M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission commune d’information. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sachant combien l’avenir de nos industries dans nos territoires est important pour l’ensemble des élus, je considère comme un honneur d’avoir été rapporteur de cette mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, même si je préfère pour ma part parler de la « réindustrialisation » des territoires.
Il faut se réjouir que nous ayons fait ce travail dans le cadre d’une mission pluraliste, constituée sur l’initiative du groupe socialiste dans le cadre de son « droit de tirage », mission qui regroupe l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée.
Après avoir créé voilà trente-cinq ans puis présidé une importante entreprise de taille intermédiaire française dans l’agroalimentaire, c’est avec la plus grande ouverture d’esprit, je vous l’assure, que j’ai abordé cette mission. Je l’ai fait également avec la volonté de refléter au mieux, dans le rapport, la diversité des problématiques qui ont été soulevées au cours des auditions et des déplacements, tout autant que les analyses et les points de vue exprimés par les membres de la mission.
Nous nous sommes donc entendus sur dix-sept séries de propositions que je vais vous présenter de manière synthétique. Il est toutefois nécessaire de dresser auparavant un constat de l’état de la désindustrialisation, tel que la mission en a été le témoin. Je n’éviterai pas non plus les points, finalement assez limités, sur lesquels le rapport a dû constater un désaccord parmi les membres de la mission.
Le constat, il faut bien le reconnaître, est celui d’un déclin progressif de l’industrie dans l’économie française. L’industrie a perdu 36 % de ses effectifs entre 1980 et 2007, soit 1,9 million d’emplois ou encore 71 000 emplois par an.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Un quart d’entre eux correspond toutefois à un transfert vers des entreprises de services. Dans le même temps, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée est passée, en France, de 24 % en 1980 à moins de 14 % en 2008.
Peut-on se passer d’une économie industrielle, et faut-il s’engager résolument sur la voie d’une économie de services ?
À cette question, nous avons été unanimes à répondre « non » : la France a besoin d’une industrie forte, qui est source de maintien d’activités dans les territoires, qui encourage la recherche et l’innovation, qui apporte des investissements sur le territoire national et contribue à l’amélioration de la balance commerciale.
Il n’y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Nos voisins allemands, qui consacrent toujours 30 % de leur économie à l’industrie, nous montrent la voie. Les résultats sont probants : la balance du commerce extérieur de l’Allemagne est excédentaire de plus de 150 milliards d’euros en 2010, alors que celle de la France affiche un déficit de 50 milliards d’euros, soit 200 milliards d’euros d’écart ! Pourquoi se passerait-on d’une telle concurrence ?
Pour autant, notre situation est diverse selon les territoires et selon les secteurs. Ainsi est-il nécessaire de passer à la vitesse supérieure sur les industries vertes, qui remplissent un double objectif, à la fois environnemental et économique. L’éolien, le photovoltaïque, la chimie verte, les biomatériaux, les nouvelles énergies, les agrocarburants, la filière bois, notre mission a insisté sur le potentiel que représentent toutes ces filières innovantes et porteuses d’emplois.
Je crois notamment à l’important avenir des industries agroalimentaires, pour lesquelles la France dispose d’atouts particuliers. C’est la seule branche de l’industrie française qui n’a pas perdu d’emplois depuis 1980, mais il convient de prendre garde aux menaces qui pèsent sur leur avenir : leur solde commercial a diminué fortement ces dernières années, passant de 7 milliards d’euros à 4,2 milliards d’euros entre 2006 et 2009, et cela même si elles représentent toujours 550 000 salariés et 14 % de la valeur ajoutée industrielle française.
Notons aussi que c’est l’un des rares secteurs industriels à bien irriguer nos territoires ruraux et à assurer le débouché des productions agricoles.
Nous avons également étudié tout particulièrement les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de la métallurgie, véritables catalyseurs du développement dans les territoires où ils sont implantés. De grands donneurs d’ordre y fédèrent des entreprises sous-traitantes qui maintiennent l’emploi et le développement local.
L’Allemagne a été un point de référence constant au cours des travaux de la mission. C’est pourquoi le rapport lui consacre une place non négligeable.
Les raisons du maintien d’une industrie forte en Allemagne ont été souvent décrites : choix stratégiques et excellente réputation des produits, structures productives favorisant la coopération entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants locaux, lien entre les entreprises et les banques, qualité de la formation, qui encourage les jeunes à travailler dans l’industrie…
Les entreprises allemandes ont une capacité d’autofinancement près de deux fois supérieure à celle des entreprises françaises : c’est un élément moteur important pour l’industrie allemande et l’une des raisons de la solidité et du fort développement des entreprises allemandes.
Il faut aussi mentionner, même si ce n’est pas la seule raison, les coûts de production. Sur ce point, il y a eu des incompréhensions au sein de la mission, où s’est reflété le débat qui a animé la presse et les économistes ces derniers jours.
Nous ne disons pas que les produits allemands se vendent mieux parce que les salariés seraient moins bien payés. Au contraire, l’attractivité des salaires est une condition nécessaire pour attirer la jeunesse vers l’industrie.
Cependant, selon la Cour des comptes, le coût salarial horaire dans l’industrie était de 26 à 33 euros en France en 2008, et de 30 à 33 euros en Allemagne. En regardant de près, on constate que les cotisations sociales employeur, tous secteurs confondus, représentent environ 43 % du salaire en France, contre 29 % en Allemagne.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. En outre, la Cour des comptes fait observer que l’augmentation des coûts salariaux unitaires, lesquels baissaient dans le même temps en Allemagne, a affecté la compétitivité de l’industrie manufacturière française.
L’avantage de la compétitivité hors prix – la qualité, la réputation, les structures productives… – existait depuis longtemps en Allemagne. La nouveauté, depuis dix ans, c’est bien la recherche d’une réduction globale de tous les coûts, dans ce pays, pour améliorer la productivité et la rentabilité permettant l’investissement, notamment en recherche et développement.
Ce que propose la mission, c’est non pas de diminuer les salaires, mais de donner une priorité à l’industrie, créatrice de valeur, par rapport aux services.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. On pourrait redéployer vers les salariés de l’industrie les allégements et exonérations de charges prévus dans les entreprises de services, monsieur le ministre.
De même, au-delà de l’intéressement, de la participation des salariés ou du complément de rémunération dont il est actuellement question, je pense, par expérience personnelle, qu’il faudrait associer les salariés au capital de leur entreprise. C’est un facteur essentiel de cohésion sociale…
M. Charles Revet. Très bonne idée !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. … et de sentiment d’appartenance favorable à l’entreprise.
La mission a aussi exploré une voie concernant les industriels pour lesquels l’électricité constitue un coût de production majeur : il faut trouver un moyen de les autoriser à négocier des tarifs d’électricité de façon contractuelle en prenant en compte l’effacement, l’interruptibilité et la proximité de la source d’approvisionnement.
J’aborderai les autres propositions de la mission selon cinq angles d’approche : la culture industrielle, le rôle des collectivités, la coopération entre les entreprises, l’impulsion de l’État et de l’Europe, enfin le financement.
Il faut, en tout premier lieu, promouvoir une culture industrielle et réconcilier la Nation avec la science et le progrès technique.
Cela suppose d’améliorer la perception de l’industrie dans l’éducation, d’inciter plus fortement voire d’obliger les entreprises, en fonction du nombre de salariés, à accueillir des étudiants en alternance, de renforcer la présence d’industriels dans les conseils d’administration des entreprises publiques. Cette dernière disposition me paraît importante, monsieur le ministre.
Une fiscalité plus incitative doit également contribuer au dépôt et à l’exploitation des brevets. Nous plaidons aussi pour la valorisation des savoir-faire locaux grâce à la création d’indications géographiques protégées pour les produits non alimentaires.
Enfin, intensifions la recherche et l’innovation au service du développement industriel. Il faudrait pour cela moduler le taux du crédit d’impôt recherche afin de privilégier les PME et les entreprises de taille intermédiaire, et de promouvoir ainsi les activités et les produits liés au développement durable.
M. Alain Fouché. Bravo !
M. Marc Daunis. Faisons-le !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Voilà des décisions qui me paraissent très importantes ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Menons une action forte et déterminante sur les activités et les produits dans le cadre du « développement durable » en les fédérant et en les organisant – je pense notamment à la biomasse, à la méthanisation, aux bioénergies, au solaire, aux biomatériaux, à la chimie des plantes, à la bionutrition.
En deuxième lieu, j’évoquerai l’axe territorial, qui est incontournable.
Présent dans l’intitulé de la mission, il constitue la valeur ajoutée spécifique de notre assemblée, en lien direct avec les territoires, leurs élus, leurs entrepreneurs et leurs citoyens.
Nous proposons de constituer des bases de données régionales recensant les pratiques locales innovantes, ainsi que les marchés pertinents pour les entreprises locales.
De même, monsieur le ministre, créons enfin ce « guichet unique » pour les entreprises au niveau régional que les industriels attendent depuis trente ans. Simplifions les procédures administratives : il faut six mois pour créer une entreprise en France, trois jours aux États-Unis, six jours en Allemagne ! Donc, agissons !
M. Charles Revet. On le dénonce toujours, mais il faut le faire !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Accompagnons les créateurs d’entreprises, notamment les jeunes en sortie de pépinières, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
La mission suggère également de développer des « contrats de filière » entre la région et les représentants des différentes filières industrielles locales, fondés sur l’identification et l’accompagnement des filières stratégiques pour le maintien et le développement de l’emploi local.
Les collectivités territoriales ne constituent plus une simple force d’appoint à la politique industrielle nationale ; elles sont les acteurs de leur développement. Nous avons mis l’accent sur les écosystèmes industriels locaux et étudié l’impact de la fiscalité locale.
La mission a évoqué la possible modulation du taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, selon les secteurs afin de favoriser les activités présentant un risque de délocalisation. Nous avons relayé les inquiétudes des collectivités locales concernant le dynamisme à moyen terme de leurs ressources compte tenu de la suppression de la taxe professionnelle.
Toutefois, je pense que la mission n’était pas le cadre approprié pour faire un bilan général sur la taxe professionnelle, même si sa suppression représente – ne l’oublions pas – un avantage concurrentiel important pour les entreprises.
M. Jean-Jacques Mirassou. Et pour les collectivités locales ?
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Un tel débat aurait davantage sa place en d’autres lieux.
Cet impôt, qui était très pénalisant pour l’industrie, a été réformé et une clause de revoyure a été fixée. Il convient à présent de poursuivre le réglage fin du dispositif en tenant compte des situations rencontrées sur le terrain et en veillant notamment aux modalités de mise en place d’un mécanisme de péréquation à destination des communes et des EPCI à fiscalité propre. Il y a en effet un problème de ce point de vue.
En troisième lieu, il est important de renforcer la coopération entre les entreprises.
Chacun reconnaît l’importance des pôles de compétitivité : ils devraient souvent s’engager dans une logique plus opérationnelle et mieux coopérer au niveau interrégional. Leur visibilité internationale n’est pas non plus suffisante. Donnons-leur les moyens de leur réussite.
Parlons dorénavant d’internationalisation des activités et non plus d’exportations. N’oublions pas non plus les pôles d’excellence rurale, chers à notre collègue Raymond Vall. N’y a-t-il pas lieu, en s’appuyant sur le travail de nos collègues Marc Daunis et Michel Houel sur les pôles de compétitivité, travail auquel j’ai participé, d’établir dans les territoires des liens plus étroits entre les pôles de compétitivité et les pôles d’excellence rurale ? Cela serait, j’en suis sûr, une action importante.
M. Jacques Blanc. Tout à fait ! Bravo !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Il faut également intensifier les échanges entre les donneurs d’ordre et le tissu économique local.
Nous proposons d’améliorer l’accompagnement à l’export des entreprises, notamment des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Pour cela, Ubifrance doit mieux s’appuyer sur les dispositifs régionaux et locaux, ainsi que sur Oséo.
Ne pourrait-on pas mettre en place un dispositif d’accompagnement des entreprises souhaitant s’implanter à l’étranger ?
M. Charles Revet. C’est tout à fait indispensable !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Un tel dispositif, qui n’existe pas aujourd'hui, comprendrait une aide financière et un soutien logistique des services consulaires pour les études de prospection.
De même, dans le secteur agroalimentaire, ne conviendrait-il pas d’accompagner nos entreprises en délocalisant le Salon international de l’alimentation, le SIAL, vers la Russie, la Chine, le Japon, les États-Unis ou le Brésil, au lieu de favoriser sur notre sol la concurrence étrangère en lui facilitant l’accès aux marchés par la centralisation de notre distribution ? Songez ainsi que quatre acheteurs représentent 80 % de la distribution en France !
Nous aidons les entreprises étrangères, alors que nous devrions être de véritables conquistadors.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. En quatrième lieu, l’engagement de l’État est fondamental.
Dans certains territoires que je connais bien, c’est l’État lui-même qui, dans le passé, a su engager une dynamique industrielle à l’origine de quelques-uns de nos champions nationaux, en particulier dans le secteur de l’aéronautique.
Certes, l’époque des grands projets mobilisateurs semble révolue. L’État doit néanmoins jouer un rôle d’accompagnement, en partenariat avec les collectivités territoriales. Il faut ainsi renforcer la promotion du site « France » en améliorant l’information et l’accompagnement des investisseurs étrangers, en favorisant la lisibilité des aides publiques, notamment européennes, à l’échelon régional. L’État doit aussi centrer la stratégie de promotion du « fabriqué en France » sur les produits à forte identité.
Toutefois, si nous devons être plus incitatifs en termes d’aides publiques, celles-ci doivent être obligatoirement subordonnées au développement « in situ ». À défaut, le remboursement intégral sera prévu comme obligation contractuelle. N’attribuons plus de subventions à des chasseurs de primes qui quittent ensuite le territoire français, que les entreprises concernées soient françaises ou étrangères.
En matière de marchés publics, nous ne pouvons que relayer le constat qui a été fait par de nombreux intervenants : le respect des règles européennes ne doit pas nous conduire à ouvrir grand les vannes de nos marchés alors que, dans certains pays – je pense à l’Allemagne –, des règles non écrites restreignent de fait l’activité des entreprises françaises non résidentes.
Nous devons mieux défendre les atouts de l’industrie française dans les marchés publics. Pour cela, il faut ouvrir davantage les marchés publics vers les PME, favoriser l’application systématique du principe de réciprocité et mieux prendre en compte la dimension écologique dans les échanges commerciaux.
L’impulsion européenne est incontournable dans la définition d’une politique industrielle.
Je pense, même si ce point a déjà été débattu, que la France doit mieux faire porter sa voix à Bruxelles. Il n’est pas normal que nous soyons parfois les derniers informés d’un projet d’évolution des réglementations sectorielles. Je propose, par exemple, que les fonctionnaires qui représentent la France à l’échelon européen aient l’obligation d’effectuer des stages dans des entreprises françaises et d’être en contact permanent avec les branches professionnelles, comme c’est le cas en Allemagne et en Italie, mais pas en France.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Le handicap monétaire que constitue l’euro fort est un défi particulier pour les entreprises exportatrices. Elles doivent en effet lutter contre des concurrents qui produisent dans la zone dollar. À cet égard, nous devons introduire la compétitivité parmi les objectifs de la politique monétaire de la zone euro.
Une harmonisation nous paraît également indispensable en matière de fiscalité, notamment en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, entre la France et l’Allemagne. N’oubliez pas, mes chers collègues, que Gerhard Schröder a abaissé voilà dix ans de 45 % à 25 % le taux de l’impôt sur les sociétés. De même, l’instauration d’une taxe carbone ne peut être envisagée que si elle est mise en place en même temps dans tous les pays européens.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. En cinquième et dernier lieu, j’évoquerai la question du financement.
La mission souhaite privilégier l’orientation de l’épargne vers l’industrie, donc vers le risque. J’espère que la réforme fiscale annoncée ne conduira pas une nouvelle fois à pénaliser ceux qui prennent des risques.
Nous proposons, par exemple, de ne pas appliquer aux prêts de trésorerie consentis aux entreprises industrielles l’augmentation des taux de refinancement des banques.
Il faut également développer les dispositifs innovants de financement – le capital-risque et le capital-développement – à l’échelon régional. C’est un point auquel, à titre personnel, je tiens tout particulièrement. La mission propose également de supprimer la notion de plafonnement des prêts en fonction des fonds propres.
Le Fonds stratégique d’investissement, monsieur le ministre, devrait mieux orienter ses interventions vers l’industrie, notamment vers les entreprises de taille intermédiaire. D’une manière générale, il faut privilégier l’orientation de l’épargne vers l’industrie et favoriser l’investissement en fonds propres dans les entreprises par un cadre financier et fiscal adapté.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre de notre mission péchait peut-être par pessimisme. Au lieu de nous lamenter sur la désindustrialisation, il nous a paru préférable, dès lors que le constat était établi, de consacrer tous nos efforts à l’élaboration de remèdes. C’est pourquoi j’ai souhaité que le titre du rapport mette en avant l’attitude volontariste qui doit être la nôtre dans un objectif de réindustrialisation de nos territoires. C’est l’objet essentiel de notre rapport, et c’est la raison pour laquelle, malgré certains désaccords sur l’analyse, nous nous sommes retrouvés, dans l’ensemble, sur les propositions qui y sont formulées.
« L’avenir appartient à ceux qui sont à même d’apporter aux autres des raisons de vivre et d’espérer ». Réindustrialisons nos territoires. Il n’y a pas, monsieur le ministre, une minute à perdre. Agissons ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe Union centriste, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, 10 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 8 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 3 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme des onze mois au cours desquels se sont déroulés ses travaux, la mission est en mesure de présenter aujourd’hui un diagnostic précis et argumenté sur la désindustrialisation.
En effet, en dix ans, le secteur a perdu plus de 500 000 emplois, pertes que l’on a essayé d’enrayer par une intervention renforcée de l’État et des collectivités territoriales. Entre 2008 et 2009, en Lorraine, le secteur industriel a représenté 20 % des baisses d’emploi.
Nous constatons que c’est bien l’Asie, et notamment la Chine, qui est aujourd’hui l’usine du monde, elle qui dispose par ailleurs d’un marché en pleine expansion.
Pour autant, l’Europe n’est pas mise au ban de l’industrie mondiale, comme le montre l’exemple de l’Allemagne. Ce pays a réussi à maintenir un tissu industriel fort, reposant sur l’excellence de ses formations, la valeur ajoutée de ses produits à forte dimension technologique, dans la chimie comme dans l’électronique, par exemple. La Chine jouit d’une réelle culture industrielle et peut compter sur un réseau dense de PME de taille critique pour exporter.
L’industrie française a bien sûr, elle aussi, ses fleurons dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’aéronautique par exemple, mais son réseau industriel manque peut-être de diversité et d’efficacité, du fait du nombre insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire, capables, elles, d’exporter sur les marchés dynamiques.
Ce sont avant tout nos petites entreprises sous-traitantes de grands groupes industriels, étrangers parfois, qui sont les plus exposées à la désindustrialisation et en faveur desquelles il faut axer nos efforts.
En outre, dans notre pays, l’État, monsieur le ministre, n’est pas un bon industriel. On ne lui demande pas de l’être, d’ailleurs ; on attend seulement de lui qu’il crée les conditions permettant aux industries de grandir.
Pour cela, il faut des politiques publiques stables et non des campagnes de communication au cours desquelles on promet à tort que l’État empêchera la fermeture, pourtant inéluctable, d’un site, comme ce fut le cas d’Arcelor-Mittal en Lorraine.
Le Gouvernement aurait les moyens d’activer des leviers pour favoriser l’environnement industriel. À la place, il met en place des dispositifs d’aides directes non durables, fortement administrés et lourds, entraînant des effets d’aubaine qui les rendent moins efficients.
Ayant moi-même créé une toute petite entreprise dans l’hôtellerie-restauration, j’ai eu l’occasion, avant même l’ouverture de mon établissement, de mesurer le poids des difficultés administratives et financières. J’ai un peu regretté d’avoir choisi de rester dans mon village : si je m’étais installé quinze kilomètres plus loin, en Belgique ou au Luxembourg, j’aurais probablement été accueilli différemment et j’aurais peut-être eu la possibilité d’aller plus vite plus loin.
Par ailleurs, je constate que l’on a raboté cette année le taux du crédit d’impôt recherche de 75 % à 50 % ; il est prévu de le réduire à 25 % l’année prochaine. Comment peut-on soutenir l’innovation alors que, en quatre ans, les dispositifs fiscaux en faveur des industries innovantes ont été supprimés ou que les conditions d’éligibilité sont sans cesse plus restrictives ?
L’interventionnisme direct dans l’entreprise par le biais de subventions et le centralisme en France ne sont pas des leviers efficaces pour soutenir l’industrie. Il vaut mieux, à l’instar de ce que fait l’Allemagne, favoriser les conditions d’un développement réussi des entreprises en soutenant la recherche et en favorisant une culture industrielle, via l’apprentissage et l’harmonisation européenne en matière de dépôt de brevets.
En revanche, toutes les propositions – des vœux pieux ! – visant à renforcer les moyens des structures administratives existantes ou à favoriser l’interventionnisme de l’État dans l’entreprise elle-même me semblent vaines, car elles sont inadaptées aux attentes des entreprises de taille intermédiaire.
En outre, il nous faut renforcer l’ancrage territorial de nos entreprises. Les pôles de compétitivité, et parfois même les pôles d’excellence rurale, constituent à ce titre un instrument efficace et pertinent. Les entreprises, complémentaires les unes des autres, se constituent naturellement en réseau, essaiment sur le territoire et permettent le dialogue interentreprises. Pour ma part, je ne crois plus à l’efficacité, par exemple, des services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE.
L’ancrage territorial de nos entreprises passera par une responsabilisation sociétale de ces mêmes entreprises, telle qu’elle est prévue dans la norme ISO 26000 : engagement de formation des salariés, maillage du territoire, accords de méthode, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, revitalisation économique des territoires par anticipation, c'est-à-dire avant qu’un site ne procède à un plan social.
Plutôt que de dépêcher à la hâte des commissaires à la réindustrialisation, pompiers souvent sans lances à incendie pour éteindre le feu de la désindustrialisation, il nous faut anticiper et inciter les entreprises à prendre des mesures, afin de permettre à la France de se réindustrialiser, comme l’a dit M. le rapporteur, et de retrouver son rang à l’échelon mondial.
Parmi les difficultés que rencontre notre pays, ne perdons pas de vue le coût horaire de la main-d’œuvre française, dû partiellement à l’excellente protection sociale dont nous bénéficions, mais aussi, il faut le rappeler, aux effets des 35 heures (Protestations sur les travées du groupe socialiste), qui nous placent au plus bas dans la compétitivité industrielle mondiale.
Chers collègues socialistes, mes propos vous déplaisent ? J’en ai entendu bien d’autres tout à l’heure que je désapprouvais tout autant, mais j’ai eu, moi, la courtoisie de vous écouter !
Dans notre pays, les entreprises n’ont pas intérêt à avoir besoin d’un dépannage urgent entre le jeudi soir et le mardi matin. Le « stock zéro » de pièces détachées, qui est devenu la règle, rend impossible tout dépannage avant le mardi, à condition toutefois qu’il n’y ait pas de perturbation dans les transports !
Si je fais cette remarque, c’est parce que j’observe que nombre d’entreprises de mon département frontalier se tournent hors de nos frontières pour s’approvisionner, voire pour s’équiper.
Si toutes les entreprises implantées dans des zones situées à moins de 100 kilomètres de la frontière faisaient de même, c’est le tiers de notre production nationale qui serait abandonné au profit de nos voisins directs, par exemple les Allemands, les Belges, les Espagnols ou, pourquoi pas ?, les Italiens.
Cela concerne les équipements, le dépannage, mais également – j’ai eu l’occasion de le constater personnellement – les travaux lancés et orchestrés par nos collectivités territoriales.
Les fuites de capitaux, dont nous parlons parfois en France, limitent fortement nos capacités d’investissement et paralysent la consommation. Mais elles ne concernent pas seulement les grandes fortunes. Il y a aussi une multitude de petits porteurs qui franchissent nos frontières, et on n’en parle pas suffisamment.
Je ne suis donc pas de ceux qui pensent que l’État doit toujours faire plus et qu’il faut toujours en rajouter. Je rêve simplement de voir l’État français éviter toutes ces erreurs de stratégie et prendre les mesures administratives pour permettre à chaque Française et Français de retrouver l’instinct de nationalisme positif, afin d’aider et de participer au renouveau économique dont notre pays a besoin.
Pour cela, il faut redonner le goût au travail et l’espoir du lendemain, non pas par des promesses, mais par des actions simples permettant une relance avant tout psychologique, préalable nécessaire à la réindustrialisation de notre pays.
La mission d’information a bien pointé du doigt les anomalies et difficultés dont souffre l’économie française. Nous devons à présent être plus inventifs sur les actions à mener, en nous situant plus en amont qu’à l’accoutumée et au plus proche de l’entreprise et du territoire, de préférence sans politiser le débat.
Nous devons faire preuve de courage pour prendre les bonnes mesures et démontrer notre volonté de nous unir sur toutes les travées de cette assemblée, et même au-delà, afin de mettre les bonnes idées en application, avec l’envie de réussir et de servir l’entreprise et le territoire ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)