4
Écoles de production
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi relative aux écoles de production, présentée par M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues (proposition n° 120 [2011-2012], rapport n° 128, résultat des travaux de la commission n° 129).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que sont les écoles de production ? Certains les connaissent, d’autres en ont entendu parler, d’autres encore découvrent ces établissements. C’est le cas de nombre d’entre nous, quelle que soit notre appartenance politique.
Au nombre de quinze aujourd’hui, ces écoles, qui proposent une formation à la fois théorique et pratique, parviennent à mener des jeunes en rupture scolaire vers une vie professionnelle et adulte. Entamée il y a plus d’un siècle, cette démarche a permis à de nombreux jeunes de retrouver confiance en eux et d’accéder à un emploi. Vous le savez, c’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, et ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous présente aujourd’hui le premier texte législatif visant à soutenir ces écoles.
Tous ceux qui ont visité une école de production ont été enthousiasmés. La présente proposition de loi a été cosignée par une cinquantaine de mes collègues du groupe UMP, dont la quasi-totalité des sénateurs de la région Rhône-Alpes, qui a été pionnière en la matière. C’est en effet dans cette région que les premières aides aux écoles de formation, aujourd’hui pérennisées, ont été mises en place.
Ainsi, M. Jean-Jack Queyranne, président du conseil régional de Rhône-Alpes, a signé, le 9 mars 2009, une convention tripartite de partenariat et de financement des écoles de production. De même, M. Philippe Meirieu, vice-président écologiste chargé de la formation tout au long de la vie à la région Rhône-Alpes, leur a apporté son soutien.
Notre collègue Gérard Collomb n’a pas tari d’éloges lors d’une visite dans une de ces écoles et il m’autorise à dire qu’il soutient cette voie de formation.
Anne Lauvergeon, présidente du fonds « Agir pour l’insertion dans l’industrie », tout aussi enthousiaste, plaide pour que, dans les trois ans à venir, le nombre d’élèves des écoles de production passe de 500 à 1 500.
Pourquoi un tel enthousiasme ? Comme le souligne dans son rapport Françoise Laborde, dont je veux saluer le travail, les écoles de production ont affiché des performances exceptionnelles dans l’insertion des jeunes de 14 à 18 ans.
Leur spécificité est de réunir, en un même lieu, des cours théoriques et un enseignement pratique. Il s’agit, à côté de la formation scolaire à temps plein des lycées professionnels et de l’apprentissage, d’une troisième voie originale, s’efforçant de concilier les avantages des deux premières.
Dans ces structures, le jeune réalise des commandes, aux conditions du marché, pour des clients industriels ou particuliers. La production est toute orientée vers la formation du jeune. Celui-ci apprend à produire « pour de bon », et ce sans avoir à alterner entre l’école et l’entreprise, puisque les écoles de production tiennent des deux à la fois.
Ces écoles présentent donc un certain nombre d’avantages ; j’en citerai cinq principalement.
Premièrement, elles permettent à des jeunes en grande difficulté scolaire, qui sont aussi, la plupart du temps, en grande difficulté sociale, de suivre une formation diplômante, alors qu’ils sont exclus du système scolaire, y compris des lycées professionnels, voire des centres de formation par l’apprentissage, car ils ne trouvent pas d’entreprise voulant signer avec eux un contrat d’ apprentissage.
Les élèves y préparent des CAP, des certificats d’aptitude professionnelle, mention complémentaire, ou des baccalauréats professionnels dans plus de douze métiers des domaines du bois et de l’ameublement, du bâtiment, de la maintenance automobile, de la mécanique-métallerie, de la restauration, de la haute couture, pour n’en citer que quelques-uns.
Deuxièmement, les écoles de production permettent aux jeunes de retrouver confiance en eux-mêmes. En effet, les élèves y sont responsables des travaux à produire et à livrer. La réalisation de l’objet de la commande est le moyen de faire prendre concrètement conscience de ses capacités à un jeune qui doute. Chaque fois que c’est possible, la démarche pédagogique inclut l’installation chez le client ou la remise de la commande réalisée, l’expérience de la satisfaction du client étant un vecteur essentiel de la reconstruction de la confiance en soi.
Dans ces conditions, le jeune intègre un savoir-faire, mais aussi un « savoir-être ». Il acquiert une certaine discipline, sa vie à l’école de production étant réglée par les rythmes horaires de celle-ci, ses exigences de qualité et de délai, ainsi que ses liens sociaux. L’apprentissage du métier et du travail se fait en équipe et un « maître professionnel », issu du secteur concerné, transmet son savoir-faire au jeune en réalisant en sa compagnie les commandes du client.
L’intérêt des écoles de production est aussi d’assurer un suivi plus important et plus personnalisé de l’élève, le travail s’y faisant en très petits groupes, à la différence de ce qui se fait en lycée professionnel ou en centre de formation des apprentis.
Pour des élèves particulièrement demandeurs de concret, ce dispositif innovant atteint son but : il capte leur intérêt en prodiguant un enseignement particulièrement professionnalisant.
Deux tiers du temps hebdomadaire sont consacrés à la formation pratique en atelier, le tiers restant se déroulant en enseignement théorique général et technologique.
Les jeunes, dont on valorise l’intelligence de la main, celle du geste, comprennent très vite qu’il leur faut aussi savoir lire, écrire, compter, maîtriser l’informatique, l’anglais, etc. Ils apprennent alors les fondamentaux dont ils avaient été, chaque jour, un peu plus écartés dans la voie classique.
Troisièmement, et ce n’est pas le moindre des avantages de ce dispositif, la réussite est au bout du chemin. Dans les écoles de production, on parle plus du produit et du client que des notes obtenues, ce qui permet, d’ailleurs, d’améliorer ces dernières. Les chiffres se passent de commentaires : dans son rapport, Françoise Laborde relève un taux de réussite aux examens de 85 % à 92 % en région Rhône-Alpes.
Le taux d’insertion professionnelle est excellent, puisqu’il avoisine les 100 %, les écoles ayant des liens étroits avec les entreprises et les branches professionnelles, notamment l’Union des industries et métiers de la métallurgie, l’UIMM, et la Fédération française du bâtiment, la FFB. Malgré leur parcours antérieur, souvent décousu et chaotique, les élèves sont très appréciés des employeurs, car ils sont déjà expérimentés et opérationnels.
À peu près la moitié des élèves voient leur formation déboucher sur un emploi, l’autre moitié poursuivant des études en baccalauréat professionnel ou en BTS. En reprenant confiance en eux et en étant soumis à une discipline, ils ont retrouvé le goût des études.
Quatrièmement, les écoles de production entraînent des coûts réduits, aussi bien pour les familles, parfois en difficulté financière, que pour la collectivité. Les frais de scolarité sont le plus souvent inexistants car les élèves, par leur travail, contribuent à couvrir une partie du coût de leur formation ; ils peuvent atteindre, au maximum, 800 euros par an.
M. Jacques-Bernard Magner. Et le coût des transports ?
M. Jean-Claude Carle. L’opération est également rentable pour la collectivité, pour l’État et pour la région qui investit dans ces structures au travers du plan régional de développement des formations professionnelles. Je tiens à signaler que le coût est bien inférieur à celui du lycée de la seconde chance, autre voie proposée aux publics en rupture scolaire et souvent, je l’ai dit, en rupture sociale.
Cinquièmement, et enfin, le dispositif intègre l’ensemble de la communauté éducative : le jeune, sa famille, la collectivité et l’entreprise.
Chaque acteur est responsabilisé et les compétences sont vraiment partagées, alors que notre système éducatif est encore, à mon sens, trop régi par des compétences séparées.
Pourquoi est-il nécessaire, voire indispensable, de légiférer aujourd’hui ?
J’ai expliqué que les écoles de production présentent de nombreux avantages. Leur seul inconvénient est d’exister quasiment sans cadre juridique clair.
Pour permettre à cette voie spécifique de se développer, de ne pas rester, sinon dans la « clandestinité », du moins dans l’ombre, il faut leur donner un cadre juridique plus solide.
En effet, même si sept d’entre elles sont reconnues par l’État depuis 2006, le ministre Gilles de Robien leur ayant alors conféré le statut d’établissements privés d’enseignement technique, elles exercent leurs activités hors contrats d’association de la loi Debré.
M. Jacques-Bernard Magner. Il a eu raison !
M. Jean-Claude Carle. Par conséquent, les établissements n’étant pas sous statut scolaire, leurs élèves ne bénéficient pas des droits et avantages afférents : bourses, ramassage scolaire, restauration.
Le Conseil supérieur de l’éducation a refusé, par deux fois, de les intégrer et de reconnaître leurs spécificités. Bien évidemment, les écoles de production ne peuvent remplir les exigences d’heures de cours théoriques fixées par l’éducation nationale, puisque l’accent est prioritairement mis sur la dimension pratique ; bien évidemment, la plupart des formateurs sont issus du milieu professionnel et n’ont pas passé les concours d’enseignants. Et alors ?
Si les élèves n’ont pas le niveau souhaité, comment expliquer leur réussite aux examens, qui est même supérieure à la moyenne, et leur taux d’insertion professionnelle, qui avoisine les 100 % ? C’est pourquoi ces écoles ont besoin d’une telle souplesse pour s’adapter à ces publics spécifiques.
Madame la rapporteur, vous avez noté avec bon sens qu’il n’est certainement pas souhaitable de laisser perdurer une situation dans laquelle des établissements privés poursuivant une œuvre utile aux jeunes en très grande difficulté demeurent marginalisés, voire tacitement ignorés par le système de l’éducation nationale. Le ministère de tutelle s’accommode bien, en effet, d’un réseau d’écoles de production prenant en charge des élèves pour lesquels l’offre scolaire traditionnelle n’est plus adaptée. Cependant, il lui refuse toute légitimité et toute aide, écartant en particulier l’octroi d’aides sociales à des jeunes pourtant âgés, pour certains, de 14 à 16 ans.
Les écoles de production sont victimes d’une autre inégalité financière, puisqu’elles ne bénéficient qu’en partie de la taxe d’apprentissage, c’est-à-dire qu’elles profitent du barème, comme les lycées professionnels, mais pas du quota, comme les CFA.
Pour combler tous ces manques, la proposition de loi contient six articles visant à favoriser la pérennisation et le développement des écoles de production.
Dans l’article 1er est précisé le caractère expérimental du dispositif prévu par le texte. L’expérimentation durerait cinq ans et serait suivie d’une évaluation de nature à rassurer les plus inquiets.
Par l’article 2, nous avons souhaité permettre la reconnaissance par la loi des écoles de production, qui ne seront plus des établissements privés d’enseignement technique, mais auront un statut juridique propre permettant le respect de leur spécificité.
Dans l’article 3 est prévu un contrôle de l’inspection du travail pour assurer la sécurité des jeunes.
L’article 4 tend à autoriser les entreprises à verser aux écoles de production une partie du quota et le barème de leur taxe d’apprentissage, comme je l’ai expliqué.
L’article 5 vise à accorder aux élèves de ces écoles le bénéfice de la carte d’étudiant des métiers, au titre de la loi du 28 juillet 2011. Celle-ci leur permettra, à l’image des apprentis, de bénéficier de réductions tarifaires en matière d’hébergement, de restauration et de transports.
Par l’article 6, nous avons voulu conférer aux jeunes et à leur famille les mêmes droits qu’aux élèves scolarisés dans la voie classique en matière d’aides à la scolarité et de bourses nationales des collèges et lycées.
L’ensemble de ces aides me semble parfaitement justifié par les besoins des écoles et le profil des élèves, souvent issus, je le répète, de milieux défavorisés, voire très défavorisés.
Oui, madame la rapporteur, j’en conviens, le statut que tend à créer la proposition de loi est hybride, car les écoles de production, mêlant une éducation de type scolaire et une formation professionnelle, sont par nature hybrides ! Cela ne doit pas nous empêcher de les aider, à l’instar des autres structures existantes. Il ne faut pas que, dans notre pays, il y ait deux poids deux mesures.
Dois-je rappeler que le taux de chômage des jeunes est de 20 % en France, alors qu’il est de 7 % seulement en Allemagne ? Pourtant, nous consacrons davantage de moyens à ce problème, ce qui prouve qu’il s’agit d’une question non pas tant de moyens que d’utilisation de ces derniers. Avec très peu de ressources, les écoles de production sont une formidable réussite.
On parle toujours en France de ce qui ne marche pas. La formation d’élèves en difficulté scolaire au moyen des écoles de production, ça marche, à Paris, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Rhône-Alpes, à Marseille, à Toulouse ! Il reste, à mon sens, à étendre ce système qui fonctionne. D’autres pays le font : ces écoles de production représentent une voie à part entière au Danemark, qui en compte cent dix, avec 15 000 élèves.
Dès lors, qu’attendons-nous ? La nouvelle majorité a rejeté le texte en commission, suivant l’avis de Mme Laborde, qui estime préférable de se donner le temps de la réflexion.
M. Jean-Pierre Plancade. C’est la sagesse !
M. Jean-Claude Carle. Elle recommande au Gouvernement de mettre en place une mission consacrée à l’enseignement technique et professionnel privé et aux dispositifs de formation alternée, dont font partie les écoles de production, en espérant que cette démarche débouche sur des dispositions dans la future loi de programmation pour l’école.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez bien que, comme le disait Clemenceau, pour enterrer un problème, il suffit de créer une commission.
M. Jean-Pierre Plancade. C’est un procès d’intention !
M. Jean-Claude Carle. Si nous nous en remettons à une évaluation du dispositif – celle-ci, soit dit en passant, a déjà été réalisée par les inspections d’académie concernées en 2006 –, il nous faudra attendre encore longtemps pour que le dossier avance.
Or, je le rappelle, le grand défi éducatif en France est la sortie du système, sans qualification, de 150 000 jeunes par an. Je pense qu’il y a urgence pour les écoles de production, pour nos jeunes, et je vous invite, mes chers collègues, à vous rassembler autour de ce projet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Françoise Laborde, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi entend instituer, à titre expérimental, un nouveau cadre juridique au profit des écoles de production.
Ces écoles se caractérisent par une méthode pédagogique spécifique, privilégiant la formation par la pratique : la formation en atelier représente les deux tiers du temps pédagogique, le dernier tiers étant consacré à la formation théorique en classe. Destinées principalement à des jeunes de 14 à 18 ans ayant décroché du système éducatif traditionnel, elles se proposent de former leurs élèves en les plaçant en situation réelle de production, en réponse à des commandes de clients, sans les contraindre à alterner, comme les apprentis, entre l’école et l’entreprise. Elles revendiquent donc ce statut d’« école-entreprise ».
Les écoles de production n’étant pas sous contrat avec l’État, elles ne sont pas soumises au contrôle pédagogique du ministère de l’éducation nationale. Elles sont cependant agréées comme centres d’examen de certains diplômes de niveau V et IV, tels que le certificat d’aptitude professionnelle, le brevet d’études professionnelles ou le baccalauréat professionnel.
Les métiers enseignés couvrent une large palette de secteurs économiques : des métiers de la métallerie et de la menuiserie à la mécanique industrielle et automobile, en passant par des métiers d’art ou de services, tels que l’ébénisterie, la haute couture, la restauration et l’hôtellerie.
La Fédération nationale des écoles de production, la FNEP, dénombre aujourd’hui quinze écoles de production, dont huit en région Rhône-Alpes. Selon elle, en juin 2010, 85 % des élèves des écoles de production ont obtenu leur diplôme. Pour ce qui est de l’insertion professionnelle, l’efficacité de cette voie de formation semble démontrée, puisque de nombreux jeunes accèdent, sans grande difficulté, à un emploi, quand d’autres choisissent de poursuivre leurs études. Ces écoles sont donc un élément intéressant de notre réseau national d’enseignement technique.
Le statut hybride, taillé sur mesure au profit des écoles de production par cette proposition de loi, me semble relever toutefois d’une construction assez fragile et inopportune. On peut douter de la proportionnalité des mesures envisagées, de nature à favoriser une quinzaine d’établissements regroupant tout au plus 700 élèves, essentiellement en région Rhône-Alpes, tout autant que de leur faisabilité juridique.
La proposition de loi entend transférer l’agrément et le contrôle des écoles de production du ministère de l’éducation nationale à celui de la formation professionnelle. La raison en est toute simple : ces structures privées refusent de soumettre leur organisation pédagogique aux règles des contrats d’association issus de la loi Debré, car le respect de ces dernières supposerait de mettre en conformité les enseignements théoriques dispensés avec les règles et programmes de l’enseignement public et de respecter un volume horaire minimal d’enseignement théorique.
M. Jacques-Bernard Magner. C’est la base !
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
Mme Françoise Laborde, rapporteur. En rattachant ces établissements au ministère de la formation professionnelle, on cherche à les assimiler, de façon du reste très artificielle, à des organismes de formation par l’apprentissage, afin qu’ils en tirent des bénéfices financiers, au travers des recettes de la taxe d’apprentissage au titre du quota, et statutaires, dans la mesure où les élèves, considérés comme des apprentis, recevraient la carte portant la mention « Étudiant des métiers ».
Or les services d’inspection du ministère de la formation professionnelle ne disposent pas des compétences nécessaires pour évaluer les méthodes pédagogiques des écoles de production. Faut-il rappeler que même les formations par apprentissage s’appuient sur des diplômes dont le contenu et l’organisation pédagogiques ont été préalablement validés par le ministère de l’éducation nationale ? Il est inenvisageable de transférer à l’inspection du travail le contrôle d’écoles scolarisant des élèves mineurs, soumis aux exigences de l’instruction obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans.
Contrairement aux intentions exprimées dans l’exposé des motifs, les dispositions de l’article 4 de la proposition de loi ne garantiraient pas aux écoles de production le bénéfice de la part « quota » de la taxe d’apprentissage ; elles rappellent seulement que les écoles dont les formations technologiques et professionnelles figurent sur la liste publiée annuellement par le préfet de région peuvent bénéficier des versements exonératoires de la taxe d’apprentissage au titre du barème.
Étendre le bénéfice d’une partie du quota de la taxe d’apprentissage aux écoles de production serait incompatible avec la législation en vigueur, car le quota de cette taxe finance exclusivement les établissements formant des apprentis, ce que les écoles de production ne sont pas puisque leurs élèves ne sont pas rémunérés. Le rattachement au ministère de la formation professionnelle n’y changerait rien.
Un autre exemple d’artifice juridique proposé par ce texte nous est fourni avec l’article 5, qui tend à octroyer aux élèves des écoles de production la carte « Étudiant des métiers », laquelle leur offrirait des avantages et des réductions tarifaires identiques à ceux dont jouissent les apprentis et les étudiants. Or ils ne sauraient être assimilés à des apprentis : certains d’entre eux n’ont que 14 ans, alors que l’apprentissage est réservé aux plus de 15 ans, et ils ne perçoivent aucune rémunération en l’absence de contrat d’apprentissage.
La dernière incohérence figure à l’article 6, lequel traduit le souhait de rendre ces élèves éligibles aux bourses nationales et aux aides à la scolarité délivrées par l’éducation nationale, alors même que la proposition de loi tend à rattacher ces écoles au ministère de la formation professionnelle afin de les exonérer de toute contrainte en termes de contrôle pédagogique par l’éducation nationale.
Mme Maryvonne Blondin. Statut hybride !
Mme Françoise Laborde, rapporteur. Soyons sérieux, on ne peut pas jouer sur tous les tableaux.
M. Jacques-Bernard Magner. Absolument !
Mme Françoise Laborde, rapporteur. En outre, l’introduction de tous ces avantages en faveur des quinze écoles de production existantes constituerait une véritable rupture d’égalité à l’égard de tous les autres établissements d’enseignement technique privés, dont certains ont fait le choix de se conformer aux exigences pédagogiques minimales de l’éducation nationale dans le cadre d’un contrat d’association.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
Mme Françoise Laborde, rapporteur. Il faut cependant mettre fin à la situation ambiguë entretenue par le ministère de l’éducation nationale, qui semble ignorer la situation, voire s’accommoder d’un réseau d’écoles de production prenant en charge des élèves auxquels l’offre scolaire traditionnelle n’est plus adaptée, sans toutefois leur reconnaître une réelle légitimité, ces écoles faisant seulement l’objet d’une reconnaissance formelle de l’État par arrêté, qui n’emporte aucun droit.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
Mme Françoise Laborde, rapporteur. Il est donc indispensable de poursuivre la réflexion, afin de définir des règles minimales d’organisation de la scolarité, en concertation avec les écoles. Deux points méritent, selon moi, une attention toute particulière.
Il s’agit, d'une part, de garantir un temps de formation générale incompressible, au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production.
Gardons à l’esprit qu’un certain nombre des jeunes concernés ont entre 14 et 16 ans Ils sont censés acquérir non seulement les connaissances fondamentales – lire, écrire, compter –, mais aussi des connaissances spécifiques applicables dans le cadre de leur production et de l’exercice de leur futur métier dans une entreprise. Il est impératif de prévenir, au sein des écoles de production, toute dérive productiviste, qui tendrait à diminuer le nombre de cours théoriques en période de fortes commandes.
Il s’agit, d'autre part, de garantir l’inscription dans un établissement sous contrat ou dans une école de production, tous les élèves en formation alternée devant pouvoir bénéficier d’aides à la scolarité.
Sans doute faut-il prévoir un traitement différencié des élèves en fonction de leur âge. De 14 à 16 ans, les jeunes doivent être maintenus sous statut scolaire, ce qui n’est pas négociable. Il conviendrait idéalement de les inscrire dans des établissements ou organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l’éducation nationale. Maintenus sous statut scolaire, ils bénéficieraient d’aides à la scolarité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que plusieurs dispositifs agréés par l’éducation nationale existent déjà pour les jeunes de plus de 14 ans : le dispositif de « formation d’apprenti junior » ; le dispositif d’initiation aux métiers de l’alternance, ou DIMA, pour les jeunes âgés d’au moins 15 ans ; les maisons familiales rurales, qui peuvent aussi accueillir des jeunes de plus de 14 ans pour des formations par alternance.
De 16 à 18 ans, les élèves qui le désirent pourraient être inscrits dans des écoles de production, qui devraient être réservées, selon moi, à la scolarité post-obligatoire.
D'ailleurs, je ne suis pas la seule à exprimer cette idée, comme M. Philippe Meirieu l’a confirmé lors de son audition. Je crois, monsieur Carle, que nous avons entendu chacun ce que nous voulions entendre : selon la tranche d’âge considérée, nous avons donc raison l’un ou l’autre ; avant 16 ans, c’est mon analyse qui prévaut.
Les élèves se verraient alors reconnaître par les ministères de l’éducation nationale et de la formation professionnelle le statut de stagiaires de la formation continue non rémunérés dans le cadre de parcours de formation récurrente et bénéficieraient, le cas échéant, d’une allocation versée par le conseil régional.
Comme vous le voyez, je m’exprime souvent au conditionnel. En effet, les pistes que je viens de tracer devraient être étudiées dans le cadre d’une mission conduite conjointement par les ministères de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, destinée à évaluer l’ensemble des dispositifs de formation alternée existants. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez votre avis s’agissant de la mise en place d’une telle étude. Monsieur Carle, je constate avec plaisir que vous vous inscrivez aussi dans cet objectif.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture ayant estimé préférable de se donner le temps de la réflexion, notamment dans la perspective de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école, elle a conclu au rejet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée est donc amenée à examiner ce soir la proposition de loi dont votre collègue Jean-Claude Carle est le premier signataire.
Ce texte porte sur le dossier des écoles de production, qui, Mme la rapporteur l’a montré, est tout à fait particulier. J’avoue d’ailleurs que, jusqu’à récemment encore, comme sans doute beaucoup d’entre vous, je n’en avais pas une connaissance précise.
M. Jean-Claude Carle. J’ai fait œuvre de pédagogie, monsieur le ministre !