M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues : « […] nul d’entre nous ne peut oublier les images du terrorisme, ces images horribles. Nul ne peut méconnaître, ne peut oublier les milliers de victimes du terrorisme, tous ceux qui sont morts ou qui continuent de souffrir dans leur chair.
« On dit et on écrit souvent : “les victimes innocentes”. Innocentes, elles le sont bien sûr, toutes ces victimes. Mais quand bien même seraient-elles coupables, auraient-elles quelque chose à se reprocher, qu’elles relèveraient de la justice des peuples libres et de rien d’autre. En aucun cas de cette barbarie.
« On dit que le terrorisme est aveugle. Aveugle, il l’est à coup sûr, puisqu’il suffit d’être là, sur le trottoir, dans la rue, sur le quai du métro, d’être là simplement pour être en danger de mort, pour être la cible, pour être tué. Le terrorisme est aveugle en ce qu’il est le contraire de la civilisation et la négation de toute civilisation possible. »
Mes chers collègues, j’ai prononcé ces mots à cette même tribune le 14 décembre 2005. Je ne retire rien à mes paroles ni à tout ce que nous avons dit à cette époque, lorsque nous avons examiné le texte qui nous fut alors proposé.
M. Michel Mercier. Vous n’avez pas besoin de vous justifier !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Depuis cette date, cinq choses ont changé, qu’il faut regarder avec lucidité et clarté.
Premièrement, le Conseil constitutionnel a été saisi sur la loi de janvier 2006. Il a en partie donné raison à ceux qui l’avaient saisi, c'est-à-dire à nous-mêmes : « Considérant que les données techniques que l’article 6 de la loi déférée autorise les services de police et de gendarmerie à requérir peuvent déjà être obtenues, en application des dispositions du code de procédure pénale, dans le cadre d’opérations de police judiciaire destinées à constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves ou à en rechercher les auteurs ; que, pour leur part, les réquisitions de données permises par les nouvelles dispositions constituent des mesures de police purement administrative ; qu’elles ne sont pas placées sous la direction ou la surveillance de l’autorité judiciaire, mais relèvent de la seule responsabilité du pouvoir exécutif ; qu’elles ne peuvent donc avoir d’autre finalité que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ; que, dès lors, en indiquant qu’elles visent non seulement à prévenir les actes de terrorisme, mais encore à les réprimer, le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ; ».
Cela étant, le Conseil constitutionnel a aussi approuvé les autres mesures. Comme nous sommes des démocrates et des républicains, et que nous respectons, ce qui est normal, les autorités de ce pays, à commencer par cette haute juridiction, nous tirons les leçons et les conséquences de cette décision en ce qu’elle nous a donné raison sur un point essentiel et qu’elle a donné acte des autres aspects que nous contestions.
Deuxièmement, la Cour européenne des droits de l’homme a établi une jurisprudence importante avec l’arrêt Melki. Celui-ci a profondément changé les choses. Il serait sage d’en tenir compte. Quiconque, ici, déclarerait le contraire aurait beaucoup de mal à fonder son raisonnement.
Troisièmement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a rendu public un avis extrêmement critique sur la loi de 2006, que nous avions contestée. Elle n’a rien fait de tel pour le texte que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux.
Quatrièmement, le champ des lois précédentes, tout particulièrement de celle de 2006, puisque plusieurs orateurs ont bien voulu rappeler ici ce que les uns et les autres avaient dit à l’époque de ce texte, n’est pas le même que le texte d’aujourd’hui. La loi de 2006 avait un objet inacceptable, qui apparaissait dans son intitulé même : loi relative à la lutte contre le terrorisme – jusque-là, c’est très bien – et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers…
Ce texte était un fourre-tout. Il était certes question de lutte contre le terrorisme, mais également beaucoup d’immigration, d’immigration irrégulière, de fichiers, de nationalité, de gel des avoirs, de police des stades, de grands rassemblements et d’événements particuliers. Je ne retirerai donc rien à ce que nous avons dit à l’époque de ce texte mal défini, faisant constamment l’amalgame, après quelques faits divers épouvantables, entre immigration et insécurité, immigration et terrorisme, islam et terrorisme. Nous n’avions pas accepté cela, et nous avions eu raison. Nous ne l’acceptons pas plus aujourd’hui.
Mes chers collègues, Mme la ministre et M. le ministre l’ont souligné, tout comme le Président de la République et le Premier ministre, ne confondons pas ceux qui s’adonnent à la folie terroriste, ceux qui pratiquent l’islamisme radical, l’intégrisme absolu, avec le très grand nombre de nos concitoyens, qui pratiquent une religion que nous respectons.
Ce texte s’oppose au précédent, à tous les précédents.
À cet égard, je rappellerai les propos que tenait Robert Badinter à cette tribune le 14 décembre 2005 : « Ainsi, depuis dix ans, c'est la huitième fois que le Parlement est saisi d'un texte portant sur la lutte contre le terrorisme. » C'était devenu répétitif et il y avait réitération dans les amalgames. Eh bien, monsieur le ministre, ce projet de loi que vous nous proposez est exclusivement consacré au terrorisme, ce qui constitue un grand changement.
Si Jacques Mézard et moi-même tenons tellement à ce que l'article 3 soit réécrit, c’est pour deux raisons. D’une part, il nous paraîtrait sage qu’il portât exclusivement sur le terrorisme ; ainsi, les articles 1er, 2 et 3 seraient consacrés à ce seul sujet. D’autre part, cela a été souligné par plusieurs de nos collègues, en particulier par Alain Anziani, une nouvelle rédaction de cet article permettrait de prendre en compte le droit des étrangers. Ces derniers doivent en effet pouvoir, dans des conditions très claires, faire valoir les motifs légitimes qui justifient une instruction complémentaire d’un mois devant la commission départementale d'expulsion.
Enfin, la cinquième différence porte sur les conditions dans lesquelles a été préparé ce texte. Ainsi, monsieur le ministre, vous avez annoncé publiquement la mise en place d’une commission commune entre les services de la Chancellerie et ceux du ministère de l'intérieur. Je vous félicite de cette initiative grâce à laquelle on rompt enfin avec cette sempiternelle opposition entre les deux ministères et qui nous permet d’affirmer que l'on peut et que l'on doit être attaché à la fois à nos libertés fondamentales et à la lutte antiterroriste.
Je terminerai en citant de nouveau Robert Badinter : « Cela veut dire, en clair, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, que, depuis les poursuites exercées, jusqu'aux condamnations prononcées, les procédures appliquées doivent toujours être irréprochables au regard du respect des libertés fondamentales. C'est à la lumière de cette exigence, nécessaire et première, que le Parlement français doit apprécier les projets dont il est du devoir du Gouvernement – de tous les gouvernements – de le saisir. À cet égard, nous devons toujours faire preuve de fermeté dans la lutte contre le terrorisme et toujours témoigner de la même fermeté quand il s'agit de la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux dans cette lutte contre le terrorisme. »
Tout à l'heure, il a été fait allusion à Mohammed Merah. Pour ma part, je ne crois pas qu’il fut un « loup solitaire ». Le sujet est sensible et je tiens à remercier ceux de mes collègues qui ont déclaré refuser de s'engager dans des polémiques contreproductives. Pour autant, il est bon de rappeler que certains hauts responsables de l'ancien gouvernement ont donné de Mohammed Merah une image qui n'était pas conforme à la réalité. Un personnage solitaire ? On a appris depuis qu’il était au contraire très encadré, très organisé, très informé et sans doute eût-il été bénéfique qu'il fût déféré devant la justice de notre pays. Voilà de vraies questions qu’il ne faut pas hésiter à poser, ainsi que je le fais maintenant à cette tribune.
Mes chers collègues, il est vrai que l'on peut évoluer, cela arrive à chacune et chacun d'entre nous. Il est vrai que les circonstances peuvent différer selon que l'on se trouve dans l'opposition ou dans la majorité. C’est pourquoi j’ai tenu à montrer que, sur cinq points, la situation était différente de ce qu’elle avait été, ce qui justifie notre attitude aujourd'hui.
Le terrorisme est une folie. Hélas ! beaucoup d'intelligence et beaucoup d'ingéniosité sont à son service dans le monde. À cela, notre réponse doit être la protection et la répression, indissociablement liées ; elle doit être le droit. Face à cette folie moderne, organisée, planifiée, cynique, inhumaine, terrifiante, il nous faut avancer en restant nous-mêmes fermes, déterminés, avec cette arme la plus forte qui est celle du droit et de la raison. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à souligner la très grande qualité de ce débat. Monsieur le rapporteur, l'aboutissement de ce texte dans des délais contraints est en grande partie dû à votre patience et à votre indéniable connaissance de ces sujets. Je vous en remercie et salue votre volonté de dégager, avec d’autres, le consensus le plus large possible.
Il est normal de débattre lorsqu’il est question des libertés fondamentales. Cependant, la continuité doit prévaloir et la qualité du débat en commission constitue à l’évidence un élément essentiel pour parvenir à cette liaison entre droit et raison, prévention et répression, lutte contre le terrorisme et nécessité de préserver les libertés fondamentales ; le président Jean-Pierre Sueur vient de le rappeler.
Monsieur le rapporteur, vous avez conclu votre intervention en citant Georges Clemenceau, lui qui savait allier l'autorité, élément fondamental dans une société en perte de repères, le pragmatisme des solutions pour combattre le crime et enfin la recherche du progrès social. Ceux qui gouvernent sont confrontés à la réalité et, pour combattre le terrorisme, doivent utiliser les armes de la démocratie.
Le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, David Assouline, a insisté sur la nécessité de l’évaluation ; c’est capital. L'étude d'impact approfondie qui a été menée constitue une étape importante. Je m'engage à revenir devant la Haute Assemblée avec une évaluation approfondie de l'opportunité de fusionner le régime des interceptions de sécurité et celui de l'accès aux données de connexion.
David Assouline a également souligné la place nouvelle de l'internet comme le rôle central du juge dans la répression antiterroriste. Je ne peux qu’être d'accord avec lui ; d’ailleurs, la présence de Mme la garde des sceaux à mes côtés aujourd'hui et le fait que nous ayons préparé ensemble ce texte témoignent de notre volonté de préserver cet élément tout à fait central de notre droit.
Madame Benbassa, je sais votre rejet absolu du terrorisme. Nous partageons tous ici ce sentiment : il est à l'origine de notre volonté, faisant suite à celle du président de la République, de doter la France d'un dispositif efficace.
La gauche réformiste, social-démocrate a toujours eu ce souci ; cela fait partie de ses engagements.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Chaque fois qu’elle a eu à exercer des responsabilités, en France ou en Europe, et qu’elle a été confrontée à cette réalité, elle ne s'est jamais réfugiée derrière des chimères. Au contraire, elle a été amenée à adapter les outils juridiques à sa disposition pour lutter contre le terrorisme.
Je me rappelle d'ailleurs combien, alors jeune citoyen engagé d’origine espagnole, j'avais apprécié le choix stratégique du président Mitterrand et de son ministre de l'intérieur Pierre Joxe d'apporter une collaboration très puissante au gouvernement espagnol de Felipe González dans la lutte contre le terrorisme. Or certains, à gauche, s’y opposaient, au motif que la police espagnole était encore marquée par le franquisme.
Quand des gouvernements démocratiques peuvent coopérer ensemble dans la lutte contre le terrorisme et pour la préservation des valeurs de la démocratie, il ne faut pas hésiter. À l'époque, cette prise de position avait constitué un tournant décisif et les politiques aujourd'hui à l’œuvre s’inscrivent dans cette continuité.
Il s’agit de doter la France d'un dispositif efficace, évalué de manière méthodique, comme vous le souhaitez, madame Benbassa, qui réponde à une analyse réelle de la menace terroriste dans nos quartiers, sur internet, à l'échelon mondial.
Vous avez raison de souligner qu’il faut faire attention à toute dérive qui viserait à stigmatiser l'immense majorité de nos concitoyens de culture et de confession musulmane. L'immense majorité, le mot est faible, la totalité d'entre eux rejettent le terrorisme et le combattent. Je veux d’ailleurs rappeler – sans doute est-ce difficile à établir – qu’aujourd'hui, dans le monde, les premières victimes du terrorisme le plus terrible sont les musulmans. (Marques d’approbation sur les travées du RDSE.)
Il n’est qu’à voir l’Irak, où la population subit des actes terroristes plus effrayants les uns que les autres.
Nous devons appréhender de façon très lucide cette menace. C’est pourquoi il nous faut un texte efficace qui conserve au centre de notre législation le juge, garant des libertés individuelles.
Nous aurons l'occasion de le réaffirmer vendredi prochain, lors du congrès d'un syndicat de magistrats à Colmar : nous sommes déterminés à mener la lutte contre l'insécurité, la délinquance et, pour ce qui concerne ce débat, contre le terrorisme, tout en préservant dans le même temps les libertés individuelles et en faisant en sorte que notre société soit davantage apaisée. C’est tout le sens et de mon action comme ministre de l'intérieur, et du travail que nous accomplissons ensemble, Mme la garde des sceaux et moi-même.
Madame Benbassa, madame Assassi, on a toujours une vision déformée du ministère de l'intérieur. Pourtant, je voudrais que chacun prenne bien conscience du fait que, si ce ministère est celui de l'ordre, de la police et de la gendarmerie, il est aussi le garant des libertés.
Toutes les actions qui visent à lutter contre toutes les formes de délinquance ou de déviance sont sous-tendues par cette volonté de respecter scrupuleusement le droit des personnes. Ce faisant, je ne fais qu'appliquer la politique du Président de la République et du Premier ministre, dans le cadre d'un gouvernement et avec le soutien d'une majorité.
Je voudrais que chacun s’en rende bien compte : chaque action visant à lutter contre toutes les formes de délinquance ou de déviance est marquée par cette volonté très affirmée – la mienne mais aussi celle du Président de la République et du Premier ministre, dont je ne fais qu’appliquer la politique – de respecter le droit des personnes.
Cela ne nous empêche pas d’être fermes, car les premières victimes de la violence, de la délinquance et du terrorisme sont les catégories les plus modestes, les plus pauvres, les plus exposées de notre société. Fondamentalement, j’estime qu’être de gauche – puisque vous avez fait allusion à ce que signifie une majorité de gauche – c’est aussi lutter contre l’insécurité, qui constitue une inégalité supplémentaire que beaucoup de nos concitoyens subissent.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Il y a des changements à réaliser dans les discours et les pratiques. C’est normal, et c’est mon rôle de les mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Pour toutes ces raisons, rien ne s’oppose à une prorogation de trois ans du dispositif instauré en 2006. La démocratie n’y perdra rien ; au contraire, elle en sortira même renforcée. J’ai bien compris qu’il existait encore des débats : les amendements déposés en témoignent. Nous examinerons sereinement ces amendements tout à l'heure.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention M. Hyest, que je connais bien pour l’avoir rencontré en 1988, lorsque j’étais jeune attaché parlementaire de Michel Rocard. Le Gouvernement ne disposant alors que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, nous discutions beaucoup avec le groupe auquel appartenait M. Hyest. Il faut toujours être ouvert à la discussion.
Au-delà de ce clin d’œil amical, je tiens à vous dire que le recours à la procédure accélérée ne signifie pas que nous élaborons la législation dans la précipitation. Soyons honnêtes sur le plan intellectuel : le projet de loi que nous vous présentons était prêt depuis un certain temps déjà. En effet, non seulement nous savions que les mesures temporaires instituées par la loi de 2006 arrivaient à expiration le 31 décembre 2012, mais en outre les événements récents, qu’il s’agisse de la manifestation devant l’ambassade des États-Unis – ou plus exactement devant le ministère de l’intérieur, puisque les manifestants n’ont pu aller plus loin – ou du démantèlement d’un réseau terroriste, ont conforté le travail que nous avions réalisé, en l’inscrivant dans ce contexte particulier.
Nous avons pris le temps d’un travail approfondi, partagé, expertisé et commun aux ministères de la justice et de l’intérieur. Nous devrons continuer à nous adapter en permanence aux évolutions que chacun d’entre nous a décrites.
Sans sectarisme, dans un esprit d’unité nationale, nous avons utilisé comme base le projet préparé par le précédent garde des sceaux, M. Mercier. Cela n’a pas beaucoup de sens de revenir sur le passé et Jean-Pierre Sueur vient de décrire le contexte avec justesse. Je veux toutefois vous dire mon sentiment sur les réactions aux meurtres commis par Mohamed Merah. Au-delà des phrases et des polémiques, les responsables politiques, et notamment les candidats à la présidence de la République, ont présenté aux Français une image d’unité et de rassemblement. Je pense à cet égard à la présence des principaux responsables politiques autour du chef de l’État à la synagogue Nazareth de Paris, le lundi 19 mars, ou à Montauban, deux jours plus tard, pour les obsèques des soldats assassinés par Mohamed Merah. C’est cette image qu’il faut retenir, car c’est ainsi que nous devons agir chaque fois que se produisent des actes aussi graves.
Nous savons, vous qui avez gouverné et nous qui gouvernons aujourd'hui, que la force des démocraties réside dans la capacité de leurs responsables politiques à se montrer unis quand nos valeurs essentielles sont attaquées. Très sagement, François Fillon avait fait adopter par le conseil des ministres le projet de loi préparé par le garde des sceaux, mais n’avait pas essayé d’en précipiter le vote au Parlement ; du reste, cela n’était guère envisageable. D’une certaine manière, le texte avait été laissé à l’attention de la majorité suivante. Peut-être le Gouvernement pensait-il continuer son action, mais c’est à nous qu’incombe désormais cette responsabilité. Essayons donc de travailler ensemble à l’adoption du texte le plus efficace possible !
Monsieur Hyest, soyez rassuré : je partage votre souci de la cohérence de notre législation. J’y veillerai notamment en ce qui concerne l’article 6 de la loi de 2006. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Delebarre. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Anziani, je vous remercie de votre soutien. Je fais mienne votre volonté de ne pas entretenir de confusion entre terrorisme et immigration. Comme cela a été souligné, nous devons demeurer vigilants, sans pour autant être naïfs.
Nous voyons bien que les évolutions actuelles sont complexes. Le groupe terroriste que nous venons de démanteler était composé de Français, de Français qui n’étaient pas des enfants de l’immigration : il s’agissait de Français convertis à l’islam. Nous avons besoin d’outils nous permettant de nous attaquer aux étrangers qui viendraient sur notre sol pour s’en prendre à nos valeurs essentielles en tenant un discours de haine, mais nous devons aussi nous adapter aux évolutions en cours.
Je vous remercie également d’avoir rappelé une évidence, à laquelle Michel Delebarre a lui aussi fait allusion : il n’y a pas de lutte contre le terrorisme sans un renseignement de qualité ; pour ma part, j’ajouterais : sans un renseignement maîtrisé et évalué, ce qui suppose une coordination tant au sein du ministère de l’intérieur qu’avec les magistrats spécialisés dans l’anti-terrorisme. C’est la force de ce projet de loi que de prévoir une continuité pénale afin de répondre à la menace terroriste actuelle. C’est aussi, plus généralement, la force de la lutte anti-terroriste à la française, que beaucoup nous envient, même si nous devons confronter nos expériences avec celles qui existent au niveau européen ou mondial.
Madame Assassi, nous partageons le même objectif ; c’est l’essentiel. Nous voulons protéger les principes et les valeurs proclamés à l’issue de nombreux combats. J’ai une certitude : protéger ces valeurs exige de protéger nos démocraties, sans excès, certes, mais aussi sans naïveté. Il ne sert à rien de proclamer notre attachement à des valeurs si celles-ci sont attaquées par des actions violentes de terrorisme qui visent à briser l’essentiel de notre pacte républicain.
Oui, je souhaite voir reconduites des mesures attentatoires aux libertés individuelles car elles sont nécessaires à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. C’est d'ailleurs là que réside l’équilibre complexe de la lutte contre ce mal dont – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – les objectifs ne sont pas nouveaux, même si les formes ont pu changer. Je le répète, chacune des « atteintes » – je mets ce mot entre guillemets – aux libertés que prévoit ce projet de loi est encadrée par la loi ou le juge.
Par ailleurs – je tiens à le répéter également –, aucune disposition ne vise une population, un pays ou une religion en particulier. Ce projet de loi est le fruit d’un consensus entre deux ministres, dont les logiques différentes ne sont pas contradictoires, mais représentent au contraire une force car elles nous invitent à faire preuve de plus d’efficacité.
La force de la France – je le disais tout à l'heure à François Rebsamen –, c’est que, même dans les moments les plus difficiles, elle n’a pas dévié, elle n’a pas fait le même choix que les États-Unis, où, après les attentats du 11 septembre 2001, des atteintes ont été portées à certaines libertés qui pouvaient être considérées comme fondamentales. Au-delà de tous les débats, cette force réside dans l’équilibre entre la droite et la gauche, qui se matérialise par l’alternance. Il s’agit de préserver un chemin sur lequel, je l’espère, nous pourrons nous retrouver.
Monsieur Mercier, je vous remercie de l’élégance de votre geste : vous avez en effet annoncé que vous voterez ce projet de loi. Je répète d'ailleurs que notre travail s’est appuyé en partie sur le texte que vous aviez commencé à bâtir, même si, de notre côté, nous avions également préparé certains éléments. Ces derniers mois, nous avons continué à travailler sur votre texte, afin de l’améliorer. Nous avons ainsi écarté certaines dispositions présentant un risque d’inconstitutionnalité. Nous avons choisi de légiférer avec méthode, puisque nous avions un peu plus de temps. Nous avons soupesé la nécessité de chaque atteinte à ce que l’on pourrait appeler des libertés individuelles. Tout à l'heure, nous débattrons sans doute de vos propositions, et nous le ferons avec le même esprit de méthode.
Monsieur Mercier, lorsque vous avez conçu votre projet de loi, le calendrier politique était chargé et vous avez dû travailler dans l’urgence, sous la pression de l’émotion légitime suscitée par les meurtres de Toulouse et de Montauban. Ces événements ont agi comme des révélateurs. Le même phénomène s’est produit récemment avec le démantèlement du réseau lié à l’attentat de Sarcelles. À ce sujet, j’ai lu il y a quelques jours le portrait qu’a fait de moi Edwy Plenel dans Marianne. Il accusait en outre le Président de la République d’avoir cédé à l’émotion suscitée par un pseudo-groupe terroriste. Non, il ne s’agissait pas d’un pseudo-groupe terroriste, c’était un véritable groupe terroriste, qui a essayé de tuer à Sarcelles et qui – la garde des sceaux le sait mieux que quiconque – s’apprêtait sans doute à commettre des actes irréparables.
Après les meurtres de Toulouse et de Montauban, l’émotion était palpable, mais vous vous êtes efforcé de répondre à une vraie question. Je suis donc heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour débattre avec nous. Je souhaite que nous réussissions ensemble à trouver une voie, car un gouvernement est toujours plus fort, a fortiori sur un sujet aussi essentiel que la lutte contre le terrorisme, lorsqu’un consensus se dégage. J’invite chacun à participer à notre réflexion. En effet, il nous faut mobiliser toute la société si nous voulons être efficaces.
Monsieur Mazars, vous avez raison de souligner l’intérêt et l’efficacité de la méthode que nous avons adoptée. Sachez que je suis attaché à cette méthode, en matière de terrorisme mais également sur les autres sujets, comme la délinquance ou l’insécurité, qui relèvent de la loi pénale. Il y va de la sécurité de notre pays, qui n’est pas l’affaire exclusive du ministère de l’intérieur, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est peut-être sur ce point qu’il y a eu des changements : le ministère de l’intérieur est bien conscient que, sans la justice, sans la loi pénale, rien n’est possible. C’est une question de méthode : vous ne me verrez pas critiquer la justice ni commenter des actions menées par la police sous l’autorité du procureur avant que celui-ci ne se soit exprimé. C’est très important pour redonner confiance dans nos institutions et affermir l’État de droit.
Vous avez raison également de rappeler que l’efficacité de notre action dépendra de notre capacité à regarder en face nos échecs et dysfonctionnements, aussi bien dans les services de renseignement que dans l’administration pénitentiaire, et à en tirer les conséquences.
Je dirai maintenant un mot de ce qui s’est passé au mois de mars. Jamais, depuis que je suis ministre – mais je pense m’être exprimé de la même manière au printemps dernier –, je n’ai mis en cause le travail des services qui travaillent à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières pour défendre nos intérêts. Jamais je ne les mettrai en cause, car leur rôle est essentiel. Cependant, si je me garderai bien de porter des accusations sur les hommes, en revanche, chaque fois qu’il y a un échec – et quand un attentat est commis, c’est un échec collectif –, nous devons en tirer les leçons afin d’améliorer le fonctionnement de nos services de renseignement.
Je n’oublie pas qu’une action en justice a été engagée par les familles de certaines victimes de ces terribles assassinats ; elles exigent de connaître la vérité. Une enquête est en cours, qui concerne notamment le frère de Mohamed Merah ; mais j’en dis déjà trop à cette tribune.
Le rapport que j’ai demandé à deux inspecteurs me sera remis dans quelques jours. Il nous permettra moins de tirer des enseignements du passé que de réorganiser le travail de nos services afin d’étudier les conséquences de la fusion des renseignements généraux et de la DST, dont a résulté la création de la direction centrale du renseignement intérieur. L’idée qui me préoccupe est de garder un lien très important avec la réalité du terrain dont n’est pas coupé le terrorisme. C’est peut-être sur ce point que des dysfonctionnements ont pu apparaître voilà quelques mois.
Bien entendu, la direction centrale du renseignement intérieur a besoin de moyens pour analyser les évolutions du terrorisme.
Monsieur Courtois, je n’ai pas changé de position depuis que j’ai été nommé à mes actuelles fonctions. Permettez-moi d’émettre une appréciation un peu personnelle : ces responsabilités m’ont peut-être été confiées par le Président de la République et par le Premier ministre en raison de mes prises de position anciennes, constantes et connues. Mes positions sont empreintes de pragmatisme, comme je l’indiquais tout à l’heure. Elles sont celles d’une majorité qui se garde bien d’opposer laxisme et répression, justice et intérieur et, sur ces sujets aussi essentiels, gauche et droite. En tout cas, je serai attentif aux propositions que vous formulerez, les uns et les autres, au cours de l’examen des articles.
Nous pourrions nous renvoyer les déclarations émises par les uns et les autres depuis vingt ou trente ans. Ce serait un vrai florilège, certes de grande qualité…