M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui amenés à examiner le projet de loi justifie, malheureusement, sa discussion en procédure accélérée.
Les événements dramatiques qui ont frappé Montauban et Toulouse en mars dernier étaient déjà venus rappeler à la nation tout entière qu’elle n’était pas à l’abri, sur son propre sol, d’actes aveugles et lâches de terrorisme. L’actualité de ces dernières semaines l’a encore prouvé. Je tiens d’ailleurs à saluer, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, l’action non seulement des services de renseignement et de sécurité, mais également des services judiciaires, qui ont travaillé, sous votre responsabilité, pour démanteler simultanément à Strasbourg, en région parisienne et sur la Côte d’Azur, un réseau islamiste qui, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre, était déjà passé à l’acte et s’apprêtait à récidiver.
Notre pays n’a que trop payé le prix du sang. Il a su se doter, c’est vrai, notamment dès 1986, d’une législation antiterroriste spécifique que les professionnels du sujet, qu’ils soient magistrats ou enquêteurs, qualifient eux-mêmes de bien construite et d’efficace, comme cela a été souligné par M. le rapporteur. Cet arsenal juridique repose, cela a été dit, sur l’infraction cardinale d’« association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », qui offre aux enquêteurs la possibilité de travailler très en amont des actes de terrorisme eux-mêmes, grâce à l’incrimination des actes dits « préparatoires ».
Je ne m’attarderai pas sur les autres dispositifs dérogatoires au droit commun, comme le régime de la garde à vue, celui des perquisitions de nuit ou encore les captations de données informatiques, qui représentent un ensemble d’instruments d’investigations efficaces au bénéfice des enquêteurs.
En toute hypothèse, notre législation antiterroriste est non pas un droit d’exception mais un droit spécifique, absolument nécessaire à la lutte contre cette criminalité parfois très organisée, et en tout cas particulière.
Cette législation demeure également, comme toutes les autres, soumise à d’exigeantes garanties procédurales. Le juge reste toujours, en dernier lieu, le garant du respect des règles de droit et des libertés. Aussi s’inscrit-elle bien dans le cadre qui nous est cher, celui d’un État de droit soucieux de garantir un équilibre parfait entre, d’une part, la poursuite et la répression des infractions terroristes, la protection de la population et la prise en charge des victimes, et, d’autre part, le respect des droits des personnes mises en cause. Notre groupe sera d’ailleurs toujours mobilisé pour maintenir cet équilibre essentiel dans un État démocratique.
Pour nous également, les clivages politiques s’effacent nécessairement devant l’horreur. La nation tout entière doit être rassemblée pour exprimer sa compassion aux victimes et sa détermination face au terrorisme. Toute récupération politique ne peut que susciter notre réprobation.
Monsieur le ministre, vous avez parlé, il y a un instant, de la défense de l’intérêt supérieur de notre pays. Je me félicite de la concorde qui semble régner à ce sujet, manifestée par la quasi-unanimité prévalant dans cet hémicycle. Je tiens également à saluer votre méthode de travail, fondée sur l’analyse raisonnée plutôt que sur la seule émotion subie.
Le présent projet de loi résulte en grande partie des conclusions d’un groupe de travail qui associait des magistrats spécialisés, des policiers de la sous-direction antiterroriste, des membres de la DCRI, ainsi que deux conseillers près la Cour de cassation. Cette méthode équilibrée a permis de prendre toute la mesure des enjeux qui s’imposaient et d’apporter des réponses pragmatiques et pertinentes.
Certes, je n’oublie pas, cela vient d’être rappelé, que le projet de loi n° 520, déposé sur le bureau du Sénat le 4 mai dernier par l’ancien garde des sceaux Michel Mercier, comportait une importante disposition, que reprend en partie le présent texte : la possibilité de réprimer le délit d’association de malfaiteurs terroristes commis par un Français à l’étranger.
Toutefois, d’autres dispositions contenues dans ce projet de loi préparé dans l’urgence, cela a été rappelé, semblaient poser problème. Je pense en particulier au délit de consultation habituelle de site terroriste. Un tel délit aurait nécessairement posé des problèmes de constitutionnalité. Mais il aurait surtout alourdi la charge de travail des services de renseignement, voire aurait été contre-productif, dans la mesure où de nombreuses identifications de terroristes ont précisément été rendues possibles, ces dernières années, par le suivi de leurs connexions sur internet.
Notre groupe soutiendra naturellement le présent projet de loi, car nous estimons qu’il est urgent d’adapter notre droit aux évolutions, très rapides, des menaces objectives qui pèsent sur notre pays.
Dans sa version issue des travaux de la commission des lois – permettez-moi, d’ailleurs, de saluer l’excellent travail réalisé par le rapporteur Jacques Mézard –, le présent texte se caractérise par encore plus d’équilibre entre la protection de l’ordre public et le respect des droits fondamentaux. La commission a en effet particulièrement veillé au respect de ces principes. C’est la raison pour laquelle nous souscrivons pleinement aux modifications qui ont été apportées, notamment sur la procédure de consultation de la commission départementale d’expulsion.
J’en viens aux autres articles du texte.
La prorogation de certaines dispositions de la loi du 23 janvier 2006 jusqu’en 2015 nous apparaît nécessaire, compte tenu du contexte actuel. En tout état de cause, ces mesures d’exception sont aujourd’hui indispensables aux services d’enquête et ont été encadrées et validées par le Conseil constitutionnel. Les quelques dérives qui ont pu avoir lieu sont liées non au cadre législatif lui-même, mais à des comportements individuels isolés qu’il appartient à la justice, et à elle seule, au cas par cas, d’apprécier et, le cas échant, de sanctionner.
La menace terroriste évolue rapidement, je le disais, et se caractérise par sa nature protéiforme. Il est donc légitime que nous nous interrogions sur la capacité d’action de nos services de renseignement et sur leurs résultats.
L’affaire Merah a malheureusement révélé de possibles défaillances sur lesquelles toute la lumière devra être faite. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, Mohammed Merah était déjà connu de ces services. Ces dernières années, il avait été identifié à la suite de ses déplacements en Afghanistan, où il s’était rendu hors des filières classiques de recrutement de militants occidentaux.
Je sais que vous vous employez à dresser ce bilan et à en tirer les enseignements, puisque vous déclariez le 12 juillet dernier devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que « chacun est conscient du fait qu’il y a eu échec […], puisque Mohamed Merah a pu agir et tuer ».
Des pistes de réflexion sont d’ores et déjà à l’étude. Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois consacré aux dispositifs législatifs de lutte contre le terrorisme en avance quelques-unes.
De la même façon, vous avez souhaité repenser l’articulation entre la DCRI et les services départementaux de l’information générale, ou SDIG, sans toutefois toucher au socle d’action de la première. En tout état de cause, une telle réflexion ne peut s’inscrire que dans le cadre plus global de l’analyse des causes de l’adhésion de certains individus au radicalisme, radicalisme qui conduit alors au terrorisme.
L’un des éléments les plus marquants concernant la récente vague d’interpellations est que les individus appréhendés sont tous des citoyens français qui ont grandi dans notre pays, certains d’entre eux ne s’étant convertis que récemment à l’islam. Or, comme vous l’avez déclaré, monsieur le ministre, « il y a un terreau qui est celui de la pauvreté, de l’absence de repères, qui peut conduire à la délinquance, mais qui conduit aussi à l’engagement qui est celui de l’islamisme radical. On le trouve dans certains quartiers. En prison aussi. »
Ce qui est en cause, c’est bien l’échec d’une certaine politique pénale, qui a mis l’accent sur le tout-sécuritaire plutôt que sur la prise en charge, aussi, des causes sociales de la délinquance. La loi du 5 mars 2007 en est l’illustration. Bien plus, en favorisant l’incarcération, notamment de primo-délinquants, cette politique a mis de nombreux jeunes fragiles au contact direct du prosélytisme islamiste, qui sévit dans nos prisons.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas vrai !
M. Stéphane Mazars. Certes, aucune étude n’a pu mesurer jusqu’à présent avec précision le nombre de conversions à l’islam en prison, ni appréhender l’étendue de l’islamisme, mais il est désormais pratiquement acquis que nos lieux de détention constituent un lieu de radicalisation et de recrutement de djihadistes.
Les meneurs sont souvent des jeunes en rupture avec leur milieu, qui expriment leur haine par un fait dit « religieux » poussé jusqu’à son paroxysme.
Ces dérives ont bien été prises en compte par l’administration pénitentiaire. Je pense, par exemple, à l’observation des changements de comportement et aux transferts des prisonniers à risque.
Tout le monde s’accorde à dire que la lutte contre cette radicalisation passe aussi par l’implication d’imams en milieu carcéral, afin de tenter d’empêcher les modérés de se radicaliser ou tout simplement pour garantir des espaces d’accès à la religion. Il est toutefois notoire que le nombre d’imams est trop faible. On en compte 151, contre, par exemple, 655 aumôniers catholiques.
Madame la garde des sceaux, vous avez annoncé l’intégration de 30 imams supplémentaires d’ici à 2014. Mais le chiffre demeure insuffisant ; selon les estimations, il en faudrait quatre fois plus. D’ailleurs, c’est également ce que dit le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Dans un avis du 24 mars 2011, celui-ci notait qu’il appartient, « dans le respect du principe de laïcité » – c’est un principe auquel nous sommes très attachés –, à l’administration responsable des lieux de privation de liberté de « pouvoir satisfaire aux exigences de la vie religieuse, morale ou spirituelle des personnes dont elle a la charge. »
En tout état de cause, la lutte contre le terrorisme est une implication de chaque instant.
Monsieur le ministre, je connais la détermination qui est la vôtre et celle des fonctionnaires de votre administration pour faire triompher nos valeurs communes, celles que nous partageons sur toutes les travées de la Haute Assemblée, face à l’obscurantisme et au fanatisme, qui conduisent aux crimes les plus odieux.
Quand les valeurs républicaines, et, parmi elles, la laïcité – vous l’avez mentionnée tout à l’heure –, sont menacées, vous savez pouvoir compter sur le soutien du groupe du RDSE, héritier au Sénat d’une tradition politique qui participe à la construction et à la défense de notre République depuis 120 ans ! Dans ces conditions, la totalité des membres de notre groupe approuveront le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité récente, nationale et internationale, nous montre malheureusement que la lutte contre le terrorisme impose aux pouvoirs publics une vigilance de tous les instants.
Les menaces sont réelles. Elles sont en perpétuelle évolution. Il revient au législateur d’adapter notre arsenal législatif pour doter nos forces de police et la justice de moyens leur permettant de lutter efficacement contre les réseaux.
C’est un sujet sur lequel je me suis beaucoup engagé au cours de la législature précédente, en tant que rapporteur de la commission des lois. Aujourd’hui, si la majorité gouvernementale a changé, la menace terroriste, elle, est malheureusement restée la même. C’est pourquoi, monsieur le ministre, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris connaissance de votre projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, un texte qui appelle deux remarques de ma part.
Tout d’abord, je constate avec satisfaction que vous rappelez dans l’exposé des motifs que les dispositions de la loi du 1er décembre 2008 ont fait « la preuve de leur pertinence opérationnelle et de leur efficacité ». Ainsi, confronté aux réalités de l’action, vous reconnaissez la pertinence des politiques menées en la matière par Nicolas Sarkozy et par le gouvernement de François Fillon, que vous aviez pourtant tant décriées à l’époque avec certains de vos amis, tout comme vous reconnaissez le bien-fondé du texte présenté par le garde des sceaux d’alors, mon ami Michel Mercier.
Ensuite, je me réjouis que vous ayez également évolué sur l’idée de revoir périodiquement la pertinence de certains outils juridiques. Souvenons-nous des remontrances habituelles de certains de vos amis lorsque nous expliquions qu’il était nécessaire d’adapter régulièrement notre arsenal législatif dans la mesure où la menace terroriste était très évolutive. Tous semblent aujourd’hui se rallier à notre thèse...
Prenons l’exemple de l’article 1er de votre projet de loi. Il s’agit de proroger jusqu’au 31 décembre 2015 les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, dont j’étais alors rapporteur. Cette prorogation, sur laquelle nous pouvons nous interroger, non pas sur l’intérêt de fond des mesures elles-mêmes, mais sur son fait – mon collègue Jean-Jacques Hyest l’a brillamment exprimé tout à l’heure –, me rappelle les débats que nous avions eus à l’époque.
Il faut se remémorer ce que certains de nos plus éminents collègues socialistes déclaraient ici même au cours des dernières années lorsque nous présentions des textes. Fraternellement et par respect envers l’esprit de sagesse qui règne dans cette maison, je ne citerai pas les noms des intéressés, mais je reprendrai mot à mot leurs propos.
En 2006, un collègue déclarait : « Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas voter un texte […] qui pérennise des mesures exceptionnelles et qui supprime un certain nombre de garanties liées à l’action de la justice. »
En 2008, un autre affirmait : « Nous ne pouvons pas accepter que la prorogation de l’article tendant à permettre la fouille des trains se justifie par la lutte contre l’immigration. Nous n’accepterons jamais l’amalgame trop souvent fait entre terrorisme et immigration. »
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avions raison de ne pas accepter cet amalgame !
M. Jean-Patrick Courtois. L’orateur continuait ainsi : « J’ajoute que c’est parfaitement contraire au principe même de Schengen, ce dont ont conscience un certain nombre de membres de la commission des lois, quelle que soit leur couleur politique. »
En 2011, un troisième expliquait : « Pour notre part, nous préférons une autre méthode, qui consiste, avant toute impulsion législative, à examiner si l’arsenal juridique existant suffit. »
Il est donc tout à fait clair, et nous pouvons tous en convenir, que votre arrivée aux affaires a conduit à un changement radical de votre position.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Jean-Patrick Courtois. Nous sommes passés d’une situation où le dispositif législatif existant était considéré comme suffisant par notre collègue David Assouline à un discours sur la nécessité de réadapter notre arsenal législatif relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
La réalité des faits comme celle du pouvoir vous imposent donc de prendre des mesures qui paraissaient hier sans fondement, ni justification, sinon celle de correspondre à un effet médiatique de l’ancien Président de la République.
Les choses ont visiblement bien changé, et je ne peux que m’en réjouir. Vous n’aurez donc pas besoin de me convaincre. En effet, pour moi, la méthode est limpide depuis de nombreuses années : un problème se pose, une situation perdure, nous avons le devoir d’y répondre de manière pragmatique et opérationnelle, car c’est bien au législateur de donner aux forces opérationnelles les outils de leur action au service des citoyens de notre pays.
Sur ces sujets, notre vigilance à tous doit être constante. Dans nos missions de législateur, il nous appartient d’organiser, d’adapter notre droit positif, afin de répondre au plus près aux menaces réelles qui frappent notre pays, tout en garantissant les droits et libertés fondamentales que notre République reconnaît à tous les citoyens.
Mes chers collègues, nous sommes constants dans notre approche de la lutte antiterroriste. Il nous est donc aisé d’accepter la voie que vous nous proposez, car elle correspond à ce que nous avons toujours défendu.
Monsieur le ministre, je vous confirme ainsi que notre groupe, en responsabilité, votera sans complexe le texte présenté par le gouvernement auquel vous appartenez, en espérant toujours, à ce stade de la discussion, que nos amendements très constructifs puissent être adoptés pour améliorer encore le dispositif global proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne me risquerai certainement pas au difficile exercice de la synthèse. Mon collègue Michel Delebarre, qui va me succéder, s’y prêtera avec beaucoup plus de brio que moi. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Néanmoins, nous avons entendu aujourd'hui beaucoup de citations, de comparaisons et de rappels historiques plus ou moins sortis de leur contexte. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je ne m’engagerai pas non plus dans cette voie, par respect pour les victimes, pour les forces de l’ordre et pour la démocratie et la République.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, la démocratie se doit d’apaiser et de raisonner lucidement. Elle doit surtout se garder de toute émotion, car l’émotion est toujours mauvaise conseillère lorsqu’il s’agit de légiférer.
Il y a évidemment urgence, et le calendrier qui nous est proposé est le bon. Si nous ne faisons rien, les dispositions particulières dont nous discutons seront menacées d’extinction et de péremption, et nous allons de fait établir un vide juridique. Or, Mme la garde des sceaux le sait, nous avons déjà vu ce que pouvaient donner les vides juridiques qui apparaissent brutalement sans avoir été anticipés…
Je le répète, il y a urgence et le calendrier est le bon, à plus forte raison dans le contexte international que nous connaissons. L’ensemble du système juridique français, dont l’efficacité est reconnue – cela a été souligné sur toutes les travées du Sénat aujourd'hui –, est fondé sur des dispositions menacées de disparaître demain, ce qui créerait non seulement un vide juridique, mais également un gigantesque déséquilibre. Nous avons beaucoup parlé d’« équilibre » aujourd'hui… En l’occurrence, un tel déséquilibre mettrait en danger à la fois nos concitoyens et l’ensemble des forces de l’ordre ; je pense à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui luttent aujourd'hui contre le terrorisme.
Certes, un travail de fond reste à entreprendre, mais il sera entrepris, comme c’est désormais le cas, dans le respect du Parlement. Élue sénatrice en 2008 seulement, je constate aujourd'hui que même un projet de loi présenté dans l’urgence peut être accompagné d’une étude d’impact.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était déjà le cas auparavant, Constitution oblige !
Mme Virginie Klès. C’est quand même nettement plus facile pour travailler et se faire une idée précise sur ce qu’il nous est demandé de voter !
Le Gouvernement et la commission ont bien ciblé les mesures qu’il était urgent d’adopter, sans émailler le texte de cavaliers législatifs. Car j’ai beau être cavalière dans le civil, j’ai bien compris que la présence de cavaliers dans un projet de loi n’était pas forcément une bonne chose ! (Sourires.)
Il reste un travail de fond à entreprendre, mais il faut le faire dans l’équilibre, comme pour ce projet de loi.
Équilibre d’abord, parce qu’il y a eu concertation en amont, même si elle a été rapide.
Équilibre ensuite, parce qu’il y a eu participation des professionnels de la lutte contre le terrorisme.
Équilibre encore, parce que le renseignement a été pris en compte.
Équilibre toujours, parce que deux membres du Gouvernement ont travaillé sur le texte, se sont concertés et sont aujourd'hui présents pour le défendre devant le Sénat.
Équilibre enfin, parce que, même sur un certain nombre de dispositions discutées au cours de l’après-midi, notamment en matière de connexion, il y a bien encadrement et prise en compte de la jurisprudence ; les mesures concernées font l’objet d’une nouvelle prorogation, non d’une pérennisation.
Il a également été tenu compte des observations des autorités de contrôle.
La confiance est donc rétablie, malgré certaines retenues et certains silences, au demeurant bien compréhensibles, de la part du Gouvernement et de parlementaires de droite comme de gauche. Après tout, il s’agit de sécurité nationale, et certaines questions relèvent du secret-défense ; on peut donc comprendre qu’il puisse y avoir des silences…
Monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, nous voterons le projet de loi, mais nous ne le ferons pas les yeux fermés. Des divergences demeurent sur certains détails, mais nous savons que ces points seront débattus, amendés, et que nous serons écoutés. Le travail qu’il reste à accomplir sera mené dans la concertation, conformément au climat de confiance qui règne désormais avec le Gouvernement.
Je suis d'accord avec ma collègue Éliane Assassi quand elle insiste sur la nécessité de continuer à mener un vrai travail en profondeur. Mais je ne suis pas d’accord avec elle quand elle conclut à l’inefficacité et à l’inutilité du texte qui nous est présenté aujourd'hui.
Mme Éliane Assassi. Pas seulement pour cela, quand même !
Mme Virginie Klès. Oui, nous voterons le texte, et nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre.
M. Michel Delebarre. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments du Gouvernement, de la commission ou de notre collègue Alain Anziani, qui ont parfaitement exposé les raisons ayant conduit au dépôt du projet de loi devant la Haute Assemblée.
Je ne détaillerai pas non plus le contenu du texte, préférant me limiter à vous faire part de quelques réflexions d’ordre général. J’ai bien entendu les recommandations de ma collègue Virginie Klès. Je veillerai donc à ne pas prononcer le mot de trop qui pourrait écarter nos collègues Jean-Jacques Hyest ou Michel Mercier de l’excellente voie qu’ils ont décidé de suivre. En les écoutant, j’en suis resté assis,…
M. Jean-Jacques Hyest. Maintenant, c’est nous qui sommes assis !
M. Michel Delebarre. … bercé par la douce musique d’une forme de consensus sur un sujet d’une importance capitale. Ce n’est pas toujours le cas !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous voulez dire que cela n’a pas toujours été le cas !
M. Charles Revet. Ça l’était encore moins auparavant !
M. Michel Delebarre. Je me félicite de cet état d’esprit, et je vais essayer de veiller à ne pas troubler une telle harmonie.
La menace terroriste en France demeure à un niveau élevé. Le territoire métropolitain a été frappé – cela n’était plus arrivé depuis bon nombre d’années – au mois de mars dernier à Toulouse. Je ne reviens pas sur les opérations qui ont été menées au mois d’octobre dernier par les forces de police et de gendarmerie en région parisienne, dans le Bas-Rhin et dans les Alpes-Maritimes. Cette enquête fait suite au jet d’un engin explosif le 19 septembre dernier à Sarcelles. Le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison de condamner fermement ce type d’action. Je suis sûr que nous nous associons sur toutes les travées de notre Haute Assemblée à la condamnation de cet acte odieux.
Depuis le milieu des années quatre-vingt, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments de lutte contre le terrorisme performants, et reconnus comme tels par les spécialistes français et étrangers.
Aujourd’hui, il est nécessaire de donner aux institutions de la République – police, gendarmerie et justice – les moyens juridiques d’agir, aussi bien administratifs que judiciaires. C’est l’objet du projet de loi préparé cet été grâce à une réflexion commune entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, même si, je le reconnais, il s’appuie sur certaines bases antérieures.
Ce projet se veut équilibré et s’inscrit dans la ligne de l’action antiterroriste française dont le fondement reste l’incrimination de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, née dans les années quatre-vingt. Je veux d’ailleurs saluer ici le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que nous a rappelé son président David Assouline.
L’action du législateur a toujours été marquée par un souci constant d’équilibre entre, d’un côté, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées nécessaires à la sécurité collective et, de l’autre, la préservation des libertés publiques, comme c’est le cas encore aujourd’hui avec ce projet de loi.
Les précédents orateurs ont très bien rappelé les principales dispositions du projet de loi, notamment le prolongement des procédures de surveillance administrative, avec les contrôles dans les trains internationaux, ou encore l’accès aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de l’accès à internet.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de modifier le code pénal afin de permettre à la loi française de s’appliquer inconditionnellement aux actes de terrorisme commis à l’étranger par des ressortissants français. Cette modification permettra de poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger alors même qu’elles n’auront pas commis d’actes répréhensibles sur le territoire français.
L’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles notre pays doit faire face. Malheureusement, la coopération internationale entre les pays, notamment les pays hôtes de ces camps d’entraînement, pour lutter contre le terrorisme n’est pas aussi développée.
Alors député, j’avais présenté en 2004 devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale un rapport d’information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. J’avais ainsi eu l’occasion de rappeler que le concept de « guerre contre le terrorisme » n’était pas adapté et qu’il pouvait même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et pour détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non-droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.
Le cas de la tuerie de Toulouse et de l’affaire Merah est à cet égard édifiant. Bien qu’il y ait eu initialement des doutes concernant certains détails de cette affaire, il est avéré aujourd’hui que ce tueur présentait bien les caractéristiques d’un « djihadiste de synthèse » pour son passage dans les camps d’entraînement de la zone tribale afghano-pakistanaise, notamment, mais aussi les traits plus caractéristiques du « loup solitaire » : planification en autonomie, conduite et exécution des actions terroristes de façon indépendante de toute organisation, c’est-à-dire sans commandement et sans appui humain ni logistique.
Le travail antiterroriste, centré sur l’anticipation et la prévention, nécessite de disposer d’un recul et d’une réflexion axée sur la neutralité, l’expertise et la pluralité des approches. Dans ce domaine, comme d’ailleurs dans toute forme de criminalité, la prospective devrait être renforcée, notamment en associant le travail des policiers avec celui de chercheurs et de spécialistes extérieurs aux services. La police de proximité permettrait sans doute également une meilleure connaissance du terrain afin d’alimenter les services de renseignement.
Monsieur le ministre, vous avez lancé une réflexion sur l’ensemble de ces sujets. Je fais confiance au Gouvernement pour qu’il prenne les bonnes décisions afin de renforcer nos outils de renseignement.
Pour autant, la tâche des services de renseignement n’est pas simple. Les règles fondamentales du renseignement, comme celles de la protection de la source ou du « tiers exclu », rendent concrètement très difficile la mutualisation du renseignement dans un cadre multilatéral au niveau européen. L’essentiel est de s’assurer que les services nationaux coopèrent au quotidien, que les juges échangent des informations. Il faut donc veiller à ce que policiers et magistrats de chaque pays ne se heurtent pas aux frontières intérieures de l’Union européenne.
Si cela ne passe pas par la communautarisation de domaines comme la police, la justice ou le renseignement, cela légitime l’existence d’aiguillons, comme Europol et Eurojust, où les représentants des services nationaux apprennent à se parler et à se connaître.
La coopération bilatérale est également essentielle en matière de lutte contre le terrorisme. Il semble que la voie à privilégier réside non pas tant dans le développement de structures internationales de coordination que dans l’évolution ou la réforme des appareils antiterroristes des pays qui souhaitent coopérer.
En tout état de cause, en ce qui concerne la coopération antiterroriste dans le cadre européen, l’Union européenne ne doit pas se substituer à l’action prioritaire des États membres, comme le prouve ce projet de loi présenté par le Gouvernement. La politique européenne en matière de lutte antiterroriste ne doit pas concurrencer les politiques nationales, voire se substituer à celles-ci, mais elle doit leur apporter un appui quand des synergies sont possibles.
Par ailleurs, le principal rôle que l’Union européenne doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre États membres, tout particulièrement dans le domaine judiciaire. Enfin, la protection civile est également un domaine où la légitimité de l’intervention de l’Union européenne semble réelle et où elle peut apporter une possible plus-value.
En conclusion, la lutte contre le terrorisme suppose de privilégier une approche pragmatique et évolutive. Il est primordial de savoir s’adapter aux circonstances. C’est là tout le sens du projet de loi présenté par le Gouvernement, projet que, bien entendu, nous soutiendrons totalement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)