M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. La commission a donné un avis favorable, pour des raisons évidentes, à cette proposition, qui traduit indéniablement une inflexion dans l’action menée par les pouvoirs publics depuis plusieurs mois, en considérant que cette question est centrale et qu’elle doit être réglée dans le respect de la responsabilité des forces de police, mais aussi avec le souci de réorienter différentes interventions dans un sens plus respectueux des personnes.
J’ai entendu Mme Assassi dire que cela ne faisait que confirmer la jurisprudence de la Cour de cassation. Il fut une époque où l’on pouvait être tenté de contredire la jurisprudence de la Cour de cassation... Je préfère naturellement cette orientation.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement satisfait un souhait qui était à l’origine du dépôt par les membres de mon groupe de l’amendement n° 13, à savoir le souhait de trouver un encadrement juridique propre à éviter les contrôles au faciès.
Je prends acte d’une rédaction qui s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Bien sûr, monsieur le ministre, toute la difficulté résidera ensuite dans la mise en œuvre des contrôles par les forces de l’ordre.
Cela étant, je soutiendrai le présent amendement et retire dès à présent l’amendement n° 13.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. En droit, Mme Assassi a parfaitement raison : l’encadrement des contrôles des titres de séjour est déjà en vigueur puisqu’il résulte d’un arrêt de la Cour de cassation du 28 mars dernier.
Comme vous l’avez fort bien indiqué, monsieur le ministre, il convient maintenant de définir un mode d’emploi pratique. Ainsi, comment un membre des services chargés de la sécurité publique qui doit intervenir auprès d’une personne dont il peut supposer qu’elle se trouve sur notre sol en situation irrégulière peut-il déduire sa nationalité d’éléments objectifs extérieurs à ladite personne s’il n’a été procédé à aucune vérification préalable ?
Il me paraît absolument nécessaire qu’une instruction soit adressée à l’échelon national à l’ensemble des personnels amenés à effectuer ces contrôles. En effet, si la barrière est fixée par la décision de la Cour de cassation – et je pense qu’il est très sage d’inscrire dans le CESEDA les termes qu’elle a employés –, les actions autorisées en deçà de cette barrière doivent être explicitées dans une perspective opérationnelle. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quelle est votre intention à cet égard ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Richard, vous avez parfaitement défini la problématique à laquelle nous sommes confrontés.
Le cadre juridique des contrôles de titres et le droit positif, notamment la jurisprudence de la Cour de cassation, sont consolidés par l’amendement n° 27. Si l’on est cohérent, dès lors qu’on se félicite de l’arrêt de la Cour de cassation qui a amené le Gouvernement à rédiger le présent texte, il faut se féliciter du fait que le Gouvernement s’appuie sur cette même décision pour renforcer la lutte contre le contrôle au faciès.
Cela étant, M. Leconte et vous-même l’avez souligné à juste raison, tout reste à faire du point de vue pratique. C’est pourquoi, tant dans le code de déontologie que dans les instructions que je serai amené à prendre, des précisions seront apportées.
Comme chacun d’entre vous, j’imagine, je suis attaché à ce que les forces de l’ordre obtiennent des résultats en matière de lutte contre la délinquance. Si j’ai affirmé qu’il fallait sortir de la logique du chiffre qui pesait sur les policiers et les gendarmes, mais aussi sur les magistrats, c’est parce que, nous le savons tous, que le contrôle des sans-papiers, notamment, était devenu un élément important de la politique du résultat, source, ne l’oublions pas, de tensions au sein des forces de l’ordre, de l’ensemble de la chaîne pénale, ainsi que dans les rapports de ces personnels avec la population.
Je veux des résultats, et pas seulement des chiffres : je veux une vraie diminution de la délinquance et des violences, je veux que les Français se sentent davantage protégés et rassurés.
Monsieur Richard, tel sera le sens des instructions que je donnerai aux forces de l’ordre.
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par MM. Leconte, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Après le mot : « France », la fin du premier alinéa est ainsi rédigé : « Pour l'application du présent alinéa, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu sur réquisitions écrites du procureur de la République. »
Cet amendement a été précédemment retiré.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel avant l'article 2
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 551-1, à la première phrase de l’article L. 552-1, à l’article L. 552-3 et au premier alinéa de l’article L. 552-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les mots : « cinq jours » sont remplacés par les mots : « quarante-huit heures ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement a pour objet de permettre un retour du rôle constitutionnel du juge judiciaire, en rétablissant l’intervention du juge des libertés et de la détention – le JLD – quarante-huit heures après le placement en rétention d’une personne, et non plus cinq jours après comme le prévoit la loi de 2011.
Sous couvert de l’information systématique du parquet de la retenue d’une personne, le projet de loi entend placer la procédure « sous le contrôle judiciaire », selon ce qui figure à la page 24 de l’étude d’impact. Or le parquet n’est pas un magistrat du siège au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et, en matière de garde à vue, il ressort des décisions du Conseil constitutionnel que le principe en cause a acquis une valeur constitutionnelle.
Dans sa décision du 20 janvier 1981, ce dernier a jugé qu’au-delà de quarante-huit heures « l’intervention d’un magistrat du siège pour autoriser [...] la prolongation de la garde à vue, est nécessaire conformément aux dispositions de l’article 66 de la Constitution ». Encore récemment, dans une décision du 30 juillet 2010, il a estimé qu’au-delà de quarante-huit heures de privation de liberté l’article 66 de la Constitution impose qu’une telle mesure soit placée sous le contrôle d’un magistrat du siège.
Le report de l’intervention du juge judiciaire au cinquième jour suivant le placement en rétention n’est donc pas conforme au droit européen, non plus qu’aux articles 66 de la Constitution et IX de la Déclaration de 1789. Cette nouvelle mesure encourrait une sanction susceptible de paralyser à nouveau tout le dispositif.
Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif, mais le bilan d’un an d’application démontre qu’il est incompatible avec le respect des droits fondamentaux. En effet, non seulement le contrôle du JLD est tardif pour les étrangers qui ont la chance d’en bénéficier, mais, bien plus grave, la plupart des étrangers sont éloignés de notre territoire sans bénéficier de son contrôle. En métropole, de plus en plus de personnes retenues sont éloignées avant que le juge intervienne. En 2010 déjà, 8,4 % des étrangers placés en rétention étaient éloignés avant la fin du deuxième jour de leur placement en rétention, donc en général sans que le JLD ait pu exercer son contrôle.
Depuis la réforme de l’été 2011, 25 % des personnes retenues sont éloignées au cours des cinq premiers jours de leur rétention, c’est-à-dire sans intervention du juge. Aucune d’entre elles ne peut alors bénéficier d’un contrôle judiciaire, pourtant primordial puisqu’il porte notamment sur le travail réalisé par la police et l’administration, de l’interpellation à l’arrivée en rétention, et peut-être lors de la retenue d’un étranger aux fins de vérification de sa situation administrative telle que prévue à l’article 2 du présent projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. La commission est très sensible à la réflexion menée par Mme Assassi et par les membres du groupe CRC. Même si je n’appartenais pas encore à cette assemblée au moment où des débats très vifs s’y sont déroulés à ce sujet, j’en ai eu des échos et je sais que les sénateurs siégeant à gauche de cet hémicycle ont mené une bataille acharnée en faveur du maintien d’une intervention précoce du juge judiciaire.
Pour autant, l’examen du présent texte intervient dans un contexte particulier : il s’agit de combler un vide juridique.
Dans la mesure où M. le ministre nous a indiqué que le Premier ministre allait rapidement prendre l’initiative de désigner un parlementaire en mission chargé de réfléchir à cette question et de formuler des propositions, il me paraît souhaitable de le laisser mener cette réflexion à son terme plutôt que de bouleverser dès aujourd'hui le cadre existant, au détour d’un texte très spécifique.
L’essentiel est que le juge puisse intervenir et qu’aucune reconduite à la frontière ne puisse être prononcée sans qu’ait été vérifiée la régularité de la décision prise par l’administration. Que, par ailleurs, le juge judiciaire exerce un contrôle sur les conditions de la rétention paraît évidemment indispensable. Le moment où ce contrôle doit avoir lieu peut cependant faire l’objet de discussions.
Quoi qu’il en soit, ces deux contrôles et surtout la nécessaire vérification que toute mesure prise à l’encontre d’un étranger n’est pas entachée d’irrégularité sur le fond me paraissent apporter un certain nombre de garanties. Sur les autres points, le débat doit rester ouvert. J’ai bien compris, à l’écoute des propos tenus par M. le ministre, que nous aurons l’occasion d’y revenir.
Cela étant, madame Assassi, même si une majorité de ses membres partagent vos préoccupations, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Madame Assassi, je comprends votre préoccupation. Nous avons déjà eu un débat tout à l’heure sur la question de l’intervention du juge judiciaire et du juge administratif, comme vient de le rappeler M. le rapporteur. Par ailleurs, comme je l’ai précisé à plusieurs reprises, un parlementaire en mission, après avoir pris en compte les travaux et les réflexions de votre assemblée, vous proposera un chemin à suivre. Cela étant, nous devons avoir conscience qu’une mesure privative de liberté doit être rapidement soumise au juge judiciaire. C’est d’ailleurs le cœur du débat.
Cependant, nous avons besoin d’un peu de temps pour mener la réflexion. Revenir en arrière sans analyser l’ensemble des conséquences ne me paraît pas, à ce stade, satisfaisant.
Je me dois maintenant de relever une inexactitude que contenaient vos propos, madame la sénatrice. À la suite de tous les débats sur la garde à vue, le Conseil constitutionnel a statué sur la détention au-delà de cinq jours. En revanche, en deçà de ce laps de temps, il ne s’est jamais prononcé dans le sens que vous avez indiqué. En effet, la plus haute juridiction de notre pays a conscience d’une certaine latitude qu’il faut laisser dans ce cas de figure.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, madame Assassi, de bien vouloir retirer l’amendement n° 7, faute de quoi le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Assassi, l’amendement n° 7 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Même si j’entends bien les arguments avancés par M. le ministre, je maintiens cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comme l’a dit M. le rapporteur, la commission est sensible à la préoccupation exprimée par Mme Assassi.
Le juge des libertés et de la détention est une institution importante, à laquelle chaque membre de cette assemblée est attaché. Aussi ne paraît-il pas incongru que celui-ci, chargé de juger des conditions de détention, de se préoccuper des libertés et des droits, puisse intervenir dans un centre de rétention avant le cinquième jour de rétention.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas après cinq jours !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Par ailleurs, se posent la question de l’inversion éventuelle de l’intervention des juridictions, celle de la situation actuelle qui exige assurément, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, et comme l’a expliqué Richard Yung, une réflexion.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué à plusieurs reprises que le présent projet de loi permettait de répondre à une situation de fait et, pour cette raison, requérait une adoption rapide. Vous avez également indiqué qu’un second texte allait nous être soumis au cours du premier semestre de l’année prochaine : cela nous donnera l’occasion d’examiner cette question au fond.
Vous nous avez aussi informés de la nomination d’un parlementaire en mission. C’est une bonne idée. Je voudrais simplement appeler votre attention sur un point : le parlementaire en mission devra effectuer un travail approfondi et faire preuve d’une certaine célérité de telle manière que le calendrier que vous avez retenu pour la présentation du second texte que vous avez évoqué puisse être respecté.
Désignation d’un parlementaire chargé de mener une réflexion approfondie, examen d’un texte sur le fond au premier semestre de 2013 : ces engagements que vous venez de prendre, monsieur le ministre, nous paraissent importants eu égard aux problèmes soulevés par Mme Assassi et aux réalités rappelées tant par vous-même que par M. Yung et M. le rapporteur ; ils augurent un traitement bienvenu, et dans un délai raisonnable, du sujet qui nous préoccupe.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
Après l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 611-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 611-1-1. – I. – Si, à l’occasion d’un contrôle effectué en application de l’article L. 611-1 du présent code, des articles 78-1, 78-2, 78-2-1 et 78-2-2 du code de procédure pénale ou de l’article 67 quater du code des douanes, il apparaît qu’un étranger n’est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, il peut être conduit dans un local de police et y être retenu par un officier de police judiciaire aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Dans ce cas, l’officier de police judiciaire met l’étranger en mesure de fournir par tout moyen les pièces et documents requis et procède, s’il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires. Le procureur de la République en est informé dès le début de la retenue.
« L’étranger est aussitôt informé par l’officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, de la possibilité :
« 1° De demander l’assistance d’un interprète ;
« 2° De faire aviser un avocat désigné par lui ou commis d’office par le bâtonnier, qui est alors informé de cette demande par tous moyens et sans délai. L’avocat désigné peut, dès son arrivée, communiquer pendant trente minutes avec la personne retenue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien ;
« 3° De demander à être examiné par un médecin désigné par l’officier de police judiciaire ;
« 4° De prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix ; si des circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui-même la famille ou la personne choisie ;
« 5° (nouveau) D’avertir ou de faire avertir les autorités consulaires de son pays.
« L’étranger ne peut être retenu que pour le temps strictement exigé par l’examen de sa situation et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives applicables et seulement pour autant que son état de santé, constaté le cas échéant par le médecin, ne s’y oppose pas. La retenue ne peut excéder dix heures à compter du début du contrôle mentionné au premier alinéa. Toutefois, l’officier de police judiciaire peut prolonger la retenue dans les cas suivants :
« - si le droit de circulation ou de séjour sur le territoire français de l’étranger n’a pu être établi ;
« - s’il s’est avéré que l’étranger ne fait pas déjà l’objet d’une mesure d’éloignement exécutoire et si l’autorité administrative n’a pas été en mesure de notifier à l’officier de police judiciaire les décisions applicables.
« La durée de cette prolongation ne peut excéder six heures et est immédiatement notifiée au procureur de la République par l’officier de police judiciaire.
« Le procureur de la République peut mettre fin à la retenue à tout moment.
« Les mesures de contrainte exercées sur l’étranger sont strictement proportionnées à la nécessité des opérations de vérification et de son maintien à la disposition de l’officier de police judiciaire.
« L’étranger ne peut être placé dans un local accueillant des personnes gardées à vue.
« Si l’étranger ne fournit pas d’éléments permettant d’apprécier sa situation au regard du séjour, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après information du procureur de la République, à la prise d’empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue un moyen nécessaire pour établir la situation de cette personne.
« L’officier de police judiciaire mentionne, dans un procès-verbal, les motifs qui justifient le contrôle, la vérification du droit de séjour ainsi que son éventuelle prolongation et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer. Il précise le jour et l’heure à partir desquels la vérification a été effectuée, le jour et l’heure de la fin de la retenue et la durée de celle-ci et, le cas échéant, la prise d’empreintes ou de photographies.
« Ce procès-verbal est présenté à la signature de l’étranger intéressé. Si ce dernier refuse de le signer, mention est faite du refus et des motifs de celui-ci.
« Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à la personne intéressée dans le cas prévu par l’alinéa suivant.
« Si elle n’est suivie à l’égard de l’étranger qui a été retenu d’aucune procédure d’enquête ou d’exécution adressée à l’autorité judiciaire ou n’a donné lieu à aucune décision administrative, la vérification du droit de séjour ne peut donner lieu à une mise en mémoire sur fichiers et le procès-verbal, ainsi que toutes les pièces se rapportant à la vérification, sont détruits dans un délai de six mois sous le contrôle du procureur de la République.
« Les prescriptions énumérées au présent article sont imposées à peine de nullité, sous réserve des dispositions de l’article L. 552-13.
« II. – Lorsqu’un étranger, retenu en application de l’article 78-3 du code de procédure pénale, n’est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, les dispositions du I s’appliquent et la durée de la retenue effectuée en application de cet article s’impute sur celle de la retenue pour vérification du droit de séjour.
« III. – S’il apparaît, au cours de la retenue de l’étranger, que celui-ci doit faire l’objet d’un placement en garde à vue conformément aux dispositions des articles 62 et suivants du code de procédure pénale, la durée de la retenue s’impute sur celle de la garde à vue. »
M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela, sur l'article.
Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe écologiste a pris la mesure du souhait du Gouvernement de rompre avec la politique d’hostilité envers les étrangers soutenue par l’ancienne majorité, et j’aurai l’occasion de revenir sur ce point dans la suite de la discussion, en particulier lorsque nous examinerons l’article 8 du projet de loi. Bien entendu, nous saluons et encourageons cette démarche.
Nous avons également conscience de la spécificité de ce texte, dont le champ est extrêmement circonscrit, et nous attendons avec impatience la réforme plus globale du CESEDA.
Cependant, la création de la retenue pour vérification du droit au séjour, prévue par l’article 2 du projet de loi, ne nous semble pas nécessaire. En 2011, lors des débats relatifs à la loi dite « Besson », les sénatrices et sénateurs écologistes avaient vivement contesté la possibilité de punir d’une peine d’emprisonnement et, par conséquent, de placer en garde à vue des étrangers du seul fait de leur situation irrégulière sur le territoire français. Notre groupe s’est donc félicité des arrêts rendus par la Cour de cassation en juillet dernier, qui ont enfin tiré les conséquences des exigences communautaires.
Toutefois, selon nous, ces arrêts n’ont pas créé un vide juridique qu’il serait nécessaire de combler par l’institution d’un nouveau régime de retenue. Nous pensons que le dispositif actuel de vérification d’identité, applicable à tous, suffit amplement. Nous contestons le principe même de la création de mesures particulières et d’un régime de privation de liberté spécifique pour les personnes étrangères.
En outre, dans l’attente d’une réforme globale du droit des étrangers, ce nouveau régime s’inscrit dans le cadre du dispositif d’éloignement en vigueur, qui empêche la plupart des étrangers de bénéficier d’un contrôle du respect de leurs droits par un juge indépendant. En effet, depuis la loi du 16 juin 2011, il faut attendre cinq jours de rétention administrative pour que le JLD puisse enfin se prononcer sur la décision de placement en rétention prise par le préfet, et ce à l’issue du délai maximal imparti au juge administratif. En d’autres termes, si cet article 2 était adopté en l’état, l’étranger retenu jusqu’à seize heures en vue de la vérification de son droit au séjour, et ensuite placé en rétention administrative, risquerait d’être reconduit à la frontière avant même que le JLD ait pu se prononcer sur la régularité de la nouvelle mesure de retenue.
Le fait que l’article 2 du projet de loi prévoie que le procureur de la République peut « mettre fin à la retenue à tout moment » ne suffit évidemment pas à garantir l’effectivité des droits de l’étranger retenu, le procureur n’étant pas une autorité indépendante, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt France Moulin du 23 novembre 2010.
Enfin, je tiens à préciser que, si nous sommes déjà défavorables à l’article 2 issu des travaux de la commission, qui prévoit une durée de retenue ne pouvant excéder dix heures, la retenue pouvant toutefois être prolongée de six heures dans certains cas, nous sommes encore plus défavorables à l’amendement n° 26 rectifié, déposé par le Gouvernement, qui prévoit un retour à la rédaction initiale, c'est-à-dire à une durée de retenue pouvant atteindre seize heures.
Les écologistes contestent le principe même de la mesure d’exception prévue par l’article 2 du projet de loi. Nous plaidons en faveur de l’application aux étrangers de la durée de droit commun de quatre heures prévue dans le cadre des vérifications d’identité, et nous voterons donc contre cet article.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Comme cela vient d’être souligné, le projet de loi crée une retenue judiciaire d’une durée maximale de seize heures. Cette retenue est décidée par un officier de police judiciaire après une simple notification au procureur de la République. Cette procédure nous paraît très floue et hybride : elle a une connotation judiciaire, mais elle a surtout une finalité administrative, à savoir l’éloignement.
Par ailleurs, le nouveau dispositif ad hoc ressemble fort au régime de garde à vue antérieur à la loi du 14 avril 2011, qui ne garantissait que des droits extrêmement limités. Or ce dispositif sera utilisé à l'encontre de personnes n’ayant commis aucune infraction. Rien ne justifie cette différence entre un dispositif actuel de garde à vue relativement protecteur, même s’il n’est pas intégralement conforme aux exigences découlant de la jurisprudence de la CEDH, et le nouveau dispositif de retenue, qui ne prévoit presque aucune garantie, d’autant que la garde à vue concerne des délinquants ou des criminels alors que la retenue judiciaire vise des personnes n’étant soupçonnées d'aucune infraction.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Celui-ci s’inscrit manifestement dans la logique que j’évoquais tout à l'heure, selon laquelle il faudrait ramener dans le cadre d’une procédure totalement judiciaire le contrôle des titres autorisant la présence ou la circulation sur le territoire français.
D'une part, une telle logique ne correspond pas à notre tradition juridique et, d'autre part, elle est de nature à introduire un biais dans la mesure où, si l’on s’y tenait, on ne pourrait procéder aux contrôles que lorsqu’une garde à vue a été décidée, ce qui suppose que l’on ait le sentiment d’avoir affaire à un délinquant, ou que l’on se situe dans le cadre de la procédure de vérification d’identité, qui n’a pas été conçue pour cela. On voit bien, lorsqu’on examine les dispositions de l’article 78-3 du code de procédure pénale, que la procédure de vérification d’identité ne permet pas de mener jusqu’à son terme la vérification des titres de séjour. En effet, la procédure s’arrête si l’individu contrôlé est en mesure de fournir un document prouvant son identité, même si celui-ci ne lui donne pas le droit de séjourner sur notre territoire ; je pense, par exemple, à un passeport périmé.
Il est donc souhaitable d’encadrer la procédure par laquelle les personnes doivent satisfaire à l’obligation qui leur est faite de présenter leur titre de séjour. Il faut encadrer cette procédure de la manière la plus protectrice possible – nous aurons l’occasion d’en reparler –, mais il faut l’encadrer. Le projet du Gouvernement a l’avantage de prévoir un certain nombre de garanties qui n’existaient pas auparavant. La procédure de garde à vue comportait certes des garanties, mais celles-ci ne correspondaient pas à la nature du contrôle des titres de séjour. Ces nouvelles garanties sont notamment la notification de la retenue au procureur de la République, l’intervention d’un avocat ou encore la possibilité pour l’individu retenu de prévenir les personnes de son choix. Ces dispositions introduisent une vraie différence par rapport au mécanisme antérieur de rétention administrative, qui était à la fois fragile et contestable.
Aucun d’entre nous n’apprécie le mécanisme de rétention administrative. Le fait que l’on puisse contraindre une personne dans le cadre d’une procédure qui n’est pas directement placée sous le contrôle du juge au moment où la décision est prise pose problème. Néanmoins, nous devons prendre en compte un cas particulier, celui des personnes n’ayant pas commis d’infraction, mais se trouvant néanmoins dans une situation irrégulière sur notre territoire. Il faut bien donner à l’État les moyens de vérifier la régularité du séjour sur notre sol, tout en prévoyant des garanties encadrant le dispositif de retenue. C’est l’objet de l’article 2, assorti des compléments apportés par la commission.