Mme Éliane Assassi, rapporteur. Il sera amnistié.
Mme Laurence Rossignol. Il sera amnistié pour son refus de se soumettre à un prélèvement d’empreintes génétiques ?
Mme Éliane Assassi. Aux termes du texte proposé par la commission, oui !
Mme Laurence Rossignol. Je me permets d’insister, car il s’agit de deux poursuites pénales différentes.
M. le président. C’est un peu au-delà d’une explication de vote…
Mme Laurence Rossignol. Je ne peux pas me prononcer sur un amendement si je n’en comprends pas tous les effets !
M. le président. Mais cela éclaire bien sûr le débat, et c’est essentiel.
Je mets aux voix l'amendement n° 25.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.
(L'article 11 est adopté.)
Article additionnel après l'article 11
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par Mme Assassi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi est applicable sur l'ensemble du territoire de la République.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit simplement de permettre l’application de la présente loi aux collectivités d’outre-mer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je serais bien intriguée si nous ne prenions pas cette précaution. (Sourires.) Par conséquent, l’avis est favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 11.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Mes chers collègues, il y a certains jours des magies de calendrier. C’est le cas aujourd’hui. Alors même que nous discutons cette proposition de loi – je remercie les collègues qui en ont pris l’initiative –, le conseil des prud’hommes de Compiègne a entamé l’examen des dossiers des 680 salariés de Continental qui demandent l’invalidation de leur licenciement pour absence de motif économique.
Déjà, le 22 février dernier, le tribunal administratif a annulé le licenciement des salariés protégés pour absence de motif économique.
Tout le monde a encore présent à l’esprit l’affaire Continental. En réalité, il y a plusieurs affaires Continental. Je vous épargnerai la longue histoire de ce dramatique dossier, et n’évoquerai que quelques faits qui sont en lien avec notre discussion.
Je veux tout d’abord rappeler les conditions dans lesquelles les salariés de Continental ont vécu la fermeture de leur entreprise. C’est alors que les salariés qui étaient postés hors de l’entreprise étaient rentrés chez eux pour la pause du déjeuner qu’ils ont appris, par la radio, la fermeture totale du site.
On a beaucoup parlé de violence, d’actes inciviques, de faits relevant de l’amnistie. Je ne connais pas pire violence que celle de laisser ces salariés apprendre par voie de presse que le site sur lequel ils travaillent depuis des années, et leurs pères avant eux, sera fermé définitivement et que tous perdront leur emploi.
Ce dossier, aux conséquences économiques et sociales extrêmement douloureuses, a abouti, à force de mépris, de maltraitance des salariés, à la mise à sac – c’est le terme qui a été retenu et, après tout, pourquoi pas – de la sous-préfecture de Compiègne par les salariés de cette entreprise. Ils ont bien entendu été poursuivis pour ces faits. Ils ont fait appel. L’un d’entre eux, Xavier Mathieu – tout le monde le connaît pour l’avoir vu à la télévision – a été poursuivi pour refus de se soumettre à un prélèvement d’empreintes génétiques. En effet, il estimait qu’il était un syndicaliste qui défend son entreprise, ses collègues et non un délinquant sexuel et qu’il ne devait donc pas relever du fichier des empreintes génétiques. Cette affaire est pendante devant la Cour de cassation.
Mes chers collègues, de retour à Compiègne, demain, je serai heureuse de pouvoir annoncer aux salariés de Continental que le Sénat a voté l’amnistie pour l’expression de leur légitime colère. Parce que eux se répètent tous les jours que les vrais violents, les vrais criminels sociaux n’ont pas été poursuivis, que ce sont des délinquants qui ne seront même jamais amnistiés puisqu’ils ne passeront pas devant nos tribunaux. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste, sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Dans la mesure où je me suis déjà longuement exprimée, je serai brève.
Je veux d’abord saluer notre assemblée pour la tenue de ces débats. Je remercie l’ensemble des groupes qui, en amont, se sont associés à nous pour élaborer ce texte équilibré. C’est un réel signal, un réel message que nous envoyons à tous ceux qui souffrent, à tous ceux qui ont peur de perdre leur emploi, ou qui l’ont déjà perdu. Ils savent que nous les avons écoutés et entendus.
Le Gouvernement saura aussi travailler avec nous pour remédier à la crise. Il s’agit certes d’un autre sujet, mais je sais que – et c’est la raison pour laquelle nous avons voté le texte en ces termes – le Gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir – et il a beaucoup de pouvoir – pour aider à sortir de cette crise. Ainsi, la loi d’amnistie, je l’espère, ne servira que très peu et il ne sera pas utile d’y recourir à l’avenir. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Je tiens tout d’abord à saluer la collaboration qui s’est instaurée entre l’auteur de la proposition de loi, notre rapporteur et Virginie Klès pour le groupe socialiste, et, au-delà, l’engagement de tous les groupes de la gauche de cette assemblée autour de cette proposition de loi.
Ce texte porte deux messages qui, compte tenu de l’actualité, prennent toute leur importance.
Le premier message, tous les intervenants l’ont souligné excellemment, c’est un message de pacification que nous envoyons aux salariés victimes de la violence sociale qui se perpétue dans les entreprises. Nous restaurons aussi leur honneur, et c’est un point majeur. L’amnistie efface une peine qu’ils peuvent vivre comme infâmante.
Le second message, qui à mes yeux est également important et qui justifie tout le travail d’équilibre accompli par tous les groupes s’étant reconnus dans ce texte, est notre résistance à la propagation de la violence.
Aujourd’hui, de plus en plus souvent, la violence est la réaction spontanée, à la place du dialogue. Elle devient fréquemment le mode de relation à l’autre, ce que nous ne pouvons en aucun cas encourager.
J’espère que ce second aspect du texte et du message que nous avons souhaité porter sera entendu. Le Parlement doit, par la manière dont il débat, donner l’exemple aux jeunes générations, qui sont trop souvent entraînées dans la spirale de la violence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous arrivons au terme de l’examen de cette proposition de loi, sur laquelle des positionnements différents se sont exprimés au sein de notre assemblée.
Nous avons entendu que cette amnistie posait une véritable question de société. La façon dont une démocratie fait œuvre de justice est toujours un indicateur de bonne santé d’une civilisation.
Certains de nos collègues semblent ne pas comprendre ce qu’ils appellent un « régime d’exception » que nous souhaiterions mettre en place, et toujours selon leurs propos, pour des personnes qui auraient calomnié, séquestré, qui n’auraient pas respecté la loi.
Je leur répondrai sur plusieurs points.
Quand j’évoque le chef d’une entreprise, je ne parle pas des petits patrons de PME ou des chefs artisans qui font vivre notre économie. Je pense aux chefs des grandes entreprises, à ceux qui peuvent annoncer en quelques secondes des milliers de licenciements. Ce sont alors des milliers de familles qu’ils enferment dans la précarité et parfois même la misère.
Il n’est pas besoin de remonter à 1948 pour décrire ces événements, parce que, aujourd’hui, tous les indicateurs le montrent, la crise et ses conséquences pour certaines familles sont telles que l’on en revient à des situations sociales désespérantes que nous n’avions pas vues depuis de nombreuses années dans notre pays.
Lorsque ce même chef d’entreprise le fait sous couvert de chiffres fallacieux, afin de délocaliser l’activité dans des pays où il n’y a pas ou peu de réglementation du travail pour augmenter ses profits, c’est de la calomnie… Or, l’absence de raison de ces chefs d’entreprise entraîne parfois la déraison, le désespoir des salariés.
Permettez-moi de revenir sur l’exemple des « cinq de Roanne ». Je suis sénatrice du département de la Loire et je les ai accompagnés. Ils ont été pris pour l’exemple, je ne reviendrai pas sur leurs actes. C’est l’expression de la colère du peuple quand des assemblées, des gouvernements refusent de l’entendre et le méprise.
C’est ce qui s’est passé pendant le mouvement contre la réforme des retraites, mes chers collègues. Des millions de Français se sont exprimés, au départ respectueusement, ont manifesté, sollicité des rendez-vous, demandé à être pris en compte, et chaque fois la réponse qu’ils ont reçue a été le mépris.
S’il est évident que ce n’est ni à la rue de gouverner ni à la violence de régner dans les entreprises, quand on pousse les gens dans l’excès en les méprisant, à un moment donné, il faut le comprendre, on obtient des réactions, qui peuvent parfois heurter certains, mais je ne sais pas de quel côté est la raison.
Cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous regrettons évidemment l’ajout de quelques mesures restrictives, mais c’est le jeu de la démocratie représentative, qui s’est exprimée ici et qui se poursuivra au cours de la navette parlementaire. Par conséquent, j’invite celles et ceux qui seraient déçus de certains reculs à aller convaincre l’ensemble de nos collègues députés pour redonner de la force à ce texte.
Enfin, je tiens à vous remercier, madame la garde des sceaux, de vos positionnements et des arguments que vous avez apportés afin que nous puissions déboucher sur un texte juste pour les salariés de notre pays, les responsables associatifs – je ne les oublie pas –, dans le respect de l’indépendance de la justice, car chacun, dans notre République, doit pouvoir trouver sa place. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu.
M. Christophe Béchu. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je suis totalement opposé à ce texte par principe, et ce pour trois raisons.
D’abord, je suis contre toute loi d’amnistie quel que soit le sujet, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, car je considère que, quand le législateur prend la décision d’amnistier, il pose un acte d’une gravité particulière.
Ensuite, je suis contre le fait que l’on revienne sur des décisions de justice. Ce sont des tribunaux qui les ont prononcées. Il ne s’agit pas de décisions administratives.
Enfin, à mes yeux, cela s’apparente également à la tentation de réécrire l’histoire, et je considère, comme je l’ai dit lors de débats récents, que ce n’est pas le rôle du législateur de le faire.
M. David Assouline. Vous avez amnistié les généraux !
M. Christophe Béchu. Pour le même principe, je suis gêné que nous puissions utiliser une procédure de ce type.
Sur le fond, mes chers collègues, je ne mets pas en cause la sincérité avec laquelle un certain nombre d’entre vous se sont exprimés en relatant des situations individuelles, locales vécues notamment à Roanne et à « Conti ».
Mais quand j’entends certains expliquer qu’avec cette proposition de loi nous envoyons des signaux, je ne suis pas seulement perplexe, je suis profondément interrogatif.
D’abord, un signal serait envoyé à ceux qui vivent une situation compliquée et seraient sur le point de perdre leur emploi.
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Vous ne les connaissez pas ; vous ne les avez jamais rencontrés !
M. Christophe Béchu. Ces propos ont été tenus voilà quelques instants dans le cadre d’une explication de vote, vous pourrez le vérifier en consultant le compte rendu des débats publié au Journal officiel.
Mes chers collègues, ne me dites pas qu’il s’agit d’envoyer un signal à ceux qui, à l’heure actuelle, vivent une difficulté dans leur entreprise et qui pourraient user, en quelque sorte, d’une forme de violence légitime.
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Si !
M. Christophe Béchu. Ensuite, en faisant cela, à travers un texte comme celui-là, on enverrait également un signal aux personnes qui luttent et qui sont victimes de violences ou d’actes illégaux de la part de leur patron.
Si c’est la véritable raison d’être de ce texte, il s’agit tout simplement d’encourager à la vengeance locale par rapport à des situations de non-droit. (Protestations sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Éliane Assassi, rapporteur. C’est n’importe quoi ! Vous êtes un provocateur, monsieur Béchu.
M. Christophe Béchu. Non, madame Assassi, je ne suis pas provocateur, mais je considère que ce texte porte une forme de provocation, et je vais vous expliquer pourquoi.
Mme Éliane Assassi, rapporteur. N’inversez pas les choses !
M. Christophe Béchu. Vous auriez pu décider qu’il fallait punir, à travers un certain nombre de textes, les auteurs de violence à l’encontre des salariés. Ce n’est pas le choix que vous faites. Vous affirmez, en quelque sorte, un droit à la violence dès lors qu’on estime qu’on a été victime de violence de la part de son employeur ou du système. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Cécile Cukierman. Pas du tout !
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Il ne faut pas exagérer !
M. Roland Courteau. Il n’a rien compris !
M. Christophe Béchu. En agissant ainsi, vous envoyez un signal à la société par une forme de légitimation de la violence et de réécriture de l’histoire, qui, je vous le dis comme je le pense, est très loin des situations et des drames que vous décrivez, parce que, au-delà des cas individuels sur lesquels vous vous penchez, votre message a une portée profondément désastreuse sur le plan politique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Allez le dire aux salariés de Molex !
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Oui, allez leur dire ! Allez un peu sur le terrain !
Mme Laurence Rossignol. Venez avec moi à Compiègne pour expliquer cela aux salariés de Continental !
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Et à Aulnay-Sous-Bois pour rencontrer les salariés de PSA !
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, mon propos sera bref.
Je tiens à saluer le travail de chacun autour du principe d’amnistie, particulièrement celui de la commission des lois.
Madame la garde des sceaux, je vous remercie de la précision de vos réponses et du respect dont vous avez fait preuve à l’égard des uns et des autres.
Le groupe RDSE est satisfait de l’adoption des amendements et, comme l’a annoncé M. Mézard, dans sa grande majorité, approuvera la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC ainsi amendée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Virginie Klès applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, je voudrais à mon tour souligner l’importance du vote que nous allons émettre.
Décidément, monsieur Béchu, vous ne semblez pas comprendre ce qui se passe dans notre pays : des millions de salariés, cela a été rappelé au cours de ce débat, subissent quotidiennement la violence du licenciement ; et quand ils essaient de prendre la parole pour être entendus ou faire respecter le droit d’expression syndical, qui est un droit constitutionnel, parfois les tribunaux les assomment en les traitant comme des délinquants, ce qu’ils n’ont jamais été de leur vie un seul instant.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et la séparation des pouvoirs ?
M. Pierre Laurent. Comme l’a dit Laurence Rossignol, c’est le cas des salariés de Continental, mais c’est aussi le cas de nombreux autres salariés que nous avons entendus ces jours-ci. Des femmes et des hommes se sont retrouvés traînés devant les tribunaux, soumis à des peines totalement disproportionnées ou menacés de condamnations très lourdes pour avoir écrit sur un mur au cours de manifestations contre la réforme des retraites. Ces salariés ont dû se plier au fichage ADN comme de vulgaires délinquants ou des criminels, ce qu’ils n’ont jamais été.
Aujourd’hui, nous faisons un acte de justice, qui va être perçu comme un acte de réparation par nombre de salariés, non seulement ceux qui sont directement concernés, mais aussi tous ceux qui aimeraient pouvoir faire valoir leur droit à l’expression syndicale sans avoir la peur au ventre. En effet, dans notre pays, beaucoup de salariés n’osent pas user de ce droit, pourtant constitutionnel, parce qu’ils ont peur de se retrouver dans une telle situation.
Par conséquent, l’acte législatif que nous commettons actuellement est extrêmement important, et je voudrais dire la fierté du groupe CRC d’avoir utilisé sa niche parlementaire à cet effet.
Je me félicite à mon tour du travail accompli, même si je sais que le débat devra se poursuivre à l’Assemblée nationale sur certains points, à nos yeux très importants, dont la portée a été réduite alors qu’ils auraient pu être maintenus en l’état dans le texte.
Cette proposition de loi a suscité de nombreux commentaires au cours des derniers jours. C’est pourquoi je me réjouis du résultat positif de ce vote aujourd’hui.
Cet acte sera compris comme une opposition à la criminalisation de l’action syndicale, et c’est un encouragement pour la majorité sénatoriale de gauche, et au-delà pour nous tous ici, à écouter les syndicalistes. En effet, comme la violence sociale continue, comme la crise est toujours là, beaucoup de syndicalistes cherchent à se faire entendre dans ce pays sans toujours y parvenir.
Le geste que nous faisons aujourd’hui doit nous encourager tous, pour ne pas aboutir à de telles situations, à écouter les syndicalistes, à respecter leur parole et à savoir entendre les alertes qu’ils émettent avant qu’il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme l’ensemble de mes collègues qui siègent sur les travées de la gauche, je suis fier de voter ce texte, parce qu’il permettra incontestablement, sur le plan qualitatif, de faire un pas en avant concernant la dignité du monde du travail. Différents intervenants l’ont souligné avant moi.
Pourquoi les salariés, et leur famille, qui sont dans une détresse patente devraient-ils, en plus, être assujettis en quelque sorte, après la perte éventuelle de leur emploi, à une double peine qui consiste à les clouer au pilori, fût-ce au prix d’un test ADN ?
Nous ne pouvions nous satisfaire d’une telle situation, et ceux qui pensent a priori qu’il y a des violences spontanées se trompent lourdement. La violence n’existe que lorsque le dialogue social est en panne, et il est vrai qu’à situation déterminée et égale, Continental d’un côté, Molex de l’autre, les mêmes débordements auraient pu se produire en Haute-Garonne par les travailleurs de Molex, tant la désespérance était grande ici aussi. Leur choix a été différent.
Mes chers collègues de l’opposition, permettez-moi tout de même de vous exprimer le profond désaccord – du reste, il n’est pas nouveau – qui différencie très clairement vos rangs des nôtres.
J’ai entendu parler d’ordre public, de manifestants professionnels, de société de licence, qui plus est à propos de personnes qui, dans leur vie et à travers leur combat quotidien, essayaient seulement d’exprimer leur souffrance et celle de leur famille.
Aujourd’hui, en votant ce texte, la gauche va une fois de plus se différencier très lourdement de la droite…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. … et, pour notre part, je le répète encore, nous serons fiers d’avoir accompli un acte qualitatif et quantitatif, qui, selon moi, dépasse largement le cadre strict de l’application de la loi tel qu’il a été déterminé sur le plan de la chronologie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Pour ma part, je ne prononcerai que quelques mots.
En premier lieu, je souligne que le présent texte a tout simplement pour objet de contester des décisions de justice.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est le principe de l’amnistie !
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Vous ne l’avez pas encore compris !
M. Hugues Portelli. C’est cela, et rien d’autre. Il faut désigner les choses par leur nom ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Chers collègues de la majorité, je souhaite pouvoir m’expliquer calmement : personnellement, j’ai pour habitude de respecter tout un chacun et de ne jamais interrompre personne. Chaque orateur a le droit de s’exprimer.
M. Jean Besson. Le Parlement est au-dessus des décisions de justice !
M. Philippe Dallier. Elle est bonne, celle-là !
M. Hugues Portelli. Non, cher collègue Besson, le Parlement n’est pas au-dessus des décisions de justice !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est le principe de la séparation des pouvoirs !
M. Hugues Portelli. La seule autorité qui puisse disposer d’un tel pouvoir, c’est le Conseil constitutionnel, si, par hasard, certaines décisions posaient problème au point de nécessiter que l’on revoie la manière dont les lois sont faites.
M. David Assouline. Et la légitimité politique ?
M. Hugues Portelli. Pour ma part, je n’ai pas l’habitude de commenter les décisions de justice, sinon dans les revues juridiques.
Au reste, lorsqu’on connaît la nature des arrêts concernés, et lorsqu’on sait quelle est la jurisprudence dominante, depuis les conseils de prud’hommes jusqu’à la chambre sociale de la Cour de cassation, comment croire une seule seconde que les tribunaux intervenant dans ce pan de notre juridiction sont hostiles aux salariés ? C’est absolument faux, et tout le monde le sait !
Cependant, en matière pénale, les juridictions sont tenues de condamner des infractions. Ces dernières ne sont pas déterminées à la légère, selon les circonstances ! Leur définition figure dans le code pénal et le juge a pour obligation de les sanctionner.
Par le présent texte, on nous propose purement et simplement de remettre en cause le mode de fonctionnement du système judiciaire.
De surcroît, derrière l’apparence – à savoir la contestation de décisions de justice – se cache une réalité politique, et il faut tout de même en dire un mot.
Pour ce qui me concerne, je distingue deux catégories de positions dans ce domaine.
D’une part, certains défendent systématiquement ce type d’attitudes et de comportements lors des mouvements sociaux. (M. Pierre Laurent s’exclame.) Il en est ainsi de nos collègues du groupe CRC, et je ne le leur reproche pas : ils restent fidèles à l’idéologie qu’ils ont toujours défendue, et leur position est cohérente. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce n’est pas de l’ordre de l’idéologie !
M. Hugues Portelli. Même si je ne suis absolument pas d’accord avec eux, je respecte leurs croyances. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Annie David. Plus de croyances !
Mme Éliane Assassi, rapporteur. Je ne crois pas, je pense !
M. Hugues Portelli. D’autre part, nos collègues appartenant à la gauche modérée expriment une position plus nuancée, et je respecte également la manière dont ils s’apprêtent à voter. Le présent texte ne constitue pas moins un alibi face à leur mauvaise conscience. Chers collègues, vous savez pertinemment que ce texte n’allégera pas d’une once les difficultés économiques et sociales de notre pays ! Vous aurez simplement eu le soulagement de vous dire, le temps d’un scrutin : « Je suis toujours du côté de la défunte classe ouvrière (M. Pierre Laurent s’exclame.), je suis toujours du côté des travailleurs ! »
À cet égard, je constate qu’on ne compte plus guère de travailleurs dans les hémicycles de l’Assemblée nationale ou du Sénat. (Mme Cécile Cukierman et M. Jean Besson s’exclament.)
Mme Annie David. Si ! À la fin de mon mandat, je retrouverai le monde du travail !
M. Hugues Portelli. Pour conclure, je tiens à dresser ce constat : nos collègues de la majorité s’apprêtent à voter une loi d’amnistie pour les événements qui se sont produits entre 2007 et 2012. Pour notre part, nous savons que ce processus est appelé à se poursuivre : en conséquence, nous préparerons, nous aussi, tranquillement, une belle loi d’amnistie pour 2017 ! (M. Pierre Charon applaudit.)
M. Robert Hue. C’est assez lamentable !
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Le temps court, et je serai donc bref.
Si nous vivons un instant important, nous ne faisons pas œuvre de législateur : en effet, nous ne modifions pas le droit, il s’agit d’un moment strictement politique. Nous envoyons un signal, mais pas au sens où l’entend M. Portelli.
À cet égard, je tiens à remercier le groupe CRC, sur l’initiative duquel le présent texte a été proposé. Je salue par ailleurs l’excellent travail accompli par la commission des lois, grâce auquel cette proposition de loi pourra être adoptée.
En effet, il convenait de rassembler une majorité et de s’accorder sur le champ précis du présent texte, pour éviter toute interprétation abusive des dispositions qu’il contient. De plus, il fallait éviter que la droite ne puisse susciter un quelconque tintamarre sur la permissivité que ce texte pourrait, à l’entendre, entraîner.
Je le répète, nous ne sommes pas en train de modifier le droit. Nous n’affirmons pas que des conditions objectives comme la détresse sociale permettent, au total, de contourner ou de changer la loi. Nous émettons un signal très net : le législateur l’indique aujourd’hui, l’amnistie proposée ne s’étend pas aux atteintes portées aux personnes physiques.
Pour l’avenir, nous lançons notre message dans des circonstances très difficiles. La détresse sociale ne va pas disparaître demain.
M. Philippe Dallier. Ah bon ? Pourtant, vous êtes au Gouvernement !
Mme Cécile Cukierman. On ne décrète pas l’abolition de la misère !
M. David Assouline. Qui plus est, la situation économique est telle que les pertes d’emplois et les fermetures de sites se multiplient. Les difficultés sont nombreuses, y compris pour nous, pour la puissance publique : nous ne voulons jamais que des personnes soient jetées à la rue !
Il nous faut être plus forts que ces prédateurs qui, sans aucun état d’âme, licencient leurs employés du jour au lendemain sans même les prévenir, et fracassent ainsi non seulement leur carrière professionnelle mais leur existence tout entière, notamment leur vie de famille.
Dans ce contexte, nous nous adressons à l’ensemble du corps social : pour continuer à vivre ensemble et faire bloc pour contester et protester, il faut passer par la négociation et la lutte, la grève et la manifestation, bref user de tous les moyens qu’autorise la Constitution. Le but est de pouvoir vivre ensemble. Dans cette perspective, des rapports de force doivent aussi pouvoir céder la place à la concorde.
Le présent texte accorde un pardon. Il remet les compteurs à zéro. Il émet donc un signal positif, en prouvant que la République et ses parlementaires entendent les messages qui ont été exprimés, et les traduisent dans la loi. Il indique que demain, face au conflit social qui peut de nouveau s’exprimer, tous les recours démocratiques, et rien qu’eux, doivent être utilisés.
À mon sens, contrairement à ce que M. Portelli a affirmé, il s’agit donc non seulement d’un appel à la démocratie, mais aussi, et surtout, d’un appel au respect de la justice et de la République tout entière. À cette fin, nous avons recours à un moyen que les Républicains ont toujours utilisé : le pardon et l’amnistie.
Chers collègues de l’opposition, aujourd’hui, vous vous élevez contre l’amnistie en général, ce que vous n’avez pas fait par le passé. Votre position de principe n’est par conséquent qu’une posture de circonstance, car vous ne prenez pas en compte celles et ceux qu’il faut avant tout protéger dans notre pays : les travailleurs et les citoyens qui ne disposent que de faibles protections par ailleurs. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Dominique Watrin applaudit également.)