M. Jean-Claude Carle. Pas du tout !
M. Jacques-Bernard Magner. … de les orienter dès l’âge de 14 ans dans un schéma professionnel défini et irréversible, de les spécialiser dans une activité rémunératrice pour leur seule école, bref, de sceller leur destin dès ce moment sans l’espoir d’une autre ouverture professionnelle que celle de la filière étroite dans laquelle on les aura placés dès leur plus jeune adolescence.
Les sénatrices et sénateurs qui participent avec moi au groupe de travail sur le pré-recrutement des enseignants s’accordent à dire qu’il faut éviter l’effet « tuyau » de la formation, c’est-à-dire qu’il faut mettre en place des passerelles entre les contenus et le déroulement de la formation, afin que les jeunes collés au concours puissent se réorienter et valoriser professionnellement la formation académique et professionnelle qu’ils ont reçue.
Ces jeunes de 14 à 18 ans placés prématurément dans les filières très spécialisées des écoles de production n’auraient donc pas le droit à l’erreur d’orientation ? C’est un écueil majeur, qui montre l’inadaptation de ce type de formation.
Par ailleurs, la source de financement de ces écoles réside essentiellement dans la vente de leur production et dans le versement de la taxe d’apprentissage par les entreprises. À ce titre, on peut se poser la question de l’agrément des écoles de production qui, même si elles ne sont pas reconnues par l’État, sont habilitées à percevoir cette taxe. Il conviendrait d’ailleurs de contrôler cette situation, monsieur le ministre.
L’auteur de la proposition de loi nous présente ces écoles de production comme étant fondées sur l’apprentissage et revendiquant « la pédagogie d’une école et la responsabilité du travail en atelier », mais sur un même lieu et dans un même temps, à la différence de la majorité des centres de formation des apprentis.
Néanmoins, je puis vous assurer que de très nombreux CFA gérés par des branches professionnelles assurent aussi in situ la formation théorique et professionnelle. Nous en connaissons tous. Dans ces conditions, la spécificité des écoles de production paraît infime du point de vue de la formation, d’autant que certaines écoles de production intègrent également des stages en entreprises dans leur formation et proposent le dispositif d’initiation aux métiers en alternance, ou DIMA.
Nous sommes donc dans un réel mélange des genres. La devise de ces écoles semble être : « Faire comme un CFA sans être un CFA », c’est-à-dire sans en supporter les contraintes.
Une différence fondamentale réside dans le statut et la rémunération des élèves des écoles de production. En effet, contrairement à un jeune en contrat d’apprentissage dans un CFA, sous contrat de travail donc, l’élève d’une école de production n’est pas rémunéré alors qu’il réalise de vraies commandes pour de vrais clients – entreprises ou particuliers – aux conditions du marché, qui seront vendues au seul bénéfice de l’école de production. La vente des produits fabriqués par un jeune en formation est au fondement même d’une école de production, même si le jeune y est, dit-on, sous statut scolaire.
Aussi, soyons clairs et reconnaissons que les écoles de production peuvent s’apparenter pour une large part à des « ateliers-entreprises » de sous-traitance, et la formation à une mise en situation professionnelle réelle, mais sans rémunération ! Si le jeune « ne travaille pas seulement pour des notes, mais pour des clients dont la satisfaction lui donne la conscience de sa propre dignité », il serait normal, logique et légitime que son travail soit rétribué.
Ainsi peut-on lire, sur le site internet de l’une de ces écoles de production : « Du point de vue commercial, l’école de production fonctionne comme toute entreprise de sous-traitance. Elle respecte ses engagements de délai et suit les exigences de qualité demandées par ses clients. L’école de production est ouverte toute l’année y compris pendant les vacances (sauf un mois l’été et dix jours à Noël). » Ah, les vacances, quel problème pour les patrons !
Selon la Fédération nationale des écoles de production, ce « fruit de la production réinvesti dans les écoles » permettrait la « gratuité ou quasi-gratuité, alors qu’il s’agit d’établissements privés hors contrat ».
Cependant, la réalité est un peu différente. Ainsi, la primo-inscription à l’école Boisard, l’une des plus connues, s’élève tout de même à 1 000 euros hors outillage et cantine. Dans l’École des ateliers de mode ou ECAMOD, à Paris, une inscription coûte 1 295 euros en CAP et peut même grimper à 4 180 euros pour un certificat de qualification professionnelle !
Avec de tels chiffres, on peut véritablement s’interroger sur la réalité de la vocation d’accueil « des jeunes en grande difficulté sociale » mise en avant par l’auteur de la proposition de loi.
À la vérité, sous ce label « écoles de production » sont en fait rassemblées des structures de formation hors contrat hybrides, « touche-à-tout », qui empruntent des schémas de fonctionnement aux différents types de formation professionnelle sans en subir les contraintes, sans contrôle de la puissance publique, et dont la qualité de l’enseignement est difficile à évaluer.
Les écoles de production pratiquent la sous-traitance avec des formateurs souvent bénévoles et des élèves-ouvriers non rémunérés, et la proposition de loi qui nous est présentée ce soir, si elle était votée, leur accorderait un cadre juridico-financier sur mesure leur permettant de bénéficier à la fois des avantages du secteur de la formation professionnelle et de l’éducation nationale, sans véritable contrepartie en termes d’encadrement et de contrôle.
Pour toutes ces raisons, vous l’avez compris, notre opposition à ce texte, à son esprit, à ses finalités est totale. J’invite donc le Sénat, au nom des sénateurs socialistes, à adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi relative aux écoles de production. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, contre la motion.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à renouveler mes félicitations à notre collègue Françoise Laborde pour la qualité de son travail et à la remercier de son écoute attentive. Quelle que soit l’issue de ce débat, son rapport aura permis de mettre en lumière de nombreux atouts des écoles de production et la nécessité de leur venir en aide. Les entretiens que nous avons eus, madame le rapporteur, nous ont, je pense, enrichis mutuellement. J’espère que ce débat y contribuera aussi.
Sans reprendre point par point tous les arguments évoqués lors de la discussion de cette question préalable, je souhaite répondre plus précisément à certains d’entre eux.
Chers collègues de la majorité, vous soulignez que les écoles de production sont des écoles privées. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler que je suis un pur produit de l’enseignement public, où mes enfants ont suivi toute leur scolarité. Il n’en demeure pas moins que je suis attaché à la liberté constitutionnelle qu’est le libre choix de l’école.
Vous reprochez tout d'abord aux écoles de production leur hétérogénéité, qui « ne permettrait pas d’établir un référentiel commun en termes de contenu et de qualité de l’enseignement dispensé ».
Je rappelle que, si elles sont diverses, les écoles de production partagent néanmoins les mêmes fondamentaux, fixés, comme M. le ministre l’a rappelé, par une charte de la Fédération nationale des écoles de production, la FNEP, qui soumet chaque école à une labellisation. Pour cela, les écoles doivent remplir huit conditions, dont « une approche pédagogique clairement éducative, formalisée dans un projet écrit et structuré ».
Cette pédagogie ne doit pas être si mauvaise, chers collègues, puisqu’elle permet un taux de réussite aux examens assez exceptionnel. Les résultats parlent d’eux-mêmes : plus de 85 % des élèves obtiennent leur CAP ou leur baccalauréat professionnel !
Vous semblez ensuite reprocher aux établissements leur activité commerciale. Vous en arrivez même à vous indigner que les élèves ne soient pas rémunérés ! Mes chers collègues, je ne sais pas si nous parlons du même sujet, car, à vous écouter, on se croirait revenu au temps de Zola.
M. Jacques-Bernard Magner. C’est exactement cela ! Vous êtes un homme du XIXe siècle !
M. Jean-Claude Carle. Je parle d’établissements qui prennent en charge des jeunes pour les sortir d’une situation d’échec, dont le fonctionnement repose en grande partie sur l’action de bénévoles et dont le financement, qui reste malheureusement fragile, repose précisément sur le soutien actif du milieu industriel.
Mme Laborde précise dans son rapport que le produit de la vente de fournitures et de services émanant des élèves et des maîtres professionnels assure au moins la moitié du budget des écoles.
Les écoles sont également financées par le produit de la taxe d’apprentissage acquittée par les entreprises partenaires, par des aides et des dons de particuliers, par les subventions de fonctionnement versées par les collectivités territoriales, notamment les régions, qui n’agiraient pas ainsi s’il y avait le moindre problème. La fondation de la deuxième chance reconnue d’utilité publique, « Agir pour l’insertion dans l’industrie », présidée par Mme Anne Lauvergeon, subventionne également ces écoles.
Oui, l’élève-apprenti entre dans une logique d’entreprise, en réalisant de vraies commandes, pour de véritables clients. Cela va lui permettre de développer un sens des responsabilités, d’acquérir un « savoir être » et un savoir-faire qui seront déterminants pour sa vie professionnelle future.
Au lieu de jeter la suspicion sur les écoles de production et de vous indigner de l’absence de rémunération des élèves, avez-vous noté que le jeune et sa famille ne supportent pas le coût de cette formation ? Les coûts de scolarité sont soit inexistants, soit très faibles, et certaines écoles de production prévoient même le versement d’un petit pécule au jeune à la fin de son parcours. (M. Jacques-Bernard Magner proteste.)
De plus, elles n’agissent pas en dehors de tout contrôle, comme vous le prétendez. Des vérifications régulières sont effectuées. Les deux inspecteurs qui ont opéré des contrôles en 2011 – un inspecteur de spécialité et un inspecteur de l’enseignement général – ont rendu des avis positifs, voire très positifs. Le texte que je vous propose prévoit d'ailleurs, à l’article 3, le contrôle du respect du cahier des charges par l’inspection du travail.
Enfin, chers collègues, ne sous-entendez pas, comme vous l’avez fait en commission, que les jeunes se font exploiter : c’est faux !
M. Jacques-Bernard Magner. Mais si !
M. Jean-Claude Carle. Je vous fais d’ailleurs la même réponse qu’en commission, en vous invitant à venir visiter une école de production, comme l’ont déjà fait un certain nombre d’entre nous, notamment M. Gérard Collomb, ou comme Mme Lauvergeon. Vous verrez alors que l’on ne peut décemment pas les soupçonner d’exploiter des jeunes ; au contraire, tout est fait pour les sortir de leur condition, dans une ambiance quasi familiale.
M. Jacques-Bernard Magner. Paternalisme !
M. Jean-Claude Carle. Oui, j’assume de vouloir faire du sur-mesure pour ces établissements, en demandant au Gouvernement de leur accorder les avantages prévus dans le cadre d’un enseignement privé sous contrat ou d’une formation en apprentissage. Il ne me semble pas que cette demande soit excessive : le déblocage de bourses de lycée ou de collège et l’exonération du quota de la taxe d’apprentissage représentent une somme tout à fait marginale au regard des 61 milliards d’euros consacrés à l’éducation nationale par l’État.
Quant à la rupture d’égalité que créerait mon texte, je vous recommande encore une fois d’aller voir sur le terrain où en est le sentiment d’égalité de ces jeunes qui sont laissés sur le bord du chemin ! En pleine rupture sociale, ils ont besoin que l’on défende leurs droits, et plus particulièrement leur droit d’égalité d’accès à un emploi. Allez donc expliquer à ces jeunes, chers collègues, que le développement des écoles de production créerait une rupture d’égalité…
Enfin, je ne nie pas les difficultés juridiques posées par la création d’un statut hybride pour les écoles de production.
À cet égard, il y a selon moi deux manières de faire avancer les choses. Vous avez choisi de vous laisser le temps de la réflexion en vous en remettant aux conclusions d’une mission d’évaluation pour lever toutes les incertitudes avant de légiférer.
C’est votre choix, et il est tout à fait légitime. Il convient cependant d’assumer les conséquences d’un tel report, avec le risque que la question soit reportée sine die, voire enterrée purement et simplement, ce qui serait infiniment regrettable et décevant pour les écoles de production et les nombreux intervenants qui leur apportent leur soutien.
Dans la situation économique que nous connaissons, je pense que tous les efforts doivent être réunis dès maintenant pour « sauver » les jeunes qui peuvent l’être. Je l’ai expliqué en présentant ce texte, les écoles de production apportent une solution à ceux qui ne peuvent pas être orientés ailleurs et qui sont malheureusement promis, pour un certain nombre d’entre eux, à la rue.
Si nous ne saisissons pas cette occasion de les aider, celle-ci ne se représentera pas de sitôt, je le crains. Nous laisserons au bord du chemin des jeunes qui auraient pu être pris en charge et qui viendront grossir le nombre des assistés de la société, pour un coût social et financier bien plus élevé ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Christiane Demontès. Ne parlez pas d’assistés !
M. Jean-Claude Carle. Je propose une autre solution, celle de l’expérimentation, qui est aujourd’hui inscrite dans la Constitution.
Il s’agit de procéder pas à pas, de passer de 500 jeunes en écoles de production aujourd’hui à 1 000 ou à 1 500 dans quelques années, comme le recommande d'ailleurs Mme Anne Lauvergeon. Nous réglerions ainsi le problème immédiat du flux de demandes. Nous pourrions par la suite préciser le cadre législatif et l’améliorer.
Je pense qu’il vaut mieux faire du bricolage, comme cela m’a été reproché en commission, que de produire du chômage. Ce dernier, je le rappelle, touche 22 % des jeunes.
M. Jacques-Bernard Magner. C’est de la démagogie !
M. Jean-Claude Carle. Chaque année, quelque 150 000 jeunes quittent le système éducatif sans diplôme.
Mes chers collègues, je ne me fais pas d’illusion sur l’issue du vote de ce soir, mais je ne désespère pas. La prise de conscience en faveur des écoles de production dans les régions existe et va dans le bon sens, ce qui me rassure. J’ai toujours pensé que le bon sens était au plus près du terrain et des réalités.
Mes chers collègues, je vous laisse la responsabilité de l’attentisme, en citant les sages paroles de Jean Rostand, qui éclairent parfaitement notre débat d’aujourd’hui : « Attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Françoise Laborde, rapporteur. La commission est favorable à l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable. Je ne reviendrai pas sur nos arguments, que nous avons suffisamment développés en commission, dans le rapport écrit et au cours de la discussion générale.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Le Gouvernement est, comme la commission, favorable à cette motion.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous conscients des enjeux économiques et sociaux cruciaux que représente la formation en alternance et l’apprentissage pour notre pays, notamment dans la lutte contre le chômage des jeunes, dont je peux témoigner en tant qu’élu martiniquais.
Le Gouvernement en a d’ailleurs pris toute la mesure puisque le Premier ministre, dans son allocution portant sur le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, s’est donné comme objectif de porter à 500 000 le nombre d’apprentis à l’horizon 2017.
Cependant, la proposition de loi présentée par M. Carle et ses collègues est inacceptable en l’état dans la mesure où son dispositif même recèle des contradictions.
Tout d’abord, l’article 4 prévoit que les entreprises assurant le financement des écoles de production seraient exonérées de la taxe d’apprentissage. Or cette extension du bénéfice d’une partie du quota de la taxe d’apprentissage aux écoles de production est incompatible avec la législation en vigueur, aux termes de laquelle ledit quota sert exclusivement à financer les établissements formant des apprentis, ce que les écoles de production ne sont pas, vu que leurs élèves ne sont pas rémunérés.
Ensuite, l’article 6 prévoit que les élèves des écoles de production pourraient bénéficier de l’aide à la scolarité et des bourses nationales délivrées par l’éducation nationale. Dans le même temps, la proposition de loi prévoit de rattacher ces écoles au ministère chargé de la formation professionnelle afin qu’elles soient exonérées de toute contrainte en termes de contrôle pédagogique par l’éducation nationale. Or, en l’absence de contrat d’apprentissage et de rémunération, les élèves des écoles de production ne peuvent être considérés comme des apprentis, et le rattachement artificiel au ministère de la formation professionnelle n’y changera rien.
Pour toutes ces raisons, je voterai la motion tendant à opposer la question préalable, car il serait choquant de créer un statut ad hoc pour des structures qui évoluent de plus en plus vers l’entreprise, avec des travailleurs non rémunérés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons pour la motion tendant à opposer la question préalable déposée par nos collègues socialistes, et ce pour deux raisons principales.
Premièrement, cette proposition de loi établit un régime juridique ad hoc pour les seules écoles de production. Le but est, me semble-t-il, de tirer un avantage législatif et financier des différents statuts scolaires du privé, sous contrat aussi bien que hors contrat, et du public, sans pour autant, quoi qu’en dise M. Carle, satisfaire aux exigences légales, aux contreparties et aux contrôles.
Ce texte prévoit notamment de faire bénéficier ces écoles des exonérations de taxe d’apprentissage au titre du quota, lesquelles sont normalement réservées aux centres de formation d’apprentis, alors qu’elles devraient pour cela modifier leur mode de fonctionnement pour s’apparenter à des CFA.
Je rappelle que 52 % de la taxe d’apprentissage, le « quota », revient obligatoirement à l’apprentissage, via des versements calibrés aux CFA, à un fonds national et au Trésor public. Les 48 % restants, le « barème », sont en réalité des versements libératoires des entreprises aux structures de formation technologique et professionnelle de leur choix, dont les écoles de production reconnues par l’État peuvent bénéficier.
Or, aujourd’hui, les lycées professionnels publics pâtissent d’un affaiblissement alarmant des contributions des entreprises. La construction de la taxe et l’affectation des fonds par les organismes collecteurs désavantagent déjà très nettement les élèves de l’enseignement professionnel public. Ainsi, dans l’ensemble du second degré, le public reçoit à peine plus que le privé, alors que ce dernier scolarise cinq fois moins d’élèves !
L’adoption de cette proposition de loi porterait donc un nouveau coup à l’enseignement professionnel public, et même à son homologue privé.
Deuxièmement, s’il est nécessaire qu’un effort soit fourni en faveur de l’enseignement professionnel et technique pour anticiper et faire reculer l’échec et le décrochage scolaires, le législateur doit avant tout se concentrer sur le développement et la valorisation de l’offre publique existante, qui a été, il faut le dire, fort mise à mal par la précédente majorité.
En tant que rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement professionnel, je suis particulièrement attachée à la revalorisation de cet enseignement. À mon sens, la prévention et le traitement des difficultés scolaires doivent se faire au sein de l’éducation nationale. Ils ne doivent pas être externalisés, ni sous la forme d’écoles de production dispensant des formations en dehors de tout cadre national, ni sous quelque autre forme privée que ce soit.
Il est au contraire de la responsabilité du législateur de faire en sorte que l’enseignement professionnel et technique public soit revalorisé, émancipé de l’orientation par l’échec, afin qu’il puisse répondre aux besoins de tous les publics, y compris à ceux des élèves en situation de décrochage scolaire.
Je trouve presque cocasse de vous entendre, chers collègues de l’opposition, évoquer avec tant de conviction les questions de décrochage scolaire, quand un bilan de la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans mise en œuvre en 2008 vient d’être effectué et que les premiers éléments montrent que cette réforme a augmenté les sorties sans qualification, qu’elle a mis en difficulté les élèves les plus fragiles et que le baccalauréat professionnel constitue un handicap pour poursuivre des études en BTS.
Ce constat ne doit toutefois pas nous conduire à envisager des correctifs hors de l’éducation nationale. Je milite au contraire pour que ces correctifs soient mis en œuvre dans le cadre de celle-ci.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes opposés au texte qui nous est proposé et nous pensons qu’il n’est pas opportun de poursuivre la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Je suivrai la recommandation de Mme la rapporteur et voterai la motion tendant à opposer la question préalable, mais je souhaite dire que l’existence des écoles de production interpelle notre souhait commun de laisser ouvertes des possibilités de pédagogie et d’initiative innovantes – je remercie d’ailleurs M. Carle de nous avoir fait découvrir les écoles de production –, tout comme elle questionne notre irréductible exigence d’un socle commun – et je remercie Mme la rapporteur d’en avoir fait état –, d’âge pour certaines tâches, d’enseignement général pour tous, d’égal accès à la connaissance, de suivi des tutelles et d’évaluation indépendante.
Monsieur le ministre, nous avons découvert, grâce à cette proposition de loi, des écoles qui semblent avoir grandi dans le paysage sans que les tutelles de l’éducation nationale et de la formation professionnelle y aient regardé de plus près. Nous nous en étonnons.
Les élèves décrocheurs sont une de nos grandes préoccupations. Les diverses tentatives qui sont faites pour les accueillir et les réconcilier avec l’école, ainsi qu’avec les acquisitions cognitives ou pratiques, méritent d’être examinées.
Vous nous dites, monsieur le ministre, n’avoir pas la compétence de l’enseignement général. Eh bien, la commission de la culture n’a pas celle de la formation professionnelle et elle ne peut seule embrasser tout le sujet. De toute façon, elle ne saurait se limiter à examiner les seules écoles de production.
En revanche, chaque groupe dispose pour 2013 d’un droit de tirage et peut demander la constitution d’une mission commune d’information. Si un groupe décidait de créer une telle mission sur ce sujet, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication s’y investirait. Quoi qu'il en soit, croyez-le bien, la refondation de l’école sera pour notre commission l’occasion d’une étude approfondie de tout ce qui existe et mérite d’évoluer, particulièrement en ce qui concerne la tranche d’âge de quatorze à dix-huit ans. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Mes chers collègues, revenons-en à l’essentiel ! Quand est élaboré un dispositif qui permet de « rattraper » des jeunes, de les former et de les faire entrer dans la vie professionnelle, s’il n’est bien sûr pas interdit de se poser des questions à son sujet, il ne faut pas le condamner a priori.
Au début de notre débat, j’ai entendu des propos témoignant d’une ouverture, et je m’en suis réjoui. En revanche, la charge dont ce dispositif vient d’être l’objet, quand il s’est agi de soutenir la motion tendant à opposer la question préalable, me paraît regrettable : certaines interventions laissent vraiment l’impression d’une condamnation d’un système qui, pourtant, donne des résultats.
M. Claude Domeizel. Mais non !
M. Jacques Legendre. Mes chers collègues, la meilleure façon de corriger la présente proposition de loi, dont les termes sont peut-être imparfaits, mais qui peuvent en tout cas être discutés, est de présenter des amendements, non de refuser le débat.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce texte n’est pas amendable !
M. Jacques Legendre. On peut notamment débattre sur le fait de savoir si ces écoles doivent être du ressort de l’éducation nationale ou de la formation professionnelle. À une certaine époque, j’ai eu l’occasion d’assister à des luttes entre le ministère de l’éducation nationale et celui du travail, qui cherchaient tous deux à s’assurer la maîtrise de tel ou tel aspect de la formation.
Alors, discutons, amendons cette proposition de loi ! Ce serait tout à fait positif. Refuser d’aller plus loin, sans même être assuré de pouvoir apporter une réponse à la question que ce texte pose, me semble fort dommage.
Voilà pourquoi je souhaite que la motion tendant à opposer la question préalable ne soit pas votée.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 36 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 173 |
Pour l’adoption | 175 |
Contre | 170 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.