M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier M. Carle d’avoir braqué le projecteur sur ces organismes de formation, qui existent depuis fort longtemps, puisque les premiers sont apparus à la fin du XIXe siècle, mais qui ne sont pourtant guère connus.
Voilà quelque temps déjà, j’ai été, monsieur le ministre, l’un de vos prédécesseurs au ministère de la formation professionnelle. Vous avez avoué précédemment que vous ne connaissiez pas les écoles de production. Je fais publiquement le même aveu ! Pour autant, elles sont fort intéressantes et propres à nous inspirer de bonnes idées.
J’ai trouvé dans un journal de Toulouse, la région d’origine de notre collègue Plancade, la description d’une de ces écoles de production, installée au sein de l’institut catholique des arts et métiers, l’ICAM. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Voici ce que l’on en dit dans cette publication : « Depuis dix ans, l’école située dans les locaux de l’ICAM Toulouse forme pendant deux ans des jeunes âgés de 15 à 18 ans au métier de tourneur fraiseur. “DynaMéca dispense un encadrement individualisé avec un formateur pour quatre jeunes, indique Gaël Mary, directeur de DynaMéca. L’essentiel de nos intervenants sont bénévoles et des élèves ingénieurs de l’ICAM viennent donner du soutien scolaire.” L’objectif de cette école de production est de soutenir des jeunes en difficulté scolaire.
« Priorité est donnée à la pratique : l’activité de production réalisée au sein d’un atelier sert de support pédagogique à la formation. Et l’atelier de l’école fonctionne comme une petite entreprise. Les élèves apprennent le métier en fabriquant des pièces pour des clients. “À l’école, on me disait « tu ne réussiras jamais », ici dès que tu rates un truc on te dit « vas-y, réessaye, c’est en se trompant qu’on apprend le métier », témoigne un ancien élève de DynaMéca. Et d’ajouter : “Les formateurs sont différents des professeurs, ils sont comme des collègues de travail. Ils sont à la fois nos professeurs de technologie et nos formateurs à l’atelier.”
« DynaMéca est financée principalement par la vente de sa production, ainsi que par la taxe d’apprentissage, la région et l’Europe. Ce qui permet de ne demander qu’une participation symbolique de 80 euros aux parents pour les frais d’inscription. Les résultats sont plus que satisfaisants : chaque année, ce sont vingt-cinq élèves de DynaMéca, au départ en difficulté scolaire, qui sortent diplômés avec un CAP “Conduite de systèmes industriels”. 100 % des jeunes ayant été jusqu’au bout de la formation ont eu le diplôme et travaillent aujourd'hui en entreprise. »
M. Jacques-Bernard Magner. Voilà ! Cela concerne ceux qui ont été jusqu’au bout…
M. Jacques Legendre. Mes chers collègues, l’essentiel me semble tout de même là : obtenir une qualification professionnelle attestée et, avec cette qualification, entrer en entreprise alors que l’on était auparavant un jeune « décrocheur » ou « décroché », en tout cas un jeune dont l’avenir était compromis.
S’il me faut invoquer un « grand témoin », venu visiter au début de l’année une autre école de production, située à l’ICAM de Lille cette fois, je citerai Mme Anne Lauvergeon, ce qui ne devrait pas heurter, me semble-t-il, ceux de mes collègues qui siègent sur certaines des travées de cet hémicycle.
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas la même conception !
M. Jacques Legendre. Celle-ci est donc venue à Lille, au titre des activités de sa fondation « Agir dans l’insertion pour l’industrie », et elle a salué, elle aussi, les méthodes de ce type d’école.
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas un critère !
M. Jacques Legendre. Mes chers collègues, je ne suis pas sûr que l’appellation « école de production » soit la meilleure. S’agit-il de forcer à « produire » des jeunes de 14 ou 15 ans ? On peut en effet s’interroger, et « production » est un mot sur lequel il faudrait sans doute revenir. Cependant, au-delà du mot, c’est la réalité qui compte : la qualification de jeunes qui trouvent ensuite du travail.
Alors qu’il y a tant de jeunes en difficulté et au chômage, il me semble qu’il n’y a rien de blâmable à ce que nous considérions que notre mission, notre obligation, est de faire en sorte qu’il y ait de multiples façons d’obtenir une qualification et de trouver un emploi.
Mme Françoise Laborde, rapporteur. Nous n’avons rien contre !
M. Jacques Legendre. Comme beaucoup d’autres ici, je suis un enseignant, un enseignant laïc et attaché au succès de l’enseignement public,…
M. Jacques Legendre. … mais je suis encore plus attaché à ce que tous les jeunes obtiennent, outre des connaissances générales suffisantes, une qualification professionnelle, car, sans cette dernière, ils auront du mal à entrer dans la vie professionnelle.
Monsieur le ministre, vous savez comme moi que la qualification professionnelle est non pas seulement la qualification théorique, mais aussi la qualification pratique obtenue dans des conditions de travail.
M. Jacques Legendre. C’est pourquoi je me suis battu, voilà déjà trente ans, pour faire adopter la première loi sur la formation professionnelle en alternance. Je me rappelle des préventions qui, à l’époque – c’était avant 1981 –, étaient exprimées : on affirmait que ce ne serait pas une vraie formation, que les jeunes se contenteraient de balayer au fond de la cour pour le plus grand bien de patrons qui les exploiteraient, entre autres.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Vous étiez delorien ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Legendre. Quelques années plus tard, en 1983, j’ai vu avec satisfaction que cette loi, abrogée en 1981, était reprise par Michel Delebarre. J’ai alors pensé que le principe de réalité s’était imposé face aux dogmatismes et aux a priori.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, je voudrais maintenant vous remercier, vous aussi, parce que vous avez, je l’ai senti dans vos propos, une approche assez pragmatique : vous savez bien que ce genre de formation, s’il conduit à la qualification et à l’emploi, peut être utile dans un dispositif.
L’objectif n’est évidemment pas de remplacer toutes les filières de formation par des écoles de production, mais je ne vous ai pas senti indifférent aux bénéfices que des jeunes peuvent tirer de ces dernières.
M. Jacques Legendre. Aussi, mes chers collègues, je souhaiterais que nous nous attachions à laisser cette proposition de loi vivre sa vie, en ne la considérant peut-être pas comme un aboutissement en elle-même, mais en y voyant un moyen de contribuer à la découverte des écoles de production et des services qu’elles peuvent rendre, de même que tous les dispositifs de formation en alternance. Ces formations, si elles posent des problèmes, procurent des bénéfices, de la même façon, bien évidemment, que l’enseignement technologique dans les établissements publics ou privés.
Aujourd'hui, le dispositif permet le « rattrapage » de 700 jeunes qui étaient en difficulté ; il serait raisonnable et même judicieux de notre part de faire en sorte qu’ils soient plus nombreux à bénéficier de ce type de formation.
Il est nécessaire en effet que nous mobilisions toutes les filières, toutes les possibilités, pour qu’il n’y ait plus 120 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification attestée et en situation d’échec. Ne reculons pas : dans ce domaine, il est urgent d’agir et de dépasser certains de nos blocages. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme Laborde, car elle a très clairement présenté le fonctionnement des écoles de production.
Comme un certain nombre d’entre nous, je ne connaissais pas, voilà encore quelques semaines, l’existence de ces écoles, même si deux d’entre elles sont installées dans le département de l’Isère, dont l’une à Grenoble. Je suis donc allé rencontrer les responsables de cette dernière pour voir comment ce type d’établissement fonctionnait.
Ces deux écoles ont aujourd'hui noué des relations partenariales avec les collectivités locales, notamment avec le conseil régional de Rhône-Alpes, qui participe à hauteur de 20 % aux dépenses annuelles de fonctionnement de chaque établissement situé sur son territoire, sur la base d’un contrat triennal signé pour les années 2012 à 2014.
On peut en effet penser que les écoles de production concourent à offrir une seconde chance à des jeunes déscolarisés ou en rupture.
S’adressant majoritairement à des jeunes de 14 à 18 ans, elles préparent aux diplômes d’État, CAP et bac professionnel, avec pour objectif premier de former les jeunes à un métier, en alliant sur un même site, appelé « école de production », formation pratique, formation théorique et production. Les élèves passent ainsi deux tiers de leur temps en atelier et un tiers en cours d’enseignement général, soit une proportion inverse à celle qui est appliquée dans les lycées techniques.
L’élève bénéficie donc d’un apprentissage intégré, dans ce que l’un de nos collègues a pu appeler une « école-entreprise », avec, d’une part, des formateurs techniques, qui viennent souvent du milieu industriel et ont exercé un métier en entreprise pendant de nombreuses années – dans l’école que j’ai visitée, il s’agissait en général de chefs d’atelier –, et, d’autre part, des professeurs pour l’enseignement théorique, issus de lycées publics ou privés, qui viennent en quelque sorte faire des heures supplémentaires – dans cette même école, il n’y a que trente jeunes.
L’approche pédagogique ne se limite pas à un apprentissage pratique et théorique. Elle vise aussi à former les jeunes au travail « collectif », pour reprendre l’expression employée par les responsables de ces établissements, en vue de la commercialisation de produits et services, selon les prix et les standards du marché.
Il s’agit toutefois, au moins dans l’école que j’ai visitée, de petites commandes spécifiques et de produits souvent commandés dans le cadre de la sous-traitance à des entreprises de taille intermédiaire, PME ou PMI.
La rentabilité – réelle – de la production permet de rémunérer les « encadrants », notamment techniques, qui disposent d’un contrat de travail de droit privé : ils travaillent 35 heures par semaine et ont cinq semaines de congés payés, ce qui signifie que, pendant les vacances scolaires, ils continuent, eux, à produire.
L’école de production de Grenoble – une école de productique mécanique, donc assez spécialisée –, compte ainsi quatre encadrants techniques rémunérés.
Les huit écoles de production situées dans la région Rhône-Alpes ont un taux de réussite annoncé de 85 %, les élèves passant les épreuves des mêmes diplômes que ceux des lycées techniques.
Sur ce point, il serait toutefois nécessaire d’avoir connaissance du parcours des élèves dès leur entrée dans l’école, afin d’apprécier le taux de « décrochage » en cours de cycle.
À l’issue de leur cycle, une partie des élèves décideraient finalement de se « raccrocher » au système traditionnel, en poursuivant leur formation professionnelle en bac pro, voire en BTS, avant d’entrer dans la vie active. L’autre partie aurait accès à des offres d’emploi, grâce, pour un certain nombre d’entre elles en tout cas, aux relations qui ont pu être créées pendant la scolarité entre les écoles de production et les entreprises locales.
Ces écoles ont en effet adapté leur secteur de production au bassin d’activité industrielle dans lequel elles sont implantées afin de répondre aux besoins spécifiques de ces entreprises.
Mme Maryvonne Blondin. Voilà qui est très bien !
M. Jacques Chiron. Les écoles de production constituent ainsi une petite composante de l’enseignement technique.
Toutefois, malgré des résultats qui semblent positifs, plusieurs éléments importants, qui pointent à la fois des insuffisances dans le texte proposé et des carences dans le fonctionnement de ces établissements, suscitent des interrogations.
M. Jacques-Bernard Magner. Eh oui !
M. Jacques Chiron. Je citerai, premièrement, l’absence de cadre commun entre les différentes écoles de production : disparités entre les méthodes pédagogiques, entre les modèles statutaires, entre les modes d’accompagnement des familles et des élèves, entre les participations financières demandées aux familles, entre les méthodes de recrutement des élèves et des formateurs...
Ces disparités rendent difficiles la mise en place d’un cahier des charges commun que prévoit la proposition de loi.
Il s’agit, deuxièmement, du statut des élèves et de leurs conditions de scolarité et de travail.
L’âge d’entrée des élèves – 14 ans – est très précoce. Les élèves de 14 à 16 ans doivent bénéficier de cours théoriques d’enseignement général, dans le respect de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans.
Troisièmement, les écoles de production ont un schéma de fonctionnement hybride. Un débat avait d’ailleurs eu lieu en 2005 sur ce point à l’Assemblée nationale, à la suite d’une question posée par un député UMP. Peu d’éléments nouveaux nous permettent de penser que les écoles de production sont sorties de « l’ambiguïté » opposée par le Gouvernement d’alors.
M. Jacques-Bernard Magner. Tout à fait !
M. Jacques Chiron. En effet, la proposition de loi prévoit à la fois une tutelle des écoles de production par le ministère de la formation professionnelle avec, cela a été souligné, les avantages afférents – exonération de la taxe d’apprentissage et accès à la carte d’étudiant des métiers – et le bénéfice pour les élèves des aides à la scolarité provenant de l’éducation nationale ! C’est d’ailleurs reconnaître implicitement que les élèves des écoles de production ne peuvent être assimilés à des apprentis et donc rémunérés.
En somme, les promoteurs de la présente proposition de loi ne sont pas prêts à ce que ces écoles se soumettent aux règles des contrats d’association de la loi Debré et souhaitent donc contourner celles-ci, tout en leur accordant à ces établissements les avantages d’une reconnaissance de l’éducation nationale.
Mme Maryvonne Blondin. C’est cela le problème !
M. Jacques Chiron. La tutelle du ministère de la formation professionnelle sur les écoles de production prévue dans ce texte soulève par ailleurs des interrogations sur la validation des méthodes pédagogiques et des programmes, monsieur le ministre.
En effet, l’inspection du travail ne peut se substituer à l’éducation nationale pour contrôler des écoles accueillant des élèves mineurs soumis aux exigences de l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans.
On peut par ailleurs s’interroger sur la pertinence de ces méthodes et de ce type de formation pour forger l’esprit critique, la curiosité et l’ouverture au monde de ces jeunes.
Enfin, il semble difficile de mettre en place une réglementation spécifique taillée sur mesure pour ces écoles, en raison de leur hétérogénéité et de leur marginalité.
L’ensemble de ces éléments fait que nous ne pouvons accepter une telle proposition de loi.
Pour autant, ce type de formation peut répondre à certains besoins des jeunes en rupture. Devant ces résultats encourageants, il faut sans doute réfléchir à instaurer une relation de travail plus étroite entre cette forme d’école et les ministères concernés.
Dans le contexte social actuel, où 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, et alors que 45 % d’entre eux sont toujours au chômage quatre ans après la fin de leur cursus, tous les leviers doivent être utilisés pour permettre l’accès à l’emploi et à l’autonomie des jeunes.
Aux côtés des emplois d’avenir et du contrat de génération, les formations professionnalisantes constituent sans nul doute une voie porteuse d’avenir qu’il faut revaloriser. Ce type de formation, s’il évoluait dans des conditions acceptables pour les ministères de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, pourrait peut-être y trouver une place.
Aussi, afin d’étendre notre réflexion, la création d’une mission d’évaluation et d’inspection des dispositifs de formation en alternance, telle qu’elle a été proposée dans le rapport de notre collègue Françoise Laborde, et qui viserait à formuler des recommandations, nous semble tout à fait pertinente et d’actualité.
C’est dans ce cadre que pourront être étudiées les spécificités de ces écoles, comme celles des lycées techniques privés ou des écoles de la seconde chance. C’est aussi dans ce cadre que nous pourrons utilement nourrir les réflexions des ministères de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, avant leur éventuelle inscription dans un projet de loi portant sur la refondation de l’école en 2013. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dernière oratrice de la discussion générale, je répéterai sans doute des propos déjà exprimés. Je voudrais cependant insister sur les atouts de ces écoles qui, comme l’a souligné Jean-Claude Carle, souffrent d’une précarité juridique à laquelle cette proposition de loi vise à remédier.
Depuis l’ouverture de la première école de production en 1882 – l’atelier Boisard, à Vaulx-en-Velin –, ces établissements d’enseignement technique privés ont gardé leur originalité.
L’une des particularités de ces écoles réside dans le fait que la formation pratique et la formation théorique ont lieu sur le même site, avec les mêmes formateurs pour les matières professionnelles. Par ailleurs, la formation du jeune s’inscrit pour deux tiers de son temps dans la production de commandes aux conditions du marché, pour de vrais clients, industriels ou particuliers. De ce fait, le jeune et son formateur sont soumis aux mêmes exigences de coût, de qualité et de délai imposées par le client.
L’alliance de la responsabilité et de l’accompagnement dans une œuvre commune avec un maître professionnel va très tôt entraîner le jeune dans une logique de réussite et de valorisation de ses capacités.
En effet, l’élève ne travaille pas uniquement pour des notes, mais pour satisfaire des clients de secteurs différents et de prestige, tels l’aménagement de bâtiments classés ou certaines industries de haute technologie. Le travail doit être parfaitement réalisé pour satisfaire ces clients en temps et en heure, ce qui est très motivant et responsabilisant.
Cette démarche pédagogique efficace redonne confiance aux jeunes. Elle leur rend le goût de se former alors qu’ils se trouvaient bien souvent en situation de rupture scolaire et qu’ils n’avaient plus le désir de poursuivre leurs études dans une filière traditionnelle.
Ces écoles viennent également en aide à certains jeunes qui, démotivés et en situation d’échec, n’arrivent pas à trouver d’entreprise pour signer un contrat d’apprentissage. Enfin, elles accueillent des élèves qui, faute d’une maturité suffisante, rencontrent des difficultés pour s’insérer directement dans le monde du travail en suivant une démarche d’apprentissage classique. Un travail éducatif est alors indispensable, lequel n’est pas du ressort d’une entreprise ordinaire.
L’enseignement général et professionnel théorique est, autant que possible, relié directement aux situations de production. Il est réparti tout au long de la semaine, ce qui permet d’éviter des phénomènes de rejet par les élèves. Les écoles de production atteignent ainsi leur objectif premier, qui est d’être un lieu d’intégration progressive à la vie professionnelle et adulte. Cette insertion dans le monde du travail est aussi importante que l’obtention du diplôme.
L’autre atout de ces « écoles-entreprises » est de conduire à l’emploi : 90 % des élèves obtiennent leur diplôme et 45 % d’entre eux choisissent de poursuivre leur formation professionnelle. Les jeunes formés par ces écoles sont appréciés des entreprises, car ils possèdent une réelle expérience professionnelle. Trois ans de formation en baccalauréat professionnel équivalent à trois années d’expérience en atelier, en conditions réelles de production. D’où l’intérêt des recruteurs pour ces jeunes.
Les employeurs ne s’y trompent pas : pour eux, le jeune ainsi formé est « du métier ». Il s’agit d’un atout décisif, et il n’est pas rare que des élèves finissent l’école avec plusieurs propositions d’emploi. Le taux de placement en fin de cursus avoisine souvent les 100 %. Par ailleurs, un nombre significatif d’élèves se mettent à leur compte, notamment en tant qu’artisans.
Une formation professionnelle qualifiante, une préparation à l’exercice d’un métier et une intégration à la vie professionnelle, tels sont les principaux atouts des écoles de production.
Cependant, ces établissements sont peu connus. Je remercie donc Jean-Claude Carle d’avoir jeté la lumière sur ces écoles en déposant une proposition de loi, cosignée par nombre de sénateurs du groupe UMP, qui vise à introduire une nouvelle réglementation soutenant leur développement. Je ne reviendrai pas sur les différents points de la proposition quant au statut, à la taxe d’apprentissage ou aux nouvelles aides que pourraient percevoir les élèves.
Les performances réalisées par ce type d’établissement montrent combien cette filière mérite d’être encouragée. Tel est l’objet du texte qui nous est proposé aujourd’hui. La situation actuelle de nos jeunes exige de mettre à leur disposition des outils variés, adaptés aux différentes situations et innovants. Cette proposition a attiré l’attention sur l’un de ces outils, que l’on ne peut certes qualifier d’innovant tant il est ancien, mais qui est trop peu connu.
Vouloir tout faire régir par un même statut et refuser certaines spécificités pédagogiques ne permet pas de répondre aux exigences actuelles. Il est de notre responsabilité d’offrir à nos jeunes le plus grand panel de possibilités. Tel est l’objet de cette proposition de loi, que notre groupe votera. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Cartron, MM. Assouline, Magner et Domeizel, Mme D. Gillot et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative aux écoles de production (n° 120, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour la motion.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mots « école » et « production » ont, dans mon esprit, beaucoup de mal à cohabiter, tant elles appartiennent à des champs sémantiques différents.
Dans ce débat sur la proposition de loi relative aux écoles de production, déposée par le vice-président du Sénat Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues, nous, sénateurs du groupe socialiste, avons souhaité présenter une motion tendant à opposer la question préalable, car nous sommes en profond désaccord avec le texte proposé.
Chers collègues de l’opposition, vous présentez les écoles de production comme des établissements accueillant des jeunes en grande difficulté sociale afin de leur dispenser une formation diplômante, à la fois théorique et pratique. Selon vous, ces écoles forment chaque année plus de 500 jeunes en situation de rupture scolaire, voire sociale. Vous n’hésitez pas à vanter leur modèle original qui intègre, dans un même lieu, des cours théoriques, à l’image de ceux d’un centre d’enseignement classique, et une formation pratique, dans le cadre d’un atelier de production.
Vous affirmez que ce sont de véritables « écoles-entreprises », qui préparent les jeunes au certificat d’aptitude professionnelle, le CAP, et au baccalauréat professionnel en les mettant collectivement en situation professionnelle réelle, par le biais de réalisations de commandes aux conditions du marché pour des clients, industriels ou particuliers. Vous donnez quelques précisions sur leur fonctionnement : le jeune et son maître professionnel sont soumis aux exigences de l’économie réelle, en termes de coûts, de qualité et de délais.
Selon vous, cette alliance de la responsabilité et de l’accompagnement dans une œuvre commune avec le maître professionnel serait porteuse de beaucoup de sens : elle entraînerait très tôt le jeune dans une logique de réussite et de valorisation de ses capacités, exprimées non seulement dans un savoir-faire personnel, mais également par son intégration dans une équipe d’atelier. En effet, le jeune travaille non pas seulement pour des notes, mais aussi pour des clients, dont la satisfaction lui donnerait la conscience de sa propre dignité. Les commandes émanent d’ailleurs parfois de clients prestigieux, tels que la police scientifique, les bâtiments classés ou les industries de haute technologie.
Toujours selon vos dires, les écoles de production représenteraient un levier sûr et éprouvé pour conduire ces jeunes vers l’emploi durable, en termes de qualification aussi bien que d’insertion. Et le résultat serait extraordinaire : aux yeux des employeurs, affirmez-vous, le jeune ainsi formé apparaît comme étant déjà « du métier ». Vous ajoutez même que les écoles de production sont un lieu d’intégration progressive à la vie professionnelle et adulte, très apprécié des entreprises, les liens très forts noués avec les branches professionnelles étant là pour en témoigner.
Vous n’avez vraiment pas peur des mots ! Aux termes de l’exposé des motifs de la proposition de loi, « les écoles de production sont un chemin d’excellence pour tous et l’ensemble de leurs partenaires souhaitent leur développement, tant pour la qualité de la formation […] que pour la deuxième chance qu’elles offrent aux jeunes les plus en difficulté de notre pays ». Mais – car il y a un mais – les écoles de production souffrent aujourd’hui, toujours selon vous, de l’absence d’un cadre juridique suffisant, ce qui constitue un frein important à leur développement.
Et vous regrettez, bien que la première école de production ait été fondée il y a près de cent trente ans, que l’on n’en compte aujourd’hui que quinze en France. Elles resteraient peu connues hors de leur périmètre de recrutement, faute d’une reconnaissance juridique adéquate.
Vous souhaitez donc pallier ce manque afin de leur permettre de se développer et d’accueillir davantage de jeunes qui pourraient bénéficier ainsi de l’aide à la scolarité et des bourses nationales. Vous entendez également faire profiter les employeurs qui les soutiennent d’une exonération de la taxe d’apprentissage.
À cet instant de la discussion, si vous le voulez bien, je souhaiterais laisser de côté le tableau idyllique auquel vous essayez de nous faire croire pour revenir à la réalité.
Les écoles de production sont des établissements techniques privés hors contrat, qui assurent des formations allant du CAP au baccalauréat professionnel dans quelques secteurs limités tels que l’automobile, la chaudronnerie, la scierie, la menuiserie et l’ébénisterie.
Ces écoles fonctionnent comme des PME et répondent à la demande d’un marché en vendant leurs produits à des clients. Et c’est là que réside la grande différence avec un lycée professionnel public ou privé, dans lequel la pratique professionnelle ne sert qu’un objectif pédagogique et où la formation académique nourrit la formation professionnelle, favorisant ainsi l’enrichissement intellectuel et culturel des élèves le plus longtemps possible.
Surtout, et c’est là où le bât blesse, les écoles de production sont très liées aux branches professionnelles, et en particulier à l’UIMM. Certaines préparent ainsi à des certificats de qualification professionnelle et/ou à des certificats de compétence créés et délivrés par une branche professionnelle. Ces écoles préparent donc à la fois à des diplômes reconnus par l’État – CAP et bac professionnel – et à des titres professionnels reconnus uniquement par les employeurs et les branches professionnelles.
Les écoles de production revendiquent de s’adresser aux jeunes en rupture scolaire. Pourtant, il ne faut surtout pas les confondre avec des écoles de la deuxième chance. Celles-ci concernent des jeunes de 18 à 25 ans qui sont, eux, rémunérés au titre de la formation professionnelle pour leur activité.
En effet, les écoles de production scolarisent des jeunes de 14 ans, donc encore sous statut scolaire, qui ne sont pas rémunérés pour leur travail. Il y a là une façon choquante d’exploiter leur travail alors qu’ils ne sont encore que des enfants,…