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Panneaux d'agglomération en langue régionale
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale.
Dans la discussion de l’article unique, nous en sommes parvenus à la présentation des amendements.
Article unique (suite)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par Mme Mélot, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération apposés en langue française sur la voie publique peuvent être complétés du nom de cette agglomération en langue régionale. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Nous proposons, à travers cet amendement, deux améliorations rédactionnelles.
Il s’agit tout d’abord de préciser le champ d’application afin qu’il corresponde bien à l’intitulé de la proposition de loi. Le terme de « panneaux » est trop flou, et doit être remplacé par « panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération ».
Ensuite, la mention d’une « traduction en langue régionale » est erronée, puisque c’est le nom en langue française qui est une traduction ou une adaptation, et non l’inverse. Il s’agit ici de valoriser le patrimoine de la France en permettant l’inscription dans une langue régionale ayant un fondement historique.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Alduy, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
de la traduction de ce nom
par les mots :
du nom de cette agglomération
L’amendement n° 1, présenté par M. Alduy, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
en respectant les mêmes normes
La parole est à M. Jean-Paul Alduy, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean-Paul Alduy. Je considère qu’ils sont satisfaits par l’amendement de la commission, et je les retire donc.
M. le président. Les amendements nos 2 et 1 sont retirés.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 3 ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Bien évidemment, l’avis du Gouvernement est favorable. En effet, cet amendement clarifie encore le principe et l’objet du texte, en précisant deux points qui avaient d’ailleurs été évoqués lors de la discussion générale.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je pensais vraiment que la rédaction de l’article unique de notre proposition de loi était suffisamment précise pour que l’on ne confonde pas les panneaux portant le nom de l’agglomération, installés par conséquent à l’entrée et à la sortie de celle-ci, avec des panneaux publicitaires qui mentionneraient ce même nom, par exemple, ou divers panneaux directionnels.
Cela dit, je veux bien admettre que ma rédaction puisse laisser planer un doute. En ce cas, précisons le texte afin de lever toute ambiguïté ! J’ai d’ailleurs, me semble-t-il, beaucoup insisté, durant ce débat, sur le fait que la loi devait être précise et ne pas prêter à des interprétations divergentes.
Quant à supprimer le terme « traduction », pourquoi pas ? L’objectif étant de préserver notre patrimoine, cela implique que le nom en langue régionale ait un fondement historique.
Par conséquent, nous voterons l’amendement de la commission.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote.
M. Paul Blanc. L’amendement présenté par notre collègue Colette Mélot permet de clarifier utilement les choses. En effet, voilà quelque temps, un tribunal administratif a annulé la délibération d’une municipalité sur la mise en place de panneaux signalétiques indiquant le nom de l’agglomération en langue régionale. L’adoption de cet amendement permettra d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Ce matin, la commission a adopté à l’unanimité l’amendement qu’a déposé Mme le rapporteur. Dans un souci de sécurité juridique, il me paraît nécessaire de l’adopter maintenant en séance publique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Avant de mettre aux voix l’article unique de la proposition de loi, je donne la parole à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je pense très sincèrement que le Sénat a fait du bon travail…
M. Paul Blanc. Comme d’habitude !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je souhaite le remercier par avance de son vote, dont je pressens qu’il sera favorable ! (Sourires.)
Cette proposition de loi, ainsi amendée, devrait donc permettre d’éviter la multiplication des contentieux. Oui, madame le rapporteur, ce texte sera utile pour asseoir la pratique consistant, pour les communes qui le souhaitent, à installer des panneaux bilingues d’entrée et de sortie d’agglomération. Il était surtout nécessaire, pour les raisons que nous avons longuement exposées lors de la discussion générale.
L’adoption de ce texte rassurera les élus et les populations des communes qui veulent permettre aux langues régionales d’être présentes dans l’espace public.
Nous espérons que l’Assemblée nationale se saisira de cette proposition de loi dans les meilleurs délais, afin de conforter l’ouverture culturelle aux langues originelles des différentes régions. Un pas de plus pourrait ainsi être effectué, sur l’initiative du Sénat, vers ce statut juridique des langues régionales qu’il importe de mettre en place.
Je remercie la commission, Mme le rapporteur et M. le ministre de leur soutien ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun d’entre vous connaît mon attachement à la langue française et la part que j’ai pu prendre à de précédents débats sur les langues, en particulier en tant que rapporteur de la loi relative à l’emploi de la langue française, dite « loi Toubon ».
Je crois que nous avons bien progressé depuis cette époque, où régnait encore un climat d’opposition et de suspicion entre défenseurs de la langue nationale et promoteurs des langues régionales. La démonstration a été faite aujourd’hui que les langues régionales ne sont pas les ennemies de la langue française. Nous le savons bien, la langue française et les langues régionales peuvent parfaitement coexister, parce que celles-ci sont l’expression orale de notre culture dans sa diversité et des pensées des populations qui ont construit notre pays.
Ce débat portait sans doute sur un objet très précis, presque administratif, mais il est révélateur de cette prise de conscience. Le grand mouvement qui pourrait menacer l’expression des identités, c’est la mondialisation. Nous menons tous un combat contre l’utilisation d’une langue unique, qui représenterait pour l’humanité une perte de richesse sans précédent. Nous entendons que soit respectée l’expression de la pensée des hommes et des femmes qui peuplent notre territoire. Il était bon de le souligner aujourd’hui ! (Applaudissements.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Et l’esperanto ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi, modifié.
8
Bilan et avenir de l’Union pour la Méditerranée
Discussion d’une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 4 de Mme Bariza Khiari à Mme la ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, relative au bilan et à l’avenir de l’Union pour la Méditerranée.
Cette question est ainsi libellée :
« Mme Bariza Khiari interroge Mme la ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes sur le bilan et l’avenir de l’Union pour la Méditerranée.
« Elle rappelle que l’UPM fut une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, un engagement présidentiel et surtout une priorité dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. Bien que le périmètre et le fonctionnement de l’UPM, tels qu’établis le 13 juillet 2008 soient fort éloignés du projet présidentiel initial, Mme Bariza Khiari et le groupe socialiste du Sénat souhaitent savoir ce que la France propose, en sa qualité de co-présidente de cette institution intergouvernementale, pour sortir ce projet de l’ornière.
« Depuis janvier 2009, les sommets de l’UPM sont suspendus à la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Les raisons de l’enlisement actuel sont donc identiques à celles qui entravaient le processus de Barcelone, initié en 1995.
« Au niveau européen, l’absence d’ambition et de vision commune dans la résolution des conflits régionaux de la rive sud – Sahara occidental, conflit chypriote, conflit israélo-palestinien – obère les possibilités d’avancement de ce projet.
« Au niveau national, elle rappelle les liens consubstantiels de notre nation avec le Maghreb et souligne l’émotion et l’inquiétude de nombreux de nos concitoyens de toute origine, attachés au devenir de cette région. C’est pourquoi elle regrette le long silence des autorités françaises concernant la répression de la société civile au Maghreb.
« Le silence des autorités françaises, à l’instar des tergiversations européennes, contribuent à décrédibiliser notre parole et nos principes auprès de nos partenaires de la rive sud.
« Enfin, elle s’interroge sur le grand écart entre les discours fondateurs et la réalité d’une institution fantôme. C’est pourquoi elle souhaiterait connaître la date d’installation opérationnelle du secrétariat international de l’UPM, la définition de son statut juridique, l’état d’avancement des projets sectoriels, ainsi que la gouvernance prévue pour les coprésidences.
« Par ailleurs, dans ces circonstances d’enlisement de l’Union pour la Méditerranée, elle souhaiterait savoir si la France, en sa qualité de co-présidente, entend promouvoir un nouvel agenda permettant de réellement relancer ce processus. »
La parole est à Mme Bariza Khiari, auteur de la question.
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette question sur l’avenir de l’Union pour la Méditerranée, l’UPM, s’inscrit dans un contexte international inattendu.
En décembre dernier, les chancelleries se demandaient s’il serait possible de réunir le sommet de l’UPM en avril prochain. Aujourd’hui, cette question est caduque, et nous devons tirer parti de ce vide institutionnel pour réfléchir aux principes qui pourraient nous permettre de refonder un véritable projet global méditerranéen.
Il s’agit d’une question sensible pour les Français : nous avons un lien affectif avec les pays du Maghreb et du Machrek, lié à l’histoire ancienne et récente, sans compter qu’une part importante de nos concitoyens ont des liens personnels avec la rive sud de la Méditerranée. Cet intérêt pour la Méditerranée a des ressorts complexes et ambigus : au-delà même de la référence à la latinité et à l’économie-monde de Fernand Braudel, l’imaginaire méditerranéen se nourrit de l’orientalisme, mais aussi de la fascination française pour le nationalisme arabe, qui a été le principal vecteur de la décolonisation.
Dans le temps qui m’est imparti, j’aimerais revenir sur le paradoxe méditerranéen, le projet politique de l’Union pour la Méditerranée et, enfin, les contradictions de la politique méditerranéenne de la France et de l’Europe.
J’ai eu l’honneur d’être élue vice-présidente de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, l’APM. Cette assemblée réunit les parlementaires nationaux des pays riverains de la Méditerranée, y compris palestiniens et israéliens. C’est donc de l’intérieur que j’observe le paradoxe méditerranéen.
Tous les discours sur la Méditerranée empruntent au registre de l’histoire et du lyrisme ; j’y céderai brièvement, en évoquant cette citation anonyme et évolutive qui rappelle que « l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l’ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l’aventure catalane, la liberté française et l’éternité égyptienne ».
Mais ni l’histoire, ni le lyrisme, ni l’invocation répétée au Mare Nostrum ne peuvent avoir raison des antagonismes forts qui structurent les relations bilatérales, régionales et multilatérales de la région. Par ailleurs, c’est moins l’histoire que l’avenir qui doit guider notre action en la matière.
En vérité, la Méditerranée a toujours été une terre de conflits. Quoi de plus logique pour cette région qui borde trois continents, a vu naître les trois religions monothéistes, se situe à la frontière du Nord et du Sud et au confluent des cultures d’Orient et d’Occident ? Les lignes de fracture sont anciennes, elles se multiplient, se renforcent et se durcissent. Les épisodes de la décolonisation, la guerre froide et la mondialisation des échanges ont transformé cet héritage commun en anomalie politique.
En dépit de nos liens humains et historiques, en dépit de la multitude des structures de toute nature qui visent à rapprocher les rives, rien n’y fait : la Méditerranée reste, plus encore que le Rio Bravo, la frontière la plus inégalitaire au monde, en termes de niveau de vie, de PIB, d’accès à l’éducation ou à la santé. Le niveau d’investissement européen dans la région reste désespérément faible : 2 % seulement de nos investissements se font sur la rive sud de la Méditerranée. Les échanges économiques entre les deux rives sont donc très modestes et les échanges intra-régionaux sont encore à construire ; j’y reviendrai.
Le projet méditerranéen de l’Europe a été lancé par Jacques Delors en 1995, avec le processus de Barcelone, qui s’appuyait sur l’histoire, l’importance stratégique de la Méditerranée et la nécessité d’une coopération forte, à même de contribuer à la prospérité et à la stabilité. Mais la coopération méditerranéenne, dans sa dimension politique, a achoppé sur la non-résolution du conflit israélo-palestinien et d’autres conflits, dits périphériques, comme celui du Sahara occidental. Alors qu’il aurait fallu, en toute lucidité, tirer les leçons de l’échec du processus de Barcelone, la France du candidat Sarkozy a voulu, avec sa maladresse diplomatique constante, relancer le processus de coopération, dans le cadre d’une promesse de campagne aux visées plus électoralistes qu’humanistes.
Dès le lancement de l’idée, en pleine campagne présidentielle, l’accueil fut mitigé. Nos partenaires européens, en premier lieu l’Allemagne, ont vu dans ce projet une manœuvre pour donner une nouvelle impulsion à la politique arabe de la France, en en faisant financer le coût par l’Europe. La Turquie y vit quant à elle une stratégie pour lui barrer à tout jamais la route de l’adhésion à l’Union européenne. Les pays de l’Europe orientale, pour leur part, exprimèrent leur inquiétude de voir l’argent européen s’y déverser à leur détriment.
Le projet, tel que retouché de fond en comble par l’Allemagne dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, n’avait plus rien à voir avec le projet initial porté par M. Sarkozy et M. Guaino. Mais les apparences furent sauves : M. Sarkozy, en grand illusionniste, a eu une fois de plus le talent de transformer le fiasco politique de l’UPM en succès médiatique…
M. Jean-Pierre Sueur. Éphémère !
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Au final, la brève histoire de l’UPM peut se résumer à une journée de splendeur – le 13 juillet 2008 –, suivie de deux années d’hésitations bureaucratiques, d’intrigues diplomatiques et d’impuissance politique.
Deux ans et demi après ce lancement grandiose, porteur de grandes espérances, l’heure est venue de dresser un bilan. Nous savons d’ores et déjà qu’il est inconsistant.
Pendant deux ans, des négociations interminables ont porté sur la répartition des postes, le siège du secrétariat général – Barcelone ou une autre ville ? –, le financement – qui paie quoi ? –, la gouvernance – intergouvernementale ou communautaire ? –, le statut du secrétariat général… Ces questions n’ont jamais été réellement tranchées.
L’an passé, deux sommets ont été reportés sine die, aucune réunion ministérielle n’a donné lieu à des engagements fermes, seules les réunions dites techniques ont été assurées. Ce n’est que le 27 décembre dernier, voilà moins de deux mois, que le site internet de l’UPM a été lancé… exclusivement en anglais ! Enfin, un numéro de téléphone a été communiqué, mais à peine a-t-on eu le temps de le composer que le secrétaire général de l’UPM, le jordanien Ahmad Massadeh, fonctionnaire éminent, a démissionné. En outre, l’actuelle révolution égyptienne pose le problème de la nomination d’un remplaçant à la coprésidence de l’UPM détenue jusqu’alors par Hosni Moubarak. De moribonde, cette institution est devenue, en l’espace de quelques jours, fantomatique.
La France reprochait – avec raison – au processus de Barcelone de reposer sur des relations déséquilibrées, dans lesquelles l’Europe décidait de tout. Avec l’UPM, elle a certes contribué à créer une structure paritaire, mais au sein de laquelle on ne parvient pas à savoir qui décide de quoi.
Je souhaite donc, madame la ministre, vous poser une première question : qu’allez-vous proposer pour remédier à ces faiblesses institutionnelles ?
Pourtant, les projets de l’UPM, projets qui préexistaient à sa création, sont toujours d’une actualité brûlante, qu’il s’agisse de la dépollution de la Méditerranée, du plan de production d’énergie solaire, de la prévention des catastrophes naturelles, de la création des autoroutes de la mer ou de la mise en place d’une université méditerranéenne sur la rive sud.
Ma deuxième question sera la suivante : ces projets vont-ils survivre à l’UPM ? Dans le contexte actuel, de quels financements disposeront-ils ?
L’UPM souffre donc d’un vice de conception, mais aussi, et c’est sans doute plus préoccupant, d’une absence de vision et de stratégie politiques.
L’UPM, pour fonctionner, aurait eu besoin de s’appuyer sur des ensembles régionaux, en premier lieu sur la construction d’un Maghreb uni et fort, autour de l’Algérie et du Maroc.
Le non-règlement de la question du Sahara a un coût très élevé, humain, économique et sécuritaire, et pèse politiquement sur la région. Des milliers de familles paient l’absence de solution politique, des enfants grandissent dans des camps et cette souffrance nourrit leur amertume et leur désespérance. Pendant que ce drame prend de l’épaisseur de génération en génération, la perspective d’une intégration économique de la région s’éloigne, emportant avec elle les chances de développement économique, ce qui frustre les aspirations populaires.
Pour nous, Européens, la persistance de ce conflit, qui déborde sur la zone sahélo-saharienne, constitue une menace directe contre la sécurité euro-méditerranéenne et euro-atlantique. Nous en avons vu les conséquences dramatiques avec l’enlèvement et la mort de plusieurs de nos compatriotes.
Qu’avons-nous fait, nous Français et Européens, pour tenter de promouvoir un tant soit peu, au côté de l’Organisation des Nations unies, une solution politique négociée entre les protagonistes de ce conflit qui obère toute possibilité de développement régional, empoisonne les relations entre l’Algérie et le Maroc et nuit gravement aux populations de ces deux pays ?
Inexistants sur ce dossier, nous n’avons rien trouvé de mieux que d’envenimer des relations déjà passionnelles avec l’Algérie par la funeste mention dans notre loi des « effets positifs de la colonisation » ! Quant au Gouvernement, alors qu’existe un accord très abouti de coopération en matière de lutte contre le terrorisme entre la France et l’Algérie, il a tout simplement porté l’Algérie sur la liste des pays à risques terroristes, oubliant au passage que ce pays a été la première victime de l’intégrisme.
Avant même de nommer les principes selon lesquels nous pourrions relancer l’idée euro-méditerranéenne, il faut que nous apprenions à écouter ce que ces peuples ont à nous dire.
Ni la France ni l’Europe n’ont vu venir les mouvements sociaux qui sont en voie de transformer la face politique de la rive sud de la Méditerranée. Je ne parle pas de la déflagration brutale, de l’irruption de ce bouleversement radical qu’aucun stratège n’a pressenti ; je parle de ces messages qui, depuis plusieurs années, nous parviennent quotidiennement de bateaux de fortune sombrant dans la Méditerranée avec, à leur bord, une jeunesse préférant l’aventure suicidaire à l’absence désespérante d’avenir. Au lieu de prendre la mesure de ces appels de détresse, nous avons soutenu des régimes d’un autre âge, faisant l’hypothèse que ces peuples ne sauraient décider par eux-mêmes. Cette surdité est, d’une certaine façon, en parfaite cohérence avec la théorie occidentale, pour ne pas dire néocoloniale, de l’impossibilité de la démocratie dans les pays de tradition musulmane.
La politique des pays occidentaux s’appuie sur une conception datant des années soixante-dix, selon laquelle la seule alternative au pouvoir autocratique est l’obscurantisme islamiste, comme si le choix ne pouvait être qu’entre le pharaon et le barbu. Obsédées par cette vision, l’Union européenne et la France ont cautionné la privation des libertés publiques.
Il faut revenir sur les raisons de cet aveuglement, qui perdure. Aujourd’hui encore, si nos diplomates perçoivent correctement les évolutions – et je veux leur rendre hommage, parce qu’après les magistrats, les policiers et bien d’autres professions, ils sont à leur tour stigmatisés –, le Gouvernement semble déçu de n’avoir trouvé nulle part, dans les pays musulmans en pleine agitation, la menace intégriste. On confond, à mauvais escient, l’islam politique avec le besoin de spiritualité inhérent à la nature humaine, ce besoin de spiritualité et de sens qui se renforce, ici comme ailleurs, au fur et à mesure que progresse la déshumanisation des rapports sociaux.
Cette surdité explique la vision partiale et partielle que nous avons de la rive sud, qui sous-tend les trois contradictions majeures de la politique française dans son rêve euro-méditerranéen.
La première contradiction consiste à vouloir asseoir une nouvelle influence française sur la rive sud tout en stigmatisant, sur la rive nord, jour après jour, les citoyens d’origine contrôlée que sont les Français de confession musulmane. Les attaques menées par le Gouvernement sur le sol français contre des « musulmans » sont indignes de notre conception de la laïcité, corrosives pour notre « vivre ensemble » et pour notre image à l’étranger.
Cette croisade a commencé par une hostilité à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, puis s’est poursuivie par l’indigne débat sur ce dernier thème et les polémiques sur la burqa, les minarets ou la viande halal.
La fièvre obsidionale fut telle que, pendant quelques jours, certains ont sincèrement cru qu’un restaurant fast-food, son aire de jeu, ses sandwiches et ses plateaux-repas constituaient la cinquième colonne d’une invasion minutieusement programmée !
Sur ce terreau, le Front national a pu se refaire une santé et Mme Le Pen faire référence à l’occupation en évoquant les musulmans. Et cela va continuer avec le prochain débat sur le multiculturalisme, inscrit à l’ordre du jour politique de la majorité… Les Français venus d’ailleurs seront encore les otages de la prochaine campagne électorale.
Je passe sur le discours de Dakar, par lequel, malgré les représentations d’un ambassadeur averti, injustement révoqué depuis, Nicolas Sarkozy a gravement offensé les Africains.
Cette vision fantasmée et anxiogène de l’islam et des musulmans, largement relayée et commentée dans les pays du Sud par les médias et les réseaux sociaux, justifie l’apparition dans ces pays d’un discours symétrique de repli identitaire. Ne vous y trompez pas, les populations de la rive sud sont connectées aux réseaux modernes et connaissent vos dérapages.
Fort heureusement, nous avons su nous différencier des États-Unis s’agissant de l’Irak, mais Nicolas Sarkozy, en empruntant le chemin d’un atlantisme béat, a contribué à alimenter la mécanique infernale du conflit des civilisations, théorisée par les néoconservateurs américains. Cette politique, cette idéologie est totalement incompatible avec un projet méditerranéen ambitieux.
Barack Obama avait ouvert aux Américains une perspective de dépassement avec le concept « post racial », et nous, qui sommes si proches des pays arabes, nous n’avons pas compris que les jeunes musulmans étaient dans une phase « post islamiste ». Ils sont très attachés à leur civilisation, à leurs traditions, et veulent tout simplement vivre leur foi dans un monde ouvert. Ils ne se contenteront plus d’un ersatz de démocratie, car ils ont bien compris que les attributs de la démocratie sont bien plus larges que le simple droit de vote. Ils veulent des libertés publiques, une justice et une presse indépendantes, ainsi que des garanties en matière de libertés individuelles. Ils souffrent d’un déclassement et rejettent les nouveaux maîtres qui pillent leur pays. Il existe également une demande sociale forte.
La deuxième contradiction réside dans le fait de vouloir créer une union reposant sur des projets tout en verrouillant, par une politique des visas malthusienne, toute circulation humaine : les flux vont du Nord au Sud, jamais du Sud au Nord !
En définitive, l’approche méditerranéenne de l’Europe se caractérise par des objectifs sécuritaires et des barrières migratoires. La seule coopération semblant fonctionner – ce n’est pas un reproche – est celle qui existe entre les organes de sécurité et les ministres de l’intérieur. Mais cette coopération, qui se concentre sur la maîtrise des flux migratoires, ne permet pas de nous protéger collectivement de la déstabilisation du Sahel. Là encore, la construction d’un ensemble régional aurait pu nous prémunir contre ce risque.
Cela m’amène, madame la ministre, à poser une troisième question : au-delà des postures politiques qui sous-tendent les lois sur l’immigration, comptez-vous enfin proposer un réel partenariat migratoire aux pays de la rive sud, offrant des possibilités de migrations circulaires ? C’est là l’indispensable premier jalon d’une véritable politique méditerranéenne.
Enfin, la troisième contradiction tient à la difficile articulation entre l’objectif de promotion des droits de l’homme et les logiques de puissance.
En effet, la définition d’un discours de politique étrangère fondé sur l’universalisme des droits et le soutien aux libertés publiques se heurte de plein fouet à la concurrence que se livrent les États démocratiques pour développer ou conserver leurs parts de marchés dans certains pays.
Les tenants de la realpolitik se donnent bonne conscience en affirmant que du développement économique découlera automatiquement l’aspiration démocratique. Mais la position française va bien au-delà de la realpolitik : elle ne s’articule pas uniquement autour de l’inefficience de la conditionnalité politique, elle s’appuie, hélas ! sur la négation de l’humanisme. On sait le peu de considération que porte le Président de la République française à la question de la défense des libertés publiques, qu’il qualifie avec mépris d’idéologie « droit-de-l’hommiste », comme s’il était honteux de se soucier de ses semblables…
Ce parti pris s’est traduit, au cours des dernières années, par une politique du tapis rouge pour certains et du guichet fermé pour des démocrates opposants. Il explique également la disparition rapide du secrétariat d’État aux droits de l’homme, la mise au placard d’un secrétaire d’État ayant dénoncé les dérives de la « Françafrique », la multiplication sur notre sol des espaces de non-droit, la stigmatisation liée à l’origine – je pense aux Roms –, l’élaboration d’une sixième loi visant l’immigration, assortie d’atteintes à notre Constitution, telle la déchéance de la nationalité, que le Sénat a heureusement rejetée dans sa grande sagesse.
Toutefois, il y a plus grave encore que ce cynisme et ce mépris ouvertement affichés : la logique de puissance, la grammaire diplomatique peuvent expliquer le silence d’un État démocratique, mais elles n’impliquent en rien le recours à l’hypocrisie et à la flagornerie. Pourquoi le Président de la République française a-t-il cru bon de saluer une « progression de l’espace des libertés » en Tunisie, alors que toutes les organisations non gouvernementales ne cessent de dénoncer, depuis des années, une évolution inverse ?
La crédibilité internationale de la France ne se mesure pas au nombre de chefs d’État figurant sur une photographie. Elle repose, notamment, sur l’estime que les sociétés civiles de la rive sud nous accordent. Autant dire que, dans le monde arabe, cette crédibilité n’existe plus !
En défilant avec des pancartes où figure le seul mot « dégage », les manifestants tunisiens et égyptiens rendent peut-être hommage à la francophonie. C’est notre modeste participation aux troubles révolutionnaires… Ce mot est le peu qu’il nous reste de l’esprit de 1789 !
À force de renvoyer les musulmans à un jihad fantasmé à chaque soubresaut régional, nous avons perdu, en plus de l’usage de notre raison, la grandeur de la France.
Pourtant, la jeunesse de ces pays n’est pas fascinée, bien au contraire, par le modèle des mollah iraniens, dont elle connaît la brutalité. Pour d’autres raisons, elle ne souhaite pas non plus copier le modèle occidental. Elle observe avec intérêt la Turquie, qui semble allier démocratie, développement économique et valeurs islamiques. Il faudra bien admettre que, à l’instar de la démocratie chrétienne, une démocratie musulmane puisse voir le jour.
Je le dis avec beaucoup de gravité : ne nous joignons pas au chœur des Cassandre. Depuis trop longtemps, les pays occidentaux s’accommodent d’États autoritaires au nom d’une lutte contre le péril intégriste qui devient obsessionnelle depuis qu’un barbu illuminé et pyromane s’est caché dans des grottes préhistoriques après avoir défié les citadelles de la modernité.
Madame la ministre, si nous savons décrypter ce que les sociétés civiles du Sud nous disent, rien n’est perdu pour construire une Union pour la Méditerranée sur de nouvelles bases. C’est pourquoi la France, lors de la prochaine relance méditerranéenne, souhaitable et même inévitable, ne pourra faire l’économie de l’élaboration d’une nouvelle grille d’analyse permettant de distinguer quête du religieux et projet politique, ainsi que d’une relation apaisée avec son passé, sa mémoire coloniale et ses citoyens venus d'ailleurs ; elle devra en outre renouer avec son credo dans le progrès et l’universalisme des droits.
Ma quatrième question sera la suivante : quelle leçon tirez-vous de l’aspiration à la démocratie exprimée sur la rive sud et comment comptez-vous, à la lumière de ces événements, relancer le processus de l’UPM ?
J’ai bien conscience, madame la ministre, de porter un réquisitoire d’une grande sévérité sur le fond, mais il nous faut regarder les choses en face et nous dire la vérité. C’est à ce prix que nous pourrons retisser des liens de confiance avec la rive sud et construire cet espace méditerranéen dont nous avons tous besoin, en traitant d’égal à égal.
Une belle idée a été gâchée. Nous, socialistes, sommes convaincus que le destin de l’Europe vieillissante est lié à celui des pays du Sud. Nous sommes persuadés qu’aucune coopération d’avenir n’est possible sans respect, considération et solidarité envers ces peuples. Les foules de la place Tahrir ou de Tunis scandent leur foi dans l’avenir de leur pays, mais aussi de leur région : allons-nous enfin les entendre et leur proposer un cercle vertueux, gagnant-gagnant ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)