M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, étant moi-même issu de l’entreprise, je me félicite que la conférence des présidents du 7 avril 2010 ait décidé, sur l’initiative du groupe socialiste, de mettre en place la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires.
L’existence de cette mission est malheureusement largement justifiée par le constat qui vient d’être rappelé et qui doit évidemment tous nous interpeller.
Au cours des trente dernières années, plus de deux millions d’emplois ont été supprimés, et la contribution de l’industrie au PIB est tombée de 24 % à 14 % entre 1980 et 2007.
En clair, et vous l’avez tous indiqué, la France n’a plus de politique industrielle ambitieuse et adaptée aux contraintes d’une économie mondialisée. Surtout, l’image de l’industrie s’est dégradée dans notre pays. Le secteur n’attire plus les jeunes, et les élus de terrain, notamment les maires, ont le sentiment que l’on a tué l’envie d’entreprendre. D’ailleurs, les porteurs de projets sérieux se font rares.
Certes, ce constat, qui reflète seulement la situation à un instant donné, peut être nuancé. N’étant pas un pessimiste de nature, je constate qu’il y a également des réussites exceptionnelles.
Je voudrais féliciter le président de la mission d’information, M. Martial Bourquin, et son rapporteur, M. Alain Chatillon. Le premier incarne le courage, la volonté. C’est lui qui a pris l’initiative d’une telle démarche. Il est vrai que son département est particulièrement concerné par le problème. Le second, chef d’entreprise, a œuvré avec les compétences que nous lui reconnaissons tous, même si nous ne partageons pas nécessairement ses conclusions. Cela dit, le sujet mérite, me semble-t-il, que nous fassions un effort pour parvenir à un consensus.
La mission d’information a procédé à vingt-sept auditions et a organisé huit déplacements, tant en France qu’à l’étranger. Ses travaux ont, à l’évidence, été fructueux. Si les propositions en faveur de la sauvegarde de l’industrie ne vont pas assez loin pour certains, elles synthétisent pour d’autres l’équilibre nécessaire entre la relance de l’activité et le développement des territoires, un sujet sur lequel je souhaite revenir.
En réalité, les divergences ont porté sur quatre points : la question de l’État et des collectivités territoriales, le coût du travail, le rôle des banques et du crédit et, enfin, la réforme de la taxe professionnelle. Nous devrons certainement nous saisir de nouveau de ces dossiers. Mais tel n’était pas l’objet de la mission.
Le rapport met à juste titre l’accent sur la restauration d’une véritable culture industrielle.
Il est un risque bien réel, mes chers collègues, celui de voir perdre le combat, qui me paraît essentiel, entre les hommes sincèrement désireux d’entreprendre et les gestionnaires uniquement animés par une logique comptable – il est plus facile de se référer au seul langage des chiffres, auquel on peut faire dire ce que l’on veut !
En Allemagne, nombre de jeunes passent leurs dernières années d’études en travaillant à mi-temps dans des entreprises, ce qui leur permet ensuite de porter des projets sérieux et de s’épanouir dans des métiers dont ils ne soupçonnaient auparavant même pas l’existence.
Ce n’est pas le cas en France. Chez nous, l’image de l’entreprise est associée au « bleu de travail » et les parents vivent comme une catastrophe un tel choix pour leurs enfants. C’est un véritable problème !
C’est donc en amont, par l’éducation, qu’il faut agir, et ce dès l’école primaire. Aujourd'hui, seulement 22 % des enfants optent pour les filières scientifiques. Or les sciences sont à la base de l’intérêt pour la mécanique, la construction ou les professions qui impliquent une bonne connaissance des matériaux.
M. Michel Teston. Eh oui !
M. Raymond Vall. À cet égard, je salue l’initiative qui a été prise de lancer les appels d’offres pour créer des maisons de la culture scientifique dans cinq régions françaises. J’espère que les départements ruraux ne seront pas oubliés. Dans nos territoires aussi, nous voulons pouvoir orienter nos enfants vers la culture scientifique.
Les travaux de la mission d’information ont mis en lumière un déficit de 40 000 emplois de techniciens et d’ingénieurs sur le pôle de compétitivité d’Airbus ! Là aussi, il y a des efforts à fournir.
Il est vrai, et c’est un peu mon obsession, que notre pays a un secteur de la grande distribution des plus puissants. Or, comme j’ai pu le constater lorsque j’exerçais dans le monde de l’entreprise, cela a contribué à détériorer, désintégrer, démolir, le tissu économique des PME, notamment dans l’agroalimentaire.
C’est que les consommateurs sont obnubilés par les prix, au détriment de toute considération pour la qualité, ce qui suscite une forme de culture du « manque de qualité ». On ne s’intéresse plus qu’aux prix ! Peu importe les conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués, peu importe le contexte humain ! L’acheteur s’intéresse seulement aux prix !
En habituant le consommateur à acheter non des biens de qualité, mais des prix, on a détruit un tissu économique important, car, la qualité n’étant plus au rendez-vous, nos compatriotes ont fini par ne plus vouloir des produits français et se tourner vers les productions étrangères. Les auteurs du rapport évoquent ainsi les exemples de l’automobile ou de l’électronique.
Tous les entrepreneurs que j’ai rencontrés nous demandent de simplifier les dispositifs. Le temps de l’industrie n’est pas celui du politique. On ne peut pas réformer en permanence, multiplier les circulaires, souvent sans préparation. D’ailleurs, notre ami Bruno Retailleau avait, me semble-t-il, proposé de bloquer le temps d’application des réformes, afin que l’entreprise puisse s’y préparer.
Les deux collègues qui m’ont précédé à cette tribune ont évoqué le problème du guichet. Les chambres de commerce et d’industrie, qui sont à la jonction entre l’État et les entrepreneurs, ne doivent-elles pas être replacées au cœur du système ? Après tout, c’est leur travail. Mais les dérives sont telles que ce travail n’est parfois plus fait.
Aujourd'hui, on constate un empilement extraordinaire de niveaux de compétence, cinq ou six au bas mot : les intercommunalités ont la compétence obligatoire en matière économique ; les pays continuent à gérer le contrat de plan avec les partenaires concernés ; les départements ont tous une agence de développement ; la région dispose forcément d’instruments pour favoriser l’innovation et l’extension de certaines activités. Quant à l’État, il lui revient de gérer les fonds européens, quand il ne les cogère pas avec la région ! De quoi décourager nombre d’acteurs ! Des simplifications s’imposent donc.
Il en est de même d’autres dispositifs, qui s’additionnent : les pôles de compétitivité, mais aussi Oséo, Ubifrance, le Fonds stratégique d’investissement, le FSI, ou le plan de relance…
Je voudrais remercier M. le président et M. le rapporteur de la mission d’avoir pris en compte, dans leur rapport, le rôle structurant des pôles de compétitivité dans la politique industrielle.
Comment peut-on imaginer labelliser un pôle d’excellence rurale, moteur économique d’un territoire, pour le laisser ensuite isolé sans pouvoir bénéficier du soutien du pôle de compétitivité?
Il faut absolument labelliser les pôles de compétitivité dans les filières où ils ont été reconnus. Il faut aussi prévoir une aide concrète en pourcentage de l’aide globale dont ces pôles disposent.
Par ailleurs, nous avons étudié le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT. Tant que l’on parle d’économies, on ne peut pas parler d’infrastructures ! Et je vous rappelle que l’intitulé de la mission fait référence à la « désindustrialisation des territoires ». Nous serons donc obligés de procéder à une révision du SNIT, par cohérence avec les constats de la mission. Les handicaps des territoires ruraux, qui ont été évoqués, ne doivent pas être aggravés par le manque d’infrastructures, parfois destructeur en termes d’emplois.
En outre, je tiens à faire observer que le lobbying de la France à Bruxelles est inexistant. Ainsi, la région Midi-Pyrénées dispose de seulement 3 représentants auprès des instances communautaires, contre 80 pour la Catalogne et 120 pour la Bavière ! Nous risquons d’être battus à plate couture !
Comme cela a été souligné par l’ensemble des orateurs, le sujet est très important. À mon sens, nous devrons parvenir à un consensus pour mener des actions à partir des conclusions de la mission d’information. Tous les pays qui ont réussi dans ce domaine ont procédé ainsi. Nous ne pourrons pas faire autrement ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a exposé Isabelle Pasquet en commission, les membres de notre groupe ont voté contre les conclusions de la mission, considérant qu’elles s’inscrivaient fidèlement dans la libéralisation de l’ensemble des secteurs industriels.
Le rapport décrit avec rigueur la saignée de l’emploi industriel en France depuis plusieurs décennies et reconnaît l’absence de politique industrielle.
Cependant, les solutions proposées comme les débats en commission ont montré les différences irréductibles entre notre conception de ce que devrait être la politique industrielle et celle de la droite. C’est en ce sens que nous avons déposé une contribution au rapport de la mission.
Dans la période récente, l’activité industrielle n’a cessé de se dégrader, notamment sous les effets pervers de l’économie de marché, de la concurrence libre et non faussée, ou encore, comme le note le rapport, en raison « des excès du libéralisme prôné par l’OMC ».
La crise économique et financière de ces dernières années et les politiques économiques irresponsables menées par une droite obnubilée par la rémunération de l’actionnariat ont détruit plus d’emplois dans l’industrie que dans tous les autres secteurs d’activité.
Dans ce contexte, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a encouragé la financiarisation de l’économie, tournant le dos à la production de richesses industrielles ainsi qu’à la revalorisation du travail et des qualifications.
La régression de l’effort global de formation professionnelle, le manque d’attractivité des métiers du secteur industriel – dans l’industrie manufacturière, notamment – et le faible niveau des salaires posent la question, cruciale pour l’avenir, du remplacement des effectifs du secteur et de la transmission des savoir-faire.
Les conflits portant sur les revalorisations de salaire dans l’industrie se multiplient : dans la région Nord - Pas-de-Calais, dont je suis l’élu, les salariés de Toyota, d’Eiffage, de Faurecia ou, au niveau national, ceux de Nestlé et de Carrefour ont entamé des grèves pour protester contre le faible niveau de leurs salaires.
Le « Président du pouvoir d’achat » n’a pas tenu ses promesses et la dernière promesse en date, l’attribution éventuelle d’une prime aux salariés contre le versement de dividendes aux actionnaires, constitue, au-delà de son caractère purement électoraliste, une mesure largement insuffisante, qui plus est discriminante entre les salariés des différentes entreprises.
Quand le patronat considère que le coût du travail est trop élevé en France, le Gouvernement lui donne satisfaction à coup d’exonérations de cotisations sociales, de crédits d’impôt, etc. Il s’agit, en réalité, d’accroître la richesse de quelques-uns contre l’intérêt de tous. Gardez à l’esprit que les entreprises du CAC 40 ont dégagé un bénéfice global de 82,5 milliards d’euros en 2010, en augmentation de 85 % par rapport à l’année précédente ; tel n’est pas le cas des salariés !
Si le Gouvernement veut préserver l’activité industrielle, il doit regarder en face les comportements voyous de certains groupes du secteur industriel. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler le cas des salariés de Continental, licenciés en 2009 alors que l’entreprise réalisait, au deuxième trimestre de la même année, pas moins de 40 millions d’euros de bénéfices, ou celui des salariés de l’entreprise Caterpillar, eux aussi licenciés quand la multinationale annonçait 371 millions de dollars de bénéfices au second trimestre de la même année. Exemple plus récent, la suppression de près de 1 500 emplois à la suite de la fusion de Merck et de Schering-Plough, alors que le bénéfice net du groupe s’élevait à 12,9 milliards de dollars en 2009, contre 7,8 milliards de dollars en 2008.
Pourquoi ces situations inadmissibles sont-elles possibles ? À notre avis, la droite en porte l’entière responsabilité : en 2002, dès son retour au pouvoir, le gouvernement Raffarin et la majorité parlementaire ont décidé l’abrogation de la loi adoptée sur l’initiative de notre collègue Robert Hue, qui renforçait les pouvoirs des salariés contre les licenciements boursiers.
Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités, interdire les licenciements boursiers et soumettre à conditions l’octroi des aides publiques aux entreprises.
Quant aux aides à la relocalisation mises en place par le Gouvernement, elles sont un non-sens et constituent en outre une charge pour les contribuables ! Nous demandons l’instauration d’un mécanisme de remboursement des aides publiques, directes et indirectes, dans le cas où l’entreprise bénéficiaire aurait procédé à une délocalisation de sa production. Il faut établir un véritable contrôle et imposer une évaluation contradictoire des aides.
De plus en plus de groupes industriels à la santé florissante délocalisent leur production. Il y a deux semaines, le groupe PSA annonçait qu’il allait produire un nouveau modèle en Slovaquie ; ce projet représente un investissement de 130 millions d’euros et 900 nouveaux emplois. Le dumping social joue à plein au niveau européen ! Là encore, il est essentiel de revoir les règles et d’harmoniser par le haut les statuts et les rémunérations des travailleurs.
Pouvez-vous prétendre à la relance industrielle annoncée depuis les états généraux de l’industrie, si l’État n’intervient pas et laisse faire au nom du libéralisme ou, pis encore, accompagne les stratégies industrielles des grands groupes ? Selon les derniers chiffres officiels, 6 700 emplois industriels ont été perdus dans le Nord - Pas-de-Calais entre 2009 et 2010, 40 000 emplois en cinq ans.
Je citerai deux exemples récents concernant deux secteurs industriels stratégiques de mon département, la sidérurgie et l’automobile.
Le groupe Aperam, filiale d’Arcelor-Mittal, vient d’annoncer pour son usine d’Isbergues, qui a déjà perdu sa fonderie, un plan de sauvegarde de l’emploi pour le secteur tôlerie qui concerne plus de 200 salariés, alors qu’une expertise montre l’existence de solutions alternatives.
Le groupe Renault envisage de délocaliser la fabrication de deux futurs moteurs en Roumanie et en Espagne, au détriment de sa filiale spécialisée dans ce type de production, La Française de Mécanique, à Douvrin : des centaines d’emplois sont menacés.
Ensuite, nous estimons qu’il est urgent de faciliter le financement de l’industrie. Les banques, que l’État a largement aidées grâce à l’argent du contribuable, doivent être mises à contribution. Nous proposons de mettre en place un pôle public financier qui mettrait plus largement à contribution l’ensemble des banques, afin de les réengager dans la politique économique de notre pays.
Le Fonds stratégique d’investissement, avec ses 20 milliards d’euros de fond propres, n’a pas su jouer son rôle d’aide à la réindustrialisation et à la relance de l’emploi. Ce fonds a facilité les fusions et consolidations entre les entreprises, en ignorant les conséquences sociales des restructurations forcées !
Je voudrais dire une fois encore notre inquiétude quant à la réforme de la taxe professionnelle. Censée alléger les entreprises, elle constitue au contraire un frein au développement des territoires et aux aménagements nécessaires pour accueillir des activités industrielles. Cette suppression, qui prive les collectivités territoriales d’importantes ressources, car elle ne donne pas lieu à une compensation intégrale, ne permettra pas de ralentir les délocalisations, je viens d’en citer quelques exemples.
Il nous semble également important d’intensifier la recherche et l’innovation au service du développement industriel. Cependant, les incitations fiscales ne suffisent pas pour réaliser ces objectifs. Le crédit d’impôt recherche a coûté 5,8 milliards d’euros à la collectivité en 2009 ; il a encouragé les manipulations comptables et les effets d’aubaine ; il a d’abord profité aux grands groupes et à leurs holdings financières. Il faut investir dans la recherche publique, ne pas négliger les apports de la recherche fondamentale et préserver les retours d’expérience au sein des entreprises.
Enfin, la politique énergétique menée par le Gouvernement, outre qu’elle fragilise le secteur électrique, devient un handicap supplémentaire pour toute l’industrie. L’énergie est l’exemple le plus frappant de l’action gouvernementale en faveur de l’actionnariat et des opérateurs privés, contre l’intérêt général, contre l’intérêt national !
Lors des débats sur la privatisation de GDF, en 2004, Nicolas Sarkozy répondait à ceux qui s’inquiétaient d’une augmentation des prix : « Toutefois, si on ne peut pas endetter une entreprise et si les prix de vente de ses services n’augmentent pas, comment financer son développement, sans une ouverture de capital ? La question me paraît d’une cohérence absolue. »
Cette « cohérence absolue » a conduit à une ouverture du capital et à une augmentation des prix de l’énergie sans précédent pour rémunérer le capital ! Vous connaissez les difficultés financières qu’ont rencontrées les entreprises qui avaient fait le choix de bénéficier de l’ouverture à la concurrence. Cela a conduit à des bricolages éphémères, je pense ici au tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, ou TARTAM.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique industrielle conduite par la droite montre très largement son inefficacité, voire sa très lourde responsabilité dans la désindustrialisation de nos territoires.
L’État doit se réengager dans la définition de la politique industrielle et assumer son rôle de pilote et de contrôle.
L’État doit conduire des actions et mobiliser des moyens financiers et humains en faveur de la protection des travailleurs du secteur, de la revalorisation des salaires, de la recherche fondamentale et appliquée.
Enfin, l’État doit reprendre la première place dans la régulation économique et financière des activités industrielles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter la mission commune de ce travail sur la réindustrialisation et à saluer son président et son rapporteur.
Le rapport de la mission repose sur trois constats. L’un de ces constats a d’ailleurs été peu évoqué cet après-midi : l’écosystème industriel est désormais non plus national, mais européen et même mondial. On ne peut pas raisonner sur le développement économique et industriel de nos territoires sans le resituer dans un contexte mondial.
Je remercie également la mission de s’être appuyée sur l’idée, fondamentale, selon laquelle une économie sans industries n’a plus d’avenir. Évidemment, certains territoires sont davantage propices aux activités de services que d’autres, mais, globalement, une économie, dans son ensemble, ne peut se passer d’industries.
Je soulignerai enfin que nous sommes désormais tous d’accord sur l’idée que le développement industriel n’est pas possible sans initiative publique. Ce point d’accord est nouveau et il a d’ailleurs conduit la gauche et la droite à trouver un certain nombre de sujets de consensus et à exprimer des idées qui les rapprochent. Nous savons tous que, sans l’intervention de l’État et des collectivités territoriales, les politiques industrielles ont peu de chances de se développer.
Je rends grâce à M. le ministre et au Gouvernement d’avoir pris un certain nombre d’initiatives au cours des dernières années et des derniers mois, et encore aujourd’hui, pour favoriser l’industrialisation de notre pays : le Fonds stratégique d’investissement, dont j’espère, monsieur le ministre, qu’il sera efficace ; la confirmation de la Conférence nationale de l’industrie, qui vous aidera désormais, monsieur le ministre, à industrialiser la France ; le crédit d’impôt recherche qui, contrairement à ce que disent certains, a été à l’origine de nombreuses initiatives – évidemment, plutôt au profit des grands groupes, mais c’est toujours au profit de l’économie industrielle nationale ! – ; je n’oublie pas, enfin, les pôles de compétitivité.
Monsieur le ministre, les collectivités locales jouent désormais un rôle indispensable dans le développement industriel. J’en veux pour preuve que l’ensemble des infrastructures favorables à l’accueil des entreprises – les moyens de transport, notamment –, sont souvent réalisées ou modernisées sur initiative locale, et uniquement locale.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Philippe Leroy. Les télécommunications, vous le savez, monsieur le ministre, ne se développeront vraiment bien en France que lorsque nous pourrons associer les réseaux d’initiative publique, portés par les collectivités locales, et les grands réseaux, portés par les grands opérateurs.
Les initiatives publiques locales pèsent lourd dans le budget du développement industriel, puisqu’elles sont estimées à 6 milliards d’euros ou 7 milliards d’euros par an.
Le deuxième constat de ce rapport extrêmement riche me plaît particulièrement en tant qu’agronome. J’observe en effet que l’on parle désormais d’« écosystème industriel ». Un écosystème se manie avec précaution, car il est porté par une multitude d’agents, de facteurs, d’éléments de toutes sortes, dont l’intervention peut avoir des conséquences immenses, à la façon du fameux battement d’aile de papillon qui provoque un ouragan à mille kilomètres de distance.
Un écosystème est donc extrêmement fragile et il me semble que, s’agissant de l’industrie, l’image est pertinente. En plus, un écosystème ne fonctionne bien qu’en l’absence de facteur limitant, les agronomes le savent bien ! Vous aurez beau réunir tous les éléments nécessaires à la croissance d’une forêt, même si vous recrutez les meilleurs forestiers, s’il manque un seul élément fondamental, comme l’eau, vous n’aurez pas de forêt ! S’il vous manque un seul facteur, vous n’obtiendrez aucun résultat.
Il en est de même pour l’industrie, qui exige de la confiance. La confiance des hommes est un élément fondamental, à commencer par l’esprit d’entreprise. S’y ajoute, pour nos populations, l’envie de participer.
Je remercie nos collègues président et rapporteur d’avoir insisté sur la nécessité de donner confiance aux chefs d’entreprise, à ceux qui prendront des responsabilités. Pour eux, la confiance, repose d’abord sur la sécurité juridique - la simplification administrative et surtout la stabilité des normes pour un cadre juridique doté d’une certaine constance -, mais également sur l’assurance d’obtenir les financements en temps et en heure.
Un chef d’entreprise doit se sentir en confiance vis-à-vis de son environnement administratif et politique, de même que la population, pour adhérer aux projets industriels, doit « aimer » l’industrie, ce qui rend nécessaires tous les efforts pour développer une culture industrielle.
Il faut également, monsieur le rapporteur – c’est un sujet sur lequel le Gouvernement se penche actuellement –associer le capital et le travail. Cette idée n’est pas neuve, on cherche à la faire vivre d’année en année, mais elle peine à se concrétiser. Pour autant, c’est une piste indispensable, car relevant aussi du domaine de la confiance : on ne réussit rien, dans un pays, sans l’adhésion de ceux qui prennent des initiatives et de ceux qui travaillent au jour le jour, au sein de nos industries, pour gagner leur vie.
Ce climat de confiance, au niveau tant des normes que des financements, est important mais exige aussi la participation des territoires. Ainsi, les territoires sur lesquels nos industries s’installent doivent être bien équipés.
Ces territoires, monsieur le ministre, participent également à la mondialisation, et c’est un point sur lequel je voudrais, au passage, formuler une petite remarque, qui me tient à cœur.
Il nous faut situer notre économie dans un tissu mondial, un milieu global, à la fois pour exporter nos produits, pour bénéficier d’investissements extérieurs et pour accueillir les réseaux de vente de nos partenaires étrangers. Or je pense que, s’agissant des relations extérieures de la France avec ses partenaires économiques mondiaux, l’État commet une erreur en favorisant trop la spécialisation d’un échelon administratif, à savoir la région, dans ce domaine.
Certaines régions n’ont pas de compétences économiques marquées, faute d’avoir une population suffisante ou faute de se préoccuper de la question. Inversement, les métropoles sont appelées à contribuer pour une très large part au rayonnement économique et intellectuel de la France – c’est la réforme des collectivités territoriales – et certains départements, comme le mien, prendront des initiatives pour porter leur territoire à travers le monde.
Permettez-moi donc cette petite critique, monsieur le ministre, mais je souhaite que vous puissiez nous aider à régler ce problème : certains services économiques français, notamment l’Agence française pour les investissements internationaux – l’AFII – et l’Agence française pour le développement international des entreprises – Ubifrance –, s’appuient trop fortement sur les régions, en excluant d’autres échelons. L’État doit pouvoir faire appel à tous les volontaires, qu’il s’agisse de régions, de départements ou de villes. C’est important pour l’avenir !
Autre facteur à prendre en compte, la politique monétaire. M. le rapporteur en a dit un mot et, par pudeur, je pense, ne consacre que deux pages de son rapport au sujet. Il nous faudra, à terme, oser en parler.
Il est effectivement impudique, aujourd’hui, d’évoquer une politique de l’euro. Or, que nos partenaires aient ou n’aient pas de politique monétaire, le dollar et le yuan naviguent sur les marchés au gré de je ne sais quelle volonté. L’euro, quant à lui, voit son cours encadré par les décisions d’une autorité administrative qui s’est donné pour seul objectif celui de lutter contre l’inflation.
Je ne suis pas du tout certain que, dans le cadre de la compétition mondiale, cette politique monétaire européenne soit la meilleure. Je ne remets pas en cause le principe de cette politique : il ne s’agit évidemment pas de sortir de l’euro, c’est impossible ! Mais que les responsables de la Banque centrale européenne puissent parfois conduire la politique de l’euro avec plus de souplesse suffirait, me semble-t-il, à nous adapter aux spéculations financières enregistrées sur les places internationales.
Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas demander, au titre de cette mission sur la réindustrialisation des territoires, qu’on évoque une fois, et de façon très circonstanciée, la façon dont l’Europe pourrait aujourd’hui, avec sa monnaie unifiée, retrouver quelques marges de manœuvre en matière de politique financière et monétaire ?
Cette préoccupation rejoint d’ailleurs les interrogations que suscite le marché du carbone. On en parle beaucoup, mais, à l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucune conception technique, qui soit issue d’un examen approfondi et qui soit bien structurée, de l’organisation des marchés d’échange de quotas de production de carbone. Il y a également beaucoup trop de pudeur à cet égard !
J’entamerai ma dernière série de remarques en souhaitant qu’on approfondisse l’idée selon laquelle le succès industriel n’est pas nécessairement lié à des innovations technologiques de rupture.
En laissant croire que le succès des acteurs économiques sur leur marché, marché qui peut être mondial, repose sur une parfaite maîtrise des innovations technologiques de rupture, on découragerait la plupart d’entre eux, notamment tous ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à ces innovations, par exemple au travers des pôles de compétitivité.
Il nous faut être plus modestes, examiner cette question en s’inspirant de la pratique allemande et des instituts Fraunhofer – ces instituts n’ont rien à voir avec des centres de recherche très élaborés, qui travailleraient sur des ruptures technologiques importantes – et, notamment, réfléchir à la nécessité de permettre à l’ensemble des industriels de disposer, au jour le jour, des pratiques technologiques les plus avancées.
En effet, il est question non pas de faire des sauts technologiques, mais de maîtriser la technologie. Il faut tout simplement que l’essentiel du peloton des industriels d’un territoire donné, les petites et moyennes entreprises notamment, aient les moyens d’accéder aux technologies de leur filière, tout simplement.
Dans mon département, la Moselle, par exemple, je constate que nous ne sommes pas en mesure, aujourd’hui, de donner à tous les sous-traitants du secteur de l’automobile l’accès aux technologies de la filière.
Il y a là une dimension qu’il faut prendre en compte : il ne s’agit pas d’inventer la poudre ; il faut simplement savoir comment l’utiliser !
Cette question mériterait donc aussi quelques approfondissements, dont certains sont liés à nos modes d’enseignement.
Lorsque, dans l’enseignement supérieur, nous formons des techniciens et des ingénieurs pour l’industrie, nous avons effectivement trop tendance à privilégier l’excellence, dans un souci, de nouveau, de recherche des ruptures technologiques. De cette façon, on « fabrique » des salariés d’entreprises, et non des créateurs d’entreprises.
Les étudiants en école d’ingénieur ou à l’université ont tellement la tête dans les étoiles ! Ils font systématiquement leur stage dans de très grandes entreprises et, souvent, ne gèrent aucun projet dans ce cadre. Ce sont des stages pour futurs salariés ! Notre système de formation engendre, pour l’essentiel, des salariés, alors que nous avons besoin de créateurs, de managers !
Il faudrait donc encourager, dans nos écoles, les stages orientés autour de la reprise ou de la gestion de projets industriels, ce qui nous permettrait de former des personnes prêtes à investir et à entrer de plain-pied dans la bagarre économique.
Ces remarques étant faites, monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre présence pour cet important débat sur l’industrie et du temps que vous y consacrez. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)