M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai jamais varié, monsieur le ministre !
M. Manuel Valls, ministre. Je n’en doute pas un seul instant, monsieur le sénateur. C’est d’ailleurs l’une de vos caractéristiques.
Cela étant, en relisant les interventions qui ont eu lieu au moment de la discussion de la loi Rocard relative au renseignement en 1990, texte très important, on trouvera probablement un certain nombre de critiques… qui n’émanaient certainement pas de vous, monsieur Hyest. (Sourires.)
Madame Klès, après avoir fait part de votre analyse et formulé des critiques constructives sur le texte, même s’il n’était pas facile d’intervenir avant Michel Delebarre, ce qui n’est aisé pour personne d’ailleurs (Sourires.), vous avez indiqué que vous le voteriez, ce dont je vous remercie. Nous allons prendre le temps nécessaire afin de débattre en faisant preuve de mesure, comme vous le souhaitez.
Monsieur Delebarre, j’ai bien sûr le souci de ne pas adopter une posture de provocation face au terrorisme. L’État ne peut pas se mettre sur un plan d’égalité avec les criminels et utiliser la terreur contre la terreur.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. C’est la force et la faiblesse de nos démocraties que de devoir agir ainsi. Tout langage guerrier doit être banni de nos interventions, même si je dis – et j’emploie à dessein cette terminologie puisqu’il faut bien qualifier la menace face à laquelle nous nous trouvons – que nous avons à lutter contre un ennemi de l’intérieur...
Si nous devons opposer une quelconque autorité, elle doit être adossée à la loi, laquelle représente la force de la démocratie. Vous l’avez souligné vous-même, la présence conjointe au banc du Gouvernement de Mme la garde des sceaux et de moi-même est un signe de démocratie, un gage de la qualité du débat et constitue une réponse au terrorisme, qu’il provienne de l’intérieur de notre pays ou de l’étranger, où nous agissons en coopération avec un grand nombre de pays. Ces faits donnent puissance à la loi et à la réponse que nous construisons face au terrorisme.
Monsieur Sueur, vous avez rappelé les évolutions intervenues depuis la loi de 2006. La force d’une démocratie, à travers l’alternance et les débats, si toutefois nous nous accordons sur les points essentiels, est d’apporter une réponse précise, intelligente, adaptée à la lutte contre le terrorisme, lequel est de nouveau une réalité. Nous devons y faire face à l’aide de la démocratie, de la force de la loi, de la laïcité, comme cela a été rappelé voilà un instant, et avec nos valeurs. Grâce à ce travail, notre réponse gagnera en force. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. – MM. Michel Mercier et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, j’ai été saisi d’une demande de suspension de séance de dix minutes à l’issue de la discussion générale. La discussion des articles devrait durer deux heures. Par conséquent, je vous propose de suspendre la séance maintenant et de la reprendre à vingt et une heures trente.
Il n’y a pas d’opposition ?...
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Philippe Labeyrie, qui fut sénateur des Landes de 1983 à 2011.
6
Lutte contre le terrorisme
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
(Non modifié)
Au dernier alinéa de l’article L. 222-1 du code de la sécurité intérieure et au premier alinéa de l’article 32 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, l’année : « 2012 » est remplacée par l’année : « 2015 ».
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. J’aurai, dans un premier temps, des remarques à formuler sur la forme.
En effet, je souhaite rappeler que les dispositions que l’article 1er vise à faire perdurer ont été initialement prévues à titre temporaire. Selon nous, elles ne peuvent être indéfiniment prorogées sans que le Parlement s’interroge sur leur réelle pertinence.
Par ailleurs, compte tenu du caractère liberticide des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, qui concernent les contrôles d’identité dans les trains internationaux, la communication des données de connexion ou d’identification électroniques et l’accès à certains fichiers, il aurait été intéressant que l’avis rendu le 13 septembre dernier par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, au sujet de ce projet de loi soit rendu public afin d’alimenter le débat, et donc que la commission le demande.
J’en viens au fond. L’article 3 de la loi de 2006 élargit le champ d’application des contrôles d’identité « Schengen » qui peuvent être effectués dans les trains assurant des liaisons internationales.
Selon nous, cette disposition ne relève en aucune manière de la lutte contre le terrorisme : les contrôles d’identité n’ont jamais joué un rôle en la matière ; en réalité, ils ont pour seul objectif la lutte contre l’immigration clandestine. Or cet amalgame entre terrorisme et immigration n’est pas tolérable.
L’article 1er du projet de loi proroge également jusqu’au 31 décembre 2015 l’accès aux fichiers administratifs par les services de police et de gendarmerie.
Pour mémoire, je rappelle que, depuis la loi du 23 janvier 2006, des agents sont individuellement habilités à accéder à six grands fichiers administratifs nationaux et aux données à caractère personnel collectées en vertu de la lutte contre le terrorisme. Sont concernés : le fichier national des immatriculations ; le système national de gestion des permis de conduire ; le système de gestion des cartes nationales d’identité ; le système de gestion des passeports ; le fichier relatif aux dossiers des ressortissants étrangers en France ; enfin, les données à caractère personnel qui portent sur les étrangers franchissant les frontières sans remplir les conditions requises d’entrée sur le territoire et les données à caractère personnel biométriques relevées à l’occasion d’une demande ou d’une délivrance de visa.
De fait, c’est une grande partie de la population séjournant ou résidant en France qui figure dans les fichiers ainsi ouverts aux agents de la police administrative.
Enfin, se trouve prorogée la disposition permettant la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques. La loi du 23 janvier 2006 mentionne en effet que les personnes qui offrent une connexion en ligne par l’intermédiaire d’un réseau sont soumises aux mêmes obligations que celles qui sont déjà applicables aux opérateurs de communications électroniques, à savoir la conservation des données de connexion, notamment l’identité du titulaire d’une ligne, la liste des communications d’un abonné et la géolocalisation.
La communication d’informations résultant des données techniques ainsi conservées est à la disposition non plus seulement de l’autorité judiciaire, mais aussi d’agents de police et de gendarmerie, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interruptions de sécurité et d’une personnalité désignée par cette instance. Ces mesures dérogent évidemment aux principes fondamentaux de la protection des libertés individuelles.
Comme l’avait souligné la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, on assiste « une fois encore, au développement des pouvoirs de police administrative dans la mise en place de ce système de surveillance d’une activité privée des citoyens dans des lieux d’expression publics que sont les cybercafés, le tout au détriment des prérogatives auparavant laissées à la seule autorité judiciaire gardienne des libertés. C’est […] cette dérive qui est inquiétante. »
Monsieur le président, cette intervention sur l’article vaut également défense de l'amendement n° 17.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, sur l'article.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le ministre, deux hommes sont morts ce matin en Corse, la personnalité du bâtonnier Antoine Sollacaro retenant particulièrement l’attention. On a peine à imaginer que, au cours d’une matinée aussi ensoleillée que celle que nous avons connue aujourd'hui, un homme puisse être abattu dans une station-service, devant les passants sidérés. Je fais le lien aussitôt avec le texte dont nous débattons ce soir.
Je connaissais peu Me Sollacaro, et nous n’avions pas la même sensibilité. Toutefois, je veux tout de même rendre hommage à sa pugnacité et à son courage dans les débats judiciaires. C’était un avocat de rupture.
Si j’évoque ce cas, c’est parce que je fais aussitôt le lien entre terrorisme et crime crapuleux. Je sais bien que le mot « terrorisme » doit être prononcé avec précaution s'agissant de la Corse ; nous cédons volontiers à l’enflure, alors qu’il faut toujours s’en méfier dans ce domaine. Néanmoins, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il existe une véritable porosité et de nombreux va-et-vient entre les deux activités. On commence à poser des bombes, on recommence, on développe un sentiment d’impunité, on passe d’un domaine à l’autre et on va de plus en plus loin. À l’inverse, certains terroristes viennent du trafic de drogue, que vous avez évoqué également.
S'agissant de l’article 1er du projet de loi, il contient des dispositions que j’avais votées en 2006. Je n’avais pas attendu d'ailleurs cette année-là pour me préoccuper de ce problème : voilà à peu près un quart de siècle, lors de l’examen d’un texte présenté par le garde des sceaux Albin Chalandon et portant de deux à quatre jours la durée de la garde à vue, un membre de la commission des lois appartenant au même groupe que moi s’était opposé bec et ongles à la mesure proposée. Pour ma part, j’avais déclaré que je me séparerais de mes collègues et voterais en faveur d’une garde à vue de quatre jours, en soulignant que, bien entendu, j’aurais adhéré à leur proposition s’ils avaient pris l’engagement de rétablir la durée antérieure en 1988, quand nous serions revenus aux affaires. Vous connaissez la suite : la garde à vue est restée ce qu’elle était !
Tout cela pour dire qu’il ne serait pas convenable que, au motif qu’ils n’ont pas défendu cette position en 2006, certains groupes rejettent la mesure que vous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre ; je me tourne d'ailleurs vers nos collègues de l’opposition qui, comme moi, expriment souvent cette idée. Il faut prendre en compte le principe de réalité : les choses évoluent ! Ce problème est de plus en plus complexe, sa compréhension de plus en plus difficile, à cause des nouveaux moyens techniques.
Quand les téléphones portables n’existaient pas – je ne parle même pas d’internet – il était difficile de contrôler à distance des voitures portant des bombes ou véhiculant de la drogue, par exemple. Aujourd'hui, c’est beaucoup plus simple. La tâche de la police est devenue extraordinairement complexe.
Nous devons donc abandonner toutes ces considérations sur le droit des personnes, car quand la société est atteinte, ce sont toutes les personnes qui le sont. Nous devons hiérarchiser les problèmes qui se posent à nous dans ce domaine. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Telle est la véritable difficulté.
J’ai presque le regret de ne pas avoir déposé un amendement visant à proroger jusqu’en 2020 les mesures adoptées en 2006. En effet, vous pesez au trébuchet chaque prolongation de ce dispositif. Il faudrait presque y revenir chaque année pour le proroger d’un an, ou de deux ou trois ans, alors que, nous le savons bien, le problème qui nous préoccupe durera bien au-delà du terme ainsi fixé.
Nous devons être lucides et réalistes : en 2015, monsieur le ministre, vous reviendrez ici pour nous demander de prolonger encore une fois ce texte. En effet, nous sommes confrontés à un problème qui nous dépasse et qui, compte tenu de sa portée internationale, ne peut être réglé à l'échelle de la République. Il se posera donc encore à ce moment-là. Je forme le vœu que ceux qui siégeront sur ces travées en 2020 votent ces dispositions pour moi !
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le présent amendement a pour objet de supprimer l’article 1er et, partant, les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, ce qui ne serait pas raisonnable.
En effet, nous priverions nos services qui enquêtent sur ces dossiers d’un moyen d’investigation dont ils ont impérativement besoin. Toutes les auditions qui ont été réalisées, que ce soit dans le cadre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ou pour préparer le présent texte ont montré que ces dispositions étaient indispensables aujourd'hui pour mener dans des conditions correctes la lutte contre le terrorisme.
Ces articles visent trois instruments – les interceptions de sécurité, les contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers et l’accès aux fichiers administratifs – qui sont utilisés, avec succès, par nos services enquêteurs dans le cadre de cette lutte.
En outre, pour répondre aux craintes des auteurs de l’amendement n° 17, je dirai que l’usage de ces dispositions semble aujourd'hui encadré de manière satisfaisante par la loi. En particulier, il est prévu que les consultations de fichiers administratifs par les services de renseignement doivent se conformer à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, c’est-à-dire respecter les principes de finalité et de proportionnalité.
Enfin, on ne nous dit pas comment travailleraient les services de police s’ils ne pouvaient plus s’appuyer que sur les dispositions de la loi de juillet 1991. Par exemple, les interceptions réalisées à l’aide de la géolocalisation ne seraient plus possibles.
Nous pouvons donc entendre le message de nos collègues sans pour autant estimer comme eux que ces dispositions sont « liberticides », car je crois que tel n’est pas le cas. Supprimer cet article ne serait vraiment pas raisonnable. La commission émet donc un avis tout à fait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. J’ai déjà évoqué tout à l'heure l’inscription de ce texte de loi dans le temps, et j’aurai l'occasion d’y revenir quand je donnerai mon avis sur l'amendement n° 16, présenté par M. Hyest.
Je suis défavorable à l'amendement n° 17, pour les raisons qui viennent d’être exposées. Comme l’a souligné excellemment M. le rapporteur, chacun des dispositifs que le projet de loi a pour objet de proroger a montré son efficacité. Les contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers, l’accès aux données statistiques et la consultation, encadrée par la loi, d’un certain nombre de fichiers administratifs renforcent notre arsenal.
De grâce, soyons mesurés dans les termes que nous employons ! Ces moyens accordés à la police et à la justice – chaque fois, évidemment, sous le contrôle d’un juge – permettent de gagner en efficacité tout en préservant nos libertés publiques. Chaque fois, ils facilitent des pratiques qui sont essentielles aux services, dans leurs missions de sécurité. Par exemple, vérifier l’identité d’une personne et l’authenticité du titre qu’elle présente, que ce soit dans des fichiers ou lors de contrôles d’identité directs dans les trains, permet une certaine efficacité.
J'ajoute que la CNIL a été consultée par le Gouvernement sur la prorogation des articles 6 et 9 de la loi de 2006 et je vous rappelle que, en vertu de la loi de 1978, cet avis peut être rendu public à la demande de l’un des présidents des commissions permanentes du Sénat ou de l’Assemblée nationale.
Le risque terroriste demeure à un niveau très élevé. Ce phénomène est en mutation et il a les caractéristiques que M. Alfonsi, qui connaît bien ces questions, décrivait tout à l'heure. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison d’évoquer ce qui s’est passé en Corse, comme je l’ai fait tout à l'heure à la tribune de votre assemblée. Mme la garde des sceaux et moi-même avons réagi à ce crime, à ces crimes, qui sont commis en Corse. Ils sont la marque d’une violence inacceptable, d’une dérive mafieuse, où se mélangent en permanence le politique et la délinquance. Il faut s’y attaquer, ainsi que nous le faisons, avec la plus grande détermination.
Après ce que nous avons connu au mois de mars, puis le démantèlement de ce réseau voilà quelques jours, nous avons besoin d’armes juridiques pour poursuivre ce travail indispensable si nous voulons nous protéger. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. J’adhère tout à fait aux propos qu’a tenus notre collègue Nicolas Alfonsi quand il a évoqué le principe de réalité.
Alors que nous entrons dans une période de plus en plus difficile, menaçante, il convient de mettre en place un dispositif destiné à nous prémunir le mieux possible contre ces actes potentiellement terroristes.
J’ajouterai que le fait de voir sur le banc du Gouvernement, à l’occasion de ce débat, à la fois Mme la garde des sceaux et M. le ministre de l’intérieur n’est pas neutre, loin s’en faut ! Cela signifie que, quelles que soient les actions qui seront menées par les forces de police ou de gendarmerie pour les besoins de la lutte antiterroriste, elles seront encadrées soit par la loi, soit par un juge, ce qui a beaucoup de sens pour nous.
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il le préciser, en tant que sénateur de la Haute-Garonne, conseiller général élu dans la ville de Toulouse, je représente aujourd’hui une population marquée au fer rouge par les événements que vous connaissez. Cette dernière, liée par une communauté d’histoire et de destin, a su réagir, toutes tendances confondues, en transcendant les clivages d’ordre religieux, politique ou autre, pour réaffirmer son attachement aux principes républicains, ceux qu’évoque le Gouvernement devant nous aujourd’hui.
Il serait donc malvenu et mal interprété que nous ne nous donnions pas globalement tous les moyens permettant de déceler les risques susceptibles de conduire à des événements tels que ceux qui ont malheureusement endeuillé Toulouse. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne peut pas soutenir cet amendement de suppression.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 16 est présenté par M. Hyest.
L'amendement n° 19 est présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard, Gattolin et Labbé, Mme Lipietz et M. Placé.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Remplacer l'année :
2015
par l'année :
2014
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 16.
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai déjà évoqué brièvement l’objet de cet amendement lors de la discussion générale.
Je suis souvent d’accord avec Nicolas Alfonsi, mais, en l’espèce, je me dois de lui dire qu’il y avait une autre option, à savoir la pérennisation des dispositions. De toute façon, il faudra bien un jour se poser la question au sujet des dispositions des articles 3 et 9 de la loi de 2006. Veut-on se priver d’un certain nombre de moyens dans la lutte antiterroriste ?
Cette loi de 2006, je le rappelle, a été soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, qui l’a validée, avec quelques observations. Par ailleurs, la loi de 1991 n’avait fait l’objet d’aucune censure de cette juridiction. Nous sommes donc dans un dispositif parfaitement constitutionnel, mais la question qui nous préoccupe est celle de la nécessité de ce dispositif de recueil de données techniques.
Il est vrai qu’en 1991 on écoutait à tout-va ! Je rappelle aussi pour certains qu’il ne faut pas mélanger les écoutes judiciaires et les écoutes administratives, comme la presse le fait souvent. Ce sont bien les écoutes administratives qui sont l’objet de mon amendement. Après, je parle sous le contrôle de Mme la garde des sceaux, les écoutes judiciaires relèvent d’une autre procédure, sous l’autorité du juge judiciaire. Bien entendu, tout le monde souhaite qu’il y ait une plateforme judiciaire, mais ce n’est pas la question qui nous préoccupe aujourd’hui.
En fait, il faut se demander si nous pouvons pérenniser indéfiniment l’existence de deux régimes qui n’offrent pas les mêmes protections. Je rappelle que les informations recueillies dans le cadre de la loi de 1991 sont soumises au secret défense, ce qui est quand même une garantie.
De toute façon, monsieur le ministre, le dispositif de la loi de 2006 doit être revu pour des raisons techniques. Des investissements lourds sont nécessaires. En matière de géolocalisation, il faudra trouver une solution, car nous serons bientôt confrontés à une situation impossible : 60 demandes de géolocalisation ; 200 000 demandes d’interception sur le fondement de la loi de 1991 ; moins de 20 000, et ce chiffre est en diminution constante, sur le fondement de la loi de 2006.
Il importe de travailler sur ce sujet. Je comprends parfaitement, monsieur le ministre, que vous n’ayez pas pu, en moins de six mois, trancher le débat portant sur ce que doit être le meilleur dispositif. En ce qui me concerne je souhaite, comme tous les services concernés d’ailleurs, une unification, à terme, de tous les dispositifs de recueil des données techniques, ce qui offrira les meilleures garanties tant pour éviter les erreurs que pour protéger les libertés publiques. La protection des libertés individuelles était d’ailleurs la justification de la loi de 1991, qui avait pour objet la protection des correspondances privées.
M. le président. Mon cher collègue, je dois vous demander de conclure.
M. Jean-Jacques Hyest. N’ayez crainte, monsieur le président, je serai beaucoup moins disert par la suite ; reconnaissez que le problème est extrêmement complexe. Comme je n’abuse pas de la parole habituellement, je vous demande juste de me laisser encore dix secondes.
M. le président. Dix secondes, pas une de plus ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. C’est pourquoi, monsieur le ministre, j’ai proposé que le dispositif soit prolongé de deux ans, ce qui permettra normalement de mener toutes les investigations possibles et de préparer un projet de loi, à moins que vous ne me démontriez qu’un peu plus de temps vous est nécessaire.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 19.
Mme Esther Benbassa. L’article 1er du projet de loi tend à proroger l’application des dispositions introduites par les articles 3,6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 jusqu’au 31 décembre 2015. Ces dispositions avaient déjà été prorogées par la loi du 1er décembre 2008.
Il ne fait aucun doute que ces mesures viennent se heurter aux libertés individuelles de nos concitoyens et qu’elles doivent, à ce titre, nous inspirer la plus grande prudence.
Ces mesures avaient d’ailleurs été présentées, lors de leur adoption en 2006, comme expérimentales et exceptionnelles, pour répondre au niveau élevé de la menace terroriste.
Mes chers collègues, même si une certaine continuité dans les moyens de lutte contre le terrorisme paraît nécessaire, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion et proroger ces dispositions de manière automatique. Cela constituerait une pérennisation qui ne dit pas son nom.
C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à ramener la prorogation des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 au 31 décembre 2014 au lieu du 31 décembre 2015. Cette période doit suffire au nécessaire examen de l’efficacité des dispositions en question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Mézard, rapporteur. Sur ces deux amendements, la commission a souhaité recueillir l’avis du Gouvernement.
Nous avons entendu les explications de notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui connaît parfaitement ce sujet. Ce qu’il a dit correspond d’ailleurs à l’opinion de M. Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que j’ai auditionné dans le cadre de la préparation de mon rapport. Pour la grande majorité d’entre nous, il est nécessaire de parvenir à l’unification du système. La dualité des dispositifs issus de la loi de 1991 et de la loi de 2006 n’est pas satisfaisante.
Le Gouvernement demande aujourd’hui – c’est logique puisque la date butoir était fixée au 31 décembre 2012 – une prorogation de trois ans. Le message envoyé par M. Hyest, message empreint de sagesse, consiste à recommander au Gouvernement de sortir d’une situation qui a toujours été considérée comme transitoire, ou du moins de lui demander ses intentions à cet égard.
Même si l’objectif immédiat de notre excellente collègue Esther Benbassa est identique, je n’aurai pas tout à fait la même position envers les arguments qu’elle a avancés pour défendre son amendement.
En effet, je ne suis pas d’accord avec elle quand elle se réfère à un rapport de 2008 concluant qu’il ne fallait pas, sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de cette loi devaient être prorogées ou, plus encore, être définitivement entérinées. L’évocation de cette notion d’hypothétiques menaces me paraît assez inopportune au regard de ce qui s’est passé ces derniers mois et des enquêtes en cours. (Mme Esther Benbassa proteste.)
Il faut toujours garder à l’esprit la mission première de la République, qui est de protéger nos concitoyens. Bien sûr, il convient de sortir de cette situation qui, du point de vue juridique n’est pas satisfaisante, cette dualité posant un certain nombre de problèmes. Nous devons donc instaurer un système unique avec, bien évidemment, un contrôle. M. Hyest a justement rappelé qu’il importe de bien distinguer les écoutes administratives et les enquêtes judiciaires, lesquelles sont soumises à des systèmes de contrôle différents. La grande majorité de la commission souhaite que M. le ministre nous précise quels sont ses objectifs en la matière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. M. le rapporteur a excellemment expliqué les intentions différentes des auteurs des deux amendements ; je n’y reviens donc pas.
Monsieur Hyest, je vous confirme que le Gouvernement adhère totalement à votre objectif d’unification des dispositifs de la loi de 1991 et de celle de 2006.
Vous avez eu raison, d’ailleurs, de souligner qu’il ne s’agissait pas de lois d’exception. Ce point est très important car, si nous pouvons exprimer des différences les uns et les autres, dans la majorité ou dans l’opposition, ici ou à l’Assemblée nationale, la jurisprudence du juge constitutionnel est constante pour accompagner l’adaptation de notre arsenal législatif et l’application de ces lois aux évolutions du terrorisme. Ces lois font honneur à notre pays. Ne parlons donc pas de lois d’exception ou de lois liberticides, d’autant que la menace est toujours là.
L’unification de ces dispositifs est tout à fait nécessaire. Une telle évolution serait d’ailleurs de bonne administration et faciliterait l’exercice par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité de ses pleines prérogatives, ainsi que vous l’avez dit tout à l’heure. Nous devons y être attentifs.
Je ferai d’ailleurs moi-même des propositions en ce sens dans le cadre non seulement de l’élaboration, en cours, du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, initiative lancée par le Chef de l’État, mais aussi de la mission d’information constituée par l’Assemblée nationale en vue d’évaluer le cadre juridique applicable à l’exercice des missions de renseignement.
Je ne vois aucun inconvénient à ce que cette unification intervienne le plus rapidement possible et j’œuvrerai dans ce but.
Malgré tout, le fait de limiter impérativement l’échéance à deux ans revient à fixer une date couperet qui, je le crains, sera bien difficile à respecter dans un domaine où les débats juridiques devront être approfondis et où les impératifs techniques ne sont pas négligeables. Vous le disiez vous-même, monsieur Hyest, la complexité juridique et technique du sujet est réelle.
À l’évidence, nous ne sommes pas en capacité d’être au rendez-vous en 2014. C’est pour cela que nous avons inscrit 2015 dans le projet de loi. Si nous pouvons avancer plus vite, tant mieux !
En tout cas, l’objectif est bien d’unifier les dispositifs des lois de 1991 et 2006, pour sortir de cette logique de prolongation sans cesse renouvelée, qui pose incontestablement des difficultés à la représentation nationale.
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, croyez bien que je suis sensible à l’attente du Sénat en général et de votre commission en particulier.
Monsieur Hyest, nos objectifs convergent. Puisque nous allons travailler pour les atteindre, je vous serais reconnaissant de bien vouloir accepter de retirer votre amendement, fort de mon engagement.