Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Jacques Gillot.
3. Absentéisme scolaire. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi ; M. David Assouline, rapporteur pour avis de la commission de la culture ; Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative.
MM. Michel Le Scouarnec, Jean-Léonce Dupont, Mmes Françoise Laborde, Corinne Bouchoux, Colette Mélot, Danielle Michel, M. Roland Courteau, Mme Sophie Primas, M. François Grosdidier.
Mmes Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture ; George Pau-Langevin, ministre déléguée.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 1 de M. Jean-Claude Carle. – M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi ; M. le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée ; MM. Jacques-Bernard Magner, François Grosdidier. – Rejet par scrutin public.
Amendement no 2 de la commission. – M. le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. – Adoption.
Amendement no 3 de la commission. – M. le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. – Adoption.
M. Jacques Legendre.
Adoption, par scrutin public, de l'article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission modifié.
4. Décision du Conseil constitutionnel
5. Journée nationale en mémoire des victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. – Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires sociales.
MM. Guy Fischer, Hervé Marseille, Robert Tropeano, Jean-Vincent Placé, Marcel-Pierre Cléach, Georges Labazée.
Renvoi de la suite de la discussion.
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
7. Questions d'actualité au Gouvernement
MM. Nicolas Alfonsi, Manuel Valls, ministre de l'intérieur.
organisation des travaux parlementaires
MM. Gérard Larcher, Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
MM. Jean-Marie Bockel, Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants.
MM. Luc Carvounas, Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
aéroport notre-dame-des-landes
Mme Corinne Bouchoux, M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Guy Fischer, Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.
M. Bruno Sido, Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.
M. Yves Daudigny, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
MM. Antoine Lefèvre, Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.
parlement européen à strasbourg
MM. Roland Ries, Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
inflation normative liée à l'adaptation des transports publics au handicap
MM. Philippe Adnot, Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
8. Candidatures à des organismes extraparlementaires
9. Allocation personnalisée d'autonomie. – Adoption d'une proposition de loi
Discussion générale : M. Gérard Roche, auteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
MM. Yvon Collin, Jean Desessard, René-Paul Savary, Georges Labazée, Dominique Watrin, Mme Chantal Jouanno.
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission des affaires sociales ; Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée ; M. le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
MM. Dominique Watrin, Alain Néri.
Amendement no 1 rectifié bis de M. Gérard Roche. – MM. Gérard Roche, le rapporteur, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée ; M. Georges Labazée. – Adoption, par scrutin public, de l'amendement rédigeant l'article.
M. Dominique Watrin, Mme Catherine Procaccia, M. le président.
Amendement no 2 rectifié de M. Gérard Roche. – MM. Gérard Roche, le rapporteur, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée ; M. Georges Labazée. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement no 3 rectifié de M. Gérard Roche. – MM. Gérard Roche, le rapporteur, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée ; M. Georges Labazée. – Adoption, par scrutin public, de l'amendement rédigeant l'article.
M. Georges Labazée.
Rejet de l’article.
MM. René-Paul Savary, Jean Desessard, Dominique Watrin, Georges Labazée, Gérard Roche, auteur de la proposition de loi ; Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.
10. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jacques Gillot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Marc Durand-Viel, président du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, le rapport pour l’année 2011, établi en application de l’article 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédures aux contribuables en matière fiscale et douanière.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.
3
Absentéisme scolaire
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 27 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, présentée par Mme Françoise Cartron et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 756 [2011-2012], texte de la commission n° 57, rapport n° 56).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi.
Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous allons débattre ce matin vise à abroger le dispositif de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, celui-là même qui avait été rétabli en septembre 2010, suscitant de vives discussions dans cet hémicycle.
Je souhaite que les échanges d’aujourd’hui se déroulent dans un climat constructif et apaisé. Je tiens d’ailleurs à réaffirmer devant les sénatrices et les sénateurs de l’opposition que ma démarche n’illustre en rien un clivage partisan. En effet, en 2004, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait lui-même supprimé le mécanisme existant depuis 1966, mécanisme identique à celui qui a été restauré par la proposition de loi de M. Ciotti.
Dans un rapport de 2003 consacré aux manquements à l’obligation scolaire, M. Machard, délégué interministériel à la famille, avait mis en avant que le non-respect de l’obligation scolaire était un phénomène éminemment complexe et qu’une réponse univoque ne pouvait en aucun cas être satisfaisante, affirmant que la suspension des allocations familiales, en vigueur depuis quarante ans, était sans effet dissuasif sur les familles et contre-productive pour celles qui s’étaient vu retirer leurs prestations. Devant vous, ce matin, je ne défends pas autre chose.
De façon connexe, nous estimons que le contrat de responsabilité parentale, le CRP, issu de la loi de 2006 pour l’égalité des chances, doit lui aussi être abrogé. Redondant au regard des dispositifs déjà existants, jugé le plus souvent inutile, il est resté largement inappliqué par les conseils généraux, toutes tendances politiques confondues.
Un chiffre parle de lui-même : 38 CRP ont été signés sur notre territoire entre 2006 et 2010 – 38 en quatre ans, on ne peut pas parler de réussite ! En 2011, il est vrai, 174 CRP ont été signés, dont 165 dans les Alpes-Maritimes, département dont M. Ciotti est président du conseil général et député. Il conviendrait sans doute de s’interroger sur ce particularisme local afin de comprendre la réalité de ces contrats. Cela dit, dans cette introduction au débat, je veux rappeler dans quel esprit s’inscrit cette proposition de loi que je vous appelle à voter.
Pourquoi toutes les personnes auditionnées par le Sénat, en 2010 comme en 2012, représentant les fédérations de parents d’élèves, les associations familiales, les personnels de direction de l’éducation nationale, l’Assemblée des départements de France ou la Caisse nationale des allocations familiales ont-elles désapprouvé ce dispositif ? Pour une raison simple : le mécanisme proposé repose sur une erreur fondamentale de diagnostic et propose donc une mauvaise thérapie.
Quel est ce diagnostic ? L’absentéisme scolaire serait dû à une défaillance parentale, voire à un laxisme coupable qu’il convient de sanctionner.
Or le phénomène de l’absentéisme scolaire est assurément plus complexe, il est protéiforme, autant dans ses causes que dans ses manifestations. En effet, l’éloignement de l’école peut être ponctuel, perlé ou durable. Ce défaut d’assiduité peut être ciblé sur une matière, une plage horaire, une période de l’année scolaire. Dans certains cas, il conduit au décrochage total, parfois définitif.
Il existe autant de types d’absentéisme que d’enfants absentéistes, autant de sources aussi. Ces problématiques, extrêmement diverses, peuvent être familiales ou sociales : elles sont parfois l’expression de souffrances psychologiques, souvent la conséquence de détresses humaines.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Cartron. Elles peuvent être aussi éducatives, qu’il s’agisse d’un phénomène de violence scolaire, d’une distanciation liée à l’environnement de l’établissement, à des difficultés scolaires accumulées parfois dès le plus jeune âge, à une orientation non choisie qui intervient le plus souvent à la fin du collège et se manifeste le plus durement au lycée professionnel où, d’ailleurs, le taux d’absentéisme lourd est trois fois plus élevé que la moyenne observée dans l’enseignement du second degré public.
Par ailleurs, si tous les publics sont touchés et tous les territoires concernés, une large majorité des absentéistes est présente dans l’éducation prioritaire qui regroupe majoritairement les familles rencontrant les plus grandes difficultés sociales, familles qui se sentent le plus souvent éloignées de l’école et de ses codes. Les témoignages, notamment ceux des directeurs académiques des services de l’éducation nationale, les DASEN, de l’académie de Créteil, ainsi que les indicateurs dont nous disposons, l’ont mis en exergue.
Si un quart des établissements n’a jamais été touché, les absentéistes sont trois plus nombreux dans les collèges de l’éducation prioritaire. En janvier 2010, le taux d’absentéisme était de 6,4 % dans les établissements du réseau « ambition réussite », ou RAR, et du réseau de réussite scolaire, ou RRS, et de 2,3 % dans les autres établissements. Eu égard à ces constats, le dispositif de la loi Ciotti se révèle clairement inadapté, injuste et inefficace.
Rappelons que ce dispositif devait, initialement, être intégré au projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Cette démarche du législateur ne servait en rien, ni dans son esprit ni dans sa conception, un quelconque intérêt éducatif. Seule une réelle ambition pour l’école aurait pu apporter une réponse efficace, juste, aux problèmes multiples et complexes qui sont à l’origine du décrochage scolaire.
Par ailleurs, cette sanction ne s’applique pas à toutes les familles d’enfants absents : celles avec un seul enfant ou n’ayant plus qu’un enfant à charge ne perçoivent tout simplement pas d’allocations familiales. En outre, celles pour lesquelles les prestations familiales ne représentent qu’une infime partie des ressources resteront insensibles à leur suspension comme à leur suppression. Une loi qui ne s’applique pas à tous est-elle une bonne loi ?
Seules les familles nombreuses, avec plusieurs enfants scolarisés, les familles les plus pauvres, en particulier les familles monoparentales, dont la subsistance matérielle nécessite la solidarité de l’État, sont susceptibles d’en subir les conséquences. Peut-on imaginer que ces familles trouveront dans cette sanction la motivation et la capacité nécessaire pour permettre à leur enfant le retour sur le chemin de l’école ? L’argent peut-il être le moteur de l’éducation parentale ? Bien sûr que non ! Seul un soutien à la parentalité, un accompagnement dans la durée constituent les réponses adéquates à ce problème.
En fait, la loi Ciotti procédait non seulement d’une approche répressive et stigmatisante, mais aussi d’une méconnaissance totale de la réalité des familles, portées par une vision très négative du rôle des parents. En effet, soyons-en certains, tous les parents souhaitent a priori la réussite de leurs enfants, mais les conditions de vie sociales et économiques, extrêmement difficiles au sein de certains foyers, peuvent expliquer en grande partie le phénomène de l’absentéisme.
Une femme seule avec plusieurs enfants, contrainte à exercer un temps partiel ou subissant des horaires de travail décalés tôt le matin, tard le soir, particulièrement exposée à la précarité, doit-elle être tenue responsable de l’absentéisme d’un de ses enfants et voir une partie de ses faibles revenus disparaître ? Bien entendu, non !
Je pourrais citer d’autres cas aussi douloureux, comme ceux des familles confrontées à la maladie, au handicap, résultant parfois d’un accident du travail : ces familles doivent-elles être sanctionnées et montrées du doigt ? Bien évidemment, non !
D’ailleurs les sanctions règlent-elles le problème ? La comparaison des années scolaires 2009-2010 et 2010-2011, qui encadrent la mise en place du dispositif, conduit à constater une progression du taux d’absentéisme, celui-ci passant de 4,3 % à 5 %. Le constat est identique en Grande-Bretagne, pays où la répression est encore plus sévère.
Comment pourrait-il en être autrement ? À un problème avant tout social et scolaire, la réponse répressive telle qu’elle est envisagée par ce texte, en l’occurrence à travers une sanction financière injuste, non seulement est un aveu d’impuissance mais aussi participe in fine au renforcement du phénomène.
D’une part, le dialogue sous la contrainte, loin d’inverser la tendance, peut venir rompre de manière définitive le lien de confiance souvent difficile à tisser entre les parents et les représentants institutionnels.
D’autre part, cette logique répressive conduit dans certains cas à une baisse des signalements d’absentéistes, rendant le phénomène encore plus difficile à traiter. En outre, elle pourrait laisser croire que, par des réponses simplistes, un phénomène aussi complexe que l’absentéisme pourrait être freiné.
À l’inverse de cette démarche, il est nécessaire de développer une politique de dialogue et de coresponsabilité au sein de l’école de la République. Aujourd’hui, après des années de fragilisation, l’école est de nouveau une priorité.
Aussi, la loi Ciotti me paraît incompatible avec cette nouvelle orientation politique dont l’axe structurant est la confiance et le redressement dans la justice, et dont l’objectif est une solution globale afin que diminue de manière sensible l’échec scolaire dans notre pays.
Le Président de la République, présentant les conclusions de la concertation sur l’école, le rappelait le 9 octobre dernier : « Je propose d’utiliser face au décrochage scolaire toute la gamme des instruments, de l’alerte jusqu’au traitement personnalisé à travers un encadrement dans l’établissement, et parfois hors de l’établissement [...]. Mais c’est en amont que l’efficacité peut être la plus grande. »
Il évoquait alors la nécessité d’un référent dans les établissements de l’enseignement secondaire les plus touchés par l’absentéisme, notamment les lycées professionnels.
À cet effet – et j’en profite pour saluer l’excellent travail effectué par M. le rapporteur –, je me félicite de l’adoption en commission de l’amendement prévoyant un dispositif adapté au sein même de l’établissement réunissant les membres de la commission éducative.
Selon le diagnostic établi, ce sont les partenaires appropriés sur le terrain qui seront mobilisés afin de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés à la problématique spécifique, leur rappelant leur devoir d’assiduité.
Cette nouvelle méthode de traitement fera appel à tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école – personnels de direction, enseignants, conseillers principaux d’éducation, médecins scolaires, parents d’élèves et collectivités territoriales –, non dans une logique de sanction, mais avec l’objectif d’un suivi régulier et rigoureux. En effet, comme le dit très justement Edgar Morin, « si vous avez le sens de la complexité, vous aurez le sens de la solidarité. »
Finissons-en avec les politiques d’affichage reposant sur des analyses simplistes qui s’avèrent au mieux inefficaces, souvent contre-productives. Finissons-en aussi avec la création de structures nouvelles dont ne se saisiront pas les acteurs concernés. Proposons des solutions à la fois ciblées et globales.
C’est le sens de la grande loi de la refondation de l’école qui sera discutée dans les prochaines semaines au Parlement, qui aura pour objectifs de concentrer les moyens dans les établissements de l’éducation prioritaire, de relancer la préscolarisation, de donner la priorité à l’école primaire, en particulier dans les zones les plus en difficulté pour éviter que ne se sédimentent et ne s’accroissent les inégalités, mais aussi de créer un service public territorialisé de l’orientation afin de lutter le plus efficacement possible contre l’orientation par défaut.
Il faudra également rétablir des liens de confiance et de coopération entre la famille et l’établissement scolaire, développer les actions de l’aide à la parentalité. Il faudra rapprocher les temps éducatifs et les temps scolaires afin de prendre en compte la globalité de l’enfant dans son parcours d’apprentissage et dans ses problématiques.
En conclusion, je répète qu’il s’agit pour nous non pas de faire table rase du passé pour des raisons idéologiques, mais bien de faire table rase du passif pour le redressement durable de notre école, si abîmée par endroits.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Cartron. Il s’agit également de veiller à ce que le signe de l’éloignement de l’enfant soit repéré très rapidement, suscitant alors la mobilisation de toute une équipe éducative.
Je propose donc d’abroger la loi Ciotti parce que c’est une loi de défiance, et je vous invite à soutenir les propositions que je viens d’expliciter, issues du texte de confiance que j’ai déposé : confiance envers les jeunes, confiance envers leurs parents, confiance envers l’école et en sa capacité à apporter à chacune et à chacun les outils nécessaires à sa réussite ; confiance envers les partenaires sociaux éducatifs qui, tous ensemble, œuvrent pour une intégration réussie dans notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi, déposée et excellemment défendue à l’instant par Françoise Cartron, vise à abroger deux dispositifs distincts : premièrement, le mécanisme de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire instauré par la loi Ciotti de 2010 ; deuxièmement, le contrat de responsabilité parentale issu de la loi Borloo de 2006.
Ces deux dispositifs étaient naguère liés étroitement. Initialement, le contrat de responsabilité parentale permettait en effet au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales en cas de non-respect de leurs engagements par les familles.
Toutefois, le contrat de responsabilité parentale, ou CRP, est demeuré inappliqué par l’ensemble des conseils généraux de toutes sensibilités politiques, hormis dans le département des Alpes-Maritimes présidé par Éric Ciotti lui-même. En 2010, sur 194 contrats signés, seuls dix l’étaient hors des Alpes-Maritimes, en Vendée pour l’essentiel.
Tant l’Assemblée des départements de France que la Caisse nationale des allocations familiales et la Direction générale de la cohésion sociale ont souligné que ce contrat n’avait pas pris, parce qu’il perturbe la logique même de l’accompagnement parental mis en place dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Rejeté par les acteurs sociaux, le CRP est redondant avec les autres dispositifs existants et ne présente aucune mesure concrète d’accompagnement parental.
En outre, le CRP n’est plus aujourd’hui corrélé avec la lutte contre l’absentéisme. En effet, pour contourner les réticences des présidents de conseil général, la loi Ciotti du 28 septembre 2010 a retiré à ces élus la faculté de demander la suspension des allocations familiales. Elle a brisé le lien entre le contrat de responsabilité parentale et la suspension des allocations, et instauré à la place un mécanisme automatique de suspension sur saisine de l’inspecteur d’académie.
Le CRP instauré en 2006 est donc devenu caduc et ne peut plus aujourd’hui être considéré comme un instrument de lutte contre l’absentéisme. Il présente toutes les caractéristiques d’un dispositif inconsistant et inutile. C’est pourquoi la commission de la culture soutient sa suppression.
J’aimerais insister sur le manque d’évaluation en amont comme en aval du dispositif de suspension des allocations familiales introduit par la loi Ciotti de 2010, l’un des deux dispositifs qu’il s’agit d’abroger. Cette loi a été adoptée sans étude d’impact en amont – et vous savez combien j’y suis attaché, a fortiori sur un tel sujet – et son application n’a fait l’objet, en aval, d’aucune évaluation.
Cette méthode de législation, vous en conviendrez, n’est pas convenable. Elle est la marque de fabrique de ces lois qui ne visent qu’à créer les conditions d’un affrontement idéologique, à mettre en place une posture politique.
Sur le fond, l’approche de l’absentéisme scolaire développée dans la loi du 28 septembre 2010 s’inscrit dans la seule perspective de la prévention de la délinquance. Il n’est pas inutile de revenir aux motivations premières de M. Ciotti. N’oublions pas que son propos concernait à l’origine la lutte contre la délinquance et non la lutte contre l’absentéisme scolaire. Ce dispositif, initialement prévu pour figurer dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, a finalement atterri dans le code de l’éducation !
Le mode de traitement retenu est donc la sanction des familles concernées, parfois la menace. Pourtant, l’absentéisme est un phénomène complexe et protéiforme, qui nécessite toute notre attention et l’action de tous les acteurs pouvant lutter contre ce phénomène. Ses causes sont extrêmement diverses. Il est donc impossible de pointer comme seul facteur la démission supposée des parents.
Les fédérations de parents d’élèves, quelles que soient leurs sensibilités, ont toutes affirmé que, en dehors de cas extrêmes liés à une profonde exclusion sociale, elles ne rencontraient jamais de parents démissionnaires par irresponsabilité, insouciance ou désintérêt à l’égard de leurs enfants, mais voyaient uniquement des parents démunis et désemparés.
Alors que le lycée professionnel est massivement touché par l’absentéisme, la question de l’orientation par défaut ne peut être occultée. La première année de lycée professionnel concentre 18 % de l’absentéisme scolaire : il y a donc beaucoup à faire à ce niveau-là. L’orientation subie, à cette période de la vie entre l’adolescence et l’âge adulte, provoque forcément le désintérêt, y compris parfois pour chercher de petits boulots si l’on pense que l’on ne poursuivra pas dans cette voie.
Au collège, les élèves absents sont souvent ceux qui connaissent déjà l’échec scolaire, après un parcours difficile dans l’enseignement primaire.
Quant à la relation avec la violence scolaire, le lien de causalité suggéré dans la loi Ciotti devrait être inversé. Ce sont les cas de violence, parfois de harcèlement constitué, qui poussent certains enfants à ne pas aller en cours pour éviter leurs agresseurs. On constate en effet que les élèves qui subissent des violences, affichées ou sourdes, ne viennent plus à l’école : ce seraient donc eux, et non pas ceux qui exercent ces violences, qui seraient sanctionnés ! Le résultat obtenu est exactement l’inverse de celui qui était recherché par M. Ciotti.
Il existe aussi un absentéisme de confort, proche du zapping scolaire, où l’on évite un professeur en particulier, une discipline spécifique ou bien certains horaires, comme le premier cours après la pause méridienne.
En dehors de la scolarité et de l’établissement, les absences peuvent également plonger leurs racines dans des difficultés d’ordre social ou familial. Même si l’absentéisme touche tous les milieux, il semble plus élevé chez les familles dont la situation est précaire, qui sont frappées par le chômage et sont allocataires des minima sociaux. Les facteurs de fragilisation, comme un divorce, une recomposition familiale difficile ou un décès, pèsent également sur l’assiduité. En outre, l’existence de conflits intrafamiliaux peut entraîner un absentéisme, à un âge où l’autorité des parents est contestée par l’adolescent et doit se reconfigurer.
D’autres facteurs peuvent encore entrer en jeu. Il ne faut pas négliger, par exemple, d’éventuels problèmes psychologiques individuels rencontrés par l’adolescent – cela a été évoqué – ou l’exercice de plus en plus courant, notamment pour les élèves de lycée professionnel, d’un travail salarié à côté des études.
Dès lors, il paraît profondément irréaliste de proposer une solution commune à tous ces types d’absentéisme. Une solution purement répressive semble, en outre, particulièrement inadaptée.
La suspension des allocations familiales sur saisine de l’éducation nationale reprend un vieux dispositif, en vigueur pendant près de quarante ans. Je tiens à insister sur ce point, qui me permet de souligner que nous ne cherchons pas à faire de ce débat un conflit idéologique. Peut-être certains le veulent-ils ? De 1966 à 2004, ce dispositif avait déjà fait la preuve de son manque d’efficacité et d’équité. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Raffarin l’avait supprimé, par l’entremise du ministre de l’éducation nationale de l’époque, Luc Ferry.
À l’époque, de 6 000 à 7 000 familles étaient sanctionnées chaque année. Cela a été le cas pendant quarante ans, jusqu’à ce que le gouvernement Raffarin abroge le dispositif, lequel n’avait aucun effet positif sur l’évolution de l’absentéisme. Au contraire, celui-ci progressait du fait de l’aggravation des problèmes économiques et sociaux.
Avec le nouveau dispositif, 472 suspensions ont été prononcées de février 2011 à mars 2012, soit environ un an.
Depuis la mise en œuvre de la loi Ciotti, aucune amélioration tangible et durable des statistiques d’absentéisme ne peut être observée. En un an, le taux moyen de l’absentéisme dans l’enseignement du second degré est passé de 4,3 % en 2009-2010 à 5 % en 2010-2011, avec une augmentation généralisée au collège, au lycée général et au lycée professionnel.
L’un des effets pervers de la logique répressive de la loi Ciotti est d’avoir, dans certains cas, conduit à une baisse des signalements d’absentéisme, ce qui rend le phénomène plus difficile à traiter parce que moins visible. Après quatre demi-journées d’absence, le signalement doit être effectué par les responsables d’établissement. Vous pensez bien que ces derniers, sachant les conséquences que leur signalement peut avoir sur les allocations attribuées à des familles qu’ils connaissent, ne veulent pas mettre le doigt dans cet engrenage, et préfèrent ne pas le lancer. Au lieu de lutter contre le phénomène, on le masque. Certains chefs d’établissement, donc, évitent d’enclencher un mécanisme qui risque d’aboutir à fragiliser la situation déjà difficile de certaines familles qu’ils connaissent bien.
Il est un autre point qui mérite l’attention : l’essentiel des retours à l’assiduité intervient au moment de l’avertissement adressé aux parents par le DASEN. C’est bien la solennité de la procédure d’alerte et du rappel à la loi qui importe et non la sanction elle-même. De ce point de vue, la proposition de loi déposée par Françoise Cartron est parfaitement calibrée, puisqu’elle maintient l’avertissement solennel – ces articles de loi ne sont pas supprimés – ainsi que le rappel des règles en vigueur et des sanctions pénales applicables. Je rappelle qu’il existe deux incriminations comme contravention et comme délit. Tout l’effet dissuasif est donc conservé par la proposition de loi, qui ne supprime qu’une sanction administrative inutile, inefficace et injuste, comme j’ai essayé de le démontrer.
L’inefficacité du dispositif est patente. La suppression effective des allocations familiales n’entraîne pas le retour à l’assiduité des enfants absentéistes. C’est ce que m’a clairement expliqué, sur la base des rapports des DASEN, le recteur de Créteil, lequel, particulièrement exposé au phénomène, a d’ailleurs entrepris beaucoup d’actions pour y faire face.
Après ce constat d’inefficacité, permettez-moi de rappeler quelques critiques de principe. La suspension des allocations stigmatise et frappe de manière disproportionnée les familles modestes. Dans l’académie de Créteil, par exemple, les familles convoquées à l’inspection se trouvent dans des situations socioéconomiques très difficiles. De même, le contexte familial est souvent dégradé, avec des élèves suivis par l’aide sociale à l’enfance et faisant l’objet d’actions éducatives en milieu ouvert. On retrouve également une proportion non négligeable d’élèves placés en familles d’accueil. Pour ces familles qui connaissent la précarité, les allocations représentent une ressource importante, alors que les familles plus aisées sentent peu le poids de la sanction, comme Mme Cartron l’a expliqué.
La suspension des allocations constitue une sorte de double peine, qui frappe des familles déjà fragiles et risque d’éloigner encore plus ces dernières de l’institution scolaire, alors même qu’on prétend les en rapprocher. De plus, sont laissées dans l’angle mort de nombreuses familles qui, n’ayant qu’un seul enfant à charge, ne perçoivent pas ou plus les allocations familiales. C’est pourquoi la commission de la culture accueille très favorablement la suppression du dispositif, proposée par Françoise Cartron.
Pour ne pas en rester à une simple abrogation de mauvaises mesures, la commission a intégré dans le texte initial une nouvelle méthode de traitement de l’absentéisme scolaire. Tout ce qui est négatif est éliminé, tandis que des solutions plus positives sont recherchées. D’autres mesures seront probablement intégrées dans le prochain projet de loi d’orientation sur l’école, notamment en matière d’orientation et d’association constructive des parents à la vie des établissements. C’est ce que la concertation pour la refondation de l’école laisse apparaître. Des actions multiples sont engagées pour ouvrir l’école, y associer les parents et permettre un travail sur l’orientation scolaire : autant d’angles, en somme, par lesquels l’absentéisme peut être attaqué.
En attendant cette étape, la commission a souhaité que puisse être immédiatement inscrite dans la loi la nécessité de mobiliser autour de l’établissement tous les acteurs de terrain, afin qu’ils trouvent la solution la plus adaptée à chaque cas particulier. Ainsi, en cas de persistance du défaut d’assiduité, le directeur de l’établissement d’enseignement réunira les membres concernés de la communauté éducative en vue de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés avec celles-ci.
Afin d’éviter les confusions sur ce point – les débats en commission ont montré qu’elles étaient possibles –, je vous rappelle que, aux termes de l’article L. 111-3 du code de l’éducation, la communauté éducative comprend tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école, du collège ou du lycée. Elle réunit les personnels de direction, les enseignants, les conseillers principaux d’éducation, les infirmières et médecins scolaires, les psychologues et assistantes sociales, les parents d’élèves, mais également les collectivités territoriales, ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation.
Le champ est donc très vaste et déborde le seul personnel de l’éducation nationale. Y sont intégrés le maire de la commune de résidence, le président de conseil général, le président de conseil régional, de même que les services sociaux et jusqu’à la protection judiciaire de la jeunesse.
Bien évidemment, nous ne proposons pas que tout le monde soit systématiquement convié. Nous suggérons plutôt que, dans ce très vaste panel, le directeur d’école ou le chef d’établissement choisisse de réunir, en fonction de ses premières observations, les membres les mieux à même de formuler un diagnostic rigoureux sur la situation de l’élève et de sa famille. Il est important que les représentants des parents d’élèves y soient systématiquement associés – ils nous l’ont d’ailleurs demandé –, car ils pourront agir comme des médiateurs pour faciliter l’adhésion de la famille concernée au processus.
Il s’agit non pas d’une structure nouvelle qui s’empilerait sur les autres, mais d’une méthode de coordination de tous les dispositifs et services qui existent et qui demeurent, pour l’heure, cloisonnés. L’objectif est de mettre le plus rapidement possible à la disposition des familles les outils les plus efficaces pour faire face à leur situation spécifique. Pour l’instant, les dispositifs communs à l’éducation nationale et à l’action sociale comme les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité demeurent trop centrés sur l’enseignement primaire et sur l’aide aux devoirs. Ils prennent trop peu en compte l’adolescence et le soutien à la parentalité. Le texte adopté en commission fournit une base législative qui permettra leur rénovation, à laquelle, je le sais, Mme la ministre déléguée à la famille travaille.
La réunion de diagnostic doit permettre d’aiguiller la famille. S’il s’agit avant tout d’un problème pédagogique ou éducatif, des solutions lui seront proposées dans l’établissement. S’il s’agit d’un problème d’orientation, notamment dans la voie professionnelle, la coordination avec le président du conseil régional et le rectorat permettra d’envisager un accompagnement de l’élève, un transfert ou une passerelle. S’il s’agit d’un problème social et familial, les services du conseil général et les CAF interviendront pour guider la famille vers des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, des lieux d’accueil enfants-parents ou des modules de médiation familiale.
La commission a souhaité que l’aide et l’accompagnement soient contractualisés avec la famille. Il s’agit non pas de réintroduire une logique de sanction, mais de permettre un suivi rigoureux et une évaluation précise de l’évolution de la situation. C’est aussi un moyen de garantir que la solution ne soit pas imposée à des parents infantilisés et stigmatisés, mais qu’elle soit au contraire discutée avec eux jusqu’à leur adhésion et leur approbation.
M. Claude Domeizel. Votre temps de parole est écoulé !
M. David Assouline, rapporteur. La formalisation d’engagements réciproques et d’objectifs conférera au processus une solennité utile à sa réussite.
Enfin, le texte de la commission prévoit, comme l’a souhaité le Président de la République dans son discours à la Sorbonne, qu’un référent soit désigné pour suivre la mise en œuvre de cette contractualisation.
Au bénéfice de ces explications, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous demande d’adopter la proposition de loi de Françoise Cartron. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris connaissance de la proposition de loi de Mme Cartron, qui vise à ouvrir la voie à de nouveaux dispositifs de lutte contre l’absentéisme scolaire, en supprimant le contrat de responsabilité parentale, ou CRP, et la sanction de suspension et de suppression des allocations familiales.
L’absentéisme, comme cela a été dit, est avant tout le symptôme d’une situation sociale difficile pour des familles – souvent des mères célibataires, d’ailleurs – qui peinent à suivre l’éducation de leurs enfants. L’absentéisme est également la première étape d’un chemin qui mène ensuite vers le décrochage scolaire et enfin, trop souvent, vers l’exclusion sociale.
Pour traiter ce phénomène complexe et multifactoriel, l’ancienne majorité, et notamment M. Ciotti, avait proposé une seule réponse, univoque, injuste, inefficace et tardive.
M. Guy Fischer. Et scandaleuse !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je veux bien sûr parler de la suspension puis de la suppression des allocations familiales si l’élève demeure absentéiste, selon un dispositif qui comprend plusieurs phases.
Dès lors que quatre demi-journées d’absence non justifiée sont constatées par l’établissement, le directeur ou le chef de l’établissement signale l’absence au directeur académique des services de l’éducation nationale, le DASEN. Celui-ci adresse un avertissement aux personnes responsables de l’élève. Il leur rappelle leurs obligations légales et les sanctions pénales auxquelles elles s’exposent. Il peut également diligenter une enquête sociale.
Si, malgré tout, l’élève continue d’être absentéiste, le DASEN saisit le président du conseil général, qui propose un contrat de responsabilité parentale aux responsables de l’élève. Ce CRP rappelle les obligations du titulaire de l’autorité parentale et comporte des mesures d’aide sociale.
Si les représentants légaux refusent de signer le contrat, ou si les obligations qui leur incombent ne sont pas respectées, le président du conseil général peut demander la suspension puis la suppression des allocations familiales.
Voilà le système de lutte contre l’absentéisme sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui. Comme vous, madame Cartron, le Gouvernement considère que ce dispositif n’a jamais réellement fonctionné et qu’il n’a été mis en place que pour répondre à des objectifs d’affichage politique, tout en se révélant inefficace et injuste.
M. Guy Fischer. Bien sûr !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. En 2003, le rapport Machard, commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire, et Christian Jacob, ministre délégué à la famille, avait préconisé la suppression de ce dispositif, qui avait été introduit en janvier 1959 en cas de manquements à l’obligation scolaire. M. Machard y voyait en effet une sanction inéquitable, en ce qu’elle était appliquée de manière hétérogène sur le territoire et n’affectait que les familles percevant ces prestations sociales, soit, bien évidemment, les plus démunies d’entre elles et celles qui comptaient plusieurs enfants.
M. Jacob, qui est désormais président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, avouait alors ne pas être convaincu par ce dispositif.
En 2006, M. Ciotti a créé un premier dispositif, qui a ensuite été durci dans un contexte de droitisation de la majorité de l’époque à la suite du discours de Grenoble.
La même majorité a donc rejeté un dispositif en 2004, avant de le réintroduire petit à petit, puis de le durcir. Or personne n’a jamais été en mesure de nous dire si ce dispositif était efficace ou pas. Comme l’ont très bien rappelé Mme Cartron et M. Assouline, aucune étude d’impact, aucune évaluation de ce dispositif n’ont jamais été effectuées.
Pour notre part, nous avons tenté de savoir à quoi cette loi a servi, en nous appuyant sur les chiffres dont nous disposons. Les statistiques fournies par la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale – elles sont exhaustives, tous les directeurs académiques des services de l’éducation nationale ayant fait remonter leurs informations – permettent de voir comment la mesure a été appliquée.
Seuls 300 000 des 12 millions d’élèves sont absentéistes. Ce chiffre ne prend pas en compte tous les absentéistes, comme l’a rappelé David Assouline, et heureusement, car tous les directeurs d’établissement ne souhaitent pas lancer le processus.
En 2011-2012, 79 000 signalements ont été effectués. Ils n’ont donné lieu qu’à 619 suspensions des allocations familiales. En outre, les allocations ont ensuite été reversées à 142 familles parce que l’élève avait cessé d’être absent. Cela signifie que non seulement le nombre de suspensions est assez dérisoire par rapport à la réalité de la scolarité – 619 suspensions pour un total de 12 millions d’élèves ! –, mais surtout que, dans 80 % des cas, le dispositif est inefficace puisque l’élève ne retourne pas à l’école.
Mme Françoise Cartron. Bien sûr ! C’est cela le problème !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. La preuve est faite que ce dispositif ne fonctionne pas. La seule menace financière ne suffit pas à permettre aux parents d’obtenir de leurs enfants qu’ils retournent à l’école.
Par ailleurs, comme cela a été très bien dit, si l’absentéisme résultait de l’incapacité ou de la désinvolture des parents, le même phénomène serait constaté à l’école primaire. Or l’absentéisme est infinitésimal à l’école primaire. Il ne commence à être significatif qu’à la fin du collège et au début du lycée, notamment du lycée professionnel, soit à un moment où les parents ont moins d’impact sur des adolescents souvent en crise, à une période de la vie où les enfants sont particulièrement difficiles. Tous les parents savent en effet qu’il n’est pas si simple de gérer un adolescent et de lui imposer sa volonté, dans cette phase, après tout normale, de la vie où il est précisément en train de contester.
Les chiffres le montrent, le dispositif n’est pas du tout efficace.
Nous pensons donc qu’il faut s’y prendre autrement. Ce qui est intéressant dans l’étude à laquelle vous avez procédé, c’est qu’elle montre bien que, dès lors que le phénomène est identifié, que l’on s’intéresse à l’élève, que l’on appelle ses parents et qu’on signale que quelque chose ne va pas, une partie des jeunes reprennent le chemin de l’école, celui de la normalité. Il faut donc non pas suspendre le versement des allocations familiales, mais prendre en compte l’absentéisme scolaire, qui est en fait un symptôme, s’intéresser à l’enfant et essayer de mettre en œuvre les mesures d’accompagnement adaptées. Voilà ce qu’il faut faire si l’on veut que les jeunes retournent à l’école.
Vous l’avez très bien dit, madame Cartron, les causes de l’absentéisme peuvent être extrêmement variées. Des solutions tout aussi variées existent. Il peut s’agir de mesures d’accompagnement social, de soutien à la parentalité, de médiation culturelle ou de médiation familiale, les familles étant parfois en pleine crise.
Cela a été dit, il faut également réfléchir à l’orientation des jeunes. On dit parfois que le peuple vote avec ses pieds. On peut le dire aussi des jeunes : un élève qui n’est pas content du lycée ou de la section dans laquelle on l’a mis arrête de fréquenter l’école. C’est là un échec. Pour régler ce problème, il faut s’y prendre autrement, et surtout tôt. Il ne faut pas laisser la situation se dégrader. Il faut aider les parents et mettre en place – nous l’avons très bien compris – des dispositifs d’accompagnement, tels les RASED, lesquels ont malheureusement été supprimés par nos prédécesseurs.
Je rappelle également, à l’intention de ceux qui s’inquiètent de l’incurie des parents, que, pour le cas où des parents se comporteraient mal ou se désintéresseraient de leurs enfants et, de ce fait, mettraient en péril la moralité, la sécurité ou l’éducation de leurs enfants, des procédures sont prévues dans le code pénal afin de protéger les mineurs.
Mme Françoise Cartron, rapporteur. Bien sûr ! Cela existe.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous ne sommes donc pas totalement démunis face à des parents incapables ou particulièrement désinvoltes.
En fait, nous disons simplement qu’il est tout à fait inadmissible de s’en prendre aux allocations familiales. Une telle solution est injuste. Elle ne concerne qu’un nombre limité d’enfants : une mère seule avec un enfant, situation malheureusement fréquente, ne sera pas concernée par le dispositif. Ainsi, ce dispositif, on s’en rend compte, ne sert pas à grand-chose.
On constate en fait que l’absentéisme et le décrochage scolaires ne sont pas propres à notre pays. Le rapport de la commission décrit un certain nombre de dispositifs expérimentés à l’extérieur de la France.
Pour ma part, j’ai récemment participé à une réunion des ministres de l’éducation européens, qui cherchent des solutions à ces problèmes. Bruxelles va adopter au mois de novembre prochain une série de préconisations sur ce sujet. Il est à noter cependant qu’on ne demande nulle part d’agir sur les allocations familiales.
Aujourd'hui, les auteurs de la proposition de loi sénatoriale proposent d’intervenir en premier lieu à l’échelon de l’établissement. On peut en effet considérer que le département est un échelon trop éloigné dans un premier temps. La solution proposée, qui associerait à la communauté éducative les services sociaux et la protection judiciaire de la jeunesse, en bref tous ceux qui sont chargés de la protection de l’enfance, mérite d’être examinée, car elle est utile.
Il a également été question à plusieurs reprises de ce qui se fait dans le Val-de-Marne. Le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis sont effectivement des départements comptant un nombre important de jeunes en grande difficulté. Ce qui se pratique dans le Val-de-Marne peut servir de référence pour réagir au phénomène de l’absentéisme scolaire.
Le DASEN du Val-de-Marne a mis en place une commission départementale traitant les cas les plus lourds, en liaison avec les services du conseil général, celui-ci étant chargé de la protection de l’enfance. Nous allons examiner cette solution de près. Ma collègue Dominique Bertinotti et moi-même allons, au titre de nos ministères respectifs, proposer des manières de fonctionner permettant de faire face aux dysfonctionnements, qu’ils soient scolaires ou familiaux, qui se traduisent par de l’absentéisme.
Aujourd'hui, il s’agit d’abord de supprimer un dispositif injuste et inefficace. À cet égard, le Gouvernement est parfaitement d’accord avec la proposition de loi. Il nous appartiendra ensuite, une fois que ce dispositif aura été supprimé – il est une fausse bonne solution, que la grande majorité des services sociaux et des responsables de l’éducation nationale n’a d’ailleurs jamais appliquée –, de bâtir, en cohérence avec les orientations européennes, un véritable processus prenant en compte le malaise que traduit l’absentéisme et permettant de remettre les jeunes sur de bons rails.
Il ne suffit pas de priver les familles de moyens, de stigmatiser les jeunes et de leur dire que leur comportement nous déplaît. Ce qu’il faut, c’est permettre à chaque jeune de retrouver la voie de la réussite, de l’estime de soi et du succès. Il est absolument indispensable qu’un certain nombre d’adultes bienveillants jouent un rôle auprès de ces jeunes.
Notre pays n’a pas assez de jeunes pour pouvoir se permettre d’en laisser un certain nombre au bord du chemin. C’est à cette tâche tout à fait importante que nous allons nous atteler tous ensemble, une fois que les fausses pistes proposées par M. Ciotti auront été éliminées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006 avait, entre autres dispositions, créé un contrat de responsabilité parentale.
Sous prétexte de lutter contre l’absentéisme scolaire, cette loi a instauré un dispositif de sanction des parents des élèves absentéistes et ouvert la possibilité de supprimer les allocations familiales relatives à leur enfant.
Partant du constat que très peu de présidents de conseil général ont effectivement mis en œuvre ce dispositif, la loi de 2010 l’a aggravé, sans que toutefois une réflexion ait été menée sur les raisons de son inapplication.
Elle a instauré l’obligation pour l’inspecteur d’académie de demander, après un premier avertissement, la suspension des allocations afférentes à l’enfant absent.
Cette loi est fondée sur un amalgame entre absentéisme et délinquance, que nous ne pouvons accepter.
Elle institue également le principe d’une sanction financière des parents concernés, ce qui la rend d’autant plus condamnable. Ce faisant, elle dévoie l’objectif des allocations familiales, lesquelles sont destinées à compenser une partie des charges financières liées à l’enfant, en laissant penser que ces allocations récompensent les bons parents.
Ce dispositif culpabilisant a pourtant montré son inefficacité en matière d’accompagnement de la parentalité.
La France avait déjà expérimenté ce dispositif en 1966, pour finalement conclure à son inefficacité et l’abroger en 2004. Je rappelle que la majorité d’alors avait qualifié ce dispositif d’ « inéquitable, injuste et inefficace ».
Inéquitables et injustes, tels demeurent le contrat de responsabilité parentale et la loi de 2010. Ces dispositions portent atteinte au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, les familles qui n’ont qu’un seul enfant ne perçoivent pas d’allocations familiales et échappent ainsi à toute sanction. Sans compter que cette sanction, quand elle est appliquée, pénalise plus durement les familles les plus démunies, avec une variation du pourcentage de perte de ressources : de 16 % à 47 % en 2003, selon les chiffres du rapport Machard.
Le contrat de responsabilité parentale et la loi de 2010 sont également inefficaces. La récente étude du Centre d’analyse stratégique de septembre 2012 intitulée Aider les parents à être parents vient confirmer cette analyse. Elle montre que le succès des programmes de soutien à la parentalité s’explique par l’intensité et la qualité des services d’accompagnement des familles. D’ailleurs, les municipalités s’impliquent bien en général, notamment grâce aux heures d’accompagnement à la scolarité, qui ont été mises en place dans de très nombreuses communes.
L’adhésion des parents repose sur plusieurs facteurs. Il faut centrer les dispositifs sur des familles qui connaissent des difficultés avérées, limiter la stigmatisation des bénéficiaires et privilégier une approche globale des problèmes de tous les membres de la famille avant d’évoquer des sanctions éventuelles.
Mais, surtout, c’est la nature de l’accompagnement proposé qui apporte une plus-value. Il faut une intervention intensive, dans la durée, avec un interlocuteur unique disposant de moyens importants et jouant un rôle d’interface avec l’ensemble des autres services sociaux. La mise en œuvre doit être le fait de professionnels particulièrement qualifiés et expérimentés, capables d’accompagner et d’encourager les bénéficiaires. J’insiste sur ce point : il faut parler d’« accompagner » et d’« encourager » avant de parler de « sanctionner » !
L’absentéisme, qui est un phénomène complexe, lié à de multiples facteurs, recoupe des réalités diverses qui ne peuvent pas être résolues par le biais d’une mesure aussi simpliste et réductrice que la stigmatisation des parents.
Loin d’être un phénomène généralisé, l’absentéisme est évalué à 5 % en 2010-2011. Ce chiffre cache d’ailleurs une très grande disparité. Cela concerne d’abord, et massivement, les élèves de lycées professionnels, où le taux d’absentéisme atteint près de 15 %, contre 6,9 % dans les lycées d’enseignement général et 2,6 % dans les collèges, le premier degré étant, lui, touché de manière tout à fait marginale.
Je voudrais d’ailleurs évoquer le rôle de l’enseignant en primaire, appelé instituteur hier et professeur des écoles aujourd'hui. Jadis, c’était essentiellement un tuteur, ayant un lien fort avec l’élève ; d’ailleurs, l’école avait aussi un lien fort avec la famille. Ce sont des éléments qu’il faudra peut-être prendre en compte lorsque nous discuterons du rôle du référent.
Les causes de l’absentéisme sont très diverses.
Cela peut être le fruit d’une démotivation ou d’une démobilisation en raison d’une orientation par défaut ou d’une situation d’échec scolaire. Notons que 10 % des lycées professionnels concentrent plus de 40 % des absentéistes ; cela devrait nous inciter à réfléchir à la revalorisation de cette filière, trop souvent considérée comme lieu de relégation des élèves en difficulté, d’où une concentration de problèmes et de handicaps lourds.
L’absentéisme peut également provenir du climat scolaire et de la souffrance de l’élève face à des violences subies au sein de l’établissement. Dans ce cas, l’élève est victime de violences avant que sa famille ne soit victime de sanctions…
Enfin, le contexte familial et social joue. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre déléguée, précarité et rupture familiale ont des effets sur les absences, sans pour autant que cela vienne corroborer la thèse des parents démissionnaires.
La question scolaire et celle de l’absentéisme ne peuvent pas être traitées à travers le prisme unique de la responsabilisation des parents. Loin de réduire la question à la sphère privée, il faut également réaffirmer la responsabilité publique de l’État et lui donner les moyens humains et financiers de traiter l’aspect pluridimensionnel du problème. Cela suppose un accompagnement durable et de qualité reposant sur la confiance, et non sur la stigmatisation.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous féliciter que le contrat de responsabilité parentale n’ait quasiment pas été appliqué. En effet, seuls 191 contrats ont été signés en 2011, essentiellement dans le département des Alpes-Maritimes.
Selon le premier bilan de l’application de la loi de 2010, qui a été effectué en décembre 2011, 32 000 familles ont été alertées dans ce cadre. La moitié des procédures ont donné lieu à une seconde convocation. Au final, ce sont 160 suspensions qui ont effectivement été prononcées.
Un tel mécanisme est éthiquement contestable, peu appliqué et, surtout, inefficace. Nous sommes donc favorables à l’abrogation pure et simple de toute mesure de sanctions des familles par la suppression des allocations en cas d’absentéisme scolaire, que ce soit dans le cadre du contrat de responsabilité parentale de 2006 ou des dispositions créées par la loi de 2010.
Le dispositif permettant de réunir les membres de la communauté éducative en cas de persistance de l’absentéisme pour proposer aide et accompagnement, qui a été introduit par M. le rapporteur, nous paraît suffisamment souple pour pouvoir s’adapter à la diversité des situations d’absentéisme, en mobilisant les acteurs concernés pour chaque cas.
Dans la mesure où il abandonne l’idée de sanctions ou d’obligations pour les parents et s’inscrit dans le respect des conditions nécessaires à la réussite de tels processus – je pense notamment à un accompagnement de qualité dans la durée –, ce dispositif nous paraît positif et porteur d’espoir pour ces jeunes en difficulté, à qui il faut redonner confiance ; j’insiste sur cette notion, car c’est la clé de la réussite.
En outre, et c’est également très important, il faut repérer le plus précocement possible les signes de décrochage scolaire, afin de réagir dès les premières manifestations pour prévenir et limiter la bascule dans l’absentéisme. Le référent peut, et doit jouer un rôle d’observateur et d’éveilleur au sein de l’équipe pédagogique, même si c’est toute l’équipe qui doit se sentir concernée.
Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi que nos collègues socialistes ont choisi d’inscrire à leur ordre du jour réservé visait initialement à supprimer purement et simplement le dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire mis en place par la loi du 28 septembre 2010.
L’exposé des motifs ne fait pas dans la mesure et qualifie les dispositions de la loi dite « Ciotti » d’« injustes », d’« inégalitaires », d’« inopportunes », d’« inadaptées », d’« inappropriées »,…
M. David Assouline, rapporteur. De « méchantes » aussi ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Léonce Dupont. … leur reprochant une « méconnaissance totale de la réalité », une utilisation de la « menace financière », ainsi qu’une « vision déformée des parents ».
Mme Françoise Cartron. À juste titre !
M. Jean-Léonce Dupont. Quelle modération ! Quelle objectivité dans l’analyse ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Qu’a donc fait le législateur de 2010 de si inadmissible ?
L’obligation d’assiduité scolaire est un principe d’application constante posé dès la loi Jules Ferry du 28 mars 1882. En vertu de ce principe, tous les enfants âgés de six ans à seize ans présents sur notre territoire bénéficient aujourd’hui d’une instruction. Elle peut être reçue soit dans un établissement scolaire public ou privé, soit dans leur famille.
Les textes prévoient deux types de contrôle pour garantir ce droit à l’instruction : d’une part, le contrôle de l’obligation scolaire, pour s’assurer de l’accès de l’enfant à l’instruction ; d’autre part, le contrôle de l’assiduité scolaire, pour vérifier que l’enfant inscrit dans un établissement scolaire y est effectivement présent.
Dans le cadre de ce deuxième contrôle, les politiques mises en œuvre pour lutter contre l’absentéisme scolaire ont varié, certains gouvernements mettant plutôt l’accent sur des mesures de prévention…
Mme Françoise Cartron. Voilà !
M. Jean-Léonce Dupont. … et d’autres sur des mesures plus coercitives, comme la suspension et la suppression des allocations familiales.
Ainsi, l’ordonnance du 6 janvier 1959 subordonnait le versement des prestations familiales au respect de l’obligation d’assiduité scolaire. Cependant, la suppression, en 2004, de ce système et son remplacement, en 2006, par un contrat de responsabilité parentale ainsi, parallèlement, que par le pouvoir donné au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales, n’ont pas eu l’effet escompté.
Par conséquent, comme il est souligné dans le rapport de la commission de la culture sur la proposition de loi en discussion, la loi Ciotti a au final repris l’ancien régime de suspension des allocations pour manquement à l’obligation d’assiduité scolaire, en vigueur jusqu’en 2004. Comme le reconnaît M. le rapporteur, « rétablissant une sanction administrative en plus des sanctions pénales, la loi Ciotti prévoit un régime gradué de suspension des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes ».
Reconnaissez, mes chers collègues, que nous sommes loin de la présentation un peu caricaturale décrite dans l’exposé des motifs de la proposition de loi ! La sanction sur les allocations familiales n’est utilisée qu’en dernier recours.
Pour autant, souhaitant que le débat parlementaire soit non pas dogmatique, mais constructif, je pense utile que nous nous interrogions sur l’efficacité et l’impact des lois que nous élaborons.
Qu’en est-il dans le cas présent ?
En premier lieu, le dispositif de la loi Ciotti n’est véritablement entré en vigueur qu’au mois de janvier 2011, date du décret d’application de la loi. Nous n’avons donc un recul dans le temps que très limité pour établir un bilan : à peine vingt mois, et même moins si l’on décompte les vacances scolaires.
Oserai-je rappeler que le Président de la République a lui-même proposé d’élargir et d’assouplir « le droit à l’expérimentation » ?
Ayons à l’esprit que, pour mener à bien une expérimentation, pouvoir en dresser un bilan et en tirer des conséquences, il faut savoir donner du temps au temps. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Or, dans notre pays, nous avons trop souvent le défaut de tirer les conclusions avant la fin de l’expérimentation, parfois même avant le début.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Jean-Léonce Dupont. En second lieu, les données quantitatives sont très parcellaires et les dispositifs d’évaluation prévus par la loi n’ont pas été mis en œuvre. Ainsi, sait-on que, entre janvier 2011 et mars 2012, 472 familles au total ont été sanctionnées pour l’absentéisme scolaire répété de leur enfant et privées partiellement d’allocations ?
Mais, alors que la loi prévoit le signalement des élèves absents quatre demi-journées ou plus par mois sans motif valable, je m’étonne que le ministère de l’éducation nationale n’ait pas été en mesure de donner au Parlement – le voulait-il vraiment ? – des chiffres plus précis sur le nombre de signalements, le nombre d’avertissements aux familles, le nombre de demandes de suspension, le nombre de suspensions effectives et le nombre de rétablissements des allocations familiales du fait du retour à l’école des élèves.
M. David Assouline, rapporteur. C’est M. Chatel qui ne voulait pas les donner !
M. Jean-Léonce Dupont. Il a fallu être aujourd'hui dans l’hémicycle pour recevoir quelques données chiffrées de la part de Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Cartron. Elle a travaillé, elle !
M. David Assouline, rapporteur. Contrairement à M. Chatel !
M. Jean-Léonce Dupont. En tant que président du conseil général du Calvados, je suis en mesure de dire que, dans mon département, pour l’année scolaire 2011-2012, 270 courriers liés à l’absentéisme scolaire ont été envoyés aux familles par la direction départementale de l’éducation nationale. Au final, seules 13 demandes de suspension du versement des allocations familiales ont été engagées. Je dois reconnaître que l’absentéisme des élèves âgés de six à seize ans ne constitue pas un problème majeur dans le Calvados.
Afin de tenir compte des difficultés psychologiques, environnement social ou familial complexe ou autres dérives, le conseil général a mis en place des partenariats élargis et contribue aux financements de centre de formation ou classe atelier. Ces dispositifs-relais assurent une prise en charge spécifique, adaptée aux difficultés propres aux élèves signalés aux services sociaux. Ils permettent de réinsérer ces élèves dans le cadre de parcours de formation générale, technologique ou professionnelle sous statut scolaire.
Le département cherche avant toute chose à développer des politiques de prévention, en coordination avec les services de l’éducation nationale, afin de proposer très précocement des interventions à but psycho-médico-social auprès des familles concernées.
Toutefois, d’après les informations qui me sont remontées des services du département, la loi Ciotti a permis une meilleure communication entre les différents acteurs, notamment par l’information systématique de l’envoi des courriers de signalements des enfants absents, ce qui permet ensuite de mieux cibler les interventions.
M. François Trucy. Voilà !
M. Jean-Léonce Dupont. Le dispositif de la loi Ciotti est volontairement réduit par certains à la suspension des allocations familiales. Mais en réalité, si sa procédure graduée n’apparaît pas comme la panacée pour pallier l’absentéisme scolaire, elle constitue un outil, qu’il convient d’utiliser ou non jusqu’à son terme selon les situations. (Approbations sur les travées de l'UMP.)
Peut-être que le retour sur les bancs de l’école après la suspension des allocations familiales ne concerne que quelques dizaines d’enfants en France, et heureusement ! Pour autant, est-ce la preuve de l’inutilité totale de la procédure ?
Dans le cadre de la politique baptisée « Refondation de l’école », le ministre de l’éducation nationale a annoncé une réflexion relative aux dispositions de lutte contre l’absentéisme et au décrochage scolaire. Ainsi, une loi de programmation et d’orientation est annoncée ; elle doit être présentée en conseil des ministres au mois de décembre prochain, pour une discussion au Parlement à compter de janvier 2013.
Alors, mes chers collègues, notamment mes collègues socialistes, pourquoi ne pas profiter de ce temps de réflexion souhaité par le ministre pour évaluer au mieux le dispositif de la loi du 28 septembre 2010,…
M. Charles Revet. Ce serait plus sérieux !
M. Jean-Léonce Dupont. … quitte au besoin à en décider la suppression, mais en formulant de véritables propositions de remplacement, dans l’intérêt des enfants ?
Mme Françoise Cartron. C’est ce que nous faisons !
M. Jean-Léonce Dupont. Le groupe UDI-UC, à une exception près, votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Françoise Cartron, dont nous discutons aujourd’hui, vise à défaire un texte qui n’aura pas vécu bien longtemps. Et c’est tant mieux : souvenez-vous, j’étais contre la loi Ciotti.
Prétendre résoudre le problème de l’absentéisme scolaire par la suspension des allocations familiales perçues par les familles était illusoire, d’autant qu’un système équivalent a déjà été appliqué à partir de 1966, avant d’être supprimé en 2004 par la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance.
S’il existe bien 150 000 « décrocheurs » par an dans notre pays, ce n’est pas en pénalisant les familles défavorisées que nous attirerons les enfants concernés vers l’école.
En effet, il s’avère, malheureusement, que les sanctions administratives ont davantage touché les familles les plus fragiles. La méthode coercitive a prouvé une nouvelle fois son inefficacité.
Force est de constater, comme nous le redoutions, que l’usage du levier financier seul est parfaitement inapproprié pour inciter les jeunes à être présents.
Le dispositif prévu par la loi dite « Ciotti » est un échec. J’avais dit, à l’époque, que ce texte était pour moi hors sujet, car il reposait sur une hypothèse déviante, établissant un lien supposé entre l’absentéisme scolaire et la délinquance des jeunes, sans s’attaquer aux réelles causes du problème, qui sont d’ordre social, économique, culturel et psychologique.
Sur une période d’un an, 472 familles ont été sanctionnées. Si l’on y regarde de plus près, un autre inconvénient du dispositif Ciotti est d’avoir introduit une inégalité devant la loi puisque les sanctions n’ont pas pénalisé les familles de la même manière selon les académies.
Cette inégalité était inhérente au texte, car il existait déjà une différence d’application prévisible selon que les familles avaient un ou plusieurs enfants ou selon qu’elles étaient ou non tributaires des allocations familiales pour assurer leur quotidien.
Au cours de la concertation sur la refondation de l’école de la République, la création d’un référent dans les collèges et les lycées à fort taux d’absentéisme a été proposée. Mais il a également été envisagé d’apporter une réponse plus globale en préconisant, d’une part, la révision de l’orientation des élèves pour lui redonner du sens et la rendre plus attractive et, d’autre part, la limitation des redoublements, ce qui sera certainement plus constructif et efficace que les sanctions administratives.
Une étude menée par le centre d’analyse stratégique sur l’aide aux parents fait état des expériences menées à l’étranger, comme au Danemark ou aux Pays-Bas, où des centres sont spécialisés dans l’accompagnement global des parents. Leur succès doit nous inspirer. Je fais confiance au Gouvernement et à sa majorité pour redresser la trajectoire et l’orienter vers la réussite scolaire.
Le texte de la proposition de loi, modifié par la commission, donne la priorité à la prévention plutôt qu’à la sanction. En effet, le directeur de l’établissement pourra convoquer les parents de l’enfant et proposer des mesures d’accompagnement, qui prendront la forme d’un contrat dont la mise en œuvre sera suivie par un référent, conformément à l’engagement du Président de la République. Il pourra faire appel à toute la communauté éducative : enseignants, conseillers principaux d’éducation, psychologues et tous les acteurs qui interviennent dans le domaine de l’éducation. Les responsables légaux des enfants seront guidés et leurs enfants seront mieux pris en charge, notamment dans les lycées professionnels, qui sont les plus touchés. Ils pourront recevoir une réponse adaptée et individualisée.
La présente proposition de loi tire ainsi les leçons de l’échec de la lutte contre l’absentéisme Elle préconise de consentir les moyens matériels et surtout humains qui permettront de renforcer l’accompagnement scolaire personnalisé, le dialogue et la remédiation.
Les clefs du problème sont bien la prévention dès l’école primaire et la responsabilisation des parents. La lutte contre l’absentéisme scolaire doit s’inscrire dans le cadre d’une politique ambitieuse construite sur ces bases. C’est à ce prix que l’on viendra à bout de ce fléau.
Certes, l’école buissonnière n’est pas un phénomène nouveau. Mais les enfants concernés, de plus en plus jeunes et livrés à eux-mêmes, se retrouvent pris dans une spirale d’échec aux causes multiples. Le taux d’encadrement insuffisant et la suppression de postes spécifiques, comme les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, expliquent en grande partie, à mes yeux, cette dérive inquiétante.
Le droit à l’éducation est reconnu et appliqué dans notre pays ; il est donc de notre devoir d’éveiller les jeunes en leur redonnant le goût de l’apprentissage, mais aussi de sensibiliser les parents au suivi de la scolarité de leurs enfants. C’est l’esprit de ce texte.
Dans ces conditions, la très grande majorité des membres du RDSE soutiendra la présente proposition de loi, qui constitue, selon nous, la première pierre de la reconstruction de l’école de la République, une école publique laïque et obligatoire, une école que nous voulons plus forte et plus juste ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’inconvénient d’intervenir en quatrième position, surtout sur un texte aussi clair et limpide que celui que nous examinons aujourd’hui, est que toutes les paroles sensées, brillantes et intelligentes ont déjà été prononcées.
Je suis donc vouée à répéter ce qui a été dit avant moi, au risque, soit de ne pas retenir l’attention de mes collègues, soit de les ennuyer. Je tenterai néanmoins d’échapper à ces deux écueils.
J’essayerai de montrer en deux points pourquoi la loi Ciotti est une mauvaise solution à un vrai problème et comment la lutte contre l’absentéisme relève d’un dispositif beaucoup plus complexe et beaucoup plus solide que celui que cette loi prévoyait.
Mes collègues l’ont souligné, l’absentéisme est un phénomène grave, qui met en danger l’élève. Je rappellerai toutefois que l’absentéisme a malheureusement toujours existé. Simplement, jadis, on orientait l’élève, lequel, passif, était poussé vers une formation qui lui convenait ou non. Si l’orientation ne lui convenait pas, il quittait l’école, mais il entrait alors dans le monde du travail et il trouvait un emploi. L’absentéisme, alors, n’était pas forcément l’exclusion à vie ; il aboutissait simplement à une insertion rapide dans la vie active.
Aujourd’hui, avec le chômage que nous connaissons, l’absentéisme est une perte de chances massive pour le jeune qui, quels que soient son milieu social et la taille de sa fratrie, lui fait courir le risque de ne pas réussir à s’insérer dans la société.
M. Jacques Legendre. C’est vrai !
Mme Corinne Bouchoux. L’absentéisme a donc changé de nature et ses conséquences sont devenues beaucoup plus dramatiques.
Je comprends que les gouvernements précédents aient eu le souci de trouver des solutions, car les familles sont beaucoup plus angoissées qu’autrefois par l’absentéisme scolaire. Il faut dire que l’enjeu est majeur.
Nous le savons tous, si le gouvernement Raffarin a supprimé un dispositif qui ne fonctionnait pas correctement, était coûteux et ne constituait pas une bonne réponse, son rétablissement par une loi simpliste, voire – excusez-moi de le dire – simplette, s’inscrivait tout simplement dans une logique d’affichage, même si le but poursuivi était louable. Quoi qu’il en soit, en aucune façon, la loi Ciotti n’était en mesure d’apporter une réponse efficace à la grave question de l’absentéisme. Tous les éducateurs de ce pays, qu’ils soient de gauche, de droite, écologistes, savent que ce texte n’était pas une bonne solution, et ce pour une raison assez simple d’ailleurs : l’absentéisme est multifactoriel. J’irai même plus loin : il y a autant de causes à l’absentéisme qu’il y a d’enfants absents des classes ! C’est là toute la difficulté.
Force est de constater – et le législateur doit faire preuve d’humilité en l’occurrence – qu’une loi ne peut traiter à elle seule autant de problèmes.
Il faut refonder l’école et faire en sorte de ne laisser aucun enfant de côté. Comment une loi simple, qui en outre ne concernerait qu’une partie des absentéistes, qui n’aurait d’impact que sur les finances des familles et, par là, rendrait encore plus difficile la situation des plus démunies, comment une loi de ce type pourrait-elle être efficace ? Lorsque nous abordions le sujet dans les écoles, les collèges et les lycées, chacun convenait, toutes tendances politiques confondues, qu’une réponse simple et d’affichage ne pouvait pas permettre de traiter un problème de société aussi important.
Nous, écologistes, attendons énormément du rapport de la concertation Refondons l’école de la République. Nous pensons qu’il pose le vrai diagnostic et les vraies questions. Si la future loi est une loi généreuse, ce que nous souhaitons, si elle vise le bien-être à l’école et qu’elle prévoit de modifier, même si c’est difficile compte tenu de la très forte contrainte budgétaire, les rythmes de travail, de facto l’absentéisme devrait diminuer. En fait, cela a déjà été dit, l’absentéisme est le symptôme du mal-être à l’école. Or ce mal-être a mille et une causes.
Dès lors, il faut davantage prendre en compte les rythmes des enfants ; c’est vrai au primaire, mais c’est vrai également au collège. Il serait bon d’ouvrir ce difficile chantier, qui pourrait se dérouler sur une longue durée.
M. le rapporteur a évoqué une question que nous ne devons pas occulter, celle de la violence à l’école. Certes, il y a de la violence à l’école ; mais l’école elle-même est violente, car le cursus scolaire est un système qui exclut. Ce point doit être pris en compte. La commission de la culture a auditionné des personnes qui travaillent sur la gestion non violente des conflits, et les écologistes croient énormément en une approche de ce genre à l’école, en une gestion non violente des conflits entre tous les acteurs, les petits comme les grands. Nous croyons à la refondation de l’école et à l’instauration d’un dialogue serein.
Évidemment, la question du salaire des enseignants doit également être abordée. On nous parle souvent de l’Allemagne. Voyez quel est le salaire des enseignants outre-Rhin ! Comment voulez-vous que les enseignants français ne se sentent pas humiliés ? Cette question est très importante, d’autant qu’elle recouvre celle de la considération.
En ce qui concerne les rythmes scolaires, je le dis solennellement, les écologistes seraient extrêmement déçus, tout comme les parents et nombre d’enseignants, s’il ne ressortait de l’idée généreuse et ambitieuse qu’est la refondation de l’école que des ajustements à la marge, quelques quarts d’heure par-ci, quelques quarts d’heure par-là.
Je le dis à tous mes amis issus du monde de l’enseignement : la réforme qui va se faire jour est importante. Nous devons en prendre la mesure et tâcher tous d’œuvrer pour le bien commun, pour changer l’école, pour qu’elle devienne une école du bien-être et non une école de l’exclusion. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, malgré la loi du 28 mars 1882 imposant l’assiduité à l’école pour tous les élèves, il est à déplorer que l’absentéisme scolaire touche aujourd’hui plus de 300 000 élèves par an et concerne 3 % des collégiens, 6 % des lycéens et 15 % des lycéens professionnels.
L’absentéisme scolaire est un phénomène complexe dont les causes sont extrêmement diverses ; les élèves absents sont souvent ceux qui sont en échec scolaire de façon répétée et qui ont un parcours difficile dès l’école primaire.
Si le phénomène touche tous les milieux, il semble toutefois plus élevé chez les familles dont la situation est précaire, frappées par le chômage et allocataires de minima sociaux.
Ces familles doivent être aidées. Il n’est nullement question de les stigmatiser ou de les culpabiliser comme certains l’ont fait sur certaines travées.
Les parents sont et doivent rester les premiers acteurs de la socialisation et de la responsabilisation de leurs enfants ; ils ne doivent pas tout attendre de la société et de l’école, qui doit demeurer une structure organisée, et avant tout respectée.
L’absentéisme scolaire peut amener de nombreux élèves à la marginalisation, à l’exclusion, voire à la délinquance ; nous ne pouvons l’accepter pour l’avenir de notre jeunesse.
Attentifs à cette question, les pouvoirs publics ont tenté d’enrayer ce phénomène en établissant un lien entre attribution de prestations familiales et exercice du droit parental, système que vous souhaitez abroger aujourd’hui.
La suspension des allocations familiales ne date pas de la loi Ciotti, elle est un principe constant et ancien en droit français puisqu’elle fut prévue par l’ordonnance du 6 janvier 1959, dont le dispositif établissait un double mécanisme de sanctions pénales et administratives.
La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a supprimé l’échelon de sanction administrative en mettant en place le contrat de responsabilité parentale, le CRP. Or le dispositif a été peu mis en œuvre par les présidents de conseil général.
Selon les chiffres disponibles, moins d’une vingtaine de contrats de responsabilité parentale ont été signés à partir de 2006 et les caisses d’allocations familiales n’ont été saisies d’aucune demande de suspension.
C’est donc face à ce constat d’échec que la loi du 28 septembre 2010 a fait de la responsabilisation et de l’accompagnement des parents, qui sont et doivent demeurer les premiers éducateurs de leur enfant, je le rappelle, un élément-clé de la lutte contre l’absentéisme.
Cette loi a été votée pour endiguer l’augmentation des cas d’absentéisme scolaire en créant un dispositif gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner par la suspension des allocations familiales les parents dont les enfants auraient été absents à l’école de manière répétée et non justifiée.
Vous soulignez, monsieur le rapporteur, que ce dispositif est une solution purement répressive, le mode de traitement retenu étant la menace et la sanction des familles touchées.
Or il n’en est rien.
Le dispositif de suspension des allocations familiales doit être perçu comme une mesure de dissuasion visant à faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation pour leur enfant. Chacun le sait, c’est vraiment une sanction extrême.
La sanction administrative se veut plus dissuasive que punitive.
Mme Françoise Cartron. Cela ne marche pas !
Mme Colette Mélot. L’effet dissuasif de la convocation par l’inspection académique a été prouvé par le passé : le rapporteur de la proposition de loi, notre collègue Jean-Claude Carle, avait auditionné des représentants de l’académie de Créteil, qui estimaient que la moitié des 600 à 800 familles convoquées réglaient rapidement les problèmes d’assiduité scolaire.
La loi du 28 septembre 2010 fait donc de la responsabilisation des parents un élément clé de la lutte contre l’absentéisme. Certes, il y a des parents démunis et désemparés, qui doivent être accompagnés, mais aussi des parents démissionnaires. Leur responsabilisation est l’objet du dispositif que vous souhaitez abroger.
Vous voulez l’abrogation pure et simple du contrat de responsabilité parentale, tout comme celle de la suspension des allocations en cas d’absentéisme. À titre de nouvelle mesure, vous prônez la mobilisation des acteurs de terrain et de la communauté éducative au sens de l’article 111-3 du code de l’éducation. En cela, rien de neuf, puisque la loi prévoyait un accompagnement dans ou hors l’école ! S’il s’avérait utile de citer un panel d’intervenants, une simple circulaire suffirait.
Il aurait mieux valu évaluer le dispositif en place et, si nécessaire, l’améliorer.
C’est en cela que votre démarche est particulièrement choquante.
Mme Colette Mélot. Vous faites le bilan d’une loi que nous avons adoptée il y a deux ans sans même disposer d’une évaluation rigoureuse sur sa portée. Vous reconnaissez d’ailleurs vous-même la pauvreté des statistiques dont nous disposons.
M. Michel Le Scouarnec. Le dispositif actuel est injuste !
Mme Colette Mélot. Il est beaucoup trop tôt pour juger de l’efficacité de cette loi. Il serait plus sage, sur un sujet d’une telle importance, de prendre le temps de la réflexion et de l’analyse.
C’est pourquoi le groupe UMP s’opposera à l’abrogation de la loi du 28 septembre 2010. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Danielle Michel.
Mme Danielle Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2003, M. Christian Jacob, alors ministre délégué à la famille, intervenant ici même lors de l’examen de la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, disait : « Le droit en vigueur se caractérise par un dispositif administratif de suppression ou de suspension des prestations familiales, dont l’application s’est révélée à la fois inefficace et inéquitable. Elle est inéquitable d’abord parce qu’elle est contraire à la vocation des prestations familiales, qui est de compenser pour partie le coût de l’entretien de l’enfant, lequel reste le même quelle que soit l’assiduité scolaire. »
Tout avait déjà été dit, il y a près de dix ans, sur l’iniquité de cette mesure, réhabilitée en 2010 à la demande du Président de la République et sur l’initiative de M. Ciotti.
Cela a été rappelé, la suspension des allocations familiales, voire leur suppression, menace exclusivement les familles de milieux sociaux défavorisés, en particulier monoparentales et avec plusieurs enfants en charge. Soumises à une double peine, ces familles risquent alors de s’éloigner durablement d’une solution d’accompagnement pérenne.
Cette approche est d’autant plus contestable que, ces dernières années, des moyens considérables ont été enlevés à l’école, sur le plan tant quantitatif que qualitatif.
Alors que le facteur socioéconomique est le plus déterminant dans la poursuite des apprentissages en France, notre pays a le taux d’encadrement le plus bas dans l’enseignement primaire. C’est pourtant là où les inégalités sociales se transforment en inégalités scolaires. Or, nous le savons, l’absentéisme découle le plus souvent de l’échec scolaire.
Les manifestations de l’absentéisme, multiformes, si elles s’expriment surtout dans le secondaire, prennent racine dès le plus jeune âge. La priorité éducative est là !
Un grand texte sera bientôt présenté au Parlement.
Il visera à réattribuer des moyens à l’éducation prioritaire, sensiblement plus touchée par l’absentéisme.
Une priorité sera – enfin ! – donnée par ce texte à l’école maternelle et élémentaire afin de prévenir efficacement le décrochage.
Un véritable service de l’orientation territorialisé verra également le jour, en soutien à une orientation choisie, et non subie comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, notamment dans les lycées professionnels, où l’absentéisme lourd non justifié est trois fois plus élevé qu’en moyenne, comme cela a déjà été souligné.
Parce que l’école doit être un terrain pertinent de détection rapide et d’intervention ciblée, je soutiens pleinement l’amendement adopté en commission.
Cette mobilisation de la communauté éducative en cas d’absentéisme permettra une plus grande réactivité et un ciblage plus efficace, en associant pleinement les acteurs clés en fonction du diagnostic et en rapport avec la problématique de l’élève.
Mes chers collègues, si je soutiens cette proposition de loi, c’est parce qu’elle est opportune et équilibrée. Je voterai évidemment pour et vous invite à faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je félicite l’auteur de la proposition de loi, Mme Cartron, et me réjouis – le mot n’est pas trop fort – d’examiner ce texte, car il vise à abroger une loi profondément simpliste et injuste.
J’avais été très choqué que le député Éric Ciotti de propose sanctionner financièrement les parents d’enfants « absentéistes », ce qui revient à leur infliger une double peine.
Je suis convaincu que la prévention précoce de l’absentéisme, dès le primaire, peut briser la spirale de la marginalisation, ce que ne peut faire une mesure isolée profondément discriminatoire.
Il faut, en outre, tout faire pour maintenir le lien entre les enfants et l’école, l’Institution, avec un grand « i », qui offre une structure sociale, avec des règles, donc un carcan salutaire.
Cette institution me fait penser à ce beau mot d’ « instituteur », vocable aujourd'hui disparu. Quel dommage d’ailleurs !
M. Jacques-Bernard Magner. C’est vrai !
M. Roland Courteau. Il portait en lui beaucoup d’ambitions, tant celles de l’institution que celles du tuteur…
Il faut maintenir, coûte que coûte, le lien entre l’élève et l’école.
À cet égard, je me réjouis des mesures récemment annoncées par le Gouvernement contre le décrochage scolaire, notamment la mise en place d’un référent dans les collèges et les lycées professionnels à fort taux d’absentéisme.
Ce référent sera responsable de la prévention du décrochage, des signalements d’élèves qui sortent du système, des relations avec les parents des élèves concernés et, le cas échéant, de l’aide au retour dans l’établissement.
Oui, je le répète volontiers, l’absentéisme est un mal aux multiples causes qui ne saurait connaître un seul remède. Comment maintenir un texte qui, dans un simplisme outrancier, ignore totalement la complexité du phénomène de l’absentéisme ?
Difficultés d’apprentissage, orientation par défaut, problèmes psychologiques, violence subie à l’école, difficultés sociales, exercice dissimulé d’une activité professionnelle en parallèle des études, nécessité d’assumer des responsabilités familiales dans les familles décomposées ou recomposées, phobie scolaire : mes chers collègues, le visage d’un enfant ou d’un jeune absentéiste est multiple.
J’ajoute que, si le problème complexe de l’absentéisme pouvait être résolu par un seul texte de loi, ce ne serait certainement pas par l’instauration d’une sanction financière, mesure sans aucune visée pédagogique, qui affaiblit plus encore les ressources de la famille de l’enfant absentéiste et de l’enfant absentéiste lui-même !
Qui sanctionne-t-on au juste en effet ? Les détenteurs de l’autorité parentale ? Encore faut-il qu’elle existe et, quand elle existe, qu’elle puisse s’exprimer et être entendue !
Il peut aussi arriver que des parents ne perçoivent plus l’intérêt de l’école, le sens de son enseignement, car ils ont peut-être eux-mêmes subi des difficultés scolaires. Peut-être sont-ils eux-mêmes victimes d’exclusion sociale ou souffrent-ils d’isolement. Quel message leur enverrait-on ? Un message négatif, punitif, stigmatisant ? Les sanctionner ne ferait qu’aggraver leur méfiance envers l’école, voire le rejet qu’ils peuvent développer, et ne rétablirait en aucune façon une autorité parentale en faillite.
Le dispositif Ciotti accentue la marginalisation des familles en difficulté. À cet égard, je m’inquiète particulièrement pour les 30 % de femmes chefs de famille monoparentale qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et pour qui le prélèvement Ciotti pourrait être catastrophique.
Ce dernier est en outre doublement discriminatoire : d’une part, les familles avec un enfant unique, ne percevant pas d’allocations familiales, ne seraient pas pénalisées, contrairement aux familles nombreuses ; d’autre part, les enfants assidus de la fratrie seraient lésés injustement.
Enfin, mes chers collègues, la gratuité scolaire est un principe fondateur de l’école de la République. Pourquoi le ternir en utilisant l’argent comme un instrument de motivation ou de responsabilisation des élèves et de leurs parents ? Si l’obligation scolaire est son corollaire, elle ne se monnaye pas !
Les allocations familiales ne sont pas non plus la récompense d’une bonne éducation ; elles compensent pour partie le coût d’entretien d’un enfant, qu’il soit présent ou absent à l’école.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de voter aujourd'hui l’abrogation de la loi Ciotti. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous en sommes tous d’accord, l’absentéisme est un sujet préoccupant.
Il peut conduire au décrochage de l’élève dans des périodes vulnérables de son développement, celle de l’adolescence puis celle où il devient un jeune adulte. Parfois même, cette situation débouche sur la violence et la déviance, comme l’a souligné notre collègue Jean-Claude Carle dans plusieurs excellents rapports,…
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Sophie Primas. … notamment celui qu’a présenté en 2002 la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, dont il fut le président.
Les causes de l’absentéisme sont aussi nombreuses que diverses, et nous nous accordons tous ici pour dire qu’il n’existe pas un absentéisme mais des absentéismes.
Cette dimension polymorphe du phénomène complique son repérage. Elle en rend également difficile la mesure, car, s’il est vrai que l’absentéisme global augmente, il serait fort instructif pour nos réflexions de comprendre quel type d’absentéisme progresse.
Face à ce constat, la loi de septembre 2010 n’apporte naturellement pas « la » solution miracle à un ensemble de situations très diverses. Mais, madame la ministre, quel dispositif serait en mesure de le faire ? Existe-t-il un seul dispositif universel en la matière ?
M. David Assouline, rapporteur. Non !
Mme Sophie Primas. Lorsque cette proposition de loi a été examinée en juin 2010, j’étais députée. Très attentive aux débats qui se sont tenus, j’étais, à vrai dire, sensible aux arguments développés par mes collègues de droite et de gauche qui invoquaient, d’une part, l’importance du versement des allocations familiales pour certaines familles et, d’autre part, le fait qu’il ne fallait pas ajouter des difficultés financières à des situations sociales tendues.
Mais, mes chers collègues, j’ai voté cette proposition de loi et je ne le regrette pas.
J’ai voté cette proposition de loi, convaincue, lors du débat, que l’esprit de cette loi n’était pas l’application de la sanction mais, bien au contraire, la mise en place d’un dispositif permettant aux différents partenaires éducatifs d’instaurer un dialogue structuré avec les parents. (M. le rapporteur s’exclame.), dialogue que Mme Cartron et M. Assouline appellent, à juste titre, de leurs vœux.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Charles Revet. Voilà une bonne analyse !
Mme Sophie Primas. Tout est mis en œuvre pour éviter d’en arriver à la sanction temporaire.
Ce long processus permet aux parents de prendre ou de reprendre la main sur la scolarité et l’assiduité de leurs enfants.
Enfin, ce mécanisme donne toute sa place – il faut le souligner, car c’est un point important – à l’appréciation des situations par le directeur académique, en lien étroit avec les services sociaux et le chef d’établissement.
Je ne regrette pas mon vote, disais-je. En l’absence d’une évaluation nationale, sur laquelle nous nous entendons peu les uns et les autres, je souhaite mettre en lumière le cas de mon département, les Yvelines.
Dans ce département, les partenaires se sont globalement impliqués, des chefs d’établissement jusqu’à la CAF. Au niveau du collège, 1 171 signalements ont été réalisés et seulement treize suppressions effectives ont été prononcées, dont sept sont en cours d’exécution réelle.
Sept cas, c’est évidemment très peu, mais, plutôt que de montrer l’inefficacité de la sanction, cela prouve tout au contraire l’efficacité du dispositif de présanction.
Avec les chiffres que vous avez donnés, madame la ministre, soit 300 000 cas de signalements et 477 suppressions, nous en arrivons à un taux de suspension de 1,6 %, ce qui est finalement très faible.
Le dispositif de suspension des allocations familiales, mes chers collègues, doit être utilisé en tout dernier ressort : après un entretien approfondi avec les parents, après l’intervention du service social de l’établissement, après l’appréciation de l’inspecteur d’académie et après une prise en charge par les structures qui sont souvent mises en place par les collectivités territoriales – une initiative que je salue.
Je pense notamment aux clubs de prévention et aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, grâce auxquels certains de ces jeunes et leurs familles sont suivis, orientés et intégrés dans la vie locale par des équipes d’animateurs et d’acteurs sociaux.
À ce propos, j’en appelle, madame la ministre, à votre autorité pour que les services sociaux des établissements dialoguent en toute confiance, et sans réticence, avec les services sociaux territoriaux. Sur cette problématique, comme sur d’autres, la confidentialité sociale n’a que peu de sens. Tous les travailleurs sociaux doivent agir de conserve, en partageant les informations et en réfléchissant ensemble aux situations individuelles.
La loi du 28 septembre 2010 représente un des outils de la panoplie de solutions dont les académies et les chefs d’établissements doivent pouvoir disposer. Il faut faire confiance à ceux-ci pour choisir les outils les mieux adaptés et intervenir avec intelligence, discernement et humanisme sur des territoires et des situations variés. Donnons-leur les instruments et ils écriront la partition au tempo de leur expérience territoriale et éducative.
La suspension des allocations familiales n’est ni une fin en soi ni l’objectif recherché par cette loi. Elle constitue en toute fin de parcours un moyen de dissuasion, qui n’est fort heureusement devenu effectif que dans un nombre restreint de cas. L’objectif est d’abord l’instauration d’une responsabilisation active des parents, lorsqu’elle est jugée possible par le directeur d’académie.
Ce dispositif a permis à plus de 1 100 Yvelinois de rester sur le chemin du collège, ce qui est un grand succès. Ne nous privons pas de cette possibilité par pur dogmatisme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2002 et la terrible déconvenue présidentielle de Lionel Jospin en raison de son aveuglement sur l’explosion de la délinquance juvénile (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), on pensait la gauche vaccinée contre un certain angélisme…
M. David Assouline, rapporteur. Subtil !
M. François Grosdidier. … et une approche systématiquement idéologique des problèmes de délinquance et d’incivilité ainsi que des questions touchant aux rapports à l’autorité et au respect des devoirs. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Françoise Cartron. Quel dogmatisme !
M. Jeanny Lorgeoux. C’est très manichéen !
M. François Grosdidier. Je suis maire d’une ville située aux deux tiers en zone urbaine sensible, et donc en zone d’éducation prioritaire.
Je sais que l’absentéisme scolaire est un fléau, lourd de conséquences sociales et sociétales. Les premières victimes en sont bien évidemment les élèves, qui compromettent ainsi les chances d’insertion sociale et professionnelle qui leur sont offertes par la République.
L’absentéisme est souvent le facteur le plus important, ou au moins l’élément déclencheur, de l’échec personnel, parfois même de l’échec de toute une vie.
On a beau imaginer ensuite tous les systèmes de repêchage – j’ai créé dans ma petite ville la première école de la deuxième chance de la région –,…
M. Jeanny Lorgeoux. Bravo !
M. François Grosdidier. … il s’avère qu’on repêche peu et difficilement.
La rupture scolaire ajoute aussi aux difficultés des familles, qui se retrouvent sans solution pour leur enfant. Elle impacte aussi souvent le quartier, la ville et la société – seuls ceux qui, tels des autruches, ne veulent pas voir la réalité ne s’en rendent pas compte – puisque les jeunes désœuvrés, sans repère ni perspective, s’occupent autrement et passent souvent d’autant plus vite les stades de l’incivilité et de la délinquance.
Je ne parle pas dans le vide. Lorsque je vous dis cela, je pense à des familles de ma ville, à des jeunes que nous avons connus enfants. Si nous avons réussi à remettre certains d’entre eux dans le droit chemin, cela a toujours dépendu de notre capacité à les renvoyer à l’école, mais je souligne que c’est un résultat auquel nous ne sommes jamais parvenus sans une responsabilisation des jeunes et de leurs familles.
L’absentéisme est un phénomène massif : il touche 300 000 jeunes. Tous ne sont pas en situation d’absentéisme chronique, mais ceux qui le sont sont en danger et mettent souvent aussi en danger leur environnement.
Le taux d’absentéisme avait progressé de 50 %, donc très fortement, entre 2003 et 2007.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est une blague !
M. François Grosdidier. Cette augmentation montrait les limites des anciens dispositifs et la nécessité d’agir.
M. David Assouline, rapporteur. Vous insultez M. Raffarin !
M. François Grosdidier. L’ordonnance de 1959, qui est pourtant la « bible » intangible pour la gauche judiciaire, avait prévu un dispositif de sanctions liant l’attribution des prestations familiales à l’exercice de l’autorité parentale.
Seulement, ce système du tout ou rien était excessivement brutal ; il n’a donc jamais été appliqué. Nous sommes tous d’accord pour ne pas plonger les familles dans la détresse. Je pense notamment aux familles monoparentales dépassées par les plus grands de leurs enfants : on ne saurait priver les mères et les plus jeunes enfants de moyens de subsistance.
C'est la raison pour laquelle le dispositif n’était pas satisfaisant. On a voulu pallier ses faiblesses par la loi de 2006 pour l’égalité des chances, en remplaçant la sanction administrative par un contrat de responsabilité parentale.
Force est de reconnaître que les travailleurs sociaux des services sociaux des départements – et non pas les conseils généraux – ont refusé la mise en place de ce dernier dispositif, sujet dont j’ai souvent discuté de ce sujet avec des représentants de leurs syndicats professionnels. Peut-être est-ce dû à un problème de communication entre l’éducation nationale et eux ? Toujours est-il que, dans toute la France, moins d’une vingtaine de ces contrats ont été signés.
La loi d’Éric Ciotti a apporté des réponses concrètes à toutes ces faiblesses. Vous vous contredisez vous-mêmes en disant à la fois de cette loi que vous caricaturez qu’elle n’a pas été appliquée et que son application n’est pas satisfaisante.
Mme Françoise Cartron. Elle n’est pas appliquée parce que ce n’est pas une bonne réforme !
M. François Grosdidier. Elle organise un régime gradué de suspension des allocations familiales, relevant de l’inspecteur d’académie et non plus du président du conseil général.
Dans les faits, nous en sommes d’accord, l’absentéisme ne relève pas nécessairement de la responsabilité directe des parents, particulièrement d’un parent isolé, mais la procédure permet d’agir avec discernement. Quand vous dites que des allocations auraient été retirées à des familles dont les enfants ne seraient pas venus à l’école en raison de violences scolaires, vous êtes dans l’affabulation la plus totale ! Êtes-vous au moins capable de citer un seul exemple ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Au contraire, la loi permet une suspension seulement partielle des allocations, avec un véritable caractère incitatif, sans risque de plonger la famille dans la misère. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Du calme, monsieur Grosdidier !
M. François Grosdidier. Elle est d’autant plus incitative qu’elle permet aussi un rétablissement rétroactif des allocations suspendues s’il n’y a pas eu de nouvelles absences injustifiées après l’engagement de la procédure. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Vous n’aimez pas entendre les réalités du terrain, vous ne supportez pas d’écouter vos contradicteurs !
M. Michel Le Scouarnec. Restez calme, monsieur Grosdidier !
M. le président. Veuillez laisser parler l’orateur, mes chers collègues !
M. François Grosdidier. Certes, la loi actuelle ne règle pas tout. Le problème qui demeure, c’est que les « tuyaux » de l’éducation nationale sont trop longs. Souvent, les déclarations faites par les chefs d’établissement se perdent dans les méandres de l’inspection académique. Or, des mois, des trimestres perdus dans la vie d’un collégien ou d’un lycéen, c’est une éternité qui ne se rattrape plus !
Notre intérêt, c’est d’agir au plus vite. On peut agir plus vite, et je le fais d’ailleurs dans le cadre d’une autre structure que vous combattez : le conseil des droits et des devoirs des familles.
La loi que vous voulez abroger a permis de marquer des progrès considérables. Dès l’enclenchement de la procédure et à chaque étape, le contact établi avec la famille permet de dialoguer et, souvent, de dégager une solution, sans même qu’il soit besoin d’aller plus loin.
La convocation par l’inspection académique est efficace dans un cas sur deux en raison non seulement du caractère solennel de la procédure, mais également de la menace de sanctions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Nous savons tous qu’une obligation non sanctionnée est rarement respectée.
Le caractère gradué et progressif de la sanction permet de la mettre en œuvre au moment de la prise de conscience parentale. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Sur une question aussi difficile, personne – ni vous ni nous ! – ne peut prétendre détenir la solution idéale et définitive. L’article 5 de la loi tendait à prévoir l’évaluation des dispositifs de lutte contre l’absentéisme scolaire et d’accompagnement familial.
M. Claude Domeizel. Votre temps est écoulé !
M. François Grosdidier. Parallèlement, un comité de suivi composé de députés et de sénateurs devait formuler des recommandations.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François Grosdidier. Par idéologie (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), vous refusez l’idée même de responsabilisation, qui équivaut, selon vous, à de la stigmatisation. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Vous diluez la responsabilité de l’autorité publique en l’éclatant entre tous les services et en incluant même des parents dans le dispositif. Il n’est pourtant pas envisageable que d’autres parents puissent avoir connaissance de problèmes familiaux qui doivent rester dans la confidentialité.
Votre système ne donnera rien. En vérité, c’est uniquement par sectarisme que vous supprimez cette loi sans même l’avoir évaluée et sans apporter de véritables solutions de remplacement.
M. Claude Domeizel. Ce n’est pas vrai !
M. François Grosdidier. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, il vous faut défaire, quitte à laisser les problèmes entiers. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.) Votre approche est idéologique et elle n’aura comme résultat que l’impuissance publique ; la nôtre est pragmatique et guidée par un seul souci : l’efficacité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Guy Fischer. C’est la droite ultralibérale !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Mes chers collègues, je peux témoigner de la bonne ambiance au sein de la commission de la culture, ambiance qui demeure au fil de ses présidences et de ses majorités successives.
Bien que le dernier orateur soit membre de cette commission, nous ne l’avons pas vu depuis un an…
Mme Françoise Cartron. Absentéisme signalé !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. …et il n’a visiblement pas l’habitude du ton que nous employons dans nos échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Françoise Cartron. Bravo !
M. François Grosdidier. Monsieur le président, je demande la parole pour répondre à cette mise en cause personnelle !
M. le président. Mon cher collègue, en application du règlement, la parole pour un fait personnel ne peut être accordée qu’en fin de séance.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, on voit bien que, sur toutes les travées, le constat est partagé. S’agissant des solutions, tous – y compris à droite –, vous avez souligné qu’il importait avant tout d’identifier le problème, de parler avec les familles et de faire en sorte que ces dernières « se reprennent » elles-mêmes.
Les sénateurs de droite reconnaissent que le dispositif a en définitive été très peu utilisé, mais estiment qu’il joue le rôle d’une épée de Damoclès. Avec les sénateurs de la majorité, nous estimons, au contraire, qu’il n’a pas fait montre de son efficacité. Pour l’instant, nous devons conserver ce qui est manifestement efficace, c'est-à-dire la prise en compte des familles, avec lesquelles nous devons discuter pour signaler les difficultés et essayer de les traiter.
Sur l’essentiel, il me semble donc que nous sommes d’accord, tout comme, d’ailleurs, sur le fait qu’il n’y a pas eu d’évaluation. La difficulté venait du fait que les deux lois de M. Ciotti ont été en quelque sorte adoptées par « raccrocs » et qu’elles ne comportaient pas d’étude d’impact. Nous ne pouvions donc pas connaître le but recherché et l’effet attendu des dispositifs. Pour autant, les chiffres que nous avons cités sont, me semble-t-il, relativement éclairants.
De cette discussion intéressante, qui a montré la position des différents groupes de l’assemblée, ressort, me semble-t-il, l’opinion générale selon laquelle le problème est grave et mérite que nous nous y attelions. Dans le même temps, le débat n’a pas démontré l’utilité de la suspension des allocations familiales, mais au contraire plutôt conforté le bien-fondé de la proposition de loi de Mme Cartron. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Jean-Claude Carle et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l'absentéisme scolaire (n° 57, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la motion.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai été le rapporteur devant le Sénat de la loi Ciotti et je suis surpris que le débat soit rouvert prématurément en vue de supprimer ce que nous avions voté voilà deux ans.
Disposons-nous du recul suffisant pour cela ? Les chiffres que vous nous avez donnés, monsieur le rapporteur, permettent-ils de se faire une idée de l’application de la loi sur le terrain et de ses effets sur l’absentéisme ? La réponse est non.
D'ailleurs, vous le reconnaissez vous-même. Je cite votre rapport, page 12 : « Seuls des éléments purement quantitatifs d’application des dispositifs sont disponibles. Ils ne permettent pas de mesurer l’efficacité des mesures, ni de bénéficier d’une appréciation qualitative des situations familiales concernées ».
Pourquoi ne tirez-vous pas les conséquences de ce constat, en attendant une évaluation rigoureuse du dispositif ? « Dans le doute, abstiens-toi », dit le proverbe, qui devrait d’autant mieux s’appliquer que les premiers chiffres disponibles sont encourageants.
En effet, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance indique, sur l’année ayant suivi l’entrée en vigueur de la loi, une « baisse significative de l’absentéisme dans les lycées professionnels », c’est-à-dire là où l’absentéisme est traditionnellement fort.
Il me semble que ces premiers résultats devraient nous conduire à être attentifs à la parution des prochains chiffres ! Au contraire, vous balayez cette étude d’un revers de main en prétextant des fluctuations mensuelles « fréquentes ». Or, dans bien des cas, sans même qu’une procédure ait été engagée, la publicité qui a été faite autour du texte en 2010 a pu avoir un effet sur les parents ; cela doit être vérifié.
Il n’y a donc pas lieu de délibérer dès maintenant sur la suppression éventuelle du dispositif de la loi Ciotti, hormis pour des considérations idéologiques. Tel est le sens de notre motion.
Sur le plan juridique, il serait choquant d’abroger une loi sans avoir évalué ses effets. (Mme Françoise Cartron s’exclame.) Il est étonnant que M. le rapporteur ne le comprenne pas, lui qui est également le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Claude Carle. Il faut mesurer à la fois l’efficacité du dispositif et la réactivité de tous les acteurs ; je pense notamment aux caisses d’allocations familiales, pour lesquelles le problème se pose depuis très longtemps.
Sur le plan pratique, la question de l’absentéisme scolaire est trop importante pour nous priver d’un outil qui semble fonctionner. En effet, il faut combattre l’absentéisme scolaire par tous les moyens.
Vous avez raison de souligner la diversité des situations pouvant conduire les jeunes à déserter l’école, mais il faut toujours voir, dans l’absentéisme, un signal d’alarme.
Les jeunes qui s’excluent de l’école sont en danger, car la déscolarisation les prive de devenir professionnel et, hélas ! les rapproche dangereusement de la marginalisation. J’ai pu le constater, en 2002, en tant que rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.
L’absentéisme et le décrochage scolaire peuvent faire basculer vers la violence. Si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas – Dieu merci ! – des délinquants, une immense majorité de ces derniers n’a pas réussi à l’école.
Nous devons donc être conscients que, si on laisse le jeune choisir entre l’école et la rue, la rue l’emportera toujours !
Par conséquent, lorsque des absences répétées sont signalées, il faut agir rapidement, car ces dernières peuvent précéder des actes graves. Je me souviens d’une tentative de suicide et d’une tentative de meurtre qui s’étaient produites à Vaulx-en-Velin : dans les deux cas, le manque de prise en considération des absences avait empêché une prise en charge précoce.
Notre obligation est de donner les moyens de réagir à ceux qui peuvent détecter l’absentéisme. À cet égard, la loi Ciotti confie un rôle à la fois à l’école et aux parents.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez beaucoup reproché au texte sa fonction punitive à l’égard des parents. Vous semblez nier que ces derniers aient une responsabilité considérable dans l’assiduité de leurs enfants ! Ne sont-ils pas les premiers éducateurs ? Il s’agit non pas de leur faire un procès, mais de recourir à eux pour que le jeune retrouve le chemin de l’école. La sanction, qui vise à les responsabiliser et non à les stigmatiser, est l’ultime étape d’un processus engagé pour dialoguer avec eux et trouver des solutions.
Dans sa dernière étude, intitulée « Aider les parents à être parents », le Conseil d’analyse stratégique, que vous citez à la fin de votre rapport, monsieur le rapporteur, évoque le développement de dispositifs ayant recours à la sanction ou à l’incitation financière. Il conclut que le succès de ces dispositifs est proportionnel à « l’intensité et [à] la qualité des services d’accompagnement » et à « l’utilisation avec justesse et parcimonie des sanctions ».
Or, avec la loi Ciotti, nous sommes exactement dans ce cadre. La sanction n’intervient que dans l’hypothèse où les parents se désengagent complètement de leurs devoirs. En effet, le dispositif de la loi est gradué et réversible.
Il fait se succéder plusieurs étapes, avec, tout d’abord, le signalement par le chef d’établissement de la situation d’absentéisme, puis un avertissement par l’inspecteur d’académie, puis la suspension des allocations familiales et, en dernier ressort seulement, la suppression des allocations familiales.
Les prestations familiales sont restituées si l’élève est à nouveau assidu. La suppression des allocations n’intervient que si la situation d’absentéisme perdure. Nous sommes alors dans le cas de figure, heureusement minoritaire, de parents irresponsables, sourds aux avertissements.
Est-il anormal de faire savoir à ces derniers qu’ils ont des devoirs et que la société n’entend pas accepter leur désertion dans l’éducation de leurs enfants ? Le risque de suspension des allocations est l’électrochoc qui va permettre leur réaction. À chaque étape, la famille est entendue et des solutions sont recherchées. Si, malgré tout, les parents refusent le dialogue, nous ne craignons pas de dire qu’il faut sanctionner ces comportements – je le répète, très peu fréquents.
Il est urgent de responsabiliser les parents démissionnaires grâce à des mesures fermes et assumées. Revenir en arrière en annonçant l’annulation de toute sanction serait un très mauvais message envoyé aux familles.
Le plus souvent, ces dernières se sentent désarmées : les parents ne savent pas comment réagir face à l’enfant qui sort des clous. À cet égard, je regrette que vous passiez sous silence ce qui est pourtant l’objectif principal de la loi Ciotti : aller à la rencontre des parents (M. David Assouline s’esclaffe),…
M. Guy Fischer. Avec un bâton !
Mme Françoise Cartron. Tel est précisément le sens de notre amendement !
M. Jean-Claude Carle. … tâcher de trouver avec eux des solutions, leur faire connaître les structures d’aide existantes, leur proposer un contrat de responsabilité parentale. Je le répète : à chaque étape, les parents reçoivent une information précise sur les mesures d’accompagnement qui peuvent être mises en œuvre pour les aider à restaurer leur autorité parentale.
L’accompagnement des parents est essentiel. Telle est ma conviction, que j’ai défendue lorsque je rapportais la loi Ciotti. J’estimais qu’il était primordial de conjuguer sanction et éducation dans le dispositif. D’ailleurs, à ma demande, Éric Ciotti avait déposé un amendement à la version initiale de son texte, amendement dont l’objet était qu’un dialogue entre parents et communauté éducative soit également engagé en amont, alors que notre époque tend à distendre les liens entre eux.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Ainsi, la loi promulguée énonce que le projet d’école et le règlement intérieur doivent être présentés aux parents d’un nouvel écolier afin de nouer une relation de confiance entre les parents et l’école. Sans cette disposition, je n’aurais pas voté le texte initial.
À ce propos, je remarque que l’objet de l’amendement présenté en commission par le rapporteur est déjà satisfait.
Mme Françoise Cartron. C’est ce que vous dites !
M. Jean-Claude Carle. En ouvrant l’accompagnement à un large panel d’acteurs, cet amendement ne fait que complexifier le dispositif existant, en le transformant en une usine à gaz.
Mme Françoise Cartron. Mais non !
M. Jean-Claude Carle. Comme je l’ai déjà dit, les cas d’absentéisme demandent une prise en charge rapide et de proximité au sein de l’école. Ce n’est pas en multipliant les acteurs et en inscrivant dans la loi toutes les personnes susceptibles d’intervenir que nous aiderons les familles. Cela ne me semble pas nécessaire, l’expérience du terrain montrant que les parents sont déjà aiguillés vers les services pouvant les aider, dans le système éducatif et en dehors de celui-ci.
Madame la ministre, si le besoin de préciser les choses se faisait sentir, une simple circulaire suffirait ! Bref, les nouvelles dispositions viennent ajouter une précision dont on peut mettre en doute l’utilité.
Monsieur Assouline, je pense que vous avez déposé cet amendement parce que vous aviez bien compris que le projet d’abroger purement et simplement la loi Ciotti était un peu juste ! Il vous fallait vous protéger de l’accusation légitime que nous allions vous faire, celle de ne rien proposer.
Votre nouvelle procédure d’accompagnement et de suivi a donc valeur de symbole. Elle n’a d’autre intérêt que de complexifier d’avantage !
À cet égard, je regrette que la majorité actuelle se cantonne à détricoter les lois votées par la précédente. La gauche annonçait des réformes d’envergure dans un esprit de concertation et de démarche constructive ; elle ne fait que supprimer, sans avoir une idée nouvelle, en s’en tenant aux symboles. Et quels symboles !
Tout d’abord, abroger la loi Ciotti revient à déresponsabiliser les parents. Vous envoyez ainsi un bien mauvais signal, tant à la communauté éducative qu’aux parents !
Autre symbole : la semaine dernière, dans les médias, M. Peillon prônait la dépénalisation du haschich. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline, rapporteur. C’est un mensonge !
M. Jean-Claude Carle. En faisant cette déclaration, il a oublié qu’il était le ministre de l’éducation et qu’il se voulait le tenant de l’enseignement d’une « morale laïque » aux élèves du primaire, leur permettant de distinguer entre le bien et le mal.
Mes chers collègues, ces déclarations m’interpellent !
M. David Assouline, rapporteur. Soyons sérieux !
M. Jean-Claude Carle. En conclusion, on voit bien ce qui nous différencie : pour vous, la société décide du destin de la personne ; elle est l’excuse permanente. Pour nous, la personne est libre et responsable.
M. Philippe Kaltenbach. Caricature !
M. David Assouline, rapporteur. Avec vous, la société n’est responsable de rien !
M. Jean-Claude Carle. La personne a des droits mais elle a aussi des devoirs. Vous excusez, alors que nous voulons responsabiliser.
M. Bernard Fournier. C’est très différent !
M. Jean-Claude Carle. La loi de 2010 est essentielle, car elle vise à responsabiliser les parents, ce dont notre société actuelle a besoin.
Par conséquent, notre groupe ne peut accepter un texte qui vise à déresponsabiliser et à excuser les parents, mais aussi à abroger une loi tout simplement parce qu’elle a été conçue par la majorité précédente. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, contre la motion.
Mme Françoise Cartron. Dans son intervention, M. Carle a développé un argumentaire autour de deux axes majeurs.
Premièrement, il évoque un manque apparent d’évaluation de la loi Ciotti et voit de la précipitation dans notre démarche visant à l’abroger.
Pour ce qui concerne l’évaluation, alors que la loi Ciotti visait à lutter contre l’absentéisme scolaire, ce dernier a augmenté depuis son entrée en vigueur, passant de 4,3 % à 5,1 % d’absents ! J’ignore si cette augmentation est ou non significative. En tout cas, si vous y voyez une preuve d’efficacité, c’est que nous n’avons pas les mêmes critères !
M. Philippe Kaltenbach. Très bien !
Mme Françoise Cartron. De la même manière, lorsque le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait aboli l’ancien dispositif de suspension ou de suppression du versement aux parents des prestations familiales en cas de manquements à l'obligation scolaire, c’était à l’issue de quarante années d’existence et donc d’inefficacité de ce dispositif.
M. Ciotti n’avait qu’une idée en tête : revenir à ce système qui ne marchait pas !
Pour ma part, je crois qu’il est justement de notre devoir de ne pas nous laisser aveugler dans ce débat, qui est véritablement idéologique.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme Françoise Cartron. M. Carle a beaucoup parlé de la responsabilisation des parents et du fait que nous serions en train de les absoudre.
Je pose la question : lorsqu’un enfant est orienté dans une section qui ne lui convient pas, le parent est-il comptable de cette orientation par défaut, qui conduit justement à un décrochage ?
Par ailleurs, on le sait, l’absentéisme est plus fort dans les territoires difficiles et notamment dans les « zones sensibles urbaines », mais les parents sont-ils responsables de la suppression massive de postes mise en œuvre par le précédent gouvernement ? Sont-ils responsables quand un professeur n’est pas remplacé, justement parce qu’en cinq ans 80 000 postes ont été supprimés ?
M. Guy Fischer. Eh oui ! Allez voir aux Minguettes !
Mme Françoise Cartron. Est-ce que ce sont les parents qui doivent-ils être pénalisés alors qu’il est évident que, lorsque les professeurs sont en nombre insuffisant au collège qu’ils ne sont pas remplacés, c’est en définitive l’éducation nationale qui donne le mauvais exemple ? En effet, puisque le professeur peut être absent, pourquoi l’élève ne le serait-il pas à son tour ?
Pour ma part, je considère que, lorsque l’on a soutenu un gouvernement favorable à des coupes claires de postes dans l’enseignement,…
Mmes Michelle Meunier et Gisèle Printz. Eh oui !
Mme Françoise Cartron. … on est très mal placé pour parler de déresponsabilisation des parents (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)…
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
Mme Françoise Cartron. … et pour déclarer que ceux-ci sont coupables d’une situation dans laquelle ils ne sont pour rien !
M. Philippe Kaltenbach. Très bien !
Mme Françoise Cartron. En agissant, comme nous le faisons, sur les deux bouts de la chaîne, non seulement nous ne faisons pas preuve de laxisme, mais encore nous faisons preuve de responsabilité.
En créant en urgence mille postes lors de la dernière rentrée, Vincent Peillon fait preuve lui aussi de responsabilité et adresse un signal positif aux enseignants et aux parents.
Par ailleurs, en indiquant que la lutte contre l'échec scolaire sera le premier objectif de la future loi de refondation de l’école et que des moyens seront débloqués à cette fin, le ministre traite, à la place qui est la sienne, ce problème de l’absentéisme et du décrochage des élèves.
J’ai bien conscience que nous ne vivons pas dans un monde pur et parfait pas plus que je ne rêve, comme je l’ai dit en commission, au pays de Candy, mais si des parents n’assument pas leurs responsabilités – c’est une réalité –, voire maltraitent leurs enfants, alors la loi pénale doit s’appliquer.
Mme Cécile Cukierman. Exact !
Mme Françoise Cartron. Il n’est aucunement dans notre intention de tout permettre, de tout autoriser, mais analysons les vraies raisons de l'absentéisme scolaire.
Vraiment, quand on sait comment l’ancienne majorité a fait souffrir l'école pendant cinq ans, le groupe UMP est très mal inspiré de vouloir faire souffrir à nouveau les parents aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Mme Cartron a tout dit.
Le seul argument qui est opposé à l’abrogation de la loi Ciotti est l’absence d’évaluation. On sait pourtant que, pendant les quarante années durant lesquelles un dispositif identique a été en vigueur, entre 6 000 et 7 000 familles ont été sanctionnées chaque année sans aucun effet sur l’absentéisme.
Finalement, c’est M. Raffarin qui aura dressé le principal réquisitoire contre le dispositif rétabli par M. Ciotti quand il l’a supprimé parce qu’il le jugeait totalement inefficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. L’adoption de la question préalable, position défendue à l’instant par M. Carle, ne répondrait aucunement au problème que nous traitons aujourd’hui.
Monsieur le sénateur, vous affirmez qu’abroger la loi Ciotti ne réglerait rien et ajoutez même que refuser de suspendre les allocations familiales reviendrait, en quelque sorte, à encourager l'absentéisme ou à favoriser le laxisme des parents.
Permettez-moi de vous dire que l'éducation nationale ne se résoudra jamais à accepter l'absentéisme ; simplement, nous considérons qu’il existe d’autres moyens pour lutter contre celui-ci.
Comme l’ont très bien souligné certains orateurs, les causes de l'absentéisme sont diverses et nous essayons de les traiter dès que nous les identifions.
Par exemple, certains enfants qui ont été mal orientés peuvent entretenir une relation conflictuelle avec tel ou tel professeur et déserter son cours. C'est pourquoi nous avons mis en place des ateliers relais pour accueillir un temps donné ces élèves afin de leur permettre de poursuivre leur apprentissage, mais aussi de les faire réfléchir sur le sens de la sanction et sur un certain nombre de règles de vie en société.
De même, nous offrons aux enfants qui ne fréquenteraient plus du tout leur établissement scolaire la possibilité de poursuivre leurs études selon d’autres méthodes pédagogiques. Je pense en particulier aux microlycées, structures légères au sein desquelles les jeunes, constituées en petites équipes, se voient dispenser un enseignement selon des méthodes pédagogiques qui leur sont plus adaptées.
Marquer son désaccord avec la loi Ciotti, qui a créé une procédure inefficace, ne signifie pas baisser les bras face à l'échec scolaire. Le cas échéant, ce serait renoncer à un volet essentiel de notre action.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous nous dites ne pas comprendre les raisons pour lesquelles n’a pas été menée une concertation plus approfondie sur les actions qu’il conviendrait d’engager. Mais je vous rappelle que celle-ci a eu lieu : elle a duré plusieurs mois, associant un nombre important d’acteurs, de structures et d’associations s'intéressant à l'école. Elle débouchera sur un projet de loi de refondation de l’école, aujourd'hui en préparation.
Par conséquent, il est faux de prétendre que nous nous contentons d’abroger la loi Ciotti. Non seulement, comme je viens de le rappeler, nous travaillons sur un projet de loi, mais encore, dans la mesure où tout n’a pas vocation à trouver une traduction législative, nous préparons un certain nombre de dispositifs réglementaires.
Nous ne laisserons pas les choses en l'état, rassurez-vous.
Enfin, je tiens à protester contre la manière quelque peu désinvolte, caricaturale, avec laquelle vous avez fait état des propos de Vincent Peillon. Le fait qu’un certain nombre de jeunes souffrent d’addictions est effectivement un phénomène préoccupant, d’autant que celles-ci sont souvent l’une des causes du décrochage scolaire. De fait, la lutte contre celui-ci passe par une lutte résolue contre les addictions, notamment celle au cannabis.
Élue d'un quartier populaire, je vous ferai remarquer que, si la majorité précédente avait gagné la lutte contre le cannabis, cela se saurait ! Je vois les jeunes au pied des immeubles, j’observe les trafics. Par conséquent, s’il est un sujet sur lequel la majorité précédente n’a pas de leçons à donner, c'est bien celui de la lutte contre les addictions, dans la mesure où elle a échoué dans ce domaine.
Nous devons tous nous mobiliser sur ce problème grave, parce qu'il concerne notre jeunesse. Lorsque le ministre de l'éducation nationale nous invite, les uns et les autres, à y réfléchir, il est un peu facile de se monter sarcastique, d’autant que vous n'avez guère brillé par votre réussite. Ce sujet doit nous préoccuper tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Aujourd'hui, nous traitons un sujet précis, à savoir la lutte contre l'absentéisme scolaire. Tenons-nous-y et essayons de trouver ensemble de vraies solutions à ce problème préoccupant. Mais, je vous en prie, cessons-en avec les caricatures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord, l’absentéisme scolaire est un mal qu’il faut absolument guérir. Le débat porte sur les moyens d’y parvenir. Au-delà des clichés et des accusations de laxisme, c’est l’analyse des causes et la recherche du traitement qui font apparaître les divergences.
Subordonner l’attribution des allocations familiales à l’assiduité des enfants, c’est affirmer que l’argent est un moteur plus puissant que le désir d’assurer l’avenir d’un enfant.
L’école n’est pas un privilège ; elle est un droit formidable dont tout enfant doit profiter au maximum pour devenir une femme, un homme, un citoyen. C’est la porte grande ouverte sur le futur, c’est le passeport pour l’avenir. Et c’est à l’école que doivent être redonnés les moyens de traiter l’absentéisme scolaire.
La loi Ciotti est apparue injuste : elle a contribué à stigmatiser les familles les plus modestes, à précariser les plus fragiles. Cette loi est apparue injuste, car ses auteurs se sont donné bonne conscience en rejetant la responsabilité sur les parents. Elle a déplacé le problème du collectif vers l’individuel alors que c’est l’affaiblissement du système éducatif qui engendre l’absentéisme.
Pour lutter efficacement contre l’absentéisme, recherchons plutôt des solutions, et non des sanctions. Cela implique de redonner tout son sens à l’enseignement scolaire et de réveiller l’envie d’école.
Cela passe par l’élaboration d’une charte de qualité pour des écoles, des collèges et des lycées accueillants, qui deviendraient les vraies maisons des élèves.
Depuis quelques mois, des mesures ont été prises, dans l’urgence, afin que l’école redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. C’est le but du grand chantier en cours sur la refondation de l’école engagé par le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon.
Pour nous, lutter contre l’absentéisme scolaire ne peut pas rimer avec suppression, répression, sanction et démolition du service public. Pour nous, lutter contre l’absentéisme scolaire, c’est choisir la prévention, l’attention, la médiation. Nous voulons prévenir plutôt que guérir, protéger plutôt que punir.
C’est pourquoi il faut abroger cette loi simpliste qui ne règle rien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Certains m'ont reproché le ton vif de ma dernière intervention. Celle-ci était à la hauteur…
M. David Assouline, rapporteur. De votre absentéisme !
M. François Grosdidier. … de l'enjeu et traduisait la sincérité d’un maire qui sait que l’adoption de cette proposition de loi aura pour conséquence de lui retirer un outil efficace de lutte contre l'absentéisme scolaire.
Les socialistes et leurs alliés ici font de l'idéologie et en reviennent à ce choix entre le tout-préventif et le tout-répressif, ce dont je les croyais sortis. C'est souvent la menace de sanctions…
Mme Françoise Cartron. Qui a bien marché !
M. François Grosdidier. … accompagnées de phases de dialogue qui permet de recadrer les personnes, jeunes ou moins jeunes, que l'on veut remettre sur le chemin de l'insertion, voire de l'intégration.
Ce choix du tout-préventif, ce refus de toute sanction et cette dénonciation de toute responsabilisation, assimilée à de la stigmatisation, sont un formidable recul.
Si mon ton est vif, c'est parce que je sais que cette proposition de loi aura des conséquences fâcheuses pour les familles et les jeunes de ma commune.
Aussi vif qu’ait pu être celui-ci, cela ne vous autorisait pas, madame la présidente de la commission, à me mettre en cause personnellement.
Vous y étiez d'autant moins autorisée que vous n'avez pas eu la courtoisie de préciser que, en début de mandat, j’avais pris le soin de vous informer que mon groupe m'avait imposé de siéger au sein d’une commission qui était non pas mon premier, ni mon second, ni mon troisième, ni même mon quatrième choix, mais mon dernier choix !
Mme Françoise Cartron. Une orientation subie génère l’absentéisme ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Grosdidier. Même si vous n’y étiez pour rien, vous en aviez pris acte.
Membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, j’y suis très assidu. En revanche, dès le début de mon mandat, je vous avais fait savoir, madame la présidente de la commission, que je ne siégerais pas au sein de celle-ci et que je comptais aborder cette question avec mon président de groupe. Vous n’en aviez pas été choquée et m'aviez même dit comprendre cette situation.
Il est assez rare que, pour traiter des problèmes de fond, quel que soit le ton utilisé, un président de commission mette en cause personnellement un collègue. Cela me paraît d'autant moins excusable que vous connaissiez les raisons de fond.
Maintenant, si vous jugez absolument indispensable que je vienne exprimer mon opposition au sein de la commission, je vous promets de revoir ma position ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 6 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 173 |
Pour l’adoption | 168 |
Contre | 176 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
I. - Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa de l’article L. 131-6, les mots « en application de l’article L. 131-8 » et les mots « en application du même article » sont supprimés ;
2° Au troisième alinéa de l’article L. 131-8, les mots « administratives et » sont supprimés ;
3° Les sixième à douzième alinéas de l’article L. 131-8 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de persistance du défaut d’assiduité, le directeur de l’établissement d’enseignement réunit les membres concernés de la communauté éducative, au sens de l’article L. 111-3, afin de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés avec celles-ci. Un enseignant est désigné pour suivre les mesures mises en œuvre au sein de l’établissement d’enseignement.
II. - Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 222-4-1 est abrogé ;
2° Le dernier alinéa de l’article L. 262-3 est supprimé.
III. - Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 552-3 est abrogé ;
2° L’article L. 552-3-1 est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Remplacer le mot :
enseignant
par les mots :
personnel d'éducation référent
La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement vise à ouvrir, au sein de la communauté éducative, à d'autres personnels que les enseignants la possibilité d'être désignés au sein de l'établissement pour suivre les questions relatives à l’absentéisme.
Les conseillers principaux d'éducation chargés de la vie scolaire pourront, notamment, être nommés comme référents.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, car c’est le conseiller principal d’éducation qui joue généralement le rôle de référent en cas d’absentéisme.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
4° Après les mots : « aux dispositions du présent chapitre », la fin de l’article L. 131-9 est supprimée.
La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, étrange débat, parfois marqué par des déchirements et des polémiques, dont nous aurions été sages de faire l’économie !
Je suis persuadé que nous avons tous le désir très fort de limiter au maximum l’absentéisme, car nous savons bien qu’un élève absentéiste est un élève qui décroche et peut même être gagné par la délinquance, même si je ne lie évidemment pas absentéisme et délinquance. Dans tous les cas, c’est un élève en danger, et le devoir de tous est de l’aider à sortir de cette situation.
Depuis toujours, des tentatives ont été faites, d’une part, pour faire face à l’absentéisme – déjà, la loi du 28 mars 1882, qui a érigé l’obligation scolaire en principe républicain, liait celle-ci à la lutte contre l’absentéisme – et, d’autre part, pour responsabiliser l’ensemble du corps social et plus particulièrement les parents, qui sont évidemment les premiers concernés.
Le principe de l’obligation scolaire a été réaffirmé et sa mise en œuvre actualisée dans l’ordonnance du 6 janvier 1959.
Sous le gouvernement de M. Raffarin, de nouvelles propositions sont formulées, notamment par le ministre de l’éducation nationale d’alors, M. Ferry et, dans le cadre du plan de cohésion sociale, par M. Borloo, dans une approche pragmatique. Un système de contrats passés entre les familles et les services de l’État est mis en place.
Nous avons constaté que peu de ces contrats été passés et que l’absentéisme, lui, continuait à progresser, d’où une nouvelle tentative, cette fois sur l’initiative de M. Éric Ciotti, qui, en tant que président de conseil général, a aussi une expérience dans ce domaine.
C’est ainsi qu’a été mis en place un dispositif gradué, dont l’objectif n’est évidemment pas de supprimer les allocations familiales – sur ces travées aussi, nous convenons tous de leur nécessité et nous ne voulons pas en priver les familles ! –, mais de bien faire comprendre aux parents que, s’ils ne prennent pas, aux côtés de tous ceux qui sont prêts à les accompagner, leur part dans l’éducation de leurs enfants, ils seront sous la menace, mais en ultime recours seulement – ultima ratio, comme on disait dans le temps –, d’une interruption du versement de ces allocations.
Mes chers collègues, je suis étonné que certains aient invoqué, pour critiquer ce dispositif, le très faible nombre de suspensions ou de suppressions. C’est heureux ! L’objectif n’est absolument pas, je le répète, de supprimer les allocations familiales, mais de remettre les enfants à l’école, qu’ils n’auraient jamais dû quitter !
J’ajoute, n’en déplaise à Mme Cartron et à M. Assouline, que ce dispositif a seulement deux ans puisqu’il est issu d’une loi de septembre 2010. Le Gouvernement préparant un texte dit de refondation de l’école, il aurait été parfaitement normal que, comme dans la loi de 1882, soient présentées dans ce texte de nouvelles mesures pour faire face à l’absentéisme. Contre ce fléau aux origines, en effet, très diverses, vous auriez peut-être pu présenter alors un dispositif différent, mais au moins aurions-nous eu le temps, avant que le texte ne vienne en discussion, de faire le bilan de l’application de la loi Ciotti.
Actuellement, il n’y a pas de bilan exact et incontesté de cette loi. Le comité d’évaluation prévu n’avait pas encore été mis en place. Il aurait été parfaitement légitime de votre part de l’installer, de constater ses résultats et d’appuyer ensuite, éventuellement, de nouvelles propositions sur ceux-ci.
Au lieu de cela, nous débattons aujourd’hui, parfois même en nous déchirant, alors que nous sommes tous évidemment d’accord pour préserver dans toute la mesure du possible les allocations familiales et pour faire en sorte que les enfants aillent à l’école.
Mes chers collègues, nous ne voterons pas la présente proposition de loi.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. On avait compris !
M. Jacques Legendre. Nous ne prendrons pas la responsabilité d’abroger le dispositif en vigueur qui, pas plus que le dispositif mis en place par M. Raffarin ou que les précédents, n’est parfait, mais qui, parce qu’il aurait tout de même permis de sauver certains enfants, aurait été utile.
Je demande à chacun de bien réfléchir. Nous avions le temps de travailler ensemble à la recherche d’un dispositif pérenne et efficace. Vous avez préféré que le débat ait lieu dans le cadre d’une niche parlementaire, dans un temps contraint et alors que nous ne disposons pas véritablement d’un bilan de la situation actuelle. Nous l’avons dit, nous ne prendrons pas la responsabilité de cette abrogation à la hussarde et nous vous mettons en garde contre ce qui nous paraît être une erreur dont les premières victimes seront les jeunes que nous voulons protéger ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de l'UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 172 |
Pour l’adoption | 174 |
Contre | 168 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
4
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 24 octobre, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel établissant la conformité à la Constitution de la loi portant création des emplois d’avenir.
Acte est donné de cette communication. (Exclamations et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
5
Journée nationale en mémoire des victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (proposition de loi n° 188 [2001-2002], texte de la commission n° 61, rapport n° 60.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, qui vise à reconnaître la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Le travail de mémoire est une nécessité, vous le savez bien. Plus encore, il est pour moi une exigence et une responsabilité pour assurer la cohésion du pays. C’est en particulier le cas pour ce qui concerne les drames d’Afrique du Nord, qui, de par leur proximité temporelle, sont encore autant de réminiscences douloureuses et de plaies ouvertes qu’il incombe aujourd’hui à la nation d’apaiser et, progressivement, calmement et collectivement, de cicatriser.
MM. Yvon Collin et Robert Tropeano. Très bien !
M. Kader Arif, ministre délégué. Cette démarche est une des priorités du Gouvernement.
Elle est à la base du sentiment d’appartenance à la communauté nationale de tous les Français, car elle participe à la connaissance et à la compréhension de leur propre histoire.
Elle est à la source de leur citoyenneté et de leur sentiment d’appartenance à la République, sentiment que les moments commémoratifs doivent contribuer à entretenir, via l’indispensable ritualisation d’un passé commun.
La représentation nationale a pris l’initiative d’examiner et de débattre des termes de cette ritualisation, afin de déterminer de quelle manière les Français, nos concitoyens, seront invités à se souvenir.
La question est naturellement complexe. Elle impose à chacun de faire un pas en avant, et non un pas de côté, afin d’écouter et de comprendre les attentes et les préoccupations des mondes combattant et civil dans toute leur diversité. Je songe naturellement aux appelés du contingent, qui ont accueilli avec soulagement la fin officielle des hostilités. Je songe aux harkis, qui ont cru en la France, qui se sont battus pour elle et qui, pour nombre d’entre eux, ont versé un lourd tribut pour leur engagement.
M. Pierre Charon. C’est certain !
M. Kader Arif, ministre délégué. Je n’oublie pas les civils, qui sont aussi les victimes des périodes sombres de fin de conflit.
Cette situation fondamentalement sensible appelle un dialogue ouvert et respectueux entre les représentants de la nation, afin de dépasser les oppositions stériles et de tourner définitivement la page des querelles politiques internes, tout particulièrement pour ce qui concerne la guerre d’Algérie.
Il en va de la capacité de notre pays à inscrire le souvenir douloureux de ces conflits en Afrique du Nord dans le calendrier commémoratif du XXIe siècle, afin que les Français puissent regarder leur passé en face, sans culpabilité ni autre forme de repentance, dans le respect de toutes les victimes, et qu’ils puissent faire de cette mémoire collective une pierre angulaire de leur histoire, indispensable pour construire ensemble un avenir commun.
Je le sais, la représentation nationale est parfaitement consciente de ces enjeux et de la responsabilité qui est la sienne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre honorable chambre est par essence celle de la réflexion, du discernement et de la mesure ; elle est celle de la pondération et de la sagesse.
C’est à cette sagesse que je me remets aujourd’hui, dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons à débattre de la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie par la nation.
Une proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002.
M. Marcel-Pierre Cléach. Voilà dix ans !
M. Guy Fischer. À qui la faute ?
M. Alain Néri, rapporteur. Aujourd’hui, nous poursuivons donc un long cheminement.
Il y a cinquante ans, c’était le cessez-le-feu en Algérie, au terme de longues souffrances. Malheureusement, ce ne fut pas la fin de toutes les épreuves : de fait, la guerre d’Algérie ne s’achève pas le 19 mars. Je le souligne, le 19 mars, ce n’est que le cessez-le-feu, à ne confondre en aucun cas avec la fin de la guerre !
M. Jean-Marc Todeschini. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. C’est vrai.
M. Alain Néri, rapporteur. Cinquante ans après, il est urgent de rendre hommage, honneur et dignité à la troisième génération du feu, partie en Algérie, parfois sans comprendre tous les objectifs, parfois sans les partager, et qui a répondu avec abnégation et courage à l’appel de la nation. (M. Jean-Claude Frécon acquiesce.)
Cette troisième génération du feu, ne l’oublions pas, est celle des enfants de la guerre de 1939-1945, de ceux qui avaient déjà souffert de l’Occupation, des privations matérielles, mais aussi et surtout des privations morales et affectives. Beaucoup ne connurent leur père qu’à l’âge de cinq ans, lorsque ce dernier rentra de captivité, ou ne le connurent jamais. D’autres ne connurent pas leur mère, victime de la déportation. Dix ans après le retour, ou la disparition, de leur père et de leur mère, ils partaient en Algérie.
Mettez-vous également à la place des familles, en particulier des mères qui, après avoir vu partir leur époux en 1939-1945, voyaient partir leurs fils en Algérie. Douloureuse épreuve, d’autant que, longtemps, la France n’a pas osé reconnaître que, en Algérie, c’était bien la guerre, hypocritement et abusivement – abusivement au sens premier du terme : on a abusé les Françaises et les Français en leur disant qu’en Algérie il ne s’agissait que d’« événements », d’opérations de pacification et de maintien de l’ordre.
Alors qu’il y a eu 30 000 morts, alors que l’armée française a engagé ses trois armes – l’armée de terre, l’armée de l’air et la marine –, alors que 500 000 soldats français ont été mobilisés sur le sol algérien, alors que plus de 2 millions de jeunes Français ont participé à la guerre d’Algérie, il nous paraissait cruel de ne pas reconnaître celle-ci sous son nom.
Il a fallu attendre trente-sept ans après le cessez-le-feu. Il a fallu attendre 1999,…
M. Michel Teston. Exact !
M. Alain Néri, rapporteur. … pour qu’une proposition de loi socialiste – je la connais bien, pour en avoir été le rapporteur – reconnaisse enfin que, en Algérie, c’était la guerre.
D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? Tout en évoquant des « événements », on reconnaissait aux soldats d’Algérie la qualité de combattant pour des actions de feu et de combat. S’il y avait action de feu et de combat, s’il y avait mort, c’est bien qu’il y avait guerre ! Aujourd’hui, plus personne ne peut nier que, en Algérie, c’était la guerre.
Cette guerre d’Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester une guerre sans date historique et symbolique de reconnaissance et de recueillement pour toutes ses victimes.
M. Philippe Kaltenbach. Exact !
M. François Marc. Très bien !
M. Alain Néri, rapporteur. Le cessez-le-feu du 19 mars ne fut pas la fin des souffrances.
M. Robert Tropeano. Hélas !
M. Jacky Le Menn. Loin de là !
M. Alain Néri, rapporteur. Avant le 19 mars, les appelés, les rappelés, les militaires de carrière et leurs familles ont souffert de la séparation, de la peur, des violences et des deuils.
Après le 19 mars, d’autres souffrances grandirent : celle des rapatriés, que l’on appelait aussi les pieds-noirs, contraints de quitter leur terre natale et d’abandonner leurs racines ; celle des harkis, qui avaient placé leur confiance dans la France, qui avaient cru en sa parole et qui furent odieusement et honteusement désarmés et abandonnés sur ordre du gouvernement de l’époque.
Mme Laurence Cohen. Exactement !
M. Alain Néri, rapporteur. Ceux qui furent accueillis en France le doivent au courage d’officiers qui, désobéissant aux ordres, rapatrièrent leur harka.
Lorsqu’ils arrivèrent en France, les harkis non plus ne reçurent pas un accueil chaleureux. Ils furent parqués dans des camps, situation qui dura, non pas quelques mois, mais plusieurs années. J’ai souvenance d’avoir visité, en 1979 ou en 1980, Mas-Thibert, où était « accueillie », dans des conditions déplorables, la harka du Bachaga Boualem.
M. Pierre Charon. C’est vrai.
M. Alain Néri, rapporteur. Nous n’avions aucune raison d’être fiers de ces conditions d’accueil.
Tous ont souffert de la guerre, et, aujourd'hui, il ne faut pas hiérarchiser les drames. Les souffrances des uns et des autres doivent être reconnues à égalité par la nation, qui doit se réconcilier avec son histoire.
C’est pourquoi nous ne pourrions nous satisfaire d’une date qui ne serait pas historique et symbolique.
En effet, la guerre d’Algérie, tout comme les deux conflits mondiaux, appartient à notre histoire.
La troisième génération du feu mérite une date historique et symbolique, comme les deux générations précédentes. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La date du 11 novembre commémore l’armistice, et non la fin de la guerre de 14-18, qui s’est poursuivie en Orient.
Le 8 mai ne marque pas la fin de la guerre de 39-45, mais la capitulation nazie, un moment historique que l’on ne doit pas effacer de nos mémoires, que personne ne pourra jamais effacer de nos mémoires et que l’on doit continuer à faire partager aux générations futures.
De la même façon, l’armistice de 14-18 représente une page de notre histoire. C’est pour cela que l’on ne peut accepter la tentative de certains de nous faire « avaler » un Memorial Day. Non ! Chaque génération du feu doit avoir sa date historique et spécifique. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour la troisième génération du feu, c’est le 19 mars, date du cessez-le-feu, et non date de la fin des combats.
Cette troisième génération du feu mérite le recueillement et l’hommage de la nation, non seulement en souvenir de toutes les souffrances qu’elle a endurées, mais aussi parce que, si elle ne partageait pas toujours les objectifs de cette guerre, elle est allée en Algérie à l’appel de la nation.
Ces combattants ont aussi répondu une deuxième fois à l’appel de la nation, lorsqu’ils ont sauvé la République en s’opposant au putsch des généraux d’Alger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Frécon. Très bien !
M. Alain Néri, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la nation, réunie, rassemblée, leur doit hommage et reconnaissance. C’est notre but aujourd’hui, en faisant en sorte que la France, unie, rassemblée, apaisée,…
M. Pierre Charon. Bonne chance !
M. Alain Néri, rapporteur. … rende hommage à tous ceux qui ont souffert des cruautés de la guerre, des silences, des peurs et des deuils.
Mes chers collègues, aujourd’hui, la France a l’occasion de se réconcilier avec son histoire.
Nous devons graver dans le marbre de la loi les souffrances qui sont gravées dans le cœur et dans la chair de tous les Français, parce que nous sommes ici pour rappeler ce que sont la République et la démocratie.
L’adoption de cette loi honorera notre assemblée et permettra de reconnaître la troisième génération du feu, à égalité avec les deux précédentes, pour avoir défendu et soutenu la République, la démocratie et la paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin !
Enfin, en cette année symbolique du cinquantième anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, nous sommes sur le point de voir aboutir une très ancienne exigence de la majorité de la troisième génération du feu : la reconnaissance de la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est issu des travaux de l’Assemblée nationale du 22 janvier 2002, résultant de plusieurs propositions de loi, dont celles de mes amis Alain Bocquet et Alain Néri.
Au Sénat également, j’avais, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, déposé à de nombreuses reprises des propositions de loi en ce sens.
Pourquoi ai-je l’impression de vivre un moment exceptionnel, historique, emblématique ? Parce que nous avons tant attendu ce rétablissement de la vérité historique ! (MM. Pierre Charon et Marcel-Pierre Cléach s’exclament.)
Il aura déjà fallu attendre longtemps la reconnaissance de l’état de guerre, par la loi du 18 octobre 1999 ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Il faut le dire !
M. Guy Fischer. C’était un premier pas, qui ne pouvait qu’être prolongé par un acte législatif donnant enfin à tous, soldats du contingent, militaires, harkis, rapatriés et, bien sûr, populations civiles algérienne et française, une date qui ait un sens non seulement symbolique, mais aussi historique. Cette date permettra de se recueillir et de revenir sur des événements traumatisants, avec l’espoir d’œuvrer à un apaisement des relations entre les deux rives de la Méditerranée.
Pourquoi tout ce temps perdu ? Cette question nous mène au cœur de la relation très complexe qu’entretiennent la France et l’Algérie, faite d’ombre et de lumière, qu’éclairent de grands historiens tels que Benjamin Stora, Sylvie Thénault, et que mettent en scène des écrivains tels que Mathieu Belezi, qui, après le grand Albert Camus et bien d’autres, dépeint, dans ses romans, un pays de soleil et de silence et entonne le chant funèbre d’une terre meurtrie.
Je me souviens d’avoir organisé ici même, au Sénat, en 2010, un colloque intitulé : « 1940-1962 : les troubles de la mémoire française ». Avec d’éminents historiens, nous avions pu confronter ce qu’entretiennent les mémoires collectives des individus et des nations entre elles, leurs liens souvent faussés avec les faits historiques. Nous sommes ici, je pense, précisément au cœur d’un sujet qui donne matière à conflit entre histoire et mémoire.
La proposition de loi que nous nous proposons d’adopter ne constitue en rien un « prêt-à-penser », un dogme, une instrumentalisation de l’histoire. Le dogme, l’absurde, l’offense à l’histoire, c’était l’invention de la date du 5 décembre !
MM. Jean-Jacques Mirassou et Claude Bérit-Débat. Absolument !
M. Guy Fischer. Tout au contraire, ici, il s’agit – j’y crois profondément – de laisser l’histoire s’écrire et la mémoire se livrer, se penser, s’assimiler sur la base d’une date qui ait du sens.
Cette date ne peut être que celle de l’anniversaire du cessez-le-feu, le lendemain des accords d’Évian, le 19 mars 1962, comme il en va pour tous les autres conflits du XXe siècle.
La meilleure légitimité de cette date réside, souvenons-nous, dans l’approbation des accords d’Évian du 18 mars 1962 et du cessez-le-feu du 19 mars par 90,8 % des votants lors du référendum du 8 avril.
Certes, des hommes et des femmes sont encore tombés, des deux côtés, après cette date. C’est la réalité.
M. Charles Revet. On semble les oublier !
Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman. Personne ne les oublie, bien au contraire !
M. Guy Fischer. Certes, le drame des rapatriés – j’en ai accueilli des milliers dans le grand ensemble des Minguettes, à Vénissieux – doit rester dans la mémoire collective et l’abandon des harkis ne doit jamais être oublié, même si cette tragédie ne nous fait pas honneur – à Vénissieux encore, nous avons construit des résidences pour les harkis, afin qu’ils soient traités dignement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mais, comme l’armistice de la Grande Guerre le 11 novembre 1918 et la capitulation sans condition des armées nazies le 8 mai 1945, le 19 mars est une date clé, un point d’appui pour la mémoire comme pour l’histoire. Avec cette reconnaissance, j’ai bon espoir que nous mettions enfin un terme à une triste et stérile polémique. Replaçons lucidement les idées à leur juste place : qui oserait aujourd’hui remettre en question le 11 novembre et le 8 mai, sous prétexte que des belligérants et des civils perdirent, hélas ! la vie après ces dates ?
M. Charles Revet. Cela n’a rien à voir !
M. Guy Fischer. Bien sûr que si !
La douleur des mères, des sœurs et des épouses en fut-elle pour autant moins respectée ? Certainement pas !
Et n’oublions jamais que ce sont les non-dits, le silence, pis encore le déni, le révisionnisme et la censure qui cristallisent ressentiments, haines, et qui privent les protagonistes d’un deuil nécessaire à la reconstruction. A contrario, comme le disait fort justement mardi dernier notre collègue David Assouline, la vérité apaise.
Je ne voudrais pas répéter mes propos au sujet de notre proposition de résolution, adoptée mardi dernier, sur la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961. Toutefois, le parallélisme de ces deux débats m’impose de soulever à nouveau publiquement une contradiction de taille dans l’attitude du Gouvernement : d’un côté, faire un pas dans la reconnaissance des exactions de l’État français colonialiste, reconnaître une date sur laquelle les précédents gouvernements ont préféré le déni ; d’un autre côté – et je m’exprime là, solennellement, au nom de mon groupe et de sa présidente, Éliane Assassi –, mettre à l’honneur le tristement célèbre général Bigeard, tortionnaire de sinistre mémoire en Algérie comme en Indochine.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Guy Fischer. M. le ministre des relations avec le Parlement ne m’a pas répondu mardi dernier, mais, vous me connaissez, je poserai la question jusqu’à ce que je sois satisfait de la réponse !
Le sujet est d’importance : soit nous avons une volonté de mettre à plat, globalement, les conséquences de notre politique coloniale, pour mieux réconcilier nos deux peuples ; soit nous demeurons un pied dans le déni, un pied dans une trop timide tentative de nous affranchir de cinquante ans de silence coupable.
Cette attitude est, je le répète, intenable. Le courage nous commande d’aller jusqu’au bout de la démarche, d’affronter des pages qui comptent parmi les moins glorieuses de notre histoire.
Je voudrais conclure en vous interrogeant, monsieur le ministre, sur la politique de mémoire qu’entend mener notre nouveau gouvernement. Je souhaite instamment que soient levées toutes les ambiguïtés relatives à l’instauration d’une date unique. Je pense notamment à ce que j’appelle le « dernier mauvais coup » de l’ancien gouvernement.
La loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, y compris en opérations extérieures, n’est pas innocente. Avez-vous la volonté de l’abroger, monsieur le ministre ?
La mémoire n’est pas uniforme – nous sommes en plein dans ce débat – et l’enseignement de l’histoire se doit de faire place à toutes les grandes périodes qui ont marqué notre nation.
Pour ce faire, les programmes d’enseignement et les manuels scolaires ne devraient-ils pas refaire une plus large place à un enseignement vivant de l’histoire de tous les conflits dans lesquels notre peuple, nos voisins européens comme nos anciennes colonies et protectorats furent engagés ? Une refonte ambitieuse et concertée de cet enseignement ne serait-elle pas un gage de mémoire partagée, de relations internationales reconstruites par la mise au jour des pans d’une histoire non assumée ?
Optimiste de nature, monsieur le ministre, j’espère que notre nation saura prendre toute sa place dans des lendemains qu’il nous appartient de modeler ensemble. Quelle belle perspective s’offre à nous, quel beau défi à relever, notamment pour vous, anciens combattants qui nous écoutez dans les tribunes, protagonistes d’une guerre longtemps sans nom et sans vainqueurs ! Peut-être cette sorte de reconstruction finira-t-elle par acquitter ce lourd tribut que vous avez porté pendant cinq décennies…
C’est en tout cas mon souhait le plus cher, et c’est l’espoir que je forme pour le mieux « vivre ensemble » des générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est grave, l’urgence pressante.
Notre dette publique est abyssale et représente plus de 90 % du PIB ;…
M. Roland Courteau. Hors sujet !
M. Hervé Marseille. … le chômage a dépassé la barre des 3 millions (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) ; notre part de marché à l’exportation diminue de jour en jour et notre écart de compétitivité avec l’Allemagne ne cesse de se creuser.
M. Ronan Kerdraon. C’est votre héritage !
M. Hervé Marseille. Cela ne vous plaît pas, mais c’est la vérité. L’urgence est claire, le diagnostic partagé.
Or, depuis le 3 juillet dernier, que se passe-t-il ? C’est bien simple, votre majorité a eu comme principe moteur de déconstruire ce qui allait dans le bon sens : l’exonération des charges sur les heures supplémentaires, l’intéressement des salariés au bénéfice de leur entreprise, la majoration des droits à construire.
On vous reconnaîtra le mérite d’avoir fait voter le traité européen, négocié par le précédent Président de la République, et d’avoir pallié l’abrogation du dispositif sur le harcèlement sexuel.
M. Roland Courteau. Hors sujet !
M. Jean-Jacques Mirassou. Réchauffé !
M. Hervé Marseille. En réalité, depuis juillet vous n’avez proposé que deux textes majeurs : le premier, sur le logement, entièrement censuré par le Conseil constitutionnel hier soir, et le second sur les « emplois d’avenir ».
La France attend des réformes, monsieur le ministre.
M. Roland Courteau. Parlez-nous du 19 mars !
M. Hervé Marseille. Les entreprises ont besoin de plus de compétitivité et les Français recherchent des emplois.
Dès lors, quoi de mieux que de botter en touche ? Une fois encore, votre gouvernement est à contretemps.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bravo !
M. Hervé Marseille. Plutôt que de vous saisir des enjeux fondamentaux et de permettre aux Français d’entrevoir des jours meilleurs, vous nous proposez d’étudier un texte exhumé de l’Assemblée nationale et voté il y a plus de dix ans.
Ce texte est une pure et simple abrogation du décret du 26 septembre 2003, qui avait fait du 5 décembre la journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, décret pris après un processus consultatif mené par l’historien Jean Favier. Bref, une procédure proche de la méthode vantée par M. le Premier ministre !
Quelle urgence y avait-il dès lors à mobiliser le Parlement pour consacrer une nouvelle date de commémoration,…
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Hervé Marseille. … a fortiori une date qui divise ?
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est méprisable !
M. Hervé Marseille. Ces textes ne sont pas non plus identiques dans leur forme : l’un est réglementaire et l’autre législatif. Cela n’est pas sans conséquence !
Alors même que l’article 34 de la Constitution fixe les pouvoirs du Parlement en ne nous permettant pas de légiférer en la matière, vous souhaitez fixer de manière législative une date de commémoration.
Il y a un précédent, et je vous invite à vous intéresser au sort qui avait été réservé à la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui disposait au second alinéa de son article 4 que la colonisation avait parfois eu un rôle positif.
M. Guy Fischer. L’article 4 était scandaleux !
M. Hervé Marseille. Le Gouvernement avait, en vertu du second alinéa de l’article 37 de la Constitution, saisi le Conseil constitutionnel, qui avait déclaré cette disposition comme étant du domaine réglementaire. C’est la preuve le Parlement n’est peut-être pas tout à fait dans son rôle en matière mémorielle, surtout lorsqu’il légifère par la voie d’une proposition de loi.
Mes chers collègues, restons dans notre fonction, et soyons cohérents. Je ne peux que m’étonner de la contradiction qui existe entre la présente proposition de loi et l’opposition vigoureuse manifestée en janvier dernier, alors que nous débattions de la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, par le président de la commission des lois à l’encontre des textes mémoriels.
Citant le doyen Vedel, Robert Badinter et d’autres éminents professeurs d’université, M. Sueur nous explique alors que ces textes ne sont pas du domaine de la loi et qu’il convient de laisser les historiens réaliser leurs recherches dans la sérénité.
M. Claude Dilain. Cela n’a rien à voir !
M. Hervé Marseille. « Quelle est notre légitimité à nous, législateur, pour dire ce qu’est l’histoire ? » s’interroge-t-il ici-même, résumant ensuite son propos en disant avec « Robert Badinter que le Parlement n’est pas un tribunal et avec Pierre Nora qu’il ne revient pas au législateur de faire l’histoire ».
Dès lors, mes chers collègues, si vous adoptez ce texte, ne dites plus, par exemple, à la communauté arménienne, qui attend un texte de reconnaissance,…
M. Roland Courteau. Cela n’a rien à voir !
Un sénateur du groupe socialiste. Le génocide est reconnu !
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout ce qui est excessif est dérisoire !
M. Hervé Marseille. … que cette reconnaissance n’est pas du domaine de la loi.
Deuxième contradiction, monsieur le rapporteur : au cours de l’année 2004, vous l’avez rappelé, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, dont vous étiez membre, comme François Hollande et Jean-Marc Ayrault, déposait une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriés et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie.
M. Alain Néri, rapporteur. Absolument !
M. Hervé Marseille. À cette occasion, vous souhaitiez que soient notamment identifiées les responsabilités dans les massacres de la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, ou encore de la journée du 5 juillet 1962 à Oran. Autrement dit, monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas ces événements, mais vous voulez aujourd’hui, en faisant du 19 mars la date de commémoration, rayer d’un trait de plume les conséquences des massacres intervenus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri, rapporteur. Pas du tout !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. C’est le contraire !
M. Hervé Marseille. Par ailleurs, la commission en refusant votre proposition vous rappelait que l’encouragement du travail historique devait être préféré à la création d’une commission d’enquête.
Enfin, troisième contradiction : nous avons étendu, en début d’année, l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse aux formations supplétives des forces armées. Le droit en vigueur, en particulier l’article 5 de la loi de 2005, ne trouvait pas d’application pour des raisons purement juridiques.
Dès lors, nous avons réparé cette injustice en permettant aux harkis d’être protégés contre des injures et des diffamations. Nous avons élargi ce dispositif protecteur applicable aux harkis, mais, aujourd’hui, nous examinons un texte qui tend à les humilier…
M. René Garrec. Exactement !
M. Hervé Marseille. … en fixant une date de commémoration de la fin du conflit algérien préalable aux massacres qu’ils ont subis, en particulier le 5 juillet 1962 à Oran.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Hervé Marseille. Alors même que les accords d’Évian prévoyaient un cessez-le-feu dès le 19 mars 1962, vous l’avez rappelé, les exactions ont perduré. Faire de cette date une journée de commémoration reviendrait en quelque sorte à nier l’existence des drames qui ont suivi et qui ont fait de très nombreuses victimes. Le 19 mars 1962, la France a abandonné les harkis.
Au début de l’année 2012, le Parlement français a souhaité compléter son dispositif protecteur à l’égard des Français rapatriés.
Je me permets de rappeler mon intervention en séance à cette occasion : « Nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. […]
« Cette injustice a été lentement réparée par un processus législatif qui se sera déroulé pendant près de dix ans, entre la loi du 11 juin 1994, qui a été la première à exprimer la reconnaissance de la France aux harkis, et celle de 2005, qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore mal cicatrisé. »
Mes chers collègues, ne faisons pas machine arrière, n’oublions pas les tragédies qui se sont déroulées après la mi-mars 1962. Les commémorations doivent nous rassembler, elles ne doivent pas nous diviser !
Il serait ainsi grand temps de reprendre l’intégralité des propositions formulées à l’automne 2008 par l’historien André Kaspi. Le rapport qu’il avait remis au Président de la République prévoyait purement et simplement de retenir trois dates pour les commémorations : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Hervé Marseille. Ces trois dates résonnent dans la conscience de tous les citoyens français.
Seule la date du 11 novembre a fait l’objet d’un approfondissement en ce sens à destination du souvenir de tous les morts pour la France. Faisons donc du 8 mai, par exemple, la célébration de la paix et la commémoration des victimes militaires et civiles de toutes les guerres passées.
Autre piste à suivre, notre collègue Yves Pozzo Di Borgo a appelé, lors de l’examen de la proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961 présentée par nos collègues communistes, au lancement d’une vaste concertation au sujet des commémorations relatives à la blessure algérienne, notamment en association avec l’Algérie.
Dès lors, mes chers collègues, à l’évidence, le 19 mars est non pas une date qui rassemble mais qui divise. En faire une date de commémoration officielle cristallisera cette division.
M. Pierre Charon. Eh oui !
M. Hervé Marseille. Sur ces sujets, il faut de la sérénité et ce texte ne va pas dans ce sens.
Jusqu’à présent, il y avait ceux qui commémoraient le 5 décembre et ceux qui commémoraient le 19 mars.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Très peu !
M. Hervé Marseille. Ils continueront à le faire. La seule différence, c’est que le préfet sera le 19 mars devant les monuments et il n’y sera plus le 5 décembre.
C’est pour cela, mes chers collègues, que je ne voterai pas ce texte comme les membres de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Guy Fischer. Cela changera !
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, longtemps considérée comme la « guerre sans nom », la guerre d’Algérie ne doit pas rester la guerre sans fin. Nous avons suffisamment de recul pour reconnaître que ce conflit d’une grande violence physique, psychologique et symbolique s’est déroulé entre 1954 et 1962, même si personne n’ignore les drames, les attentats et autres règlements de compte qui ont suivi le cessez-le-feu issu des accords d’Évian.
Sans plus tarder – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur –, il faut apporter une réponse à ceux qui ont répondu à l’âge de vingt ans à l’appel de la nation avec abnégation et courage.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Robert Tropeano. Je fus de ceux-là pendant vingt-huit mois.
Oui, il est temps de créer les conditions d’un rassemblement serein et unitaire pour les 2 millions de jeunes soldats envoyés de l’autre côté de la Méditerranée et, bien sûr, pour toutes les victimes civiles assassinées, avant et après le 19 mars 1962, pour tous ceux qui de la « Toussaint sanglante » au massacre d’Oran ont payé de leur vie l’indépendance algérienne ou tout simplement pour servir la France.
Il ne s’agit pas de refaire l’histoire, il s’agit de la regarder en face.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Tropeano. Aussi, sans hésiter, prenons toutes nos responsabilités pour installer un devoir de mémoire à la hauteur des sacrifices endurés par beaucoup de nos concitoyens. Trop souvent, sur cette question, les tergiversations l’ont emporté malgré l’action déterminée des anciens de la guerre d’Algérie, en particulier des anciens combattants d’Afrique du Nord.
J’ai toujours été de ce combat contre l’oubli. J’ai toujours soutenu sans faille toutes les démarches qui visent à rétablir la vérité historique et à rendre hommage à toutes les victimes – je dis bien à toutes les victimes.
Je regrette sincèrement que la représentation nationale ne puisse s’unir et se retrouver sur la date du 19 mars 1962, qui marque l’arrêt officiel des hostilités et qui n’occulte en aucun cas les événements tragiques postérieurs à celle-ci.
Cette date a du sens, ce qui est indispensable pour donner vie à une journée du souvenir et du recueillement que nous souhaitons tous.
Je regrette aussi que, après tant d’années, le processus soit toujours aussi long quand il s’agit d’œuvrer en faveur d’une lecture objective de la guerre d’Algérie.
En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, il a fallu attendre trente-sept ans pour que les opérations effectuées en Afrique du Nord soient qualifiées selon leur vraie nature.
M. Yvon Collin. Trop longtemps !
M. Robert Tropeano. La loi du 18 octobre 1999 a remplacé une formulation relevant clairement du déni par celle, plus juste, de guerre d’Algérie.
M. Roland Courteau. C’était un gouvernement de gauche !
M. Robert Tropeano. Antérieurement, la loi du 9 décembre 1974, qui attribuait la qualité de combattant aux personnes ayant participé à ce conflit, avait également été adoptée à l’issue d’une course d’obstacles subtilement mise en œuvre, à l’époque, par les gouvernements successifs.
À cet égard, le débat du 17 octobre 1974 au Sénat est éclairant. Le rapporteur de la loi du 9 décembre, Lucien Grand, membre de la Gauche démocratique, s’exprimait ainsi : « Vous trouverez, mes chers collègues, dans mon rapport, la narration fidèle des longues vicissitudes de ce projet de loi, nos espérances déçues à plusieurs reprises au fil des ans pour des motifs divers mais toujours renouvelés. Aujourd’hui, il nous est permis de discuter un projet de loi qui répond aux espoirs que nous entretenons depuis douze ans. »
Reprenant les termes de cet ancien sénateur, je dirai qu’il nous est enfin permis aujourd'hui de discuter une proposition de loi qui répond aux espoirs levés, de nouveau, voilà dix ans.
En effet, en 2002, sur l’initiative de plusieurs familles politiques parmi lesquelles les radicaux de gauche, l’Assemblée nationale avait déjà adopté une proposition de loi visant à reconnaître le 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.
Depuis, dix années se sont écoulées. Le texte est resté volontairement englué dans les limbes d’une navette parlementaire suspendue par le temps, ce qui reflète bien, hélas ! à quel point est difficile la réconciliation nationale sur la question de la guerre d’Algérie.
En effet, mes chers collègues, les plaies de cette tragédie sont encore très vives. On peut le comprendre au regard des milliers de civils et militaires victimes de ce terrible déchirement entre l’Algérie et la France.
La guerre d’Algérie est passionnelle à cause de la cécité politique sur le système colonial et sur l’inévitable processus de décolonisation.
La guerre d’Algérie est forte de culpabilité en raison de la torture assumée par certains officiers comme moyen de lutte obligé contre le « terrorisme ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Robert Tropeano. La guerre d’Algérie est pleine de honte à cause des harkis abandonnés au massacre punitif des lendemains de guerre.
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Robert Tropeano. Enfin, la guerre d’Algérie est empreinte de douleurs parce qu’elle a forcé à l’exode des milliers de rapatriés pour qui l’Algérie était aussi leur terre et parce que les plus hautes autorités leur avaient fait une promesse : « L’Algérie, c’est la France. »
Dans son dernier livre, l’historien Benjamin Stora rappelle que « la mémoire des uns n’est pas celle des autres ». Il est vrai que l’histoire ne semble pas la même selon que l’on ait été soldat, rapatrié ou harki. Mais la somme de tous ces souvenirs individuels rassemblés par un dénominateur commun, la douleur et l’incompréhension, doit naturellement conduire à partager un même moment de recueillement.
C’est ainsi que je vois les choses. Pour ma part, et celle de la majorité des membres du RDSE, le choix du 19 mars est la date symbolique la plus significative. M. le rapporteur nous a livré les bons arguments, que je ne vais pas tous rappeler. J’insisterai seulement sur la nécessité de choisir une date qui réponde à la même logique que celles qui ont été décidées pour raviver le souvenir de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C’est une question de clarté pour les générations futures. C’est une question de sens à donner pour cette journée de mémoire.
Ni défaite, ni victoire, le cessez-le-feu du 19 mars 1962 doit être compris d’abord et avant tout comme la promesse d’une paix retrouvée des deux côtés de la Méditerranée.
J’espère que le Sénat, par son vote, contribuera à consolider une mémoire collective cohérente et apaisée, comme il l’a fait avant-hier grâce à l’adoption de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans, cela fait cinquante ans que la guerre d’Algérie est officiellement terminée. Un demi-siècle ! Et c’est bien connu, souvent la mémoire s’efface à mesure que les années passent. Ne pas oublier, c’est là, me semble-t-il, tout l’enjeu de notre débat d’aujourd’hui.
Les membres du groupe écologiste ont estimé qu’il fallait prendre le temps de débattre sereinement de cette proposition de loi, et non pas voter dans l’urgence. À cet égard, je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur Alain Néri qui, animé de sa passion et de ses convictions personnelles sur le sujet, a eu la volonté d’écouter l’ensemble des groupes et d’engager la discussion, ce qui honore la Haute Assemblée.
Discuter a été une sage décision, car chacun a eu le temps de s’interroger sur ce sujet complexe et de murir sa propre réflexion. Nous touchons là à un domaine délicat, celui du souvenir, qui appartient à chacun, avec son vécu, son ressenti, son parcours personnel, son histoire et sa culture.
La mémoire est inévitablement plurielle et hétérogène, selon les rôles et les points de vue des uns et des autres. C’est pourquoi je distingue la mémoire de l’Histoire.
Tandis que la mémoire relève souvent de la passion, l’histoire appartient davantage à la raison. L’histoire, c’est le résultat d’une recherche méthodique et savante, qui a une vocation pédagogique, notamment éduquer à la citoyenneté.
Il existe des faits historiques, des dates objectives, comme celle du 19 mars 1962, ce jour où, grâce aux accords d’Évian, la France et le gouvernement provisoire de la République algérienne ont décidé le cessez-le-feu. Le 8 avril 1962, une très grande majorité des Français, 90,7 % d’entre eux, ont d’ailleurs ratifié ces accords. Certes, ce ne fut pas la fin des combats, ni des souffrances, mais c’est un symbole fort, ancré dans la réalité historique. Bien sûr, les harkis, les Français et les Algériens n’ont pas du tout vécu cette date de la même manière, mais ils ont tous été concernés par cette décision.
C’est donc au nom de ce passé commun que le 19 mars 1962 fait sens. C’est une pierre de plus que l’on apporte à l’édifice de la réconciliation.
Cette date, malgré la discussion qui l’entoure, est l’objet d’un consensus assez large. L’institutionnaliser permettrait de dépasser les clivages pour aller vers la commémoration collective des souffrances des victimes d’une tragédie dont tout le monde a pâti.
Nous devons ce vote aux victimes, trop nombreuses. Bien qu’aucun bilan chiffré ne puisse être complètement vérifié, avant le cessez-le-feu, on ne dénombrait pas moins de 24 267 militaires français tués, sans compter les 65 000 blessés ; 2 788 tués, 7 541 blessés et 875 disparus parmi les civils français ; entre 30 000 et 150 000 harkis tués ou disparus – à considérer l’écart des chiffres, la vérité historique est complexe à déterminer – ; au moins 141 000 soldats de l’armée de libération nationale algérienne tués ; entre 300 000 et 400 000 algériens décédés.
Ce bilan, dramatiquement lourd, est encore très certainement sous-estimé.
Le Parlement a reconnu la part de responsabilité de la France dans ce qu’il a lui-même requalifié de « guerre ». Avec cette proposition de loi, nous ne faisons que parachever, et c’est bien utile, cette reconnaissance officielle, afin que l’on n’oublie pas, même si les années passent, les victimes des combats d’Afrique du Nord.
Cela dit, gardons-nous bien, mes chers collègues, de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre. Nous sommes des législateurs, pas des historiens ni des juges. Nous n’avons pas la légitimité de dire quelle est la vérité, qui sont les bons ou les mauvais, s’il y en avait. En tant que représentants nationaux, nous avons le devoir d’agir dans l’intérêt commun et d’être responsables.
À chacun de se recueillir et de se remémorer les événements selon son vécu. À chaque historien de poursuivre la recherche vers la vérité historique.
Pour les élus que nous sommes, il s’agit humblement, modestement de reconnaître officiellement une journée du souvenir, qui sera de nature à permette un travail pédagogique. Car c’est aussi dans la connaissance de son passé que l’on prépare un meilleur avenir.
Un sénateur du groupe UMP. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. Pour conclure, je souhaiterais simplement rappeler qu’il n’y a pas de vérité absolue dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres. Il n’existe pas de date parfaite, il n’en existera jamais. À mesure que l’on se crispe sur un jour, on oublie l’essentiel : être ensemble pour commémorer les victimes et les erreurs à ne plus commettre, un objectif sincère et profond qui a motivé mon vote.
Tout en respectant l’avis des uns et des autres, qui ont engagé ici un débat extrêmement digne, je voterai, comme la quasi-unanimité du groupe écologiste, en faveur de la proposition de loi présentée aujourd’hui, m’inscrivant d’ailleurs dans la continuité du vote de mes camarades écologistes de l’Assemblée nationale, dont Noël Mamère et Marie-Hélène Aubert, qui, en 2001, étaient cosignataires, avec Bernard Charles, le président du groupe parlementaire Radical, Citoyen et Vert, (Mme Françoise Laborde opine.)…
M. Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. … de la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes – curieusement ! – appelés à nous prononcer aujourd’hui,…
Un sénateur du groupe socialiste. Pourquoi « curieusement » ?
M. Marcel-Pierre Cléach. … à la demande du groupe socialiste, sur une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002, c'est-à-dire il y a plus de dix ans.
Le procédé est étrange. Il ne doit pas y avoir beaucoup de précédents ! D’ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence de cette opération, qui ne tient pas compte de l’évolution des esprits et des textes en dix ans.
M. Roland Courteau. C’est la cohérence !
M. Marcel-Pierre Cléach. On peut aussi se demander, sur le plan de l’éthique parlementaire, s’il est vraiment correct de procéder ainsi.
La demande de reconnaissance de la date du 19 mars comme « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » ravive un vieux débat, qui divise depuis toujours, hélas ! le monde des anciens combattants…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et qui concerne bien entendu, au premier chef, la communauté de nos compatriotes rapatriés d’Afrique du Nord.
Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur, que « le 19 mars doit apaiser et rassembler en permettant de se souvenir de tous les morts, avant et après cette date, comme on le fait le 11 novembre et le 8 mai pour les deux guerres mondiales ».
Voilà un procédé oratoire étonnant : vous dites vouloir rassembler, mais vous proposez des dispositions qui aboutissent au contraire.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Pourtant, vous savez que le monde combattant reste particulièrement divisé sur cette question. Vous avez dû recevoir, comme moi, d’innombrables protestations contre votre initiative, dont celle du comité d’entente des associations patriotiques, qui regroupe quarante associations d’anciens combattants, avec 1,2 million de membres, et celles des associations de rapatriés, de harkis et de disparus.
Le mouvement d’indignation que soulève l’initiative du groupe socialiste du Sénat démontre bien que, loin de rassembler, celle-ci ranime les divisions, les souvenirs, les passions opposées.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Croyez-vous que c’était le moment ?
N’aviez-vous pas remarqué que les oppositions s’estompaient peu à peu ?
N’aviez-vous pas également remarqué que les associations d’anciens combattants, sauf une, s’étaient ralliées au projet de la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, texte que j’ai eu l’honneur de rapporter au Sénat ?
N’aviez-vous pas non plus remarqué qu’un statu quo de raison s’était instauré entre ceux qui voulaient commémorer le 19 mars et ceux qui avaient adopté la date du 5 décembre ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Ils sont plus nombreux d’un côté que de l’autre !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je regrette que les auteurs de la présente proposition de loi n’aient pas eu la sagesse de l’un d’entre eux, alors secrétaire d’État dans le gouvernement de Lionel Jospin, qui, sur la date problématique du 19 mars, déclarait ici même, à la tribune du Sénat, le 1er décembre 2001 : « En réalité, le domaine est plus qu’historique : il touche au plus profond de nous-mêmes, de notre histoire, de l’histoire de la France, de l’histoire des Françaises et des Français, et c’est bien pour cela que sénateurs et députés sont maintenant chargés de dire leur mot.
« Des textes ont été déposés, sur lesquels il faut réfléchir et ouvrir un vrai débat. Mais, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut décider, par une simple majorité politique ou politicienne : que signifierait une décision prise à 51 % des votants ? » M. Jacques Floch poursuivait en ces termes : « Les uns et les autres, nous savons avancer les arguments nécessaires et nous savons qu’il y a des moments historiques ; mais ces derniers sont-ils suffisamment forts pour nous imposer une date ? »
Tirant les conclusions d’un désaccord insurmontable, M. Floch ne persista pas dans son intention première de présenter ce projet de loi au Sénat.
Déjà en 1981, vingt-neuf associations sur trente et une, consultées par le ministre alors chargé du dossier, s’étaient opposées au choix du 19 mars comme date d’une quelconque commémoration. Ce fut aussi la position de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, mais aussi, chers collègues de la majorité, de François Mitterrand,…
M. Charles Revet. Eh oui ! Souvenez-vous !
M. Marcel-Pierre Cléach. … qui déclarait, lors d’une conférence de presse donnée à l’Élysée le 24 septembre 1981 : « S’il s’agit de marquer le recueillement et d’honorer les victimes de la guerre d’Algérie, je dis que cela ne peut pas être le 19 mars »,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. … ajoutant : « si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie [....] cela ne peut être le 19 mars, car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple […],…
MM. François Pillet et Pierre Charon. Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. … ce n’est pas l’acte diplomatique rendu nécessaire à l’époque qui peut s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et qu’au surplus il convient de ne froisser la conscience de personne. »
Voilà de sages paroles – il m’arrive rarement de citer le président Mitterrand –,…
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est bien vrai !
M. Roland Courteau. C’est rarissime !
M. Marcel-Pierre Cléach. … mais qui ont été oubliées…
M. Charles Revet. Ils ont la mémoire courte !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et qu’un élu de l’opposition a plaisir à vous rappeler !
Tous les présidents de la Ve République, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, y compris François Mitterrand, se sont opposés, soit officiellement, soit en se taisant, à la commémoration officielle du 19 mars.
M. François Rebsamen. Le jour est venu !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous l’avez compris, cela ne vous aura pas échappé, bien qu’étant moi-même ancien combattant d’Algérie je suis très opposé au texte en discussion, et ce pour des raisons de fond, de forme et d’opportunité.
La première raison, de fond, la plus importante à mes yeux, tient au fait que votre initiative, chers collègues de la majorité, « ressuscite » des divisions qui avaient tendance à s’estomper au sein du monde combattant et ravive les plaies de tous ceux qui ont tout perdu en Algérie et de ceux qui ont perdu des enfants,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. … des parents, des amis après le 19 mars.
Vous l’avez reconnu, le 19 mars n’a pas ipso facto entraîné la paix en Algérie.
En effet, les hostilités ne se sont pas arrêtées le 19 mars 1962. À partir de cette date, et tout au long de l’année 1962, malgré les stipulations des accords d’Évian garantissant le respect des anciens combattants d’origine algérienne ayant servi sous le drapeau français, près de 150 000 d’entre eux furent exécutés dans des conditions atroces. Il n’y avait pas, d’un côté, les mauvais et, de l’autre, les anges !
M. François Rebsamen. C’est vrai !
M. Marcel-Pierre Cléach. Et s’ils ne furent que 60 000 à être exécutés après l’armistice, comme le prétendent d’autres sources, ils furent 60 000 de trop, alors que nous respections, nous, les accords engageant notre pays.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. Au cours de cette même période, l’armée française déplora 152 tués, 422 blessés et 162 disparus. Ce n’était donc pas la fin de la guerre d’Algérie. Ce n’était pas la paix.
Et que dire de nos compatriotes civils disparus à jamais ? Près de 2 000 !
Et que dire des massacres d’Oran du 5 juillet 1962, évoqués précédemment, avec 456 morts ou disparus ?
Non, le 19 mars n’a pas ramené la paix en Algérie ; le prétendre serait contraire à la vérité historique.
La deuxième raison pour laquelle je m’oppose à ce texte a trait à la tradition : la France ne célèbre que les victoires ou les actes exceptionnels de bravoure. Célébrons-nous le 22 juin 1940, date de la signature par le maréchal Pétain de l’armistice consacrant la défaite de la France ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Allons ! Ce n’est pas sérieux !
M. Marcel-Pierre Cléach. Célébrons-nous le 21 juillet 1954, date à laquelle furent signés les accords de Genève qui mirent fin à la guerre d’Indochine et, par voie de conséquence, à la présence française dans cette partie du monde ? Non !
M. Jean-Jacques Mirassou. Parlez-nous aussi de Waterloo !
M. Marcel-Pierre Cléach. Nous célébrons avec ferveur le 8 mai, date anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie,…
M. Alain Néri, rapporteur. Grâce à François Mitterrand !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et le 11 novembre, date anniversaire de la victoire de la Première Guerre mondiale !
La troisième raison pour laquelle je suis hostile à cette proposition de loi a affaire avec la décence.
En effet, nous devons imaginer l’épreuve morale que représente, pour de nombreux anciens d’Algérie, le fait de commémorer le souvenir de leurs morts le jour où l’Algérie indépendante, comme elle en a le droit, célèbre sa victoire – car le 19 mars est devenu en Algérie la fête de la victoire.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach. Pour les anciens d’Algérie, les rapatriés et nos anciens compatriotes, il est particulièrement inacceptable, compte tenu du nombre de morts survenues postérieurement au 19 mars 1962, notamment parmi nos amis harkis, que l’on célèbre quoi que ce soit en ce jour anniversaire.
Choisir la date du 19 mars, c’est aussi raviver les pires souvenirs des militaires du contingent, dont je faisais partie, et des militaires professionnels qui, restés en Algérie après cette date, ont assisté, impuissants, à toutes les exactions commises par le FLN et à tous les malheurs qui ont frappé la population européenne comme maghrébine.
Je ne veux pas croire que l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour soit destinée à donner des gages à l’État algérien à quelques jours du voyage de M. Hollande à Alger… (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. C’est indigne et politicien !
M. Alain Néri, rapporteur. La proposition de loi a été déposée il y a dix ans !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous faites de la politique ; pardonnez-moi d’en faire un petit peu aussi !
M. Alain Néri, rapporteur. Justement, non ! Ce n’est pas un texte politique !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je rappelle que M. Hollande a été signataire, en 2002, de la même proposition de loi que M. Néri.
Par ailleurs, cette proposition de loi est contradictoire avec l’existence de la journée commémorative du 5 décembre, instaurée après concertation par un décret en date du 26 septembre 2003.
M. Guy Fischer. Ce qu’il faut entendre !
M. Jean-Marc Todeschini. Quelle concertation ?
M. Marcel-Pierre Cléach. En outre, la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés dispose que « la Nation associe les rapatriés d’Afrique du Nord, les personnes disparues et les populations civiles victimes de massacres ou d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Évian […] à l’hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ».
M. Jean-Marc Todeschini. Il dépasse son temps de parole !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je ne suis pas le seul !
Surtout, mes chers collègues, souvenons-nous que nous avons voté à la quasi-unanimité, le 28 février dernier, la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
M. Alain Néri, rapporteur. Une loi que j’ai fait amender !
M. Marcel-Pierre Cléach. À la suite de l’adoption d’un amendement que vous aviez déposé, monsieur Néri, et que j’ai accepté, cette loi prévoit expressément que l’hommage rendu le 11 novembre à tous les morts pour la France « ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationales ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Vous avez dépassé votre temps de parole de trois minutes !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous le voyez, monsieur le rapporteur, je rends à César ce qui lui appartient : j’ai rappelé que, sur votre demande, cette précision a été introduite dans la loi, avec l’accord du ministre.
M. Jean-Jacques Mirassou. Plus de trois minutes !
M. Marcel-Pierre Cléach. La célébration du 19 mars, défendue par deux associations, est donc protégée, de même que celle du 5 décembre, défendue par les autres associations représentatives du monde combattant. Chacun est donc libre de choisir la date de commémoration qu’il préfère.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, votre proposition de loi est superfétatoire et inutile, mais c’est le moindre de ses défauts : le plus grave, à mes yeux, est qu’elle jette de l’huile sur le feu (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Jean-Jacques Mirassou. Quatre minutes !
M. Jean-Marc Todeschini. Il ne restera plus de temps pour M. Carle !
M. Marcel-Pierre Cléach. … alors que nous allions vers un apaisement des passions illustré par l’approbation quasi unanime de la loi du 28 février 2012 et que les anciens combattants s’habituaient, avec le temps, à des célébrations à des dates différentes de la fin juridique de la guerre d’Algérie. (Concluez ! et protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. Et nous, nous ne pourrons pas parler ! Ce n’est pas sérieux !
M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, j’ai constaté tout à l’heure que l’un de vos orateurs avait dépassé son temps de parole de quatre minutes ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Marcel-Pierre Cléach. Il convenait, à mes yeux, de laisser du temps au temps.
Un sénateur du groupe socialiste. Vous citez le Président Mitterrand, c’est bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. Que penseront de nos querelles les arrière-petits-enfants des anciens d’Algérie ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Monsieur le président, veuillez demander à l’orateur de conclure.
M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, je vous demande de m’écouter pendant encore une minute. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure.
M. Marcel-Pierre Cléach. Je conclus, monsieur le président.
Je ne prétends pas que les uns aient raison et les autres tort.
Tous ne donnent pas au 19 mars la même signification : pour les uns, il rappelle le retour en métropole, à la maison ; pour les autres, notamment pour nos compatriotes d’Algérie, pour les familles des harkis massacrés et celles des disparus, il est un jour de deuil, de grande tristesse, que nous devons respecter.
Le respect que nous devons à ceux-là et à ceux qui sont morts en faisant leur devoir devrait nous conduire à rechercher l’apaisement des conflits et des passions.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Monsieur le président, cela n’est plus possible !
M. Jean-Marc Todeschini. M. Carle ne parlera plus : il lui restera deux minutes !
M. René Garrec. Nous vous rendrons vos minutes tout à l’heure !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Marcel-Pierre Cléach. Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UMP ne voteront pas cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir adopté une position de rassemblement, comme vos prédécesseurs, en appelant le Sénat à un vote de sagesse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Marc Todeschini. M. Carle ne disposera plus que d’une minute !
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans après la signature des accords d’Évian, il est temps pour la France de regarder son histoire en face et de permettre un travail de mémoire rigoureux et serein.
L’instauration d’une journée de souvenir du conflit et de ses victimes répond à ce souci de clarification et d’apaisement. Cette journée nationale permettra aussi de tirer les enseignements du passé.
Cet acte de mémoire, nous le devons surtout aux générations futures. Aujourd’hui, les jeunes générations, en France comme en Algérie, manifestent avec force un besoin de paix, de vérité et de justice, victimes qu’elles sont d’une histoire coloniale occultée ici, d’une guerre d’indépendance mythifiée là-bas.
Une telle reconnaissance devrait aussi mettre un terme aux polémiques mémorielles avec l’Algérie et nous permettre de renforcer notre amitié et notre partenariat avec le Maroc et avec la Tunisie.
Cher collègue Néri, le 22 janvier 2002, lors de la discussion de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, vous aviez déclaré ceci : « cette guerre qui fut trop longtemps une guerre sans nom ne doit pas devenir une guerre sans date pour se recueillir et se souvenir ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. Georges Labazée. Quelle date permettrait-elle au monde combattant, aux familles de rapatriés et aux citoyens de toutes générations de communier dans le même souvenir et de préparer l’avenir ?
Le 19 mars, jour de l’application du cessez-le-feu, s’impose à l’évidence comme l’unique date capable de symboliser les conflits d’Afrique du Nord.
Elle s’inscrit par ailleurs dans la tradition républicaine du souvenir, qui fait du jour du cessez-le-feu le jour commémoratif d’un conflit.
Au même titre que les deux conflits mondiaux, la guerre d’Algérie a droit à une journée de mémoire.
La tradition républicaine veut que l’on retienne la date ayant marqué la cessation officielle des combats, à défaut de la fin de la guerre. Le 19 mars n’a certes pas marqué la fin de la guerre, mais il fut le jour du cessez-le-feu : c’est donc cette date qui s’impose.
Le cessez-le-feu faisait suite aux accords d’Évian. Cette décision historique fut approuvée par le référendum du 8 avril 1962, au cours duquel une écrasante majorité se prononça en faveur de la paix et du droit des Algériens à l’autodétermination.
Ainsi, le 19 mars ne signe ni une victoire ni une défaite militaire, mais une démarche politique salutaire et largement approuvée. Voilà pourquoi c’est la date qui a la signification et la légitimité les plus fortes.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Georges Labazée. Le choix du 19 mars est aussi responsable dans la mesure où l’ambition de la présente proposition de loi est de parachever le mouvement de reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
L’objectif est d’encourager la réconciliation nationale et la recherche de la vérité historique dans un but pédagogique, à la lumière des valeurs républicaines et humanistes sur lesquelles repose notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, la reprise de nos travaux étant prévue à quinze heures précises cet après-midi, je vais être obligé de suspendre la séance.
La suite de l’examen de cette proposition de loi est renvoyée, conformément aux décisions de la conférence des présidents, au mardi 20 novembre, à quatorze heures trente.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
7
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
assassinats en corse
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Monsieur le ministre, treize ans après l’assassinat du préfet Érignac, la Corse, sans vivre une situation comparable, traverse une nouvelle crise.
Le Gouvernement, ce lundi, a pris dix décisions pour mettre un terme à une comptabilité mortifère qui s’est poursuivie par un nouveau meurtre hier matin. Pour avoir dit non au statut Joxe, non aux accords de Matignon, non au référendum de Nicolas Sarkozy et pour avoir toujours privilégié le réinvestissement total de l’État dans l’île, je ne peux que les approuver.
Au demeurant, il serait vain d’imputer à l’État seul la responsabilité de la situation actuelle. Certes, celui-ci a connu des défaillances. Quelle meilleure illustration de la mise en sommeil du pôle financier que le classement sans suite, après six ans d’instruction, par le parquet général de Bastia, du dossier d’une banque régionale !
Toutefois, ces défaillances ne sauraient faire oublier celles de la société corse, les connivences, les solidarités qui minent cette dernière et dont les premières victimes sont les Corses eux-mêmes.
Ainsi, l’Assemblée de Corse a refusé d’examiner une motion condamnant un crime maffieux revendiqué par le FLNC, au motif que les élus nationalistes les plus durs s’y opposaient…
Vaclav Havel, devenu Président de la République tchécoslovaque, déclarait à ses concitoyens : « Nous sommes malades moralement parce que nous sommes habitués à dire blanc et à penser noir. » Ce jugement pourrait s’appliquer à bien des comportements locaux.
L’État ne doit, dès lors, compter que sur lui-même. Monsieur le ministre, sans doute conviendrait-il de renforcer les moyens de vos nouvelles mesures de politique pénale, dont la mise en œuvre est toujours difficile pour la police. En effet, nous savons tous que, dans les affaires judiciaires, un océan sépare le simple soupçon et l’établissement de la preuve et que, contrairement à la Cour de sûreté de l’État, les JIRS, les juridictions interrégionales spécialisées, de Marseille ou d’ailleurs ne sauraient, comme l’a déclaré le procureur Dallest, être considérées comme des juridictions d’exception.
Aussi, seul l’État, par une communication efficace, rendant coup pour coup, par une action s’inscrivant dans la durée et la continuité, par une volonté toujours réaffirmée, pourra remettre la Corse en possession d’elle-même.
Cependant, alors qu’aucune demande n’existe dans l’opinion, plus préoccupée par la crise économique et sociale que par de nouvelles réformes institutionnelles, le conseil exécutif et l’Assemblée de Corse vont délibérer pour réclamer un nouveau statut, plus de compétences et toujours plus d’argent, voire une réforme de la Constitution.
Craignons que de nouvelles réformes ne conduisent à terme à l’effacement de l’État, livrant la Corse à elle-même et à ses démons. Monsieur le ministre, le Gouvernement ne pouvant conduire deux politiques à la fois, merci de nous dire quelle est votre priorité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur Alfonsi, la Corse, c’est la France et c’est la République.
La France doit évidemment soutien et protection à la Corse et aux Corses. Tel est le sens de l’engagement économique mis en œuvre au travers du plan exceptionnel d’investissement. Et l’État sera présent auprès des collectivités territoriales dans cette perspective.
Vous avez eu raison de le souligner, la Corse connaît de nouveau – mais ce phénomène avait-il vraiment cessé ? – une vague de violence, dont les origines remontent loin et qui gangrène profondément la société insulaire.
Vous l’avez dit, l’État doit assumer ses responsabilités, en profondeur et dans la continuité. Tel est le sens des mesures qui ont été annoncées lundi dernier par le Premier ministre, en présence de Christiane Taubira, garde des sceaux, de Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, de Jérôme Cahuzac, ministre du budget, et de moi-même, pour montrer la détermination de l’État et sa volonté de s’attaquer vigoureusement à ces mafias, au crime organisé, à l’argent détourné, aux financements occultes.
Dans cette perspective, nous avons besoin de mener une action en profondeur, en développant le travail interministériel ainsi que la coopération entre les services de police et de gendarmerie et entre la police et la justice.
Christiane Taubira a déjà annoncé que de nouvelles mesures de politique pénale seraient présentées. La garde des sceaux et moi-même nous rendrons en Corse dans les prochaines semaines, pour affirmer la volonté intraitable de l’État républicain d’assumer ses responsabilités.
Toutefois, nous avons besoin de deux soutiens : celui des élus et celui de la société corse. À chacun de prendre ses responsabilités. L’État prendra les siennes, mais il est temps que tout le monde joue son rôle dans la lutte contre le crime et la délinquance.
Il n'y a pas une culture corse particulière. Il n'y a pas de loi de l’omerta. Celle-ci n’existe pas en République, monsieur le sénateur ; vous le savez bien, et votre combat courageux est là pour le montrer. Je le répète, nous avons besoin de la mobilisation de toute la société corse.
Enfin, pour répondre clairement à votre question, monsieur Alfonsi, il n'y a pas de compromission possible. On ne peut pas mettre en avant des revendications identitaires, d’autonomie ou d’évolution du statut alors que, présentement, il y a de la violence. Je vous le disais : la Corse, c’est la République. La loi doit s’appliquer. Pour lutter contre la délinquance et le crime, il n'y a pas d’autre voie possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe écologiste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Je regrette l’absence du Premier ministre, car c’est à lui que s'adressait ma question.
Mesdames, messieurs les ministres, le Conseil constitutionnel a annulé hier soir la loi relative au logement que vous aviez présentée au début du mois de septembre dernier. Ce n’est pas un couac, comme j’ai pu l’entendre, c’est un camouflet.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Voilà !
M. Gérard Larcher. Le Gouvernement a violé la Constitution en refusant d’appliquer correctement les principes de la procédure législative.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Gérard Larcher. Il a ignoré les droits du Parlement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Effectivement !
M. Gérard Larcher. Mieux encore, le Premier ministre a porté atteinte à l’indépendance du Conseil constitutionnel en annonçant le matin même une décision qui n’était pas encore rendue.
M. Jean-Claude Gaudin. Ça alors !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très juste.
M. Gérard Larcher. Le Premier ministre a prétendu qu’il s'agissait d’un « cafouillage parlementaire ». Or je ne crois pas que tel soit le cas : c’est bel et bien un cafouillage du Gouvernement, non du Sénat, et encore moins de la commission des affaires économiques, dont j’ai relu avec beaucoup d’attention le compte rendu des travaux.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr.
M. Gérard Larcher. Faut-il rappeler les raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel a fait droit à notre recours ?
Vous avez fait pression sur le Sénat pour que nous délibérions en séance publique sur le texte du Gouvernement, et non sur le texte modifié par la commission, ce qui est pourtant, depuis 2008, une obligation constitutionnelle. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En effet.
M. Charles Revet. Ils se sont assis sur la Constitution !
M. Gérard Larcher. En fait, vous n’en êtes pas à votre coup d’essai. Vous n’avez pas respecté la Constitution au début du mois de juillet dernier, en refusant d’organiser une séance de questions. Le Conseil constitutionnel vous a alors sèchement rappelé à l’ordre. Depuis l’élection du Président de la République François Hollande, 100 % des cinq textes législatifs qui ont été examinés l’ont été selon la procédure accélérée. Pas une loi ordinaire n’a été examinée normalement.
M. François Grosdidier. C’est scandaleux !
M. Gérard Larcher. Vous contournez les délais pour feindre l’action.
Je me tourne à présent vers le président du Sénat, pour lui rappeler que, ces dernières années, il était très attentif à cette question de la procédure accélérée, sur laquelle il revenait régulièrement auprès du président du Sénat que j’étais alors. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Un sénateur du groupe UMP. La fonction change l’homme !
M. Gérard Larcher. En fait, la décision du Conseil constitutionnel marque un tournant. Elle consacre le renforcement du rôle du Parlement que Nicolas Sarkozy et François Fillon ont voulu en 2008.
M’adressant, faute de Premier ministre, au ministre chargé des relations avec le Parlement, je poserai une question simple : allez-vous enfin respecter le Parlement ? Allez-vous enfin respecter l’opposition ?
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Gérard Larcher. À cet égard, notre séance d’hier sur le dossier des normes applicables aux collectivités territoriales ne m’a pas rassuré…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est le moins que l’on puisse dire ! Hier a été une bien mauvaise journée.
M. Gérard Larcher. Allez-vous enfin respecter la Constitution ?
J'ajoute à ma question une requête. Je vous demande solennellement, quand vous soumettrez le texte sur le logement social au Parlement, d’utiliser la procédure normale ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Allez-vous le voter ?
M. David Assouline. Mais vous êtes contre le logement social !
M. Gérard Larcher. En effet, ce sujet est essentiel pour nombre de Français parmi les plus modestes et pour nos collectivités locales. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Il mérite un véritable débat, donc deux lectures, dans chacune de nos assemblées. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous avez peur des 25 % de logements sociaux !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Larcher, vous ressentez comme un camouflet pour le Gouvernement la décision qui a été rendue hier par le Conseil constitutionnel.
M. Bruno Sido. C’est le cas !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Dans sa grande sagesse – cela ne vous a pas échappé ; c’est assez rare –, le Conseil constitutionnel a précisé (Protestations sur les travées de l'UMP.)…
M. Pierre Charon. Respectez le Conseil constitutionnel !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. … dans son communiqué qu’il avait déjà été amené à annuler des lois pour cause de non-respect de la procédure.
Ce fut le cas, notamment, dans une décision du mois de juin 2011, de la loi sur le conseiller territorial (Exclamations sur les travées de l'UMP.)…
M. Pierre Charon. Cela n’a rien à voir !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. … pour des faits très graves, parce que le Gouvernement que vous souteniez, monsieur Larcher, et la majorité qui était encore celle de cette assemblée avaient ignoré les droits du Sénat. (M. Alain Néri s’exclame.) À l’époque, vous avez dû ressentir cette décision comme un super-camouflet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Et voilà ! C’est la réponse du berger à la bergère.
M. Alain Néri. Cela s’appelle un boomerang !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Quand des erreurs se produisent, il faut aussi rappeler, comme le Conseil constitutionnel l’a fait d'ailleurs, celles que vous avez commises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est petit.
M. Christian Cambon. Quel tour de passe-passe !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. J’en viens à la décision rendue hier par le Conseil constitutionnel, car il faut rappeler ce qui s’est passé.
Je crois que vous êtes suffisamment bon juriste, monsieur Larcher, pour savoir qu’un mot dans votre question n’est pas juste : vous ne pouvez affirmer ici, sauf à vous expliquer davantage, que le Gouvernement aurait fait pression sur le Sénat pour que le débat porte sur le texte qu’il avait déposé.
En réalité, – les documents annexés à la décision du Conseil constitutionnel le montrent bien – il y a eu une décision de la conférence des présidents, dont les membres ont choisi d’utiliser l’exception prévue à l’article 42 de la Constitution. Ils avaient raison et nous avons accepté leur décision. Celle-ci a d'ailleurs été contestée par les partisans de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Toutefois, les juristes pourront observer que le débat n’est pas complètement vidé par la décision du Conseil constitutionnel :…
M. Ladislas Poniatowski. Assumez de temps en temps !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. … le président du Sénat a écrit au Conseil constitutionnel pour défendre la position qui était la nôtre et qui était juste. Malheureusement, la Haute Juridiction a considéré que le Sénat ne pouvait à la fois laisser sa commission délibérer et examiner en séance le texte du Gouvernement. (Exclamations sur les travées de l'UMP. – M. Alain Gournac brandit la une du journal Libération du 25 octobre 2012, qui titre sur « Les apprentis » au-dessus de la photographie du Président de la République et du Premier ministre.)
M. Christian Cambon. Cela cafouille…
M. Roger Karoutchi. La démonstration n’est pas brillante.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Telle est l’origine de la décision. Celle-ci est normale, puisque la procédure, c’est le Conseil constitutionnel qui la contrôle.
La situation d’aujourd'hui ne peut faire oublier le fond du débat. Monsieur Larcher, vous avez rappelé que vous étiez très attaché à la question du logement social. (M. François Grosdidier s’exclame.) Pour ma part, j’observe que vous avez jusqu’à présent marqué cet attachement en combattant les mesures favorables à la création de logements sociaux (Protestations sur les travées de l'UMP.), à la mobilisation du foncier public, à la définition de nouvelles obligations pour les communes, notamment pour celles que vous protégez, comme Neuilly-sur-Seine ! (Même mouvement.)
Telle est la question qui intéresse les Français. C’est pour mener cette politique que nous avons été élus, et, au-delà des incidents de procédure, nous la mettrons en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
cyberdéfense
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants.
En France comme ailleurs, se sont produites ces dernières années un certain nombre de cyberattaques qui ont été tout à fait dévastatrices, même si l’on en a peu parlé. Ont ainsi été visés le ministère de l’économie et des finances l’an dernier, à la veille du G8-G20, le géant du nucléaire français Areva – cette attaque, sûrement de longue durée, a entraîné un pillage très important de la richesse de cette société –, mais aussi la présidence de la République et certains ministères, pour ne citer que quelques exemples qui concernent les intérêts vitaux de notre pays.
En outre, si l’on y réfléchit bien, on se rend compte que les cyberattaques sont le meilleur moyen de perturber gravement un pays comme le nôtre, notamment en paralysant les systèmes informatiques et Internet, le transport aérien et ferroviaire, le fonctionnement des hôpitaux et les réseaux d’eau et d’énergie, parce que, au fond, elles exigent peu d’organisation et sont assez faciles à mener.
Pour ne prendre que deux exemples d’attaques récentes très destructrices, j’évoquerai le virus Stuxnet, qui a littéralement mis hors d’usage mille centrifugeuses à la centrale nucléaire de Natanz en Iran, ou, plus récemment encore, les trente mille ordinateurs détruits chez le gérant pétrolier Saudi Aramco.
Vous le voyez, ces sujets ne relèvent pas du fantasme, d’autant que les intérêts vitaux visés, monsieur le ministre délégué, sont aussi d’ordre économique, car l’essentiel des pénétrations de réseaux constitue une entreprise d’espionnage massif de notre richesse industrielle. Or, en période de guerre économique, cela compte !
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté à l’unanimité un certain nombre de propositions, comme autant de pistes d’action, qui ont bien sûr été soumises au Gouvernement. Nous attendons maintenant des réponses de votre part. En effet, par rapport à nos voisins, notamment les Britanniques et les Allemands, qui connaissent des enjeux de sécurité économique comparables, nous avons du retard.
À cet égard, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, créée en 2009, qui est reconnue à l’échelon tant national qu’international pour sa compétence et qui est aux côtés des entreprises et des administrations attaquées, a besoin de voir ses moyens augmentés.
Nous attendons également que le monde économique et les administrations soient sensibilisés sur le sujet, pour qu’ils signalent les attaques et qu’ils puissent être aidés.
Vous le comprenez bien, c’est un enjeu économique, de sécurité, ayant également des répercussions sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
Nous sommes en droit d’attendre, à l’instar de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et d’autres pays voisins, une prise en compte au plus haut niveau de l’État de cette réalité, une définition des priorités et des réponses qui s’imposent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des anciens combattants.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur Bockel, je tiens d’abord à vous faire part des excuses de M. le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui ne pouvait être parmi nous aujourd’hui.
Vous n’êtes pas sans savoir l’importance qu’il accorde à cette question. Il l’a d’ailleurs manifestée, voilà peu, en se rendant à Bruz, à côté de Rennes, pour visiter le centre technique de la direction générale de l’armement, la DGA.
La cyberdéfense est constituée de l’ensemble des moyens techniques et opérationnels visant à détecter, analyser et réagir aux attaques de nature informatique. La nature des systèmes visés est extrêmement variée, depuis les réseaux informatiques classiques jusqu’aux systèmes d’armes, en passant par les systèmes industriels. L’objectif de ces attaques, vous l’avez rappelé, peut être la recherche de renseignements, la neutralisation des systèmes ou encore la modification de l’information.
En la matière, l’organisation de l’État repose sur une étroite collaboration entre l’ANSSI, j’y reviendrai, et le ministère de la défense. La coordination technico-opérationnelle est cruciale et se traduit, pour le ministère de la défense, par une coopération très étroite entre la DGA et l’état-major des armées.
Nous renforçons actuellement la protection et la défense des systèmes d’information. La montée en puissance de l’ANSSI se manifestera par la création de soixante-cinq postes supplémentaires dès 2013, et se poursuivra.
Le prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale devrait réserver une attention particulière à ces questions.
Plus particulièrement, au ministère de la défense, un officier général à la cyberdéfense a été désigné et une structure spécifique, le centre d’analyse en lutte informatique défensive, le CALID, a été mise en place. Ses effectifs vont passer de vingt à quarante personnes en 2013, ce qui lui permettra d’être opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
En outre, un schéma directeur de la cybersécurité a été préparé. Il vise à renforcer ce domaine d’action de manière importante.
Nous avons ensuite nommé un fonctionnaire de la sécurité des systèmes d’information. Il est rattaché fonctionnellement au chef du cabinet militaire du ministre de la défense, ce qui est une garantie de la prise en compte, au bon niveau, de la question de la sécurité de nos systèmes d’information.
Enfin, la DGA, plus particulièrement son centre technique de Bruz, renforce l’expertise technique, déterminante pour la souveraineté de la France, par le recrutement planifié de deux cents personnes dans les trois années à venir.
Monsieur le sénateur, j’espère avoir répondu à vos interrogations. (M. Jean-Marie Bockel opine. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
emploi
M. le président. La parole est à M. Luc Carvounas.
M. Luc Carvounas. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Depuis seize mois consécutifs, les annonces de licenciements et les plans sociaux se succèdent et, malheureusement, les chiffres du chômage augmentent inexorablement.
La barre des trois millions de chômeurs est aujourd’hui dépassée.
Nous savions que la situation de notre pays était grave et n’avions pas sous-estimé les résultats catastrophiques de la politique menée par la droite pendant dix ans. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Berson. Eh oui, il faut le rappeler !
M. Claude Bérit-Débat. Un million de chômeurs de plus en cinq ans !
M. Luc Carvounas. Ne vous énervez pas, chers collègues de la droite ! (Même mouvement.)
Dès sa formation, le Gouvernement a mis en place une stratégie globale de bataille pour l’emploi et a agi sur tous les fronts.
Il s’est tout d’abord attaqué aux urgences.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ah bon ?
M. Luc Carvounas. Le ministre du redressement productif et, pour la filière agroalimentaire, le ministre de l’agriculture ont suivi au cas par cas les entreprises en difficulté ou en procédure de licenciement collectif. Un accompagnement et des réponses leur ont été apportés.
Le Gouvernement a aussi agi sur le court et le moyen terme (M. Alain Gournac s’exclame.), en maintenant et en augmentant les contrats aidés que l’ancienne majorité voulait supprimer.
M. Luc Carvounas. Il l’a également fait en créant 150 000 emplois d’avenir pour les jeunes quittant le système scolaire sans formation.
M. Alain Gournac. Les heures supplémentaires, aussi !
Mme Isabelle Debré. Attendons le rapport Gallois !
M. Luc Carvounas. Le Gouvernement a agi, enfin, sur le long terme par des mesures en faveur de l’éducation, clef de la réussite.
M. Alain Gournac. Rapport Gallois !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils l’ont enterré !
M. Luc Carvounas. Aujourd’hui, l’accord des partenaires sociaux va rendre possible la mise en œuvre d’un engagement essentiel du Président de la République : les contrats de génération.
Ils permettront aux jeunes d’accéder à un premier emploi et aux seniors, trop souvent écartés prématurément du monde du travail, de conserver le leur, tout en transmettant leur savoir-faire et leur expérience.
Ces contrats constituent le troisième volet de la politique qui doit permettre d’inverser la courbe du chômage.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire plus en détail ce qu’il en est de ces différents dispositifs et du calendrier de leur mise en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. Alain Gournac. Le rapport Gallois !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur Carvounas, vous me permettrez de répondre en lieu et place de Michel Sapin, retenu aujourd’hui par le forum des ministres du travail et de l’emploi.
Vous l’avez justement dit, la bataille de l’emploi est la priorité du Gouvernement, car le contexte économique et social l’exige. (Mme Isabelle Debré s’exclame.) Nous ne pouvons considérer comme inéluctable la situation que nous avons trouvée, avec plus de 10 % de la population active au chômage et plus de trois millions de chômeurs. Telle est la réalité que nous avons rencontrée en juin dernier ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Néri. Voilà votre œuvre !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Nous avons également découvert que des plans sociaux avaient été habilement retardés. Ceux-ci vont, hélas ! encore augmenter le nombre de demandeurs d’emploi dans notre pays au cours des mois prochains. (Mêmes mouvements.)
M. Alain Gournac. Rapport Gallois !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, nous enrayerons cette spirale de l’échec…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vous qui êtes en échec depuis cinq mois !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. … et nous ferons en sorte que, à la fin de l’année 2013, la courbe du chômage soit inversée. Telle est la feuille de route qui a été délivrée par le Président de la République. Celle-ci contient une double priorité, l’emploi et la jeunesse, pour que les nouvelles générations entrant dans le monde du travail ne le fassent pas au détriment de celles qui les précèdent.
La première traduction de cette double priorité, vous l’avez rappelé, est sur les rails : ce sont les 150 000 emplois d’avenir, validés hier par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) À ce sujet, l’opposition oublie de dire qu’elle a essayé de faire censurer cette disposition, votée par la nouvelle majorité au bénéfice de la jeunesse de France. Ces premiers contrats emplois d’avenir seront signés dès le début du mois de novembre prochain, partout, dans tous les territoires de France, pour apporter une réponse aux jeunes qui sont sortis du système scolaire sans formation.
M. Jean Bizet. Ce n’est pas la bonne réponse !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce sont des vieilles recettes qui ne marchent pas !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Ils se verront ainsi proposer un emploi et une formation.
La deuxième étape, ce seront les contrats de génération – 500 000 ! –, qui vous seront proposés dans un texte débattu au Parlement en janvier prochain, sur le contenu duquel nous sommes tombés d’accord vendredi dernier avec les partenaires sociaux. Fruit d’un travail négocié et du dialogue social renouvelé, ce contrat liera deux générations, les seniors et les juniors, par la transmission d’un savoir.
Enfin, dès la semaine dernière, 40 000 emplois aidés supplémentaires ont été dévolus aux préfets de vos départements respectifs pour accompagner celles et ceux qui sont durablement éloignés de l’emploi.
Vous le voyez, nous agissons de façon concrète, respectant en cela les engagements du Président de la République pris pendant la campagne pour l’élection présidentielle, car c’est sur ces bases que la France a voulu une nouvelle majorité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe écologiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
aéroport notre-dame-des-landes
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Elle porte sur une problématique de transport, mais qui pourrait avoir des conséquences beaucoup plus importantes. À cet égard, je voudrais rappeler que la solidarité n’exclut pas la franchise, la solidarité appelle la franchise.
Un événement est passé relativement inaperçu : la victoire dans une ville bourgeoise et industrielle, Stuttgart, capitale d’un Land allemand, d’un maire écologiste. Personne ne s’est interrogé sur ce qui a conduit cette ville à élire une personnalité de cette étiquette politique.
Sachez simplement que le transfert d’une gare existante, ultramoderne, a fait l’objet d’une polémique dans cette ville. Des personnes du troisième âge n’ayant jamais manifesté, mais aussi d’autres, qui avaient pris connaissance de ce dossier, s’y sont opposées, et ce pour trois raisons.
Tout d’abord, les lois sur l’eau étaient bafouées, le projet n’entrant pas dans le cadre de ce qu’exige le Land. Ensuite, les lois sur le respect de la biodiversité n’ont pas été respectées. Enfin, la consultation des usagers, prévue par la législation, n’a pas été menée à son terme.
M. Alain Gournac. Vous connaissez Mme Lamblin ?
Mme Corinne Bouchoux. Pour dire les choses autrement, nous avons depuis un certain temps – et c’est acté publiquement – un léger désaccord de fond sur un dossier.
M. Charles Revet. Ce n’est pas le premier !
Mme Corinne Bouchoux. N’ajoutons pas à ce désaccord de fond, qui résulte d’un point de vue différent, des problèmes de forme.
Nous ne sommes plus à l’ère de l’essence et du kérosène coûtant peu cher. Ce projet avait ses défenseurs voilà quelques années ; parmi nous, écologistes, il a de très nombreux adversaires, car il ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui.
Ma question est donc assez simple : pourquoi faire preuve d’autant de précipitation et de virulence, alors que tous les recours juridiques n’ont pas été à leur terme, à l’échelon tant national qu’international (M. Alain Gournac s’exclame.), et pourquoi mettre en œuvre les expulsions qui vont nécessairement avoir un coût – on a parlé de 500 millions d’euros, je ne sais pas si c’est vrai –, lequel va s’ajouter au coût du projet ?
Ce dossier n’est pas complètement tranché. Je voudrais très solennellement vous appeler à prendre garde que Notre-Dame-des-Landes ne soit pas comme un de ces nouveaux aéroports espagnols désertiques (Exclamations sur les travées de l'UMP.), où personne ne circule ni ne voyage.
Mes chers collègues, regardez ce qui se passe à Berlin : l’aéroport Willy-Brandt n’est toujours pas inauguré, alors que le projet n’avait pas soulevé de problème et avait fait l’objet d’un consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, le projet d’infrastructure auquel vous faites référence, l’aéroport Notre-Dame-des-Landes est un projet qui est somme toute ancien, puisque, engagé sous la maîtrise d’ouvrage de l’État en 2008, il est financé et porté de longue date par de nombreuses collectivités, à savoir les régions, des départements, des intercommunalités.
M. Gérard Larcher. Surtout M. Ayrault !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il s’agit non pas d’un nouvel aéroport, mais d’un transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique, également pour des raisons environnementales, qu’il convient de rappeler, tenant notamment à la proximité du centre-ville. Les conflits d’usage, les nuisances sonores ainsi que la qualité de l’air ont donc été pris en compte.
Un certain nombre de financements ont été mobilisés. Ce projet n’est pas aujourd’hui au début de sa réalisation, mais il est en phase de réalisation, puisque la déclaration d’utilité publique, purgée de tout recours, est maintenant applicable et opposable. Il appartient désormais aux juridictions concernées de statuer sur les derniers contentieux qui ont trait à la propriété et l’expropriation. D’ailleurs, dans la grande sagesse des acteurs de ce projet, il a été convenu d’attendre le résultat des recours en cassation contre des décisions relatives aux transferts de propriété.
L’État ainsi que les élus de Nantes Métropole et du conseil régional ont souhaité faire avancer ce dossier dans le respect des intérêts de la population, des agriculteurs et des communautés de communes concernées. Cette méthode est empreinte de concertation et de respect. C’est pourquoi le Gouvernement soutient les procédures engagées.
Vous avez fait référence aux enquêtes et aux procédures juridiques opposables. Certes, elles sont nombreuses. Il y a notamment les procédures d’enquête publique en cours au titre de la loi sur l’eau. Vous le savez, les infrastructures, en particulier de cette importance, peuvent avoir des incidences sur l’eau et les milieux aquatiques.
Aux termes du code de l’environnement, madame la sénatrice, sont requises des procédures spécifiques d’autorisation ou de déclaration. Ces projets doivent faire l’objet d’un arrêté préfectoral d’autorisation, et celui qui porte sur l’aéroport ne fait pas exception. Par ailleurs, il est nécessaire, pour le pétitionnaire, de délivrer un dossier complet, comportant étude d’impact, mesures compensatoires et mesures de préservation des écosystèmes aquatiques.
Voilà l’ensemble du dispositif. Il n’y a pas de volonté de se précipiter ou d’outrepasser les procédures. Un délai, un timing a été prévu, il est respecté (Mme Corinne Bouchoux hoche la tête.), et les procédures sont appliquées sous le contrôle des autorités juridictionnelles.
Je le répète une fois encore, faire rimer les enjeux d’aménagement du territoire, les enjeux économiques et le respect des intérêts de chacun est au cœur de nos préoccupations et de la procédure engagée, depuis 2008, par l’État ou en son nom, en collaboration avec les collectivités locales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
déserts médicaux
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Le dimanche 21 octobre dernier, M. le Président de la République, François Hollande, clôturait le congrès de la Mutualité française en ces termes : « Aucun Français ne doit se trouver à plus de trente minutes de soins d’urgence […] Aucun instrument financier, si ingénieux soit-il, ne saurait remplacer une stratégie sanitaire ».
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Des mots !
M. Guy Fischer. J’y étais et j’ai applaudi ces fermes propos.
M. Jean Bizet. Vous y avez cru ?
M. Guy Fischer. Toutefois, force est de constater (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.) que les dégâts infligés à notre système de soins par le gouvernement précédent, via de véritables plans sociaux, des restructurations et des fermetures d’établissements diligentés par les ARS, les agences régionales de santé, sont considérables. Ils ne pourront être « réparés » que par une politique volontariste, engagée en urgence pour mettre fin aux déserts médicaux.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y a encore de l’argent pour les salles de shoot !
M. Guy Fischer. Je concentrerai mon propos sur les maternités de proximité.
Nous assistons à une véritable fracture sanitaire, à la suite de la fermeture des deux tiers de nos maternités au cours des trente dernières années. Le temps de quarante-cinq minutes retenu comme délai de référence en termes de sécurité pour la mère et l’enfant n’est plus respecté, ainsi que le souligne la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.
L’UFC-Que Choisir de mon département vient, à son tour, de m’alerter, en faisant le lien entre déserts médicaux et dépassements d’honoraires. Cette association de consommateurs souligne que, au-delà des déserts géographiques que sont les zones rurales et les quartiers populaires des grands ensembles, la pénurie de médecins ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires accroît de façon dramatique l’inégalité dans l’accès aux soins.
Dans le Rhône, le pourcentage de la population vivant dans un désert médical gynécologique passe de 9 % à 99 % dès lors que seul est financièrement possible l’accès à un gynécologue proposant des tarifs sans dépassements d’honoraires.
Ainsi se conjuguent de façon dramatique fermetures de maternités et fracture entre les patientes.
Face à une telle pénurie, il faut agir, agir vite et sur deux leviers : décréter un arrêt immédiat des fermetures de maternités ; plafonner les dépassements d’honoraires en gynécologie, comme dans d’autres secteurs en grande tension.
Je souhaiterais donc connaître la position du Gouvernement sur cette urgence sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Marisol Touraine, retenue à l’Assemblée nationale dans le cadre du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Vous dites à quel point le précédent gouvernement a abîmé notre système de soins et vous avez raison. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Il est utile de rappeler la multiplication des déremboursements de médicaments, l’augmentation continue du forfait hospitalier, la création du forfait sur les consultations médicales, les nouvelles taxes sur les mutuelles,…
M. François Grosdidier. Vous êtes en train de revenir sur tout cela. Abrogez tout !
M. Francis Delattre. Travaillez !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … l’explosion du niveau des dépassements d’honoraires.
Effectivement, les assurés ont eu l’impression que leur couverture maladie se rétrécissait comme peau de chagrin.
Alors, c’est vrai, s’impose une réorganisation de notre système, pour permettre à tous l’accès aux soins. Conduite par Marisol Touraine, elle consistera, d’une part, à revaloriser les missions de l’hôpital public,…
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … et, d’autre part, à veiller à une meilleure organisation de la médecine de proximité.
M. François Rebsamen. Bravo !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. En effet, il est temps de bâtir les parcours autour du patient et non plus des structures.
M. Alain Gournac. Bla-bla-bla !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pour permettre à chaque Français de se soigner près de chez lui est engagé un combat contre les déserts médicaux,…
M. Alain Gournac. C’est de la bouillie !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … que vous soulignez, monsieur Fischer.
Cela se traduit, très concrètement, par la création, dès 2013, de 200 postes de praticiens locaux de médecine générale.
M. Francis Delattre. Elle s’est trompée de paragraphe !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Vous avez raison de le rappeler, accéder à un médecin est parfois devenu un privilège ; cela doit redevenir un droit.
Il nous faudra évidemment aller plus loin sur ce sujet. Vous avez cité les propos du Président de la République, chaque Français doit pouvoir accéder en moins de trente minutes à des soins d’urgence. Il conviendra également de mettre en œuvre des mécanismes d’incitation et d’attractivité pour que les professionnels viennent s’installer dans les territoires sous-dotés.
Afin de faciliter la consultation d’un médecin de ville sera mise en œuvre une organisation en équipe, ce qui permettra d’accroître les horaires d’ouverture, de prendre en charge les demandes de soins dans des délais raisonnables et d’éviter ainsi tout passage inutile aux urgences.
M. Alain Gournac. Combien de pages encore ?
M. Francis Delattre. Un désert intellectuel quand on vous entend !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … il faudra, à terme, diminuer le reste à charge supporté par les familles. Les Français ne doivent plus renoncer à se soigner pour des raisons financières. Les Françaises ne doivent pas mettre en danger leur santé et leur grossesse pour des raisons financières.
M. Alain Gournac. Agissez !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous, qu’avez-vous fait ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. La négociation sur les dépassements d’honoraires qui s’est achevée cette semaine a abouti à un accord positif. Il concerne aussi la gynécologie et les Françaises en bénéficieront.
Vous le voyez, monsieur le sénateur,…
M. Alain Gournac. Tout va bien !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … l’action du Gouvernement est résolue : lutte contre les déserts médicaux, d’un côté ; accord pour diminuer progressivement le reste à charge des familles, de l’autre. C’est ainsi que nous nous dirigeons vers le respect de l’égal accès aux soins pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)
M. Alain Gournac. Amateurisme !
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Il n’a pas passé une bonne nuit !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne s’est pas remis de ce qui s’est passé hier !
M. François Grosdidier. Il apprend la Constitution !
M. Bruno Sido. Mme la ministre Marylise Lebranchu, ici présente, répondra à sa place.
Je souhaiterais évoquer la situation financière très difficile des départements,…
M. Alain Néri. Que vous nous avez laissée !
M. Bruno Sido. … situation qui provient de l’inadéquation des dépenses des allocations de solidarité à leurs financements.
Le panier des allocations ne cesse de s’alourdir au sein des dépenses de fonctionnement des départements. En 2012, il devrait croître de 4,4 %, alors même que les ressources destinées à le compenser sont en hausse de 0,6 %. En 2004, l’État couvrait 70 % des allocations de solidarité ; en 2010, il n’en garantissait plus que 59 %, laissant aux départements un reste à charge de 5,8 milliards d’euros.
M. Alain Néri. Eh oui !
M. Claude Bérit-Débat. Cherchez l’erreur !
M. Bruno Sido. L’année 2013 risque d’être plus difficile encore.
La reconnaissance des départements et de leurs difficultés n’est plus à démontrer : en atteste l’audience que le Président de la République, que je remercie de son initiative, et son Premier ministre ont accordée lundi dernier…
M. Michel Berson. C’était une première !
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Alain Néri. Il faut le dire !
M. Bruno Sido. … à une délégation de présidents de conseils généraux. Nous attendons aujourd’hui des actes forts et concrets.
Au terme des échanges qui ont eu lieu à l’Élysée, il a été fait mention de la mise en œuvre des conditions pérennes du financement des dépenses de solidarité que sont, je le rappelle, l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, le RSA, le revenu de solidarité active, et la PCH, la prestation de compensation du handicap. Toutefois, rien ne serait mis en place avant 2014.
Aujourd’hui comme hier, les départements sont conscients de la situation des comptes publics de la nation. Pour autant, j’affirme, au nom des 102 présidents de conseil général, que répondre à la question du financement des trois allocations individuelles de solidarité est un préalable pour restaurer la confiance entre l’État et les conseils généraux.
La réforme annoncée se fait, chaque jour, de plus en plus pressante pour les départements. Nous attendons des engagements forts, qui nous permettront de sortir des impasses financières dans lesquelles certains d’entre nous se trouvent d’ores et déjà et dans lesquelles tous se trouveront demain.
Avant de trouver la solution financière, que tout le monde appelle de ses vœux, les départements attendent, dans un premier temps, un véritable coup de pouce pour compenser certaines dépenses.
Il est évoqué une aide exceptionnelle de 170 millions d’euros – François Fillon avait mis 140 millions d’euros sur la table il y a deux ans –,…
M. Yves Daudigny. C’est un peu mieux !
M. Bruno Sido. … destinée à une trentaine de départements structurellement fragiles et qui n’arriveraient pas à assumer leurs missions.
Mais quels sont ces départements et sur quels critères seront-ils désignés ? On le sait, c’est la majorité des départements qui est en difficulté.
Dans un deuxième temps, les départements attendent une montée en puissance du dispositif.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous suggérerais de réserver une issue favorable à la proposition de loi déposée par notre collègue Gérard Roche, qui propose l’élargissement de la première journée de solidarité à l’ensemble des actifs ainsi qu’aux retraités. Cela rapporterait pas moins de 900 millions d’euros aux départements !
M. Jean-Jacques Mirassou. Quelle est la question ?
M. François Rebsamen. La question !
M. David Assouline. Larcher, coupez-lui le micro !
M. Bruno Sido. Il en serait de même si était adoptée une autre proposition de loi, déposée par Christophe Béchu, relative aux allocations familiales et à l’allocation de rentrée scolaire pour les enfants confiés à l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance.
M. le président. Monsieur Sido, vous avez largement dépassé votre temps de parole, posez votre question.
M. Bruno Sido. Je termine, monsieur le président.
Madame la ministre, quelle réponse apportez-vous aux départements, qui attendent une meilleure prise en compte des difficultés immédiates rencontrées quant au financement des dépenses de solidarité ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Gérard Roche applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je me réjouis que nous puissions nous exprimer dans une ambiance sereine et apaisée. Vous-même avez salué l’initiative prise par le Président de la République.
Je vous ai entendu nous dire que, en 2004, la situation était déjà dure pour les départements. J’ai l’impression que, en 2012, cela fait une dizaine d’années que la relation entre les départements et l’État est en quelque sorte marquée du sceau de l’amateurisme. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Yves Daudigny. Très juste !
M. Michel Houel. Oh là là !
M. Gérard Larcher. Les amateurs ne sont pas ceux que vous croyez. Qui surnomme-t-on « les apprentis » ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Sido, vous êtes aussi président de conseil général. On aurait pu se rendre compte il y a longtemps que passer d’un financement de l’APA à 50-50 à un financement à 70-30 allait forcément entraîner un effet de ciseaux. C’est de cela que le Président de la République, qui connaît bien les départements, a voulu discuter avec l’ensemble des présidents de conseils généraux. De ces échanges qui ont porté sur les conséquences des décisions prises, vous dites qu’ils n’ont pas été assez concrets.
La situation perdure depuis dix ans quand cela fait à peine six mois que Anne-Marie Escoffier et moi-même avons pris ce dossier à bras-le-corps, en cherchant, avec le ministre de l’économie et des finances et le ministre du budget, quelle est effectivement la bonne solution de financement pour les départements, comme pour les conseils régionaux, – l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, ici présent, le rappelait dans un colloque récent – lesquels n’ont plus du tout de dynamique fiscale.
Nous nous engageons, d’une part, à ce que, dans le cadre du projet de loi à venir sur les compétences, rien ne soit transféré, décentralisé ou délégué sans que nous ayons discuté en même temps de la ressource, et, d’autre part, à ce que rien ne soit « donné » aux départements qui puisse aggraver la situation.
Le Président de la République l’a dit l’autre jour, il a pris l’engagement de mettre 170 millions d’euros à la disposition des départements, pour que ceux-ci puissent non seulement faire face à cet effet de ciseaux que j’évoquais, mais aussi répondre à leurs propres engagements, ceux qu’ils viennent de prendre et que nous sommes nombreux à saluer, toutes tendances politiques confondues. Je veux parler du recrutement, par les conseils généraux, de 7 000 emplois d’avenir, des efforts consentis sur les contrats aidés et le service civique, ainsi que, dans l’urgence, sur le logement social, et il faut saluer l’exemple qu’a pu nous donner le président du conseil général de la Drôme à ce sujet.
Nos départements acceptent de s’engager pour que l’investissement public réponde aux besoins de nos concitoyens, tout en étant générateur de croissance. C’est pourquoi nous avons également décidé de ne pas diminuer l’aide aux collectivités territoriales cette année.
Puisque j’ai épuisé le temps de parole qui m’était imparti, je termine en précisant simplement que le ministre du budget s’engage avec nous pour que, au collectif 2012, on ait trouvé les critères, à partir des autofinancements nets, en vue de répondre à votre juste inquiétude. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.)
aide à domicile
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Ma question, qui s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, concerne les services d’aide à domicile.
Nul d’entre nous n’ignore les difficultés financières majeures auxquelles sont confrontées les associations de service d’aide à domicile pour les personnes âgées et les personnes handicapées, non plus que la gravité des conséquences sociales et économiques de ces difficultés pour nos territoires.
Le secteur des services à domicile est essentiel. Il l’est pour le « vivre ensemble ». Il l’est pour la masse et la manne d’emplois solidaires non délocalisables qu’il représente.
À la fin 2009, faute de réaction du gouvernement de l’époque, l’Assemblée des départements de France, l’ADF, a pris l’initiative. Celle-ci s’est concrétisée, d’abord, en 2010, par l’adoption, avec seize fédérations et à l’unanimité, d’un projet de refondation de l’aide à domicile prestataire autorisée par les conseils généraux, puis, en 2011, par la signature d’une plate-forme commune entre l’ADF et quatorze fédérations, rejointes ensuite par une quinzième.
L’une des six propositions phares de cette plate-forme portait sur un nouveau mode de tarification horaire. Cette proposition a été reprise, pour expérimentation, par la loi de finances pour 2012. Toutefois, l’arrêté d’encadrement, qui devait être publié en février 2012 par le précédent gouvernement, a été bloqué pour des raisons inexpliquées et inexplicables.
M. Guy Fischer. Comme d’habitude !
M. Yves Daudigny. Nous nous sommes donc réjouis, madame la ministre, que vous ayez très rapidement décidé la publication de cet arrêté, au Journal officiel du 21 septembre 2012.
Certes, des expérimentations en la matière étaient déjà lancées, mais de nombreux départements restaient dans l’attente de cette publication dont les trois annexes fixent un cahier des charges qui sécurise les expérimentations et permettra d’en assurer le suivi et l’évaluation. Ainsi, le département de l’Aisne, pour n’en citer qu’un, vient-il, à la suite de cet arrêté, de contractualiser avec les associations pour expérimenter un tarif au forfait global.
Toutefois, cela n’est pas tout. D’autres mesures immédiates et de plus long terme sont également nécessaires. Pouvez-vous, madame la ministre, éclairer la représentation nationale sur vos projets, compte tenu, je l’ai dit, de l’importance majeure du secteur pour la vitalité de nos territoires et pour l’emploi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur Daudigny, je ne peux que souscrire à chacune de vos paroles. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Comme c’est bizarre !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Le secteur de l’aide à domicile, qui représente plus de 8 000 structures et plusieurs centaines de milliers d’emplois, fait aujourd’hui face à de lourdes difficultés, et il doit bien souvent compter sur l’appui des départements pour les surmonter.
L’aide à domicile, sous forme associative, a ainsi perdu 5 % de ses effectifs. Et au cours des années 2010 et 2011, ce sont 16 000 emplois qui ont été touchés.
Pour cette raison, j’ai déposé, dès l’actuel projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement visant à consacrer au secteur un fonds de restructuration de 50 millions d’euros qui permettra de sauver plusieurs milliers d’emplois.
En contrepartie, vous le savez, les associations devront évoluer vers plus de regroupements, plus de mutualisation, plus de professionnalisation et s’engager de manière plus ferme encore dans une politique de prévention, préparant ainsi le volet prévention de la future réforme de la perte d’autonomie, que le Président de la République et le Premier ministre ont annoncée, et le plan « métiers » que nous envisageons pour ce secteur dont le potentiel est, vous le savez, de 300 000 emplois à l’horizon 2020.
Vous l’avez rappelé, il s’agit de plus d’emplois non délocalisables, initialement peu qualifiés, et qui sont vecteurs d’inclusion sociale pour nombre de ceux qui s’y engagent.
Par ailleurs, pour sécuriser les expérimentations menées par les conseils généraux en matière de tarification, qu’elles reposent sur le modèle porté par l’Assemblée des départements de France et la Fédération des Quinze ou sur celui qui est contenu dans le rapport de Mme Poletti, j’ai, dès mon arrivée, demandé que l’arrêté fixant le cahier des charges de ces expérimentations soit enfin publié. Cette publication, le 21 septembre, montre notre engagement – mon engagement – aux côtés des départements afin de poursuivre ou d’initier ces expérimentations.
Le domicile est au cœur de notre politique de l’âge, et ce conformément au souhait des Français de demeurer chez eux le plus longtemps possible tout en restant pleinement acteurs de la société.
En partenariat avec les départements, nous sommes d’ores et déjà engagés dans l’élargissement de l’offre de domicile. Parallèlement, l’engagement a été pris à l’Élysée par le Président de la République lui-même de mieux prendre en compte les difficultés des départements. Cette démarche, nous la ferons en partenariat étroit avec vous tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean-Vincent Placé et Ronan Dantec applaudissent également.)
agriculture et pac
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
M. Antoine Lefèvre. Ma question s'adressait à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Alors que se tient cette semaine à Paris, comme tous les deux ans, le salon international de l’alimentation, force est de constater que le made in France cher au ministre du redressement productif est aussi dans nos assiettes.
L’agroalimentaire est un atout important pour notre commerce extérieur, tout comme l’était notre agriculture. Je dis « était » car celle-ci a été devancée ces dernières années par ses voisines allemande et néerlandaise.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Antoine Lefèvre. Notre agriculture a donc besoin d’un soutien ferme de nos gouvernants, et non de revirements successifs qui mettent à mal les prévisions de nos agriculteurs.
En effet, tout récemment, et au nom de la protection de la biodiversité, le ministre de l’agriculture, avec son collègue en charge de l’écologie, a informé la profession de sa volonté de porter de 3 % à 4 % sur les exploitations les surfaces qui doivent être occupées par des haies, jachères, plantations, pièces d’eau, etc. C’est ce qu’on appelle les surfaces en équivalent topographique, les SET.
À l’origine, ces éléments devaient représenter 1 % dans le dossier PAC. Ils sont passés à 3 % en 2011, avant d’être gelés en 2012.
Alors que la campagne 2012-2013 est déjà engagée, avec des programmes d’assolement déjà définis et des semences déjà commencées, un tel changement de règles va générer un manque à gagner certain pour les agriculteurs, sans aucune contrepartie.
Alors que les discussions pour la PAC 2014 sont sensibles en ce qui concerne son verdissement, une telle initiative tendant à réduire encore et sans préalable les surfaces cultivables est un signal prématuré.
En devançant une décision qui n’est pas encore prise, la France se retrouve donc, comme souvent, en distorsion de concurrence avec ses voisins, d’autant que la décision européenne n’est pas arrêtée.
Il semble, d’ailleurs, que vous auriez évoqué votre soutien à une hausse allant jusqu’à 7 % dans le cadre de la future PAC !
Aujourd’hui, les agriculteurs sont bien conscients des enjeux liés à l’environnement et à la biodiversité, mais ces initiatives ne doivent pas entraver la compétitivité de notre agriculture.
Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir considérer les appels des agriculteurs qui vous demandent de renoncer à ce projet d’accroissement des SET, lequel va contribuer à tendre encore plus les marchés alimentaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également. )
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, je veux d’abord présenter les excuses de Stéphane Le Foll qui, retenu au congrès de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM, n’a pas pu être parmi nous aujourd’hui.
M. Pierre Charon. Il prend de la hauteur !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. La France doit préparer l’avenir et, s’agissant de son agriculture, elle doit le faire en répondant aux enjeux économiques, mais aussi aux enjeux environnementaux pour conquérir une nouvelle compétitivité (Mme Isabelle Debré s’exclame.), alors que, vous ne l’ignorez pas, monsieur le sénateur, nous avons perdu tant de terrain depuis dix ans !
M. Bruno Sido. Oui ! Pourquoi ?
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Après concertation avec l’ensemble des syndicats agricoles et des ONG environnementales et en plein accord avec la ministre de l’écologie, Delphine Batho, le ministre de l’agriculture, Stéphane le Foll, a décidé, à la fin du mois de septembre, de faire passer le seuil des SET de 3 % à 4 % pour l’année 2013.
S’il l’a fait, c’est pour la simple raison que, nous en sommes convaincus, l’agriculture doit inventer un nouveau modèle (Mme Corinne Bouchoux et M. Ronan Dantec applaudissent.) faisant de l’engagement environnemental un atout pour nos agriculteurs.
Nous soutenons et nous soutiendrons les agriculteurs pour relever ce défi environnemental. C’est bien le sens de cette décision. (M. Ronan Dantec opine.) Et je rappelle que, dans le cadre des négociations sur la réforme de la politique agricole commune, la Commission européenne propose que chaque exploitation respecte un pourcentage de 7 % de surfaces d’intérêt écologique.
Vous le savez, la France soutient cet objectif européen de parvenir à 7 %. Nous défendons par conséquent l’idée d’inclure non seulement des éléments topographiques comme les haies, mais aussi des cultures qui sont intéressantes d’un point de vue environnemental. (MM. Jean-Vincent Placé et Ronan Dantec applaudissent.) Cela concerne le lin, mais aussi le chanvre (Rires sur les travées de l'UMP.) ainsi que les légumineuses. J’ai parlé du chanvre. Je vois que cela vous fait sourire. Il n’y a pas matière à sourire : il s’agit bien d’agriculture ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Francis Delattre. Et en plus, il n’a pas le sens de l’humour !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Merci de votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs ! (M. le ministre délégué regarde les travées de l’UMP.)
M. le président. Monsieur le ministre, il faut terminer.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. En tout cas, c’est en travaillant de façon progressive et en restant toujours déterminés à agir dans ce sens que nous pourrons engager le changement pour une agriculture économiquement et écologiquement performante.
Je suis sûr, monsieur Sido, que nous obtiendrons un large accord du Sénat sur ce projet, sur cette ambition pour, tout simplement, réussir la mutation dont notre agriculture a besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
parlement européen à strasbourg
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite interpeller le Gouvernement sur un sujet qui, au-delà de Strasbourg, concerne aussi, globalement, la France. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Je veux parler de la présence du Parlement européen dans la ville dont je suis le maire.
Vous le savez, cette présence est depuis longtemps contestée par un certain nombre de députés européens et par des lobbies de toutes sortes qui souhaitent, comme ils disent, un siège unique, one seat, du Parlement à Bruxelles. Cette bataille a pris, depuis quelques jours, un tour nouveau avec une offensive d’une grande violence contre Strasbourg et donc, indirectement, contre la France.
M. François Rebsamen. C’est inacceptable !
M. Roland Ries. Ce positionnement est en contradiction totale avec l’esprit et la lettre des traités fondateurs de l’Union européenne, qui, non seulement fixent le siège du Parlement européen à Strasbourg, mais, de plus, mettent en avant le nécessaire polycentrisme européen et la répartition des sièges des institutions européennes dans plusieurs villes à travers l’Europe et pas seulement à Strasbourg, à Luxembourg et à Bruxelles. (M. le ministre de l’intérieur sort de l’hémicycle.)
Mme Isabelle Debré et M. Pierre Charon. Monsieur Valls, restez !
M. Roland Ries. Des votes importants ont encore eu lieu avant-hier, le 23 octobre 2012, sur la question du siège. Ils font suite à la série de votes auxquels nous assistons depuis le vote de l’amendement Fox, lequel prévoit l’organisation dans la même semaine de deux sessions parlementaires de deux jours chacune pour contourner les traités qui stipulent que douze sessions annuelles du Parlement européen doivent se tenir à Strasbourg.
C’est évidemment inacceptable et cette ruse – je devrais dire cette manipulation ! – ne peut que jeter le discrédit sur les travaux du Parlement européen tout entier.
Je vous demande donc, d’abord, monsieur le ministre, de réaffirmer solennellement l’attachement de la France à la présence du Parlement européen sur son territoire, à Strasbourg. Je vous demande, ensuite, de réaffirmer que ce point n’est pas négociable, sauf à rouvrir la négociation sur l’ensemble des sièges de nos institutions européennes – c’est-à-dire, en réalité, rouvrir la boîte de Pandore, ce que personne ne veut. Je vous demande, enfin, de redire que, si siège unique il doit y avoir, ce siège ne peut être qu’à Strasbourg, conformément à l’esprit et à la lettre des traités.
M. Jean-Pierre Raffarin. Il a raison !
M. Roland Ries. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous aider à faire face à ces nouvelles offensives dans lesquelles la mauvaise foi se conjugue à une agressivité grandissante et proprement inacceptable.
M. Jean-Pierre Raffarin. Exact !
M. Roland Ries. J’ajoute que c’est aussi une certaine conception de la construction européenne qui se profile à l’arrière-plan de ce débat. À l’Europe économique et normative telle qu’elle se construit à Bruxelles, à l’Europe judiciaire et financière telle qu’elle se construit à Luxembourg et à Francfort, il est plus que jamais nécessaire d’adjoindre l’Europe des peuples et des droits de l’homme telle qu’elle s’élabore depuis longtemps à Strasbourg.
Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre, et de votre soutien sur ce dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Bernard Cazeneuve, actuellement en déplacement en Bulgarie.
Vous connaissez l’attachement des autorités françaises au rayonnement européen de la ville de Strasbourg et au siège strasbourgeois du Parlement européen.
Notre position est simple : la France est attachée au respect des traités qui ont fixé le siège du Parlement européen à Strasbourg. Pour nous, cette décision est intangible et non négociable. La localisation des institutions européennes, et notamment du Parlement européen, dans plusieurs villes permet de préserver cette Europe polycentrique à laquelle nous tenons, car elle constitue un outil précieux pour lutter contre la perception au sein des opinions publiques d’institutions lointaines, opaques et déconnectées des préoccupations des citoyens.
C’est la raison pour laquelle nous sommes très vigilants sur le respect des traités. C’est dans cet esprit que nous avons saisi la Cour de justice de l’Union européenne contre la délibération du Parlement européen relative au calendrier des sessions 2012 et 2013, qui tend à réduire le nombre de sessions plénières à Strasbourg. Les conclusions rendues le 6 septembre 2012 par l’avocat général de la Cour de justice dans cette affaire vont dans le sens de la position défendue par les autorités françaises.
L’avocat général estime en effet que les sessions plénières d’octobre 2012 et 2013, artificiellement scindées en deux par le Parlement européen, ne peuvent être qualifiées individuellement de sessions plénières mensuelles, et propose à la Cour d’annuler les délibérations du Parlement européen relatives au calendrier des périodes de sessions parlementaires pour 2012 et 2013. Les autorités françaises ont pris note des conclusions dès leur publication. Il appartient maintenant à la Cour de rendre son arrêt, ce qui devrait être fait d’ici à la fin de l’année, si l’on se fonde sur les délais usuels.
Cette saisine de la Cour de justice est une illustration de plus de notre détermination s’agissant du sujet que vous évoquez.
M. Pierre Charon. C’est un orateur-né !
M. Francis Delattre. Quel charisme !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le siège strasbourgeois du Parlement européen n’est pas, selon nous, négociable. Telle est, monsieur le sénateur-maire, la position du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Pierre Charon. Formidable réponse !
inflation normative liée à l'adaptation des transports publics au handicap
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
L’État s’est engagé dans la voie difficile de la maîtrise budgétaire et a demandé que l’effort soit aussi partagé par les différentes collectivités locales. On peut le comprendre et, pour ma part, j’y souscris, tout en faisant observer que la situation des départements est particulière, dans la mesure où une bonne part des dépenses sociales qu’ils assument sont des dépenses obligatoires sur lesquelles ils n’ont pas de prise.
Si les collectivités locales sont appelées à contribuer à l’effort, il me paraîtrait normal que l’État joue franc jeu et fasse tout son possible, de son côté, pour ne pas augmenter les dépenses obligatoires.
Je voudrais illustrer ce principe en citant l’exemple de l’obligation faite en matière de transports scolaires pour 2015, d’une part, aux transporteurs d’aménager les cars en vue du transport des personnes handicapées et, d’autre part, aux communes d’aménager en conséquence tous les arrêts de cars.
L’exécution de cette obligation représente, dans mon département, près de 1 000 points d’arrêt à la charge des communes et une dépense annuelle supplémentaire de 900 000 euros pour le conseil général, résultant de la diminution du nombre de places dans chaque car et du surcoût contractuel facturé par les transporteurs.
Cette dépense de 900 000 euros est à mettre en regard des 800 000 euros déjà consacrés par le conseil général au transport des handicapés, puisque nous sommes tenus – et cela est tout à fait légitime ! – d’aller chercher ces personnes à leur domicile, soit parce qu’elles ne peuvent se rendre aux points d’arrêt des cars, soit parce que leur lieu d’enseignement ne correspond pas à ceux qui sont desservis par les circuits classiques, qu’aucune d’entre elles n’utilise ! Cela créera donc une double dépense.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : dans le contexte de maîtrise budgétaire, êtes-vous prêt à reporter de cinq ans le terme de cette obligation de mise en conformité, tel qu’évoqué par la circulaire du 3 mai 2007, afin d’éviter aux communes et aux départements de supporter des dépenses supplémentaires au moment précis où vous diminuez les concours que vous leur apportez ? (MM Christophe-André Frassa et Jacques Gautier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Marie-Arlette Carlotti, qui est chargée de la question du handicap au sein du Gouvernement.
Mme Isabelle Debré. Il n’y a personne, alors !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Cette question étant relative à l’accessibilité dans le domaine des transports, nous la portons collectivement. Elle est en effet importante, puisqu’elle concerne les difficultés d’application de la loi auxquelles doivent faire face nombre de collectivités.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées dispose que les services de transport collectif devront être accessibles aux personnes handicapées et à mobilité réduite le 12 février 2015 au plus tard.
Cet objectif est essentiel, indispensable et même indiscutable, et cela fait déjà un certain nombre d’années que le principe en a été posé. Je tiens d’ailleurs, à cette occasion, à souligner le travail considérable réalisé par les différentes collectivités pour se mettre à niveau afin de rendre les transports accessibles, qu’il s’agisse des bus, de la voirie ou des gares. Bref, d’innombrables travaux, qui ont effectivement un coût. Toutefois, force est aussi de constater que de trop nombreuses collectivités n’ont pas encore adopté ne serait-ce que le schéma directeur d’accessibilité. Or ce travail de diagnostic préalable est indispensable, car il permet de programmer dans le temps les dépenses nécessaires pour parvenir à ce haut niveau d’accessibilité et, éventuellement, de détecter les difficultés et d’avancer dans ce domaine. Le coût de ces investissements est réel et important, mais il existe une dynamique qu’il convient de souligner et d’encourager.
J’étais moi-même élu local, monsieur le sénateur, et je ne méconnais pas les difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités à cet égard. Le Gouvernement en est pleinement conscient. Jean-Marc Ayrault a d’ailleurs confié à l’une de vos collègues, Claire-Lise Campion, une mission visant à définir, avec les acteurs de terrain, les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs en 2015.
Je tiens à souligner que cette question n’est méconnue ni du Gouvernement ni du Président de la République ; vous avez en effet eu l’occasion, monsieur le sénateur, de l’évoquer devant lui et ma collègue Marie-Arlette Carlotti, voilà quelques jours, lors d’une réunion avec les présidents de conseil général.
Si la concertation est importante, l’exigence l’est aussi. Lors d’une rencontre avec les représentants de la Fédération nationale des transports de voyageurs, j’ai appris que seuls 15 % de la flotte étaient au niveau d’accessibilité requis pour les personnes handicapées. C’est insuffisant ! On m’a également dit, et je le fais vérifier par les services de mon ministère, qu’il existait encore des appels d’offre pour du matériel roulant ne répondant pas aux normes d’adaptabilité et d’accès pour les personnes handicapées. (Oh ! sur plusieurs travées de l’UMP.) Cela doit être vérifié. (M. Alain Gournac s’exclame.) Je m’engage, pour ma part, à faire en sorte que l’information soit donnée.
Votre collègue Catherine Procaccia avait rappelé ici même, à l’occasion d’une question orale, combien il était important de faire œuvre d’information, notamment pour convaincre les taxis d’accepter les chiens-guides d’aveugles.
Au-delà des obligations d’ordre matériel ou financier, il faut aussi adopter un comportement à l’égard des personnes handicapées. C’est indispensable si nous voulons mieux vivre ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires, en remplacement de M. Thierry Repentin et de Mme Anne-Marie Escoffier, nommés membre du Gouvernement.
La commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, a fait connaître qu’elle propose les candidatures de M. Marc Daunis pour siéger au sein du conseil d’administration de l’établissement public Parcs nationaux de France et de M. Stéphane Mazars pour siéger, en qualité de membre suppléant, au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
9
Allocation personnalisée d'autonomie
Adoption d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi tendant à élargir la contribution de solidarité pour l’autonomie aux travailleurs non salariés et aux retraités et à compenser aux départements la moitié de leurs dépenses d’allocation personnalisée d’autonomie (proposition n° 391 [2011-2012], rapport n° 59).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Gérard Roche, auteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Gérard Roche, auteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’exercice auquel je me livre devant vous cet après-midi constitue pour moi une première. Je l’avoue dès à présent, je n’ai aucunement la prétention de proposer une solution miracle et définitive à la question du financement de la dépendance.
M. Yvon Collin. Hélas !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Eh oui !
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission des affaires sociales. On la prendrait tout de suite ! (Sourires.)
M. Gérard Roche, rapporteur. Si mon ambition est plus limitée, ma détermination n’en est pas moindre, tant me paraît urgente la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.
L’objet de cette proposition de loi est simple : apporter une ressource pérenne au financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, afin d’alléger la charge croissante que cette prestation fait actuellement peser sur les budgets départementaux.
Ce texte, j’en ai été le premier signataire voilà plusieurs mois avec les membres du groupe Union centriste et républicaine ainsi qu’avec plusieurs de mes collègues du groupe Union pour un mouvement populaire. Je sais que son objectif est partagé bien au-delà des clivages politiques. La qualité tant de l’accueil dont cette proposition de loi a bénéficié la semaine dernière en commission que des débats qu’elle a suscités me laisse espérer qu’il en sera de même dans cet hémicycle et – qui sait ? – nous parviendrons peut-être à trouver un point de consensus.
Pourquoi cette proposition de loi ? Je commencerai par vous rappeler quelques éléments de contexte.
L’APA a été créée par la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, en remplacement de la prestation spécifique dépendance, la PSD, qui avait été instituée en 1997 sur l’initiative de notre assemblée. Au 31 décembre 2011, 1 199 267 personnes bénéficiaient de l’APA, pour un coût total de près de 5,3 milliards d’euros, soit près de 20 % de l’ensemble des dépenses d’aide sociale des départements.
Destinée aux personnes âgées de soixante ans et plus en situation de perte d’autonomie, l’APA est une prestation en nature, attribuée sans conditions de ressources, même si son montant varie en fonction du revenu du bénéficiaire ainsi que de son degré de dépendance défini à l’aide de la grille AGGIR – autonomie gérontologie groupe iso-ressources.
Environ 60 % des bénéficiaires de l’APA perçoivent l’aide à domicile, les 40 % restants percevant l’aide en établissement. Les plans d’aide notifiés aux bénéficiaires de l’aide à domicile sont définis dans la limite de plafonds fixés à l’échelon national par voie réglementaire. Cela signifie en pratique que les départements ont en charge la gestion d’une prestation dont ils ne maîtrisent pas pleinement la définition des paramètres.
Contrairement à la prestation spécifique dépendance, l’APA ne peut pas faire l’objet d’une récupération sur succession. Elle est en outre ouverte aux personnes relevant des GIR 1 à 4, le GIR 1 correspondant au degré le plus sévère de dépendance, tandis que la PSD n’était versée qu’aux demandeurs classés dans les GIR 1 à 3.
Depuis sa création, le financement de l’APA est assuré conjointement par les départements et par une contribution dite « de solidarité nationale » versée dans un premier temps par le fonds de financement de l’APA, le FFAPA, puis par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA.
Le FFAPA était alimenté par deux types de ressources : une participation des régimes obligatoires de base d’assurance vieillesse et une part de 0,1 point de CSG.
La loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées a apporté une ressource supplémentaire au financement de l’APA, la contribution de solidarité pour l’autonomie, la CSA, en même temps qu’elle a créé une nouvelle structure, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, chargée de centraliser l’ensemble des financements destinés au secteur médico-social.
La CSA est elle-même composée de prélèvements de deux types, au taux identique de 0,3 % : le premier prélèvement est acquitté par les employeurs publics et privés sur les revenus salariaux, en contrepartie de la « journée de solidarité » ; le second prend la forme d’une contribution additionnelle de 0,3 % au prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placement.
En 2011, le rendement de la CSA s’est élevé à 2,3 milliards d’euros.
Notons cependant que la loi encadre très fortement l’utilisation de cette ressource au sein du budget de la CNSA, dont seule une fraction, limitée à 20 %, est allouée spécifiquement au financement de l’APA. La loi prévoit également un mécanisme de péréquation pour la répartition entre les départements du concours de la CNSA. Cette répartition dépend de quatre critères : le nombre de personnes âgées de soixante-quinze ans et plus ; le montant des dépenses d’APA ; le potentiel fiscal ; le nombre de foyers bénéficiaires du « RSA socle » non majoré.
Ce dispositif est complété par un mécanisme de correction visant à garantir que le rapport entre les dépenses des départements au titre de l’APA et leur potentiel fiscal ne puisse excéder un taux fixé par voie réglementaire ; ce taux est actuellement de 30 %.
En pratique, l’évolution des concours du FFAPA puis de la CNSA n’a pas permis de garantir une participation équilibrée et équitable de l’État au financement de l’APA. En effet, la montée en charge du dispositif a été à la fois plus rapide et plus forte que cela n’avait été anticipé au moment du vote de la loi du 20 juillet 2001. Pourtant, dès cette époque, notre ancien collègue Alain Vasselle, rapporteur du projet de loi au nom de la commission des affaires sociales, pointait la fragilité des estimations de progression des dépenses et du dispositif de financement envisagé, dont il estimait qu’il était « source de graves menaces pour les finances locales et les finances sociales ».
Or, sur la période 2003-2009, les dépenses brutes d’APA ont augmenté de 5,9 % en moyenne annuelle, tandis que la participation du FFAPA puis de la CNSA ne progressait que de 0,9 % en moyenne par an. De ce fait, les dépenses restant à la charge des départements ont augmenté en moyenne de 8,8 % par an entre 2003 et 2009. Le taux de couverture des dépenses d’APA par le FFAPA puis par la CNSA, qui s’élevait à 43 % en 2002, est descendu sous la barre des 30 % en 2001, avant de remonter très légèrement à 30,8 % en 2011. Cette même année, les départements ont supporté une charge nette de 3,7 milliards d’euros, un chiffre en augmentation continue depuis 2002.
Pourquoi une telle dégradation de la participation de l’État au financement de l’APA ? Celle-ci s’explique avant tout par le fait qu’aucune disposition législative ne permet aujourd’hui de répartir de façon satisfaisante le financement de l’APA entre l’État et les départements. Notre Haute Assemblée avait bien conscience des risques liés à une montée en charge insuffisamment contrôlée de l’APA lorsqu’elle a examiné le projet de loi créant cette prestation, puisqu’elle avait adopté en première lecture un amendement du rapporteur pour avis de la commission des finances, Michel Mercier, qui prévoyait explicitement que la prestation serait financée à parts égales par l’État et les départements. Cette disposition a cependant été supprimée par l’Assemblée nationale – nous le regrettons –, et l’idée d’un financement à parité est demeurée un engagement informel rapidement contredit par les faits.
Or la situation financière des départements exige un nouvel équilibre dans le financement de l’APA.
En décembre 2010, déjà, trois propositions de loi identiques déposées par le groupe socialiste, le RDSE et le groupe CRC, relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements – RSA, APA et prestation de compensation du handicap, PCH –, ont été débattues au Sénat.
En juin 2011, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par les départements de Seine-Saint-Denis et de l’Hérault, a certes jugé que le mécanisme de compensation financière prévu pour le financement de l’APA ne portait pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, mais il a émis deux réserves d’interprétation, appelant les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités dans le cas où les concours apportés par la CNSA et les mécanismes de péréquation entre départements ne permettraient plus d’assurer le respect du ratio de 30 % entre leurs charges nettes et leur potentiel fiscal.
À mon sens, cette décision du Conseil constitutionnel ouvre la voie à une évolution législative destinée à sécuriser le financement de l’APA comme celle que je vous propose aujourd'hui.
J’en viens donc au dispositif de cette proposition de loi.
Son article 1er étend l’assiette de la CSA aux revenus des travailleurs indépendants et aux pensions de retraite, afin que ceux-ci soient soumis, tout comme les revenus salariaux, à une contribution de 0,3 %. Il s’agit selon moi d’une mesure d’équité. Certains objecteront que le prélèvement qui pèse actuellement sur les revenus salariaux ne vient pas obérer le pouvoir d’achat des salariés, dans la mesure où il est acquitté par les employeurs en contrepartie d’une journée de travail supplémentaire non rémunérée. Cependant, s’il n’y a pas de perte nette de pouvoir d’achat pour les salariés, ces derniers participent bien à l’effort de solidarité nationale en acceptant de travailler gratuitement une journée supplémentaire.
Obliger les travailleurs indépendants et les retraités à effectuer une journée de travail non rémunérée n’aurait aucun sens, cela va de soi. Mais est-ce une raison pour les dispenser de toute forme de participation à l’effort de solidarité nationale envers les personnes âgées dépendantes ? Je ne le crois pas, et mon avis rejoint celui d’une personne concernée au premier chef par l’article 1er de la proposition de loi : le président du Régime social des indépendants. Lors de son audition, ce dernier a officiellement déclaré qu’il soutenait le dispositif de la proposition de loi, nonobstant l’effort substantiel – une augmentation de près de un milliard d’euros de leurs cotisations maladie – que le PLFSS pour 2013 prévoit déjà de demander aux travailleurs indépendants. Je tiens à saluer avec force cette position responsable et courageuse, qui témoigne d’une prise de conscience de l’effort de solidarité que nous devons tous consentir envers nos aînés.
Il est vrai que le président de la Confédération française des retraités, auquel j’ai également demandé son opinion sur la proposition de loi, s’est montré moins enthousiaste. (Rires.)
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Gérard Roche, rapporteur. À ses yeux, en effet, une telle contribution ferait peser une charge discriminatoire sur les retraités, qui, en matière de cotisations sociales, ne sont pas les nantis ou les privilégiés que certains se plaisent trop facilement à décrire.
Cela revient cependant à oublier que la proposition de loi prévoit que les pensions les plus modestes ne seront pas soumises à la contribution. Cela revient également à refuser d’effectuer un calcul très simple. Prenons l’exemple d’un retraité percevant une pension mensuelle de 1 000 euros, étant rappelé que le montant moyen des pensions de retraite s’établit aujourd’hui à 1 216 euros par mois. Pour ce retraité, acquitter la CSA représentera un effort de 36 euros par an. S’il fait partie du groupe iso-ressources 4, le GIR 4, le montant de l’APA mensuelle s’élève au maximum, une fois acquitté le ticket modérateur, à environ 490 euros par mois. Cela signifie que le montant dont il devra s’acquitter chaque année au titre de la CSA représentera un peu plus de 7 % de l’aide qu’il reçoit chaque mois au titre de l’APA.
S’agit-il réellement d’un effort démesuré, d’autant que l’enjeu essentiel est de maintenir la capacité des départements à verser une prestation dont nous savons qu’elle a permis de faire considérablement reculer l’âge moyen d’entrée en établissement pour les personnes âgées dépendantes ?
L’article 3 de la proposition de loi affecte l’ensemble de la contribution nouvellement créée à la section II du budget de la CNSA, c’est-à-dire au financement de l’APA. D’après les chiffrages que nous avons pu obtenir, le produit de cette ressource supplémentaire devrait être compris entre 884 et 910 millions d’euros : 700 millions d’euros seraient recueillis auprès des personnes retraitées, entre 166 et 180 millions d’euros auprès des travailleurs indépendants non agricoles, et de 18 à 30 millions d’euros auprès des travailleurs indépendants agricoles.
Un tel montant permettrait de rapprocher fortement de la barre des 50 % le taux de couverture des dépenses d’APA par la CNSA, comme le demandent les conseils généraux.
Le texte dont nous allons débattre est évidemment imparfait, et je vous proposerai trois amendements cosignés par l’ensemble du groupe de l’UDI-UC, ainsi que par René-Paul Savary, afin d’en améliorer la rédaction.
Le premier amendement a pour objet d’élargir l’assiette de la CSA aux travailleurs indépendants agricoles, et d’en exclure explicitement les pensions de retraite les plus modestes. Le deuxième amendement tend à supprimer l’article 2, qui visait à effectuer une coordination avec le code du travail sans objet pour les travailleurs indépendants et les retraités. Enfin, le troisième amendement vise à apporter plusieurs améliorations rédactionnelles à l’article 3 et à modifier l’équilibre fixé dans le code de l’action sociale et des familles entre la part du produit de la CSA qui est destinée aux personnes âgées et celle qui est allouée aux personnes handicapées.
Comme je l’ai rappelé au début de mon intervention, la proposition de loi que je présente devant vous a été enregistrée à la présidence du Sénat il y a maintenant plusieurs mois, le 21 février 2012 précisément. Le hasard du calendrier parlementaire veut que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour quelques semaines à peine avant que le PLFSS pour 2013, dont l’examen a débuté à l’Assemblée nationale, soit débattu dans notre Haute Assemblée. Or l’article 16 de ce projet de loi crée une contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les pensions de retraite, c’est-à-dire un dispositif exactement équivalent à celui que comporte ma proposition de loi.
M. Gérard Roche, rapporteur. Sans doute faudrait-il se réjouir de cette convergence de vues.
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission. Certainement !
M. Gérard Roche, rapporteur. Notons cependant que, dans sa version initiale, le PLFSS pour 2013 prévoit une montée en charge progressive de la CASA, son taux devant s’établir à 0,15 % en 2013 avant d’être porté à 0,30 % les années suivantes. Par ailleurs, la CASA serait affectée dans un premier temps au fonds de solidarité vieillesse, le FSV, avant d’être mise en réserve, à partir de 2014, au sein d’une nouvelle section du budget de la CNSA, « au profit de l’amélioration de la prise en charge de la perte d’autonomie ».
Pour le Gouvernement, il s’agit de prouver dès à présent sa volonté de mobiliser les ressources nécessaires au financement de la réforme de la dépendance annoncée pour 2014.
M. Gérard Roche, rapporteur. L’option choisie me laisse cependant perplexe.
Pourquoi mettre ces recettes nouvelles en réserve alors qu’elles pourraient avoir une utilité certaine dès aujourd'hui ? Les départements ne peuvent pas attendre une année ou deux un hypothétique rééquilibrage du financement de l’APA. Ils ont besoin que l’État s’engage à leurs côtés dès maintenant, et de manière équitable, dans le financement de la perte d’autonomie.
M. Gérard Roche, rapporteur. L’article 16 du PLFSS pour 2013 a été adopté ce matin par l’Assemblée nationale, après avoir été modifié par plusieurs amendements déposés par Gérard Bapt, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général.
Ces amendements ont substantiellement modifié le dispositif initial. L’entrée en vigueur de la CASA est décalée du 1er janvier au 1er avril 2013, mais le taux de la contribution est porté à 0,3 % dès cette date. Par ailleurs, la CASA ne sera due que par les seuls retraités assujettis au taux plein de contribution sociale généralisée. Ces opérations aux effets opposés devraient malgré tout conduire à un rendement de la CASA légèrement supérieur en 2013 aux 350 millions d’euros prévus par le Gouvernement.
Le dernier changement est essentiellement une mesure d’affichage : certes, l’ensemble du produit de la CASA sera affecté au budget de la CNSA dès 2013, mais, dans le même temps, on lui retire – à due concurrence, semble-t-il – une part de CSG qui sera dirigée vers le FSV afin de préserver les ressources de ce dernier l’année prochaine.
En d’autres termes, on reprend d’une main ce que l’on a donné de l’autre : l’opération est neutre pour la CNSA mais rien ne change pour les départements. Madame la ministre déléguée, vous en conviendrez, un tel mécanisme peut difficilement satisfaire les départements !
L’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale sera examiné au Sénat dans les prochaines semaines. Gageons que cet examen sera l’occasion de débats constructifs sur le rôle de l’État et des départements dans le financement de la perte d’autonomie et espérons qu’un dispositif moins jésuite et plus satisfaisant pour les départements pourra alors être trouvé par la Haute Assemblée.
Quoi qu’il en soit, l’examen quasi concomitant de la présente proposition de loi et de l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale montre bien qu’il est urgent de régler la question du financement de l’APA.
Je suis également très attentif aux engagements pris lundi dernier lorsque le Président de la République, accompagné du Premier ministre et de plusieurs membres du Gouvernement, a rencontré des représentants de l’Assemblée des départements de France. La mise en place d’un fonds d’urgence de 170 millions d’euros dédié aux départements les plus fragiles semble aujourd’hui acquise et l’État s’engage à ce que des ressources pérennes et suffisantes soient mobilisées à partir de 2014 afin de permettre aux départements de faire face au financement de l’APA, du RSA et de la PCH.
Madame la ministre déléguée, ne pensez pas que je reste sourd ou indifférent à ces annonces. Mais pourquoi attendre 2014 ? Pourquoi ne pas agir dès maintenant au-delà des mesures d’urgence ?
Certes, le texte que je vous présente aujourd’hui n’apporte qu’une réponse partielle à la question du financement de la perte d’autonomie, mais cette réponse me semble constituer un tout cohérent et lisible qui n’obère en rien les projets de réforme qui pourront être envisagés en 2014. Elle contribue également à asseoir la CSA sur des bases plus équitables en ne la faisant plus peser sur les seuls travailleurs salariés. En outre, pourquoi se priver d’envoyer dès à présent un signe fort aux départements les assurant que l’État les accompagne et les soutient dans la mission qu’ils remplissent auprès de nos aînés et qui fait aujourd’hui pleinement partie de leur identité ?
La semaine dernière, la commission des affaires sociales ne s’est pas prononcée sur le présent texte, afin de permettre la discussion en séance publique de la proposition de loi initiale, conformément à l’accord politique passé entre les présidents de groupes du Sénat relatif à l’examen des propositions de loi émanant des groupes d’opposition ou minoritaires.
Tout en espérant de tout cœur que cette proposition de loi sera adoptée, je suis confiant dans le fait que notre débat de ce jour sera riche et animé et permettra de tracer des pistes pour un partage plus équilibré des responsabilités et des charges entre l’État et les départements.
Beaucoup reste à faire, notamment pour ce qui concerne la résolution de la lourde question du reste à charge supporté par les personnes âgées dépendantes en établissement. Mais si, comme nous le savons, la route qui doit nous mener vers une réforme globale de la perte d’autonomie est encore longue, il est d’autant plus urgent de l’entamer dès maintenant.
N’ayons pas peur de franchir aujourd’hui une première étape. Celle-ci, pragmatique, sera donc modeste, mais elle sera également durable et source d’une plus grande équité dans la participation de l’ensemble de nos concitoyens à l’effort de solidarité envers nos aînés, un effort qui nous incombe à tous. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les relations entre État et départements doivent être fondées sur la confiance, le partenariat et la complémentarité. Elles sont la condition de l’alliance entre proximité et égalité territoriale et, si l’on va plus loin, entre démocratie et République.
C’est plus que jamais la volonté du Gouvernement et particulièrement du ministère qui m’a été confié. Preuve en est notre souhait d’élaborer une loi à la mesure du défi que constitue la révolution de l’âge.
C’est pourquoi je me réjouis de la discussion de la proposition de loi qui est aujourd’hui présentée. Selon moi, elle constitue un premier pas de notre « travailler ensemble ». C’est une raison supplémentaire pour que je m’exprime librement et dans un esprit de confiance.
Le Gouvernement a pleinement conscience des difficultés rencontrées par les conseils généraux, difficultés que nous sommes au demeurant nombreux à avoir partagées. Le Président de la République lui-même s’en est fait l’écho à l’Élysée de manière très concrète et tangible auprès des représentants des conseils généraux, toutes tendances politiques confondues, sous la forme de dix engagements élaborés ensemble, dont celui qui consiste à dégager dès 2013 un fonds d’urgence de 170 millions d’euros dédié aux départements les plus en difficulté. Ce financement, je suis confiante, facilitera la dynamique de médicalisation des établissements et la signature des conventions tripartites.
Un autre de ces dix engagements consiste à définir ensemble, à l’horizon 2014, des ressources pérennes qui permettront à tous de mieux financer les allocations de solidarité.
Dans ce contexte, vous en conviendrez, la présente proposition de loi perd de son acuité. Tel est aussi le cas de l’extension de la contribution de solidarité aux retraités à hauteur de 0,3 % à partir du 1er avril prochain, puisqu’une telle mesure a été adoptée ce matin même à l’occasion du vote de l’article 16 du PLFSS. La nouvelle CASA contribuera au financement de la perte d’autonomie dès le 1er janvier 2014. De ce fait est d’ores et déjà inscrite dans la loi la réforme de la perte d’autonomie.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, il ne paraît pas raisonnable d’accroître l’effort demandé aux travailleurs indépendants, lequel s’élève cette année à 1,1 milliard d’euros, même si le président du Régime social des indépendants y est ouvert, comme vous l’avez rappelé. Soyez assuré que nous avons pris bonne note de sa bénévolence.
Mme Catherine Procaccia. Mais qui augmente les impôts ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs qui êtes les signataires de la présente proposition de loi, que n’avez-vous exprimé plus fermement votre refus de voir augmenter la part des départements dans le financement des allocations de solidarité au cours des dix années précédentes ? Que n’avez-vous pesé davantage afin que cinq années – un quinquennat - ne soient pas perdues pour la loi d’accompagnement de la perte d’autonomie, alors appelée « réforme de la dépendance » ? Et aujourd’hui, le contexte est différent : plus de personnes âgées, moins d’argent.
Oui, selon les mots mêmes de Nicolas Sarkozy, ce fut une faute impardonnable de retarder la réforme de la dépendance.
Mme Catherine Procaccia. Et vous, vous ne la retardez pas ?
M. Alain Gournac. Vous faites quoi ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Mais il n’est plus temps aujourd’hui d’épiloguer sur ce retard, vous en conviendrez. Il convient plutôt de réaliser ensemble, je dis bien « ensemble », ce qui aurait dû être fait, voire d’aller au-delà.
M. Alain Gournac. Vous ne faites qu’augmenter les impôts !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Quelle tâche exaltante en effet que de faire ce qu’aucun gouvernement dans quelque pays que ce soit n’a jamais fait : élaborer un texte qui couvre tous les champs liés à l’avancée en âge et grâce auquel vivre plus longtemps soit d’abord vivre mieux.
Permettez-moi maintenant d’exprimer quelques souhaits. D’abord que l’on n’oppose pas dans le débat le financement de la compensation de l’APA à celui de la réforme de la perte d’autonomie - les deux sont en convergence. Ensuite, que l’on entende bien qu’il s’agit d’un effort pour tous, l’État, les collectivités, mais aussi tous les Français. C’est que 100 % des familles sont concernées. Et, d’ailleurs, tous nos concitoyens sont prêts à fournir cet effort, à condition toutefois d’en connaître la raison.
Par ailleurs, à chaque fois que nous franchissons un pas dans l’élaboration de la loi, nous devons mesurer nous-mêmes pourquoi nous le faisons. En réalité, de quoi s’agit-il ? De permettre à la République d’être aussi présente dans le laps de temps qui court entre la fin de la vie professionnelle et la fin de la vie que dans celui qui va de la naissance à la majorité.
Lorsque la retraite à soixante-cinq ans a été obtenue, en 1945, l’espérance de vie postérieure à la jouissance de ce droit était de deux ans ; aujourd'hui, elle atteint souvent trente ans et quelquefois quarante ans. Or, mesdames, messieurs les sénateurs, le moment de la retraite est sans aucun doute celui qui est le plus chargé d’interrogations et d’inquiétudes, un temps pendant lequel nous devons rendre sensible la main solidaire de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la prise en charge de la dépendance, l’un des grands enjeux de notre société, doit être à ce titre une priorité nationale. Nous devons donner à nos concitoyens les moyens de bien vieillir, dans des conditions matérielles à la fois confortables et dignes.
En effet, les progrès scientifiques et les avancées médicales réalisés au cours de ces trente dernières années ont permis d’allonger la vie, et l’on doit s’en féliciter. Alors que l’on vivait en moyenne jusqu’à soixante-seize ans en 1970, actuellement, en France, trois millions de personnes sont âgées de plus de quatre-vingts ans. Les scientifiques, jamais à court d’idées, n’excluent d’ailleurs pas que des êtres humains puissent vivre jusqu’à cent cinquante ans, voire davantage, si les connaissances de la génétique et du mécanisme de vieillissement s’améliorent et permettent de ralentir les processus biologiques. Qui pourrait s’en plaindre ?
Néanmoins, selon une étude récente, l’espérance de vie sans incapacité est, elle, en légère baisse depuis 2006. De plus en plus de personnes âgées se trouvent ainsi en situation de perte d’autonomie. Selon les hypothèses du ministère de la santé, en 2040, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait se situer entre 1,7 million et 2,2 millions.
Certes, estimer le nombre de personnes dépendantes que la France comptera dans dix, vingt ou trente ans n’est pas un exercice aisé, mais les prévisions qui peuvent être faites présentent l’indéniable avantage de nous obliger à réfléchir à la mise en place d’une véritable prise en charge de l’autonomie, vieux problème s’il en est. Quels efforts la collectivité devra-t-elle fournir pour offrir à ces personnes âgées une fin de vie digne et décente ? Nos concitoyens attendent des réponses. Il s’agit là d’un défi social considérable.
Particulièrement attachés au respect des valeurs humanistes et au principe de solidarité, la plupart des sénateurs du RDSE considèrent que la perte d’autonomie de nos aînés doit être prise en charge par la collectivité, au nom de la solidarité nationale. Acteurs incontournables de la cohésion sociale, les départements sont, à ce titre, en première ligne. Mais doivent-ils assumer seuls cette prise en charge ? La réponse est bien évidemment négative ! C’est malheureusement le cas !
Comme nous le savons tous, depuis sa création en 2001, l’allocation personnalisée d’autonomie incombe, pour la majeure partie de son financement, aux départements. Victime de son succès, l’APA pèse de plus en plus lourd sur les finances départementales et le nombre d’allocataires ne cesse d’augmenter. En quatre ans seulement, le budget des départements consacré à l’APA a bondi de 22 %, et bon nombre d’entre nous le vivent sur leurs territoires. Alors que l’État s’était engagé à prendre en charge jusqu’à 50 % du coût de l’allocation, force est de constater que sa participation s’est effritée au fil des ans pour n’en couvrir aujourd’hui que 28 %. C’est très peu, et trop peu ! L’absence de compensation devient insupportable pour les départements.
Sans doute aurions-nous dû être plus vigilants à l’époque et imposer que la participation de l’État à hauteur de 50 % soit gravée dans le marbre de la loi.
Aujourd’hui, le financement de l’APA n’est pas à la mesure des enjeux. Il ne permet pas de faire face au coût croissant des aides à domicile et de l’accueil en établissement spécialisé. Comment les départements peuvent-ils espérer investir dans de nouvelles structures pour accueillir les personnes âgées, ce qui est absolument indispensable ?
Un grand nombre d’établissements ne permettent plus aujourd’hui d’offrir une qualité de vie suffisante aux personnes âgées et handicapées en perte d’autonomie qu’ils accueillent. En outre, la charge des départements s’est considérablement alourdie du fait, notamment, de la suppression du recours sur succession, que personnellement je regrette.
Si nous ne faisons rien pour améliorer la situation, plusieurs budgets départementaux n’y survivront pas. Actuellement, une trentaine de départements connaissent de très grandes difficultés financières. Si certains peuvent assumer cette dépense plus ou moins facilement, pour le plus grand nombre, elle est la cause d’une véritable asphyxie.
L’effort consenti pour financer l’APA se fait nécessairement au détriment d’autres compétences des conseils généraux. Comment peuvent-ils alors continuer d’investir dans les collèges ou les transports scolaires et mener, dans le même temps, une politique volontariste dans les domaines culturel et sportif, où la demande reste très forte ?
En 2010, forts de ce constat, nous étions nombreux à demander au Gouvernement de prendre ses responsabilités en donnant aux conseils généraux les moyens de financer les prestations sociales dont ils ont la charge. Les trois propositions de loi identiques déposées respectivement par le groupe socialiste, le CRC-SPG et le RDSE, se sont malheureusement vu opposer une fin de non-recevoir par la précédente majorité.
Ironie du sort, la présente proposition de loi déposée par plusieurs de nos collègues de la nouvelle opposition – et donc de l’ancienne majorité ! – a le mérite de jeter les bases d’une véritable réforme du financement de la dépendance, réforme que nos concitoyens attendent depuis trop longtemps. Nous devons en effet instaurer un financement pérenne de ces allocations, gage de la mise en place d’une véritable politique en faveur de nos aînés.
D’ailleurs, nous ne pouvons que nous féliciter des mesures annoncées lundi dernier par le Président de la République et le Premier ministre aux représentants de l’Assemblée des départements de France, à l’issue d’une réunion de travail à l’Élysée. Même s’il manque aujourd’hui aux conseils généraux la bagatelle de 6 milliards d’euros pour faire face au financement de l’APA, de la PCH et du RSA, le déblocage d’un fonds d’urgence de 170 millions d’euros annoncé par le Gouvernement représente en soi une très bonne nouvelle. Nous savons également que le Président de la République a demandé qu’une réflexion s’engage pour résoudre le problème du financement de la dépendance à l’horizon de 2014 ; ce n’est pas si loin !
Enfin, nous ne pouvons que saluer l’initiative du Gouvernement d’inscrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 la participation des retraités au financement de la politique de prise en charge de la dépendance.
Dans ces conditions, mes chers collègues, les membres du RDSE, dans leur pluralisme bien connu, sont partagés sur la présente proposition de loi : en effet, si nous en approuvons tous les objectifs, certains d’entre nous estiment que cela constitue une raison suffisante pour la soutenir, quand d’autres considèrent qu’il faut laisser le Gouvernement et le Parlement poursuivre sereinement, dans le dialogue avec les associations d’élus locaux, la préparation d’une réforme plus globale du financement et des moyens d’action des collectivités territoriales. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en étudiant sérieusement cette proposition de loi, j’ai naturellement été enclin à m’intéresser en premier lieu à la question posée, la question « comptable » : comment faire pour assurer le paiement des allocations ?
Si cette approche est importante, elle n’est cependant pas suffisante, si bien que cette question comptable est vite rattrapée par d’autres questions, et tout d’abord, celle de la situation des collectivités territoriales aujourd’hui, de leur degré d’autonomie financière et fiscale, de leur rôle et donc de la réforme territoriale ; ensuite, celle de notre modèle de cotisations et de prestations sociales, à l’heure où nous étudions le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ; enfin, bien sûr, celle de la dépendance, enjeu de notre avenir proche.
La complexité de la situation m’amène donc à ne pas me prononcer à la légère sur cette proposition de loi, mais à l’inscrire plus globalement dans la vision de la société que nous souhaitons et des mécanismes à mettre en place ou à modifier pour avancer en ce sens.
M. le rapporteur, notre collègue Gérard Roche, nous interpelle sur l’incapacité des départements à faire face aujourd’hui à leurs charges d’action sociale. Il nous demande indirectement si le département est un simple échelon de gestion, sous-traitant des politiques nationales : la question est posée.
Une fois le RSA, l’APA, la PCH, l’allocation aux adultes handicapés, les routes et les collèges payés, la portion du budget départemental dévolue à la réalisation des projets du territoire est bien faible, ne représentant plus qu’un modeste pourcentage du total. Bien sûr, ce reliquat n’est pas financé par une fiscalité propre. Cette situation est le fruit d’une succession de réformes qui ont placé le département, à l’instar des autres collectivités territoriales, en position de quémandeur vis-à-vis d’un État qui s’est pourtant déchargé sur elles d’une part croissante de ses missions. Quand, en plus d’avoir un périmètre d’action réduit et un budget dont il n’est que très partiellement maître, le département ne peut pas compter sur l’effectivité des engagements financiers pris par l’État, la situation devient intenable !
Il est donc compréhensible et légitime que M. Roche et ses collègues interpellent l’État sur le respect de ses engagements : c’est la moindre des choses. Lors de la création de l’APA en 2001, l’État s’était engagé à participer à hauteur de 50 % aux coûts, engagement non respecté dès la première année – comme le souligne M. Roche. Quand l’autonomie financière compromise se conjugue avec une autonomie fiscale atone, on ne peut que s’interroger sur notre capacité collective à répondre aux besoins de nos concitoyens.
Pour autant, s’agissant de la proposition de loi de M. Roche visant à élargir la contribution de solidarité pour l’autonomie aux travailleurs non salariés et aux retraités, je suis conduit à émettre un avis défavorable.
Mme Muguette Dini. Pourquoi donc ?
M. Jean Desessard. En effet, je ne conteste pas les motifs exposés, mais, comme l’ont justement formulé d’autres collègues, j’estime qu’une première réponse est apportée, à court terme, par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui prévoit, d’ores et déjà, un élargissement de l’assiette de la contribution finançant la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Mais surtout, à moyen terme, nous devrons inscrire notre réflexion dans le cadre des différents chantiers que constituent la prise en charge de la perte d’autonomie des seniors, la réforme territoriale et la réforme des modes de financement de la sécurité sociale.
En effet, Mme la ministre déléguée a indiqué récemment vouloir déposer un projet de loi sur la dépendance à la mi-2014. Ce délai doit nous permettre d’envisager globalement les mesures qui seront prises dans le cadre de la réforme territoriale, concernant plus particulièrement la fiscalité locale, et dans le cadre d’une réforme fiscale générale tant attendue.
Garantir un « panier fiscal » lisible pour chacune des collectivités est une condition indispensable pour leur rendre des capacités d’intervention et de décision, pour replacer l’élu au cœur du système économique local et donc permettre d’engager les transitions écologiques des territoires.
Cette évolution suppose à la fois de garantir le montant de la dotation générale de fonctionnement, en l’éco-conditionnant, mais aussi et surtout de redonner un pouvoir fiscal aux collectivités, grâce notamment à la révision des bases locatives et à la création d’une taxe sur l’urbanisation des terres agricoles.
Si cette fiscalité économique locale doit maintenir un volet de péréquation entre les territoires riches et les territoires pauvres, elle doit aussi être adossée à une évolution des indicateurs économiques traditionnels pour qu’ils deviennent plus qualitatifs, bâtis sur les référentiels du développement durable, et à une évolution des critères de refinancement des banques.
De la même manière, la réflexion sur le financement de la sécurité sociale doit s’inscrire dans le cadre, plus large, de la réforme fiscale. Les écologistes considèrent en effet qu’il n’est pas soutenable de se limiter à la taxation du travail ou de faire porter sur les seuls salariés un effort démesuré. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas promu les dispositifs susceptibles de garantir des niveaux de recette suffisants pour mettre en œuvre les outils de solidarité nationale et les projets d’investissement susceptibles de soutenir l’économie et l’emploi, sans pour autant porter atteinte à l’environnement.
En premier lieu, il s’agirait d’entériner l’abrogation de niches et autres soutiens publics aux pratiques et secteurs polluants. En second lieu, il conviendrait de créer et de favoriser la montée en puissance des outils d’une fiscalité écologique à même de compenser la baisse des charges sociales pesant sur le travail, de l’impôt sur le revenu, à l’instar des politiques menées en Suède ou en Colombie britannique. Je n’entre pas aujourd’hui dans le détail de ces mesures, mais j’y reviendrai ; je me contente pour l’instant d’indiquer quels doivent être les considérants de la réforme fiscale.
En conclusion, si nous reconnaissons le bien-fondé de l’interpellation de M. Roche, nous estimons que l’urgence d’abonder la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie trouvera sa réponse dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Aussi, en l’état – et bien qu’il nous en coûte, monsieur Roche ! –, nous ne soutenons pas cette proposition de loi.
Mme Catherine Procaccia. Vous n’avez pas l’air de trop en souffrir !
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission. Mais si !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi est un véritable appel au secours des départements, distributeurs d’aides au nom de la solidarité nationale sans pour autant bénéficier d’une compensation.
En préambule, je voudrais illustrer mon propos en rappelant la situation du département de la Marne, département faussement riche, sans être véritablement pauvre. Le coût de l’APA augmente chaque année, pour atteindre aujourd’hui 35 millions d’euros, compensés à hauteur de 11 millions d’euros seulement. En ce qui concerne le RSA, le nombre de ses bénéficiaires augmente de 1 % par mois dans ce département proche de la région parisienne, ce qui devient intenable. Enfin, depuis 2005, nous avons mis en place une politique du handicap : la compensation forfaitaire s’élève à 5 millions d’euros quand les prestations versées atteignent un total de 13 millions d’euros.
Ces chiffres illustrent bien les difficultés rencontrées par les départements. Le « manque à gagner » total pour l’ensemble des départements, depuis qu’ils distribuent ces prestations sociales, s’élève à 22 milliards d’euros. Vingt-deux milliards d’euros pris sur les budgets départementaux, mes chers collègues !
Madame la ministre déléguée, vous avez fait un rapprochement entre l’autonomie fiscale des départements et l’autonomie des personnes âgées : sachez que si l’autonomie des départements avait été plus grande, les impôts locaux auraient participé encore plus à cet effort de solidarité nationale ! Tant que nous n’aurons pas mis en place une fiscalité nationale pour financer la solidarité nationale, les relations entre le Gouvernement et les présidents de conseil général seront forcément difficiles.
Notre discours n’a pas changé, madame la ministre déléguée, un certain nombre de présidents de conseil général présents aujourd’hui dans cet hémicycle, comme MM. Labazée et Roche, peuvent l’attester. Depuis plus de dix ans que je siège à l’Assemblée des départements de France, ce discours est identique. Certes, on entend davantage les présidents de conseil général quand ils appartiennent à l’opposition, ceux de gauche quand la majorité gouvernementale est à droite et vice-versa, mais le discours n’a pas varié !
M. Michel Berson. C’est vrai !
M. René-Paul Savary. L’équation est simple : les prestations augmentent plus vite que les recettes : cela a été dit, mais il faut le rappeler, les prestations augmentent de 4 % par an, quand les recettes ne progressent que de moins de 0,5 %.
Cela étant, les départements n’en peuvent plus et un certain nombre d’entre eux ne pourront pas attendre 2014 : l’affaire est grave, d’autant plus grave que les départements, dont la mission est contestée par certains – la précédente intervention en est l’illustration –, sont, eux, déjà soumis à cette « règle d’or » qui va enfin être adoptée au niveau national.
Cette « règle d’or » nous prescrit de n’emprunter que pour de l’investissement : encore faut-il dégager de l’autofinancement, ce que ne nous permettent plus nos contraintes sociales ! Les départements vont tomber à leur tour dans une spirale infernale, en empruntant toujours davantage du fait de l’absence de compensation sociale, d’année en année plus grave.
Pour prendre l’exemple du département de la Marne, il va manquer plus de 40 millions d'euros de compensations, soit près de 10 % sur un budget de 480 millions d'euros. La contrainte est telle, vous le voyez, que nous ne pourrons plus investir. C'est la raison pour laquelle, notamment, malgré la bonne volonté dont j’étais animé, je n’ai pas pu signer la déclaration commune entre l’État et les départements proposée par le Président de la République.
L’engagement n° 10 concerne la poursuite des investissements des départements dans les grands projets d’infrastructures. Il s’agit de payer le TGV, les routes nationales, qui relèvent de la compétence de l’État et non de celle du département, ce qui traduit bien l’effort de solidarité des départements à l’égard de l’État. Mais ceux-ci n’y parviendront plus !
Oui, l’affaire est particulièrement grave, raison pour laquelle la présente proposition de loi me paraît tout à fait intéressante.
Cette proposition de loi est-elle financièrement supportable ? Je le pense.
C’est une proposition de loi juste, car elle prévoit une extension de la journée de solidarité, cette solidarité qui doit jouer également au niveau des contributeurs.
C’est une proposition de loi modeste, car les prélèvements qui y sont consacrés ne sont pas redoutablement élevés : 36 euros par an pour les personnes âgées, c’est un effort de solidarité très contraint et maîtrisé pour un service rendu par ailleurs essentiel.
On peut également se demander si cette proposition de loi est politiquement correcte. J’avoue qu’elle ne tombe pas forcément à la bonne période… Je constate bien volontiers le télescopage dont elle est victime avec le projet de loi de finances et avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ceux-ci représentent en effet une véritable « saignée » fiscale collective qui pourrait, selon certains, plonger notre pays dans une anémie irréversible. Cependant, les compensations des prestations sociales aux départements n’y sont pas prises en compte, ce qui donne à cette proposition de loi une certaine pertinence.
Sachez, madame la ministre déléguée, que ce texte ne tombe pas forcément bien non plus pour l’opposition : ce n’est pas son rôle que de formuler des propositions pour le financement des politiques menées par la majorité.
Il n’empêche, notre groupe s’est associé à cette proposition de loi tendant à élargir la contribution de solidarité pour l’autonomie, parce qu’il nous paraît légitime, quitte à taxer davantage les personnes âgées, et s’agissant d’un texte d’affectation pour la dépendance, que celles-ci en bénéficient à travers l’allocation personnalisée d’autonomie.
Pour autant, cette proposition de loi peut-elle être consensuelle ? Elle pourrait l’être, car nous nous sentons tous concernés, quelle que soit notre étiquette politique. Nous savons bien que l’absence de compensation de l’APA se fera forcément au détriment des personnes âgées. En fait, cette proposition de loi se limite à l’affectation ciblée d’un produit fiscal, par le biais de la CNSA, afin de contribuer à l’objectif d’une compensation à hauteur de 50 % de l’allocation personnalisée d’autonomie.
Autre question importante : l’APA a-t-elle amélioré la compensation de la dépendance ? Je répondrai par l’affirmative. En quelques années, l’âge moyen d’entrée en établissement des personnes âgées est passé de soixante-quinze ans à quatre-vingt-cinq ans – quatre-vingt-trois ans dans le département de la Marne. De plus, elle assure une partie du financement du personnel soignant et vient en déduction du « reste à charge » supporté par la personne âgée. Il me semble que nul ici ne conteste plus l’efficacité de l’APA.
Enfin, cette proposition de loi freine-t-elle le débat sur la dépendance ? Je ne le crois pas ; nous en avons eu l’illustration lors de la réunion des présidents de conseil général à laquelle j’ai été convié, avec plusieurs d’entre vous, à l’Élysée. Le Président de la République a bien compris le problème des départements et leur mort annoncée si rien n’est fait. Il est donc temps d’agir, le Président de la République en est bien conscient. Nous souhaitons simplement que la réponse soit à la hauteur des enjeux.
Certes, un fonds de 170 millions d’euros est proposé, contre 150 millions d’euros l’an dernier, mais il manque 6 milliards d’euros : avouez que le compte n’y est pas ! C’est la raison pour laquelle les départements connaissent les difficultés que nous avons évoquées. Vous allez me dire que cela ne date pas de six mois… Mes amis politiques ont été au pouvoir et n’ont pas résolu la question, madame la ministre déléguée, vous pouvez donc facilement faire mieux. (Sourires.) Vous avez une occasion extraordinaire, en amendant le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou en vous associant à cette proposition de loi, d’adresser aux départements le signe fort qu’ils attendent avec impatience ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le texte que nous propose cet après-midi Gérard Roche vise à apporter une nouvelle ressource au financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, afin de mieux compenser les dépenses départementales en la matière. Tous les orateurs qui se sont succédé à cette tribune l’ont relevé.
Preuve de ce diagnostic partagé et écouté, le Président de la République a lui-même fait mention du contexte, cet effet de ciseaux que subissent lesdites collectivités, dans son allocution prononcée à la Sorbonne à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale : « Je connais les difficultés des départements, pris en tenailles entre les dépenses qui augmentent régulièrement, la dépendance, le handicap, le RSA – surtout en cette période – et des recettes qui stagnent ou qui diminuent. »
Les récents chiffres publiés par l’Assemblée des départements de France sont clairs. Les départements représentent environ un tiers des dépenses des collectivités locales. Sur les 70 milliards d’euros de dépenses, 16 milliards correspondent aux principales politiques transférées ou créées depuis 2 000 : l’APA, la PCH, le RMI, le RSA. Elles ont progressé de 4,6 % en 2011, notamment en raison du vieillissement de la population, et la crise actuelle laisse prévoir une nouvelle progression l’an prochain.
Les allocations de solidarité relèvent-elles de l’effort des départements ou de la solidarité nationale ? La question a été posée à plusieurs reprises, madame la ministre déléguée. Sur le fond, nous sommes d’accord, mais je doute que l’État reprenne, dans les années qui viennent, l’intégralité de ces prestations ou allocations universelles.
Dans le même temps, les compensations versées par l’État au titre de ces prestations stagnent à 8,6 milliards d’euros. Hors aide sociale, la progression des dépenses réelles de fonctionnement devrait atteindre 2 % en 2012, dont 3 % de plus pour les dépenses de personnel.
Pendant des années, les conseils généraux ont vu leurs budgets « sauvés » par les droits de mutation qui, en 2011 encore, ont représenté 13 % de leurs recettes de fonctionnement, c’est-à-dire 8,6 milliards d’euros. Cependant, depuis la fin du premier trimestre de la présente année, la situation s’est inversée. Une enquête réalisée sur soixante-quatorze départements montre, en juin dernier, une baisse de 33 % des droits de mutation. Dans le même ordre d’idées, les ventes de carburant, qui servent d’assiette à la taxe perçue par les départements, ont baissé de 2 %.
Face à la volatilité de leurs ressources compte tenu de la conjoncture économique très défavorable, du vieillissement de la population et de l’extension du champ du handicap reconnu par la société, l’inquiétude est grande quant au dynamisme de l’évolution de ces dépenses à la charge des départements.
Chers collègues, après ce bref aperçu de la situation financière de nos départements, je recentre mon propos sur l’APA.
Les chiffres ont été donnés, je ne les rappellerai pas. Trois propositions de loi identiques déposées par le groupe socialiste, par le CRC-SPG et le RDSE avaient été l’occasion de lancer un cri d’alarme, comme vous l’avez indiqué en commission, monsieur le rapporteur. Examinées par le Sénat en décembre 2010, ces propositions de loi ont pourtant été rejetées par la majorité sénatoriale d’alors.
En juin 2011, les départements de la Seine-Saint-Denis et de l’Hérault voyaient leur question prioritaire de constitutionnalité examinée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier jugeait que le mécanisme de compensation financière de l’APA ne portait pas atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Les voies du Conseil sont parfois impénétrables, surtout au regard de cette décision… Quoi qu’il en soit, le Conseil a émis deux réserves. La première impose au pouvoir réglementaire d’ajuster le taux de charges nettes d’APA par rapport au potentiel fiscal, assurant que chaque département peut bénéficier d’un concours qui évite que ne soit entravée sa libre administration. La seconde, dans le cas où l’augmentation des charges nettes d’APA ferait obstacle à la réalisation de cette garantie de ressources, renvoie aux pouvoirs publics le soin de modifier les modalités de financement du concours pour en permettre l’augmentation.
Madame la ministre déléguée, voilà un bon devoir de vacances pour vous et vos collaborateurs en 2013 !
Outre le diagnostic d’asphyxie des finances départementales, je ne peux que partager avec les auteurs de la proposition de loi le constat de la nécessité d’une évolution législative concernant le financement des aides sociales.
Force est de constater que le mode de financement issu des lois de 2001 et de 2004, maintes fois évoqué, est aujourd’hui insuffisant et inadapté. Initialement, le projet de loi de 2001 prévoyait le versement de l’APA par la sécurité sociale. Ce sont les départements qui ont souhaité assurer cette prestation, en vertu de leur proximité avec les populations concernées. Une telle demande était légitime, mais les mécanismes visant à garantir la moitié du financement par l’État n’ont pas été mis en place à ce moment-là, ce qui a conduit à la situation que nous appréhendons aujourd'hui.
L’ADF, dans sa sagesse pluraliste, préconise, d'ailleurs, la création d’une « loi de finances des collectivités territoriales », sorte de troisième loi de finances qui concernerait l’ensemble des dotations de l’État en faveur des collectivités territoriales et les engagements de ces dernières. Nous verrons si le Gouvernement se saisit de cette idée qui, malgré tout, pourrait faire son chemin.
Je pourrais arrêter là mon propos, mais je souhaite présenter la position que soutient le groupe socialiste. Je tiens à expliquer comment les solutions apportées par la majorité présidentielle sont des solutions à court, à moyen et à long terme, qui sauront trouver des outils de financement à la fois urgents et pérennes pour nos dépenses départementales. En conséquence, cher collègue rapporteur, je ne peux que vous inviter à suspendre l’examen de cette proposition de loi, que nous ne saurions adopter ce soir, faute d’un nécessaire consensus.
Tout le monde a fait état des hasards du calendrier. Or il ne s’agit pas de hasards : c’est le fonctionnement normal de notre démocratie et de nos institutions.
Solution à court terme, mais non des moindres, le Président de la République a annoncé, lundi 22 octobre, lors d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée et à laquelle vous avez assisté, madame la ministre déléguée, qu’un fonds d’urgence doté de 170 millions d’euros – je confirme ce montant – serait mis en place en faveur des départements les plus fragiles. Lors des questions d’actualité au Gouvernement, tout à l’heure, il a été demandé que soient précisées les conditions dans lesquelles allaient être répartis ces 170 millions d’euros, fruit de l’accord intervenu à l’Élysée entre le Premier ministre et l’ADF.
Oui, les départements de France sont des acteurs irremplaçables pour le dynamisme des territoires et l’expression des solidarités de proximité.
En plus de la création de ce fonds d’urgence, quels engagements ont été pris par le Président de la République ?
L’État s’est engagé – madame la ministre déléguée, vous l’avez dit, je suis sûr que vous le répéterez – à créer les conditions de la mise en place, à compter de 2014, de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face, dans un cadre maîtrisé, au financement des trois allocations individuelles de solidarité.
Une autre solution, cette fois à moyen terme, figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale : la création de la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les pensions de retraite.
Second « hasard du calendrier », et cela a été souligné en commission, cette proposition de loi est en effet inscrite à l’ordre du jour du Sénat quelques jours avant l’examen par la Haute Assemblée du PLFSS pour 2013.
Ce matin, selon nos informations, un amendement de notre collègue député Gérard Bapt visant à renforcer la dotation de la CNSA a été adopté à l’Assemblée nationale. Je ne pense pas qu’il y ait de grande différence entre la cible de la CASA et celle du dispositif que vous proposez aujourd'hui, monsieur Roche.
Les modifications intervenues concernant le taux de cette contribution ont été rappelées tout à l’heure. Alors qu’il était initialement prévu une montée en charge progressive avec un taux d’abord de 0,15 %, puis de 0,30 %, le taux a d’emblée été porté à 0,30 %, et ce donc dès 2013. Il y a donc un parallélisme important entre le dispositif que vous proposez, monsieur Roche, et les dispositions adoptées ce matin par l’Assemblée nationale. Nous y reviendrons lors de l’examen, par le Sénat, du PLFSS pour 2013, en particulier de son article 16.
Enfin, une mesure à long terme est prévue : la mise en œuvre de la réforme de la perte d’autonomie et du chantier de la décentralisation.
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a promis une « réforme juste et solidaire » pour les personnes âgées dépendantes : « C’est une question de dignité et d’humanité. C’était une promesse de l’ancien gouvernement qui n’a pas été tenue. Eh bien, une réforme juste et solidaire de la prise en charge des personnes âgées privées d’autonomie sera engagée. »
Les mots sont justes : dignité, humanité, respect des engagements non tenus. Nul coup d’éclat, nulle gesticulation brouillonne, mais bien la volonté d’éviter que ces annonces ne soient que des coups d’épée dans l’eau.
Le calendrier de la réforme a d’ores et déjà été évoqué : une loi « d’adaptation de la société au vieillissement » sera adoptée dans les deux ans à venir, comme vous allez nous le confirmer, je l’espère, madame la ministre déléguée.
Les fonds pour financer une telle réforme commencent déjà à être sanctuarisés. J’en veux pour preuve les récentes déclarations du Président de la République : « Nous finissons de préparer cette réforme qui sera bientôt présentée, ce qui suppose qu’elle soit financée. C’est pour cela que nous gardons un certain nombre de ressources pour y parvenir ».
En attendant, madame la ministre déléguée, vous avez confié à Luc Broussy, conseiller général du Val-d’Oise et conseiller spécial de l’ADF pour les questions sociales, la mission d’étudier la façon dont doivent évoluer le logement, l’urbanisme ou encore les transports pour tenir compte du nombre croissant de personnes dépendantes. Un rapport doit être remis à la fin de l’année.
Dans un autre domaine, le nouvel acte de la décentralisation, annoncé pour le début de l’année 2013, confortera les responsabilités des collectivités territoriales en matière d’animation des territoires et de cohésion sociale. Dans cette perspective, les départements et l’État ont d’ores et déjà décidé de se mobiliser ensemble. Je pense en particulier, nous en avons discuté avec Mme Carlotti, au problème du handicap. Comme l’ont souligné mes collègues, si la prise en charge du handicap devait en partie être transférée aux départements, il nous faudrait chiffrer d’entrée le coût d’un tel transfert et surtout assurer la pérennité des financements.
Mon cher collègue, le pansement budgétaire a été posé, les projets budgétaires sont examinés et le calendrier des réformes tant attendues est enfin prévu.
Ce texte, monsieur le rapporteur, ne porte que sur le volet financier de l’APA. Il ne prend pas en compte la problématique du financement de la dépendance par les départements. Par ailleurs, cela a été dit, il risque de court-circuiter les travaux en cours en contrariant la stratégie du Gouvernement concernant les deux grands chantiers que je viens d’évoquer, chantiers sur lesquels la Haute Assemblée sera amenée, une fois de plus, à travailler et à apporter toute son expertise : la réforme de la perte d’autonomie et celle de la décentralisation.
Alors, mon cher collègue, je salue votre travail, mais si votre proposition de loi va dans la bonne direction, c’est aussi celle, j’ai tenté de vous le démontrer, dans laquelle le Gouvernement se dirige d’un pas décidé. J’espère sincèrement vous en avoir convaincu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui, et sur laquelle trois amendements ont été déposés par son auteur, aborde la question de la perte d’autonomie sous la pire forme qui soit, à savoir exclusivement sous l’angle de son financement.
Cela étant dit, je ne minore en rien les besoins financiers dans ce domaine, car je connais, en tant que vice-président du conseil général du Pas-de-Calais chargé des aînés, l’importance des sommes qu’engagent annuellement les conseils généraux pour financer l’allocation personnalisée d’autonomie.
Pour autant, je ne partage ni la volonté de notre collègue Gérard Roche ni ses propos lorsqu’il affirme que l’adoption de cette proposition de loi permettrait « d’apporter une solution urgente et pérenne au financement de l’APA ».
Certes, les départements rencontrent d’importantes difficultés, notamment en raison de l’augmentation progressive et continue des dépenses qu’ils supportent au titre de l’APA et des deux autres prestations sociales individuelles que sont le revenu de solidarité active et la prestation de compensation du handicap. Cependant, pour mieux comprendre les difficultés qu’ils rencontrent, il convient de remonter à leur source.
Si près de trente départements, qu’ils soient ruraux ou urbains, gérés par des majorités de sensibilités politiques différentes, connaissent une situation financière insoutenable –certains ont même été jusqu’à dire que ces départements frôlaient le dépôt de bilan -, ce sont les équilibres financiers de tous les départements qui sont en réalité ébranlés par le financement incohérent d’une partie de notre système de solidarité nationale.
Cette situation appelle donc des réformes structurelles et non des mesures ponctuelles.
En effet, les modes hétérogènes de financement sont aujourd'hui inadaptés à la nature même de ces allocations. Alors que la couverture maladie, les allocations familiales et les allocations de retraite sont financées par des ressources prélevées à l’échelon national dans le cadre de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale, une partie de plus en plus importante du financement de l’APA, du RSA et de la PCH repose sur les départements et demeure adossée à une fiscalité en complète inadéquation avec la nature et le rythme d’évolution de ces allocations de solidarité.
Ce constat, qui porte au final, il faut le dire clairement, sur le non-respect par l’État des engagements pris en matière de compensation, grève considérablement le budget des départements. Nous en sommes bien d’accord.
Cette analyse avait d’ailleurs conduit l’ensemble des groupes parlementaires de gauche du Sénat, cela a été rappelé par différents orateurs, à déposer une proposition de loi prévoyant la compensation intégrale de ces charges par l’État. Pour notre part, nous nous inscrivons dans la continuité de cette proposition de loi-là, dans son intégralité.
Face à ce que l’on pourrait qualifier de constat de carence de l’État, qui nous paraît être en contradiction avec la volonté qu’expriment nos concitoyens en faveur d’une solidarité nationale renforcée, nous ne nous retrouvons pas dans la solution préconisée ici, à savoir l’extension de la journée dite « de solidarité » aux retraités et aux professions libérales.
Cette solution, qui présente sans aucun doute l’avantage de pouvoir être facilement mise en œuvre, tend à faire croire que la seule manière de renforcer la participation de l’État dans le financement des besoins en matière d’autonomie consisterait à exiger de nos concitoyens qu’ils voient, une nouvelle fois, leur pouvoir d’achat amputé.
Le groupe CRC n’adhère pas à cette proposition, et il me semble important de faire quelques observations.
S’il est vrai que les départements sont identifiés comme des structures de proximité, la bonne échelle pour la mise en œuvre de l’APA, nous sommes convaincus que le financement de la solidarité au titre des allocations individuelles doit demeurer national. L’État doit en effet garantir à nos concitoyens, au nom de l’égalité républicaine et des principes constitutionnels, qu’ils pourront, où qu’ils se trouvent, bénéficier d’une protection sociale identique. D’ailleurs, les départements, dont certaines populations sont plus que d’autres frappées par la crise, ne doivent pas assumer encore plus les conséquences de l’aggravation de la situation économique et sociale qui touche certains territoires plus que d’autres.
Par ailleurs, nous contestons le principe selon lequel la participation financière de l’État devrait revêtir la forme d’une extension de la journée de solidarité.
Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de réduire le champ de la protection sociale assumée par la sécurité sociale et donc financée par les cotisations, notamment en multipliant les fonds. Ceux-ci relèvent essentiellement d’un financement assis non plus sur les cotisations, c’est-à-dire sur l’ensemble des richesses créées dans les entreprises, mais sur l’impôt, c’est-à-dire, dans les faits, sur les ménages, et sur eux seuls. Cette proposition de loi en est un parfait exemple.
Comme nos autres collègues de gauche, nous nous étions formellement opposés à l’instauration de la journée de solidarité, qui fait reposer la solidarité nationale essentiellement sur les salariés.
Nous considérions que cette mesure était injuste et comptable, et nous continuons à le penser. Ni l’extension de ce dispositif aux professions libérales et aux retraités, lesquels ne sont pas des nantis, puisque nombre d’entre eux perçoivent moins de 1 000 euros par mois – il faut tout de même que quelqu’un le dise ici –, ni les amendements adoptés en commission ne le rendent plus juste.
Le mécanisme proposé ici, volontairement simple, est selon nous dangereux, car il permet, comme cela est d’ailleurs le cas dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, d’éluder trois questions fondamentales qui nous semblent pourtant devoir être soulevées, et dans cet ordre : quel champ pour la solidarité nationale ? Quelle organisation ? Quels financements ?
N’actionner qu’un seul de ces leviers, qui plus est celui du financement, c’est prendre le risque de n’apporter que des réponses partielles et injustes, déjà appliquées dans le passé.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la présente proposition de loi est cruciale non pas simplement parce qu’elle est issue du groupe UDI-UC, au nom duquel j’ai l’honneur de m’exprimer pour la première fois aujourd'hui, mais surtout parce qu’elle s’attaque à un problème lourd pour les départements. Elle apporte une réponse qui, au-delà de la gestion, repose sur des principes dont je ne vois pas du tout en quoi ils seraient injustes.
Le problème de fond est bien connu et il a été largement rappelé : la montée en charge de l’APA depuis 2001 a été bien plus rapide qu’on ne l’avait anticipé et le système de financement prévu à l’origine n’était pas adapté pour y faire face.
En effet, le mode financement de l’APA est mixte, qui repose, d’une part, sur les départements et, d’autre part, sur la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Depuis 2001, le partage entre ces deux sources de financement s’est trouvé profondément déséquilibré, puisque les départements, qui finançaient 57 % des dépenses à l’origine, en assument plus de 70 % aujourd’hui.
Cette réalité, d’une lumineuse évidence, s’explique par la conjonction de deux éléments : premièrement, de 2003 à 2009, les dépenses d’APA ont augmenté de près de 6 % par an, tandis que les financements de la CNSA augmentaient, dans le même temps, de moins de 1 % par an ; deuxièmement, et de manière plus fondamentale, aucune disposition dans la loi d’origine ne fixe une clef de répartition claire entre les départements, d’une part, et l’État, d’autre part.
Dès l’origine, mon groupe avait souligné cette lacune considérable et avait proposé et obtenu une clé de répartition paritaire très simple entre l’État et les départements, mesure qui a malheureusement été supprimée par l’Assemblée nationale.
Les départements en subissent aujourd’hui les conséquences, puisque l’APA représente plus de 20 % de l’ensemble de leurs dépenses d’aide sociale.
Permettez-moi un aparté, mes chers collègues. Si, actuellement, je suis une élue de Paris, j’ai néanmoins suivi cette question très sensible dans de précédentes fonctions non électives que j’ai occupées dans un département voisin très connu.
Les départements recourent à des solutions qui ne sont pas pérennes : ils augmentent les impôts, s’endettent ou, plus grave encore, coupent dans leurs dépenses d’investissement. Au fur et à mesure, ils se transforment en simples guichets, sans même avoir de prise sur ce type de dépenses, sans même pouvoir procéder à des arbitrages politiques. In fine, c’est leur pérennité qui est en cause. Surtout au sein de cette assemblée, je ne pense pas que nous partagions cette conception de la décentralisation.
C’est la raison pour laquelle notre collègue Gérard Roche a déposé ce texte, texte dont tout le monde approuve la philosophie et qui est très largement soutenu par les présidents de conseil général, comme l’a rappelé René-Paul Savary.
Gérard Roche propose tout simplement que la solidarité soit uniquement fonction de la capacité contributive de chacun et qu’aucune profession, aucune catégorie, ne soit a priori exclue.
Il faut un certain courage politique pour proposer une telle solution. Celle-ci est loin d’être injuste et, monsieur le rapporteur, vous avez veillé à éviter que les plus démunis ne soient touchés.
L’article 1er de la proposition de loi élargit la CSA aux travailleurs indépendants et aux retraités.
Aujourd’hui, cette contribution est acquittée par les employeurs publics et privés sur les revenus salariaux et sur les revenus du capital. De fait, elle est presque universelle ; il ne manque que les indépendants et les retraités, qui en sont exonérés aujourd’hui.
Sur le fond, les justifications de cette exonération – une mesure catégorielle et non fonction des revenus – sont faibles. Les principaux intéressés en sont d’ailleurs conscients, le président du Régime social des indépendants, auditionné par notre rapporteur, ayant officiellement déclaré soutenir le dispositif.
En termes d’équité, rien ne s’oppose à l’universalisation de la CSA, d’autant plus que notre collègue Gérard Roche a déposé un amendement visant à exclure explicitement du dispositif les retraités aux revenus les plus modestes.
En outre, cette proposition de loi apporte une solution pérenne au problème de financement, puisqu’elle flèche cette recette directement sur la compensation de l’APA. Je le rappelle, on estime que son produit se situe entre 884 millions d’euros et 910 millions d’euros. De fait, il serait presque possible d’atteindre l’objectif d’un financement de l’APA à parts égales entre l’État et les départements.
La présente proposition de loi est un texte pragmatique, qui fait consensus parmi les présidents de conseil général et qui est soutenu par l’Assemblée des départements de France. Mais elle est entachée d’un péché originel : elle n’a pas été déposée par un sénateur siégeant du bon côté de l’hémicycle et le Gouvernement n’en veut pas, pas plus que le groupe socialiste !
Pourquoi ?
Premier argument : la présente proposition de loi entrerait partiellement en conflit avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, notamment avec son article 16, qui crée la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les pensions de retraite et d’invalidité, au même taux de 0,3 %.
Or la CASA n’améliorera en rien la compensation de l’APA, car tel n’est pas, à terme, son objet. Fléchée, dans un premier temps, vers le Fonds de solidarité vieillesse, elle financera, à partir de 2014, la réforme projetée de la dépendance. Ce n’est donc que durant un très court intervalle, d’avril à décembre 2013, qu’elle abondera la section II de la CNSA. La CASA n’est donc pas une solution pérenne en soi.
Second argument : le présent texte anticiperait sur la fameuse réforme de la dépendance et apporterait une solution trop ponctuelle là où le Gouvernement veut favoriser une approche globale.
Cela ne tient pas. Avant d’envisager la future réforme de la dépendance, commençons déjà par pérenniser et sécuriser l’APA !
Quant au fonds d’urgence, il n’est pas plus une réponse pérenne.
Tous ici, hormis M. Watrin, nous approuvons la philosophie et l’objet de cette proposition de loi. J’éprouve une certaine compassion pour ceux de nos collègues qui nous ont expliqué qu’ils étaient contraints de voter contre ce texte, tout en l’approuvant. C’est pourquoi j’invite chacun à faire preuve de pragmatisme, d’autant que, au sein de la commission des affaires sociales, nos débats ont été très consensuels. En tant que membres d’une assemblée représentant les collectivités territoriales, nous devons adopter cette proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit, ainsi que M. René-Paul Savary.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission des affaires sociales. J'ai écouté avec attention et intérêt chacun des intervenants qui se sont exprimés sur cette proposition de loi de notre collègue et ami Gérard Roche. Les arguments qui ont été exposés ici l’avaient été en commission, même s’ils ont été développés de façon plus détaillée. Je reviendrai sur un certain nombre d’éléments sur lesquels j’avais alors eu l’occasion de m’exprimer.
On confond ici deux problèmes qui appellent chacun un traitement prioritaire.
Premier problème, le financement par les départements des dépenses sociales, problème crucial s’il en est, comme chacun l’a souligné. Nombre de départements, pour des raisons que nous aurons l’occasion d’analyser une autre fois, mais qui tiennent notamment aux dépenses sociales dont ils ont la charge, connaissent des difficultés financières.
Second problème, de fond celui-ci, le financement d'une partie de la perte d'autonomie, notamment celle des personnes âgées dépendantes. Cette question de la perte d'autonomie doit faire l'objet d'une approche systémique, c'est-à-dire que l'on doit aussi prendre en considération, dès lors que le financement est un jeu, l'ensemble des solutions envisageables – je pense en particulier à la perte d'autonomie des personnes handicapées.
Dès l’origine, quand il est apparu que la dépendance nécessiterait des financements considérables, alors même que les moyens dont disposaient les départements diminuaient, il a été décidé que seul serait traité le cas des personnes âgées dépendantes.
S’agissant des solutions, il suffit de se plonger dans tout ce qui a été écrit sur le sujet. Je vous rappelle que, à la suite des conférences qui se sont tenues en régions dans le cadre du grand débat national sur la dépendance, quatre rapports extrêmement importants ont été rendus, fruit du travail de l'ensemble des acteurs s'intéressant à la dépendance – organisations syndicales et patronales, associations, corps médical, ministères. À cette occasion, tout a été écrit, tout a été proposé, et dans un luxe de détails.
Le Conseil économique, social et environnemental a, lui aussi, rendu un avis sur la question et l’ancien Président de la République avait également demandé des rapports.
Enfin, les parlementaires ont également formulé des propositions : notre ancienne collègue députée Valérie Rosso-Debord et notre ancien collègue Alain Vasselle, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales au Sénat, avaient l’un et l’autre rédigé un rapport.
Certaines des propositions formulées nous avaient fait dresser les cheveux sur la tête. Je pense notamment à l’idée quelque peu radicale avancée par Mme Rosso-Debord de ne plus attribuer l’APA aux personnes classées dans les groupes iso-ressources 4 de la grille AGGIR. Effectivement, ce faisant, on évacuait entre 60 % et 70 % des problèmes en mettant à contribution d’autres payeurs : les caisses de retraite, les familles, ou autres. C’était un peu facile !
Quant à notre ancien collègue Alain Vasselle, il proposait dans son rapport de rétablir le recours sur succession, à l’instar de ce que nous avions connu avec la prestation spécifique dépendance.
Dans d’autres rapports, il était proposé que les assurances privées interviennent d'une manière ou d'une autre dans le financement de la dépendance.
En quelque sorte, la palette complète des solutions était sur la table et il n’y avait plus qu’à piocher.
Pour ma part, je reproche au gouvernement précédent de ne pas avoir sauté le pas, de ne pas avoir présenté ses propres propositions et de ne pas avoir provoqué un débat au Parlement sur cette question, alors qu’il avait à sa disposition les conclusions des différents rapports que je viens de citer.
Alors, je comprends bien que cette proposition de loi de notre collègue Gérard Roche fasse vibrer nos cœurs de président de conseil général, de vice-président de conseil général chargé de l'action sociale ou de simple conseiller général.
Comme je l'expliquais récemment en commission, alors que j'étais vice-président du conseil général de mon département, on me surnommait Attila : pour financer l’APA, la PCH et le RMI, je prenais tout ! Dans le même temps, les départements demandaient la clause générale de compétence pour financer le sport et la culture...
Cette question du financement de la dépendance est un vrai problème qui doit être non pas évacué, mais traité dans l'acte III de la décentralisation. C'est l'un des volets sur lesquels nous devons nous pencher.
Par ailleurs, on nous a annoncé que, d’ici à 2014, nous serions amenés à examiner un projet de loi relatif à la dépendance. Je ne crois pas que ce soient des paroles en l’air. Ce texte nécessitera un travail de l’ensemble des parlementaires, ici comme à l’Assemblée nationale. Nous ne pourrons pas nous focaliser simplement sur l’APA, nous devrons aussi nous pencher sur le financement du maintien à domicile des personnes en état de dépendance.
D’ailleurs, cette dernière question en soulève deux autres : d’une part, on ne peut envisager de maintenir à leur domicile des personnes âgées dépendantes – 84 % de nos concitoyens veulent pouvoir rester chez eux – sans prévoir un financement de leur prise en charge médicale et médicosociale ; d’autre part, la nécessité de services de proximité est à mettre en lien avec la désertification médicale.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission. Parallèlement, il nous faudra définir le type d’hébergement que l’on souhaite voir se développer. L’encadrement des personnes en perte d'autonomie, ce n’est pas de la garderie, c’est un véritable métier !
Tous ces problèmes, extrêmement complexes, doivent être étudiés ensemble. Des solutions ont été avancées, notamment dans les rapports que je citais plus haut dont il faut croiser les résultats pour aboutir aux meilleures solutions, mais il faut encore travailler, encore chercher, et l’on ne saurait agir à la sauvette.
On s’est toujours demandé pourquoi les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années n’ont rien fait pour amorcer ce financement. J’en donne acte à notre collègue Chantal Jouanno, en 2004, M. Michel Mercier, alors rapporteur spécial de la commission des finances, avait déposé un amendement tendant à instaurer un financement paritaire. Cette disposition n’avait pas été adoptée. J’en prends acte, même s’il aurait été préférable qu’une telle disposition soit inscrite dans la loi.
Mais la période pendant laquelle nous aurions ensuite pu revenir sur ce choix a quand même été relativement longue. Cessons donc de nous jeter mutuellement la pierre ! Essayons au contraire d’unir nos réflexions, afin de pouvoir prendre, le moment venu des décisions équitables, au nom de la dignité que nos concitoyens sont en droit d’exiger. Pour autant, il ne s’agit évidemment pas de perdre de vue les autres aspects du débat sur l’autonomie, qui sont aussi importants.
Certes, il y a une convergence dans le calendrier parlementaire. Nous allons bientôt examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et nous aurons l’occasion d’évoquer son article 16, en commission comme en séance.
Néanmoins, il n’était pas mauvais de discuter aujourd'hui de cette proposition de loi. Cela aura permis de faire un peu de brainstorming et de secouer les méninges des uns et des autres, afin d’avancer sur le sujet.
Mon cher collègue Gérard Roche, je vous suggère de retirer votre proposition de loi. Sur le fond, nous ne sommes pas opposés à la philosophie qui l’inspire. Simplement, il nous paraît souhaitable d’attendre encore un peu – cela ne devrait guère poser de problème, après tant d’années d’attente –, afin de pouvoir présenter un texte législatif susceptible de recueillir l’approbation unanime de l’Assemblée nationale et du Sénat. Alors nous aurons assuré à nos concitoyens la dignité qu’ils sont en droit d’attendre et la possibilité de vivre une vieillesse heureuse ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, je me réjouis de pouvoir échanger avec vous sur cette proposition de loi dans une perspective constructive.
Je remercie M. Collin d’avoir abordé la thématique de l’espérance de vie sans incapacité, qui stagne actuellement. Or notre propos est de vivre non pas forcément plus longtemps, mais dans des conditions satisfaisantes, et donc mieux.
Précisément, c’est tout l’enjeu du texte législatif que nous allons élaborer ensemble. Il devra permettre la mobilisation de moyens et la mise en œuvre d’actions de prévention pour préserver la santé et l’autonomie. Car la dépendance, cet état irréversible de perte d’autonomie, n’est pas une fatalité ; dans la majorité des cas, nous pouvons agir.
C’est notamment ce que je souhaitais indiquer à M. Desessard. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié qu’il inscrive le débat sur la proposition de loi de M. Gérard Roche dans la perspective globale de la perte d’autonomie, une approche que M. Le Menn vient de reprendre.
La question de la réduction des investissements a également été abordée, notamment par M. Savary. Nous en sommes tous là. Comme vous l’avez remarqué, dès la nomination de ce gouvernement, dès les premiers mois, l’État lui-même a dû couper dans certains de ses investissements, y compris s’agissant de projets auxquels nous tenons pourtant particulièrement, par exemple en matière culturelle.
Permettez-moi de vous citer une phrase que j’aime beaucoup : « Les riches donnent, les pauvres partagent. » Elle est d’un philosophe contemporain très connu : l’acteur Roger Hanin. (Sourires.)
À mon sens, nous devons aujourd'hui tous, État et collectivités territoriales, prendre conscience du contexte, que j’espère temporaire, de difficultés financières dans lequel nous nous trouvons, ce qui nous oblige à opérer des choix et à fixer des priorités.
Monsieur Savary, vous avez indiqué que les discours n’avaient pas changé depuis dix ans. Je vous en donne acte. Mais les réponses, elles, ont changé. Vous avez d’ailleurs pu le constater lors de la séance de travail que nous avons eue à l’Élysée – vous étiez présent – en écoutant les propos du Président de la République.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, si les discours n’ont pas changé, les réponses, elles, ont changé. Nous prenons en considération les difficultés des départements et des collectivités en général. Des engagements ont d’ores et déjà été pris.
Vous avez également rendu hommage à Lionel Jospin, à l’APA et à Paulette Guinchard-Kunstler. Je vous en remercie tout particulièrement.
Comme vous l’avez noté, cela fait dix ans que l’on voit le déficit des finances départementales s’aggraver et la compensation faire défaut ; dix ans que nous attendons. Depuis quelques jours, et notamment depuis hier, on entend beaucoup dire à l’Assemblée nationale, et je ne sais pas pourquoi, qu’il ne faut pas confondre hâte et précipitation. Précisément, quand on a attendu dix ans, on peut bien attendre six mois de plus si cela permet d’avoir une vision plus globale des problèmes.
Je remercie également M. Labazée d’avoir inscrit – M. Le Menn a fait de même – le débat sur la proposition de loi dans la perspective de l’agenda double annoncé par le Président de la République : d’une part, l’acte III de la décentralisation et, d’autre part, la réforme de l’autonomie.
Monsieur Watrin, je me souviens des débats sur la journée de solidarité. Votre groupe et le nôtre s’étaient insurgés contre le fait que cette mesure concernait, à l’origine, exclusivement les salariés. Convenons-en, une telle disposition n’a de sens que si elle est universelle. Aucun groupe n’est exclu de l’avancée en âge ; si c’était le cas, ce serait bien fâcheux pour le groupe en question…
Prenons l’exemple des retraités. Vous le savez, depuis ce matin, et c’est aussi ce que nous souhaitions, les retraités non imposables, en particulier ceux qui ne sont pas redevables de la taxe d’habitation, ne seront pas assujettis à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, un dispositif sur lequel les députés se sont prononcés aujourd'hui lors de l’examen de l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela correspond aux retraites inférieures à 1 320 euros, soit un seuil déjà supérieur à la valeur moyenne des retraites. Ainsi, 44 % des retraités ne seront pas concernés par la contribution.
Monsieur Le Menn, j’ai déjà souligné l’importance des points que vous venez de soulever. Il est indispensable d’avoir une vision globale, et ce à double titre.
Premièrement, et cela touche plutôt à la décentralisation, les départements sont déficitaires sur trois allocations de solidarité, dont l’une, le RSA, ne concerne pas l’autonomie. Faut-il donc envisager dès à présent la compensation sur la branche perte d’autonomie ?
Deuxièmement, la réforme que nous devons initier en matière d’autonomie devra concerner non seulement les financements et, bien évidemment, l’APA, mais aussi les budgets de santé, avec tout le volet « prévention » que nous ouvrirons, l’adaptation de la société au vieillissement et l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie, qui doit aussi, et même prioritairement, se faire à domicile, comme cela a été souligné.
Toutes ces raisons m’amènent à me réjouir de cette rencontre et du partenariat qui se noue. Mais accordons-nous le temps de mettre en place ces deux lois fondamentales et structurelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Roche, rapporteur. Je comptais plutôt intervenir lors de la discussion des articles, mais l’évolution de ce débat m’incite à m’exprimer dès maintenant.
Madame la ministre déléguée, vous nous avez interpellés sur le thème : « Que n’avez-vous agi lorsque vous étiez au gouvernement ? ».
M. Gérard Roche, rapporteur. Mais, et mes collègues peuvent en témoigner, nous sommes un certain nombre au sein de l’ADF à ne pas avoir changé de discours, avant et après. Je pense par exemple à M. Savary.
Nous nous sommes associés à la démarche sur la question prioritaire de constitutionnalité, ainsi qu’à la préparation des trois projets de loi de 2010 qui n’ont pas été adoptés ici, sachant qu’on s’attachait à l’époque – vous nous l’avez reproché tout à l’heure – uniquement à l’aspect financier.
Ce qui m’ennuie beaucoup, c’est que, en l’état, la question du financement par les départements présente un caractère d’urgence absolue. Alors que le déficit avoisine le milliard d’euros, on nous propose un pansement de 170 millions d’euros !
Voilà pourquoi j’ai pris l’initiative de cette proposition de loi. J’aurais pu la retirer, d’autant qu’une réflexion est en cours, réflexion à laquelle nous pouvons tous adhérer quelles que soient nos sensibilités politiques, car il s’agit d’un problème qui dépasse les clivages partisans.
Comme je le disais récemment, nous sommes tous dans la même galère, mais nous ne ramons pas dans le même sens. Nous tournons en rond. Peut-être faudrait-il nous mettre à ramer dans le même sens. (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, c’est le caractère d’urgence qui m’a incité à maintenir ma proposition de loi.
Je m’imagine à la place d’un paysan de la Haute-Loire – j’adore mon département ! – auquel on demanderait d’arrêter de faucher du blé en lui promettant une moissonneuse-batteuse pour dans deux ans. Mais comment fera-t-il son pain en attendant ? C’est exactement pareil pour les départements : comment vont-ils faire en 2013 et en 2014 ?
Beaucoup a été dit sur la dépendance, notamment par M. Le Menn.
Nous voulons sauver l’APA, parce que cette mesure a constitué une avancée formidable.
M. Alain Néri. C’est vrai ! Et c’est grâce à Paulette Guinchard-Kunstler !
M. Gérard Roche, rapporteur. En milieu rural, même dans un village où il ne resterait que deux ou trois maisons, lorsque l’on fait appel à une aide ménagère, le déplacement est mutualisé sur le département. Le dispositif fonctionne ; peut-être pourrait-on l’améliorer encore, mais il fonctionne.
En outre, dans les maisons de retraite, le paiement du forfait dépendance avec l’APA vient en déduction du reste à payer.
Mon département mobilise 12 millions d’euros. Pour les personnes qui sont en maison de retraite – je crois qu’il y en a 3 200 –, ce sont 260 euros par mois qui viennent en déduction des charges de la famille. En Haute-Loire, un retraité perçoit en moyenne 883 euros, contre 1 216 euros à l’échelle nationale. Le prix de journée est de 48 euros ou de 49 euros, soit 1 500 euros par mois. Heureusement qu’il y a l’APA !
L’APA a donc été une avancée formidable. Nous devons trouver une solution pour son financement, immédiatement, même dans l’urgence. C’est l’un des objets de cette proposition de loi.
En outre, le dispositif mettra le pied à l’étrier au Gouvernement. Le cavalier pourra ensuite cheminer sur sa monture et aller plus loin. Nous cherchons non pas à vous embêter, mais à résoudre ce qui constitue un véritable problème.
Monsieur Watrin, cette proposition de loi est aussi un texte de justice.
Je n’admets pas que l’on impose une journée de travail à des salariés tout en en dispensant les médecins, les avocats et les commerçants. En 2004, alors que je venais de succéder à M. Barrot à la tête du conseil général, j’ai rencontré des représentants syndicaux qui m’ont fait part de leur mécontentement à l’égard de la loi instaurant la journée de solidarité, une loi qu’ils jugeaient injustes, car applicable aux salariés mais pas aux travailleurs indépendants !
À présent, je vous propose un texte créant un dispositif d’urgence efficace et réparant une iniquité que vous aviez dénoncée avec force lors de la mise en place de la mesure concernée.
M. Dominique Watrin. Nous proposons de taxer les actifs financiers, ce que vous ne faites pas !
M. Gérard Roche, rapporteur. Certes, je suis conscient du problème de calendrier dans lequel s’inscrit l’examen de cette proposition de loi. Je sais que cela vous ennuie ; d’ailleurs, cela m’ennuie également. J’ai donc hésité à maintenir mon texte, jusqu’à ce midi.
M. Gérard Roche, rapporteur. Si, madame la ministre déléguée.
J’ai bien lu l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que les amendements de M. Bapt qui ont été adoptés. Vous allez taxer à 0,3 % les retraités, à partir du mois d’avril ; cela fera 350 millions d’euros. Mais le 0,1 % de CSG fléché sur la section II de la CNSA pour la compensation de l’APA sera diminué à due concurrence de ce que vous apportiez.
Si bien que, pour les départements, l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale relatif à la compensation de l’APA ne change absolument rien. Cela signifie qu’il n’y a pas de financements supplémentaires. Dans ce cas, ma proposition de loi garde tout son sens, raison pour laquelle j’ai décidé de ne pas la retirer.
En d’autres termes, mes chers collègues, nous continuons, mais, rassurez-vous, nous ne devrions pas veiller trop tard pour autant ! (Sourires.)
M. le président. Voilà qui est clair !
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Article 1er
Après le deuxième alinéa de l’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« 1° bis Une contribution au taux de 0,3 % sur les revenus professionnels des employeurs et travailleurs indépendants. Cette contribution a la même assiette et elle est recouvrée dans les mêmes conditions et sous les mêmes garanties que les cotisations d’assurance maladie affectées au financement du régime social des indépendants dues en application de l’article L. 612-4 du code de la sécurité sociale ;
« 1° ter Une contribution au taux de 0,3 % sur les pensions de retraite. Cette contribution a la même assiette et elle est recouvrée dans les mêmes conditions et sous les mêmes garanties que les cotisations d’assurance maladie sur les pensions dues en application de l’article L. 131-1 du code de la sécurité sociale ; ».
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. L’article 1er de cette proposition de loi, y compris si l’amendement qu’a déposé notre collègue Roche est adopté, repose sur un postulat que nous contestons. Il n’y aurait plus ou, plutôt, devrais-je dire, il ne devrait plus y avoir de différences entre un système reposant sur la solidarité nationale et un système assurantiel. J’en veux pour preuve le rapport de notre collègue, qui, pour justifier que l’on taxe les retraités, nous explique que l’effort de 36 euros que ce texte prévoit de leur demander n’est qu’une faible partie de ce qu’ils recevront si toutefois ils devaient être bénéficiaires, demain, de l’APA.
Cette logique individualiste, qui consiste à comparer la hauteur de la contribution au montant des sommes perçues, n’est pas conforme à l’esprit des ordonnances de 1945 qui ont, sous l’impulsion d’Ambroise Croizat, créé la sécurité sociale. Le principe était alors que chacun cotisait en fonction de ses moyens et bénéficiait de la solidarité nationale en fonction de ses besoins. Avec l’argumentation déployée par notre collègue, nous en sommes loin.
Cette confusion vient, sans doute, de la nature même de l’allocation personnalisée d’autonomie. Sa création a certainement permis aux personnes qui en bénéficient de connaître une amélioration notable de leur situation. Pour autant, il ne s’agit pas, contrairement à ce que nous souhaiterions, d’une véritable prestation sociale destinée à prendre en charge l’ensemble des besoins liés à la perte d’autonomie. C’est donc une avancée, mais elle est limitée.
La nature hybride de cette allocation soulève d’importantes difficultés et pose question. Disant cela, je pense au rapport de notre collègue Ronan Kerdraon, qui s’interrogeait sur la pertinence du financement par la CNSA, des soins dispensés au sein des établissements médicosociaux.
D’une certaine manière, la CNSA, bien qu’elle réponde à des besoins objectifs, qui auraient très bien pu être assumés par la sécurité sociale, participe à sa fragilisation. C’est la raison pour laquelle nous plaidons, pour notre part, en faveur d’une fusion de la CNSA et de la branche maladie qui aurait vocation, comme lors de sa création, à couvrir les besoins en termes de santé et d’accompagnement social, de la naissance de l’individu jusqu’à sa mort. L’objectif d’une réforme destinée à prendre en charge les besoins liés à la perte d’autonomie doit être la reconnaissance, cela a été souligné par d’autres, d’un droit universel assumé, selon nous, par une sécurité sociale financièrement renforcée.
Sa gestion doit être démocratisée par l’organisation d’élections dans chacune des branches, ainsi que par la représentation des associations d’usagers. L’efficacité du dispositif doit être consolidée par la coordination du sanitaire et du médicosocial à l’échelle du département. Cette donnée me paraît également importante.
Il faudra naturellement, et nous le rappellerons à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, que nous apportions à la sécurité sociale les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle étape solidaire. Ce financement ne peut pas reposer, comme le proposent certains, sur l’impôt, si faible soit-il. C’est là où nous divergeons. Ce financement doit être sociabilisé et reposer sur les cotisations sociales.
Voyez-vous, chers collègues, avant d’en appeler à la solidarité de celles et ceux qui travaillent ou qui sont victimes de la précarité, nous sommes persuadés que d’autres solutions sont possibles.
Aujourd’hui, des sommes colossales, toutes destinées à la spéculation et aux marchés financiers, échappent encore à la solidarité nationale. Je reprendrai, ici, la démonstration que j’ai faite en commission. Plutôt que d’adopter une mesure de taxation des retraités, pourquoi ne pas soumettre à contribution les actifs financiers des entreprises ? Ces derniers, qui représentent tout de même 5 000 milliards d’euros, taxés à 0,15 %, engendreraient 7,5 milliards d’euros, soit un peu plus que la part des trois allocations de solidarité à la charge des départements.
Convenez, mes chers collègues, que notre proposition est plus juste, plus solidaire, plus conforme au pacte social et permet, qui plus est, d’engendrer plus de ressources que la disposition qui nous est proposée ici.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe CRC votera contre cet article et demande qu’il soit mis aux voix par scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l'article.
M. Alain Néri. Madame la ministre déléguée, mes chers collègues, l’occasion nous est offerte aujourd’hui de rendre hommage à l’APA et à Paulette Guinchard-Kunstler, qui fut à l’origine de sa création.
L’APA, qui a succédé à la prestation spécifique dépendance, la PSD, a pour vertu d’être universelle : les critères d’attribution sont les mêmes sur l’ensemble du territoire français.
L’APA a été une formidable initiative. Elle a permis, en premier lieu, le maintien à domicile des personnes âgées. Comme on dit chez moi, un petit chez soi vaut mieux qu’un grand chez les autres. (Sourires.) Rester chez soi plus longtemps est psychologiquement, socialement et financièrement, aussi, une avancée considérable.
J’ai ouvert dans ma petite commune une maison de retraite en 1993. À l’époque, on entrait en maison de retraite à soixante-quinze ou à soixante-seize ans. Aujourd’hui, on y entre à quatre-vingt-cinq ans ou à quatre-vingt-six ans. C’est dire que l’APA permet de maintenir dix ans de plus les personnes âgées à leur domicile ! Elle doit donc être saluée unanimement.
Néanmoins, arrive souvent un âge où il faut partir en maison de retraite. L’espérance de vie augmentant, elle s’accompagne souvent d’une perte d’autonomie. Lorsque l’on entre en maison de retraite à quatre-vingt-cinq ou à quatre-vingt-six ans, on est plus dépendant et on a besoin de davantage de soins et d’accompagnement médicosocial. Fatalement, cela coûte plus cher, et le prix de la journée est plus élevé. C’est un véritable problème auquel sont confrontées les collectivités, mais aussi et surtout les familles, là où doit s’exercer la solidarité intergénérationnelle.
Lorsqu’une personne âgée est admise en maison de retraite à quatre-vingt-cinq ou à quatre-vingt-six ans, sa retraite peut rarement suffire pour couvrir les dépenses de la maison de retraite. La maison de retraite dont je vous ai déjà parlé coûte entre 1 500 et 1 600 euros chaque mois. Nous sommes dans la fourchette très basse et, pourtant, peu de nos concitoyens ont une retraite mensuelle de ce niveau.
La loi prévoit que, si la personne concernée ne peut pas payer, on se tourne vers les obligés alimentaires, c'est-à-dire vers les enfants et parfois les petits-enfants. Quand il s’agit des enfants, ces derniers arrivent également à l’âge de la retraite avec des ressources et un reste à vivre qui ne permet souvent pas de faire jouer financièrement la solidarité intergénérationnelle. Et, sur le plan psychologique, il est dramatique pour des enfants de ne pouvoir assurer le bien-être de leurs parents en fin de vie.
On se tourne alors vers les conseils généraux et vers l’aide sociale. Comment voulez-vous joindre les deux bouts quand l’État vous verse 27 %, dans le meilleur des cas, au lieu des 50 % attendus ? Prenons le cas du département du Puy-de-Dôme, où j’ai assuré les fonctions de vice-président chargé des affaires sociales. Le montant de notre participation à l’APA s’élève pratiquement à 60 millions d’euros. Au lieu de récupérer 30 millions d’euros de l’État, le département n’en perçoit que 17 millions. Vous voyez l’ampleur du manque à gagner ! Nous sommes obligés de nous tourner vers l’aide sociale pour payer la différence. Ce n’est plus possible !
Tout comme mon collègue Dominique Watrin, je pense que l’APA est un système qui fonctionne bien. Ce qui ne fonctionne plus, c’est son financement, puisque l’État ne verse pas sa part, à savoir les 50 % initialement prévus.
Madame la ministre déléguée, vous avez raison. Nous faisons tous le même constat et le même diagnostic. Maintenant, il faut que l’on prenne le temps de réfléchir, que l’on donne du temps au temps, pour plagier un certain Président de la République. Ainsi, nous pourrons ensemble, mon cher collègue rapporteur, engager la concertation non seulement avec les conseils généraux, mais aussi avec le Sénat, avec l’Assemblée nationale et, pourquoi pas, avec les associations afin de déterminer ensemble comment financer ce qui est indispensable aujourd’hui pour que nos aînés puissent vivre dignement leurs derniers jours.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Roche, Namy, J.L. Dupont, Arthuis, Savary et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le 1° de l’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« 1° bis Une contribution au taux de 0,3 % due sur le revenu d’activité non salarié des travailleurs indépendants tel que défini à l’article L. 131-6 du code de la sécurité sociale. Cette contribution est recouvrée et contrôlée par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général de sécurité sociale selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations personnelles d’allocations familiales ;
« 1° ter Une contribution au taux de 0,3 % due sur le revenu d’activité des personnes non salariées des professions agricoles tel que défini à l’article L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime. Cette contribution est recouvrée et contrôlée par les caisses de mutualité sociale agricole et les organismes mentionnés à l’article L. 731-30 du même code selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations d’assurance maladie ;
« 1° quater Une contribution au taux de 0,3 % due sur les pensions de retraite et d’invalidité ainsi que sur les allocations de préretraite perçues par les personnes dont le montant des revenus de l’avant dernière année tels que définis au IV de l’article 1417 du code général des impôts excède les seuils déterminés en application des dispositions des I et III du même article. Elle est recouvrée et contrôlée selon les règles, garanties et sanctions mentionnées pour les mêmes revenus à l’article L. 136-5 du code de la sécurité sociale.
« Sont exonérées de la contribution mentionnée au précédent alinéa, les pensions mentionnées au a du 4°, au 12° et au 14° bis de l’article 81 du code général des impôts et les personnes titulaires d’un avantage de vieillesse ou d’invalidité non contributif attribué par le service mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 815-7 du code de la sécurité sociale ou par un régime de base de sécurité sociale sous les conditions de ressources mentionnées à l’article L. 815-9 du même code. »
La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Les trois amendements ont été cosignés par l’ensemble du groupe UDI-UC, ainsi que par René-Paul Savary, coauteur de la proposition de loi.
L’amendement n° 1er rectifié bis prévoit une nouvelle rédaction de l’article 1er afin de lui apporter plusieurs améliorations rédactionnelles.
Par ailleurs, l’amendement tend à élargir l’assiette de CSA aux exploitants agricoles, qui n’étaient pas inclus dans le dispositif initial.
Enfin, il vise à exonérer du paiement de la contribution les retraités qui perçoivent les revenus les plus modestes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Roche, rapporteur. La commission a émis un avis favorable ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. L’avis du Gouvernement est défavorable. Non pas que je ne sois pas d’accord avec M. Roche sur certains points ; d’ailleurs, ce matin, lors de l’examen de l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous le savez, une exonération a été votée au bénéfice des retraités les plus défavorisés.
En ce qui concerne les exploitants agricoles, et plus généralement les indépendants, je vous répondrai par un proverbe béarnais connu certainement de M. Labazée : « À brebis tondue, Dieu mesure le vent ». (Sourires.) Les indépendants ont contribué pour 1,1 milliard d’euros dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; il ne serait pas raisonnable de leur demander davantage. Cependant, nous avons écouté avec beaucoup d’attention l’engagement de leur président…
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, au cours de l’examen du texte en commission, le groupe socialiste n’a pas pris part au vote.
J’aimerais donner notre position sur cet amendement.
Je ne peux m’empêcher de constater une nouvelle fois, au risque de me répéter, que le nouveau périmètre que vous proposez ressemble à s’y méprendre à celui de l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui a été voté ce matin à l’Assemblée nationale.
Le 1° quater modifié de cet article 1er prévoit une contribution au taux de 0,3 % due sur les pensions de retraite et d’invalidité.
M. le rapporteur a souhaité exclure de ce dispositif les personnes âgées les plus modestes : celles qui sont déjà exonérées de la taxe d’habitation, ainsi que celles qui perçoivent le minimum vieillesse ; nous sommes d’accord.
Selon l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les titulaires de pensions de retraite ou d’invalidité non redevables de la CSG et de la CRDS seront exemptées de la nouvelle contribution CASA.
Il en est de même pour ceux qui se voient appliquer le taux réduit de CSG de 3,8 %.
Le taux de la CASA sera porté à 0,30 % dès la première année. Ainsi, en 2013, compte tenu des amendements adoptés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, cette contribution devrait rapporter 450 millions d’euros. Il appartiendra ensuite au Gouvernement de décider du fléchage de ce produit.
En 2014, avec un taux de 0,3 %, ce sont 700 millions d’euros qui devraient être versés à la CNSA.
Les montants prélevés sur les retraites resteront modiques. Par exemple, pour une pension de 1 300 euros pour une personne seule, le montant prélevé sera de 3,90 euros par mois en 2014.
Taux similaires, rédactions similaires, portée similaire : on comprendra que nous préférions l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale au présent amendement, contre lequel nous voterons.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une du groupe CRC, l'autre du groupe de l'UDI-UC.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 8 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 179 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté. (Mme Chantal Jouanno applaudit.)
En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, je souhaite expliquer pourquoi mon groupe vote contre l’article 1er.
M. le président. Mon cher collègue, l’amendement n° 1 rectifié bis tendait à récrire l’article 1er. Son adoption entraîne donc celle de cet article, et il n’y aura, de ce fait, pas de vote sur ce dernier.
M. Dominique Watrin. Mais nous n’avons pas pris part au scrutin sur l’amendement ! Je souhaite rectifier notre vote !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. En tant que secrétaire du Sénat, j’ai demandé à M. Watrin s’il voulait prendre part au vote sur l’amendement n° 1 rectifié bis, et il m’a indiqué que non.
M. le président. Il n’y a donc pas lieu de procéder à une rectification de vote, monsieur Watrin. Vous pourrez vous exprimer en expliquant votre vote sur l’ensemble du texte.
Article 2
Au premier alinéa de l’article L. 3133-7 du code du travail, après le mot : « 1° » insérer les mots : « , 1 bis et 1 ter ».
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Roche, Namy, J. L. Dupont, Arthuis, Savary et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. L’article 2 opère une coordination avec les dispositions du code du travail relatives à la journée de solidarité. Or cette coordination n’a pas lieu d’être dès lors que le dispositif prévu par la proposition de loi pour les retraités et les travailleurs indépendants ne prend pas la forme d’une journée de travail non rémunérée effectuée au titre du paiement de la contribution. Il convient donc de supprimer l’article 2.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Roche, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Sur cet amendement, le groupe socialiste s’abstiendra.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'UDI-UC.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, le groupe socialiste s’abstenant sur cet amendement, je retire la demande de scrutin public formulée par mon groupe.
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3
L’article L. 14-10-5 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
I. – Au a) du 1. du I. remplacer les mots : « 10 % » et « 14 % » par les mots : « 7 % » et « 10 % » ;
II. – Au a) du 2. du I. remplacer les mots « 40 % » par les mots « 30% » ;
III. – Au a) du II. remplacer les mots : « 20 % » par les mots : « 40 % » ;
IV. – Au a) du III. remplacer les mots : « 26 % » et « 30 % » par les mots : « 20 % » et « 23 % ».
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Roche, Namy, J. L. Dupont, Arthuis, Savary et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 14-10-5 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Au a du 1 du I, les taux : « 10 % » et « 14 % » sont remplacés par les taux : « 7 % » et « 10 % » ;
2° Au a du 2 du I, le taux : « 40 % » est remplacé par le taux : « 30 % » ;
3° Au a du II, le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 40 % » ;
4° Au a du III, les taux : « 26 % » et « 30 % » sont remplacés par les taux : « 20 % » et « 23 % » ;
5° Au cinquième alinéa du III, le taux : « 40 % » est remplacé par le taux « 30 % » ;
6° Au a du 1 du I, au a du 2 du I, au a du III, au 1° du IV, au a bis du V, au b bis du V, les références : « aux 1° et 2° » sont remplacées par les références : « aux 1° à 2° ».
La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Cet amendement tend à apporter plusieurs améliorations rédactionnelles à l’article 3.
En outre, il tire les conséquences de la fixation, à l’article 3, de nouvelles clés de répartition du produit de la CSA.
En effet, l’article L. 14-10-5 du code de l’action sociale et des familles, relatif au budget de la CNSA, dispose que 40 % du produit de la CSA doit être dédié au financement des établissements pour personnes handicapées et de la prestation de compensation du handicap, la PCH.
La proposition de loi élargissant l’assiette de la CSA en affectant entièrement la recette nouvellement créée aux personnes âgées, il est nécessaire de ramener cette part à 30 %, sans pour autant que le montant des financements destinés aux personnes handicapées s’en trouve diminué.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Roche, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car il ne peut souscrire aux modifications proposées. En effet, l’amendement tend à diminuer le financement des établissements médicosociaux et de la PCH, alors que les besoins et le nombre de personnes concernées ne cessent d’augmenter. Monsieur Roche, ce manque de cohérence ne vous ressemble pas ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Madame la ministre, je vous remercie du compliment que vous venez de me faire ! (Nouveaux sourires.)
Le financement des établissements médicosociaux et de la PCH ne se trouvera nullement diminué. Il s’agit simplement d’un problème d’assiette : avec l’apport de 980 millions d’euros supplémentaires, sans réduire en valeur absolue la dotation affectée aux personnes handicapées, il faut diminuer le pourcentage pour maintenir la répartition de la ressource entre les différentes sections de la CNSA.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Les modifications proposées par le biais de cet amendement, qu’elles soient rédactionnelles ou qu’elles tendent à réduire la part du produit de la CSA consacrée aux personnes handicapées, sont cohérentes avec le reste du texte. Après avoir créé de nouvelles ressources, vous souhaitez, monsieur Roche, sanctuariser leur destination au profit des départements, en les affectant exclusivement au financement de l’APA.
Nous contestons à la fois les modalités de perception de ces nouvelles ressources, notamment la taxation des indépendants, l’idée même d’abaisser la part du produit de la CSA consacrée aux personnes handicapées, même si le niveau des sommes allouées resterait inchangé, et surtout le projet d’ensemble, qui nous paraît contreproductif. Par conséquent, nous voterons contre cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'UDI-UC.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 9 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 172 |
Pour l’adoption | 178 |
Contre | 165 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé.
Article 4
Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente proposition de loi sont compensée à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote sur l'article.
M. Georges Labazée. Le groupe socialiste votera contre cet article.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Si l’on ne peut que se féliciter de l’existence de cette prestation de compensation de la dépendance qu’est l’APA, cet intéressant débat a bien mis en lumière les difficultés que rencontrent les départements.
En effet, si les critères sont déterminés au plan national, leur application s’opère à l’échelon départemental. Avec l’APA, le RSA ou la PCH, les départements ont une action déterminante en matière de solidarité, tant entre les hommes qu’entre les territoires.
Il est bien dommage, madame la ministre, de se priver de l’outil proposé au travers de ce texte, car le mal dont souffrent les départements depuis déjà un certain temps devient de plus en plus difficile à soigner. Je crains même qu’il ne soit bientôt trop tard !
C'est la raison pour laquelle il est important d’essayer de donner, avec cette proposition de loi, un signal fort aux départements. En effet, concrètement, jusqu’à présent rien n’a changé pour eux dans l’accomplissement de leur mission ! Ils sont toujours confrontés aux mêmes difficultés de financement des prestations de solidarité. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Je l’ai indiqué tout à l’heure, cette proposition de loi soulève la question du rôle des collectivités et de son articulation avec celui de l’État, ce qui nous renvoie aux récents débats des états généraux de la démocratie territoriale.
Selon nous, l’action sociale doit être gérée au plus près des réalités du terrain et des personnes bénéficiaires. À cet égard, nous sommes intéressés par les expérimentations de déconcentration via des antennes territoriales des conseils généraux ou au bénéfice des intercommunalités, comme cela se pratique à Rennes et à Strasbourg.
La logique comptable de centralisation, dite d’optimisation, est une fausse bonne solution, qui risque de provoquer à plus long terme un effet boomerang. Éloigner les services des populations, c’est malheureusement encourager ces dernières à repousser la mise en œuvre des démarches à entreprendre pour améliorer leur situation sociale, sanitaire, économique et culturelle, au risque de l’aggraver, ce qui, à terme, finit aussi par être plus coûteux pour la société.
Malheureusement, cette concentration, ce « déménagement du territoire » est toujours à l’œuvre, comme en témoigne le projet de restructuration de la Banque de France, laquelle est chargée – faut-il le rappeler ? – de traiter les dossiers de surendettement des particuliers.
Mme la ministre a indiqué, dans la presse, que le projet reposerait sur trois volets, les « trois A » : anticipation, adaptation, accompagnement. Or comment anticiper, adapter, accompagner si l’on est éloigné des réalités quotidiennes ? Comment envisager, par ailleurs, l’évolution des besoins financiers sans disposer d’une connaissance fine des populations, de leurs comportements, de leurs modes de vie et de leurs attentes ? Le débat d’aujourd’hui sur les modalités de renflouement des caisses promet de perdurer…
J’ai expliqué, lors de la discussion générale, que nous ne pouvions soutenir cette proposition de loi dès lors que des mesures sont prévues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ; nous y reviendrons prochainement.
Le groupe écologiste votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Le groupe CRC considère que cette proposition de loi ne permettra pas de résoudre les difficultés financières des départements ni de répondre aux besoins liés à une prise en charge intégrale de la perte d’autonomie.
J’ai esquissé, dans mes interventions précédentes, des pistes de réflexion qui permettraient d’orienter le débat vers un projet beaucoup plus ambitieux pour la prise en charge de la perte d’autonomie, assorti de modalités de financement plus justes, mettant à contribution les richesses créées par les entreprises, notamment par le biais de la taxation des actifs financiers.
Le débat de cet après-midi a été riche, même si le dispositif présenté repose sur une mesure trop ponctuelle à notre gré. La réflexion doit se poursuivre selon des perspectives plus générales afin que nous puissions envisager la mise en œuvre de solutions pérennes.
Pour l’heure, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la ministre, la donne a manifestement changé depuis les états généraux de la démocratie territoriale lancés par le président du Sénat et la rencontre de lundi entre une délégation de l’Assemblée des départements de France et le Président de la République. Les décisions annoncées lors de cette réunion répondent à la fois à l’urgence et à l’avenir.
Deux des plus sérieuses revendications des acteurs de la solidarité, s’agissant en particulier de la création des conditions de la mise en place de ressources pérennes et suffisantes pour le financement des trois allocations de solidarité à compter de 2014, ont été entendues. Même si tout n’est pas parfait, cela illustre le fait que souffle un vent de nouveauté.
La prise en charge de la perte d’autonomie est un enjeu majeur pour notre société, car elle concerne des millions de nos concitoyens et les sommes nécessaires pour y faire face se comptent en milliards d’euros. Est-il utile de rappeler que la réforme de la prise en charge de la dépendance, tant attendue, demeure l’un des rendez-vous manqués de la précédente législature ?
En revanche, je suis certain que cette réforme, fermement engagée par le Président de la République François Hollande, sera mise en œuvre par notre majorité. J’en veux pour preuve le fait que nous commençons à prévoir son financement dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Partant du principe que, pour réaliser une réforme, il faut d'abord la financer, nous posons, avec la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, la première pierre du système de financement de la prise en charge de la dépendance ; nous aurons l’occasion d’y revenir.
Madame la ministre, vos propos, tant à l’Assemblée nationale que dans cette enceinte, ont montré votre détermination à être à l’avant-garde de l’action.
En outre, répondant cet après-midi à une question d’actualité au Gouvernement, vous avez également annoncé que vous présenterez un amendement au PLFSS concernant les emplois à domicile : 50 millions d’euros, ce n’est pas rien pour les structures qui agissent sur le terrain !
En conclusion, je me félicite de la teneur du débat, d’autant que l’exercice n’était pas facile. Le groupe socialiste ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche, auteur de la proposition de loi. Madame la ministre, nous savons combien ce dossier vous tient à cœur. Nous sommes sur le même bateau, nous défendons une même cause, qui transcende les clivages politiques.
Quelle que soit l’issue du vote sur l’ensemble du texte, notre débat de cet après-midi aura permis de faire entendre l’appel au secours des départements. Il existe une véritable angoisse parmi les présidents de conseil général, y compris ceux de gauche. Au sein de l’Assemblée des départements de France, je travaille avec eux depuis des années : la proposition de loi que j’ai déposée découle du travail que nous avons réalisé ensemble.
Madame la ministre, ne voyez pas dans le dépôt de ce texte une marque de défiance à votre égard : bien au contraire, nous serons à vos côtés pour traiter ce très lourd problème de la prise en charge de la dépendance. Il s’agit aujourd’hui pour nous, je le répète, de nous faire l’écho d’un appel au secours des collectivités, qui sont beaucoup plus inquiètes qu’on ne le pense peut-être en haut lieu, bien que François Hollande ait été président de conseil général et connaisse bien les difficultés.
Pour bien connaître nombre de présidents de conseil général de gauche, je puis vous dire qu’ils partagent tout à fait la philosophie de cette proposition de loi. Il faut régler le problème, relever ensemble le redoutable défi de la dépendance.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour répondre à cet appel au secours ! (Sourires.)
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Monsieur Roche, soyez assuré que votre appel au secours a bien été entendu !
Cela étant, je regrette profondément que nous ne nous engagions pas sous le signe de la confiance mutuelle dans l’élaboration d’un texte de loi qui, je l’espère, fera date et permettra de relever le véritable défi que représente, pour notre société, la prise en charge de la dépendance.
Je vous le dis très clairement, le vote de cette proposition de loi ne marquerait pas cet élan collectif auquel j’appelais lors de mon intervention dans la discussion générale. Nous devons nous rassembler, eu égard à l’importance de l’enjeu, à l’acuité des inquiétudes, à la montée des attentes suscitées par les annonces et les promesses faites ces cinq dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'UDI-UC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 10 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 173 |
Pour l’adoption | 178 |
Contre | 166 |
Le Sénat a adopté. (Mme Chantal Jouanno applaudit.)
10
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, a proposé des candidatures pour deux organismes extraparlementaires.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Marc Daunis membre du conseil d’administration de l’établissement public « Parcs nationaux de France » et M. Stéphane Mazars membre suppléant de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 29 octobre 2012, à quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (n° 43 rectifié, 2012-2013) ;
Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 83, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 84, 2012-2013) ;
Avis de M. Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 74, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART