation de l’environnement.
Vous le savez, mes chers collègues, la commission des finances du Sénat s’intéresse depuis de longues années à ce marché sous divers angles. J’ai eu moi-même l’occasion d’étudier cette question en 2009, lors de l’élaboration d’un rapport consacré au coût du carbone. Philippe Marini, alors rapporteur général – votre prédécesseur, cher François Marc –, avait introduit dans la loi de régulation bancaire et financière, au mois d’octobre 2010, les fondements de la régulation de ce marché. Nous avons également formulé diverses propositions de financement de la réserve des « nouveaux entrants » qui, plusieurs années d’affilée, a représenté un coût pour le budget de l’État.
Mais cette question n’est bien sûr pas l’apanage d’un camp politique. Notre ancienne collègue Nicole Bricq s’intéressait de près à ce sujet et j’ai constaté avec plaisir que François Marc, notre actuel rapporteur général, allait intervenir dans cette discussion générale.
Mes chers collègues, les enjeux sont lourds.
Malgré les problèmes qu’il a pu rencontrer, ce marché part d’une bonne idée, je crois utile de le rappeler ici. En effet, dans le monde de la grande industrie, qui représente environ 40 % des émissions de CO2 de l’Union européenne, fixer une quantité d’émissions à ne pas dépasser et permettre la répartition de l’effort au travers d’un système d’échange de quotas est un moyen efficace d’atteindre l’objectif communautaire en pénalisant le moins possible la compétitivité industrielle. Tel fut d’ailleurs l’objectif visé au moment de la conception du dispositif : il s’agissait de faire en sorte que les entreprises y trouvent un intérêt financier, celles qui étaient en mesure de procéder aux investissements nécessaires pour économiser des émissions de carbone étant amenées à mettre sur le marché des quotas que pouvaient alors acheter celles pour qui ces investissements étaient plus difficilement envisageables.
Ce dispositif était censé permettre une réduction du volume des émissions. Dans le système de la taxation, l’augmentation du prix est connue, certes, mais on ignore son effet sur le volume des émissions.
Le pendant logique d’un tel système de quotas est un outil permettant de maîtriser, par ailleurs, les émissions du secteur dit « diffus », produites par les petites industries, ainsi que, à travers le chauffage, notamment, par les particuliers et les administrations publiques. En effet, il est évident que, pour ces émetteurs-là, un système de quotas n’aurait guère de sens.
Or, permettez-moi de le rappeler, tel était l’objet de la contribution carbone voulue par le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, et son gouvernement, à l’élaboration de laquelle Chantal Jouanno a participé, tout comme Nathalie Kosciusko-Morizet, qui fut votée dans le cadre de la loi de finances pour 2010, mais dont le dispositif fut hélas censuré, sur l’initiative du parti socialiste, par le Conseil constitutionnel.
M. Alain Néri. Tiens, il vous arrive donc d’avoir de la mémoire !
Mme Fabienne Keller. Eh oui ! Je m’en souviens même fort bien, et avec tristesse, mon cher collègue !
M. Alain Néri. Vous oubliez la dette, le déficit : votre mémoire est sélective !
Mme Fabienne Keller. Non, ce soir, elle est surtout carbonée…
M. Alain Le Vern. Elle est carbonisée, plutôt ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Fabienne Keller. Allons, ne soyez pas désagréable !
Les Sages avaient motivé leur décision en invoquant l’équité fiscale, estimant qu’il n’était pas juste d’appliquer une taxe carbone aux petites entreprises, alors que les industriels se voyaient attribuer gratuitement des quotas.
Tel est l’état des lieux, madame la ministre.
Je profite de la présente discussion pour vous faire part de mon inquiétude quant aux suggestions du groupe de travail que vous venez de lancer sur la fiscalité écologique. J’ai lu dans la presse que vous feriez des propositions sur le diesel. C’est bien, mais c’est encore trop peu. La taxe carbone doit avoir un champ beaucoup plus large. Pourquoi ne pas inclure d’autres polluants, d’autres gaz à effet de serre que le carbone et ne pas prendre en compte d’autres engins que les véhicules fonctionnant au diesel ?
Mais revenons aux quotas qui nous préoccupent ce soir.
Le projet de loi soumis à notre examen sanctionne, en quelque sorte, le passage à l’âge adulte du marché des quotas en transposant la directive de 2009 qui fixe les principales règles du jeu du marché pour la période 2013-2020. En soi, c’est une bonne chose.
Le principe de l’octroi des quotas aux industriels à titre onéreux, par le biais d’enchères, va dans le bon sens, à savoir celui de la responsabilisation croissante des émetteurs. À cet égard, permettez-moi de me réjouir qu’il n’y ait qu’une plus deux plateformes d’adjudication – une européenne et deux nationales. Je rappelle que, sous la présidence de Jean Bizet, notre commission des affaires européennes avait souhaité une seule plateforme, afin qu’un seul prix soit fixé pour un produit dont le marché est liquide et bien organisé. Cela étant, avec une plus deux plateformes, le système devrait aussi pouvoir fonctionner.
Pour autant, la directive aborde avec réalisme la délicate question des conséquences d’une telle évolution du système pour les industries les plus exposées à la concurrence internationale et aux fuites de carbone. C’est une bonne chose. Ainsi, le principe de l’allocation gratuite des quotas est maintenu dans la limite de la performance des 10 % d’industriels du secteur les plus vertueux en termes d’émissions.
Madame la ministre, mon groupe soutiendra la ratification de l’ordonnance du mois de juin dernier. Il votera par conséquent le présent projet de loi, mais en gardant les yeux ouverts, sans se cacher les immenses difficultés auxquelles le marché des quotas doit faire face. Je pense évidemment aux fraudes à la TVA, déjà évoquées, aux vols de quotas sur les registres et aux autres scandales qui ont marqué l’histoire de ce jeune marché fragile, qui reposait, à ses débuts, sur la tenue de quelque vingt-sept registres nationaux dans des conditions de sécurité hétérogènes. À cet égard, on ne peut que se féliciter de la création d’un registre communautaire, dont prend acte l’ordonnance précitée.
Mais où en sommes-nous quant à la régulation du marché au comptant ? Petit moment de tristesse : naguère, la France disposait de la place la plus active, BlueNext, et d’une régulation adéquate grâce à la loi d’octobre 2010. Hélas, BlueNext a disparu. Les ambitions de la Caisse des dépôts et consignations Climat ont été revues à la baisse. En termes de place, la France ne compte plus guère dans le monde de la finance carbone !
Madame la ministre, la directive MIF 2, en cours de discussion, doit régler le problème en assimilant les quotas à des produits financiers, ce qui leur imposera la réglementation financière communautaire et mettra fin au débat : est-ce une commodity ou un produit financier ?
En attendant, où en sommes-nous ? Ne risque-t-on pas de voir survenir un nouveau scandale qui accentuerait la mauvaise image du système d’échange ?
Il existe une autre difficulté, que nous avons tous soulignée : le cours des quotas ne cesse pas de chuter. En 2010, nous avions retenu un prix de 17 euros la tonne pour la contribution carbone. Un an plus tôt, le rapport d’Alain Quinet évoquait un prix de 100 euros la tonne en 2020. Or, à la clôture d’hier soir, nous en étions à 4,03 euros la tonne… Rien ne semble pouvoir arrêter la glissade continue du prix de la tonne de carbone. Cela n’est pas acceptable, car c’est de nature à affecter profondément, dans l’esprit des citoyens, l’idée que les émissions ont un coût.
Il faut donc que le marché des quotas se redresse. Je ne crois pas que l’instauration d’un prix minimum nous permettra de l’obtenir. En effet, le problème ne vient pas du marché lui-même, mais du niveau du plafonnement des émissions, qui a été fixé avant la crise et ne représente plus une véritable contrainte du fait de l’effondrement de la production industrielle en Europe. C’est sur ce niveau qu’il faut agir et, à cet égard, le retrait de quotas mis en adjudication par la Commission européenne va dans le bon sens.
Le dernier problème auquel je songe est l’attitude des autres pays du monde. Les négociations climatiques n’ont jamais été complètement remises sur les rails après l’échec de la conférence de Copenhague, et le monde semble toujours divisé entre les pays qui ont la volonté d’agir en matière climatique et les autres, notamment les pays émergents, qui ne veulent pas poser de limites trop fortes à leur développement industriel.
Or, au-delà même des problèmes cruciaux de compétitivité et d’emploi, la simple cohérence écologique doit nous conduire à empêcher que le consommateur puisse s’exonérer du signal-prix pesant sur le carbone en achetant des biens fabriqués dans des pays totalement laxistes en la matière. Cela pose la question d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières. Je me permets d'ailleurs de vous rappeler, madame la ministre, que nous avons démontré, à l’issue d’un travail approfondi mené au sein de la commission des finances, qu’un tel mécanisme serait « OMC-compatible » dès lors que les règles appliquées seraient les mêmes en interne et aux frontières.
Après avoir, comme beaucoup de mes collègues, dressé la liste de mes inquiétudes, je voudrais vous proposer d’être optimiste, madame la ministre, et vous poser la question de fond : avez-vous la volonté de remettre notre système sur ses deux pieds ? Cela impliquerait d’employer toute votre énergie à améliorer l’état du marché du carbone et d’engager un vrai travail sur la taxe carbone, comme l’avait fait le précédent gouvernement. Ainsi, le système de limitation des émissions de gaz à effet de serre marcherait sur ses deux pieds.
L’autre sujet central est l’état d’esprit de nos principaux partenaires européens : dans quelle mesure ont-ils la volonté de limiter les émissions de gaz à effet de serre ?
Mes chers collègues, émettre du carbone a un coût pour la planète et ce coût doit se refléter dans le prix que paie le consommateur final. Cela est juste, cela est efficace et cela favorisera l’indispensable transition de notre économie vers des technologies peu émettrices.
Malgré tous ses défauts, le système communautaire d’échange de quotas est un outil pertinent. Il faut donc le remettre en ordre.
Nous avons besoin d’un véritable élan au niveau européen, car c’est bien à cet échelon que les défauts du marché du carbone pourront être corrigés. Aux organisations non gouvernementales qui demandent la suppression du système d’échange de quotas, je proposerais plutôt de travailler à l’amender. Il nous faut plus d’Europe et surtout mieux d’Europe pour sortir de l’impasse actuelle. Nous avons besoin d’une Europe qui fixe des objectifs d’émissions de manière réaliste, et pas seulement technocratique.
Évelyne Didier a cité le cas d’une entreprise qui ne produit presque plus mais qui bénéficie de quotas. Je rappelle que nous avions déposé un amendement pour éviter ce genre de situation, mais il est apparu que cet amendement n’était pas conforme à la directive. C’est la modification de la directive qui permettrait de retirer leurs quotas aux entreprises dont l’activité baisserait trop fortement.
Nous avons également besoin d’une Europe qui régule le marché du carbone comme les autres marchés, et ne laisse pas aux tricheurs la possibilité de prospérer. Madame la ministre, je vous propose de lancer l’idée d’un comité de gestion du marché du carbone, qui examinerait très régulièrement et objectivement la situation afin que des dispositions opérationnelles puissent être prises.
Nous avons enfin besoin d’une Europe qui sache se faire entendre dans le monde, sans céder à la pression des pollueurs. Comme d’autres collègues, je m’inquiète des débats en cours au sein de l’Organisation de l’aviation civile internationale sur les émissions du secteur aérien, dont on sait qu’elles ne sont pas du tout taxées pour le moment.
Madame la ministre, c’est après le vote de ce projet de loi que le travail pour redresser définitivement le marché du carbone va vraiment commencer. C’est un travail européen, et nous attendons une action ferme de votre part. Je crois que, sur la question du changement climatique, nous souhaitons tous que la voix de la France porte en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir arrive à un moment paradoxal de l’histoire du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. En toute logique, l’année 2013, celle du passage à la troisième phase du marché européen de quotas, aurait dû voir le parachèvement de cet outil. En effet, dans l’esprit des responsables européens, la période 2005-2007 devait être celle du rodage de tous les acteurs, la période 2008-2012, celle de la maturité, le marché restant alimenté par des quotas distribués gratuitement par les États, et c’est à partir de 2013 que les choses sérieuses devaient vraiment commencer, l’allocation gratuite étant remplacée par la mise aux enchères des quotas, avec certes de nombreuses mesures d’atténuation pour les secteurs industriels les plus exposés.
En toute logique, donc, l’année 2013 aurait dû voir le système communautaire d’échange faire de l’Europe le leader incontesté des marchés mondiaux du carbone, entraînant les autres pays à sa suite et fixant un prix de référence des émissions pour le monde entier. En toute logique, ce marché aurait dû, en outre, fortement dynamiser les investissements verts et contribuer à faire de l’Europe la puissance dominante pour l’ensemble de ces technologies d’avenir.
Madame la ministre, où en sommes-nous alors que nous nous préparons à avaliser l’inscription dans notre droit du passage à la troisième phase du système communautaire d’échange ? Très loin, hélas, de ces objectifs ambitieux que nous avions fixés. Pis, nous avons sous les yeux un paysage dévasté et un marché qui ne sait plus où il va.
D’une part, le système communautaire d’échange a fait l’objet de fraudes et de diverses attaques qui en ont miné la crédibilité aux yeux du public. Des progrès ont été faits depuis, mais, à l’heure où nous parlons, la réglementation financière communautaire ne s’applique toujours pas aux échanges au comptant.
D’autre part, et c’est ce qui est inquiétant pour l’avenir, le niveau des échanges et le cours des quotas sont totalement déprimés et font perdre, au sens propre, toute valeur aux investissements visant à réduire les émissions de CO2.
Cette situation a d’ores et déjà des conséquences budgétaires pour la France. Il n’y a pas si longtemps, nous espérions collecter plus d’un milliard d’euros par an grâce au système d’enchères. Or, à en juger par le cours actuel, la recette risque de ne pas atteindre 400 millions d’euros, alors même que l’Agence nationale de l’habitat est censée recevoir chaque année 590 millions d’euros provenant du système d’enchères. Il serait d'ailleurs intéressant que nous profitions de ce débat pour éclairer cette situation.
Au-delà de ces problèmes ponctuels, c’est la capacité d’entraînement des Européens en matière de lutte contre le changement climatique qui est en cause. Il paraît dès lors souhaitable que les pouvoirs publics agissent vite et bien.
Certes, madame la ministre, le Parlement ne va pas chambouler votre projet de loi, qui ne fait que prendre acte de la directive du 23 avril 2009 et la traduire fidèlement dans notre droit. Il n’est sans doute pas utile de perturber encore davantage le fonctionnement du marché en créant de nouvelles difficultés au moment de la transposition de cette directive.
Pour autant, l’examen de ce projet de loi nous permet de vous interroger sur le fond : qu’allons-nous faire du système communautaire d’échange de quotas d’émission ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il faut le supprimer !
M. François Marc. Autant le dire, la tournure que prennent les débats en Europe n’est pas faite pour nous rassurer. Certains évoquent l’instauration d’un prix plancher pour les enchères, d’autres le gel de quotas dans l’attente d’hypothétiques jours meilleurs ; le Parlement européen doit d'ailleurs se prononcer prochainement sur ce sujet.
Quel que soit le schéma retenu, et à condition que tel ou tel État ne bloque pas le processus, tout cela ressemble beaucoup à un sauve-qui-peut et l’on ne perçoit pas de véritable vision de l’avenir.
M. François Marc. Disons-le clairement : s'agissant d’un marché comme celui des quotas, créé par une décision des pouvoirs publics et sur lequel le prix du bien échangé n’est que le reflet du poids de la contrainte carbone qui repose sur les industriels, le vice fondamental du système vient sans doute de la manière dont les pouvoirs publics déterminent la quantité de quotas mise sur le marché.
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. François Marc. Les quantités de quotas allouées pour la période 2008-2012, qui peuvent servir en 2013 et au-delà, ont été fixées en 2007, soit avant le début de la crise, et les quantités allouées pour la période 2013-2020 l’ont été au cours de l’année 2009, sans que l’on sache clairement comment allaient évoluer les économies des pays de l’Union européenne. Ces quantités paraissent aujourd'hui en total décalage avec la situation réelle des pays européens, et il est à craindre que toute méthode rigide n’aboutisse à créer sans cesse de nouveaux déséquilibres de marché.
En cette période de gros temps, le moment n’est-il pas venu de revoir la copie en révisant la méthode elle-même ? Ne pourrait-on, par exemple, fixer des quantités de quotas par pays sur la base des hypothèses de croissance des secteurs soumis au système communautaire d’échange, mais en prévoyant des ajustements automatiques, c’est-à-dire des modulations en fonction de la croissance réelle de chaque pays ? La contrainte carbone garderait ainsi un sens au fil du temps. Ce genre de méthode pourrait en outre recueillir l’adhésion de pays comme la Pologne, qui, ayant à l’esprit la nécessité d’assurer leur croissance, peuvent paraître fermés à des schémas rigides appliquant la toise de manière uniforme à toutes les économies.
Telle est la suggestion que je tenais à vous faire ce soir, madame la ministre.
Nous sommes conscients que ni vous personnellement ni le Gouvernement dans son ensemble n’avez de responsabilité dans la crise profonde que connaît aujourd'hui le marché des quotas, mais c’est à vous et à vos collègues européens qu’il appartient d’y répondre. Nous avons entendu votre propos introductif, et nous ne pouvons que vous encourager à porter, au nom de la France, une parole forte au Conseil de l’Union européenne. Je suis persuadé que, si nous nous livrons à une recherche active des solutions qui apporteraient une réponse appropriée à la situation et permettraient une mobilisation de tous les acteurs européens, nous pourrons mettre en place un système bien plus équilibré. Nous comptons sur votre détermination à avancer dans cette direction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Le Vern.
M. Alain Le Vern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de cette discussion générale, je voudrais non pas me lancer moi-même dans une analyse approfondie de ces dispositifs, les orateurs précédents venant de dire ce qu’il convenait d’en penser, mais resituer le débat dans un contexte plus global, ce qui devrait recevoir l’approbation de tous. En effet, nous partageons tous ici l’idée fondamentale selon laquelle l’action politique doit apporter une réponse à l’avenir de notre planète et aux problématiques de l’environnement.
Force est de constater qu’une telle approche, reposant sur une démarche globale, est éminemment complexe.
Bien sûr, nous avons besoin d’une approche non seulement au niveau européen, avec « plus d’Europe » et « mieux d’Europe », mais également au niveau international, tant les problèmes évoqués ce soir ignorent totalement les frontières administratives. Ils nécessitent une volonté politique forte, des actions concertées, partagées, déterminées, contraignantes.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Le Vern. Madame la ministre, c’est au fond l’orientation que vous suivez depuis maintenant plusieurs mois à la tête de votre ministère. J’en veux pour preuve, non seulement vos visites vespérales sur le terrain haut-normand en période de crise, mais surtout l’organisation du débat sur la transition énergétique que vous avez voulu et que nous allons décliner dans nos régions. Il s’agira d’évoquer la sobriété énergétique, les énergies renouvelables, la mixité énergétique et le prix de l’énergie, dont on voit bien qu’il est un élément déterminant à la fois de la compétitivité de nos économies et de la démarche vertueuse, laquelle doit, si nécessaire, être contrainte, pour faire en sorte que les objectifs de la directive soient atteints. Car il apparaît clairement aujourd’hui que le système est boiteux.
À cette tribune, je souhaite simplement montrer qu’un dispositif vertueux permettrait aussi d’améliorer sensiblement l’ensemble des mesures que nous voulons mettre en œuvre pour les énergies renouvelables.
Par exemple, le point 18 de la directive permet d’affecter au moins 50 % du produit de la mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre au financement d’« activités de recherche et de développement dans le domaine de la réduction des émissions et de l’adaptation à l’évolution du climat ». La directive est donc claire sur ce point. Le même paragraphe précise que les recettes peuvent être utilisées pour financer, entre autres, des projets de démonstration en vue de « réduire les émissions de gaz à effet de serre [et de] s’adapter aux conséquences du changement climatique ».
Ainsi, madame la ministre, si nous parvenions, grâce à cette sorte de mandat que le Parlement s’apprête à vous donner, à faire évoluer dans la bonne direction ce système, qu’on envisage trop volontiers de façon un peu marchande ou technocratique, il prendrait une dimension beaucoup plus vertueuse puisqu’il permettrait non seulement de sanctionner les abus et de parvenir à l’objectif de réduction des gaz à effet de serre, mais également d’améliorer considérablement les progrès en matière d’énergies renouvelables.
Mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui devant une véritable gageure : trouver des fonds, dans un contexte difficile, pour financer la recherche et l’innovation au service de la cause que nous entendons défendre.
Il existe, bien sûr, des possibilités d’amélioration, par exemple sur les hydroliennes ou les éoliennes flottantes. À cet égard, madame la ministre, je tiens à saluer de nouveau votre décision de relancer un appel d’offres, notamment en ce qui concerne les côtes de Haute-Normandie.
On voit bien qu’il y a là une vraie cohérence entre ce que nous disons ce soir sur la directive de 2009, votre approche globale du problème, madame la ministre, et la volonté de la France de mettre en place une filière d’excellence dans le domaine des énergies renouvelables, mise en place qui repose évidemment sur la recherche, alors que nous peinons aujourd'hui, malheureusement, à trouver des crédits suffisants pour améliorer les résultats de cette dernière.
À nos yeux, cet effort sur la recherche doit nous permettre d’améliorer le rendement des dispositifs techniques que j’ai évoqués et de progresser au regard des consommations abusives. Il est tout de même paradoxal que, aujourd’hui, des pays par ailleurs montrés en exemple utilisent le charbon ou le lignite, qui sont des facteurs majeurs de pollution atmosphérique.
Je serai heureux, madame la ministre, de connaître vos intentions sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Delphine Batho, ministre. Monsieur le président, je souhaite simplement, en cet instant, répondre brièvement sur différents points qu’ont soulevés les orateurs qui sont intervenus au cours de cette discussion générale.
Je veux d’abord préciser à Laurence Rossignol, tout en la remerciant de son intervention, qu’à ce jour trois pays ont indiqué leur hostilité au back loading, à savoir la Pologne, Chypre et la Grèce, tandis que onze États sont pour. Or cette matière est régie par le système de la codécision, avec majorité qualifiée. Nous le savons, l’Allemagne n’a pas encore pris position. Le processus de discussion interne à l’Union européenne poursuit donc son cours, avec une chance d’aboutir.
Compte tenu de l’évolution du contexte européen, une des questions politiques posées par la commissaire européenne sur les problèmes d’évolution structurelle future du marché du carbone, laquelle nous semble nécessaire, est de savoir s’il est opportun de rouvrir le débat sur la directive, avec le risque que cette réouverture se traduise non pas par des avancées, que tous les intervenants ont appelées de leurs vœux de manière convergente, mais, au contraire, par un détricotage de l’engagement européen en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est une crainte qu’il faut entendre, même si je ne la partage pas complètement.
À mon sens, nous sommes aujourd’hui dans une situation telle qu’il faut absolument engager la réforme structurelle de ce système. Sinon, la page sera tournée sans qu’il y ait d’alternative.
Je remercie Jean Bizet d’apporter son soutien à la ratification de l’ordonnance. Concernant les engrais, monsieur le sénateur, sachez que, outre l’accent mis sur la nécessité de diminuer les quantités d’intrants, un important travail est engagé actuellement pour remplacer l’azote minéral par de l’azote organique.
Evelyne Didier a réveillé un débat à mes yeux historiquement légitime : était-ce une bonne stratégie de « marchandiser » le CO2 et de lui donner une valeur en pensant qu’un tel dispositif allait permettre d’orienter les investissements vers la sobriété en termes de carbone ?
Encore une fois, on peut se poser la question de savoir si ce choix stratégique était fondé et s’il reste pertinent, mais, aujourd’hui, le marché des quotas d’émission est le seul instrument qui existe. En tout cas, c’est la solution qui a été retenue et je ne pense pas qu’on puisse l’abandonner, même si je suis d’accord pour dire qu’il faut travailler à une réforme structurelle profonde de ce mécanisme pour le rendre efficace. À mon sens, son abandon se traduirait aujourd’hui par un recul, car il ne se ferait pas au profit d’un autre instrument plus vertueux et plus efficace.
En ce qui concerne Mittal, madame la sénatrice, le problème que vous avez pointé se posait effectivement, mais ce ne sera plus le cas avec la ratification de cette ordonnance puisque, dans la troisième phase, une entreprise cessant son activité se verra en même temps supprimer les quotas gratuits.
Mme Évelyne Didier. Très bien !
Mme Delphine Batho, ministre. S’agissant du mécanisme d’inclusion aux frontières, auquel nous sommes très favorables, et sur lequel je reviendrai un peu plus tard, une des questions en suspens pour les jours qui viennent est de savoir si le livre vert de la Commission européenne sur l’horizon 2030 va ouvrir le débat sur les fuites de carbone et la perspective, que nous appelons de nos vœux, d’un mécanisme d’inclusion carbone, qui doit être le corollaire de nos propres efforts.
En effet, à nos yeux, il peut y avoir un engagement unilatéral de l’Union européenne en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais cela suppose que nous ne soyons pas victimes de fuites de carbone et que nous disposions donc d’un instrument pour les combattre.
Je remercie également Marcel Deneux de son intervention. S’agissant des propositions sur lesquelles nous travaillons encore aujourd’hui, elles ne sont pas encore abouties et doivent être discutées dans le cadre du débat national sur la transition énergétique. J’espère que nous pourrons en promouvoir d’ores et déjà un certain nombre lors du Conseil européen sur l’énergie du 22 mai prochain.
À mon sens, quatre éléments déterminent ce que doivent être les évolutions du marché du carbone.
Tout d’abord se pose le problème du long terme, c’est-à-dire de l’après-2020 : quel doit être le niveau d’engagement global de l’Union européenne en matière de réduction des gaz à effet de serre en 2030 et en 2040 ? C’est la préoccupation que le Président de la République a mise en avant.
Ensuite, il y a le sujet de la gouvernance du système ; Laurence Rossignol et plusieurs d’entre vous, dont Fabienne Keller et François Marc, l’ont abordé.
Par ailleurs, il faut évoquer la régulation du prix. Nous avons assisté ce soir à un débat entre les partisans d’un mécanisme de prix plancher du carbone, préconisé par d’autres partenaires européens, et les tenants d’une logique consistant à dire que l’allocation de quotas était trop importante à l’origine et qu’il faut revoir les quantités.
Le dernier élément est le mécanisme d’inclusion carbone ; je viens de l’aborder.
Tels sont les quatre piliers sur lesquels il faut travailler, plus particulièrement les deuxième et troisième – la gouvernance et la régulation du prix –, en vue de formaliser dans un avenir proche des propositions précises de la France en direction de nos partenaires européens.
Déjà, sur le premier point, à savoir les objectifs énoncés par le Président de la République pour les horizons 2030 et 2040, je constate, dans les discussions avec nos partenaires de l’Union européenne, que les positions évoluent. La France peut donc jouer un rôle moteur dans le débat en mettant un certain nombre d’idées sur la table.
J’ai été sensible à ce qu’a dit Raymond Vall sur le lien très important entre engagement environnemental et croissance économique.
Pour ce qui est de l’OACI, des discussions difficiles sont engagées actuellement sur la directive ETS Aviation. Là aussi, il importe d’éviter un recul en préservant cet instrument très important par des solutions de compromis à l’échelon international, faute de quoi nous serions confrontés à des blocages très importants.
Ronan Dantec a raison de dire qu’il ne faut pas « saucissonner » les différentes réflexions, qui sont évidemment liées par la question du financement de la transition énergétique, abordée également par Alain Le Vern.
Monsieur Dantec, vous êtes un fin connaisseur des conférences sur le climat. Du reste, nous aurons besoin de la mobilisation des parlementaires dans la préparation des échéances à venir, notamment celle de Varsovie, à la fin de cette année.
En ce qui concerne l’annulation des quotas, j’ai évoqué la question des différentes techniques. S’agissant de l’annulation en fin de période, nous devons aujourd’hui passer d’un niveau de discussion technique – j’allais dire d’ajustement dans le système actuel –, même si cela reste nécessaire, à une réflexion plus globale sur l’évolution structurelle du marché européen du carbone.
Je remercie Jean-Jacques Filleul d’avoir souligné l’urgence à agir et d’avoir exprimé son soutien au projet de loi de ratification.
Fabienne Keller, vous avez évoqué les travaux réalisés dans le cadre du Comité pour la fiscalité écologique. Ils suivent leur cours sur la base de la feuille de route ambitieuse fixée lors de la conférence environnementale. Je salue le travail qui a été mené sur le mécanisme d’inclusion carbone pour établir sa compatibilité avec les règles de l’OMC.
En ce qui concerne l’action de la France au sein de l’Union européenne, le Conseil européen du mois de mai devrait permettre d’apporter un certain nombre d’éléments sur la nécessité des réformes de structures que nous avons évoquées.
Je remercie François Marc de sa suggestion portant sur la mise en place d’un mécanisme incluant une clé de répartition de l’effort intra-européen qui prendrait en compte la situation économique des différents pays, afin de respecter une logique d’effort égal en fonction du degré de transformation de chacune de ces économies et de son engagement dans la transition écologique. Cette piste de réflexion mérite d’être étudiée si l’on veut débloquer les discussions européennes et éviter de se heurter à la règle de l’unanimité.
Les conséquences budgétaires du faible prix du carbone sont évidentes et le ministère du budget donnera prochainement un certain nombre d’indications. Néanmoins, l’Agence nationale de l’habitat dispose aujourd’hui d’un budget qui lui permet de tenir ses engagements en matière de rénovation énergétique. À moyen terme, la faiblesse du prix du carbone, si elle devait se maintenir, aurait effectivement des conséquences négatives sur ces programmes. C’est pourquoi il convient de remédier à cette situation.
Alain Le Vern a rappelé que le produit des enchères ETS devait financer la transition énergétique. Il faut, dans les discussions actuelles au niveau européen, maintenir le lien entre l’engagement en matière d’énergies renouvelables et l’engagement climatique. Nous avons vu en effet apparaître des positions qui validaient l’engagement sur les énergies renouvelables à l’horizon 2030, mais qui le dissociaient de l’engagement sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La France n’est pas favorable à cette dissociation et souhaite préserver la logique du paquet énergie-climat qui lie étroitement les deux questions.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, l’appel d’offres pour les grandes installations photovoltaïques a été publié aujourd’hui même : il intègre des critères de bilan carbone destinés à orienter les soutiens vers l’industrie française.
S’agissant de l’hydraulique et l’éolien offshore, je vous confirme, monsieur le sénateur, que nous sommes en train de travailler sur un tarif de rachat pour les démonstrateurs qui permettra de répondre à vos attentes.
Telles sont, monsieur le président, les réponses que je souhaitais apporter aux différents intervenants en cet instant du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
L’ordonnance n° 2012-827 du 28 juin 2012 relative au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (période 2013-2020) est ratifiée.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui représente une nouvelle avancée de notre politique environnementale et énergétique. Il démontre notre volonté politique de participer à la lutte pour un monde préservé, au bénéfice des générations futures. Ce combat est l’un des enjeux majeurs des années à venir.
En 1997, avec le protocole de Kyoto, les dirigeants mondiaux adoptaient un texte qui traduisait la prise de conscience internationale de la nécessité de défendre l’environnement et, plus particulièrement, de préserver notre atmosphère : il fallait réduire les émissions de gaz à effet de serre. Sans rester purement déclaratoire, ce texte préconisait une série de mesures à mettre en œuvre afin d’enrayer ce fléau mondial. Il manifestait ainsi la volonté d’agir durablement, en misant sur une interdépendance des États qui œuvrent désormais ensemble dans un but commun.
Je tiens aujourd’hui à rendre hommage à l’action menée par l’Union européenne, qui a toujours été, à l’échelle mondiale, la plus active en matière de défense de l’environnement et qui s’est très tôt positionnée comme un ardent défenseur de ce protocole. Avec la directive de 2009, elle faisait un pas de plus dans son combat pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en prévoyant l’approfondissement du système d’échange des quotas selon deux axes majeurs : l’extension du champ d’application du système à de nouveaux secteurs industriels et la fin de l’allocation gratuite des quotas avec la mise en place d’un système d’attribution par mise aux enchères. Désormais, un montant global de quotas sera disponible pour l’Union européenne et réparti entre les secteurs d’activité. Une partie importante du produit de cette vente permettra, en outre, de financer le plan de rénovation thermique annoncé par le Gouvernement, ce dont nous nous félicitons.
Aujourd’hui, madame la ministre, vous nous proposez de ratifier l’ordonnance de 2012 qui opère une transposition rigoureuse dans notre droit de la réglementation européenne. La commission du développement durable, sur l’initiative de son rapporteur, a adopté un amendement visant à transposer intégralement la directive, en rappelant la date d’extinction de l’attribution des quotas gratuits : 2027 doit en effet constituer l’horizon de la troisième phase 2013-2020 du marché européen du carbone.
Vous l’avez par ailleurs rappelé après plusieurs orateurs, madame la ministre, le Président de la République a souhaité, lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre dernier, que les objectifs que nous nous fixons soient plus ambitieux, soit une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et une baisse de 60 % en 2040. Or le système d’échange des quotas de carbone, même s’il fut un temps un outil majeur, ne joue plus aujourd’hui, pour l’Union européenne, qu’un rôle marginal dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
C’est pourquoi je souscris à la position de la commission : ce système doit impérativement redevenir incitatif si nous voulons évoluer vers une économie pauvre en carbone, car il s’agit d’un enjeu fondamental pour la lutte contre le changement climatique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur l’article 1er.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je vais voter cet article ainsi que le projet de loi, mais je tiens à exprimer clairement ma position.
En effet, lorsque j’étais membre du Parlement européen, j’ai siégé à la commission de l’environnement et j’ai toujours été fondamentalement opposée au mécanisme des quotas, estimant qu’il devait, par nature, nous mener au type d’impasse que nous constatons aujourd’hui.
Sans parler de la question du nombre de quotas distribués par les États, j’estime qu’une stratégie de transition énergétique suppose que nous disposions d’une visibilité à long terme du coût du carbone et de la rentabilité des investissements. Par nature, le marché est erratique. Je ne suis pas libérale, ce n’est pas un secret, mais j’attends de voir ce que peut donner une organisation du marché par les États !
Je pense qu’une autre stratégie est possible et que la stratégie actuelle mérite d’être repensée. Cependant, vous avez raison sur ce point, madame la ministre, cette question n’est pas sur la table des discussions européennes et je ne vois pas quel intérêt nous aurions à bloquer l’application de cette directive sous prétexte de repenser son cadre actuel.
Il me semble malgré tout qu’un pays comme la France, qui mène une bataille pour la réorientation des politiques européennes, en particulier pour la réindustrialisation de l’Europe, doit être particulièrement attentif à la promotion d’une politique industrielle européenne ; de ce point de vue, l’idée d’une agence, lancée lors de la précédente rencontre avec l’Allemagne, est importante. Il est très utile de développer des politiques industrielles avec des objectifs de réduction des émissions de carbone, une implication des pouvoirs publics et des financements européens – d’où la nécessité d’un budget européen – en faveur de l’innovation, secteur par secteur.
Le mécanisme d’échange de quotas repose sur l’idée selon laquelle on va optimiser l’allocation des ressources grâce à la vente des quotas de ceux qui peuvent faire des économies à ceux qui ont plus de difficultés pour y parvenir. Or cette thèse n’encourage pas l’innovation maximale parce que celle-ci peut ne pas s’avérer rentable, à moyen terme, dans une branche pour laquelle il sera plus intéressant d’acheter un quota d’émission que d’investir à long terme. Au regard de l’innovation, le marché lui-même, à l’instant t, décourage l’investissement à très long terme, notamment dans certains secteurs industriels énergivores.
Nous avons perdu des branches industrielles entières, comme celle de l’aluminium, au profit du Canada. Nos émissions de gaz à effet de serre ont donc baissé, en France et en Europe, et elles ont augmenté de 40 % au Canada. Beau résultat pour la planète ! Ce qui est sûr, c’est que l’effet sur l’emploi a été terrible en France !
Je suis très heureuse de constater que le Gouvernement souhaite contribuer à une réflexion sur l’avenir de ce dispositif. J’espère qu’il le fera avec l’ambition de repenser les politiques européennes, afin que celles-ci ne soient pas simplement fondées sur le marché.
Enfin, je reste convaincue que la grande révolution que l’Europe doit accomplir est celle du bilan carbone obligatoire pour tous les services et toutes les productions. Cette obligation poussera à une certaine relocalisation des activités et donnera une visibilité à long terme sur ce que l’on veut économiser, mais il faut engager une véritable révolution culturelle. Un petit pas va pouvoir être fait, mais un grand pas reste à faire pour régler la transition énergétique !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Le premier alinéa du II de l’article L. 229-8 du code de l’environnement est complété par les mots : « , en vue de parvenir à la suppression des quotas gratuits en 2027. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Antoinette, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I.- Après l'article L. 229-5-1 du code de l'environnement, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. … – Les installations mentionnées au premier alinéa de l'article L. 229-5 qui déclarent des émissions inférieures à 25 000 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone, et qui, lorsqu’elles ont des activités de combustion, ont une puissance calorifique de combustion inférieure à 35 MW, à l’exclusion des émissions provenant de la biomasse, sont exclues du système d'échange de quotas d'émission lorsqu'elles adoptent des mesures permettant d'atteindre des réductions d'émissions équivalentes à celles qui seraient obtenues en les maintenant dans ce système.
« L'État soumet à consultation du public la liste des établissements exclus du système d'échange de quotas d'émission et les informations relatives aux mesures équivalentes et aux mesures de surveillance mentionnées aux a, b et c du paragraphe 1 de l'article 27 de la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003, selon les modalités prévues par l'article L. 120-1.
II.- La perte de recettes résultant pour l'État du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Cet amendement n’est pas soutenu.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. Je veux remercier l’ensemble de nos collègues et les féliciter collectivement pour la qualité des débats de ce soir. La discussion de ce texte d’apparence technique a permis de mettre en avant des positions intéressantes, de souligner les compétences du Sénat sur ce sujet et de faire émerger une convergence d’appréciation. In fine, nous faisons à peu près tous la même analyse de l’échec ou de l’absence de résultat du marché des quotas de carbone.
Il me semble que c’est l’absence d’alternative, aujourd’hui, qui nous conduit à encourager le Gouvernement dans les ambitions qu’il s’est fixées. Reste à savoir si cette situation ne résulte pas d’un mauvais choix initial qui nous a menés dans l’impasse où nous nous trouvons aujourd’hui.
J’espère que le Sénat retrouvera, dans les mois et les années qui viennent – car nous nous inscrivons dans une perspective relativement longue –, la même volonté de travailler ensemble pour soutenir le Gouvernement dans les ambitions qu’il a affirmées.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Delphine Batho, ministre. À mon tour, je tiens à remercier Mme la rapporteur, M. le président de la commission du développement durable et les sénateurs qui ont pris part à cet échange pour leur travail et l’ensemble du Sénat pour l’adoption de ce projet de loi.
Je salue la convergence révélée par la discussion. En effet, nous partageons tous l’idée que la crise actuelle du marché du carbone appelle, non pas simplement des ajustements techniques, mais une nouvelle orientation politique à laquelle nous devons nous mettre à travailler. Je ne verrais que des avantages à ce que la discussion qui s’est engagée ce soir puisse se poursuivre, dans le cadre de la commission, puisque différentes occasions vont s’offrir dans les semaines qui viennent, avec le débat national sur la transition énergétique et le Conseil européen que j’évoquais. Ce débat pourra contribuer aux propositions françaises de réforme structurelle du marché du carbone que nous défendrons ensuite devant les instances européennes. Je suis donc très favorable à ce que la réflexion se poursuive sur cette question au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
16
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 13 mars 2013, à quatorze heures trente et le soir :
1. Désignation des vingt-sept membres des deux missions communes d’information sur :
- l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement.
- la filière viande en France et en Europe : élevage, abattage et distribution.
2. Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral et du projet de loi organique, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux ;
Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 404, 2012 2013) ;
Textes de la commission (nos 405 rectifié et 406 rectifié, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART