M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la mission commune d’information, mes chers collègues, mon intervention portera sur la situation de la filière des autobus, autocars et poids lourds, dont la fragilité est patente par comparaison avec la même filière en Allemagne et, même, en Italie.

J’évoquerai tout d’abord le secteur des poids lourds.

La société Renault a vendu en 2000 sa division « poids lourds » à Volvo AB et, en contrepartie, est devenue son premier actionnaire. En 2011, pour rembourser les 3 milliards d’euros prêtés par l’État afin de faire face aux conséquences de la crise, l’entreprise a cédé ses actions sans droit de vote et ne détient plus que 6,8 % du capital de Volvo AB et 17,5 % des droits de vote.

Dans le cas où Renault céderait ses autres actions, sans précaution particulière, Volvo AB serait à la merci d’une offre publique d’achat hostile et la concentration qui en résulterait, dans un contexte marqué par une demande très inférieure aux capacités de production, pourrait être fatale à Renault Trucks et à ses usines en France.

De manière générale, il serait inadmissible que le gouvernement français accepte qu’il n’y ait plus aucun industriel français présent dans le secteur des poids lourds, ce qui aurait pour conséquence de nous faire totalement dépendre du bon vouloir de Volvo AB pour ce qui est du maintien ou non des activités de fabrication et d’assemblage de Renault Trucks en France.

Aussi, je demande que les pouvoirs publics français veillent à ce que Renault conserve durablement une part significative du capital et des droits de vote de Volvo AB. Dans mon esprit, il ne peut s’agir d’un simple actionnariat « dormant ».

Le groupe Scania assemble depuis 1992 des camions et tracteurs gros porteurs – de plus de 16 tonnes – dans son usine d’Angers, qui emploie 520 personnes. Les véhicules produits sont destinés aux marchés de l’Europe du Sud, notamment à la France.

Iveco produit, sur son site de Bourbon-Lancy, des moteurs de la famille Cursor, qui équipent de nombreux modèles d’autocars et d’autobus de marque Fiat et Irisbus et de camions de marque Iveco. Cette usine emploie 1 100 personnes.

Il convient de saluer l’engagement important tant de Scania que d’Iveco en France. Je suggère donc que le Gouvernement se rapproche de ces deux groupes de manière à déterminer les mesures susceptibles d’être prises afin d’assurer non seulement le maintien des activités actuelles, mais aussi le développement d’activités nouvelles.

J’en viens au secteur des autocars et autobus.

La Commission européenne s’étant opposée, en 2000, à ce que Renault soit à la fois actionnaire de Volvo AB et partenaire capitalistique d’Iveco au sein d’Irisbus, plus aucun industriel français n’est présent dans ce secteur. Iveco France, propriétaire de la marque Irisbus, est une filiale à 100 % du groupe Fiat.

Face à l’atonie du marché, le risque est grand qu’Iveco France transfère de plus en plus d’activités sur ses sites tchèques et italiens, au détriment des sites français d’Annonay et de Rorthais.

Il paraît donc nécessaire que le gouvernement français obtienne de Fiat l’engagement de maintenir les activités actuelles d’Iveco en France, ainsi que leur développement en cas de reprise économique.

À la différence notamment du groupe Man, propriétaire des marques Man et Neoplan, qui n’a pas d’usine en France, EvoBus France, filiale du groupe Daimler commercialisant les marques Mercedes-Benz et Setra, dispose d’une usine à Ligny-en-Barrois. Cette implantation en France est à souligner, même s’il ne s’agit que d’un site d’assemblage, sur des chaudrons entièrement traités et apportés d’Allemagne par camions, de pièces – moteur, boîte, pont, etc. – quasiment toutes fabriquées en Allemagne.

Désormais, seuls des autobus y sont assemblés, alors que le site réalisait aussi par le passé l’assemblage d’autocars.

Ainsi, le site de Ligny-en-Barrois emploie 400 salariés et EvoBus France 650 salariés, contre 10 000 emplois en Allemagne et 3 000 emplois dans le reste de l’Europe.

Là encore, il est nécessaire que le Gouvernement, tout en saluant l’engagement du groupe EvoBus en France, ouvre une négociation avec lui afin d’obtenir qu’il confie davantage d’activités au site de Ligny-en-Barrois, de manière à y faire progresser très sensiblement le nombre d’emplois. Ce groupe a obtenu en France près de 20 % du marché, ce qui me paraît de nature à justifier pleinement cette évolution.

À l’instar de nombreux observateurs, je tire de cette analyse le constat selon lequel, si la France compte un nombre assez important d’usines où sont fabriqués et/ou assemblés des autobus, des autocars et des poids lourds, elle n’a toutefois pas de véritable politique industrielle dans ce secteur. Il n’est pas encore trop tard pour en définir une.

Monsieur le ministre, les quelques mesures que je préconise pourraient en constituer l’amorce. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord porter témoignage de l’engagement et de l’investissement de nos collègues président et rapporteur de cette mission commune d’information, qui ont fourni un travail important d’écoute, d’analyse et de synthèse, pour aboutir au rapport qui nous réunit aujourd’hui et qui est une bonne photographie de la mission : riche, dense et argumenté.

Je me réjouis d’ailleurs qu’il porte en son titre ces deux mots forts, qui ont constitué en quelque sorte le fil rouge de nos travaux : réindustrialisation et territoires.

Ce rapport est solidement et classiquement construit sur trois piliers : le constat, les causes, les perspectives.

Nous partageons bien entendu – malheureusement, ai-je envie de dire – le constat sur le déclin de notre industrie, plus marqué encore ces dix dernières années, plus manifeste en France qu’en Allemagne, une comparaison qui a d’ailleurs fait référence tout au long de la mission.

Ce constat doit rester réaliste, mais peut-être faut-il éviter qu’il ne soit systématiquement alarmiste, ne serait-ce que pour ne pas décourager les trois millions de salariés de l’industrie, d’autant que ce secteur demeure malgré tout créateur d’emplois, à l’image de la métallurgie, qui, actuellement, cherche à recruter pas moins de 85 000 personnes.

Il faut rappeler aussi que notre industrie compte quelques beaux fleurons : les filières aéronautique, pharmaceutique, énergétique, pour les principales, sans oublier les PME innovantes, qui font souvent figure de champions industriels dans nos régions, mais dont on parle trop peu, car ces PME sont peu visibles, et la communication n’est pas forcément leur priorité.

Les causes, quant à elles, sont multiples, connues et relèvent d’un phénomène commun aux pays développés. Comme les uns et les autres l’ont rappelé, en France, la perte de compétitivité, l’insuffisance de l’innovation et des investissements, l’image négative de l’industrie sont autant de causes qui, conjuguées, peuvent expliquer la situation d’aujourd’hui.

Nombreux sont les responsables – il est difficile de s’exonérer de cette responsabilité – de cette situation : les parents, qui préfèrent pour leurs enfants le bureau à l’usine ; les enseignants, trop isolés, trop éloignés de la vie économique ; les politiques, qui, par exemple, prônaient 80 % de bacheliers ; les industriels, qui n’ont pas investi en temps voulu.

Dans nos divergences sur les causes de la perte de compétitivité de notre industrie, il y a le coût du travail, pointé régulièrement dans les études économiques, y compris et surtout dans les comparaisons avec l’Allemagne. D’ailleurs, au moment où la France a choisi de diminuer le temps de travail en introduisant les 35 heures, le chancelier allemand n’a-t-il pas réagi avec satisfaction en déclarant : « Ceci est bon pour l’Allemagne » ?

Une fois posés d’une manière synthétique ces éléments, tournons-nous vers les perspectives ; c’est bien ce qu’attendent nos industriels et, plus globalement, l’économie française.

Lors de nos rencontres avec les industriels, j’avais retenu dans les satisfactions, certes inégales selon les secteurs, qu’il se dégageait régulièrement trois points positifs : les pôles de compétitivité, la suppression de la taxe professionnelle et le crédit d’impôt recherche.

C’est bien la preuve de la prise de conscience de nos gouvernants depuis de nombreuses années, puisque des dispositifs concrets ont été mis en place.

C’est ainsi que les états généraux de l’industrie ont réuni tous les acteurs qui ont apporté leur expérience et leur vision pour une relance active de la politique industrielle française.

Monsieur le ministre, relativement aux travaux issus des états généraux de l’industrie ainsi qu’aux travaux de la Conférence nationale de l’industrie, pourrez-vous nous donner les perspectives d’une mise en œuvre rapide de la réindustrialisation de notre pays, et vous sentez-vous « optimiste » quant à un résultat tangible à court ou moyen terme ?

Enfin, face à la mondialisation, face à la montée en puissance des pays émergents, n’est-il pas temps de mettre en place, pour l’industrie comme pour l’énergie, une politique industrielle européenne ?

Pour terminer, je souligne que les conclusions de la mission débouchent sur des propositions explicites, concrètes, listées en dix-sept points clairement exprimés, que notre rapporteur a rappelés.

Je souhaite vivement que ces propositions puissent être mises en œuvre rapidement ou, lorsque le socle existe déjà, qu’elles constituent une réelle incitation à promouvoir une nouvelle culture industrielle, chère à Alain Chatillon et à Martial Bourquin, mais certainement chère aussi à chacun d’entre nous, pour que l’industrie française valorise et développe ce qui a toujours fait sa force : son savoir-faire. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Charles Revet. Très bien !

(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui sur la désindustrialisation vient à point nommé.

Cela fait maintenant plusieurs décennies que, dans nos régions – nous sommes tous deux de la région Midi-Pyrénées, monsieur le rapporteur –, dans nos territoires, les gens s’interrogent : sommes-nous condamnés à subir la fatalité des délocalisations, condamnés à subir toujours plus de perte de notre tissu industriel ? Allons-nous vers ce que certains économistes appellent une « économie de services » ? Ou bien, ce dont je suis, comme vous, convaincu, l’industrie française a-t-elle un avenir ? Et quelles politiques pouvons-nous mettre en œuvre pour conforter le « site France », à l’heure de la concurrence internationale et de la mondialisation ?

Toutes ces questions, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires les a posées au cours de plusieurs mois de travail sur le terrain. Aussi me permettrez-vous de rendre hommage au travail de tous ses membres, sous l’égide de son président, Martial Bourquin, dont nous savons tous à quel point ces sujets lui tiennent à cœur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mes chers collègues, notre conviction, au sein du groupe socialiste, tient en peu de mots : oui, la France a un avenir industriel, et l’avenir de notre pays passe, en grande partie, par la reconstruction d’industries fortes, durables, permettant de faire face aux défis de demain. Il me semble d’ailleurs qu’il y a, sur ce sujet, un large consensus politique.

C’est, en revanche, sur le diagnostic et les remèdes que les analyses divergent.

Sur le diagnostic, la majorité présidentielle – le rapport qui nous est proposé semble aussi aller en ce sens – a pris l’habitude d’incriminer deux facteurs principaux : le coût et la durée du travail.

M. Jean-Pierre Bel. Mais peut-on vraiment s’arrêter là ?

J’ai souvenir d’un rapport d’information qui avait été établi au nom de la commission des affaires économiques du Sénat voilà sept ans, par un groupe de travail présidé par Christian Gaudin, et dont le rapporteur était Francis Grignon. Il était intitulé Délocalisations : pour un néo-colbertisme européen. Je vous engage à lire ce rapport, qui n’arrivait pas vraiment aux mêmes conclusions. Nous avions essayé à l’époque de ne pas tomber dans ce type de vision un peu manichéenne qui en revient systématiquement au coût et à la durée du travail.

Pour ce qui est du coût du travail, je ne m’attarderai pas ici sur les appréciations divergentes que nous pouvons faire des statistiques – Mme Lamure vient encore de nous en donner un exemple –, notamment en termes de comparaisons franco-allemandes, car on peut, j’en suis persuadé, faire dire tout et son contraire aux statistiques.

Je me bornerai à dire que, quoi que l’on fasse, notre pays ne pourra à l’évidence jamais rivaliser avec le coût de la main-d’œuvre dans les pays en développement. Ou alors notre modèle social serait totalement à remettre en cause, et il faudrait le dire...

C’est donc non pas en nous limitant au thème de la compétitivité et du coût, mais en regardant du côté de l’innovation, de la recherche et développement, de la qualité de nos produits et de nos processus de fabrication que nous pouvons tracer des perspectives.

Mais il y a aussi la durée du travail ! À chaque intervention, on entend de grands plaidoyers sur les 35 heures ! Sur ce sujet, pratiquement tout a été dit. Pourtant, alors que cela fait maintenant près de dix ans que l’actuelle majorité est aux responsabilités, je constate que bien peu a été fait pour abroger ou faire disparaître les 35 heures.

M. Jean-Louis Carrère. La droite n’aurait plus d’arguments !

M. Jean-Pierre Bel. Les 35 heures constitueraient donc un bouc émissaire idéal.

Ce n’est donc pas du côté du coût et de la durée du travail que nous devons chercher la solution aux maux de notre pays. Tout au contraire, il nous faut œuvrer, sans relâche, à la mise en œuvre de stratégies industrielles innovantes, en pariant sur des industries d’avenir en lien avec les territoires.

Car la désindustrialisation frappe d’abord, et de plein fouet, des territoires qui cumulent déjà les difficultés et les handicaps, nous en savons quelque chose : l’enclavement, l’éloignement par rapport aux grands centres de décision, la perte historique d’industries traditionnelles, comme la sidérurgie ou le textile.

Alors, au-delà de tous les discours, quels efforts mettez-vous véritablement en place pour accompagner ces territoires ? Quelles sont les modalités d’anticipation auxquelles vous réfléchissez pour éviter en amont les délocalisations ? Quels dispositifs spécifiques, quel volontarisme renforcé mobilisez-vous pour éviter de les transformer durablement en déserts français ?

Lorsque s’est produit le dramatique accident d’AZF à Toulouse, qui, bien sûr, sur le plan humain, a été extrêmement douloureux, mais qui, sur le plan économique, s’est soldé par 1 400 à 1 500 suppressions d’emploi, le Gouvernement a immédiatement mis en place un dispositif de zone franche, qui a incité les investisseurs à venir à Toulouse et dans les environs. Donc, sur le plan purement fiscal, il était plus intéressant de venir s’installer à Toulouse que dans d’autres départements plus excentrés de Midi-Pyrénées, notamment en Ariège, département dont je suis élu, qui a perdu, sur un bassin d’emplois d’environ 20 000 habitants, 5 500 emplois industriels…

Que faisons-nous aujourd'hui pour empêcher que ces départements, ces territoires ne soit pas purement et simplement éliminés de la carte ?

Aujourd’hui, en matière de politique industrielle, nous assistons à du pilotage à vue, comme l’a relevé Martial Bourquin. Pour l’industrie photovoltaïque, par exemple, c’est une véritable politique industrielle à l’envers qui a été conduite : d’abord, ont été mis en place des dispositifs incitatifs tellement généreux qu’ils ne pouvaient que favoriser la spéculation et les produits d’importation ; puis, alors qu’une filière industrielle commençait à se structurer en France, un moratoire a été décidé – c’est, à ma connaissance, la première fois qu’est mis en place un moratoire sur un dispositif qui fonctionne ! –, tuant dans l’œuf de nombreuses entreprises qui avaient pourtant de belles perspectives de développement à moyen et à long terme.

C’est tout le contraire qu’il faut faire. Notre pays doit renouer avec l’ambition qui était la sienne après la Seconde Guerre mondiale : identifier quelques grands secteurs stratégiques pour l’avenir, et mettre en place de vraies politiques industrielles pour les soutenir sur le long terme.

Ces secteurs, nous les connaissons bien, et les sénateurs socialistes en dressent une liste indicative dans leurs propositions. Je pense notamment au secteur de la croissance verte, où se développent des produits et des processus de fabrication souvent révolutionnaires : ils sont en train de donner corps au nouveau modèle de développement économique et social que nous voulons.

Je pense tout particulièrement aux énergies nouvelles, sur lesquelles nous devons miser massivement si nous ne voulons pas, une nouvelle fois, être distancés par l’Allemagne, l’Espagne, la Chine et les États-Unis.

Je pense aussi, dans le domaine du textile, au soutien que nous pourrions apporter à ce que l’on appelle les tissus intelligents.

Je pense aussi à de grands projets d’infrastructures européens, notamment en matière ferroviaire, pour structurer le continent et favoriser le ferroutage.

Ainsi l’Europe des projets succédera-t-elle à l’Europe du rejet, en se projetant de nouveau dans l’avenir.

Et, bien sûr, il faut une gouvernance publique adaptée pour piloter les politiques industrielles, comme l’a notamment souligné notre collègue Philippe Leroy.

C’est bien pour cela, et non par idéologie ou par conservatisme, que nous plaidons pour un « acte III » de la décentralisation, en lieu et place de la réforme territoriale que vous avez voulue – je sais que le rapporteur était un peu réticent – et qui compliquera un peu plus encore le rôle des régions en matière de pilotage économique.

C’est cette gouvernance décentralisée, qui dote les collectivités des bons outils pour structurer les filières et investir dans les secteurs stratégiques, qui fait la force de l’Allemagne, beaucoup plus qu’un coût de la main-d’œuvre prétendument inférieur.

Et c’est pour cela que le projet socialiste prévoit « une nouvelle politique industrielle », avec une banque publique et des fonds régionaux d’investissement ainsi qu’une attention toute particulière prêtée à nos PME.

Mes chers collègues, ce débat au Sénat vient conclure provisoirement les travaux de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires.

Dans les mois qui viennent, la Haute Assemblée devra continuer à jouer tout son rôle sur ce dossier essentiel, parce que nous sommes la chambre haute du Parlement, et qu’il nous appartient, à ce titre, en tant qu’assemblée politique, de nous faire l’écho des préoccupations de nos concitoyens ; parce que nous sommes les représentants des collectivités territoriales et que, sans elles, sans leur concours, sans une réelle confiance placée dans les territoires de notre République, aucune ambition ne dépassera le stade des vœux pieux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, comme ceux qui m’ont précédé à cette tribune, à saluer le travail accompli par la mission commune d’information sous l’égide de son président et de son rapporteur. Quand je n’ai pas pu être présent, j’ai lu avec beaucoup d’attention les comptes rendus des différents déplacements. J’espère que cette discussion nous permettra de mesurer les enjeux pour notre pays d’une véritable politique industrielle.

Parmi les variables explicatives des carences dont souffre notre économie en matière industrielle, nous souhaitons insister sur le sous-investissement structurel, qui est, selon nous, le facteur crucial.

Monsieur le rapporteur, vous privilégiez dans votre analyse une lecture comptable du coût et de la durée du travail, lecture qui est d’ailleurs fausse si l’on compare la situation de notre pays à celle de l’Allemagne. Je regrette que vous n’ayez pu participer au déplacement à Stuttgart, car vous auriez alors entendu les propos de différents dirigeants, et non des moindres, de grandes entreprises de ce land remarquable et compris ce qu’il en était du coût et de la durée du travail.

Comme nous ne pouvons prendre le sillage de la formidable dynamique chinoise, nous ne pourrons pas non plus plagier le modèle mercantiliste allemand, qui ne manquera pas, à terme, de s’essouffler.

La comparaison des taux de croissance de nos deux pays sur les dix dernières années montre que l’Allemagne a connu une croissance moyenne de 0,8 % quand la France faisait 1,5 %. Or, c’est à partir de 2006 – une date que l’on peut situer sur l’échiquier politique – que les courbes se sont croisées et que la France a connu une véritable rupture industrielle. Tout dépend donc de notre capacité à nous positionner face au défi des « ruptures technologiques » : ce sera seulement à cette condition que notre économie pourra s’inscrire dans la stratégie de Lisbonne de l’économie de la connaissance.

Cela suppose que notre appareil industriel acquière les aptitudes visant à intégrer des innovations technologiques radicales, des technologies profondément différentes des technologies précédemment dominantes et pouvant bouleverser les usages et les marchés.

Cela suppose également que l’on cible des secteurs-clefs sur lesquels nous devons faire porter nos efforts en matière de politique industrielle parce qu’ils sont susceptibles de tirer notre économie vers le haut.

Cela a été évoqué, les éco-industries doivent permettre de faire évoluer le mix énergétique, tout en permettant de conserver – j’insiste sur ce point – l’objectif d’indépendance énergétique et le gain de compétitivité du prix de notre énergie. Car il ne peut exister de politique industrielle sans politique énergétique.

Or, vous le savez, l’État se défait aujourd’hui de ses leviers d’action, en particulier dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, et ferme le champ des actions envisageables, et ce alors même que les circonstances actuelles – je pense au Japon – et l’ambition industrielle plaident en faveur d’une stratégie inverse.

Vous agissez à contresens de l’Histoire, voire au mépris du bon sens, sinon à contretemps.

Les biotechnologies, les nanotechnologies, la biologie de synthèse sont autant de secteurs où nous sommes aujourd’hui en mesure de prendre l’ascendant pour peu que les bonnes décisions politiques soient prises.

Ainsi, la biologie de synthèse permet de déboucher sur la conception de systèmes biologiques artificiels dont la progression des connaissances doit rapidement se concrétiser par des applications industrielles à haute valeur ajoutée dans les domaines de l’informatique, de la santé, de l’environnement, voire du photovoltaïque.

Il est inutile de vous rappeler qu’il s’agit d’un enjeu industriel majeur dont nous ne pouvons faire l’économie. Nous sommes ici à la lisière de la recherche fondamentale et de l’innovation. Cela suppose que nous investissions fortement dans les nanotechnologies, la chimie du vivant et, de manière plus générale, dans les sciences de la vie et de l’information.

En effet, que ce soit par une stratégie sectorielle ou par des stratégies fondées sur l’incitation à l’innovation – le fameux crédit d’impôt recherche –, la France doit se mettre en capacité d’intégrer les ruptures technologiques.

Le secteur de l’énergie photovoltaïque est emblématique de notre incapacité à absorber ces ruptures. Je ne reviendrai pas sur la situation décrite à l’instant par Jean-Pierre Bel et sur l’aveu d’échec que représente le moratoire de la filière photovoltaïque. Vous avez en fait constitué une « bulle » autour du photovoltaïque – même EDF s’y est mis ! Pis, le bilan carbone des matériels importés, majoritairement de Chine, s’est révélé négatif.

Cet exemple traduit l’échec d’une filière dans laquelle nous pourrions jouer un rôle leader – vous le savez très bien, nous avons des potentiels de développement aussi bien au CEA qu’au MINATEC de Grenoble –, mais démontre surtout l’incapacité de notre pays à mettre en œuvre une stratégie gagnante, même lorsque nous possédons des atouts et des potentiels.

La France a tenté de se doter d’un des systèmes les plus favorables au monde avec le CIR, lancé par le gouvernement de Lionel Jospin et réformé en 2008. Mais de nombreux rapports ont montré les déséquilibres et les dérives dont souffre ce dispositif ; nous les avons largement évoqués en commission.

Je regrette que nous n’ayons pas été suivis par nos collègues lors de la discussion de la loi de finances, alors qu’un amendement aurait pu faire évoluer les taux du CIR pour les PME innovantes. Il ne suffit pas de vanter ici à tout propos l’innovation, il faut aussi donner les moyens aux jeunes équipes innovantes. Le dispositif devra être encore plus efficient pour favoriser l’innovation.

Enfin, l’État doit assumer ses responsabilités par une mobilisation des salariés, qui a été évoquée tout à l’heure, ce à quoi répondrait l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle. Elle aurait pour objectif – nous l’avons constaté à Stuttgart – de conserver à la fois la qualification des salariés dans les entreprises et ce potentiel de développement afin de franchir avec succès les ruptures technologiques.

Il faut donc conforter les aides directes à l’innovation, notamment octroyées par Oséo ; quant au fonds régional d’aide à l’innovation, il a déjà été évoqué.

Ce sont ces aides qui, en favorisant l’innovation dans les secteurs d’activité les plus variés, nous permettront de nous positionner au niveau mondial et parfois comme leader dans certains domaines qu’il reviendra aux responsables, notamment au Gouvernement, de sélectionner.

Mes chers collègues, c’est en allant dans cette direction que nous renouerons avec une croissance durable pour la France, à condition de nous mettre en position de compétition par rapport aux pays émergents. Ces derniers vont sauter les étapes en bénéficiant de certains acquis, ce qui pose de nouveau la question de la propriété intellectuelle, mais il s’agit d’un autre débat ! Nous devons opérer un rattrapage accéléré dans la décennie à venir : la sauvegarde de notre industrie et de notre modèle social est en jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement notre collègue Martial Bourquin, qui est à l’initiative, avec le groupe socialiste, de cette mission ; il n’a pas ménagé ses efforts pour mener à bien une entreprise qui s’est révélée tout à fait nécessaire.

Durant près d’un an, nous avons auditionné de très nombreuses personnalités, effectué de multiples déplacements, et réuni les éléments nécessaires pour afficher un diagnostic complet et sans concession de la désindustrialisation de notre pays.

L’intérêt témoigné pour notre démarche par les acteurs rencontrés et la sincérité des échanges expliquent la déception que nous avons ressentie quand nous ont été livrées les premières versions du rapport, puis son ultime mouture, pourtant sérieusement remaniée.

Notre déception s’explique par le fait que le Sénat avait l’occasion d’afficher une forme d’indépendance par rapport au pouvoir en place, mais qu’il n’a pas voulu ou pas su saisir cette occasion opportune.

Il s’agit d’un acte manqué, la majorité ayant choisi de travailler sous la tutelle du Gouvernement, dans la continuité des conclusions affichées à l’occasion des états généraux de l’industrie. J’en veux pour preuve cette forme d’allégeance que constitue la justification plus que poussive de la suppression de la taxe professionnelle.

M. le rapporteur a expliqué les avantages supposés pour les entreprises de la suppression de cette taxe. Je voudrais, en ce qui me concerne, évoquer l’autre côté du miroir, celui qui intéresse les collectivités territoriales.

Avec cette réforme, le Gouvernement ignore, ou feint d’ignorer, le rôle central des collectivités locales pour l’attractivité et l’essor économique des territoires. Personne ne peut le nier, l’affaiblissement de leur lien fiscal avec les entreprises scelle la dévitalisation programmée des territoires.

Le rapport de la mission comporte dix-sept propositions dont la plupart ne sont pas à écarter, mais elles s’apparentent trop à des mesures techniques qui, par définition, font l’impasse sur l’enjeu politique de ce dossier. C’est là que se dévoile, sans surprise, le clivage qui sépare encore et toujours la gauche de la droite, ici comme ailleurs.

À travers ces propositions, le rôle joué par le crédit d’impôt recherche, le Fonds stratégique d’investissement, Oséo, les pôles de compétitivité, le grand emprunt et la Caisse des dépôts et consignations est central : voilà autant de structures et d’outils dans lesquels l’État et les collectivités territoriales sont parties prenantes et qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler la « puissance publique ».

Cette puissance publique est trop souvent reléguée au second plan et cantonnée, dans le pire des cas, dans le rôle de bailleur de fonds, d’aménageur ou de simple prestataire de services. Nous ne pouvons pas accepter pour elle ce rôle réducteur, déconnecté de choix politiques faits en amont.

Parce que nous préférons la compétitivité-innovation et la bonne performance à la compétitivité low cost et à l’hyper-concurrence, il est évident pour nous que la réindustrialisation de notre pays exige une nouvelle forme d’intervention renforcée de cette puissance publique pour anticiper, coordonner et impulser.

Dans un autre registre, nous pensons que le rôle de l’État comme actionnaire des grandes entreprises doit être mieux affirmé : il doit pouvoir parler haut et fort par l’intermédiaire de ses représentants quand cela est nécessaire. Je pense notamment aux secteurs industriels dont la stratégie relève de l’intérêt national, comme EADS. Ses succès commerciaux actuels sont les bienvenus, mais ils ne sauraient nous faire oublier les errements d’un passé pas si lointain, marqué par le plan Power 8. Les aléas de l’aéronautique, comme d’autres secteurs, justifient des interventions à caractère anticipateur plutôt que réparateur.

En évoquant l’anticipation, que dire au passage de la tentation avouée, sans plus de précisions, par Lagardère de se défaire de ses 7,5 % du capital de l’entreprise où il est pourtant le partenaire privilégié de l’État à travers la Sogeade, la Société de gestion de l’aéronautique, de la défense et de l’espace ?

Pour revenir au rôle de l’État dans le secteur aéronautique, la structuration en filières est indispensable : elle est, semble-t-il, à l’ordre du jour. Le Gouvernement a créé à cet effet les fameux comités stratégiques de filières. Au moment où l’émergence d’un champion français en matière d’aérostructures autour d’Aerolia, de Latécoère, de Daher-Socata et de Sogerma s’impose comme une nécessité, le Gouvernement nous apporte des réponses minimalistes : selon lui, il appartient aux industriels de faire le nécessaire, à la suite de quoi l’État envisagerait d’accompagner et, éventuellement, d’aider par le biais du Fonds stratégique d’investissement. Autrement dit, l’État fait sienne la devise : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! », ce qui relativise singulièrement l’utilité du comité stratégique de filière !

Notre travail démontre pourtant le caractère indispensable de l’intervention de l’État pour affronter les problèmes structurels et conjoncturels rencontrés par l’industrie, en redonnant d’abord aux choix politiques en amont toute leur dimension.

Dans un tel contexte, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est impossible que les membres du groupe socialiste votent ce rapport : notre assemblée a manqué une occasion de mettre sa force de proposition au service d’une politique de réindustrialisation dont notre pays a pourtant bien besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)