M. Charles Gautier. Bravo !
M. Paul Blanc. Tout ce qui est excessif est dérisoire !
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, en Égypte, un large mouvement populaire vient de chasser du pouvoir un dirigeant honni. Même si personne ne peut aujourd’hui prédire l’issue de cette insurrection, cet évènement nous concerne et doit nous amener à réfléchir sur le rôle de notre politique étrangère dans cette région.
Les révoltes sociales, les luttes pour la démocratie engagées ces dernières semaines en Tunisie et en Égypte ont nettement mis en lumière l’échec des ambitions euro-méditerranéennes du Président de la République. Ce qui devait être l’un des grands chantiers diplomatiques du quinquennat est devenu vide de sens.
Cet échec révèle également les faiblesses de notre politique étrangère depuis plusieurs années et la dégradation de l’image de la France dans les pays du Maghreb et du Machrek, mais également au Proche-Orient.
Ironie ou vengeance de l’histoire, lors de la création de l’Union pour la Méditerranée, en 2008, le Président de la République avait insisté pour que cette organisation ait son siège à Tunis. Il n’avait pas obtenu satisfaction, mais il avait pu se consoler en coprésidant l’UPM, jusqu’à ces dernières semaines, avec Hosni Moubarak, dont il faisait ainsi notre partenaire privilégié.
Au-delà des troubles que connaît la région, le coup de grâce avait déjà été donné à cette institution par la démission de son secrétaire général et le retrait forcé de son coprésident égyptien.
La démission de M. Ahmed Massa’deh a été un nouveau coup dur pour l’influence de notre pays dans le monde arabe. Le secrétaire général a justifié sa décision par sa lassitude devant la paralysie de l’organisation, faute d’orientations claires et de possibilité d’accord entre les différents pays sur des projets concrets.
Mais ce qui faisait surtout l’arrière-plan de cette démission, c’était l’incapacité de notre diplomatie, animée par le Président de la République, à donner les impulsions nécessaires à l’Union pour la Méditerranée.
Souvenons-nous pourtant que, en 2008, le Président de la République croyait pouvoir tirer les enseignements de l’enlisement de la politique méditerranéenne de l’Union européenne, appelée « processus de Barcelone ». Il avait alors pris l’initiative d’engager un mouvement de coopération avec les pays de la région, malgré les réticences de la plupart de nos partenaires européens.
En créant cet espace de coopération, il ambitionnait aussi, sans doute, de donner à l’Europe un poids suffisant pour influer enfin sur le processus de paix au Proche-Orient. Il voulait tirer partie d’une influence certaine, due à notre proximité historique et culturelle, pour promouvoir les principes et les valeurs de la France au moyen d’une nouvelle politique de coopération.
Le candidat Sarkozy n’avait-il pas, en effet, promis une « diplomatie des valeurs » durant sa campagne pour l’élection présidentielle ? N’avait-il pas fait la déclaration suivante, le soir même de son élection : « La France sera du côté des opprimés du monde, de tous ceux qui croient aux valeurs de la liberté, de la tolérance et de la démocratie » ?
Hélas, les actes n’ont pas suivi les promesses !
À la lumière de ce qui se passe aujourd’hui, nous voyons bien que notre pays risque de payer cher de lourdes erreurs stratégiques de sa politique étrangère. Le Président de la République n’a pas su trouver le juste équilibre entre la diplomatie, les enjeux économiques et les droits fondamentaux.
C’est ce qui fait aussi que les opposants tunisiens et égyptiens ignorent totalement, et rejettent parfois, I’UPM, trop associée à leurs yeux aux anciens présidents Ben Ali et Moubarak. Cela a largement contribué à décrédibiliser notre pays dans cette région et à altérer l’image de la France auprès de peuples qui paraissent ne plus rien avoir à attendre de nous, ni de l’Europe.
Sans vision stratégique, votre politique diplomatique, dans ce cas précis, s’est faite au jour le jour, au gré des événements. Il s’agissait, selon le vieil adage britannique, d’attendre et de voir…
Notre incompréhension du processus historique en cours dans ces pays, notre incapacité à prendre position et à réagir face aux événements actuels s’expliquent par la conception strictement néolibérale que ce gouvernement, comme les dirigeants européens, se fait de la coopération avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
En effet, vous concevez l’aide économique à ces pays comme le moyen d’assurer un certain type de développement, sans vous préoccuper des conditions sociales et politiques dans lesquelles il s’accomplit. L’histoire nous apprend pourtant qu’il est illusoire de penser qu’un développement durable, économique, social mais aussi culturel, puisse se réaliser sans démocratie.
Votre conception, c’est celle des agences de notation, qui ont immédiatement baissé la note de ces pays lorsque les intérêts des puissances économiques étaient menacés.
Vous vous êtes ainsi satisfaits à bon compte de la stabilité garantie par des pouvoirs corrompus qui opprimaient leurs populations afin de préserver un ordre économique et social qui servait leurs seuls intérêts et les protégeait. Vous vous êtes laissés aveugler par l’épouvantail du fondamentalisme religieux musulman que ces pouvoirs n’ont cessé d’agiter afin de se présenter comme un rempart contre celui-ci.
On découvre malheureusement aujourd’hui la triste réalité de ces manipulations.
On apprend, par exemple, que l’ancien ministre de l’intérieur égyptien est soupçonné par la justice de son pays d’être impliqué dans un odieux attentat contre une église copte, officiellement attribué à un mouvement terroriste islamiste.
Tout cela vous a conduits à être peu regardants sur la nature de ces régimes, à être complaisants avec ce qu’il faut appeler des dictatures.
Mais vous avez aussi, et peut-être surtout, gravement ignoré, ou en tout cas sous-estimé, la colère de ces peuples contre les injustices, leurs aspirations, mais aussi leur capacité à édifier des sociétés démocratiques.
Permettez-moi de rappeler que notre groupe avait déjà dénoncé l’absence de prise en compte de cette dimension majeure que constituent les droits fondamentaux à l’occasion du sommet fondateur de l’UPM, tenu à Paris au mois de juillet 2008.
Dès cette époque, nous critiquions la différence de conception entre l’Union pour la Méditerranée et le processus initial de Barcelone, qui, bien que fondé sur une politique libérale de libre-échange, liait développement économique et lutte contre la pauvreté et fixait des exigences en matière de droits fondamentaux.
Nous avions également relevé que le docteur Moncef Marzouki, opposant au régime de Ben Ali devenu aujourd’hui populaire en Tunisie, nous renvoyait à nos propres exigences afin de garantir la réussite d’une nouvelle politique méditerranéenne. Je le cite : « Aurait-on pu envisager l’élargissement de l’Europe à l’Espagne, au Portugal ou encore à la Grèce du temps des dictatures de Franco, Salazar ou des colonels grecs ? »
Aujourd’hui, que reste-t-il du projet mort-né de l’Union pour la Méditerranée ? Après deux ans et demi d’existence, le bilan de cette institution est très mince. Des accords sur l’énergie solaire, le trafic maritime, les transports routiers ont été conclus et, en avril 2010, une conférence sur l’eau a été organisée, sans recevoir une véritable suite. Rien de concret dans tout cela, seulement une succession de séminaires ou d’études déconnectés des réalités économiques, sociales et politiques.
Certes, ce bilan décevant ne peut être uniquement imputé à votre conception erronée des conditions dans lesquelles doit se réaliser le développement des sociétés. Il y a aussi des raisons objectives qui font qu’aucun projet ne peut aboutir tant que ne sont pas réglés des conflits ou des désaccords entre les différents acteurs de la région. Je pense naturellement aux conflits entre Chypre et la Turquie, entre le Maroc et le Sahara occidental et, bien entendu, au conflit israélo-palestinien, qui fait de la coexistence entre Israël et les pays arabes l’un des principaux problèmes posés à l’UPM.
L’UPM ne pourra retrouver une légitimité qu’au prix d’une profonde redéfinition de notre politique euro-méditerranéenne d’aide au développement des pays de cette région, dans un sens qui soit favorable à leurs peuples et non aux seuls intérêts des acteurs du libéralisme économique.
C’est à cette révision profonde que je vous avais invitée, madame le ministre d’État, en vous interrogeant, il y a quinze jours, en pleine tourmente tunisienne. Vous m’aviez alors répondu d’une façon que j’ai ressentie agressive et inappropriée.
Aujourd’hui, le Président de la République, le Gouvernement et vous-même prenez, malheureusement, le train de l’histoire en marche. Pourtant, Nicolas Sarkozy semble encore marquer quelque réticence à reconnaître son incapacité à comprendre vraiment ce qui se passe dans ces pays, alors que, vendredi dernier, il saluait le « courage » dont aurait fait preuve Hosni Moubarak en démissionnant…
Il est donc grand temps, pour la France et pour l’Europe, de tirer les enseignements de ces événements et de revoir radicalement leurs stratégies dans cette région.
L’Europe, et plus généralement l’Occident, qui ont trop longtemps tenu ces peuples pour mineurs et soutenu leurs dirigeants et leurs dictateurs, doivent aujourd’hui aider par tous les moyens les processus démocratiques qui s’enclenchent, dans le respect de l’indépendance des États et des choix des peuples. Il leur appartient, notamment, de soutenir le développement économique et social de ces pays, condition essentielle de la pérennisation de ces démocraties naissantes.
Ce sont ces exigences que le coprésident de l’UPM, également président en exercice du G20, à savoir M. Sarkozy, devrait entendre pour mettre en œuvre de nouvelles orientations.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, Mme Khiari, auteur de cette question orale avec débat, nous offre l’occasion d’aborder un sujet passionnant et difficile. Toutefois, même si la position qu’elle a exprimée est respectable, il est dommage que son intervention ait souvent pris la forme d’un réquisitoire contre le Président de la République.
MM. Paul Blanc et André Dulait. Très bien !
M. Jacques Blanc. Ma chère collègue, vous avez évoqué la longue histoire des relations euro-méditerranéennes. Je me bornerai, pour ma part, à rappeler que le processus de Barcelone est né après les accords d’Oslo de 1993, qui avaient fait espérer une paix au Proche-Orient.
C’est dans ce contexte que le processus de Barcelone avait été lancé, la France et l’Espagne jouant un rôle majeur. En tant que président du Comité des régions de l’Union européenne, j’ai eu le privilège d’assister à la naissance de ce partenariat euro-méditerranéen, marquée notamment par une rencontre entre le ministre des affaires étrangères d’Israël et le représentant de la Palestine qui avait suscité de grands espoirs. Certes, le processus de Barcelone n’a pas débouché sur des résultats à la hauteur de ces espérances, mais il a tout de même été un jalon important dans l’histoire des rapports entre l’Europe et la rive sud de la Méditerranée. Il a permis que se dessinent un certain nombre de perspectives : des accords de libre-échange ont pu être établis, des barrières douanières à l’importation de certains produits manufacturés dans l’Union européenne ont été supprimées, la création d’une zone de libre-échange réunissant le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie a été lancée grâce aux accords d’Agadir, un outil européen en faveur des pays méditerranéens, le MEDA, a été mis en place, ce qui est déjà un bon point, même s’il a un peu déçu, et la FEMIP, la facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, a été instituée.
Bref, des initiatives ont été prises, sous des formes diverses, selon une approche globale euro-méditerranéenne ou dans un cadre bilatéral, et ont débouché sur des opérations concrètes. Je pourrais citer, à ce titre, le gazoduc transsaharien ou le projet de TGV Tanger-Casablanca, sans oublier la dimension environnementale, le processus de Barcelone ayant permis de réactiver le plan bleu pour la Méditerranée, qui avait été mis en place par l’ONU.
Cela étant, le processus de Barcelone avait besoin d’être relancé. L’un des mérites de Nicolas Sarkozy est d’avoir osé le faire en créant l’UPM, dont il avait bien perçu la dimension exceptionnelle.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jacques Blanc. Cette démarche n’a pas été facile à mener, car les autres pays européens étaient quelque peu réticents, craignant que la nouvelle organisation, à l’instar de l’Assemblée des Parlements de la Méditerranée, ne concerne que les États méditerranéens : ils ont donc tenu à ce que l’Union européenne y participe. Le Président de la République a pris en compte cette volonté politique, l’Union méditerranéenne étant devenue l’UPM après accord avec Mme Merkel. Cela était d’autant plus important que le volet bilatéral de la politique euro-méditerranéenne doit être complété par une dimension régionale. Le président du groupe France-Syrie, Jean-Pierre Vial, m’a d’ailleurs demandé de souligner à cette tribune qu’il convient d’associer une approche globale à des actions bilatérales pour enrichir le contenu de la politique euro-méditerranéenne.
En juillet 2008, les responsables de l’ensemble des pays concernés se sont réunis à Paris. Aujourd'hui, certes, la paix entre Israël et la Palestine n’est pas établie. Peut-on pour autant honnêtement prétendre que c’est la faute du Président Sarkozy ?
M. Robert Hue. Personne n’a dit cela !
M. Jacques Blanc. Cela a été quelque peu insinué…
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Non !
M. Jacques Blanc. Chacun sait bien qu’il s’agit d’un problème extrêmement difficile, et que la reprise de la politique de colonisation par Israël n’a pas facilité les choses. La diplomatie française ne peut tout de même pas être rendue responsable de cet échec.
Mes chers collègues, je suis d’autant plus à l’aise pour évoquer la situation en Tunisie que le groupe d’amitié France-Tunisie – je parle sous le contrôle de son président, Jean-Pierre Sueur –, dont je suis membre, a condamné avant le départ de M. Ben Ali les mesures de répression mises en œuvre.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Jacques Blanc. Les récents événements d’Égypte et de Tunisie rendent-ils caduque l’Union pour la Méditerranée ? Bien au contraire : le renforcement de la politique euro-méditerranéenne est plus que jamais d’actualité !
M. Jean Bizet. Exactement !
M. Jacques Blanc. Ceux, jeunes ou moins jeunes, qui ont manifesté leur espérance d’une liberté nouvelle, ont peut-être été confortés dans leur démarche par le message que véhicule l’Union pour la Méditerranée.
Aujourd’hui, devant cette aspiration des peuples à la liberté et au respect des droits de l’homme, mais aussi au développement économique, il nous incombe d’affirmer plus que jamais l’exigence de renforcer la politique euro-méditerranéenne, je dirais même de mettre en place un véritable plan Marshall pour la Méditerranée, afin de répondre à leurs attentes.
Les rapports entre États sont toujours difficiles : le mérite de l’Union pour la Méditerranée est de permettre des coopérations sous-étatiques. J’ai contribué, avec mes collègues du Comité des régions de l’Union européenne, à la mise en place de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne, l’ARLEM, où des élus du Nord et du Sud peuvent se rencontrer et échanger, en échappant à l’emprise des grands problèmes divisant les États. Une telle démarche de coopération sous-étatique, en complément des rapports entre États, peut aussi être un atout pour faire passer des messages.
Ainsi, j’ai eu le privilège d’être désigné rapporteur pour la gestion de l’eau à l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée. J’ai présenté mon rapport, à Rabat, devant le président de la Knesset et le vice-président de l’Autorité palestinienne, tous deux présents malgré un contexte difficile. Accepter de débattre ne veut pas dire que l’on cautionne les propos de son interlocuteur, mais c’est une marque de respect pour celui-ci.
De grands projets, tels que les autoroutes de la mer, le plan solaire ou la boucle méditerranéenne, qui permettrait de créer une dynamique nouvelle associant tous les pays, présentent des besoins de financement considérables. La création d’un fonds d’investissement vient d’ailleurs d’être annoncée, même s’il n’est pas encore alimenté à la hauteur du milliard d’euros attendu. En tout cas, une perspective est aujourd'hui tracée, et les échanges se sont multipliés.
Mes chers collègues, l’heure n’est pas aux querelles intestines ; de cette tribune, adressons plutôt un message de respect à l’ensemble des pays méditerranéens, en particulier à leur jeunesse et à tous ceux dont les espérances se réalisent tout à coup. De ce point de vue, l’UPM a d’ailleurs le mérite de relever davantage que le processus de Barcelone d’une démarche paritaire. Répondons aux attentes des peuples méditerranéens en respectant leurs choix, et assurons-les que nous sommes prêts à nous mobiliser pour leur offrir des chances supplémentaires de réussite. Leur jeunesse attend de l’Europe des signaux positifs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. André Dulait. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’actualité internationale nous amène tout naturellement à nous interroger sur l’UPM, mais aussi à formuler quelques réflexions et propositions.
Des bouleversements considérables secouent plusieurs États de l’UPM, que l’on ne voit pourtant pas agir et qui reste inaudible ! On ne sait d’ailleurs même pas si son coprésident, Hosni Moubarak, a été ou va être remplacé. L’UPM semble avoir disparu des écrans, alors même qu’on devrait pouvoir attendre beaucoup d’elle. Elle n’a pas été créée pour traiter seulement de problèmes mineurs, sinon à quoi bon avoir soulevé des montagnes ! J’avais compris qu’elle avait été lancée pour amplifier et donner sa pleine portée politique au processus de Barcelone. Elle a clairement été conçue en vue de progresser, sur toutes les rives de la Méditerranée, sur des sujets de fond tels qu’un développement économique social et culturel durable, la promotion de la démocratie ou la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous devons donc chercher à réunir les conditions qui lui permettront de répondre aux immenses attentes qu’elle a révélées ou suscitées et qui s’expriment chaque jour avec plus de force.
Même si, à beaucoup d’égards, la France doit assumer une responsabilité particulière quand il s’agit de la Méditerranée, et spécialement du Maghreb, elle n’est ni forcément ni toujours la mieux placée pour intervenir. Les États-Unis, voire la Chine, auraient-ils les coudées plus franches ? Certainement, aussi longtemps du moins que nous refuserons de voir et d’accepter les possibilités dont dispose l’Union européenne pour intervenir en notre nom. Malheureusement, si l’Europe commence à s’organiser pour le faire, sa voix reste toujours bien timide… Il y a là aussi matière à réflexion.
Nous regrettons d’autant plus l’effacement de l’Union pour la Méditerranée, qui serait pourtant idéalement placée aujourd'hui pour parler tout à la fois avec le poids de l’Europe et avec la force née de la proximité, voire de la « complicité », qui devrait se développer entre ses membres, européens ou non, de toutes les rives de la Méditerranée, dès lors qu’ils s’attachent à relever ensemble des défis communs.
Les crises que nous voyons se développer sont profondes ; elles éclatent du fait de difficultés sociales et d’emploi. Ce sont d’abord des crises de développement, donc des crises de fond. Leurs enjeux aux plans régional et mondial sont particulièrement lourds. Le mot grec krisis peut se traduire par « instant décisif » : nous sommes au temps où s’ouvre l’avenir, au temps de tous les possibles ; ce temps doit être aussi pour nous celui des véritables responsabilités.
Les mouvements actuels peuvent en effet être instrumentalisés par les intégristes et les extrémistes de toutes obédiences qui spéculent sur une déstabilisation générale du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Ces soulèvements populaires sont aussi porteurs d’aspirations très fortes ; ils peuvent également conduire vers la liberté et la démocratie. Serons-nous assez forts et suffisamment solidaires, tout autour de la Méditerranée, pour faire prévaloir les élans qui unissent et non les forces qui divisent et détruisent ?
Oui, une Union pour la Méditerranée active et responsable manque aujourd’hui. Oui, les promoteurs de l’UPM avaient fondé leur démarche sur une intuition très juste. Et s’ils n’avaient pas engagé il y a deux ans cette démarche, il serait aujourd’hui urgent de le faire. Jacques Blanc l’a très bien démontré à l’instant.
L’UPM existe, mais elle n’est manifestement pas en situation, à l’heure actuelle, de jouer le rôle qui lui a été confié. Essayons donc d’examiner si et en quoi elle peut être amendée, afin de devenir réellement efficace, sinon tout de suite, du moins dans l’avenir.
Il fallait que l’UPM soit l’affaire de l’Union européenne dans son ensemble et non des seuls États de l’Union qui sont riverains de la Méditerranée, et qu’elle soit ainsi, à l’instar du Partenariat oriental, une composante majeure d’une politique de voisinage prioritaire pour l’Union européenne. Cela était indispensable pour garantir la cohésion de l’Union européenne. « Confier » l’Est à certains de ses membres et faire du Sud un domaine réservé à d’autres aurait porté en germe un éclatement de l’Union européenne.
Mettre en place une véritable politique de voisinage, qui prendra évidemment des formes différentes à l’Est et au Sud, doit être une priorité pour l’Europe.
Pour nous Français, cette politique est appelée à relever des affaires européennes, et non plus des affaires étrangères au sens large. J’ai donc la faiblesse de considérer, madame la ministre d’État, que vous êtes ici au titre de vos responsabilités européennes particulières.
Au demeurant, il est clair qu’impliquer l’Union européenne dans le devenir du bassin méditerranéen peut être perçu par nos partenaires du Sud comme un gage supplémentaire d’efficacité politique.
Il est également évident que l’UPM ne peut qu’être une organisation intergouvernementale. Un pays ne saurait participer à deux unions à la fois, l’une et l’autre de nature communautaire.
Cependant, cette organisation intergouvernementale, affaire des États, doit aussi, et très vite, devenir l’affaire des peuples. Même si la qualité des relations personnelles des chefs d’État représente un atout à ne jamais négliger, il est essentiel de dépasser rapidement une personnalisation excessive, forcément contingente et fragile, pour aller vers une institutionnalisation, par nature plus durable, à condition toutefois que celle-ci repose sur une « charte des valeurs ».
Nous voici donc au cœur du problème : soit nous feignons d’ignorer les difficultés réelles qui existent du fait des conflits ouverts que nous savons ou des « marges » que prennent certains États au regard des bonnes pratiques démocratiques ou du respect des droits de l’homme, et nous ne pourrons jamais aller à l’essentiel ni nous tourner ensemble vers l’avenir sur la base d’une solide confiance mutuelle ; soit nous n’éludons pas ces questions de principe majeures, essentielles pour tous nos peuples, mais il y faudra alors du courage et de la détermination : le chemin sera rude !
La situation actuelle ne nous fournit-elle pas une occasion de choisir cette voie difficile ? D’ailleurs, quelle que soit la difficulté, avons-nous un autre choix ? Peut-être pourrions-nous reporter la décision à plus tard, si nous étions certains que le chemin restera ouvert. Or rien n’est moins sûr. Les peuples qui se sont soulevés attendent. Pourront-ils le faire longtemps ? En réalité, le temps presse !
Vous le savez, madame la ministre d’État, puisque vous m’avez permis de m’entretenir de ce sujet avec vous : je suggère que l’Union européenne délègue tout naturellement les questions relatives à la démocratie et aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, dont c’est précisément le « cœur de métier ».
Dans son rôle éminent, l’Union pour la Méditerranée, quant à elle, fixerait les grands objectifs politiques. Elle marquerait sa volonté d’aller de l’avant en proposant des programmes concrets, équilibrés et durables de développement, et s’appuierait sur le Conseil de l’Europe pour ce qui touche aux droits fondamentaux.
Je note en passant que, parmi les États riverains de la Méditerranée aujourd’hui non membres de l’Union européenne, la Turquie ou les pays des Balkans siègent au Conseil de l’Europe, tandis que les autres, à un titre ou à un autre, ont engagé ou se disposent à engager un dialogue avec lui.
Pour être tout à fait concret, j’ajoute que, sans attendre de futures crises ou un avenir plus lointain, nous devrions surtout proposer dès maintenant, notamment à la Tunisie et à l’Égypte, les possibilités offertes par le statut de « partenaire pour la démocratie ». Ce statut, auquel le Parlement marocain s’est déjà porté candidat, a été institué par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe afin de favoriser le développement d’un dialogue interparlementaire orienté sur la promotion des « valeurs ».
Nous pouvons également rappeler que le Conseil de l’Europe peut offrir les services de la convention de Venise aux nombreux États qui remettent en chantier leur constitution ou seront appelés à le faire.
Enfin, je suis certain que la session d’avril de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sera l’occasion de faire des propositions sur tous ces sujets. En tout cas, la délégation française s’y emploiera.
Des peuples amis rencontrent aujourd’hui d’immenses difficultés pour trouver « leur » chemin vers la démocratie et la liberté. Les défis qu’ils ont à relever nous concernent également très directement.
Le temps n’est plus aux querelles subalternes, mais à l’imagination, à la solidarité et à l’émergence d’une volonté politique partagée autour de la Méditerranée, berceau des religions du Livre et de la philosophie, berceau de la démocratie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de remercier Bariza Khiari d’avoir pris l’initiative d’inscrire à notre ordre du jour réservé cette question orale portant sur l’avenir de l’Union pour la Méditerranée.
Évoquer la Méditerranée, en particulier ses rives sud et est et leurs relations avec le continent européen, revêt un caractère particulier en cette période.
D’un côté, nous ne pouvons que nous réjouir des mutations en cours en Tunisie et en Égypte, et qui interviendront certainement demain dans de nombreux autres pays, en espérant voir émerger de grandes démocraties. De l’autre, il faut bien l’avouer, la France et surtout l’Europe sont, hélas ! les grandes absentes de ce processus.
Nous sommes si proches et pourtant si impuissants, si proches et si maladroits, si proches et si peu crédibles… Dans ces conditions, qu’avons-nous à proposer ou à dire ?
En tant qu’Européen convaincu et qu’élu d’un département méditerranéen, je suis certain qu’il ne s’agit pas d’une simple question de proximité qui pourrait être abordée, comme certains l’ont pensé, par le biais de la mise en œuvre depuis 2003 d’une politique européenne de voisinage. Il s’agit, bien au contraire, d’un sujet de civilisation, d’une histoire commune et d’un futur partagé.
Je ne ferai pas de rappel historique sur les relations entre les pays du continent européen et les pays du sud et de l’est de la Méditerranée ; d’autres, ici ou ailleurs, l’ont fait ou le feront de manière brillante. Cependant, je tiens à vous sensibiliser, madame la ministre, mes chers collègues, à la nécessité impérieuse, pour l’Europe et pour la France, de construire une communauté de destins avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et de s’inspirer des échecs du passé pour ne plus reproduire les mêmes erreurs.
Parmi ces erreurs, il y a celle qui conduit souvent les Européens à aborder la question des relations euro-méditerranéennes de la manière suivante : « Que pouvons-nous apporter aux pays du Sud ? » Il faut désormais inverser la question et nous demander ce que ces pays peuvent nous apporter,…