M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai mon intervention par une citation du troisième président des États-Unis d’Amérique, Thomas Jefferson, laquelle a, deux siècles plus tard, conservé sa pertinence et son actualité : « Si l’un des liens de la chaîne de la nature est perdu, un autre se perd, jusqu’au moment où tout disparaîtra morceau après morceau. » Tout est dit…
Nous le voyons : la défense de l’environnement n’a rien d’une cause nouvelle. Notre biosphère forme un tout : des liens d’interdépendance existent entre tout ce qui y vit. Si l’on en détériore ou détruit l’un des éléments, c’est l’existence même de l’homme qui est menacée.
Nous n’en sommes malheureusement pas assez conscients. À cet égard, le réchauffement climatique constitue un enjeu vital, pour nous comme pour les générations futures.
La préservation des ressources naturelles de notre planète – dont nous abusons quand nous ne les gaspillons pas – est une priorité incontournable. Sauvegarder les écosystèmes, la biodiversité, les biens mondiaux que sont l’eau, les ressources agricoles et alimentaires, la santé des habitants de la planète est une exigence dont nous n’avons pas encore pleinement mesuré l’urgence.
Nous ne pouvons que le constater : nous ne savons toujours pas prendre en compte l’urgence environnementale dans nos choix politiques, que ce soit à l’échelle mondiale, nationale ou locale. Nous ne parvenons pas à réguler nos activités. Nous continuons à prélever sans compter sur le patrimoine naturel de la planète, à porter atteinte à la biodiversité, à spolier nos enfants des richesses naturelles au lieu de consacrer toute notre énergie à les préserver.
Face à cette situation, le dispositif européen que nous devons ratifier ce soir paraît bien timide. Il vise certes à sanctionner les pollutions industrielles les plus criantes – et c’est un bon début –, mais il est loin d’être à la hauteur des enjeux. Comme l’a fort justement souligné le rapporteur, Laurence Rossignol, il est temps de passer à un autre niveau d’intervention.
Vingt-cinq ans après la signature du protocole de Kyoto, on peut regretter que ce marché carbone constitue, à côté de la réglementation, le principal pilier de la politique environnementale européenne. Quand parviendrons-nous à mettre en place des politiques plus efficaces, donc plus contraignantes, en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Quand verrons-nous la mise en place d’une véritable taxe carbone ? Surtout, quand nous déciderons-nous à engager une politique de transformation des modes de production sur l’ensemble de la planète ?
L’Union européenne doit être un moteur et la France se placer à l’avant-garde de ce combat, d’autant que, comme le rappelait la ministre tout à l'heure, nous souhaitons accueillir à Paris, en 2015, la prochaine conférence sur le climat.
Cette échéance et la crise économique que nous traversons doivent donc, plus que jamais, nous inciter à réfléchir à un vrai changement de système. Nous considérons que la transposition de la directive soumise à notre examen ce soir constitue un premier pas dans cette direction.
La mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, et non plus leur gratuité, et, pour les États européens, la possibilité de dégager quelques ressources nouvelles afin de mettre en œuvre des politiques de réduction de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique ou de développement des énergies renouvelables sont autant d’éléments positifs.
Bien qu’elles s’inscrivent en retrait des principes énoncés dans la directive, la prise en compte des industries les plus exposées aux risques de délocalisations en raison du coût du carbone et la non-application du dispositif au secteur agricole sont des dispositions de bons sens et nous y souscrivons.
À mon tour, je regrette l’entorse faite pour le transport aérien, même si on peut la comprendre. Je souhaite vivement qu’un accord international, dans le cadre de l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI, permette de trouver une solution satisfaisante à l’échelle mondiale, car il est impératif que le secteur aérien participe, comme les autres, à la réduction des gaz à effet de serre. Je note d’ailleurs que l’OACI s’est engagée, bien que de manière non contraignante, à stabiliser ses émissions de gaz à effet de serre à partir de 2020.
À ce stade de mon propos, je voudrais souligner que, malgré les lacunes de l’action globale que je viens de dénoncer, de nombreuses initiatives émergent dans la lutte contre le changement climatique, qui méritent d’être mieux connues et encouragées. Ainsi, tout particulièrement à l’échelle des pays, de nombreux plans climat-énergie territoriaux ont été engagés.
Je voudrais citer l’exemple d’Ecocert, une entreprise dont nous avons, au sein de la commission que j’ai l’honneur de présider, auditionné les responsables et qui a mis en place un référentiel destiné à intégrer de façon pragmatique la transition carbone au cœur de l’activité économique. Il s’agit de permettre à une entité économique de mesurer efficacement ses émissions de gaz à effet de serre, puis de déterminer un processus conduisant à réduire ces émissions, pour enfin définir un moyen de compenser celles-ci, par exemple en participant à des actions de solidarité climatique, c’est-à-dire en ayant une action responsable et solidaire envers des pays ou des populations qui, autrement, seraient tentés de reproduire le modèle de développement énergivore occidental.
Recherche de la croissance et défense de l’environnement doivent désormais aller de concert. La transformation de nos économies en des modèles économiques plus durables doit être une priorité.
C’est pourquoi, conformément à nos engagements internationaux et à la nécessaire évolution du système de quotas d’émission de gaz à effet de serre, le RDSE soutiendra la ratification de cette ordonnance relative au système d’échange desdits quotas.
Mais je ne peux conclure mon intervention sans vous faire part d’un rêve,…
M. Roland Courteau. Oui, faites-nous rêver, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Raymond Vall. … celui de voir un jour ratifier par notre pays et le plus grand nombre d’États possible la déclaration universelle d’interdépendance, adoptée en préambule de la déclaration de Rio de 1992, qui affirme que notre communauté de destin sur la Terre appelle la proclamation du principe de l’intersolidarité planétaire et de toutes ses déclinaisons pour préserver la planète, ses habitants et l’humanité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc aujourd’hui face à un sujet très technique, qui passionne généralement assez peu les foules – même si nous sommes relativement nombreux, ce soir, dans l’hémicycle –, mais qui représente un enjeu extrêmement important dans la lutte contre le changement climatique.
En lançant son système d’échange de quotas d’émission à la suite de la signature du protocole de Kyoto, l’Union européenne a en effet créé le principal outil mondial de régulation des émissions de CO2. L’avenir de ce système est donc un sujet absolument central.
Les mécanismes européens ont été reconduits a minima pour la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto, entérinée en décembre dernier lors du sommet de Doha, auquel j’ai pu participer avec vous, madame la ministre. Disons-le : l’objectif était alors plus de sauver le mécanisme que de lui donner une nouvelle ambition, celle-ci ne pouvant venir que d’un réel succès des prochaines négociations, qui doivent se dérouler à Paris en 2015.
La directive de 2009, que transpose l’ordonnance qu’il s’agit de ratifier aujourd’hui, va dans le sens d’un approfondissement du système européen d’échange de quotas. Le groupe écologiste ne peut donc que soutenir cette ratification, qui prévoit l’extension de ce système à de nouveaux secteurs industriels et à de nouveaux gaz à effet de serre.
Malheureusement, comme plusieurs orateurs l’ont dit avant moi, le système européen est en crise et ne peut plus jouer son rôle incitatif.
Avec une moyenne de 5 euros la tonne – un record historique à 2,81 euros la tonne a même été atteint le 24 janvier dernier –, il ne peut y avoir de signal-prix incitatif pour le financement des technologies vertes.
Dans l’urgence, les écologistes soutiennent aujourd’hui la proposition de la commissaire à l’action pour le climat, Connie Hedegaard, de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur la période 2013-2015, proposition qui a reçu le soutien de la commission Environnement du Parlement européen et de certains États membres, dont la France.
Mais cette mesure d’urgence n’a de sens que si elle s’accompagne d’une réforme en profondeur du système européen d’échange de quotas. La commissaire européenne avait d’ailleurs lancé sur ce point une consultation publique, dont les résultats ont été révélés voilà quelques jours. Parmi les six options envisagées, les écologistes défendent d’abord le relèvement de l’objectif de réduction des émissions de 20 % à 30 % pour 2020, ainsi que l’engagement sur des objectifs hauts pour 2030 et au-delà.
François Hollande a d’ailleurs annoncé, lors de la conférence environnementale, un objectif de long terme ambitieux sur le plan national, impliquant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030. Cet objectif, que nous devons utiliser comme base pour notre débat national sur la transition énergétique, apparaît également aujourd'hui même dans un papier d’orientation, ou draft text, que vient de publier la Commission européenne.
Nous ne doutons donc pas que la France pèsera de tout son poids dans les discussions avec ses partenaires européens pour obtenir la confirmation de cet objectif pour 2030, qui offrirait une nouvelle visibilité aux acteurs publics et privés.
Les écologistes appellent également au retrait pur et simple d’au moins 1,4 milliard de quotas excédentaires qui noient aujourd’hui le marché et à la modification du plafond linéaire de réduction annuelle des émissions, afin de le faire passer de 1,74 % actuellement – cela correspond à l’objectif de réduction de 20 % d’ici à 2020 – à 2,5 % au minimum. Selon une étude réalisée en juillet dernier par plusieurs associations, dont le Réseau Action Climat, un retrait des quotas sur le long terme conjugué à un passage du taux de réduction annuelle à 2,6 % permettrait d’augmenter le prix de la tonne à 13 euros dès 2013 et à 17 euros d’ici à 2020. Il ne s’agit là évidemment que d’estimations, mais on voit bien qu’une combinaison de l’ensemble de ces mesures peut faire gagner en efficacité.
Il nous faut un prix du carbone élevé pour inciter à la réduction des émissions et stimuler les investissements dans les technologies vertes. Renoncer à ces réformes durables reviendrait à condamner le système européen et, derrière l’abandon de ce levier majeur de la politique climatique de l’Union européenne, c’est l’impossibilité de pouvoir disposer d’un outil de régulation mondiale qui se profilerait.
J’ajoute que nous devons impérativement arrêter de saucissonner nos débats sur ce sujet. Il se trouve que, cet après-midi même, nous discutions de la question de l’ouverture d’une nouvelle négociation commerciale entre l’Europe et les États-Unis. Or je ne suis pas sûr que les négociateurs européens qui s’apprêtent à participer à cette conférence aient en tête le calendrier de la négociation climatique, la nouvelle tonalité du discours de l’administration américaine sur le sujet et l’objectif Paris 2015. Il est pourtant très clair que, si nous ne lions pas les négociations – c’est bien ce que nous attendons aujourd’hui de l’Europe –, nous n’arriverons jamais à rien !
L’échec de Copenhague tient aussi au fait que l’on ait pu considérer qu’une négociation climatique pouvait se contenter de parler de CO2, alors qu’il nous faut aujourd’hui jeter les bases d’une régulation mondiale liant économie et environnement.
J’entends les voix qui doutent de la capacité du système actuel, le cape and trade – plafond et marché –, à fonctionner du fait des difficultés de contrôle technique. Il est vrai qu’un certain nombre de scandales ainsi que le prix de la tonne de CO2 plaident en ce sens. La proposition alternative d’une taxe CO2 européenne spécifique est tout à fait légitime, et nous y sommes évidemment très attentifs. Toutefois, ne nous voilons pas la face : il serait assurément très difficile d’obtenir un accord des Vingt-Sept sur une taxe commune européenne.
Devant cette difficulté, et de peur de lâcher la proie pour l’ombre alors qu’il y a urgence, de très grandes associations environnementales européennes ont plutôt fait le choix de défendre l’amélioration du système actuel.
Ne perdons pas non plus de vue l’établissement, envisageable à moyen terme, d’une compatibilité entre différents marchés régionaux, européen, chinois, voire américain demain – des expérimentations sont actuellement menées en Chine sur ce point. Car, et nous sommes tous d’accord sur ce point, ces mécanismes n’ont de sens que si l’on se place dans une perspective mondiale de régulation des principales économies.
Ce qui dysfonctionne dans le système européen aujourd’hui, c’est bien en premier lieu la partie « régulation ». Le volontarisme politique fait défaut : il y a trop de tonnes et trop d’exonérations !
Si nous changeons la hauteur du plafond, le prix de la tonne de CO2 peut remonter rapidement et venir abonder les budgets des États, particulièrement, pour ce qui concerne la France, les recettes de l’Agence nationale de l’habitat. Mais cela permettrait aussi de financer les actions du mécanisme de développement propre, ou MDP, au bénéfice des pays du Sud, qui forment la nécessaire dimension de solidarité du système, même s’il convient toujours d’être vigilant sur les risques de fuites de carbone.
Pour avoir négocié, au nom des réseaux mondiaux de collectivités locales, à Cancun, en 2010, un programme du mécanisme de développement propre pour les grandes villes du Sud, je peux aujourd’hui témoigner de l’attente de ces dernières et de leur grande déception face à l’écroulement des prix et au tarissement des flux financiers du MDP.
La troisième phase du marché européen doit donc nous permettre de dégager de nouvelles recettes et nous donner une marge de manœuvre pour investir dans la transition énergétique. La directive prévoit que la moitié au moins de ces recettes devra être consacrée à des actions en faveur de la réduction des émissions. En créant des flux financiers au service de la transition énergétique européenne, cette mise aux enchères doit donc être vue comme une opportunité au service de l’économie européenne, et non comme une contrainte supplémentaire, même si la question d’une taxe d’ajustement aux frontières reste posée, dans l’hypothèse où nous ne verrions pas émerger demain d’autres mécanismes de taxation des grandes économies mondiales. Nous sommes là, probablement, au cœur de la question clef de la négociation de Paris 2015.
J’en arrive à ma conclusion. Nous savons que la situation est très grave : les prévisions météorologiques pour le XXIe siècle sont de plus en plus alarmantes et les mesures dépassent toutes les prévisions antérieures. Si polémique scientifique il doit y avoir, ce n’est pas autour du climato-scepticisme, mais bien d’une sous-estimation de la vitesse du changement climatique. Dans ces conditions, il me semble que certains attentismes qui se drapent de pragmatisme confinent à l’inconscience.
Il est tard, mais il n’est jamais trop tard. Il faut donc faire remonter au plus vite le prix de la tonne de CO2 comme signal, tant interne qu’externe, pour affirmer, trois ans avant la conférence sur le climat de Paris, que nous sommes porteurs d’une ambition forte et que la France est mobilisée, prête pour ce rendez-vous majeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’enjeu climatique met au défi les responsables politiques de promouvoir un nouveau modèle de développement qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
C’est tout l’enjeu du protocole de Kyoto, signé en 1997, par lequel l’Union européenne s’est engagée à diminuer de 8 % ses émissions globales d’ici entre 1990 et 2012. C’est afin de remplir cette obligation qu’a été mis en œuvre, à partir du 1er janvier 2005, un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, qui concerne les sites industriels les plus émetteurs de CO2.
Les 12 000 sites industriels assujettis au marché carbone européen se voient attribuer chaque année un plafond d’émissions de CO2. Les entreprises qui dépassent le volume alloué doivent acheter des quotas sur le marché ; celles qui ont suffisamment réduit leurs émissions peuvent à l’inverse vendre leurs quotas excédentaires.
Ce dispositif, instauré par une directive de 2003, constitue l’un des principaux instruments de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique. Il permet à chaque État de déterminer un niveau global d’émissions de CO2 et de le répartir gratuitement, sous forme de quotas, entre les installations industrielles concernées situées sur son territoire.
La détermination d’un prix du carbone est censée encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre des sites industriels les plus polluants, le développement des nouvelles technologies vertes et des industries propres, ainsi que la conversion écologique de ces sites.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de ratifier l’ordonnance, prise par le Gouvernement le 28 juin 2012, relative au système d’échange de quotas pour la période 2013-2020 et qui transpose une directive de 2009.
Celle-ci entre dans le cadre du paquet énergie-climat présenté par la Commission européenne en 2008, et par lequel elle a affiché sa volonté de renforcer sa politique énergétique. Les deux priorités de cet ensemble de propositions étaient la mise en place d’une politique européenne commune et durable de l’énergie, d’une part, la lutte contre le changement climatique, d’autre part.
L’objectif essentiel était de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’ici à 2020, mais aussi d’atteindre 20 % d’énergies renouvelables et d’accroître de 20 % l’efficacité énergétique.
Il fallait, de fait, réviser la directive de 2003 ; c’est le rôle de celle de 2009, qui fait évoluer le système actuel selon deux axes : en premier lieu, elle étend le champ d’application du système à de nouveaux secteurs industriels encore non concernés ainsi qu’à de nouveaux gaz à effet de serre ; en second lieu, à compter de 2013, la suppression progressive de la distribution gratuite des quotas se fera au profit d’une allocation aux industries polluantes par mise aux enchères. Les industriels devront donc acheter des quotas pour couvrir leurs émissions de gaz à effet de serre.
La Commission européenne avait à l’époque estimé que « les ventes aux enchères [procureraient] des revenus importants aux États membres et contribueront au processus d’ajustement à une économie sobre en carbone en soutenant les secteurs de la R&D et de l’innovation dans des domaines tels que les énergies renouvelables, le captage et le stockage du carbone, en soutenant les pays en développement et en aidant les moins prospères à investir dans des mesures d’efficacité énergétique. »
Ce marché aurait pu bien fonctionner – certes, de nombreuses interrogations ont été émises ce soir – et générer des recettes importantes si la crise financière n’était pas intervenue entre-temps, appelant une réforme de fond. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point.
Par ailleurs, la directive de 2009 maintient une allocation gratuite de quotas pour les secteurs exposés au risque de « fuites carbone », c’est-à-dire au risque de délocalisation d’industries fortement émettrices de gaz à effet de serre dans des pays tiers où un tel système de quotas n’existe pas.
Pour ce qui concerne la France, nous ne pouvons que nous féliciter que le Gouvernement se soit engagé à utiliser le produit des mises aux enchères des quotas pour financer le plan de rénovation thermique annoncé lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012.
Le présent projet de loi est examiné au moment où le marché européen du carbone connaît une grave crise de fonctionnement depuis des mois, alors qu’il devait être le fer de lance de la politique climatique européenne.
Comme l’ont indiqué certains de mes collègues, le système d’échanges de quotas est noyé dans un excédent de 1,4 milliard de crédits en raison d’une allocation trop généreuse et d’une baisse de la demande due au ralentissement économique. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, le prix du quota de CO2 oscille autour de 5 euros la tonne alors qu’il devrait se situer entre 25 et 30 euros pour inciter les industriels à développer des technologies propres.
Eu égard à un prix du marché trop bas et à une crise financière et industrielle profonde et durable, les modifications apportées par la directive de 2009 ne suffiront pas, à elles seules, à revitaliser un marché défaillant, qui ne peut plus jouer son rôle.
Cela est d’autant plus vrai que le marché carbone connaît de graves dysfonctionnements. Certaines entreprises ont, par exemple, répercuté dans leurs prix le coût des quotas qu’elles avaient obtenus gratuitement, augmentant ainsi la facture des consommateurs et gonflant indûment leurs profits.
Le marché carbone a également été victime de pratiques frauduleuses, telles que des escroqueries à la TVA, le recyclage de crédits carbone qui avaient déjà été utilisés ou encore des vols électroniques de quotas d’émission.
Ces dysfonctionnements et pratiques douteuses appellent une réforme très poussée du dispositif. La Commission européenne est-elle sensible à ces situations, sans parler des complexités administratives pour obtenir des quotas de CO2 ?
Les réformes proposées par la commissaire européenne chargée de l’action pour le climat vont sans doute dans le bon sens, mais le contexte de crise ne facilite malheureusement pas les choses, alors qu’il est urgent d’agir face au changement climatique.
Faut-il conserver le système des quotas dans le cadre d’un marché ? Cette question mérite d’être posée. J’approuve les propos que Laurence Rossignol, notre rapporteur, a tenus sur ce point. Peut-être avez-vous vous-même des propositions à formuler, madame la ministre.
Pour faire remonter les prix, la commissaire européenne a proposé de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur les 8,5 milliards qui doivent être mis sur le marché pour la période 2013-2015. L’approbation de ce plan de sauvetage devait intervenir à la fin de l’année dernière, mais elle a été reportée et le Parlement européen est divisé sur ce sujet. En effet, de nombreux États ne souhaitent pas pénaliser la compétitivité de leur économie en renchérissant le prix du carbone.
Aujourd’hui, le marché carbone ne joue donc plus qu’un rôle marginal dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il ne permettra pas, à lui seul, d’atteindre l’objectif de réduction que s’est fixé l’Europe. Il faut par conséquent aller plus loin. L’action politique doit accompagner efficacement et justement la mutation de notre économie et la modification des comportements individuels et collectifs.
Une réforme importante doit être conduite à l’échelon européen pour que le système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre redevienne un instrument incitatif. Il faut que l’Europe opère une transition vers une consommation énergétique plus sobre et pauvre en carbone. Effectivement, il est impératif de mener une politique climatique à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire une politique qui permette de réduire fortement la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis des énergies fossiles et de transformer nos modes de production et de consommation.
Madame la ministre, les membres du groupe socialiste comptent sur vous, ainsi que sur le Gouvernement, pour « pousser » la Commission européenne dans cette direction et pour participer ainsi au développement de l’économie verte, à la croissance et à l’emploi. Ils voteront bien évidemment le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre est l’un des principaux outils dont s’est dotée l’Union européenne pour respecter les engagements pris par ses membres dans le cadre du protocole de Kyoto ; l’objectif était de donner un « prix » à la nuisance que représentent ces émissions. En effet, les quotas d’émission de carbone ne constituent pas un produit classique, comme un quintal de blé, par exemple. Leur création résulte de la volonté publique de chiffrer, en quelque sorte, la dégradation de l’environnement.
Vous le savez, mes chers collègues, la commission des finances du Sénat s’intéresse depuis de longues années à ce marché sous divers angles. J’ai eu moi-même l’occasion d’étudier cette question en 2009, lors de l’élaboration d’un rapport consacré au coût du carbone. Philippe Marini, alors rapporteur général – votre prédécesseur, cher François Marc –, avait introduit dans la loi de régulation bancaire et financière, au mois d’octobre 2010, les fondements de la régulation de ce marché. Nous avons également formulé diverses propositions de financement de la réserve des « nouveaux entrants » qui, plusieurs années d’affilée, a représenté un coût pour le budget de l’État.
Mais cette question n’est bien sûr pas l’apanage d’un camp politique. Notre ancienne collègue Nicole Bricq s’intéressait de près à ce sujet et j’ai constaté avec plaisir que François Marc, notre actuel rapporteur général, allait intervenir dans cette discussion générale.
Mes chers collègues, les enjeux sont lourds.
Malgré les problèmes qu’il a pu rencontrer, ce marché part d’une bonne idée, je crois utile de le rappeler ici. En effet, dans le monde de la grande industrie, qui représente environ 40 % des émissions de CO2 de l’Union européenne, fixer une quantité d’émissions à ne pas dépasser et permettre la répartition de l’effort au travers d’un système d’échange de quotas est un moyen efficace d’atteindre l’objectif communautaire en pénalisant le moins possible la compétitivité industrielle. Tel fut d’ailleurs l’objectif visé au moment de la conception du dispositif : il s’agissait de faire en sorte que les entreprises y trouvent un intérêt financier, celles qui étaient en mesure de procéder aux investissements nécessaires pour économiser des émissions de carbone étant amenées à mettre sur le marché des quotas que pouvaient alors acheter celles pour qui ces investissements étaient plus difficilement envisageables.
Ce dispositif était censé permettre une réduction du volume des émissions. Dans le système de la taxation, l’augmentation du prix est connue, certes, mais on ignore son effet sur le volume des émissions.
Le pendant logique d’un tel système de quotas est un outil permettant de maîtriser, par ailleurs, les émissions du secteur dit « diffus », produites par les petites industries, ainsi que, à travers le chauffage, notamment, par les particuliers et les administrations publiques. En effet, il est évident que, pour ces émetteurs-là, un système de quotas n’aurait guère de sens.
Or, permettez-moi de le rappeler, tel était l’objet de la contribution carbone voulue par le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, et son gouvernement, à l’élaboration de laquelle Chantal Jouanno a participé, tout comme Nathalie Kosciusko-Morizet, qui fut votée dans le cadre de la loi de finances pour 2010, mais dont le dispositif fut hélas censuré, sur l’initiative du parti socialiste, par le Conseil constitutionnel.