M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est excellent pour ma modestie !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’arrestation d’une douzaine d’islamistes, il y a quelques jours, l’affaire Merah, il y a quelques mois, nous rappellent la permanence du risque terroriste en France.
Le terrorisme est une guerre secrète, ponctuée de crimes spectaculaires, M. le ministre de l’intérieur l’a souligné. Il est d’autant plus difficile de faire face à cette guerre qu’elle change de forme et d’objet, n’a jamais de frontières, mais recèle toujours une organisation. Face à elle, nos démocraties sont confrontées à un vrai défi : se défendre sans se dénaturer.
Pour nos adversaires, la fin justifie les moyens. Pour nous, la lutte antiterroriste doit respecter les droits fondamentaux de chacun. Nous sommes ainsi gouvernés par un principe d’équilibre que le Conseil constitutionnel nous rappelle fréquemment. Il l’a encore fait le 17 février dernier en ne permettant pas au juge des libertés et de la détention de limiter le choix de l’avocat en matière de terrorisme.
Sans rien concéder au laxisme, bien entendu, nous devons éviter deux écueils. Le premier consiste à entretenir une confusion, plus ou moins explicite, entre la lutte contre le terrorisme et la discrimination à l’égard d’une religion ou d’une population étrangère. Ce rapprochement peut exister dans une partie de l’opinion. Il conduit alors à un soupçon pesant sur toute personne étrangère ou de confession musulmane.
La loi que vous nous présentez, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, échappe à cette critique en prenant soin de ne faire aucune référence de cette nature. Cela n’a pas toujours été le cas : lorsque, en 1996, le législateur ajoute l’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier des étrangers dans l’arsenal antiterroriste, il commet cette confusion.
Le second écueil serait, au nom de l’efficacité, de tenir les droits fondamentaux pour accessoires. Ici encore, une partie de l’opinion pourrait nous inciter à faire reculer le crime terroriste sans se soucier des dommages collatéraux causés aux libertés publiques.
Voilà notre philosophie !
J’ai bien entendu les propos que M. Hyest a tenus avec sa malice et son humour habituels. L’humour, nous le lui laissons ; c’est évidemment un droit de l’opposition.
M. Jean-Patrick Courtois. La majorité aussi peut avoir de l’humour !
M. Alain Anziani. Il nous a rappelé nos positions passées. Pour ma part, je n’aurai pas la cruauté de lui rappeler les siennes. En conscience, nous savons faire la différence entre les lois souvent qualifiées de « législation de l’émotion » qui ont été votées précédemment et le texte qui nous est présenté aujourd’hui, dans le but de conforter les outils dont disposent nos services pour lutter contre le terrorisme.
Nous n’entrerons donc pas dans cette polémique pour une raison simple : notre objectif n’est pas de diviser les républicains, mais de les rassembler, pour reprendre les mots du ministre de l’intérieur, face à la menace terroriste. Tous les républicains sont évidemment les bienvenus pour voter ce texte.
Le projet de loi que nous examinons est complexe. Les trois dispositions que vous nous proposez de reconduire jusqu’en 2015 illustrent la difficulté de l’exercice. Je tiens d’ailleurs à répondre à mon amie Esther Benbassa qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le terrorisme sans renseignement. Croire le contraire serait d’une grande naïveté. Or les trois dispositions dont le texte prévoit la prorogation au-delà du 31 décembre 2012 permettent à nos services d’effectuer ce renseignement.
Comment peut-on lutter contre le cyber-terrorisme, par exemple, sans identifier les personnes en parvenant à les géolocaliser pour ensuite mettre en place les mesures nécessaires ? Or nous savons que le cyber-terrorisme est la forme moderne du terrorisme. Il permet, à distance, de recruter, de former et d’acheminer vers des terrains de combat des apprentis terroristes qui séviront ensuite, hélas ! sur notre territoire.
Si nous n’avons pas accès aux données de connexion, je ne vois pas comment nous pourrons prévenir ces risques de terrorisme pour notre pays. L’essentiel, c’est de toujours établir la distinction, comme le prévoit le texte, entre le contenu et le contenant. Nos services pourront accéder aux données de connexion uniquement pour la géolocalisation, c’est-à-dire au fond au contenant, mais pas écouter le contenu des conversations que pourraient s’échanger des personnes n’ayant parfois strictement rien à voir avec le terrorisme. Cet équilibre, garanti par une personnalité qualifiée, me paraît tout à fait acceptable. Il a d'ailleurs été jugé conforme par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 2006.
De même, l’accès aux fichiers administratifs, qu’il s’agisse des permis de conduire, des cartes grises, des immatriculations, des pièces d’identité, va permettre à nos services de procéder à des vérifications. Là encore, elles demeureront contrôlées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Le troisième outil, à savoir le contrôle d’identité dans les trains internationaux et dans les gares, a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel, qui en avait limité le périmètre à vingt kilomètres, ainsi que d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait interdit toute vérification systématique. Avec cette double condition, nous ne pouvons qu’être favorables à la prolongation de cette mesure.
Le projet de loi vise par ailleurs à combler une lacune choquante, dont on peut ensuite faire différentes lectures. Je le répète, un Français qui s’entraîne à l’étranger, au Pakistan par exemple, en vue d’un acte terroriste ne peut être poursuivi que si le pays d’origine le dénonce ou si un acte connexe a été commis sur notre territoire, comme l’achat d’un billet d’avion. En l’absence de telles conditions, nous ne pouvons pas le poursuivre. C’est ce vide juridique, cette lacune que le projet de loi nous invite à combler. C’est nécessaire pour notre sécurité.
La question de la forme que doit prendre cette répression n’a pas été abordée par notre excellent rapporteur. Le Gouvernement a fait le bon choix, me semble-t-il, en n’ajoutant pas une nouvelle infraction au code pénal mais en étendant le champ d’application de certaines dispositions, le Conseil constitutionnel sanctionnant toute nouvelle infraction qui n’est pas strictement nécessaire. Or si nous ajoutons une nouvelle infraction dans le code pénal à une infraction de même nature, elle risque de ne pas être considérée comme strictement nécessaire.
Le projet de loi vise à corriger une autre lacune. Aujourd’hui, sauf urgence absolue, une personne susceptible d’être expulsée doit être entendue par une commission composée de trois magistrats, convoquée par le préfet. Cette commission doit rendre son avis dans un délai réglementaire d’un mois. Il est intéressant de noter que cet avis est suivi dans plus de 70 % des cas. Cependant, les dispositions actuelles ne précisent pas ce qu’il advient si la commission ne respecte pas le délai réglementaire, en particulier après un report de celle-ci. Or on constate que ce délai atteint, en moyenne, 109 jours. Il fallait donc légiférer de nouveau pour éviter un tel allongement.
Le Gouvernement propose qu’à l’issue du délai réglementaire l’avis soit réputé rendu. La commission des lois a préféré une autre formulation, exposée tout à l'heure par notre rapporteur. Elle a en outre souhaité que la personne concernée, lorsqu’elle dispose d’un motif légitime – et uniquement dans ce cas –, puisse obtenir un délai supplémentaire d’un mois.
Enfin, la commission des lois a fait preuve de beaucoup de sagesse en refusant la codification par voie d’ordonnance de 550 articles du code de la sécurité intérieure. L’examen de ces articles en une dizaine de jours, véritable travail d’Hercule, nous a semblé inaccessible. Or il est de notre devoir de parlementaire de vérifier que cette codification est réalisée à droit constant, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré supprimer l’article 5.
Monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est incontournable, ne serait-ce que pour proroger les trois mesures que j’ai indiquées. Il est conforme à nos principes républicains – j’insiste sur ce point – tels qu’ils ont été rappelés par le juge constitutionnel. Il est indispensable dans cette longue lutte toujours renouvelée contre le terrorisme. Le groupe socialiste et apparentés votera, bien entendu, votre texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul ici ne conteste la nécessité absolue de lutter contre les méthodes et les actes terroristes qui visent, comme l’indique la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 septembre 2006, « l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la démocratie ». Chacune et chacun d’entre nous condamne avec la plus grande fermeté toute atteinte à la République. Cela nous concerne tous. Dès lors, c’est toute la société qui doit faire bloc.
Oui, la force du droit doit prévaloir, monsieur le ministre, et personne ici ne détient le monopole de l’unité républicaine, car nous sommes tous des républicains, quel que soit notre vote ! Oui, il faut agir, mais quel type d’actions faut-il choisir d’engager ? Doit-on pour autant rogner sur nos valeurs ?
L’auteure Colombe Camus a parfaitement résumé toute la problématique qui se pose à nous aujourd’hui et qui, par le passé, a rassemblé la gauche et divisé la droite : « Le terrorisme interpelle les capacités de résistance politique et sociétale des démocraties, c’est-à-dire la capacité d’une société dans son ensemble à dépasser les conséquences d’une agression et les effets psychologiques induits par un incident majeur, sans trahir sa liberté et ses droits et sans répercuter politiquement sa détresse ». Elle ajoute : « le respect des droits humains et des libertés fondamentales n’est pas un luxe pour époques de prospérité ».
En effet, à chaque discussion que nous avons pu avoir dans cet hémicycle sur une loi relative à la lutte contre le terrorisme, nous avons été confrontés à un dilemme démocratique opposant la quête de sécurité au respect des libertés et des droits fondamentaux.
Au cours de ces discussions, nous avons pour notre part affirmé que la démocratie n’est pas un acquis. La faire vivre demande une vigilance permanente et un travail constant. Elle est un ensemble de libertés et de droits que l’on ne peut démanteler, même dans les moments difficiles, sans porter atteinte à ses fondements.
Je ne vous cacherai pas que montrer du doigt les dérives de la lutte contre le terrorisme en France n’est pas chose aisée, notamment après la période que nous avons vécue, voire le climat dans lequel nous baignons encore aujourd’hui. Pourtant, la volonté de défendre des libertés aussi fondamentales que la liberté d’aller et venir ou le respect de la vie privée m’intime de le faire. J’estime que ces principes durement acquis doivent être défendus en toutes circonstances, quelle que soit la conjoncture politique, car ils sont en réalité le fondement d’une sécurité humaine durable et non un obstacle à celle-ci.
Pour autant, si j’évite de céder au « tout-sécuritaire », je ne tombe pas non plus dans l’angélisme béat. Je ne suis de toute façon jamais béate devant qui ou quoi que ce soit. Le terrorisme existe, il doit être combattu avec force, je l’ai dit. La question qui se pose est celle des moyens à déployer pour l’éradiquer.
En plus d’avoir étendu les contrôles matériels, la droite au pouvoir a fait évoluer le dispositif de lutte contre le terrorisme vers des formes de contrôle plus indolores, dans le domaine immatériel des données personnelles. Elle a, par ce biais, instauré une surveillance généralisée et systématisée. Finalement, pour quel résultat ?
L’affaire Mohammed Merah fut terrible. Aujourd'hui, j’ai une pensée particulière pour les familles des victimes, endeuillées et meurtries à jamais. L’affaire Mohammed Merah fut un fiasco pour le pouvoir alors en place. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Elle fut un fiasco de sa politique sécuritaire – pour ne pas dire de sa politique tout court –, laquelle n’a pas permis de prévenir la dérive d’un déséquilibré connu des services de police et de mobiliser les alertes des diverses administrations qui avaient croisé et interrogé cet homme.
Doit-on continuer dans cette voie ? Je ne le pense pas.
Pour lutter efficacement contre le terrorisme et trouver de véritables solutions, il faut envisager le phénomène dans son intégralité, et surtout ne pas se satisfaire d’une politique sécuritaire qui se contente d’un fichage généralisé, où chaque citoyen est vu comme un terroriste potentiel. Il faut identifier les véritables causes de ces graves dérives afin de mieux les combattre.
L’article 2 du projet de loi vise à faciliter les poursuites et les condamnations de Français ayant commis des actes terroristes à l’étranger, en créant un nouveau délit. Or cette infraction existe déjà. Il s’agit du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permet de couvrir la plupart des situations. Je dis bien : la plupart des situations. L’association de malfaiteurs est une notion assez large, qui laisse de facto beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français.
En outre, le dispositif prévu par l’article 2 risque de poser clairement un problème de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il est en effet difficile de réunir les preuves concernant les activités concrètes auxquelles une personne a pu se livrer à l’étranger, d’autant plus que, dans ce cas, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale, dont les résultats dépendent, vous le savez, de la bonne volonté des autorités du pays. C’est pourtant le manque de bonne volonté de ces pays en matière de lutte contre le terrorisme qui justifie, selon l’exposé des motifs, cette nouvelle disposition. Dès lors, on le sait, ce nouveau délit sera inutile.
Autre critique, et non des moindres, soulevée par Marc Trévidic, juge d’instruction auditionné par la commission présidée par M. Assouline : le risque, avec ce dispositif, est que l’on se contente d’interpeller une personne soupçonnée d’avoir effectué un séjour à l’étranger à visée terroriste dès son retour en France – cette personne sera de toute façon relâchée dans la majorité des cas, faute de preuve –, sans chercher à mener une enquête approfondie permettant d’identifier un éventuel réseau et ses activités. Il s’agirait alors d’une action préventive a minima, risquant de nous faire passer à côté d’un danger plus important.
Enfin, à force de persister dans cette voie, on peut se demander : à quand une liste des pays terroristes ?
Aux termes de l’article 3, si la commission départementale d’expulsion n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois, celui-ci sera réputé rendu. Cette proposition de modification fera peser négativement sur les ressortissants étrangers les encombrements des audiences des commissions d’expulsion. En effet, depuis la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua », les avis de cette commission n’ont qu’un caractère facultatif. En outre, à la suite de multiples modifications du CESEDA, elle n’est pas saisie, notamment en cas d’urgence absolue.
Introduire la notion de « rejet implicite » dans le cas présent revient donc à enterrer, doucement mais sûrement, le rôle de la commission d’expulsion, lequel est pourtant essentiel pour garantir les droits de la défense.
L’article 1er proroge jusqu’au 31 décembre 2015 les dispositions introduites par les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, adoptées, je le rappelle également, à titre expérimental.
Comme l’avait souligné en 2005 et en 2008 l’ensemble de la gauche, l’article 3 de cette loi est une mesure destinée à lutter non pas contre le terrorisme, mais ouvertement contre l’immigration clandestine. Je répéterai ici la position que j’avais adoptée à l’époque, et uniquement la mienne, c’est mieux : les contrôles d’identité n’ayant jamais joué, et ne jouant toujours pas, un rôle déterminant en matière de lutte contre le terrorisme, cet article instaure un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration.
Quant aux articles 6 et 9 de cette loi, ils autorisent respectivement la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques et l’accès, par les services de police et de gendarmerie, aux fichiers administratifs.
Pour mémoire, depuis l’entrée en vigueur de loi du 23 janvier 2006, des agents sont individuellement habilités à accéder à cinq grands fichiers administratifs nationaux et aux données à caractère personnel collectées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, fichiers et données que vous connaissez : le fichier national des immatriculations, le système national de gestion des permis de conduire, le système de gestion des cartes nationales d’identité, le système de gestion des passeports, le système informatisé de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, les données à caractère personnel relatives aux ressortissants étrangers qui, ayant été contrôlés à l’occasion du franchissement de la frontière, ne remplissent pas les conditions d’entrée requises, et les données à caractère personnel biométriques relevées à l’occasion de la délivrance d’un visa.
De fait, une grande partie de la population séjournant ou résidant en France figure dans les fichiers ainsi ouverts aux agents de police administrative. Il s’agit bien là d’un fichage systématique et généralisé, qui justifie à lui seul un vote contre cet article.
À partir de l’article 4, qui rectifie une erreur de numérotation, je n’ai pas d’observation à faire. Je rappellerai simplement que le recours à l’article 38 de la Constitution, relatif aux ordonnances, ne doit pas être systématisé. La nouvelle majorité parlementaire doit prendre le temps d’examiner des dispositions prises par l’ancienne majorité par voie d’ordonnances. À cet égard, je salue la sagesse de la commission, qui a supprimé l’article 5 portant ratification d’une ordonnance de plus de 500 articles.
Vous l’aurez compris, le seul article 4 ne suffira pas à justifier un vote positif de notre part.
Nous ne voterons pas ce texte, je le dis avec fermeté et avec force, non par laxisme – que cela soit entendu–, ce que certains s’empresseront d’affirmer, non parce que nous considérons qu’il ne faut pas agir, mais parce que nous pensons que, pour fournir de véritables solutions, il faut viser les problèmes réels, ce que ce texte ne fait pas.
Aujourd’hui, la situation nécessite un recul et l’exercice effectif d’un contrôle politique, juridique et citoyen, par des moyens renouvelés : il faut multiplier les commissions d’enquête, revoir les domaines d’action les plus sensibles, notamment les renseignements, en leur garantissant une indépendance totale dans leurs propos, systématiser les mécanismes d’évaluation des politiques antiterroristes tant sur le fond qu’en termes d’impact et d’efficacité.
Le rapport sur les dysfonctionnements des services de renseignement que vous avez demandé à la suite de l’affaire Merah et qui doit vous être remis prochainement, monsieur le ministre, permettra déjà de prendre un peu de recul et d’appréhender plus globalement le problème. Pouvez-vous nous dire quand ce rapport sera publié ?
Enfin, permettez-moi de rappeler ce qui me semble logique, mais cela va toujours mieux en le disant : il faut condamner tout amalgame. Les musulmans de France ne doivent pas pâtir de cette situation. Ils sont eux aussi les victimes du radicalisme, qu’ils condamnent fermement.
D’ailleurs, si le discours radical fait autorité auprès des jeunes, c’est non parce qu’ils sont de telle ou telle religion, mais parce que ce discours leur donne une illusion de toute puissance, le sentiment de devenir Dieu et de pouvoir imposer leurs normes. Beaucoup de ces jeunes n’ont aucune transmission, qu’elle soit culturelle, religieuse ou familiale. Je parle notamment des jeunes qui passent beaucoup trop systématiquement par la case prison, du fait des peines plancher. En outre, le législateur a rejeté jusque-là toute tentative visant à pallier l’absence de liberté de culte en prison.
Il nous appartient de combler ces lacunes pour éviter l’endoctrinement de ces jeunes, lequel, selon de nombreux sociologue, s’apparente véritablement à celui d’une secte.
Il faut agir le plus tôt possible. Pour une réelle prévention, il faut commencer par reprendre les grilles psychologiques et sociales. Seul ce travail nous permettra de trouver le bon remède pour empêcher la naissance du terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités aujourd'hui à examiner le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme en procédure accélérée.
Je tiens à le dire d’emblée, sur une question aussi grave que celle de la lutte contre le terrorisme, tous les Républicains doivent se rassembler. C’est n’est donc pas parce que vous êtes maintenant aux responsabilités, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, et que le projet de loi que vous nous soumettez n’est pas très éloigné de celui que j’avais déposé il y a quelques mois, que je me livrerai au petit jeu, qui serait à la fois cruel et contraire à l’esprit de rassemblement, consistant à rappeler ce que certains ont dit ici. M. Assouline l’a fait avec talent dans son rapport, qui servira à l’édification du Sénat.
Au contraire, je me réjouis profondément que le Président Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) et le Président François Hollande…
Mme Françoise Cartron. Ah ! On craignait le pire…
M. Michel Mercier. … défendent tous deux la République contre le terrorisme et qu’ils veillent à ce que les policiers et les magistrats aient les moyens d’agir. Je tiens d’ailleurs à féliciter le parquet de Paris et la section antiterroriste pour la lutte qu’ils mènent sans relâche contre ce fléau.
On l’a vu, dans l’affaire Merah ou dans celles de la semaine dernière, policiers et magistrats travaillent ensemble pour extirper cette gangrène de notre système républicain. Il faut leur dire un grand merci et tous les féliciter, car leur tâche n’est pas facile. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Face à cette lutte quotidienne, je vous félicite également, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, de faire en sorte que vos administrations, dans le respect de leurs compétences, puissent travailler ensemble. Je pense notamment aux accords existant entre l’administration pénitentiaire, l’état-major de sécurité et les services qui dépendent du ministère de l’intérieur en matière de renseignement. Il est vrai que, aujourd'hui, la prison fait souvent figure d’école de la radicalité.
Tant mieux donc pour nous si les deux administrations œuvrent en commun. De la même façon, tant mieux pour nous si les magistrats peuvent rencontrer le directeur de la DCRI.
Quant à nous, parlementaires, notre rôle est simple : faire en sorte qu’il ne manque aucun outil législatif à toutes celles et à tous ceux qui sont chargés de la lutte antiterroriste.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui, bien qu’un peu différent, est très proche de celui que j’avais déposé il y a de cela quelques mois. Je le dis donc clairement : je le voterai sans état d’âme. Certes, j’espère que nous pourrons l’améliorer, trouver encore plus de convergences entre nos positions. Cependant, nous serions de bien tristes sires si, ayant déposé un texte qui ressemble beaucoup à celui que vous nous soumettez, nous refusions de voter ce dernier pour des raisons purement partisanes. J’espère donc que nous le voterons tous, car il est nécessaire à la défense de la démocratie et de la République.
M. Michel Delebarre. C’est bien !
M. Michel Mercier. Je ne reviendrai pas sur tous les articles contenus dans le projet, car nous allons avoir l’occasion de le faire tout au long de la discussion. Je tiens seulement à vous dire que je trouve quelque peu regrettable que vous ayez renoncé un peu vite à transposer la directive sur le terrorisme dans le présent texte. Vous aurez l’occasion de nous expliquer pourquoi, lorsque nous examinerons les amendements identiques que M. Hyest et moi avons déposés sur le sujet.
On ne peut à la fois insister sur le fait que le terrorisme ne respecte pas les frontières et ne pas vouloir lutter contre lui au sein de l’espace européen, à l’aide du droit communautaire. Je crois très honnêtement que, sur ce point, le texte que vous nous soumettez peut être amélioré.
Le même objectif nous poussera à faire du délit d’apologie d’actes de terrorisme l’objet d’une autre discussion. Pour ma part, je pense qu’il mérite d’être extrait du cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour être traité à part, et intégré dans le droit commun.
La commission a préféré modifier la loi sur la liberté de la presse. Je pense qu’il ne faut toucher à ce texte qu’avec d’infinies précautions.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Michel Mercier. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un autre système, consistant à transférer cette infraction vers le droit commun, en l’aménageant de telle façon que les dispositions visant à la réprimer puissent garder toute leur efficacité. Ainsi, seul le parquet antiterroriste de Paris pourra lancer les poursuites sur cette base.
Un autre point a été évoqué en commission, portant sur la possibilité de poursuivre des Français qui commettent certains actes de terrorisme hors de France. Je souhaite véritablement que cette mesure puisse être étendue aux personnes résidant habituellement sur le territoire français. La commission a réalisé un bon travail et elle est parvenue à trouver, à l’unanimité de ses membres, une expression permettant à la fois de rester fidèle à mes vœux et de ne pas s’éloigner outre mesure du texte qui lui avait été présenté. Nous verrons la position du Gouvernement sur ce point.
Notre volonté est simple, monsieur le ministre. Elle est de vous donner toutes les armes dont vous avez besoin pour lutter contre le terrorisme. Il est tout à fait exact de dire que la législation actuelle est bonne. Elle a été construite au fil des années. Tous les gouvernements y ont participé peu ou prou. Ceux qui ont voté contre à un moment donné y furent favorables quand ils sont venus aux responsabilités. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, pour moi, ce n’est pas un sujet de ricanement. Il s’agit simplement de prendre conscience de la nécessité de faire face à la réalité, une fois que l’on est aux affaires. Nous pouvons le faire, tous ensemble, aujourd’hui, et cela me paraît très bien.
Sur les points que je viens de mentionner, nous vous proposerons de vraies avancées. Si vous les refusez, monsieur le ministre, vous serez obligé de revenir devant le Parlement. N’attendons pas les événements tragiques qui ne manqueront pas, malheureusement, de se produire. Certains vous reprocheraient alors d’agir sous le coup de l’émotion, ce qui ne sera pas mon cas.
Finalement, très peu de temps se sera écoulé entre le moment où j’ai déposé un projet de loi sur le sujet, à la fin du mois d’avril dernier, et l’examen du présent texte, en octobre. Considérons que, si mon texte avait dû être examiné sans la procédure accélérée, nous en serions au même temps du travail parlementaire.
Toujours est-il que, dans quelques jours, nous disposerons d’un texte qui permettra à nos forces de police et à nos magistrats d’être les bras armés de la République et de pouvoir lutter encore plus efficacement contre le terrorisme. C’est ce que nous souhaitons tous ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)