Sommaire
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
Secrétaires :
Mmes Michelle Demessine, Christiane Demontès.
2. Communication relative à une proposition de résolution européenne
3. Scrutin pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République
4. Panneaux d'agglomération en langue régionale. – Discussion d'une proposition de loi
Discussion générale : M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi ; Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture ; M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
MM. François Fortassin, Ivan Renar, Joseph Kergueris, Jean-Jacques Mirassou, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Raymond Couderc, Mme Bernadette Bourzai, MM. Jean-Paul Alduy, Claude Bérit-Débat.
Clôture de la discussion générale.
MM. Claude Domeizel, Ronan Kerdraon, René-Pierre Signé, André Reichardt, Jacques Blanc, Ivan Renar.
5. Élection de juges à la Cour de justice de la République
6. Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
7. Panneaux d'agglomération en langue régionale. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi
Amendement no 3 de la commission. – Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture.
Amendements nos 2 et 1 de M. Jean-Paul Alduy. – M. Jean-Paul Alduy. – Retrait des deux amendements.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication ; Roland Courteau, Paul Blanc, Claude Bérit-Débat. – Adoption de l’amendement no 3.
MM. Roland Courteau, Jacques Legendre, président de la commission de la culture.
Adoption de l’article unique, modifié, de la proposition de loi.
8. Bilan et avenir de l’Union pour la Méditerranée. – Discussion d’une question orale avec débat
Mme Bariza Khiari, auteur de la question.
MM. Robert Hue, Jacques Blanc, Denis Badré, Simon Sutour, Yvon Collin, Jean Bizet, Roland Courteau, Jean-Pierre Sueur.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes ; M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères ; Mme Bariza Khiari.
M. Jean-Pierre Sueur.
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Communication du Conseil constitutionnel
11. Institution d'une journée de l'Amérique latine et des Caraïbes en France. – Adoption d'une proposition de résolution
M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution.
MM. Roland du Luart, Jean-Pierre Bel, Gérard Cornu, Philippe Adnot, François Fortassin, Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.
12. Opposition à une demande de constitution d’une commission spéciale
13. Autorisation de la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables. – Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée (Texte de la commission)
Discussion générale : Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes ; M. Jacques Blanc, en remplacement de Mme Gisèle Gautier, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. François Fortassin, Mmes Marie-Agnès Labarre, Anne-Marie Payet.
Clôture de la discussion générale.
M. René Beaumont.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Christiane Demontès.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une proposition de résolution européenne
M. le président. MM. Serge Larcher et Éric Doligé ont déposé, en application de l’article 73 quinquies du règlement, une proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne.
Cette proposition, envoyée à l’examen préalable de la commission des affaires européennes, a été adoptée par la commission de l’économie, dont le rapport a été déposé sous le numéro 310.
Conformément à la décision en date du 2 février 2011 de la conférence des présidents, la proposition de résolution de la commission de l’économie sera inscrite à l’ordre du jour d’une prochaine séance, à une date fixée ultérieurement.
3
Scrutin pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République
M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République, en remplacement de MM. Pierre Fauchon et Nicolas About, dont le mandat sénatorial a cessé.
Le groupe de l’Union centriste a présenté la candidature de M. Yves Détraigne comme juge titulaire et de M. Jean Paul Amoudry comme juge suppléant.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour cette élection.
Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences où des bulletins de vote seront à votre disposition.
Pour être valables, les bulletins ne doivent pas comporter plus d’un nom comme juge titulaire et plus d’un nom comme juge suppléant, le nom du juge titulaire devant obligatoirement être assorti du nom de son suppléant. Ne sont comptabilisés ensemble que les suffrages portant sur le même titulaire et le même suppléant.
Le scrutin sera ouvert pendant une heure.
Le juge titulaire nouvellement élu et son suppléant seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie Mme Anne-Marie Payet et M. Alain Dufaut, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote.
Le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République est ouvert.
4
Panneaux d'agglomération en langue régionale
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste (proposition n° 136, rapport n° 293).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, en réponse à un parlementaire qui l’interrogeait, à l’Assemblée nationale, sur le sujet nous réunissant aujourd’hui, le ministre de l’éducation nationale, qui s’exprimait en votre nom, monsieur le ministre, a bien voulu rappeler l’examen par le Sénat de la présente proposition de loi en précisant : « Essayons de trouver le moyen le plus adapté pour offrir un cadre juridique sûr à l’installation de panneaux de signalisation bilingues à l’entrée des villes. »
Je crois savoir que c’est aussi votre intention, madame le rapporteur ; j’espère que c’est aussi la vôtre, monsieur le ministre, et celle du Sénat tout entier, car, précisément, le cadre juridique actuel n’est pas sûr.
En effet, si rien n’interdit l’installation de panneaux bilingues à l’entrée et à la sortie des communes, rien ne l’autorise expressément. D’ailleurs, le tribunal administratif de Montpellier, le 12 octobre 2010, a fait droit à la demande du Mouvement républicain de salut public, d’enjoindre la commune de Villeneuve-lès-Maguelone, dans l’Hérault, de retirer les panneaux bilingues français-occitan aux entrées de la ville.
Comme chacun le sait, de nombreuses collectivités, dans toutes les régions, ont fait le choix d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération portant le toponyme en langue régionale, en complément de panneaux portant le nom français.
C’est d’ailleurs, sur de nombreux territoires, un choix largement plébiscité par les populations.
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Comme le soulignait la Confédération occitane des écoles laïques Calendretras, « c’est le choix de la raison, pour avoir une ouverture culturelle, faisant une large place aux langues originelles des différentes régions ».
Que je sache, mes chers collègues, la République n’est pas menacée par ses langues régionales.
M. Jean-Jacques Mirassou. Heureusement !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Comme l’a récemment écrit Bernard Poignant, auteur en 1998 du rapport au Premier ministre sur les langues et cultures régionales : « Il n’est donc pas nécessaire de l’invoquer ou d’en appeler au “salut public”, parce qu’une petite commune a osé cette écriture en occitan. ».
M. Claude Bérit-Débat. Qui ey hera pla !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Ne se tromperait-on pas de combat ? Ne se tromperait-on pas de siècle ?
N’y a-t-il pas lieu plutôt de s’inquiéter des attaques menées contre notre langue nationale, par une langue étrangère, je veux dire l’anglo-américain ? (MM. Jean-Jacques Mirassou et Claude Bérit-Débat marquent leur approbation en occitan.)
Sur ce point très précis, certains de nos compatriotes n’hésitent pas à se demander si nous ne serions pas en voie de colonisation culturelle et linguistique, tandis que d’autres évoquent « la machine de guerre à angliciser » et annoncent pour bientôt un véritable « Waterloo linguistique ».
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est bien parti !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je dirai plus simplement que, si la langue française est actuellement fragilisée, y compris de plus en plus dans les actes courants de la vie publique, c’est effectivement le fait de la langue anglaise.
Alors, de grâce, que l’on cesse de tirer sur les langues régionales, lesquelles sont vraiment menacées, elles, de disparition !
Faut-il d’ailleurs rappeler que la loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française, sur laquelle le tribunal administratif de Montpellier s’est fondé pour interdire l’installation de panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale, a été rédigée et votée dans le but de protéger la langue française face à l’anglais, et non face aux langues régionales ?
C’est un patrimoine humain, un patrimoine culturel très fragile, très menacé, et il nous faut donc le protéger. Car, si nous ne réagissons pas, selon certaines études, 50 % des langues régionales auront disparu d’ici à cinquante ans.
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Oui, il y a des régions à forte identité, en métropole et outre-mer.
M. Ronan Kerdraon. La Bretagne !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Elles ont leur histoire, leur langue, leur culture, mais leurs habitants ont toujours eu le cœur français. Et ils l’ont prouvé par le passé.
Comme certains de nos collègues l’ont déjà dit, il suffit de compter les noms sur les monuments aux morts de ces régions.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Oui, mes chers collègues, la France est riche de cette diversité culturelle et linguistique.
M. Ronan Kerdraon. Elle en est fière !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Ces langues sont parfois transfrontalières et donc présentes dans les pays voisins.
Elles sont aussi des langues et cultures de France. Ce sont des langues vivantes qui, comme les autres, développent des aptitudes linguistiques chez les jeunes Français.
Mieux encore, comme cela fut écrit : « La langue n’est pas seulement un moyen de communiquer de l’information et du savoir […] Elle est aussi un véhicule de transmission des symboles de la mémoire collective qui provoque les fortes émotions de la communion au même système de valeurs ».
C’est tout cela qui est menacé, mes chers collègues.
Voilà pourquoi il m’arrive de dire parfois qu’il faut une véritable « écologie » des langues régionales. (M. Claude Bérit-Débat marque son approbation en occitan.)
Dès lors, comment pourrait-on accepter de laisser se dégrader, sans réagir, notre patrimoine linguistique et culturel ?
Comment pourrait-on accepter de ne pas réagir après un jugement d’un tribunal administratif qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les collectivités territoriales désireuses de s’engager dans la voie de la reconnaissance des langues régionales, et ce alors que cette reconnaissance est désormais un impératif constitutionnel ?
Cette décision pourrait surtout faire jurisprudence et menacer bien des initiatives déjà prises par les communes, en faveur non seulement de notre belle langue occitane,…
M. Ronan Kerdraon. Et le breton ?
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. … mais aussi de l’ensemble des langues régionales de France. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, le tribunal administratif, en rendant son jugement, a donné une interprétation radicale de certains textes, en relevant, par exemple, l’absence de recherche d’objectifs de sécurité routière ou encore l’utilisation d’une lettre « ò » n’existant pas dans l’alphabet français parce que comportant un accent grave, ou même « l’usage local, pas suffisamment ancien et constant » – j’y reviendrai ultérieurement – « de l’appellation en langue régionale ».
On me permettra d’être sceptique sur le fait que la lettre « ò », du fait de l’accent grave, pourrait être de nature à ne pas rendre aussi compréhensible que possible par l’usager la lecture d’un panneau, et ce d’autant que ledit panneau est à proximité immédiate de celui qui est écrit en langue française. En fait, les deux panneaux sont contigus.
On est d’ailleurs en droit, comme vous le précisez vous-même dans votre rapport, madame le rapporteur, de se demander « si les contraintes typographiques réglementaires ne devraient pas être adaptées aux langues régionales et non l’inverse ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Avec un dictionnaire !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. On peut également s’interroger sur la deuxième raison invoquée par le juge et plus particulièrement sur la portée de la référence à des circonstances particulières ou à l’intérêt général.
On doit surtout s’interroger sur les conséquences d’une telle condition mise en avant par le juge, condition qui ne manquerait pas d’entraîner nombre de contentieux.
Je ferai d’ailleurs remarquer que nous ne faisons pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994. En effet, l’analyse des considérants nous permet d’indiquer que rien, dans cette décision, ne subordonne à l’existence de « circonstances particulières » ou d’un « intérêt général », la mise en œuvre de la faculté d’installer, sur la voie publique, des inscriptions en langue régionale.
Au contraire, les considérants 11 et 12 de la décision laissent entendre que, sur la voie publique, il ne peut être imposé, sous peine de sanctions, l’usage réglementaire de certains mots « en tant qu’ils s’appliquent à des personnes autres que les personnes morales de droit public et les personnes privées dans l’accomplissement d’un service public. »
Quant à l’absence de fondement historique évoquée par le tribunal administratif, je précise que les formes correctes de toponymie sont attestées par l’usage des locuteurs dont témoignent les pratiques courantes et les atlas linguistiques. On les trouve dans les cartes, les chartes, la littérature et les cadastres. Ainsi, la forme Vilanòva de Magalona est attestée dès 1419. Dès lors, comment peut-on dire que cet usage n’est pas assez ancien ?
Mais passons ! D’une façon plus générale, aucun cadre juridique restreignant l’utilisation de traductions, tel que celui qui a été évoqué par le tribunal administratif, n’est, à notre avis, mentionné dans la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994.
En fait, si un tel jugement a pu être rendu par le juge administratif, c’est en raison d’une loi peu précise sur le point qui nous préoccupe ou, si l’on préfère, en raison de l’absence d’un cadre législatif strict ne laissant aucune place à une interprétation controversée.
Pour être plus précis, je dirai que si, selon les termes de l’article 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, « Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française », l’article 21 de la même loi précise, en revanche, que les dispositions du texte « s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage. »
L’interprétation de cette combinaison de textes semble a priori impliquer la possibilité, pour les communes, d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale.
Remarquons, toutefois, que, faute de textes législatifs plus précis, nous en sommes, nous-mêmes, réduits à interpréter la loi. En effet, ni la loi du 4 août 1994 ni aucun autre texte législatif ne mentionnent clairement la possibilité, pour les communes, de choisir d’installer des panneaux d’entrée ou de sortie d’agglomération bilingues.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est exact !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Il y a là une brèche juridique qu’il nous faut combler.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est pourquoi il nous paraît hautement nécessaire de fixer un cadre législatif circonscrit, strict et précis, conforme à la volonté du législateur, et qui nous préservera de nombreux contentieux en la matière.
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous proposons donc que l’article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française soit complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération peuvent être complétés d’une inscription de la traduction de ce nom en langue régionale. »
Il s’agit, en effet, de conforter cette pratique par la loi et d’apporter, comme vous le mentionnez justement dans votre rapport, madame le rapporteur, une « garantie ». Je vous prie, toutefois, de noter, mes chers collègues, que, dans notre esprit, ces dispositions ne doivent pas avoir bien évidemment pour conséquence de remettre en cause d’autres pratiques courantes, telles que l’apposition de plaques portant le nom de rues en langue régionale, par exemple.
Nous considérons, en effet, que nos langues régionales doivent être présentes dans la vie publique, dans l’espace public. Pour vivre, une langue doit être présente dans la société.
Certes, je le reconnais, cette proposition de loi a un objectif limité. Mais c’est volontairement que nous nous sommes limités à cet objectif, car il y a urgence à régler ce problème une bonne fois pour toutes.
Cela dit, il nous faudra, dans un second temps, aller plus loin, en donnant un véritable statut juridique aux langues régionales, qui appartiennent, aux termes de l’article 75-1 de la Constitution, au patrimoine de la France. Il s’agit de permettre à ces langues régionales de véritablement vivre, ou plutôt, oserais-je dire, de ne pas mourir !
Faute d’une loi qui organise et garantisse leur usage, les langues régionales, patrimoine de la France, notre bien commun, seront menacées dans leur transmission et leur développement. Peut-on laisser se dégrader ainsi notre patrimoine ? Il nous faudra donc donner un cadre juridique protecteur à ces langues.
N’oublions pas que la cour administrative d’appel de Nancy a récemment déclaré qu’il n’y a pas de « droit » aux langues régionales. C’est la preuve que l’article 75-1 de la Constitution, à lui seul, n’est pas suffisant.
Dans cette optique, plusieurs propositions de loi ont été déposées, notamment celles de nos collègues Robert Navarro et Jean-Paul Alduy.
Depuis plusieurs décennies, les organismes internationaux et européens – le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, les Nations unies ou encore l’UNESCO – rappellent l’importance des langues dans le patrimoine de l’humanité et incitent les États à prendre des mesures visant à assurer la défense et le développement des langues, spécialement des langues régionales ou minoritaires.
Oui, mes chers collègues, la préservation de la diversité linguistique constitue un enjeu majeur. La France est riche de ses diversités culturelles et linguistiques en métropole et outre-mer. Et, nous sommes tous, j’y insiste, responsables de leur préservation devant les générations futures.
Alors, si vous le voulez bien, commençons par accomplir un pas de plus dans cette voie, celle qui devra nous conduire non seulement à préserver nos langues régionales, mais aussi à les promouvoir, à les développer et à les transmettre.
C’est l’un des objectifs de cette proposition de loi, certes modeste, mais absolument nécessaire.
Vous avez bien voulu, madame le rapporteur, au nom de la commission de la culture, vous prononcer en faveur de ce texte, sous réserve de quelques modifications, que j’approuve d’ailleurs, et je vous en remercie vivement. J’espère que nous bénéficierons du même soutien de votre part, monsieur le ministre, ainsi que de celui de la Haute Assemblée tout entière. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Plusieurs sénateurs du groupe socialiste félicitent l’auteur de la proposition de loi en occitan et en breton.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, déposée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste, dont certains collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, vise à compléter la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, en précisant que les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération peuvent être complétés d’une traduction en langue régionale.
La défense des langues régionales est un sujet passionnant qui mobilise le Parlement, et ce quels que soient les courants politiques. En témoignent les propositions de loi qui se multiplient au Sénat comme à l’Assemblée nationale, telles que celles de nos collègues Robert Navarro et Jean-Paul Alduy, toutes deux relatives au développement des langues et cultures régionales, ainsi que les deux propositions de loi déposées au mois de décembre dernier par nos collègues députés Marc Le Fur et Armand Jung.
La vivacité du débat est déjà perceptible, ainsi que l’attestent les nombreuses questions orales ou écrites à ce sujet - en un an, près d’une dizaine au Sénat.
Cette mobilisation s’inscrit dans la dynamique suscitée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, le nouvel article 75-1 de la Constitution reconnaît les langues régionales comme constitutives du patrimoine de la France.
Pour autant, il ne s’agit pas aujourd’hui de se prononcer sur la portée de cette réforme et d’entamer les débats qui ne manqueront pas de naître à l’occasion de l’examen de l’un des textes que je viens d’évoquer.
Loin de s’attaquer à la question très générale de la promotion des langues régionales, la présente proposition de loi vise à traiter une question très précise et circonscrite, celle de la signalisation des entrées et sorties de ville. L’objectif est de transcrire en droit positif une pratique qui n’est pas interdite, et qui est d’ailleurs courante dans de nombreux endroits en France.
Nous avons tous déjà constaté que de nombreuses communes ont fait le choix d’installer des panneaux bilingues, utilisant à la fois la langue française et une langue régionale.
Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française permet aux communes d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 juillet 1994, l’a d’ailleurs confirmé, en précisant que « la loi relative à l’emploi de la langue française prescrit sous réserve de certaines exceptions l’usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l’enseignement et la communication audiovisuelle ; qu’elle n’a toutefois pas pour objet de prohiber l’usage de traductions lorsque l’utilisation de la langue française est assurée ».
Les langues régionales peuvent donc figurer sur les panneaux d’entrée de ville, mais à condition qu’il s’agisse d’une signalisation bilingue comprenant le nom en langue française.
C’est d’ailleurs cette réponse qui a été régulièrement apportée aux parlementaires ayant abordé ce sujet par le biais des questions écrites ou orales.
Aussi peut-on se demander s’il est bien opportun d’inscrire dans la loi une disposition qui semble a priori inutile, car autorisant une pratique non proscrite.
L’élément décisif ayant conduit M. Courteau et les auteurs de cette proposition de loi à soutenir ce texte est une très récente décision du tribunal administratif de Montpellier enjoignant à une commune, Villeneuve-lès-Maguelone, de procéder à l’enlèvement de panneaux portant la transcription en occitan du nom de l’agglomération.
Je tiens à souligner un point fondamental : le juge administratif n’a pas remis en cause le principe du bilinguisme. Il a même rappelé, au contraire, la possibilité offerte par la loi et confirmée par le Conseil constitutionnel.
Si le tribunal administratif a rendu ce jugement, c’est pour deux autres motifs.
Premièrement, les panneaux litigieux ne respectaient pas les règles de sécurité routière.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est secondaire !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Étant de même taille ou plus grands que les panneaux d’entrée de l’agglomération et ne portant pas le nom usuel de celle-ci, ils prêtaient à confusion et pouvaient être une source d’insécurité routière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je ne fais que rappeler les arguments du tribunal administratif de Montpellier, chers collègues.
En outre, le juge a considéré que la lettre « ò », donc un « o » affecté d’un accent grave, ne pouvait figurer sur un panneau, ce signe diacritique n’étant répertorié dans aucune des annexes de l’arrêté du 7 juin 1977 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes. Cela signifierait donc que la signalisation bilingue est autorisée, mais seulement si elle respecte les normes de la langue française !
Ce qu’autorisent la loi et le juge constitutionnel peut donc être limité par les contraintes typographies réglementaires…
La réglementation devrait, à tout le moins, être adaptée pour que les langues régionales puissent effectivement vivre dans le respect de leurs éventuelles spécificités typographiques.
Deuxièmement, le juge a invoqué l’absence de fondement historique de la traduction occitane. La commune visée n’a pas été en mesure d’invoquer l’existence d’un usage local suffisamment ancien et constant de la toponymie employée.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Depuis 1419 !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Dès lors, selon le juge, aucune circonstance particulière ou tenant à l’intérêt général ne justifiait l’installation de ces panneaux.
Ce dernier point est très important, parce que l’on est en droit de se demander si cette nouvelle condition d’intérêt général ou de circonstance particulière ne pourrait pas être à la source d’une interprétation restrictive de la possibilité d’installer des panneaux bilingues,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
Mme Colette Mélot, rapporteur. … dans le cadre de contentieux à venir.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. En effet !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Il serait dommage de revenir sur une pratique autorisée jusqu’à aujourd’hui par la loi et le juge constitutionnel.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Les incertitudes que je viens d’évoquer peuvent justifier que l’on soutienne cette proposition de loi, même si, à première vue, il est légitime de penser qu’il est inutile de légiférer pour autoriser ce qui n’est pas interdit.
Sur le fond, la proposition de loi paraît donc à la fois utile pour asseoir une pratique déjà courante, sans être révolutionnaire, puisqu’elle ne fait que rappeler ce qui est déjà autorisé.
Je tiens à insister sur un point fondamental : il ne faudrait pas interpréter la volonté du législateur dans le sens d’une restriction de la pratique du bilinguisme pour les autres installations, notamment les panneaux de rue.
L’esprit de cette proposition de loi doit être clair : il s’agit de consolider une pratique qui concerne les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération, non de remettre en cause les autres installations existantes.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Permettez-moi également de préciser le sens des mots choisis : il s’agit de « compléter » les panneaux en langue française. Nous sommes donc bien dans la logique de la loi du 4 août 1994 : la langue française doit bien être respectée...
M. Claude Bérit-Débat. C’est clair !
Mme Colette Mélot, rapporteur. ... et les mentions en langue française figurer en premier, l’inscription en langue régionale devant suivre en second, pour compléter le nom de l’agglomération en français.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Très bien !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Ces précisions techniques relèvent évidemment du règlement, mais il n’est pas inutile de procéder à ce rappel à l’occasion de cette discussion générale.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très utile !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Vous l’aurez compris, la commission de la culture partage les objectifs de cette proposition de loi.
La rédaction de l’article unique soulève toutefois deux difficultés majeures sur lesquelles nous avons souhaité revenir en proposant un amendement.
Le premier point concerne le champ d’application, puisque l’article unique mentionne, sans plus de précision, « Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération ».
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Pourtant, le titre de la proposition de loi mentionne bien les « panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération ».
Il est fondamental de revenir sur cet oubli rédactionnel, sous peine de favoriser la prolifération des panneaux qui mentionneraient le nom d’une agglomération à côté d’autres inscriptions. En l’état, rien n’interdirait en effet d’élargir cette possibilité aux panneaux publicitaires, par exemple.
Sans cette précision, cette disposition risquerait aussi d’encourager la prolifération de panneaux inutiles, dont on sait qu’ils peuvent facilement polluer nos paysages. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a soutenu fermement notre collègue Ambroise Dupont dans son combat contre l’affichage publicitaire extérieur excessif et les pré-enseignes dérogatoires à l’occasion du Grenelle II. Il ne s’agirait donc pas d’ouvrir ici une brèche dans laquelle s’engouffreraient des personnes peu respectueuses de nos paysages.
En outre, il convient de garantir la clarté de la signalisation, qui doit rester aussi compréhensible que possible pour garantir une sécurité routière maximale.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
Mme Colette Mélot, rapporteur. La référence aux « panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération » semble donc préférable.
Le second point sur lequel il convient de revenir est le terme de « traduction ». En effet, cela signifierait que chacun peut se mettre à traduire le nom de sa commune – pourquoi pas en l’inventant ? –, alors qu’il n’y aurait aucun fondement historique.
M. Didier Guillaume. C’est l’histoire qui donne la traduction !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Ici, l’objectif est bien de préserver le patrimoine de la France et non d’en inventer un.
Je rappelle que c’est la formulation du toponyme en français qui est, historiquement, une traduction ou une adaptation de l’appellation en langue régionale, et non l’inverse !
Ainsi, Castel Nòu d’Ari – « Château neuf d’Ary » – a précédé l’appellation Castelnaudary,...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est un bon exemple !
Mme Colette Mélot, rapporteur. ... et Brageirac ne s’appelle Bergerac que depuis peu.
Les vieilles chartes, les cartes, les cadastres et la littérature en témoignent, vous l’avez rappelé, monsieur Courteau.
M. Jean-Jacques Mirassou. Excellemment rappelé !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Ainsi, la commission de la culture vous proposera un amendement visant à améliorer la rédaction de l’article unique, afin de pouvoir se prononcer en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. Jean-Louis Carrère. Qu’a pla parlat !
M. Claude Bérit-Débat. Qu’at a pla dit !
M. Jean-Louis Carrère. Qu’em d’accorts !
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Atencion ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. Le ministre va s’exprimer en langue régionale ! (Sourires.)
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le sénateur Courteau, madame le rapporteur Colette Mélot, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi aujourd’hui soumise à votre examen vise à donner aux langues régionales de France une visibilité dans l’espace public. C’est la première fois qu’une mesure légale est envisagée pour donner à lire des noms de lieux dans leur forme traditionnelle et dans la langue qui les a façonnés.
Pour nombre d’entre nous, ce peut être un sujet d’étonnement que des villes ou villages de France aient la possibilité d’avoir un nom dans une autre langue que le français, tant l’idée est enracinée en nous d’une adéquation parfaite de la langue française avec le territoire national.
Nous acceptons volontiers que le français déborde un peu sur les pays voisins et nous évoquons volontiers la féconde dispersion du français dans le monde. Mais que l’on parle d’autres langues dans de larges zones de notre pays et que le français y soit d’implantation récente, voilà qui ne laisse pas de nous troubler...
C’est pourtant une évidence : les limites politiques ne coïncident pas avec les limites linguistiques et, depuis toujours, on parle en France d’autres langues que le français. Telle est la vérité profonde qui nous est rappelée dans cette proposition de loi.
C’est donc à une opération de mise au jour, de mise en lumière, que nous invitent le sénateur Courteau et ses collègues : le dévoilement d’une réalité cachée.
Sous l’habillage uniforme des appellations officielles que portent les panneaux indicateurs à l’entrée de nos villes se dissimulent bien des témoignages de la pluralité linguistique du pays.
D’autres noms se cachent sous les noms familiers qui nous portent à lire ou à relire l’histoire des langues dans notre pays.
Les noms de ville disent la France dans sa diversité ; ils parlent flamand, breton, occitan, corse, basque, créole, normand, mais c’est le plus souvent sous une forme francisée, adaptée à la phonétique et à la graphie de la langue commune.
Ainsi écrira-t-on les sons comme on le fait habituellement en français, et non selon la tradition d’écriture de la langue concernée. Millau s’écrit avec « ll », et non Milhau avec le digraphe « lh » de l’occitan. Polignac s’écrit avec le groupe « gn » et non Polinhac avec le « nh » original. Voilà pour la graphie.
Pour la prononciation, l’adaptation consistera à ramener des sons inconnus à des sons approchants en français ou à les prononcer à la française. Ainsi la diphtongue « aw » de Millau est-elle prononcée « o », le « ow » de Castelnòu devient le « au » de Castelnau et le « tch » de Cervione devient le « s » de Servione. Il existe aussi des cas de traduction pure et simple, par exemple lorsque Castelnòu devient Châteauneuf.
Dans ce dernier cas, on constate que la traduction se fait généralement de la langue première vers le français. Il ne convient alors pas de parler de « traduction en langue régionale ». Le libellé primitif de la proposition de loi inverse l’ordre des choses. C’est bien le français qui est le plus souvent une traduction ou une adaptation de la langue régionale.
Ces interventions ont conduit à une nomenclature officielle unifiée, et c’est sans doute heureux pour l’unité de notre pays. En dehors de quelques zones périphériques, l’Alsace, par exemple, qui ont globalement conservé les noms originaux de leurs communes, la toponymie officielle se sépare parfois notablement de la toponymie authentique.
Il est donc parfaitement légitime que, dans les régions où une langue distincte reste en usage, nos concitoyens souhaitent la voir apparaître sur la voie publique. Je ne vois rien là de répréhensible, bien au contraire.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de le dire aux assemblées par la voix de mes collègues du Gouvernement, je suis attaché à cette pratique déjà ancienne, d’ailleurs, et largement répandue qui consiste à faire figurer sur un panneau le nom premier d’une agglomération à côté de sa version française.
Il me plaît et il m’importe de savoir que, sous Le Guilvinec se cache Ar Gelveneg, et que Guingamp dissimule à peine Gwengamp, ce qui, au passage, me donne l’occasion d’apprendre que gwenn, qui entre également dans la composition d’autres toponymes bretons, signifie « blanc ». Il en est de même pour le lann de Landerneau ou de Landévennec qui signifie « l’ermitage » et pour le plou de Plougastel ou de Plougrescant qui veut dire « paroisse ». Quant à Dunkerque, Duyn Kerke, n’est-ce pas beau, « l’église des dunes » ? (Sourires.)
Loin de constituer un quelconque repli identitaire, la signalisation bilingue est, au contraire, un dévoilement identitaire. Elle nous donne à voir notre pays pour ce qu’il est aussi : le foyer de langues diverses. La manifestation publique des langues de France révèle un des visages de la France. C’est un miroir qui nous renvoie l’image plus fidèle de la nation, politiquement une et culturellement plurielle.
Faut-il pour autant légiférer afin de réglementer l’installation de panneaux indiquant le nom d’une agglomération ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Cette procédure peut paraître bien lourde à certains, pour un usage courant qui, jusqu’ici, n’avait pas posé la moindre difficulté.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Jusqu’ici...
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Vous le savez : je me méfie du recours intempérant à la loi pour régler le moindre problème (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), et celui-ci ne me paraissait pas a priori être du domaine de la loi.
Je m’en tiendrais volontiers au principe selon lequel ce qui n’est pas interdit est autorisé...
M. Gérard Longuet. Principe fort libéral !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. ... et, par conséquent, si elles le souhaitent, les collectivités peuvent garder en toute liberté l’initiative de signaler leur nom en langue régionale, comme elles le font en français.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il a été dit que non !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. En vertu de ce principe, d’ailleurs, nombre de panneaux de rue sont apposés en français et en langue régionale, sans que quiconque s’en émeuve, bien au contraire.
M. Ivan Renar. C’est différent !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mais je n’ignore pas, monsieur Courteau, que votre proposition fait suite à une décision de justice qui a ordonné à une municipalité de retirer les panneaux indicateurs donnant le nom de la ville qu’elle administre en occitan. En légalisant la pratique de la double signalisation, il s’agit pour vous d’éviter que les contentieux ne se multiplient.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Cela pourrait nous acheminer vers une autre philosophie du droit, selon laquelle n’est autorisé que ce qui est explicitement prévu par la loi, ce qui serait regrettable.
Sans doute faut-il se résoudre à passer par la loi dans le cas qui nous occupe aujourd’hui. Il peut être utile, ponctuellement, de préciser les choses, étant entendu que votre proposition de loi ne concerne que les panneaux d’entrée et de sortie des agglomérations, et non l’ensemble de la signalisation routière qu’un bilinguisme généralisé ne contribuerait certes pas à simplifier.
Mais, ainsi que vous l’avez souligné, madame le rapporteur, on ne saurait l’interpréter de manière restrictive pour tous les autres panneaux, de rue notamment, en vertu de cette autre philosophie du droit que je dénonçais tout à l’heure.
Le Gouvernement ne s’opposera donc pas à l’adoption d’un texte qui aurait pour effet de donner pour la première fois, et en propres termes, droit de cité aux langues régionales,...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien et merci !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. ... dans la lignée de l’article 75-1 de la Constitution, qui les a récemment reconnues comme patrimoine de la France.
Je vois dans cette affaire de panneaux indicateurs l’occasion de donner consistance à une disposition constitutionnelle qui, sans cela, risquait de rester dans l’universel abstrait des principes, d’autant plus affirmés et vénérés que dépourvus de toute application.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est vrai !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la mondialisation, par les effets d’uniformisation qu’elle induit, a pour conséquence paradoxale de faire de la diversité une valeur. La visibilité des langues de France n’est pas seulement un tribut que nous rendons à notre histoire, c’est désormais aussi un enjeu de modernité et d’attractivité.
À l’heure où tout tend à s’égaliser dans un univers qui menace de devenir unidimensionnel, qui ne se réjouit de voir, d’entendre, que tel territoire ne ressemble pas tout à fait à son voisin, en France comme ailleurs ? La pluralité des langues et des cultures qui s’expriment dans ces langues est une chance pour la France !
Dans ces conditions, et pour autant que les exigences de sécurité routière soient respectées, l’initiative que vous avez prise visant à autoriser pour les entrées et les sorties de ville une signalisation conjointe en français et en langue régionale recueille l’accord du Gouvernement, sous réserve de l’adoption de l’amendement déposé par Mme le rapporteur, au nom de la commission. (Applaudissements.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures quinze.
Je vous rappelle que le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République sera clos à quinze heures trente-cinq.
Il vous reste donc vingt minutes pour voter.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de plaisir que je m’adresse à vous en cet instant, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, j’ai enseigné, dans une vie antérieure, l’occitan,…
M. Claude Bérit-Débat. Très bonne introduction !
M. François Fortassin. … et j’en conserve des souvenirs très précis. Ensuite, je vois dans ce texte l’occasion de réunir, de façon très concrète, Catalans, Languedociens et Gascons,…
M. Jean-Louis Carrère. Et Basques !
M. Ronan Kerdraon. Et Béarnais !
M. Philippe Paul. Et les Alsaciens ?
M. Jackie Pierre. Oui, et les Alsaciens ?
M. François Fortassin. … ainsi que Béarnais et Bretons, dans une joyeuse diversité culturelle que chacun souhaite bien entendu défendre.
Je voudrais aussi féliciter notre excellent collègue Roland Courteau de son initiative. En effet, cette proposition de loi n’était pas nécessaire avant le jugement du tribunal administratif de Montpellier, mais, dès l’instant où cette décision a été rendue, tous ceux qui sont attachés à la culture régionale et à la décentralisation se devaient de réagir. C’est bien ce que nous faisons actuellement.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. François Fortassin. J’ai apprécié la position équilibrée de la commission de la culture et je félicite à ce propos Mme le rapporteur.
Il n’est un secret pour personne que M. le ministre de la culture est un puits de science, mais nous ne savions pas qu’il était aussi un puits de culture régionale !
M. Ronan Kerdraon. Flatteur !
M. François Fortassin. Mon cher collègue, il est très rare que nous flattions les ministres ! (Sourires.) Pour une fois que nous pouvons être totalement sincères, ne boudons donc pas notre plaisir ! (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Personnellement, je me félicite de voir cette proposition de loi examinée aujourd’hui par le Sénat. Toutefois, nous devrons éviter certains écueils, en particulier dans les zones frontalières, où la nécessité et la volonté d’utiliser deux langues peuvent se faire jour.
Par exemple, dans le Val d’Aran, situé hors de nos frontières, mais si proche de ma vallée natale, on parle non seulement le catalan, qui est la langue officielle, mais aussi l’aranais et le castillan.
Il convient donc d’éviter de multiplier, dans certaines zones sinon de conflits du moins de confluence, le nombre de langues utilisées.
Et mon ami d’origine béarnaise Claude Bérit-Débat ne parle pas tout à fait le même gascon que celui qui est utilisé dans mes Pyrénées. Or, bien entendu, chacun revendique la paternité de la langue officielle.
Par ailleurs, nous devrons éviter d’aller trop loin en matière de « traduction ». En effet, n’oublions pas que ces langues régionales riches et variées sont l’héritage de civilisations agricoles et rurales. Or il est difficile de traduire convenablement en gascon certains termes, qu’il s’agisse de la « magnéto » de la voiture, de la « fracture numérique » ou encore du « centre de télécommunications ». Un tel exercice n’aurait d’ailleurs pas grand sens !
Il faut expliquer à tous les régionalistes, « occitanistes », provençaux et autres picards que, à l’évidence, et ce n’est pas forcément être jacobin que de le reconnaître, certaines évolutions sont acceptables – nous les défendons bec et ongles -, tandis que d’autres le sont moins, car elles contribueraient, me semble-t-il, à affaiblir le projet que nous portons, les langues que nous défendons et la culture que nous entendons promouvoir.
Ces précisions étant apportées, c’est avec grand plaisir que je voterai, comme la majorité des membres du RDSE, cette proposition de loi ainsi que l’amendement que vous avez déposé, madame le rapporteur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Frédéric Mitterrand, mes chers collègues, le débat que nous engageons va bien au-delà de l’intitulé de la proposition de loi qui nous est soumise.
Les langues et les cultures régionales participent de la diversité linguistique et culturelle de notre pays. Je me suis toujours attaché à défendre cette diversité, car elle est source de richesse. Il faut la préserver en permettant la pratique et le développement des langues régionales. Je crois cette volonté quasi unanime aujourd’hui en France.
Pour autant, on ne saurait privilégier la défense des langues régionales au détriment de la langue de la République, qui nous permet encore, comme dit le poète, de « chanter La Marseillaise pour toute l’humanité ».
Je reste, en tant que républicain et citoyen français, fermement attaché à la langue nationale qu’est le français, mais je ne pense pas que cette défense se conçoive en opposition aux langues régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Au contraire, la plus grande bataille à mener aujourd’hui pour les défenseurs de la francophonie est celle de la lutte contre l’uniformisation culturelle et linguistique, les deux perspectives allant souvent de pair. La mondialisation impose l’anglais comme langue « universelle »,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Eh oui !
M. Ivan Renar. … et ce au détriment du développement du français, dont l’usage ne cesse de s’éroder, notamment au sein des institutions internationales et européennes, qui placent pourtant notre langue au rang des langues officielles.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. En effet !
M. Ivan Renar. Face à l’hégémonie de l’anglais, il nous faut consacrer la place du français sur l’échiquier international.
La langue française est un instrument d’unité de notre pays, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Ce texte a en effet permis de garantir les droits de chacun, en imposant l’usage du français dans les tribunaux et dans les parlements.
Désormais, l’article 2 de la Constitution consacre en tant que principe de souveraineté le fait que « la langue de la République est le français », ce qui permet à la République d’assurer l’égalité devant la loi de chaque citoyen « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Historiquement, cette langue unique fut consacrée non sans mal, trop souvent dans une opposition violente aux langues régionales.
Mais force est de constater que la problématique n’est plus la même aujourd’hui. La France n’est pas de ces pays qui empêchent, violentent et persécutent des minorités ethniques et régionales.
J’adopte pour ma part, à l’égard des langues régionales, une neutralité bienveillante : il s’agit non pas d’imposer leur pratique et leur enseignement ou de les interdire, mais de leur donner les moyens d’exister en tant qu’éléments constitutifs de la richesse culturelle de notre pays et de son patrimoine, car les langues régionales sont, comme les autres langues, des vecteurs d’histoire, d’ouverture et d’identité. Toutefois, il ne faut pas en faire de nouveaux ferments – ils sont déjà trop nombreux ! – d’un repli identitaire.
Comme j’avais déjà eu l’occasion de l’affirmer en 2008 lors des débats sur la révision constitutionnelle, si cette diversité doit être préservée, le fait d’inscrire ces particularismes dans les principes fondateurs de la République, au sein des premiers articles de la Constitution, pourrait se révéler dangereux, car cela mettrait à mal l’unité du pays en renforçant les communautarismes.
L’article 1er de la Constitution consacre ce qui unit et rassemble et non ce qui différencie et divise.
Garantir l’expression des particularismes, oui, mais dans la sphère privée ! Il s’agit d’autoriser sans consacrer, de garantir l’unité sans pour autant uniformiser. Car l’unité linguistique signifie non pas le rejet des différences, mais la possibilité de voir émerger un espace public commun. De nombreuses langues étrangères et régionales sont pratiquées en France. Rien ne vient les entraver, mais une seule langue est reconnue : le français.
D’ailleurs, à l’heure actuelle, nous nous efforçons de promouvoir les langues et cultures locales par l’enseignement facultatif des langues régionales au lycée.
Je m’indigne bien volontiers du manque de moyens consacrés à l’éducation nationale et, donc, à l’enseignement facultatif des langues régionales et des langues étrangères autres que l’anglais et l’espagnol. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est vrai !
M. Ivan Renar. Je partage, en tant que représentant des collectivités locales, leur volonté et leur combat, indispensables pour faire vivre et rayonner ces cultures.
En 2008, les langues régionales ont été reconnues par la Constitution, dans son article 75-1, éléments constitutifs du patrimoine national. Cette évolution, qui a permis de reconnaître leur importance, a également créé un instrument au service de revendications régionales toujours plus poussées.
Aujourd’hui, s’appuyant notamment sur cette constitutionnalisation des langues régionales, l’article unique de la proposition de loi qui nous est soumise prévoit que les panneaux apposés sur la voix publique pourront être complétés d’une inscription de la traduction du nom de l’agglomération en langue régionale.
Mais demain ? Au service de quelle cause la nouvelle reconnaissance des langues régionales sera-t-elle utilisée ? Il convient de rester vigilants en la matière, car tout se passe comme si, à l’heure de la mondialisation, le repli identitaire et la résurgence des mouvements nationalistes, communautaires et indépendantistes constituaient une réponse à la perte de lisibilité et de signification des frontières, ainsi que des repères nationaux et culturels.
Dans le débat qui nous agite aujourd’hui, je veux dire ma crainte que nous n’ouvrions la voie à des revendications dont le nombre et l’ampleur seront exponentiels. C’est donc avec de grandes précautions que je prends position – ou avec cette main tremblante que conseille Montesquieu.
Cette proposition de loi fait suite à la décision du tribunal administratif de Montpellier du 12 octobre 2010 ordonnant la suppression des panneaux d’agglomération en occitan dans la ville de Villeneuve-lès-Maguelone. Ils ne constituaient qu’une traduction, puisqu’ils étaient placés sous les panneaux en langue française.
Ce n’est pas à proprement parler l’utilisation de la traduction française qui a été condamnée. Le tribunal a en effet considéré que la pose de panneaux en langue régionale sous les panneaux libellés en français nuisait à la clarté de l’information et ne répondait pas aux objectifs de sécurité routière.
Cependant, cet argument pourrait être utilisé pour supprimer tous les panneaux faisant mention en langue régionale d’une entrée ou d’une sortie de ville. Il pourrait devenir un instrument de lutte active contre les langues régionales.
Nous souhaitons, nous, protéger et développer les langues régionales sans que soient créées des différences de droit fondées sur la locution ou sur un quelconque particularisme.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ne dit pas autre chose quand il affirme que « leur usage et leur pratique ne peuvent remettre en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »
Bien entendu, l’adoption de cette proposition de loi ne constitue pas une menace à cet égard. Sa portée me semble même extrêmement limitée, puisqu’elle ne vise qu’à garantir par la loi la possibilité de traduction des panneaux d’entrée et de sortie de ville en langue régionale.
La rédaction de l’article de ce texte doit d’ailleurs être précisée, afin de limiter réellement ces traductions aux seuls panneaux d’entrée et de sortie de villes. Nous voterons donc l’amendement déposé par Mme le rapporteur, qui permet de régler ce problème.
En l’état, cette proposition de loi ne porte atteinte à aucun des principes fondamentaux de la République que j’évoquais. Je ne vois donc aucune raison de s’y opposer.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Ivan Renar. Nous voterons donc ce texte, mais en réitérant notre appel à la prudence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est pour vous dire l’accord du groupe de l’Union centriste, mais aussi la perplexité que ce texte a fait naître, que je m’exprime aujourd’hui devant vous.
Une proposition de loi visant à consacrer explicitement le droit des communes à disposer des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en français et en langue régionale ? Oui, bien sûr !
Comme vous pouvez vous en douter, mes chers collègues, le Breton que je suis ne peut être que particulièrement sensible à cette question,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. On l’espère !
M. Joseph Kergueris. … d’autant que le département français que je représente ici est le seul à ne pas porter un nom français et à être désigné en breton, langue régionale qui m’est chère entre toutes. Vous le savez, en breton, Morbihan signifie « petite mer ». C’est vous dire si je me sens concerné !
Or, en préparant ce débat, je me suis rendu compte que l’appellation choisie par les constituants de 1789, si je ne m’abuse, était quelque peu en contradiction avec l’article 3 de la loi du 4 août 1994 : en effet, le Morbihan est le seul département à faire l’objet, à l’entrée, d’une « annonce faite sur la voie publique », « destinée à l’information du public » mais en langue bretonne, et non pas en langue française !
Qu’importe, cela ne doit pas nous empêcher de vivre !
Le vif intérêt que ce texte a suscité en moi s’est cependant doublé non pas d’inquiétude, mais d’une relative perplexité. En Bretagne, la plupart des communes ont déjà installé des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération bilingues et les départements ont choisi depuis de nombreuses années d’installer une signalétique bilingue, laquelle a la particularité de ponctuer notre vie régionale à l’intérieur de la République.
Ces agglomérations sont-elles en infraction ? À mes yeux, la réponse est négative. Et là réside le paradoxe, puisque c’est l’exposé des motifs de cette proposition de loi qui m’en a convaincu.
Avec tout le respect que j’ai pour les auteurs de ce texte, je dois leur dire en effet que c’est la première fois que je vois l’exposé des motifs d’une proposition de loi démontrer avec autant d’efficacité le caractère relatif de son utilité !
Comme l’expliquent très bien les auteurs, ni la loi ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’interdisent l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération bilingues.
Ainsi, comme vous l’avez signalé, madame le rapporteur, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française permet cette pratique, ce qu’ont confirmé les Sages de la rue de Montpensier dans leur décision du 29 juillet 1994 relative à la loi précitée.
Dans ces conditions, et en vertu du principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pourquoi une loi ?
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Pour éviter des contentieux !
M. Joseph Kergueris. Certes, mon cher collègue, mais légiférer en la matière pourrait, à certains égards, avoir pour effet de restreindre les pratiques actuelles, et je pense en particulier à la signalétique routière.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Mais non !
M. Joseph Kergueris. Sans doute est-ce là ce qui nous sépare : pour ma part, je considère que le cadre légal actuel permettait beaucoup, et je ne suis pas certain qu’il en ira de même du nouveau.
Vous invoquez deux arguments.
Premièrement, vous voulez prévenir tout risque de contentieux…
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Joseph Kergueris. … et donc sécuriser la pratique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Des menaces planent !
M. Joseph Kergueris. Force est de constater que, pour l’heure, seul un jugement du 12 octobre 2010 du tribunal administratif de Montpellier semble restreindre le cadre de l’autorisation.
Certes, ce jugement est loin de nous satisfaire, mais, compte tenu des possibilités de recours, n’est-il pas un peu léger de légiférer tout de suite ? (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. On a vu pire !
M. Joseph Kergueris. Mais, au bénéfice du doute, je suis prêt à vous suivre sur ce point de votre argumentation. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Mme le rapporteur approuve également.)
Le second argument que vous avancez est d’une autre nature, politique celle-là, et donc plus intéressant et à maints égards plus convaincant.
En effet, la présente proposition de loi manifesterait une nouvelle ouverture en direction des langues régionales.
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
M. Joseph Kergueris. Nous sommes tous convaincus que c’est une nécessité. Les langues régionales font partie intégrante de notre patrimoine...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Joseph Kergueris. … et je m’empresse de préciser quelles font partie non seulement de notre patrimoine culturel, mais aussi de notre patrimoine tout court : c’est ce que nous avons reçu de nos pères.
Elles sont des marqueurs d’identité et d’identification de nos territoires.
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Joseph Kergueris. La présente proposition de loi a le mérite d’ouvrir un véritable débat ; il nous faudra légiférer sur les langues régionales. D’ailleurs, le Gouvernement s’y est engagé devant nous ici même.
Pour terminer, je salue le remarquable travail effectué par la commission de la culture et par son rapporteur, Colette Mélot. Je partage les préoccupations qui sont les siennes et je soutiendrai les amendements qu’elle a présentés, qui tendent à améliorer substantiellement la qualité juridique du texte qui nous est proposé.
Ainsi modifiée, cette proposition de loi sera de nature à éviter de nouvelles restrictions jurisprudentielles. Surtout, elle ouvre un vrai débat qu’il nous faudra poursuivre, j’en suis certain.
C’est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq et je déclare clos le scrutin pour l’élection d’une juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi fort opportune de notre collègue Roland Courteau aurait pu être inutile si l’esprit et la lettre de la loi du 4 août 1994 n’avaient pas été remis en cause par l’action en justice de quelques plaignants.
La loi en question autorise implicitement, par deux de ses articles, l’usage de la toponymie originale des agglomérations avec leur nom en langue française sur les panneaux d’entrée et de sortie. Le nom français est, je le rappelle, une traduction voire une simple transcription phonétique du nom en langue régionale, et non l’inverse.
Le Conseil constitutionnel est d’ailleurs allé dans ce sens et a confirmé la non-exclusivité du français dans la signalétique routière en expliquant que l’obligation de l’usage de la langue française n’interdit pas celui d’une autre langue.
Pourtant, il aura suffi qu’un collectif autoproclamé « Mouvement républicain de salut public » - dans gens qui n’ont pas peur des mots, sauf s’ils sont en occitan -, obtienne, par un jugement du tribunal administratif de Montpellier, le retrait de la traduction occitane des panneaux d’entrée et de sortie de la bourgade héraultaise de Villeneuve-lès-Maguelone.
Le juge administratif s’est appuyé sur un article du code de la route imposant la clarté dans la signalétique routière. En réalité, cet article concerne autant l’accumulation excessive de panneaux publicitaires à l’entrée des villes que l’éventuelle double signalisation en français et en langue régionale.
Pour autant, cet épisode peut véritablement constituer un précédent ; c’est pourquoi nous avons l’obligation de compléter la loi du 4 août 1994 afin que cette décision ne fasse pas jurisprudence et pour éviter que, par contagion, de très nombreuses communes dans la France entière ne se voient obligées de retirer l’ensemble de leur double signalétique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement ! Là est le problème !
M. Jean-Jacques Mirassou. Dans cette hypothèse, il faudrait, mes chers collègues, une bonne dose de courage à celui qui serait chargé, par exemple dans le triangle Tardets, Saint-Palais et Mauléon, cher à notre ami Jean-Louis Carrère, d’aller faire enlever tous les panneaux en basque, puis, passant du courage à la témérité, de revenir en deuxième semaine expliquer que l’on ne chasse plus la palombe ! (Sourires.) Mais c’est là une autre affaire qui n’engage que moi et les gens concernés.
Plus sérieusement, l’intérêt de cette proposition de loi est qu’elle constitue une avancée vers une forme de reconnaissance de l’identité régionale, à laquelle les gens sont très attachés. On note d’ailleurs un regain d’attractivité pour les langues régionales auprès des jeunes générations.
Comment ne pas évoquer, aussi, la bronca inattendue suscitée par l’éventualité du retrait des numéros de département des plaques d’immatriculation ? Cela nous rappelle au passage l’attachement que portent les Françaises et les Français à leurs départements, que certains voudraient déclarer obsolètes.
Ces départements constituent incontestablement une empreinte durable de la Révolution française dans notre paysage géographique et institutionnel.
Cela signifie clairement que nous sommes enfin parvenus à une époque où le principe intangible la République une et indivisible, que personne ne saurait contester, est largement compatible avec la promotion et la pratique des langues régionales.
Celles-ci sont les vecteurs de réalités culturelles qui ne demandent qu’à s’épanouir. Nul doute, mes chers collègues, que cette proposition de loi participera à cette impulsion. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Tout a été dit !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais évoquer le contexte juridique et historique dans lequel se situe la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Ce contexte permet d’expliquer de multiples initiatives parlementaires prises aujourd’hui, aussi bien par des députés que par des sénateurs, pour légiférer sur les langues régionales. Je suis d’ailleurs coauteur de l’une de ces propositions de loi.
La question des langues régionales est très ancienne et suscite toujours un vif débat.
Depuis la Révolution, et surtout à partir du xixe siècle, les pouvoirs publics ont voulu apprendre le français à tous les citoyens. La langue française était garante de l’unité de notre pays ; elle permettait une République égalitaire offrant à chacun l’accès à l’instruction publique et la possibilité d’une progression sociale.
Les moyens employés par l’école pour parvenir à cette unicité de la langue ont été douloureusement ressentis, ce qui explique en partie que le sujet soit si sensible.
La première génération, après avoir difficilement acquis le français sur les bancs de l’école, a voulu épargner cette épreuve à ses enfants en les éduquant en français.
Les langues régionales ont commencé leur déclin. Voilà cent cinquante ans, au moins 90 % des communes du Var ou du Finistère étaient déclarées non francophones. Les enquêtes dont nous disposons aujourd’hui ont révélé des taux de locuteurs de langue régionale atteignant en moyenne 10 %, auxquels il faut ajouter les 40 % des personnes qui la comprennent mais ne la parlent pas.
La transmission familiale des langues régionales n’est guère plus assurée aujourd’hui avec la disparition des dernières générations de locuteurs naturels.
La transmission dépend donc aujourd’hui d’abord de l’enseignement des langues régionales, de la vitalité de ces langues dans le domaine de la création culturelle et de leur présence dans les médias.
Plus de 400 000 élèves reçoivent aujourd’hui un enseignement de langues régionales et ces effectifs sont en constante augmentation.
Aujourd’hui, on peut dire que notre pays est fortement attaché à deux principes : d’une part, le principe de l’unité de la République avec le français comme langue commune – en 1992, il a été inséré un alinéa dans la Constitution disposant que « la langue de la République est le français » – ; d’autre part, un principe de préservation de notre patrimoine, dont font partie les langues régionales.
Le 21 juillet 2008, le Parlement a modifié la Constitution en y insérant un article 75-1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
Le Président de la République, montrant tout l’intérêt qu’il porte aux langues régionales, avait promis, lors de sa campagne, d’élaborer un texte de loi pour les sécuriser.
Monsieur le ministre, votre prédécesseur, Christine Albanel, s’était exprimée en ce sens lors d’un débat au sein de la Haute Assemblée, en mai 2008. Il était alors envisagé de donner une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation par un projet de loi qui récapitulerait les dispositions existantes et d’adopter des mesures concrètes « dans les domaines de l’enseignement, des médias, des services publics, de la signalisation et de la toponymie ».
Pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous envisagez maintenant ?
Certes, les langues régionales ont été reconnues comme patrimoine de la France en 2008, mais ne faudrait-il pas rassembler au sein d’un même texte les diverses dispositions existantes ?
J’en viens à la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, relative à la traduction en langue régionale des noms de communes sur les panneaux d’entrée et de sortie de ville. Je partage le propos des auteurs de ce texte et la position de notre collègue rapporteur Colette Mélot, que je félicite de la qualité de son travail et son sens de l’écoute.
M. Jean-Jacques Mirassou. Et l’auteur de la proposition de loi ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bien entendu, je félicite également l’auteur de la proposition de loi, mon cher collègue. Mais ne polémiquons pas, puisque nous souscrivons à vos propos !
Certes, le droit existant permet déjà à des communes d’indiquer sur les panneaux d’entrée et de sortie de leur territoire le nom de leur cité dans leur langue d’origine. Mais il est nécessaire d’inscrire cette possibilité dans la loi, notamment pour les juges de Montpellier, qui se trouve être ma ville !
Il ne s’agit pas de permettre n’importe quoi. En cela, les modifications proposées par notre rapporteur me semblent pleines de sens, et de bon sens.
Il convient de garantir la clarté de la signalisation et d’éviter une pollution visuelle en empêchant que tout panneau soit systématiquement traduit.
Il convient également de n’apporter la traduction d’un nom que s’il existait dans l’histoire de la ville. Comme l’a souligné notre rapporteur, l’objectif est de préserver le patrimoine de la France, pas d’en inventer un !
Il me semble que le texte proposé peut ainsi être amélioré. Sous réserve de ces précisions, le texte est susceptible de nous rassembler, au-delà des clivages politiques.
Le sentiment d’appartenance régionale revendique non pas une séparation ni un refus de l’identité nationale mais un droit d’exister avec fierté et de revendiquer les couleurs de sa région.
Dans notre devise républicaine, « égalité » ne veut pas dire uniformité ! Nous ne sommes pas des clones les uns des autres.
M. Jean-Louis Carrère. Ah, ça non ! Moi, je ne serai jamais membre de l’UMP ! (Sourires.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Vous avez raison, ma chère collègue !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Parler provençal, breton, alsacien ou catalan n’empêche pas d’être français.
Face à la mondialisation qui pourrait nous faire oublier nos racines, nous souhaitons maintenir nos traditions, des traditions auxquelles, vous l’aurez compris, je suis viscéralement attachée. Nous en avons l’obligation vis-à-vis des générations futures.
Le groupe UMP, particulièrement soucieux de la diversité des cultures régionales de la France, votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. L’UMP votera la loi Courteau ! Et nous vous applaudissons, preuve que nous ne sommes pas sectaires !
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Monsieur, le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quatre ans que je participe aux discussions publiques au sein de la Haute Assemblée, et voilà quatre ans que les discussions sur la place des langues régionales en France reviennent régulièrement en débat, sans pour autant que les esprits aient évolué sur le sujet.
Pourtant, la question mérite d’être soulevée car, ne nous leurrons pas, malgré leur reconnaissance dans la Constitution, les langues régionales connaissent une situation très préoccupante, et même catastrophique pour celles de ces langues qui n’ont pas la chance d’avoir une part significative de leur aire culturelle située hors de France. Tel est le cas du breton et de l’occitan, que l’ONU a déclarés « langues en grand danger » ! C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter du flou juridique entourant cette situation.
Ne pas défendre ces langues, ce serait causer la ruine d’une part importante du patrimoine culturel de la France et de l’humanité. En effet, il s’agit aussi du patrimoine immatériel de l’humanité.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
M. Raymond Couderc. On a recensé près de 7 000 langues à travers le monde ; parmi elles, plusieurs centaines sont en voie de disparition, ce qui représente une part essentielle du patrimoine immatériel de l’humanité.
Notre pays a la responsabilité, à l’égard des générations futures, de transmettre son patrimoine linguistique et culturel. Les langues régionales sont l’expression, au sens propre du terme, de cultures régionales riches et anciennes, qui sont elles-mêmes constitutives du patrimoine culturel de la France et de son identité. Elles sont l’une de ses richesses et l’un de ses attraits. Les étouffer, comme cela a pu être le cas par le passé, ce serait mutiler la France et la déposséder d’une partie de son héritage.
Si je prends l’exemple de l’occitan, qui m’est cher, d’autant plus que je suis le premier vice-président du Centre interrégional de développement de l’occitan, le CIRDOC, c’est qu’il ne s’agit en rien d’un patois, comme certains le qualifient pour marquer leur mépris.
Au contraire, la sauvegarde de l’occitan est un enjeu majeur, qui concerne une aire culturelle importante, la plus large d’ailleurs de toutes les langues régionales : elle va des vallées alpines italiennes jusqu’au val d’Aran espagnol, en passant par la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Poitou, l’Auvergne.
M. René-Pierre Signé. Et le Limousin !
M. Raymond Couderc. J’ai cité le Poitou, mais j’ai oublié le Limousin, toutes mes excuses, monsieur Signé !
M. René-Pierre Signé. Le Poitou, ce n’est pas pareil !
M. Raymond Couderc. Les langues d’oc ont longtemps représenté les langues de la moitié de la France. Qui pourrait dire qu’il s’agit d’un détail ? C’est une culture rayonnante. Il n’y a qu’à observer, pour s’en convaincre, le foisonnement de l’œuvre d’un certain Frédéric Mistral, qui fut d’ailleurs couronnée par le prix Nobel de littérature en 1904.
Et pourtant, dans les faits, les langues régionales sont très largement déconsidérées sur notre sol. J’en veux pour exemple le jugement du 12 octobre dernier, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a décidé l’interdiction d’affichage de panneaux en langue occitane sous les panneaux en français aux entrées et sorties d’un village de mon département, Villeneuve-lès-Maguelone.
Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, est pour le moins surprenant, surtout après que plusieurs d’entre nous se sont battus – je m’en souviens bien – pour que le Parlement puisse insérer dans la Constitution, au sein du titre XII, un article 75-1 affirmant que les langues régionales « appartiennent au patrimoine de la France », comme faisant partie de notre identité.
J’en veux également pour exemple l’intervention de la secrétaire d’État chargée des sports, le 2 février 2010. Répondant au nom du Gouvernement à la question orale sur l’inscription d’un projet de loi relatif aux langues régionales de notre collègue sénatrice du Finistère, Mme Maryvonne Blondin, elle a précisé qu’il était « envisageable [...] de systématiser la mise en place d’une signalisation urbaine et routière en langue régionale, à côté de sa formulation en français. »
Nos concitoyens et les élus locaux sont stupéfaits de ce jugement qui ouvre une jurisprudence en la matière et place ainsi dans l’illégalité toutes les collectivités territoriales utilisant la double signalisation.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est le problème !
M. Raymond Couderc. Pourtant, la secrétaire d’État chargée des sports précisait, en réponse à la question de notre collègue, que le Gouvernement réfléchissait « dans un esprit de concertation interministérielle et en association avec les collectivités locales, les offices publics des langues régionales et les acteurs concernés, à la manière la plus adéquate de répondre à l’exigence de promotion de ce patrimoine irremplaçable. »
Cette annonce a été faite il y a près d’un an. Qu’en est-il aujourd’hui de cette résolution ?
Il est désormais plus que temps de clarifier la situation des langues régionales, en commençant aujourd’hui par la question de l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale et en continuant le débat et les initiatives en la matière, dans les domaines de l’éducation aux langues régionales mais aussi de leur promotion et de leur diffusion.
En effet, mes chers collègues, le défi pour la République n’est plus d’unifier un pays morcelé pour le fondre dans une destinée commune, comme du temps de la IIIe République, à une époque où les États nations en Europe achevaient leur construction.
Non, le défi aujourd’hui est de promouvoir la diversité, sous toutes ses formes, afin que chacun puisse retrouver, dans le socle commun de la nation française, les racines de son identité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, de très nombreuses communes de ma région, le Limousin, ont apposé à leur entrée et à leur sortie, un panneau complétant l’affichage de leur nom français par sa transcription en langue régionale.
Cela est-il dangereux ? Oui, si les panneaux ne sont pas conformes à la réglementation. Mais, apparemment, non, puisque nombre de collectivités installent de ces panneaux en respectant la réglementation.
Pourtant, le tribunal administratif de Montpellier en a décidé autrement le 12 octobre dernier, s’agissant de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone. Cette décision a suscité beaucoup d’émotion et la proposition de loi que nous discutons vise à contredire cette jurisprudence et à sécuriser cette pratique par ailleurs légale.
Nombre de Français sont, en effet, très attachés à la valeur symbolique de l’appellation en langue régionale de leur commune, qui révèle bien souvent une toponymie d’origine géographique, topographique et historique. Ils se sentiraient humiliés si une généralisation de cette jurisprudence visait à obliger la disparition des panneaux qui font partie de leur quotidien et de leur culture.
J’ai lu attentivement le texte du jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier. Le juge administratif se fonde essentiellement sur le code de la route et sur des considérations selon lesquelles le panneau incriminé serait dangereux du point de vue de la sécurité routière, en ce qu’il pourrait perturber les automobilistes.
D’une part, je note que cette approche du tribunal administratif ne se fonde sur aucun élément de fait : aucun accident précis n’est mentionné dans la décision. D’autre part, si l’on applique ce raisonnement, c’est toute aspérité du paysage qu’il faudrait effacer, tel bâtiment attirant le regard ou que sais-je encore.
Derrière les motivations de l’association qui a saisi le tribunal administratif, il y a en réalité le fantasme d’un monde hyper-normé, uniformisé, aligné, homogénéisé et, pour tout dire, fade.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Aseptisé !
Mme Bernadette Bourzai. C’est bien ce que l’on trouve souvent derrière les attaques menées contre les langues régionales et leur usage, dans un monde, par ailleurs, envahi par les anglicismes de la globalisation.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
Mme Bernadette Bourzai. Ces langues apportent de la diversité et de l’altérité. Elles sont non pas une marque de repli mais, au contraire, un signe d’ouverture.
Toute langue a une dimension utilitaire mais aussi culturelle. Cette dernière est d’ailleurs reconnue dans la Constitution à l’article 75-1, qui pose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Je souscris à ce qui vient d’être dit sur le patrimoine.
Ces langues portent un héritage historique intergénérationnel, elles constituent une autre forme de lien social et traduisent bien plus que l’expression française classique. Ainsi le « chabatz d’entrar » limousin signifie bien plus que « finissez d’entrer » et souligne la chaleur de la langue limousine qui fut celle des troubadours occitans des XIIe et XIIIe siècles, monsieur Couderc.
Nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à leur histoire tant nationale que régionale ou locale, ainsi qu’à des formes d’expressions culturelles issues du passé, dès lors qu’elles les aident à comprendre le présent et à appréhender l’avenir.
C’est le mécanisme même de toutes les renaissances, mot qui, j’ose le croire, est connoté très positivement.
J’espère que nous pourrons très rapidement aborder la question de la place des langues régionales dans notre assemblée.
À cet égard, je comprends les craintes que certains ressentent lorsqu’ils voient, de par le monde, les conséquences de replis identitaires. Mais, avec nos langues régionales, il ne s’agit pas de cela, bien au contraire. Je trouverais dommageable l’amalgame du repli identitaire et des langues régionales. Certes, dans ces langues, il y a une dimension locale et historique, mais cet aspect est positif et non régressif.
Faudrait-il avoir peur de nos langues régionales parce que, ailleurs, dans d’autres pays, dans d’autres contextes, elles servent d’argument au rejet de l’autre ? Au contraire, en être fier, les promouvoir et en assurer la transmission permet de montrer de par le monde que, dans un pays profondément républicain, loin de diviser, elles enrichissent une culture et font vivre la cohésion nationale. Vos remercegi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je serai bref, car tout a été dit, et excellemment dit notamment par notre collègue M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi, et par Mme Colette Mélot, notre rapporteur.
Monsieur le ministre, j’ai beaucoup apprécié votre intervention claire, précise et, j’allais dire, humaine. Il est bon qu’un ministre de la République ait ce type de parole.
Ce texte est simple, clair, évident, et il ne devrait pas susciter de longs commentaires. Faut-il rappeler que le constituant à reconnu, par le nouvel article 75-1 de la Constitution, que la préservation des langues régionales n’était pas seulement l’affaire de leurs locuteurs, mais concernait la collectivité nationale dans son ensemble, car elles sont un bien commun à tous les Français, un authentique patrimoine de la République française ?
Pourquoi alors légiférer ? Parce que le cadre législatif n’a pas été adapté. C’est ainsi que, avec de nombreux collègues sénateurs, j’ai déposé une proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales. C’est ainsi que, cela a été rappelé à plusieurs reprises, un tribunal administratif a imposé à une commune de l’Hérault de retirer les panneaux d’entrée d’agglomération bilingues que la municipalité y avaient installés.
Nous sommes donc bien obligés de légiférer, et c’est l’objet de votre proposition de loi, mon cher collègue, à laquelle je souscris totalement., ayant moi-même, depuis quinze ans, permis aux touristes de connaître le nom catalan du chef-lieu des Pyrénées-Orientales, Perpinyà, le « a » final portant un accent grave. Nous avons décidé cela pour des raisons touristiques, mais pas seulement : s’agissant d’un espace transfrontalier, il fallait effacer les frontières, car l’Europe économique se jouait précisément sur ces frontières.
L’exemple de Perpignan m’a amené à déposer un amendement, qui est d’ailleurs très proche de celui de la commission de la culture.
Mme Colette Mélot, rapporteur. Oui !
M. Jean-Paul Alduy. En effet, Perpignan est la traduction castillane, reprise par la France, du nom originel catalan ! Ainsi, parler d’une « inscription de la traduction en langue régionale » est impropre, mes chers collègues, car, vous l’avez dit les uns et les autres, c’est évidemment le plus souvent l’inverse : les noms français sont la traduction, ou plutôt la francisation des noms en langue régionale qui, historiquement, les ont précédés.
La forme officielle des toponymes que l’on considère écrits en langue française inclut tous les degrés d’adaptation des toponymes originaux en langue dite « régionale », depuis la transcription pure et simple jusqu’à des modifications radicales. Je proposerai donc un amendement tendant à supprimer le mot « traduction », pour ne retenir que le concept de « transcription » de noms en langue régionale.
Enfin, pour éviter que ne fleurissent des signalétiques fantaisistes – cela renvoie au problème de la sécurité routière –, je propose que soient ajoutés dans l’article unique quelques mots, qui indiquent que les noms en langue régionale sont écrits « en respectant les mêmes normes ».
Donc, sous réserve de ces adaptations, somme toute mineures, mais que je crois utiles et nécessaires, je voterai cette proposition de loi, car elle permettra d’éliminer tout risque juridique,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Jean-Paul Alduy. … et, surtout, elle incitera les maires à jalonner les routes de France de tous ces noms rappelant que la République française est riche de ses diversités et de son patrimoine linguistique. Nous devons tout faire non seulement pour protéger ce patrimoine, le faire vivre, mais parfois même pour l’exploiter économiquement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, comme l’a dit lou senatou Fortassin, qué soy bearnès, qué aymi parla e canta en bearnès, et qué soy content de parla uei tassi !
La question de l’installation des panneaux d’entrée et de sortie de ville en langue régionale peut prêter à sourire. En réalité, c’est un sujet plus important qu’il n’y paraît.
Je ne reviendrai pas longuement sur le lien entre la proposition de loi de mon collègue et ami Roland Courteau et le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 12 octobre 2010. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que nous sommes là pour répondre à une inquiétude qui, au-delà du cas précité, s’est fait jour à la suite de cette décision de la justice administrative.
Cette inquiétude, c’est celle de l’ensemble des défenseurs des langues régionales, qu’il s’agisse des associations, comme, en Occitanie, la FELCO, Novelum ou le Félibrige, ou des collectivités qui ont choisi de promouvoir leur culture et leur identité locales, comme je l’ai fait moi-même en Dordogne dans ma commune, Chancelade.
Le tribunal administratif de Montpellier vient d’ouvrir une brèche qui, si sa décision devait faire jurisprudence, risque bien de menacer l’usage des langues régionales. Cette décision sanctionne en effet une pratique largement répandue et souvent encouragée par l’État.
À une question orale que je vous avais posée en janvier 2010 sur ce thème, vous m’avez répondu, monsieur le ministre, que « d’importantes marges de progression subsistent, qui ne sont pas toujours exploitées, qu’il s’agisse par exemple de signalisation routière ou urbaine, ou des actes officiels des collectivités territoriales… »
Autrement dit, alors que le mouvement général est à la promotion des langues et donc des cultures et des identités régionales, c’est précisément cette évolution qui est aujourd’hui remise en cause. De fait, il apparaît donc que le corpus législatif mérite d’être complété. On le voit, en l’état, il ne permet manifestement pas de protéger efficacement et effectivement la visibilité d’une langue régionale.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Claude Bérit-Débat. C’est un facteur d’insécurité juridique avec lequel les collectivités et, surtout, les communes vont devoir composer.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
M. Claude Bérit-Débat. Cette insécurité, il nous appartient d’y mettre un terme, pour plusieurs raisons.
D’abord, et je l’ai déjà dit, parce que cela va à l’encontre du mouvement de reconnaissance des identités régionales.
Il est paradoxal que, deux ans après la révision constitutionnelle qui a introduit dans la Constitution un nouvel article 75-1 reconnaissant les langues régionales comme constitutives du patrimoine de la France, l’affirmation signalétique de ces langues soit remise en cause.
Ensuite, parce que, derrière la question des panneaux de signalisation, c’est le lien entre un territoire et sa culture qui est implicitement attaqué.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Bien vu !
M. Claude Bérit-Débat. Les panneaux marquent physiquement l’empreinte d’une culture sur un territoire. Ils en sont le premier élément visible.
M. René-Pierre Signé. Ils n’en sont qu’un élément !
M. Claude Bérit-Débat. Ils signalent, par une inscription en langue régionale, une identité et l’appartenance à une culture locale.
M. René-Pierre Signé. Voilà !
M. Claude Bérit-Débat. Dans ces conditions, les limitations de cette pratique qui pourraient être introduites touchent directement à l’affirmation des cultures qui composent notre pays.
M. René-Pierre Signé. Très bien !
M. Claude Bérit-Débat. Sur la forme, ces restrictions peuvent sembler peu de chose ; sur le fond, elles sont beaucoup plus problématiques qu’on pourrait le croire.
Enfin, je trouve une troisième raison de mettre un terme à cette insécurité juridique dans l’état du droit actuel.
Les considérants du jugement du tribunal administratif montrent une interprétation stricte des dispositions réglementaires. En l’occurrence, le juge a estimé que la transcription d’un « ò », c'est-à-dire d’un « o » portant un accent grave, était contraire à l’arrêté de 1977 relatif à la signalisation des routes et autoroutes. Cela montre bien que la réglementation en vigueur n’est pas adaptée à la pratique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. En effet !
M. Claude Bérit-Débat. C’est là, je crois, un contresens sur lequel il nous faut revenir.
Quand on veut favoriser les langues régionales, il me semble que ce sont les typographies réglementaires qui doivent être adaptées aux langues régionales, et non l’inverse.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
M. Claude Bérit-Débat. On ne peut donc pas encourager la pratique au motif que le droit l’autorise sans en garantir effectivement la sécurité juridique.
Il existe un manque que le législateur se doit de combler, et c’est bien, en l’occurrence, l’objet de la présente proposition de loi.
À ce titre, elle est très circonscrite, puisqu’elle vise seulement à compléter la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, en précisant que les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération peuvent être complétés d’une traduction en langue régionale. Comme cela est indiqué dans le rapport de la commission, la proposition de loi n’est effectivement pas « révolutionnaire ». Je considère néanmoins qu’elle est tout à fait nécessaire.
Certes, cette proposition de loi méritait d’être précisée et reformulée ; c’est ce qui a été fait en commission. Pour autant, elle vise un point juridique bien précis, et n’a pas pour objet de remettre en cause l’économie générale des relations entre le français et les langues régionales.
Elle fait preuve d’équilibre, permet une prise en compte raisonnable de la protection qu’il faut accorder aux langues régionales et préserve bien, selon moi, l’esprit républicain qui doit nous animer dès lors que l’on évoque la promotion des langues régionales. En effet, la proposition de loi vise tout simplement à permettre à nos territoires d’affirmer leur identité au cœur de la nation.
Pour l’ensemble de ces raisons, je soutiens la présente proposition de loi avec force, et j’espère que le consensus qui s’est dégagé au sein de la commission permettra à ce texte de recueillir ici l’unanimité qu’il mérite. Qué soy confiant ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
Article unique
L’article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération peuvent être complétés d’une inscription de la traduction de ce nom en langue régionale. »
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l'article unique.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord remercier et féliciter notre collègue Roland Courteau d’avoir pris l’heureuse initiative de nous proposer cette proposition de loi, que j’ai cosignée, d’ailleurs.
Le texte tel qu’il était rédigé me convenait tout à fait, mais la commission l’a modifié ce matin. J’ai d’ailleurs participé à la nouvelle rédaction, et j’y souscris totalement dans la mesure où le renvoi à un décret a été supprimé.
Permettez-moi de revenir sur ce que j’ai proposé ce matin, afin qu’il n’y ait aucune méprise sur la signification du mot « complétés ». C’est que « compléter » signifie « rendre complet », quel que soit le sens dans lequel on procède et, en l’occurrence, on risque, faute de précision, d’autoriser la solution inverse de celle que nous voulons faire prévaloir.
Comme nous lisons tous de gauche à droite et de haut en bas, il est bon de préciser dans le débat, même si nous ne l’inscrivons pas dans la loi, que l’ajout en langue régionale sur le panneau est placé en second, en dessous de l’inscription en français.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Utile précision !
M. Claude Domeizel. Cette précision est importante, pour le cas où, demain, un tribunal serait saisi de la question.
Je souhaite donc qu’il soit bien clair que l’inscription en langue française figure en premier, au plus haut, et l’information en langue régionale après. Dans ce cas seulement, le mot « complétés » conviendrait.
Je suppose que tous les parlementaires partageront cette analyse, mais il convient de préciser cette dernière dès maintenant. (M. le président de la commission et l’auteur de la proposition de loi applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, sur l'article unique.
M. Ronan Kerdraon. Je m’empresse de le préciser pour ceux qui seraient férus de traduction, mon patronyme signifie en breton « la petite maison dans la prairie » ! (Sourires.)
Élu de l’Armor et de l’Argoat, c’est-à-dire de la mer et de la terre, il me semblait important d’intervenir cet après-midi pour soutenir la proposition de loi de notre excellent collègue Roland Courteau. Pourquoi ? Parce que cet article unique répond à un double objectif : le premier est indispensable, le second est fondamental.
Le premier objectif répond à au principe constitutionnel de clarté de la loi. En tant que parlementaires, nous nous devons de lever le doute et les ambiguïtés s’agissant de textes législatifs qui ont des conséquences sur la vie quotidienne de nos concitoyens et de nos territoires.
Cet article unique permet ainsi de clarifier l’interprétation d’une combinaison de textes qui, sans ouvrir de possibilités, n’en excluait pour autant aucune. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…
Quelle est la situation actuellement ?
Les juges administratifs bénéficient d’un très large pouvoir d’interprétation des textes qui ne semble pas, en l’espèce, répondre à une volonté de manifester en la matière un réel esprit d’ouverture.
J’en veux pour preuve le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 12 octobre dernier, dans lequel le juge utilise des arguments pour le moins originaux ! C’est sans doute ce que l’on appelle « la révolution d’octobre »... (Sourires.)
Parmi les arguments avancés, citons l’absence de fondement historique de l’usage d’un panneau en langue régionale à l’entrée de l’agglomération, le caractère insuffisamment ancien de l’usage local, le risque pour la sécurité routière, ou encore l’utilisation illicite de la lettre « o » avec un accent grave… Comme le dirait Martial Bourquin, c’est grave ! (Sourires.)
Pour ma part, je salue l’effort d’imagination, et déplore l’esprit rétrograde et conservateur !
L’article unique du texte que nous examinons aujourd’hui, parce qu’il ouvre explicitement à une agglomération la possibilité légale d’installer des panneaux additionnels portant l’inscription en langue régionale du nom de cette même agglomération, clarifie la loi du 4 août 1994, en la complétant intelligemment.
Désormais, s’il est saisi, le juge administratif n’aura plus à apprécier le bien-fondé de l’existence de ces panneaux.
Le second objectif de cet article est de lutter contre la remise en cause récurrente de l’identité même de nos régions.
Car si « la langue de la République est le français », comme le prescrit, à juste titre, notre Constitution, n’oublions pas que les langues régionales contribuent aussi à la richesse de notre patrimoine.
Or c’est à la promotion de ce patrimoine qu’il convient de s’atteler.
Vous me direz qu’il ne s’agit que d’un panneau… Certes, mais c’est un symbole, comme Claude Bérit-Débat l’a très bien rappelé.
En 1911, Jaurès déclarait déjà, établissant une comparaison entre la langue occitane et la langue française : « Il n’y a pas de meilleur exercice pour l’esprit que les comparaisons […] Cette recherche des analogies et des différences [...] est une des meilleures préparations à l’intelligence. » Quelle belle actualité ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Parce que nous sommes, dans cette assemblée, les représentants des territoires de la France, il nous revient de veiller à la promotion de ces langues et de ces cultures : elles existent et doivent donc rayonner, au sein de la République et même au-delà.
La possibilité offerte aux agglomérations de poser, sur la voie publique, à côté du panneau en langue française, un panneau comportant l’inscription de la traduction du nom de l’agglomération en langue régionale est une première pierre, qui devrait, c’est du moins le vœu que je forme, nous permettre de bâtir une politique cohérente et suivie en matière de langues et de cultures régionales.
Il est d’ailleurs temps de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du 7 mai 1999. La langue française, loin d’en souffrir, s’en trouvera renforcée. Trugarez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, sur l’article unique.
M. René-Pierre Signé. Je suis bien évidemment favorable à la proposition de loi de mon ami Roland Courteau, et je souscris à l’ensemble de ses propos.
Je précise toutefois que le patrimoine de la France ne se réduit pas à ses langues, encore moins à ses langues écrites.
Les hommes ont parlé avant d’écrire. L’homo erectus a vraisemblablement commencé par chanter, en imitant le bruit des oiseaux, avant de parler.
M. Ivan Renar. Est-ce qu’il chantait ou est-ce qu’il grognait ? (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Et ce ne sont pas trois cents langues qui sont en train de disparaître, mais trois mille !
Il y a en effet très peu de langues écrites – environ quatre cents, me semble-t-il –, et les autres sont en train de s’éteindre.
C’est ainsi qu’il existe, en France, des langues qui n’ont jamais été écrites.
Vous n’êtes pas sans savoir que les druides gaulois parlaient, mais n’écrivaient pas. Ils pensaient qu’une langue écrite était une langue morte.
Le morvandiau, par exemple, ne s’écrit pas : cette langue n’a pas de grammaire ; personne ne sait l’écrire, et il sera donc difficile de placer des panneaux en morvandiau à l’entrée des villes !
Le patrimoine français est aussi riche de ses danses, de ses coutumes et de ses traditions, autant d’éléments qui débordent largement le cadre des langues. Savez-vous, par exemple, que la bourrée auvergnate a été fortement influencée par le fandango espagnol, introduit par des muletiers qui voyageaient d’Espagne jusqu’en Auvergne ?
Étant né à quelques kilomètres du château de Ventadour, je ne peux m’empêcher de rappeler, après Bernadette Bourzai, que la langue d’oc limousine fut celle de nos plus grands troubadours – Bernard de Ventadour, mais aussi Gaulcem Faidit, Bertrand de Born, les quatre d’Ussel, ou encore Peire Vidal –, et qu’elle fut parlée jusqu’aux îles de Majorque et de Minorque.
Je n’oublie pas non plus la langue d’oc provençale, dont le félibre le plus illustre fut Frédéric Mistral.
Je suis heureux également que Bernadette Bourzai ait rappelé que le repli identitaire n’avait rien à voir avec la langue. Il faut insister sur ce point. Les adversaires de ce texte, ou ceux qui s’en méfient, prétendent qu’il marque un repli identitaire, et soulignent que la mode est actuellement à la partition des États. Et de citer l’exemple de la Belgique. Or cela n’a rien à voir !
Mais ce ne sont pas des raisons linguistiques qui peuvent expliquer l’éclatement de la Yougoslavie, pas plus d’ailleurs que la situation de la Catalogne ou du Pays Basque vis-à-vis de l’Espagne ou encore de l’Écosse vis-à-vis de l’Angleterre. Dans chacun de ces cas, bien d’autres causes pourraient être avancées, qu’elles soient politiques, ethniques, ou historiques.
Dans cette grande nébuleuse qu’est la mondialisation, les gens ont perdu leurs repères, et l’on comprend qu’ils aient envie de retrouver leurs origines.
En mettant en exergue les langues régionales sur les panneaux d’agglomération, la France montrera qu’elle est riche d’un long passé et de fortes traditions culturelles. Mais n’oublions pas, notamment pour nos amis du Morvan, que certaines langues ne s’écrivent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article unique.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à deux reprises, je me suis interrogé en commission sur l’intérêt de voter une proposition de loi qui tend à autoriser une pratique d’ores et déjà largement en usage dans la région qui est la mienne, l’Alsace, et qui ne pose aucun problème.
Je me suis même demandé si, en voulant légiférer sur cette question, mais en demeurant nécessairement imprécis, on ne s’exposait pas à de nombreux contentieux à l’avenir, portant précisément sur les modalités d’application du nouveau dispositif légal.
En d’autres termes, le risque n’est-il pas que le remède soit pire que le mal que l’on veut guérir ?
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous venons d’avoir ce débat !
M. André Reichardt. Je suis au regret de dire que les explications données en commission ne m’ont pas totalement convaincu du caractère indispensable de cette proposition de loi.
Après examen, je pense même, cher Roland Courteau, que si ce nouvel article avait figuré dans la loi, y compris dans sa version amendée par Mme le rapporteur, cela n’aurait pas empêché le tribunal administratif de Montpellier de prendre la décision contestée qu’il a rendue. En tant que juriste, j’en suis, à titre personnel, convaincu.
Néanmoins, compte tenu du grand attachement des Alsaciens à leur langue régionale – mais aussi, comme j’ai pu le constater dans ce débat, des Occitans, des Bretons et de tous les autres –, et compte tenu du fait qu’il semble s’agir de la première transcription légale de la disposition constitutionnelle reconnaissant les langues régionales comme un élément du patrimoine de la France, je voterai l’article unique de cette proposition de loi telle qu’amendé par la commission. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, sur l’article unique.
M. Jacques Blanc. Je voterai, moi aussi, cette proposition de loi.
En l’adoptant, nous adresserons un signe fort à tous ceux qui sont profondément attachés, dans une région comme le Languedoc-Roussillon, à cette force et cette dimension culturelle que représente l’occitan, ou encore le catalan.
Tout en souscrivant aux propos de mes collègues, j’insiste sur le fait que l’on ne peut s’ouvrir au monde qu’en étant fort de ses racines.
Or les langues occitane ou catalane font incontestablement partie de nos racines. C’est une dimension que les observateurs extérieurs ne soupçonnent pas toujours, mais, pour avoir eu le privilège, pendant de nombreuses années, de présider la région Languedoc-Roussillon, je peux vous dire que c’est une réalité. J’avais d’ailleurs engagé une politique culturelle régionale en faveur de ces langues, en mettant notamment l’accent sur la formation, et je suis sûr que Jean-Paul Alduy, Paul Blanc et mes collègues de l’Hérault ne me démentiront pas ! (MM. Jean-Paul Alduy et Paul Blanc approuvent.)
Tout à l’heure, notre collègue Claude Domeizel a clairement affirmé que ce texte, en ne visant qu’à « compléter » la loi, ne présentait aucune ambiguïté.
C’est donc sans aucun état d’âme, mais au contraire avec beaucoup de conviction, que je voterai cet article unique et donc la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, sur l’article unique.
M. Ivan Renar. J’ai écouté avec attention notre collègue René-Pierre Signé et je souscris totalement à ses propos.
Le drame, c’est que les langues régionales ont souvent été manipulées à des fins politiques obscures.
Vous parliez de la Belgique, qui risque d’éclater en deux. Or, dans ce pays, le mouvement rexiste s’est précisément appuyé sur une identité non pas flamande, mais flamingante.
La vigilance est donc nécessaire.
Mais, quand je vois notre accord presque parfait sur ce texte, je ne peux m’empêcher de répéter ce que je disais à l’instant à Roland Courteau, en aparté : « Lorsque l’enfant est beau, il ne manque pas de pères ! » (Sourires.)
M. le président. En général, les victoires ne sont pas orphelines. (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » !
5
Élection de juges à la Cour de justice de la République
M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Nombre de votants | 93 |
Blancs et nuls | 7 |
Nombre de suffrages exprimés | 86 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 44 |
MM. Yves Détraigne et Jean-Paul Amoudry ont obtenu 86 voix.
MM. Yves Détraigne et Jean-Paul Amoudry ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, ils sont respectivement proclamés juge titulaire et juge suppléant à la Cour de justice de la République.
6
Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
M. le président. M. Yves Détraigne, juge titulaire, et M. Jean-Paul Amoudry, juge suppléant à la Cour de justice de la République, vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de Justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique. Je prie M. Yves Détraigne, juge titulaire, et M. Jean-Paul Amoudry, juge suppléant, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ».
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
(Successivement, M. Yves Détraigne, juge titulaire, et M. Jean-Paul Amoudry, juge suppléant, se lèvent et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)
M. le président. Acte est donné par le Sénat des serments qui viennent d’être prêtés devant lui. (Applaudissements.)
M. René-Pierre Signé. Le moment était solennel !
7
Panneaux d'agglomération en langue régionale
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale.
Dans la discussion de l’article unique, nous en sommes parvenus à la présentation des amendements.
Article unique (suite)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par Mme Mélot, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération apposés en langue française sur la voie publique peuvent être complétés du nom de cette agglomération en langue régionale. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Nous proposons, à travers cet amendement, deux améliorations rédactionnelles.
Il s’agit tout d’abord de préciser le champ d’application afin qu’il corresponde bien à l’intitulé de la proposition de loi. Le terme de « panneaux » est trop flou, et doit être remplacé par « panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération ».
Ensuite, la mention d’une « traduction en langue régionale » est erronée, puisque c’est le nom en langue française qui est une traduction ou une adaptation, et non l’inverse. Il s’agit ici de valoriser le patrimoine de la France en permettant l’inscription dans une langue régionale ayant un fondement historique.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Alduy, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
de la traduction de ce nom
par les mots :
du nom de cette agglomération
L’amendement n° 1, présenté par M. Alduy, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
en respectant les mêmes normes
La parole est à M. Jean-Paul Alduy, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean-Paul Alduy. Je considère qu’ils sont satisfaits par l’amendement de la commission, et je les retire donc.
M. le président. Les amendements nos 2 et 1 sont retirés.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 3 ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Bien évidemment, l’avis du Gouvernement est favorable. En effet, cet amendement clarifie encore le principe et l’objet du texte, en précisant deux points qui avaient d’ailleurs été évoqués lors de la discussion générale.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je pensais vraiment que la rédaction de l’article unique de notre proposition de loi était suffisamment précise pour que l’on ne confonde pas les panneaux portant le nom de l’agglomération, installés par conséquent à l’entrée et à la sortie de celle-ci, avec des panneaux publicitaires qui mentionneraient ce même nom, par exemple, ou divers panneaux directionnels.
Cela dit, je veux bien admettre que ma rédaction puisse laisser planer un doute. En ce cas, précisons le texte afin de lever toute ambiguïté ! J’ai d’ailleurs, me semble-t-il, beaucoup insisté, durant ce débat, sur le fait que la loi devait être précise et ne pas prêter à des interprétations divergentes.
Quant à supprimer le terme « traduction », pourquoi pas ? L’objectif étant de préserver notre patrimoine, cela implique que le nom en langue régionale ait un fondement historique.
Par conséquent, nous voterons l’amendement de la commission.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote.
M. Paul Blanc. L’amendement présenté par notre collègue Colette Mélot permet de clarifier utilement les choses. En effet, voilà quelque temps, un tribunal administratif a annulé la délibération d’une municipalité sur la mise en place de panneaux signalétiques indiquant le nom de l’agglomération en langue régionale. L’adoption de cet amendement permettra d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Ce matin, la commission a adopté à l’unanimité l’amendement qu’a déposé Mme le rapporteur. Dans un souci de sécurité juridique, il me paraît nécessaire de l’adopter maintenant en séance publique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Avant de mettre aux voix l’article unique de la proposition de loi, je donne la parole à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je pense très sincèrement que le Sénat a fait du bon travail…
M. Paul Blanc. Comme d’habitude !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je souhaite le remercier par avance de son vote, dont je pressens qu’il sera favorable ! (Sourires.)
Cette proposition de loi, ainsi amendée, devrait donc permettre d’éviter la multiplication des contentieux. Oui, madame le rapporteur, ce texte sera utile pour asseoir la pratique consistant, pour les communes qui le souhaitent, à installer des panneaux bilingues d’entrée et de sortie d’agglomération. Il était surtout nécessaire, pour les raisons que nous avons longuement exposées lors de la discussion générale.
L’adoption de ce texte rassurera les élus et les populations des communes qui veulent permettre aux langues régionales d’être présentes dans l’espace public.
Nous espérons que l’Assemblée nationale se saisira de cette proposition de loi dans les meilleurs délais, afin de conforter l’ouverture culturelle aux langues originelles des différentes régions. Un pas de plus pourrait ainsi être effectué, sur l’initiative du Sénat, vers ce statut juridique des langues régionales qu’il importe de mettre en place.
Je remercie la commission, Mme le rapporteur et M. le ministre de leur soutien ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun d’entre vous connaît mon attachement à la langue française et la part que j’ai pu prendre à de précédents débats sur les langues, en particulier en tant que rapporteur de la loi relative à l’emploi de la langue française, dite « loi Toubon ».
Je crois que nous avons bien progressé depuis cette époque, où régnait encore un climat d’opposition et de suspicion entre défenseurs de la langue nationale et promoteurs des langues régionales. La démonstration a été faite aujourd’hui que les langues régionales ne sont pas les ennemies de la langue française. Nous le savons bien, la langue française et les langues régionales peuvent parfaitement coexister, parce que celles-ci sont l’expression orale de notre culture dans sa diversité et des pensées des populations qui ont construit notre pays.
Ce débat portait sans doute sur un objet très précis, presque administratif, mais il est révélateur de cette prise de conscience. Le grand mouvement qui pourrait menacer l’expression des identités, c’est la mondialisation. Nous menons tous un combat contre l’utilisation d’une langue unique, qui représenterait pour l’humanité une perte de richesse sans précédent. Nous entendons que soit respectée l’expression de la pensée des hommes et des femmes qui peuplent notre territoire. Il était bon de le souligner aujourd’hui ! (Applaudissements.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Et l’esperanto ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi, modifié.
8
Bilan et avenir de l’Union pour la Méditerranée
Discussion d’une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 4 de Mme Bariza Khiari à Mme la ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, relative au bilan et à l’avenir de l’Union pour la Méditerranée.
Cette question est ainsi libellée :
« Mme Bariza Khiari interroge Mme la ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes sur le bilan et l’avenir de l’Union pour la Méditerranée.
« Elle rappelle que l’UPM fut une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, un engagement présidentiel et surtout une priorité dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. Bien que le périmètre et le fonctionnement de l’UPM, tels qu’établis le 13 juillet 2008 soient fort éloignés du projet présidentiel initial, Mme Bariza Khiari et le groupe socialiste du Sénat souhaitent savoir ce que la France propose, en sa qualité de co-présidente de cette institution intergouvernementale, pour sortir ce projet de l’ornière.
« Depuis janvier 2009, les sommets de l’UPM sont suspendus à la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Les raisons de l’enlisement actuel sont donc identiques à celles qui entravaient le processus de Barcelone, initié en 1995.
« Au niveau européen, l’absence d’ambition et de vision commune dans la résolution des conflits régionaux de la rive sud – Sahara occidental, conflit chypriote, conflit israélo-palestinien – obère les possibilités d’avancement de ce projet.
« Au niveau national, elle rappelle les liens consubstantiels de notre nation avec le Maghreb et souligne l’émotion et l’inquiétude de nombreux de nos concitoyens de toute origine, attachés au devenir de cette région. C’est pourquoi elle regrette le long silence des autorités françaises concernant la répression de la société civile au Maghreb.
« Le silence des autorités françaises, à l’instar des tergiversations européennes, contribuent à décrédibiliser notre parole et nos principes auprès de nos partenaires de la rive sud.
« Enfin, elle s’interroge sur le grand écart entre les discours fondateurs et la réalité d’une institution fantôme. C’est pourquoi elle souhaiterait connaître la date d’installation opérationnelle du secrétariat international de l’UPM, la définition de son statut juridique, l’état d’avancement des projets sectoriels, ainsi que la gouvernance prévue pour les coprésidences.
« Par ailleurs, dans ces circonstances d’enlisement de l’Union pour la Méditerranée, elle souhaiterait savoir si la France, en sa qualité de co-présidente, entend promouvoir un nouvel agenda permettant de réellement relancer ce processus. »
La parole est à Mme Bariza Khiari, auteur de la question.
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette question sur l’avenir de l’Union pour la Méditerranée, l’UPM, s’inscrit dans un contexte international inattendu.
En décembre dernier, les chancelleries se demandaient s’il serait possible de réunir le sommet de l’UPM en avril prochain. Aujourd’hui, cette question est caduque, et nous devons tirer parti de ce vide institutionnel pour réfléchir aux principes qui pourraient nous permettre de refonder un véritable projet global méditerranéen.
Il s’agit d’une question sensible pour les Français : nous avons un lien affectif avec les pays du Maghreb et du Machrek, lié à l’histoire ancienne et récente, sans compter qu’une part importante de nos concitoyens ont des liens personnels avec la rive sud de la Méditerranée. Cet intérêt pour la Méditerranée a des ressorts complexes et ambigus : au-delà même de la référence à la latinité et à l’économie-monde de Fernand Braudel, l’imaginaire méditerranéen se nourrit de l’orientalisme, mais aussi de la fascination française pour le nationalisme arabe, qui a été le principal vecteur de la décolonisation.
Dans le temps qui m’est imparti, j’aimerais revenir sur le paradoxe méditerranéen, le projet politique de l’Union pour la Méditerranée et, enfin, les contradictions de la politique méditerranéenne de la France et de l’Europe.
J’ai eu l’honneur d’être élue vice-présidente de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, l’APM. Cette assemblée réunit les parlementaires nationaux des pays riverains de la Méditerranée, y compris palestiniens et israéliens. C’est donc de l’intérieur que j’observe le paradoxe méditerranéen.
Tous les discours sur la Méditerranée empruntent au registre de l’histoire et du lyrisme ; j’y céderai brièvement, en évoquant cette citation anonyme et évolutive qui rappelle que « l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l’ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l’aventure catalane, la liberté française et l’éternité égyptienne ».
Mais ni l’histoire, ni le lyrisme, ni l’invocation répétée au Mare Nostrum ne peuvent avoir raison des antagonismes forts qui structurent les relations bilatérales, régionales et multilatérales de la région. Par ailleurs, c’est moins l’histoire que l’avenir qui doit guider notre action en la matière.
En vérité, la Méditerranée a toujours été une terre de conflits. Quoi de plus logique pour cette région qui borde trois continents, a vu naître les trois religions monothéistes, se situe à la frontière du Nord et du Sud et au confluent des cultures d’Orient et d’Occident ? Les lignes de fracture sont anciennes, elles se multiplient, se renforcent et se durcissent. Les épisodes de la décolonisation, la guerre froide et la mondialisation des échanges ont transformé cet héritage commun en anomalie politique.
En dépit de nos liens humains et historiques, en dépit de la multitude des structures de toute nature qui visent à rapprocher les rives, rien n’y fait : la Méditerranée reste, plus encore que le Rio Bravo, la frontière la plus inégalitaire au monde, en termes de niveau de vie, de PIB, d’accès à l’éducation ou à la santé. Le niveau d’investissement européen dans la région reste désespérément faible : 2 % seulement de nos investissements se font sur la rive sud de la Méditerranée. Les échanges économiques entre les deux rives sont donc très modestes et les échanges intra-régionaux sont encore à construire ; j’y reviendrai.
Le projet méditerranéen de l’Europe a été lancé par Jacques Delors en 1995, avec le processus de Barcelone, qui s’appuyait sur l’histoire, l’importance stratégique de la Méditerranée et la nécessité d’une coopération forte, à même de contribuer à la prospérité et à la stabilité. Mais la coopération méditerranéenne, dans sa dimension politique, a achoppé sur la non-résolution du conflit israélo-palestinien et d’autres conflits, dits périphériques, comme celui du Sahara occidental. Alors qu’il aurait fallu, en toute lucidité, tirer les leçons de l’échec du processus de Barcelone, la France du candidat Sarkozy a voulu, avec sa maladresse diplomatique constante, relancer le processus de coopération, dans le cadre d’une promesse de campagne aux visées plus électoralistes qu’humanistes.
Dès le lancement de l’idée, en pleine campagne présidentielle, l’accueil fut mitigé. Nos partenaires européens, en premier lieu l’Allemagne, ont vu dans ce projet une manœuvre pour donner une nouvelle impulsion à la politique arabe de la France, en en faisant financer le coût par l’Europe. La Turquie y vit quant à elle une stratégie pour lui barrer à tout jamais la route de l’adhésion à l’Union européenne. Les pays de l’Europe orientale, pour leur part, exprimèrent leur inquiétude de voir l’argent européen s’y déverser à leur détriment.
Le projet, tel que retouché de fond en comble par l’Allemagne dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, n’avait plus rien à voir avec le projet initial porté par M. Sarkozy et M. Guaino. Mais les apparences furent sauves : M. Sarkozy, en grand illusionniste, a eu une fois de plus le talent de transformer le fiasco politique de l’UPM en succès médiatique…
M. Jean-Pierre Sueur. Éphémère !
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Au final, la brève histoire de l’UPM peut se résumer à une journée de splendeur – le 13 juillet 2008 –, suivie de deux années d’hésitations bureaucratiques, d’intrigues diplomatiques et d’impuissance politique.
Deux ans et demi après ce lancement grandiose, porteur de grandes espérances, l’heure est venue de dresser un bilan. Nous savons d’ores et déjà qu’il est inconsistant.
Pendant deux ans, des négociations interminables ont porté sur la répartition des postes, le siège du secrétariat général – Barcelone ou une autre ville ? –, le financement – qui paie quoi ? –, la gouvernance – intergouvernementale ou communautaire ? –, le statut du secrétariat général… Ces questions n’ont jamais été réellement tranchées.
L’an passé, deux sommets ont été reportés sine die, aucune réunion ministérielle n’a donné lieu à des engagements fermes, seules les réunions dites techniques ont été assurées. Ce n’est que le 27 décembre dernier, voilà moins de deux mois, que le site internet de l’UPM a été lancé… exclusivement en anglais ! Enfin, un numéro de téléphone a été communiqué, mais à peine a-t-on eu le temps de le composer que le secrétaire général de l’UPM, le jordanien Ahmad Massadeh, fonctionnaire éminent, a démissionné. En outre, l’actuelle révolution égyptienne pose le problème de la nomination d’un remplaçant à la coprésidence de l’UPM détenue jusqu’alors par Hosni Moubarak. De moribonde, cette institution est devenue, en l’espace de quelques jours, fantomatique.
La France reprochait – avec raison – au processus de Barcelone de reposer sur des relations déséquilibrées, dans lesquelles l’Europe décidait de tout. Avec l’UPM, elle a certes contribué à créer une structure paritaire, mais au sein de laquelle on ne parvient pas à savoir qui décide de quoi.
Je souhaite donc, madame la ministre, vous poser une première question : qu’allez-vous proposer pour remédier à ces faiblesses institutionnelles ?
Pourtant, les projets de l’UPM, projets qui préexistaient à sa création, sont toujours d’une actualité brûlante, qu’il s’agisse de la dépollution de la Méditerranée, du plan de production d’énergie solaire, de la prévention des catastrophes naturelles, de la création des autoroutes de la mer ou de la mise en place d’une université méditerranéenne sur la rive sud.
Ma deuxième question sera la suivante : ces projets vont-ils survivre à l’UPM ? Dans le contexte actuel, de quels financements disposeront-ils ?
L’UPM souffre donc d’un vice de conception, mais aussi, et c’est sans doute plus préoccupant, d’une absence de vision et de stratégie politiques.
L’UPM, pour fonctionner, aurait eu besoin de s’appuyer sur des ensembles régionaux, en premier lieu sur la construction d’un Maghreb uni et fort, autour de l’Algérie et du Maroc.
Le non-règlement de la question du Sahara a un coût très élevé, humain, économique et sécuritaire, et pèse politiquement sur la région. Des milliers de familles paient l’absence de solution politique, des enfants grandissent dans des camps et cette souffrance nourrit leur amertume et leur désespérance. Pendant que ce drame prend de l’épaisseur de génération en génération, la perspective d’une intégration économique de la région s’éloigne, emportant avec elle les chances de développement économique, ce qui frustre les aspirations populaires.
Pour nous, Européens, la persistance de ce conflit, qui déborde sur la zone sahélo-saharienne, constitue une menace directe contre la sécurité euro-méditerranéenne et euro-atlantique. Nous en avons vu les conséquences dramatiques avec l’enlèvement et la mort de plusieurs de nos compatriotes.
Qu’avons-nous fait, nous Français et Européens, pour tenter de promouvoir un tant soit peu, au côté de l’Organisation des Nations unies, une solution politique négociée entre les protagonistes de ce conflit qui obère toute possibilité de développement régional, empoisonne les relations entre l’Algérie et le Maroc et nuit gravement aux populations de ces deux pays ?
Inexistants sur ce dossier, nous n’avons rien trouvé de mieux que d’envenimer des relations déjà passionnelles avec l’Algérie par la funeste mention dans notre loi des « effets positifs de la colonisation » ! Quant au Gouvernement, alors qu’existe un accord très abouti de coopération en matière de lutte contre le terrorisme entre la France et l’Algérie, il a tout simplement porté l’Algérie sur la liste des pays à risques terroristes, oubliant au passage que ce pays a été la première victime de l’intégrisme.
Avant même de nommer les principes selon lesquels nous pourrions relancer l’idée euro-méditerranéenne, il faut que nous apprenions à écouter ce que ces peuples ont à nous dire.
Ni la France ni l’Europe n’ont vu venir les mouvements sociaux qui sont en voie de transformer la face politique de la rive sud de la Méditerranée. Je ne parle pas de la déflagration brutale, de l’irruption de ce bouleversement radical qu’aucun stratège n’a pressenti ; je parle de ces messages qui, depuis plusieurs années, nous parviennent quotidiennement de bateaux de fortune sombrant dans la Méditerranée avec, à leur bord, une jeunesse préférant l’aventure suicidaire à l’absence désespérante d’avenir. Au lieu de prendre la mesure de ces appels de détresse, nous avons soutenu des régimes d’un autre âge, faisant l’hypothèse que ces peuples ne sauraient décider par eux-mêmes. Cette surdité est, d’une certaine façon, en parfaite cohérence avec la théorie occidentale, pour ne pas dire néocoloniale, de l’impossibilité de la démocratie dans les pays de tradition musulmane.
La politique des pays occidentaux s’appuie sur une conception datant des années soixante-dix, selon laquelle la seule alternative au pouvoir autocratique est l’obscurantisme islamiste, comme si le choix ne pouvait être qu’entre le pharaon et le barbu. Obsédées par cette vision, l’Union européenne et la France ont cautionné la privation des libertés publiques.
Il faut revenir sur les raisons de cet aveuglement, qui perdure. Aujourd’hui encore, si nos diplomates perçoivent correctement les évolutions – et je veux leur rendre hommage, parce qu’après les magistrats, les policiers et bien d’autres professions, ils sont à leur tour stigmatisés –, le Gouvernement semble déçu de n’avoir trouvé nulle part, dans les pays musulmans en pleine agitation, la menace intégriste. On confond, à mauvais escient, l’islam politique avec le besoin de spiritualité inhérent à la nature humaine, ce besoin de spiritualité et de sens qui se renforce, ici comme ailleurs, au fur et à mesure que progresse la déshumanisation des rapports sociaux.
Cette surdité explique la vision partiale et partielle que nous avons de la rive sud, qui sous-tend les trois contradictions majeures de la politique française dans son rêve euro-méditerranéen.
La première contradiction consiste à vouloir asseoir une nouvelle influence française sur la rive sud tout en stigmatisant, sur la rive nord, jour après jour, les citoyens d’origine contrôlée que sont les Français de confession musulmane. Les attaques menées par le Gouvernement sur le sol français contre des « musulmans » sont indignes de notre conception de la laïcité, corrosives pour notre « vivre ensemble » et pour notre image à l’étranger.
Cette croisade a commencé par une hostilité à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, puis s’est poursuivie par l’indigne débat sur ce dernier thème et les polémiques sur la burqa, les minarets ou la viande halal.
La fièvre obsidionale fut telle que, pendant quelques jours, certains ont sincèrement cru qu’un restaurant fast-food, son aire de jeu, ses sandwiches et ses plateaux-repas constituaient la cinquième colonne d’une invasion minutieusement programmée !
Sur ce terreau, le Front national a pu se refaire une santé et Mme Le Pen faire référence à l’occupation en évoquant les musulmans. Et cela va continuer avec le prochain débat sur le multiculturalisme, inscrit à l’ordre du jour politique de la majorité… Les Français venus d’ailleurs seront encore les otages de la prochaine campagne électorale.
Je passe sur le discours de Dakar, par lequel, malgré les représentations d’un ambassadeur averti, injustement révoqué depuis, Nicolas Sarkozy a gravement offensé les Africains.
Cette vision fantasmée et anxiogène de l’islam et des musulmans, largement relayée et commentée dans les pays du Sud par les médias et les réseaux sociaux, justifie l’apparition dans ces pays d’un discours symétrique de repli identitaire. Ne vous y trompez pas, les populations de la rive sud sont connectées aux réseaux modernes et connaissent vos dérapages.
Fort heureusement, nous avons su nous différencier des États-Unis s’agissant de l’Irak, mais Nicolas Sarkozy, en empruntant le chemin d’un atlantisme béat, a contribué à alimenter la mécanique infernale du conflit des civilisations, théorisée par les néoconservateurs américains. Cette politique, cette idéologie est totalement incompatible avec un projet méditerranéen ambitieux.
Barack Obama avait ouvert aux Américains une perspective de dépassement avec le concept « post racial », et nous, qui sommes si proches des pays arabes, nous n’avons pas compris que les jeunes musulmans étaient dans une phase « post islamiste ». Ils sont très attachés à leur civilisation, à leurs traditions, et veulent tout simplement vivre leur foi dans un monde ouvert. Ils ne se contenteront plus d’un ersatz de démocratie, car ils ont bien compris que les attributs de la démocratie sont bien plus larges que le simple droit de vote. Ils veulent des libertés publiques, une justice et une presse indépendantes, ainsi que des garanties en matière de libertés individuelles. Ils souffrent d’un déclassement et rejettent les nouveaux maîtres qui pillent leur pays. Il existe également une demande sociale forte.
La deuxième contradiction réside dans le fait de vouloir créer une union reposant sur des projets tout en verrouillant, par une politique des visas malthusienne, toute circulation humaine : les flux vont du Nord au Sud, jamais du Sud au Nord !
En définitive, l’approche méditerranéenne de l’Europe se caractérise par des objectifs sécuritaires et des barrières migratoires. La seule coopération semblant fonctionner – ce n’est pas un reproche – est celle qui existe entre les organes de sécurité et les ministres de l’intérieur. Mais cette coopération, qui se concentre sur la maîtrise des flux migratoires, ne permet pas de nous protéger collectivement de la déstabilisation du Sahel. Là encore, la construction d’un ensemble régional aurait pu nous prémunir contre ce risque.
Cela m’amène, madame la ministre, à poser une troisième question : au-delà des postures politiques qui sous-tendent les lois sur l’immigration, comptez-vous enfin proposer un réel partenariat migratoire aux pays de la rive sud, offrant des possibilités de migrations circulaires ? C’est là l’indispensable premier jalon d’une véritable politique méditerranéenne.
Enfin, la troisième contradiction tient à la difficile articulation entre l’objectif de promotion des droits de l’homme et les logiques de puissance.
En effet, la définition d’un discours de politique étrangère fondé sur l’universalisme des droits et le soutien aux libertés publiques se heurte de plein fouet à la concurrence que se livrent les États démocratiques pour développer ou conserver leurs parts de marchés dans certains pays.
Les tenants de la realpolitik se donnent bonne conscience en affirmant que du développement économique découlera automatiquement l’aspiration démocratique. Mais la position française va bien au-delà de la realpolitik : elle ne s’articule pas uniquement autour de l’inefficience de la conditionnalité politique, elle s’appuie, hélas ! sur la négation de l’humanisme. On sait le peu de considération que porte le Président de la République française à la question de la défense des libertés publiques, qu’il qualifie avec mépris d’idéologie « droit-de-l’hommiste », comme s’il était honteux de se soucier de ses semblables…
Ce parti pris s’est traduit, au cours des dernières années, par une politique du tapis rouge pour certains et du guichet fermé pour des démocrates opposants. Il explique également la disparition rapide du secrétariat d’État aux droits de l’homme, la mise au placard d’un secrétaire d’État ayant dénoncé les dérives de la « Françafrique », la multiplication sur notre sol des espaces de non-droit, la stigmatisation liée à l’origine – je pense aux Roms –, l’élaboration d’une sixième loi visant l’immigration, assortie d’atteintes à notre Constitution, telle la déchéance de la nationalité, que le Sénat a heureusement rejetée dans sa grande sagesse.
Toutefois, il y a plus grave encore que ce cynisme et ce mépris ouvertement affichés : la logique de puissance, la grammaire diplomatique peuvent expliquer le silence d’un État démocratique, mais elles n’impliquent en rien le recours à l’hypocrisie et à la flagornerie. Pourquoi le Président de la République française a-t-il cru bon de saluer une « progression de l’espace des libertés » en Tunisie, alors que toutes les organisations non gouvernementales ne cessent de dénoncer, depuis des années, une évolution inverse ?
La crédibilité internationale de la France ne se mesure pas au nombre de chefs d’État figurant sur une photographie. Elle repose, notamment, sur l’estime que les sociétés civiles de la rive sud nous accordent. Autant dire que, dans le monde arabe, cette crédibilité n’existe plus !
En défilant avec des pancartes où figure le seul mot « dégage », les manifestants tunisiens et égyptiens rendent peut-être hommage à la francophonie. C’est notre modeste participation aux troubles révolutionnaires… Ce mot est le peu qu’il nous reste de l’esprit de 1789 !
À force de renvoyer les musulmans à un jihad fantasmé à chaque soubresaut régional, nous avons perdu, en plus de l’usage de notre raison, la grandeur de la France.
Pourtant, la jeunesse de ces pays n’est pas fascinée, bien au contraire, par le modèle des mollah iraniens, dont elle connaît la brutalité. Pour d’autres raisons, elle ne souhaite pas non plus copier le modèle occidental. Elle observe avec intérêt la Turquie, qui semble allier démocratie, développement économique et valeurs islamiques. Il faudra bien admettre que, à l’instar de la démocratie chrétienne, une démocratie musulmane puisse voir le jour.
Je le dis avec beaucoup de gravité : ne nous joignons pas au chœur des Cassandre. Depuis trop longtemps, les pays occidentaux s’accommodent d’États autoritaires au nom d’une lutte contre le péril intégriste qui devient obsessionnelle depuis qu’un barbu illuminé et pyromane s’est caché dans des grottes préhistoriques après avoir défié les citadelles de la modernité.
Madame la ministre, si nous savons décrypter ce que les sociétés civiles du Sud nous disent, rien n’est perdu pour construire une Union pour la Méditerranée sur de nouvelles bases. C’est pourquoi la France, lors de la prochaine relance méditerranéenne, souhaitable et même inévitable, ne pourra faire l’économie de l’élaboration d’une nouvelle grille d’analyse permettant de distinguer quête du religieux et projet politique, ainsi que d’une relation apaisée avec son passé, sa mémoire coloniale et ses citoyens venus d'ailleurs ; elle devra en outre renouer avec son credo dans le progrès et l’universalisme des droits.
Ma quatrième question sera la suivante : quelle leçon tirez-vous de l’aspiration à la démocratie exprimée sur la rive sud et comment comptez-vous, à la lumière de ces événements, relancer le processus de l’UPM ?
J’ai bien conscience, madame la ministre, de porter un réquisitoire d’une grande sévérité sur le fond, mais il nous faut regarder les choses en face et nous dire la vérité. C’est à ce prix que nous pourrons retisser des liens de confiance avec la rive sud et construire cet espace méditerranéen dont nous avons tous besoin, en traitant d’égal à égal.
Une belle idée a été gâchée. Nous, socialistes, sommes convaincus que le destin de l’Europe vieillissante est lié à celui des pays du Sud. Nous sommes persuadés qu’aucune coopération d’avenir n’est possible sans respect, considération et solidarité envers ces peuples. Les foules de la place Tahrir ou de Tunis scandent leur foi dans l’avenir de leur pays, mais aussi de leur région : allons-nous enfin les entendre et leur proposer un cercle vertueux, gagnant-gagnant ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles Gautier. Bravo !
M. Paul Blanc. Tout ce qui est excessif est dérisoire !
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, en Égypte, un large mouvement populaire vient de chasser du pouvoir un dirigeant honni. Même si personne ne peut aujourd’hui prédire l’issue de cette insurrection, cet évènement nous concerne et doit nous amener à réfléchir sur le rôle de notre politique étrangère dans cette région.
Les révoltes sociales, les luttes pour la démocratie engagées ces dernières semaines en Tunisie et en Égypte ont nettement mis en lumière l’échec des ambitions euro-méditerranéennes du Président de la République. Ce qui devait être l’un des grands chantiers diplomatiques du quinquennat est devenu vide de sens.
Cet échec révèle également les faiblesses de notre politique étrangère depuis plusieurs années et la dégradation de l’image de la France dans les pays du Maghreb et du Machrek, mais également au Proche-Orient.
Ironie ou vengeance de l’histoire, lors de la création de l’Union pour la Méditerranée, en 2008, le Président de la République avait insisté pour que cette organisation ait son siège à Tunis. Il n’avait pas obtenu satisfaction, mais il avait pu se consoler en coprésidant l’UPM, jusqu’à ces dernières semaines, avec Hosni Moubarak, dont il faisait ainsi notre partenaire privilégié.
Au-delà des troubles que connaît la région, le coup de grâce avait déjà été donné à cette institution par la démission de son secrétaire général et le retrait forcé de son coprésident égyptien.
La démission de M. Ahmed Massa’deh a été un nouveau coup dur pour l’influence de notre pays dans le monde arabe. Le secrétaire général a justifié sa décision par sa lassitude devant la paralysie de l’organisation, faute d’orientations claires et de possibilité d’accord entre les différents pays sur des projets concrets.
Mais ce qui faisait surtout l’arrière-plan de cette démission, c’était l’incapacité de notre diplomatie, animée par le Président de la République, à donner les impulsions nécessaires à l’Union pour la Méditerranée.
Souvenons-nous pourtant que, en 2008, le Président de la République croyait pouvoir tirer les enseignements de l’enlisement de la politique méditerranéenne de l’Union européenne, appelée « processus de Barcelone ». Il avait alors pris l’initiative d’engager un mouvement de coopération avec les pays de la région, malgré les réticences de la plupart de nos partenaires européens.
En créant cet espace de coopération, il ambitionnait aussi, sans doute, de donner à l’Europe un poids suffisant pour influer enfin sur le processus de paix au Proche-Orient. Il voulait tirer partie d’une influence certaine, due à notre proximité historique et culturelle, pour promouvoir les principes et les valeurs de la France au moyen d’une nouvelle politique de coopération.
Le candidat Sarkozy n’avait-il pas, en effet, promis une « diplomatie des valeurs » durant sa campagne pour l’élection présidentielle ? N’avait-il pas fait la déclaration suivante, le soir même de son élection : « La France sera du côté des opprimés du monde, de tous ceux qui croient aux valeurs de la liberté, de la tolérance et de la démocratie » ?
Hélas, les actes n’ont pas suivi les promesses !
À la lumière de ce qui se passe aujourd’hui, nous voyons bien que notre pays risque de payer cher de lourdes erreurs stratégiques de sa politique étrangère. Le Président de la République n’a pas su trouver le juste équilibre entre la diplomatie, les enjeux économiques et les droits fondamentaux.
C’est ce qui fait aussi que les opposants tunisiens et égyptiens ignorent totalement, et rejettent parfois, I’UPM, trop associée à leurs yeux aux anciens présidents Ben Ali et Moubarak. Cela a largement contribué à décrédibiliser notre pays dans cette région et à altérer l’image de la France auprès de peuples qui paraissent ne plus rien avoir à attendre de nous, ni de l’Europe.
Sans vision stratégique, votre politique diplomatique, dans ce cas précis, s’est faite au jour le jour, au gré des événements. Il s’agissait, selon le vieil adage britannique, d’attendre et de voir…
Notre incompréhension du processus historique en cours dans ces pays, notre incapacité à prendre position et à réagir face aux événements actuels s’expliquent par la conception strictement néolibérale que ce gouvernement, comme les dirigeants européens, se fait de la coopération avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
En effet, vous concevez l’aide économique à ces pays comme le moyen d’assurer un certain type de développement, sans vous préoccuper des conditions sociales et politiques dans lesquelles il s’accomplit. L’histoire nous apprend pourtant qu’il est illusoire de penser qu’un développement durable, économique, social mais aussi culturel, puisse se réaliser sans démocratie.
Votre conception, c’est celle des agences de notation, qui ont immédiatement baissé la note de ces pays lorsque les intérêts des puissances économiques étaient menacés.
Vous vous êtes ainsi satisfaits à bon compte de la stabilité garantie par des pouvoirs corrompus qui opprimaient leurs populations afin de préserver un ordre économique et social qui servait leurs seuls intérêts et les protégeait. Vous vous êtes laissés aveugler par l’épouvantail du fondamentalisme religieux musulman que ces pouvoirs n’ont cessé d’agiter afin de se présenter comme un rempart contre celui-ci.
On découvre malheureusement aujourd’hui la triste réalité de ces manipulations.
On apprend, par exemple, que l’ancien ministre de l’intérieur égyptien est soupçonné par la justice de son pays d’être impliqué dans un odieux attentat contre une église copte, officiellement attribué à un mouvement terroriste islamiste.
Tout cela vous a conduits à être peu regardants sur la nature de ces régimes, à être complaisants avec ce qu’il faut appeler des dictatures.
Mais vous avez aussi, et peut-être surtout, gravement ignoré, ou en tout cas sous-estimé, la colère de ces peuples contre les injustices, leurs aspirations, mais aussi leur capacité à édifier des sociétés démocratiques.
Permettez-moi de rappeler que notre groupe avait déjà dénoncé l’absence de prise en compte de cette dimension majeure que constituent les droits fondamentaux à l’occasion du sommet fondateur de l’UPM, tenu à Paris au mois de juillet 2008.
Dès cette époque, nous critiquions la différence de conception entre l’Union pour la Méditerranée et le processus initial de Barcelone, qui, bien que fondé sur une politique libérale de libre-échange, liait développement économique et lutte contre la pauvreté et fixait des exigences en matière de droits fondamentaux.
Nous avions également relevé que le docteur Moncef Marzouki, opposant au régime de Ben Ali devenu aujourd’hui populaire en Tunisie, nous renvoyait à nos propres exigences afin de garantir la réussite d’une nouvelle politique méditerranéenne. Je le cite : « Aurait-on pu envisager l’élargissement de l’Europe à l’Espagne, au Portugal ou encore à la Grèce du temps des dictatures de Franco, Salazar ou des colonels grecs ? »
Aujourd’hui, que reste-t-il du projet mort-né de l’Union pour la Méditerranée ? Après deux ans et demi d’existence, le bilan de cette institution est très mince. Des accords sur l’énergie solaire, le trafic maritime, les transports routiers ont été conclus et, en avril 2010, une conférence sur l’eau a été organisée, sans recevoir une véritable suite. Rien de concret dans tout cela, seulement une succession de séminaires ou d’études déconnectés des réalités économiques, sociales et politiques.
Certes, ce bilan décevant ne peut être uniquement imputé à votre conception erronée des conditions dans lesquelles doit se réaliser le développement des sociétés. Il y a aussi des raisons objectives qui font qu’aucun projet ne peut aboutir tant que ne sont pas réglés des conflits ou des désaccords entre les différents acteurs de la région. Je pense naturellement aux conflits entre Chypre et la Turquie, entre le Maroc et le Sahara occidental et, bien entendu, au conflit israélo-palestinien, qui fait de la coexistence entre Israël et les pays arabes l’un des principaux problèmes posés à l’UPM.
L’UPM ne pourra retrouver une légitimité qu’au prix d’une profonde redéfinition de notre politique euro-méditerranéenne d’aide au développement des pays de cette région, dans un sens qui soit favorable à leurs peuples et non aux seuls intérêts des acteurs du libéralisme économique.
C’est à cette révision profonde que je vous avais invitée, madame le ministre d’État, en vous interrogeant, il y a quinze jours, en pleine tourmente tunisienne. Vous m’aviez alors répondu d’une façon que j’ai ressentie agressive et inappropriée.
Aujourd’hui, le Président de la République, le Gouvernement et vous-même prenez, malheureusement, le train de l’histoire en marche. Pourtant, Nicolas Sarkozy semble encore marquer quelque réticence à reconnaître son incapacité à comprendre vraiment ce qui se passe dans ces pays, alors que, vendredi dernier, il saluait le « courage » dont aurait fait preuve Hosni Moubarak en démissionnant…
Il est donc grand temps, pour la France et pour l’Europe, de tirer les enseignements de ces événements et de revoir radicalement leurs stratégies dans cette région.
L’Europe, et plus généralement l’Occident, qui ont trop longtemps tenu ces peuples pour mineurs et soutenu leurs dirigeants et leurs dictateurs, doivent aujourd’hui aider par tous les moyens les processus démocratiques qui s’enclenchent, dans le respect de l’indépendance des États et des choix des peuples. Il leur appartient, notamment, de soutenir le développement économique et social de ces pays, condition essentielle de la pérennisation de ces démocraties naissantes.
Ce sont ces exigences que le coprésident de l’UPM, également président en exercice du G20, à savoir M. Sarkozy, devrait entendre pour mettre en œuvre de nouvelles orientations.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, Mme Khiari, auteur de cette question orale avec débat, nous offre l’occasion d’aborder un sujet passionnant et difficile. Toutefois, même si la position qu’elle a exprimée est respectable, il est dommage que son intervention ait souvent pris la forme d’un réquisitoire contre le Président de la République.
MM. Paul Blanc et André Dulait. Très bien !
M. Jacques Blanc. Ma chère collègue, vous avez évoqué la longue histoire des relations euro-méditerranéennes. Je me bornerai, pour ma part, à rappeler que le processus de Barcelone est né après les accords d’Oslo de 1993, qui avaient fait espérer une paix au Proche-Orient.
C’est dans ce contexte que le processus de Barcelone avait été lancé, la France et l’Espagne jouant un rôle majeur. En tant que président du Comité des régions de l’Union européenne, j’ai eu le privilège d’assister à la naissance de ce partenariat euro-méditerranéen, marquée notamment par une rencontre entre le ministre des affaires étrangères d’Israël et le représentant de la Palestine qui avait suscité de grands espoirs. Certes, le processus de Barcelone n’a pas débouché sur des résultats à la hauteur de ces espérances, mais il a tout de même été un jalon important dans l’histoire des rapports entre l’Europe et la rive sud de la Méditerranée. Il a permis que se dessinent un certain nombre de perspectives : des accords de libre-échange ont pu être établis, des barrières douanières à l’importation de certains produits manufacturés dans l’Union européenne ont été supprimées, la création d’une zone de libre-échange réunissant le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie a été lancée grâce aux accords d’Agadir, un outil européen en faveur des pays méditerranéens, le MEDA, a été mis en place, ce qui est déjà un bon point, même s’il a un peu déçu, et la FEMIP, la facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, a été instituée.
Bref, des initiatives ont été prises, sous des formes diverses, selon une approche globale euro-méditerranéenne ou dans un cadre bilatéral, et ont débouché sur des opérations concrètes. Je pourrais citer, à ce titre, le gazoduc transsaharien ou le projet de TGV Tanger-Casablanca, sans oublier la dimension environnementale, le processus de Barcelone ayant permis de réactiver le plan bleu pour la Méditerranée, qui avait été mis en place par l’ONU.
Cela étant, le processus de Barcelone avait besoin d’être relancé. L’un des mérites de Nicolas Sarkozy est d’avoir osé le faire en créant l’UPM, dont il avait bien perçu la dimension exceptionnelle.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jacques Blanc. Cette démarche n’a pas été facile à mener, car les autres pays européens étaient quelque peu réticents, craignant que la nouvelle organisation, à l’instar de l’Assemblée des Parlements de la Méditerranée, ne concerne que les États méditerranéens : ils ont donc tenu à ce que l’Union européenne y participe. Le Président de la République a pris en compte cette volonté politique, l’Union méditerranéenne étant devenue l’UPM après accord avec Mme Merkel. Cela était d’autant plus important que le volet bilatéral de la politique euro-méditerranéenne doit être complété par une dimension régionale. Le président du groupe France-Syrie, Jean-Pierre Vial, m’a d’ailleurs demandé de souligner à cette tribune qu’il convient d’associer une approche globale à des actions bilatérales pour enrichir le contenu de la politique euro-méditerranéenne.
En juillet 2008, les responsables de l’ensemble des pays concernés se sont réunis à Paris. Aujourd'hui, certes, la paix entre Israël et la Palestine n’est pas établie. Peut-on pour autant honnêtement prétendre que c’est la faute du Président Sarkozy ?
M. Robert Hue. Personne n’a dit cela !
M. Jacques Blanc. Cela a été quelque peu insinué…
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Non !
M. Jacques Blanc. Chacun sait bien qu’il s’agit d’un problème extrêmement difficile, et que la reprise de la politique de colonisation par Israël n’a pas facilité les choses. La diplomatie française ne peut tout de même pas être rendue responsable de cet échec.
Mes chers collègues, je suis d’autant plus à l’aise pour évoquer la situation en Tunisie que le groupe d’amitié France-Tunisie – je parle sous le contrôle de son président, Jean-Pierre Sueur –, dont je suis membre, a condamné avant le départ de M. Ben Ali les mesures de répression mises en œuvre.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Jacques Blanc. Les récents événements d’Égypte et de Tunisie rendent-ils caduque l’Union pour la Méditerranée ? Bien au contraire : le renforcement de la politique euro-méditerranéenne est plus que jamais d’actualité !
M. Jean Bizet. Exactement !
M. Jacques Blanc. Ceux, jeunes ou moins jeunes, qui ont manifesté leur espérance d’une liberté nouvelle, ont peut-être été confortés dans leur démarche par le message que véhicule l’Union pour la Méditerranée.
Aujourd’hui, devant cette aspiration des peuples à la liberté et au respect des droits de l’homme, mais aussi au développement économique, il nous incombe d’affirmer plus que jamais l’exigence de renforcer la politique euro-méditerranéenne, je dirais même de mettre en place un véritable plan Marshall pour la Méditerranée, afin de répondre à leurs attentes.
Les rapports entre États sont toujours difficiles : le mérite de l’Union pour la Méditerranée est de permettre des coopérations sous-étatiques. J’ai contribué, avec mes collègues du Comité des régions de l’Union européenne, à la mise en place de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne, l’ARLEM, où des élus du Nord et du Sud peuvent se rencontrer et échanger, en échappant à l’emprise des grands problèmes divisant les États. Une telle démarche de coopération sous-étatique, en complément des rapports entre États, peut aussi être un atout pour faire passer des messages.
Ainsi, j’ai eu le privilège d’être désigné rapporteur pour la gestion de l’eau à l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée. J’ai présenté mon rapport, à Rabat, devant le président de la Knesset et le vice-président de l’Autorité palestinienne, tous deux présents malgré un contexte difficile. Accepter de débattre ne veut pas dire que l’on cautionne les propos de son interlocuteur, mais c’est une marque de respect pour celui-ci.
De grands projets, tels que les autoroutes de la mer, le plan solaire ou la boucle méditerranéenne, qui permettrait de créer une dynamique nouvelle associant tous les pays, présentent des besoins de financement considérables. La création d’un fonds d’investissement vient d’ailleurs d’être annoncée, même s’il n’est pas encore alimenté à la hauteur du milliard d’euros attendu. En tout cas, une perspective est aujourd'hui tracée, et les échanges se sont multipliés.
Mes chers collègues, l’heure n’est pas aux querelles intestines ; de cette tribune, adressons plutôt un message de respect à l’ensemble des pays méditerranéens, en particulier à leur jeunesse et à tous ceux dont les espérances se réalisent tout à coup. De ce point de vue, l’UPM a d’ailleurs le mérite de relever davantage que le processus de Barcelone d’une démarche paritaire. Répondons aux attentes des peuples méditerranéens en respectant leurs choix, et assurons-les que nous sommes prêts à nous mobiliser pour leur offrir des chances supplémentaires de réussite. Leur jeunesse attend de l’Europe des signaux positifs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. André Dulait. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’actualité internationale nous amène tout naturellement à nous interroger sur l’UPM, mais aussi à formuler quelques réflexions et propositions.
Des bouleversements considérables secouent plusieurs États de l’UPM, que l’on ne voit pourtant pas agir et qui reste inaudible ! On ne sait d’ailleurs même pas si son coprésident, Hosni Moubarak, a été ou va être remplacé. L’UPM semble avoir disparu des écrans, alors même qu’on devrait pouvoir attendre beaucoup d’elle. Elle n’a pas été créée pour traiter seulement de problèmes mineurs, sinon à quoi bon avoir soulevé des montagnes ! J’avais compris qu’elle avait été lancée pour amplifier et donner sa pleine portée politique au processus de Barcelone. Elle a clairement été conçue en vue de progresser, sur toutes les rives de la Méditerranée, sur des sujets de fond tels qu’un développement économique social et culturel durable, la promotion de la démocratie ou la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous devons donc chercher à réunir les conditions qui lui permettront de répondre aux immenses attentes qu’elle a révélées ou suscitées et qui s’expriment chaque jour avec plus de force.
Même si, à beaucoup d’égards, la France doit assumer une responsabilité particulière quand il s’agit de la Méditerranée, et spécialement du Maghreb, elle n’est ni forcément ni toujours la mieux placée pour intervenir. Les États-Unis, voire la Chine, auraient-ils les coudées plus franches ? Certainement, aussi longtemps du moins que nous refuserons de voir et d’accepter les possibilités dont dispose l’Union européenne pour intervenir en notre nom. Malheureusement, si l’Europe commence à s’organiser pour le faire, sa voix reste toujours bien timide… Il y a là aussi matière à réflexion.
Nous regrettons d’autant plus l’effacement de l’Union pour la Méditerranée, qui serait pourtant idéalement placée aujourd'hui pour parler tout à la fois avec le poids de l’Europe et avec la force née de la proximité, voire de la « complicité », qui devrait se développer entre ses membres, européens ou non, de toutes les rives de la Méditerranée, dès lors qu’ils s’attachent à relever ensemble des défis communs.
Les crises que nous voyons se développer sont profondes ; elles éclatent du fait de difficultés sociales et d’emploi. Ce sont d’abord des crises de développement, donc des crises de fond. Leurs enjeux aux plans régional et mondial sont particulièrement lourds. Le mot grec krisis peut se traduire par « instant décisif » : nous sommes au temps où s’ouvre l’avenir, au temps de tous les possibles ; ce temps doit être aussi pour nous celui des véritables responsabilités.
Les mouvements actuels peuvent en effet être instrumentalisés par les intégristes et les extrémistes de toutes obédiences qui spéculent sur une déstabilisation générale du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Ces soulèvements populaires sont aussi porteurs d’aspirations très fortes ; ils peuvent également conduire vers la liberté et la démocratie. Serons-nous assez forts et suffisamment solidaires, tout autour de la Méditerranée, pour faire prévaloir les élans qui unissent et non les forces qui divisent et détruisent ?
Oui, une Union pour la Méditerranée active et responsable manque aujourd’hui. Oui, les promoteurs de l’UPM avaient fondé leur démarche sur une intuition très juste. Et s’ils n’avaient pas engagé il y a deux ans cette démarche, il serait aujourd’hui urgent de le faire. Jacques Blanc l’a très bien démontré à l’instant.
L’UPM existe, mais elle n’est manifestement pas en situation, à l’heure actuelle, de jouer le rôle qui lui a été confié. Essayons donc d’examiner si et en quoi elle peut être amendée, afin de devenir réellement efficace, sinon tout de suite, du moins dans l’avenir.
Il fallait que l’UPM soit l’affaire de l’Union européenne dans son ensemble et non des seuls États de l’Union qui sont riverains de la Méditerranée, et qu’elle soit ainsi, à l’instar du Partenariat oriental, une composante majeure d’une politique de voisinage prioritaire pour l’Union européenne. Cela était indispensable pour garantir la cohésion de l’Union européenne. « Confier » l’Est à certains de ses membres et faire du Sud un domaine réservé à d’autres aurait porté en germe un éclatement de l’Union européenne.
Mettre en place une véritable politique de voisinage, qui prendra évidemment des formes différentes à l’Est et au Sud, doit être une priorité pour l’Europe.
Pour nous Français, cette politique est appelée à relever des affaires européennes, et non plus des affaires étrangères au sens large. J’ai donc la faiblesse de considérer, madame la ministre d’État, que vous êtes ici au titre de vos responsabilités européennes particulières.
Au demeurant, il est clair qu’impliquer l’Union européenne dans le devenir du bassin méditerranéen peut être perçu par nos partenaires du Sud comme un gage supplémentaire d’efficacité politique.
Il est également évident que l’UPM ne peut qu’être une organisation intergouvernementale. Un pays ne saurait participer à deux unions à la fois, l’une et l’autre de nature communautaire.
Cependant, cette organisation intergouvernementale, affaire des États, doit aussi, et très vite, devenir l’affaire des peuples. Même si la qualité des relations personnelles des chefs d’État représente un atout à ne jamais négliger, il est essentiel de dépasser rapidement une personnalisation excessive, forcément contingente et fragile, pour aller vers une institutionnalisation, par nature plus durable, à condition toutefois que celle-ci repose sur une « charte des valeurs ».
Nous voici donc au cœur du problème : soit nous feignons d’ignorer les difficultés réelles qui existent du fait des conflits ouverts que nous savons ou des « marges » que prennent certains États au regard des bonnes pratiques démocratiques ou du respect des droits de l’homme, et nous ne pourrons jamais aller à l’essentiel ni nous tourner ensemble vers l’avenir sur la base d’une solide confiance mutuelle ; soit nous n’éludons pas ces questions de principe majeures, essentielles pour tous nos peuples, mais il y faudra alors du courage et de la détermination : le chemin sera rude !
La situation actuelle ne nous fournit-elle pas une occasion de choisir cette voie difficile ? D’ailleurs, quelle que soit la difficulté, avons-nous un autre choix ? Peut-être pourrions-nous reporter la décision à plus tard, si nous étions certains que le chemin restera ouvert. Or rien n’est moins sûr. Les peuples qui se sont soulevés attendent. Pourront-ils le faire longtemps ? En réalité, le temps presse !
Vous le savez, madame la ministre d’État, puisque vous m’avez permis de m’entretenir de ce sujet avec vous : je suggère que l’Union européenne délègue tout naturellement les questions relatives à la démocratie et aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, dont c’est précisément le « cœur de métier ».
Dans son rôle éminent, l’Union pour la Méditerranée, quant à elle, fixerait les grands objectifs politiques. Elle marquerait sa volonté d’aller de l’avant en proposant des programmes concrets, équilibrés et durables de développement, et s’appuierait sur le Conseil de l’Europe pour ce qui touche aux droits fondamentaux.
Je note en passant que, parmi les États riverains de la Méditerranée aujourd’hui non membres de l’Union européenne, la Turquie ou les pays des Balkans siègent au Conseil de l’Europe, tandis que les autres, à un titre ou à un autre, ont engagé ou se disposent à engager un dialogue avec lui.
Pour être tout à fait concret, j’ajoute que, sans attendre de futures crises ou un avenir plus lointain, nous devrions surtout proposer dès maintenant, notamment à la Tunisie et à l’Égypte, les possibilités offertes par le statut de « partenaire pour la démocratie ». Ce statut, auquel le Parlement marocain s’est déjà porté candidat, a été institué par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe afin de favoriser le développement d’un dialogue interparlementaire orienté sur la promotion des « valeurs ».
Nous pouvons également rappeler que le Conseil de l’Europe peut offrir les services de la convention de Venise aux nombreux États qui remettent en chantier leur constitution ou seront appelés à le faire.
Enfin, je suis certain que la session d’avril de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sera l’occasion de faire des propositions sur tous ces sujets. En tout cas, la délégation française s’y emploiera.
Des peuples amis rencontrent aujourd’hui d’immenses difficultés pour trouver « leur » chemin vers la démocratie et la liberté. Les défis qu’ils ont à relever nous concernent également très directement.
Le temps n’est plus aux querelles subalternes, mais à l’imagination, à la solidarité et à l’émergence d’une volonté politique partagée autour de la Méditerranée, berceau des religions du Livre et de la philosophie, berceau de la démocratie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de remercier Bariza Khiari d’avoir pris l’initiative d’inscrire à notre ordre du jour réservé cette question orale portant sur l’avenir de l’Union pour la Méditerranée.
Évoquer la Méditerranée, en particulier ses rives sud et est et leurs relations avec le continent européen, revêt un caractère particulier en cette période.
D’un côté, nous ne pouvons que nous réjouir des mutations en cours en Tunisie et en Égypte, et qui interviendront certainement demain dans de nombreux autres pays, en espérant voir émerger de grandes démocraties. De l’autre, il faut bien l’avouer, la France et surtout l’Europe sont, hélas ! les grandes absentes de ce processus.
Nous sommes si proches et pourtant si impuissants, si proches et si maladroits, si proches et si peu crédibles… Dans ces conditions, qu’avons-nous à proposer ou à dire ?
En tant qu’Européen convaincu et qu’élu d’un département méditerranéen, je suis certain qu’il ne s’agit pas d’une simple question de proximité qui pourrait être abordée, comme certains l’ont pensé, par le biais de la mise en œuvre depuis 2003 d’une politique européenne de voisinage. Il s’agit, bien au contraire, d’un sujet de civilisation, d’une histoire commune et d’un futur partagé.
Je ne ferai pas de rappel historique sur les relations entre les pays du continent européen et les pays du sud et de l’est de la Méditerranée ; d’autres, ici ou ailleurs, l’ont fait ou le feront de manière brillante. Cependant, je tiens à vous sensibiliser, madame la ministre, mes chers collègues, à la nécessité impérieuse, pour l’Europe et pour la France, de construire une communauté de destins avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et de s’inspirer des échecs du passé pour ne plus reproduire les mêmes erreurs.
Parmi ces erreurs, il y a celle qui conduit souvent les Européens à aborder la question des relations euro-méditerranéennes de la manière suivante : « Que pouvons-nous apporter aux pays du Sud ? » Il faut désormais inverser la question et nous demander ce que ces pays peuvent nous apporter,…
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Exactement !
M. Simon Sutour. … ce que nous pouvons nous apporter réciproquement. En effet, nous avons besoin du Sud !
Eu égard à nos relations historiques, géographiques, culturelles, économiques et environnementales, l’exigence de construire davantage sur le long terme dans un monde multipolaire s’impose à nous.
Limiter la coopération à la dépollution, à la création d’autoroutes de la mer, à l’élaboration d’un plan énergie solaire, comme a pu le faire jusqu’à présent l’Union pour la Méditerranée, dont le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a été l’initiateur en 2008, a été une mauvaise réponse au succès limité du processus de Barcelone tel qu’il avait été mis en place par Jacques Delors en 1995, au point que lorsque l’on compare ces deux démarches, on s’aperçoit que le processus de Barcelone, malgré ses imperfections, était un projet européen complet, fixant, contrairement à l’UPM, des exigences en matière de droits fondamentaux. Il n’ignorait pas des questions politiques telles que l’immigration, le conflit israélo-palestinien ou encore la lutte contre le terrorisme.
L’échec de l’UPM – ce terme est malheureusement approprié après l’annulation de son congrès qui devait se tenir à Barcelone le 21 novembre dernier et la démission récente, le 26 janvier, de son secrétaire général, M. Ahmad Massa’deh – est un revers retentissant pour le Président de la République. En mêlant, comme souvent, précipitation et inconstance, il a réussi à « abimer » une bonne idée.
M. Jacques Blanc. C’est lui qui l’a eue !
M. Simon Sutour. Il est d’ailleurs admis, désormais, que l’UPM n’est plus qu’une instance de coordination de projets. Quel manque d’ambition sur un sujet majeur pour notre avenir !
J’ajouterai, sans chercher à polémiquer, que, dès le départ, ce projet était mal engagé. Les critiques formulées à l’époque de son lancement par les pays du nord de l’Europe et, ici même, par les sénateurs socialistes étaient pleinement justifiées.
En effet, d’emblée, l’initiative de M. Sarkozy avait été lourdement critiquée par l’Allemagne et d’autres pays européens, qui tenaient alors à s’assurer que la nouvelle organisation ne viendrait pas concurrencer l’Union européenne ou le processus de Barcelone.
Plus au Sud, les différences d’interprétation entre les versions anglaise et française de la Déclaration de Paris ont donné lieu à des querelles sur la participation ou non de la Ligue arabe aux réunions de l’UPM. Des désaccords sont aussi apparus sur la question de la gouvernance ; pour l’heure, ils ne sont toujours pas résolus et ne sont vraisemblablement pas près de l’être.
À Bruxelles, l’Union européenne s’est immédiatement sentie mise à l’écart. Le processus de Barcelone était un projet de l’Union européenne, coordonné par la Commission européenne, alors que l’UPM est avant tout un projet intergouvernemental né sur l’initiative de certains États membres. La Commission européenne et les États du nord de l’Europe ont été réticents à mettre en place un nouveau mécanisme. Le Parlement européen s’est lui-même à de nombreuses reprises montré très critique sur ce projet.
Au-delà des discours du Président de la République et de quelques bonnes intentions, force est de constater que, sur le plan institutionnel, l’UPM renforce l’intergouvernementalisme et fait primer les intérêts nationaux sur l’intérêt supérieur commun.
Cette logique est récurrente depuis 2007. Elle est la source de nombreux échecs sur le plan diplomatique. En voulant à tout prix occuper le devant de la scène, la France perd irrésistiblement de son influence dans le monde, au contraire de l’Allemagne.
Enfin, un projet d’une telle envergure ne peut pas faire l’économie d’un volet politique et esquiver, comme l’a fait l’UPM, les questions de la promotion de la démocratie, des droits de l’homme ou de l’avenir d’Israël et de la Palestine.
Aujourd’hui, l’heure est venue de dresser un bilan des expériences passées et de réaffirmer l’objectif historique du rapprochement des deux rives de la Méditerranée. Il n’y a pas d’autre voie que le renforcement des liens entre le nord et le sud de la Méditerranée si nous ne voulons pas devenir une région périphérique. En restant séparés, l’Union européenne et les pays du nord de l’Afrique et du Proche-Orient prendraient le risque d’être définitivement marginalisés dans le cadre de la mondialisation.
Nos économies sont très complémentaires : ce qui manque au Nord, notamment en matière énergétique, se trouve au Sud ; ce qui manque au Sud dans les domaines des technologies ou de l’agroalimentaire, le Nord le possède.
Je parle ici de codéveloppement, avec pour objectif prioritaire l’amélioration des conditions d’existence dans un ensemble prospère. La résorption des disparités sociales et économiques entre les deux rives est prioritaire. C’est un enjeu majeur pour notre avenir.
Les échanges doivent également concerner les champs social, médical, culturel, environnemental, éducatif. Nous avons trop ignoré les sociétés civiles des pays du Sud. L’Europe est frileuse, au contraire de la Chine et des États-Unis, qui s’engagent massivement sur le continent africain, au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
Il reste donc beaucoup à faire. S’il faut être ambitieux et relancer le plus rapidement possible les relations euro-méditerranéennes, il n’en demeure pas moins qu’il faut aussi faire preuve de pragmatisme et d’humilité : nous en manquons souvent.
L’Europe doit reprendre l’initiative afin de mettre en place une alliance forte entre les deux rives de la Méditerranée. L’échec d’une telle ambition pèserait lourd en termes de conflits, de ralentissement économique, de tensions sociales, de problèmes environnementaux. Sa réussite, au contraire, permettrait de fonder une aire de civilisation partagée et dynamique, ce qui aiderait profondément non seulement l’Europe à résoudre ses propres problèmes, à renforcer sa voix et son poids dans le monde, à améliorer sa croissance, mais aussi les pays du sud et de l’est de la Méditerranée à progresser dans la voie du développement économique et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la récente démission du secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, qui s’inscrit certes dans le contexte particulier de la chute des dirigeants égyptien et tunisien, illustre les difficultés récurrentes d’une organisation née dans la douleur et se trouvant bien souvent au bord de l’enlisement. Aujourd’hui, on peut dire que la paralysie guette l’Union pour la Méditerranée.
Grâce à l’initiative opportune de notre collègue Bariza Khiari, nous avons l’occasion de nous interroger sur l’avenir de ce grand partenariat entre les pays riverains de la Méditerranée.
La question est simple : l’Union pour la Méditerranée est-elle condamnée ? Ce n’est pas sûr, mais il est clair pour tout le monde que se profile pour le moins, hélas ! sa mise entre parenthèses.
Il est bien évident que nous sommes tenus par l’évolution de la transition démocratique qui s’opère en Égypte et en Tunisie, deux pays particulièrement mis en avant au sein de l’Union pour la Méditerranée.
Certes, la nouvelle donne politique, si elle place l’Union pour la Méditerranée au point mort, a le mérite de remettre en débat la question des droits de l’homme, qui avait été évacuée à l’époque de sa création.
On peut d’ailleurs se demander si l’enthousiasme manifeste des anciens présidents Ben Ali et Hosni Moubarak pour le projet d’union n’était pas motivé par l’espoir de trouver dans cette institution le moyen de sanctuariser leurs régimes autoritaires. Le processus de Barcelone fixait des exigences en matière de droit fondamentaux, mais pas l’Union pour la Méditerranée.
Profitons en tous cas de cette période de latence, en quelque sorte, pour méditer sur les points de blocage apparus bien avant le réveil des peuples de cette région.
En effet, le projet lancé par le Président de la République en 2008 a connu, dès ses débuts, des moments difficiles, qui expliquent aussi l’inertie actuelle. L’idée de Nicolas Sarkozy était noble, il faut bien le dire : qui ne rêve pas de voir s’établir dans cette région « un espace de paix, de stabilité et de prospérité pour les peuples des deux rives » ?
Mais il a manqué, à l’origine, une véritable concertation avec l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne, qui aurait sans doute permis de lever bien des crispations en amont et de mieux susciter par la suite un authentique élan collectif de tous les États membres en direction des pays du Sud riverains de la Méditerranée.
Je ne vais pas refaire l’histoire, mais, dans sa présentation, le projet français consacrait l’échec du processus de Barcelone. Il a fallu déployer beaucoup d’énergie pour venir à bout des tensions intra-européennes, franco-allemandes en particulier. Il est vrai qu’une partie des pays de l’Union européenne regardent vers l’Est, tandis que les autres sont tournés vers le Sud.
Pour autant, aucun des États membres ne doit ignorer que la Méditerranée est au cœur de toutes les grandes problématiques des décennies à venir. Qu’il s’agisse de l’accès à l’eau et à l’énergie, de la préservation de l’environnement, de la question des migrations ou de la paix, tous ces défis lient les destins des pays des deux rives de la Méditerranée…
Par ailleurs, il est utile de rappeler que l’instauration d’une véritable dynamique économique régionale centrée sur la Méditerranée, dans laquelle l’Europe a naturellement un pied, constituerait un contrepoids aux puissances émergentes.
J’ajouterai même qu’il serait souhaitable d’aboutir à la création d’un espace de coopération économique permettant d’orienter les délocalisations d’entreprises – lorsqu’elles sont inéluctables, bien sûr – vers cette zone plutôt que vers la Chine, par exemple. Cela permettrait de constituer une sorte de stabilisateur de l’immigration. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour demander, madame le ministre, que la question des migrations relève de l’Union pour la Méditerranée, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent. Le drame humanitaire qui se joue sur la petite île italienne de Lampedusa concerne bien les deux rives de la Méditerranée.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, il me semble que la relance de l’Union pour la Méditerranée est plus que nécessaire. Mais elle mériterait cette fois-ci un dialogue et une préparation à vingt-sept, d’autant que trois présidences successives de l’Union européenne seront assurées par des États du nord et de l’est de l’Europe.
Dès aujourd’hui, il est important que le Gouvernement français prenne des initiatives pour convaincre nos partenaires restés sceptiques depuis 2008 et qui, c’est vrai, n’ont pas facilité la mise en place de la gouvernance de l’Union pour la Méditerranée.
Si nous obtenons ce nouveau souffle, il restera toutefois une épine, et non des moindres : celle de la définition du champ géographique de l’Union pour la Méditerranée. Le périmètre actuel a sa cohérence, bien sûr, puisque les membres, hormis ceux de l’Union européenne, doivent être riverains de la Méditerranée, mais ce qui est parfait sur la carte l’est beaucoup moins, nous le savons, sur le plan politique.
La présence au sein de la même enceinte des chefs d’État ou de gouvernement d’Israël, de la Syrie, du Liban ou de l’Autorité palestinienne n’est pas de nature à faciliter les choses. La tenue du dernier sommet de l’UPM, sans cesse ajourné, est suspendue à la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Pour contourner cet obstacle, il faudra sans doute fonctionner sur la base d’ensembles sous-régionaux.
Malgré toutes ces difficultés, mes chers collègues, malgré le délitement de sa configuration politique, l’Union pour la Méditerranée a tout de même réussi à concrétiser quelques projets sur les plans techniques et financiers. Je pense en particulier au plan solaire Transgreen, à la constitution du Fonds INFRAMED, premier pas vers celle d’une Banque de la Méditerranée. À cet instant, je voudrais souligner le travail actuellement effectué par notre ancien collègue Pierre Laffitte dans le cadre d’une mission destinée à créer un réseau spécifique pour développer l’innovation en Euroméditerranée. Nous attendons avec impatience ses conclusions.
Tous ces projets méritent bien sûr de continuer leur cheminement malgré les soubresauts politiques qui agitent la région. Cela devrait être possible, dans la mesure où ils sont mis en œuvre par la société civile.
Mes chers collègues, au droit du détroit de Gibraltar, seulement quatorze kilomètres séparent le continent européen de la rive sud de la Méditerranée. La France et d’autres pays européens partagent une histoire commune avec plusieurs pays du Maghreb et du Proche-Orient. Le plus souvent, la relation fraternelle a pris le pas sur les ressentiments. De part et d’autre de la Méditerranée, il me semble que nous avons tous conscience d’une communauté de destins, mais, sur l’échelle du développement, trop de différences nous éloignent. C’est pourquoi le groupe du RDSE est favorable à la relance du processus. Toutefois, nous souhaitons que, dans cette démarche, notre diplomatie se montre plus habile et plus visionnaire qu’elle ne l’a été jusque-là. Les sujets qui fâchent doivent pouvoir être abordés. Oui, nous voulons la construction d’un espace dont tous les membres partagent notre goût de la démocratie et notre souci du respect des droits de l’homme, afin d’aller dans le sens de l’histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet d’Union pour la Méditerranée, lancé trois ans avant que n’éclate ce « printemps des peuples arabes » dont on parle aujourd'hui, anticipait sur l’histoire. La Méditerranée se réveille, et ce projet en portait implicitement l’intuition. Nous ne pouvons reprocher au Président de la République de l’avoir pensé.
Avouons-le, le schéma initial a dû rapidement être amendé. Il se présentait au départ comme celui d’une structure qui aurait eu vocation à rassembler les pays riverains de la Méditerranée et à travailler étroitement avec l’Union européenne. Cependant, ce schéma a évolué en faveur d’une plus grande association avec l’ensemble de l’Union européenne et, en juillet 2008, lors de sa création, l’UPM regroupait les vingt-sept États membres de l’Union et les pays des rives sud et est de la Méditerranée, à l’exception de la Lybie, qui a refusé de participer à la nouvelle organisation. La Syrie mérite une mention toute particulière – je le dis en présence du président du groupe d’amitié sénatorial France-Syrie –, car ce pays a bien besoin d’un tel partenariat.
L’UPM s’intégrait ainsi dans la politique de voisinage de l’Union européenne, évitant les divisions ou les doublons, mais le risque existait de subordonner le développement de l’Union pour la Méditerranée aux caractéristiques de la négociation communautaire. Le danger était alors de revenir à ce qui existait déjà, à savoir le processus de Barcelone, en retrouvant les obstacles qui avaient conduit à sa stagnation.
Aujourd’hui, force est de constater que les résultats espérés ne sont pas au rendez-vous. Pour autant, faut-il porter un jugement définitif au bout de si peu de temps ? Rappelons-nous que de nombreux obstacles se sont présentés, à commencer par la crise de Gaza, dès le mois de janvier 2009, et que les attentes suscitées par ce projet étaient immenses.
Outre le contexte politique difficile en Méditerranée et les conflits non réglés, les questions d’organisation interne ont mobilisé l’attention de l’UPM et ont absorbé une part de son énergie initiale, peut-être au détriment de la conduite des projets. Il faut surtout reconnaître que l’opération « Plomb durci » menée par Israël a ruiné les premiers efforts de conciliation. L’élection du secrétaire général, en 2010, a été tardive et laborieuse, et se solde aujourd’hui par la démission de l’intéressé. Mais n’oublions pas la désignation de personnalités de qualité en tant que secrétaires généraux adjoints chargés des différents projets et le fait que, pour la première fois dans un organisme international, un secrétaire général adjoint israélien côtoie un secrétaire général adjoint palestinien.
En outre, on ne saurait négliger le clivage qui existe, au sein de l’Union européenne elle-même, entre les États membres qui estiment que l’Est est prioritaire en matière de politique de voisinage et ceux qui placent leur espoir dans un réveil prochain de la Méditerranée et demandent donc qu’on consacre à cette région l’essentiel de l’effort. Ce clivage a des répercussions sur les questions budgétaires et sur le « calibrage » de l’effort que l’Union européenne pourrait consentir pour la rive sud de la Méditerranée.
Aujourd’hui, si les réunions ministérielles marquent le pas, les réunions techniques se poursuivent et les travaux de l’Assemblée parlementaire de l’UPM progressent. Toutefois, nous savons que le deuxième sommet de l’UPM, initialement prévu en novembre 2010 à Barcelone, a dû être reporté.
Ainsi, l’UPM traverse une zone de turbulences parce qu’elle reste une institution fragile et encore très jeune, réunissant des pays qui, pour certains, sont divisés par un conflit qui dure depuis plusieurs décennies. Cela ne retire pourtant rien à la valeur de l’intuition initiale.
Il serait justifié, à la lumière des événements récents, de faire montre d’un nouveau volontarisme et de revenir à l’intuition de départ, celle d’une coopération plus souple, fondée sur la réalisation en commun de projets concrets, mieux adaptés à la Méditerranée.
Cette forme de coopération sui generis doit pouvoir s’écarter tant des méthodes et des habitudes de l’Union européenne que de la lourdeur de procédures réunissant quarante-trois pays. Dans son format actuel, l’UPM comprend en effet quarante-trois membres, et il est permis de trouver ce chiffre imposant. Cependant, cette situation est sans doute inévitable quand il s’agit d’élaborer une politique régionale. Ce qui importe, c’est de rester flexible dans la réalisation de projets concrets, car la liste des domaines de coopération est imposante, elle aussi.
En retenant six axes de coopération, l’UPM a fait preuve d’un grand optimisme. Ces six axes – la dépollution et les autoroutes de la mer, le plan solaire, l’université, la formation professionnelle, le soutien aux PME et la protection civile – doivent être mis en œuvre de manière souple, en fonction du contexte actuel et surtout des financements possibles. Peut-être pourrait-on se concentrer, au moins dans un premier temps, sur deux ou trois priorités : par exemple la gestion de l’eau et la sécurité alimentaire.
L’ambition des premiers jours a fait naître de très grandes attentes chez nos partenaires méditerranéens, ce qui crée aujourd’hui ce sentiment d’insatisfaction, d’impatience, voire de déception. Il ne s’agit évidemment pas de renoncer à l’ambition initiale ; aujourd'hui plus que jamais, cette ambition reste absolument valable, mais il convient de trouver, avec pragmatisme, les meilleurs moyens pour redonner l’élan nécessaire à la coopération en Méditerranée.
L’Europe ne doit pas se cacher non plus qu’en cette période de crise économique et au moment où se prépare –difficilement – le prochain cadre financier pour la période 2013-2020, elle ne peut assumer seule – j’insiste sur ce point – la charge financière d’une politique qui répondrait à l’immensité des besoins.
Cela me conduit à suggérer quelques pistes pour redonner des chances au processus.
Tout d’abord, il convient de reconnaître que l’UPM n’a pas pour vocation de régler les conflits méditerranéens, même si elle peut, évidemment, y contribuer. Il n’y a, sur ce point, aucune ambiguïté.
Ensuite, il faut relancer la coopération en se concentrant sur quelques domaines d’action. L’UPM gagnerait, selon moi, à limiter à deux ou trois le nombre de domaines où elle entend agir dans un premier temps.
J’ajouterai qu’il faut définir plus clairement les priorités de la politique européenne de voisinage : l’UPM doit être munie d’une feuille de route et d’un budget clairs, ce qui suppose au minimum une vision partagée par les Vingt-Sept.
Ne pourrait-on, par ailleurs, s’appuyer davantage sur l’Assemblée parlementaire de l’UPM ? Ses travaux se sont poursuivis selon un rythme et un calendrier normaux, et cette assemblée s’est donné les moyens de fonctionner depuis sa création en 2004, offrant une réelle dimension parlementaire au processus de Barcelone.
Enfin et surtout, il faudrait envisager de nouvelles méthodes de fonctionnement, plus légères, et rechercher de nouveaux types de financement pour concrétiser les ambitions annoncées.
Ce n’est pas le moment de renoncer à ce projet, peut-être trop ambitieux, mais nécessaire. À l’heure où les attentes de nos voisins méditerranéens sont devenues immenses, grâce aux espoirs qu’ont fait naître la révolution du jasmin et celle du Nil, à l’heure où la Méditerranée revient dans l’histoire, si l’Europe renonce et se résigne, d’autres viendront occuper la place que nous aurons laissée vide. J’imagine que nul d’entre nous dans cette assemblée, quelle que soit sa sensibilité politique, ne souhaiterait que l’Union européenne se replie sur elle-même.
Madame la ministre, je voudrais que tous les hommes et les femmes épris d’humanisme et conscients de nos responsabilités à l’égard de cette région du monde – et Dieu sait si cette assemblée en compte ! – puissent vous soutenir dans ce grand dessein. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention sera relativement brève, beaucoup de choses ayant déjà été dites par Bariza Khiari et Simon Sutour ou devant l’être par Jean-Pierre Sueur. Je bornerai donc mon propos à deux ou trois points bien précis.
En préambule, qu’il me soit permis de souligner, pour m’en réjouir, que, sur la rive sud de la Méditerranée, « la liberté souffle en tempête » et que « la démocratie s’est changée en lame de fond », comme l’a écrit un éditorialiste de la presse nationale. Après la Tunisie et l’Égypte, l’effervescence gagne d’autres pays voisins. Les droits de l’homme progressent et se répandent de façon irrésistible. Les combattants de la liberté étaient, et sont encore, dans les rues, au nom des valeurs qui sont les nôtres. Ils méritent notre admiration et notre soutien.
J’ai eu l’occasion, au cours des derniers mois et même des dernières semaines, de me rendre dans plusieurs pays de la rive sud de la Méditerranée pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, au titre de la réalisation d’une étude intitulée « Les pollutions en Méditerranée : état et perspectives à l’horizon 2030 ». L’Union pour la Méditerranée, madame la ministre, aurait sur ce thème vraiment beaucoup de grain à moudre dans les tout prochains mois ! Je soumettrai les conclusions de cette étude en mai prochain à l’OPECST.
Plus précisément, cet espace, qui regroupe 60 % des pays pauvres ou très pauvres en eau, est en effet appelé à subir les conséquences du changement climatique dans l’espace d’une génération, quoi que l’on fasse d’ici là. L’affaiblissement de la pluviométrie pourrait avoir des effets particulièrement dévastateurs dans ces régions, qu’un fort développement démographique au regard de ressources naturelles relativement limitées aggravera encore.
Rappelons que, selon les dernières projections de l’Institut national d’études démographiques disponibles, entre 2000 et 2025, la population des pays des rives sud et est de la Méditerranée passera de 235 millions à 327 millions d’habitants.
Dans un tel contexte, l’Union pour la Méditerranée a suscité de nombreux espoirs, en particulier parce qu’elle laissait entrevoir la possibilité d’un développement stabilisé de cette zone, notamment grâce à une coopération plus active avec l’Union européenne.
Que sont devenus, madame la ministre, les espoirs nés du sommet de Paris de juillet 2008 ?
Jusqu’ici, c’est-à-dire jusqu’aux événements de Tunisie et d’Égypte, l’Union pour la Méditerranée suscitait peu d’intérêt dans nombre de pays d’Europe du Nord, bien qu’ils en soient membres. Je ne donnerai qu’un seul exemple à cet égard : deux agences de développement seulement, l’allemande et la française, sont implantées dans cette région du monde, et maintiennent d’ailleurs un fort volume d’activité.
On peut aussi comprendre, compte tenu de l’évolution de la situation au Proche-Orient, que cette région connaisse une crispation politique très forte. Mes récents et courts séjours en Tunisie et en Égypte me l’ont d’ailleurs confirmé.
Pour autant, est-il inéluctable que les rencontres ministérielles prévues dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée sur des sujets techniques aient été très souvent reportées ou stérilisées du fait de cet antagonisme politique, alors que, dans le cas du sommet ministériel sur l’eau, les participants s’étaient mis d’accord sur l’essentiel ?
J’évoquerai maintenant la sécurité des personnes et des biens face aux catastrophes naturelles.
En décembre 2007, toujours dans le cadre des travaux de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, j’ai présenté un rapport intitulé « Tsunamis sur les côtes françaises : un risque certain, une impréparation manifeste », portant sur l’évaluation des risques de tsunamis sur les côtes françaises, donc en Méditerranée.
Je dois reconnaître que, concernant la mise en place d’un centre national d’alerte, mes préconisations relatives à la Méditerranée occidentale ont bien été prises en compte par les ministères intéressés, puisque le Centre national d’alerte en Méditerranée sera opérationnel en 2012. Toutefois, un tel centre, comme je le précisais dans mon rapport, devrait avoir vocation à devenir une structure régionale et à concerner l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée occidentale, dont ceux de la rive sud. Qui plus est, il sera indispensable de prévoir un centre d’alerte pour la Méditerranée centrale, ainsi que pour la Méditerranée orientale. Tous les pays riverains, sur l’ensemble du bassin, sont concernés. Il y a des enjeux de sécurité, bien évidemment, mais aussi des enjeux économiques, géostratégiques et scientifiques.
L’Union pour la Méditerranée serait tout à fait dans son rôle si elle intervenait dans ce domaine ; pourtant, rien ne se passe. Or la Commission océanographique intergouvernementale, qui dépend de l’UNESCO, a fait savoir que tous les océans et toutes les mers de la planète devraient être pourvus de centres d’alerte avant décembre 2010. Je le répète, dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’Union pour la Méditerranée aurait du grain à moudre. Malheureusement, rien ne bouge…
Pour conclure, permettez-moi de vous poser plusieurs questions, madame la ministre.
Quel est le bilan d’activité du secrétariat général installé à Barcelone ? Quelles leçons peut-on tirer des progrès effectués par le biais des rencontres mensuelles des ambassadeurs des pays membres ? Surtout, quelles sont les perspectives pour l’Union pour la Méditerranée ? Si son développement, comme on le pressent, doit dépendre de la résolution d’un conflit qui dure depuis soixante-trois ans, elle devra se mettre en état de veille ou disparaître.
Pour écarter cette perspective, quelles actions la France pourrait-elle mener, conjointement avec ses partenaires de l’Union européenne ? L’Union européenne dispose de fonds de coopération non négligeables, dont l’emploi pourrait être une incitation à progresser ensemble dans la construction de cet espace euro-méditerranéen : le sommet de Paris a reconnu la nécessité de celle-ci et les événements récents en rappellent l’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, je ne sais pas si vous lisez, comme je le fais chaque matin, la presse tunisienne. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.) Je vous le dis franchement et en toute sincérité, cela permet de mesurer quelle pente la France va devoir remonter après le naufrage diplomatique qu’elle a connu…
Madame la ministre, je m’entretiens chaque jour au téléphone avec des amis tunisiens, de Tunisie ou de France, qui me disent à quel point ils ont mal perçu l’attitude de la France, ainsi que certains propos sur la diplomatie française tenus par celui qui fut un temps ministre des affaires étrangères de Tunisie.
Dans une telle circonstance, il faut dire les choses. M. Jacques Blanc a eu raison de rappeler que le groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat a, le premier, dénoncé clairement la répression sanglante et barbare qui s’est abattue sur les manifestants tunisiens.
La première des choses que nous soyons maintenant en droit d’attendre, madame la ministre, c’est une révolution diplomatique. Il faut en finir avec certaines formes contournées du langage. Il a été fait allusion tout à l’heure aux déclarations officielles de la France. Mme Bariza Khiari faisait observer qu’il arrivait que l’on salue le « courage » des dictateurs qui s’en vont… Il ne serait pas mauvais de saluer aussi le courage des peuples qui osent relever la tête ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Au lendemain de la démission du secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, M. Ahmad Massa’deh, le porte-parole du Quai d’Orsay a fait la déclaration suivante : « Le porte-parole du ministre des affaires étrangères appelle tous les gouvernements et peuples de la Méditerranée à donner un nouvel élan afin que la Méditerranée cesse d’être un lieu de conflits, de violence et de tragédie et devienne un lieu de partage, de coopération, un espace de codéveloppement, de culture et de paix. »
Que peuvent penser les Tunisiens ou les Égyptiens d’un discours aussi amphigourique, emphatique, ampoulé ? On aimerait plutôt entendre un discours de vérité. On aimerait, madame la ministre, que la diplomatie française soit celle de la France de 1789, de la France de 1848, de la France de la Résistance, de la France de la décolonisation, de celle qui est toujours, parce qu’elle est la France, du côté des peuples qui se battent pour la liberté ! Cette France, on a vraiment besoin de l’entendre !
De même, on a besoin d’entendre clairement affirmer que le rempart contre l’islamisme radical, le fanatisme et l’intégrisme, c’est la démocratie et la laïcité, et non plus des régimes autoritaires. La France doit le dire avec beaucoup de force !
J’en viens maintenant à l’Union pour la Méditerranée.
Dès le début, il s’est agi d’une structure extrêmement complexe, qu’ont très bien décrite Bariza Khiari, Simon Sutour et Roland Courteau. De nombreux Maghrébins m’ont fait part de leur crainte de voir l’Europe se rééquilibrer vers le Nord et vers l’Est, au détriment du Sud. Il est vrai que, en associant quarante-trois pays au processus, on prenait le risque de l’immobilisme et de l’illisibilité.
Pierre Pascallon a déclaré que « force est bien de reconnaître qu’au terme de ce laborieux marchandage – dont l’Allemagne sort victorieuse –, le projet d’Union pour la Méditerranée perd quasiment toute sa substance ».
Dorothée Schmid, quant à elle, considère, un an après la mise en place de l’Union pour la Méditerranée, que « la mise en œuvre progresse de façon inégale. Les “autoroutes” sont au point mort, tandis que le reste des projets donne surtout lieu à des séminaires d’études. »
La question de la configuration de l’UPM doit être posée. Certes, le processus de Barcelone avait ses limites. On nous a dit qu’il ne suffisait pas et qu’il fallait faire mieux et plus, mais je m’interroge : ne sommes-nous pas moins avancés avec l’Union pour la Méditerranée telle qu’elle existe aujourd'hui qu’avec le processus de Barcelone, qui relevait d’une démarche concrète et pragmatique associant des pays du nord et du sud de la Méditerranée ?
À mon sens, il faut véritablement s’orienter vers une démarche plus pragmatique, articulée autour de projets concrets. Je connais des universitaires, par exemple en Tunisie, qui s’emploient à faire vivre l’Union pour la Méditerranée avec des collègues de différents pays. Or, madame la ministre, ils sont confrontés à un incroyable casse-tête et dépensent en vain une énergie considérable ! Il faudrait simplifier les choses, faire preuve de davantage de pragmatisme. Le budget de l’Union pour la Méditerranée ne prévoit que 1 million d’euros pour l’université, plus précisément pour une université euro-méditerranéenne située en Slovénie. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu !
Il me semble que nous irions beaucoup plus loin en misant sur la science, sur la recherche, sur des projets concrets, construits avec pragmatisme. Mais pour réussir, il faut d’abord être au côté de ces peuples qui, les mains nues, se battent pour la liberté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous soyons amenés à échanger sur ce beau sujet, tout à fait d’actualité, que l’ensemble des orateurs ont bien traité, selon des points de vue différents.
J’estime que, loin de remettre en cause l’UPM, les événements auxquels nous assistons en ce moment en Tunisie, en Égypte et dans l’ensemble du monde arabe confirment au contraire l’ardente obligation de consolider les liens entre les deux rives de la Méditerranée.
Comme le soulignait à juste titre Jacques Blanc, l’Union pour la Méditerranée doit nous aider à prendre en compte la nouvelle exigence d’une démocratie décomplexée, ancrée dans un islam modéré, rejetant toute agressivité à l’égard des anciens colonisateurs. Aujourd'hui, ces peuples se sentent fiers de ce qu’ils sont et veulent avoir leur mot à dire dans la construction du monde. Dans ce contexte, l’Union pour la Méditerranée est plus que jamais d’actualité !
Bien entendu, je n’ignore pas les difficultés que certains intervenants ont soulignées.
En particulier, il est vrai, monsieur Hue, que la situation au Proche-Orient pèse sur l’ensemble de la région, et donc sur l’UPM. Ainsi, les représentants de certains pays refusent de siéger aux côtés de certaines personnes. Quoi qu’il en soit, notre devoir est de faire avancer le processus de paix. L’Union pour la Méditerranée peut y contribuer, tout comme le déblocage de ce processus permettra à celle-ci de recommencer à progresser dans la voie de sa vocation initiale. Je me suis entretenue hier soir avec Mme Clinton au téléphone, afin d’envisager comment nous pourrions profiter de cette période qui peut être propice à un progrès vers la paix : la fenêtre qui s’est ouverte peut se refermer dès demain. Le déblocage du processus de paix est ainsi un de mes principaux axes de travail. Je me suis rendue au Proche-Orient voilà trois semaines et j’ai des contacts très réguliers avec le Premier ministre Salam Fayyad, qui est d’ailleurs venu déjeuner au ministère la semaine dernière, avec le président Mahmoud Abbas et avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou.
Par ailleurs, comme cela a été rappelé, l’Égypte assure avec la France la coprésidence de l’UPM. Bien entendu, en ce moment, la priorité de ce grand pays ami de la France est de conduire sa transition vers la démocratie. Ce n’est donc sans doute pas dans les jours ou les semaines à venir que nous progresserons sur le dossier de l’Union pour la Méditerranée.
La démission du secrétaire général de l’UPM – pour convenance personnelle, je le rappelle – implique naturellement la désignation d’un successeur dans les prochaines semaines.
En tout état de cause, madame Khiari, la mise en place de l’Union pour la Méditerranée est aujourd'hui à mes yeux un processus irréversible. L’UPM doit contribuer de manière concrète à la prospérité de la zone euro-méditerranéenne.
L’UPM est à la fois une nécessité et une réalité ; ce n’est pas une institution fantôme.
Madame Khiari, vous avez à juste titre rappelé les nombreux liens, affectifs, culturels, historiques, qui unissent les deux rives de la Méditerranée.
Mais l’enjeu réside encore ailleurs. À l’heure où des pôles démographiques, économiques, technologiques de l’ordre d’un milliard d’habitants sont en train de s’affirmer sur tous les continents, l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée ont besoin de se rapprocher pour continuer à peser sur la scène internationale. Même avec 450 millions d’habitants, l’Europe n’est pas suffisamment forte pour faire face à ces géants que sont la Chine, l’Inde, mais également l’Indonésie, l’Afrique subsaharienne, dont la population se développe, ou encore l’Amérique latine, qui représente un ensemble de près de 850 millions d’habitants.
Par conséquent, il est indispensable que les pays européens et ceux de la rive sud de la Méditerranée s’unissent pour constituer un pôle fondé certes sur une histoire commune, mais aussi sur des ambitions pour l’avenir.
Alors que se dessinent de nouveaux équilibres et de nouvelles alliances, l’UPM est le fruit d’un constat et d’une ambition.
Le constat, c’est celui d’une proximité géographique, historique et culturelle. C’est aussi celui de la nécessité de faire face à la concurrence politique, économique et sociale des autres pôles.
L’ambition, c’est celle de relever ensemble les défis de la mondialisation et de la concurrence économique internationale, de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, de la prévention des risques naturels et technologiques, de la dépendance énergétique et alimentaire, source de nouvelles vulnérabilités dans les décennies à venir.
Quelles que soient les difficultés, l’UPM est aussi une réalité.
Un cadre juridique est désormais fixé. Le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée a été installé au mois de mai, et six secrétaires généraux adjoints ont été mis à sa disposition par leurs pays respectifs.
Plusieurs réunions ministérielles à quarante-trois, certaines informelles, d’autres à caractère technique, ont pu se tenir, notamment sur les problèmes de l’eau, du tourisme, du commerce et de l’emploi. Elles ont permis la mise en place effective du secrétariat, l’adoption du budget et la définition d’un programme de travail important pour 2011.
Par ailleurs, l’UPM soutient des projets concrets, de nature à répondre aux attentes des populations. Il faut insister sur ce point, car, tout comme pour la construction européenne, si nous voulons convaincre les populations du bien-fondé de la démarche, nous devons leur montrer que l’UPM permet d’améliorer concrètement leur vie quotidienne. C’est ainsi que nous pourrons dépasser certaines réticences. Dans cette optique, il était sans nul doute pertinent de retenir des projets peut-être plus limités que ce qui avait été envisagé à l’origine, mais mieux ciblés sur des objectifs prioritaires. Il s’agit de projets réalisables rapidement, dont les opinions publiques, qui jugent en dernier ressort du succès ou de l’échec d’une démarche et guident leurs gouvernements, pourront voir les effets bénéfiques. C’est ainsi que l’on obtiendra leur adhésion. Cela répond bien, me semble-t-il, au souci de pragmatisme exprimé par M. Bizet !
Afin de renforcer la coopération universitaire, la première université euro-méditerranéenne a été mise en place à Portoroz, en Slovénie.
Pour garantir un approvisionnement électrique durable, un plan solaire méditerranéen a été engagé. Il s’agit d’un enjeu essentiel ! Le programme Desertec, lancé au mois de juillet 2009, permet d’installer à une grande échelle des fermes solaires et éoliennes en Afrique et au Moyen-Orient. En outre, le projet Medgrid, lancé au mois de décembre dernier et qui regroupe une vingtaine de sociétés, majoritairement françaises, vise à permettre l’acheminement d’électricité d’origine photovoltaïque du Sud vers le Nord.
Pour favoriser le développement des infrastructures au Maghreb, sujet de préoccupation majeur pour mes interlocuteurs tunisiens, en particulier, un fonds InfraMed a été mis en place. Il bénéficie de la contribution de l’Agence française de développement et de son équivalent allemand, ainsi que de celle de la Caisse des dépôts et consignations et des homologues de cette dernière dans plusieurs pays partenaires, de la Banque européenne d’investissement, de la Commission européenne et de la Banque mondiale. Il ne s’agit donc pas de financements modestes, assurés seulement par la France et l’Allemagne.
Pour renforcer la solidarité face aux catastrophes naturelles, monsieur Courteau, un accord a été obtenu sur la création d’un centre stratégique pour la protection civile en Méditerranée. J’avais commencé à lancer ce projet quand j’étais au ministère de l’intérieur. Faire travailler ensemble des gens de nationalités différentes sur un tel projet n’était pas forcément évident, mais, aujourd'hui, cette structure existe. J’ai pris bonne note de vos propos sur le centre d’alerte aux tsunamis, qui devrait effectivement intégrer cette dimension euroméditerranéenne.
Instituée voilà deux ans et demi, l’Union pour la Méditerranée est donc à la fois une nécessité et une réalité. Elle doit maintenant contribuer à accompagner les évolutions en cours et les aspirations démocratiques des peuples du sud de la Méditerranée.
Plusieurs orateurs ont évoqué un « printemps arabe ». Peut-être aurons-nous l’occasion d’organiser un débat sur ce beau sujet.
J’ai réuni au ministère un groupe d’experts, d’universitaires et de chercheurs pour réfléchir sur ce thème. Selon eux, le printemps arabe a manifesté une volonté exacerbée de retrouver de la dignité et de mettre un terme aux humiliations, tant intérieures qu’extérieures. Gardons bien cette idée à l’esprit lorsque nous nous exprimons sur les événements actuels. Ces révoltes nées du peuple, de la jeunesse, de la société civile, sont une protestation contre la faillite de la gouvernance. Des richesses ont été créées dans bon nombre de ces pays, mais elles sont parfois insuffisantes et, surtout, leur répartition est perçue comme inéquitable.
Les événements récents expriment les aspirations politiques légitimes des peuples à davantage de démocratie, de libertés individuelles et publiques. À cet égard, internet a joué un grand rôle dans la diffusion des idées.
Ils expriment aussi la volonté d’être reconnu sur la scène internationale, de peser sur le cours des événements. À cet égard, la non-résolution du conflit israélo-palestinien n’est pas sans conséquences. Il est donc urgent que les négociations reprennent, et c’est pourquoi je m’investis autant dans ce dossier.
Monsieur Sueur, la France soutient les aspirations à davantage de démocratie. Sans doute auriez-vous souhaité que ce soutien se manifeste différemment… Mais chacun s’exprime à sa manière.
La France ne se désintéresse pas du sort des populations civiles qui sont prises en otage. C’est d’ailleurs le message que j’ai délivré lors de ma visite dans la bande de Gaza. J’ai été, dois-je le rappeler, le premier ministre français à retourner à Gaza depuis le coup de force.
La France tient compte la fierté des peuples du printemps arabe et c’est pourquoi elle respecte le principe de non-ingérence, qui est par ailleurs souvent mal compris. La non-ingérence, c’est reconnaître aux peuples le droit de choisir eux-mêmes ce qu’ils veulent et qui ils veulent ; nous n’avons pas à leur dicter ce qui doit être.
Au-delà du groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat, je fus sans doute la première à dénoncer les violences contre les manifestants tunisiens, à l’Assemblée nationale, puis, plus longuement, le même jour, sur Europe 1. Je les ai aussi dénoncées sur la chaîne Al Jazeera, lorsque je me trouvais à Doha pour défendre la liberté des religions. Comme l’atteste une dépêche de l’AFP, j’ai déploré les morts et les violences, affirmer le droit de chacun de manifester dans le respect, sans craindre pour sa vie.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a un petit problème de chronologie !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. J’ai également, avec le Premier ministre, jeudi soir ou peut-être vendredi matin, déploré l’usage excessif de la force. De temps en temps, il est bon de rétablir la réalité les choses, d’en rappeler la chronologie.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous avons toujours encouragé les aspirations légitimes des peuples à davantage de démocratie et de reconnaissance. Mais à terme, il appartient aux peuples de trouver les voies et moyens de réussir.
Il est essentiel de ne pas en rester, comme nous l’avons fait trop souvent, à des déclarations d’intention. Nous devons agir. Face aux mouvements qui se produisent dans le monde arabe, notamment en Tunisie et en Égypte, la France se mobilise, d’abord de façon bilatérale. Ce matin, en Conseil des ministres, le Premier ministre a présenté un plan en quatre points, qui a été élaboré en liaison constante avec les autorités égyptiennes, aves lesquelles j’ai de nombreux contacts. Nous avons ainsi pu de déterminer la nature de leurs besoins. Car nous ne devons pas imposer notre façon de faire ; nous devons au contraire écouter les autorités de ces pays et prendre en compte leurs demandes. Des crédits ont été mobilisés et, la semaine prochaine, plusieurs ministres en charge de secteurs prioritaires se rendront en Tunisie.
Donc, la France agit. Elle se mobilise aussi avec ses partenaires, notamment avec ceux de l’Union pour la Méditerranée et de l’Union européenne, pour relever un triple défi.
Le premier défi est d’ordre institutionnel. Les institutions de l’Union pour la Méditerranée, notamment le secrétariat de Barcelone, doivent disposer des moyens humains et financiers nécessaires pour mettre en œuvre leurs actions et pouvoir apporter une aide à certains pays.
Madame Khiari, la question de l’orientation de la politique de voisinage de l’Union européenne est clairement posée : quelle politique de voisinage l’Europe des 27 entend-elle conduire, et avec quels moyens ? J’ai posé ces questions au Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne et j’ai de nouveau abordé ce sujet dans une lettre que j’ai adressée à Mme Ashton.
Monsieur Jacques Blanc, monsieur Sutour, les conclusions du dernier Conseil européen constituent, de ce point de vue, un signal positif.
Le Conseil européen a décidé de faire de l’Union pour la Méditerranée la nouvelle dimension de sa politique de voisinage – ce qui répond aux souhaits qui se sont exprimés sur ces travées – et de consacrer la majorité de ses moyens à la coopération avec nos partenaires du Sud. Certes, monsieur Bizet, certains de nos partenaires européens regardent vers l’Est. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, dans un courrier adressé à Mme Ashton, au cours de la réunion des ministres des affaires étrangères et lors des réunions bilatérales qui se sont tenues cette semaine avec les ministres des affaires étrangères de plusieurs pays européens, il est essentiel de concentrer nos interventions sur les pays du Sud. Je souhaite que la réflexion se poursuivre dans ce domaine.
Monsieur Hue, je ne voudrais surtout pas paraître agressive (M. Robert Hue sourit.), mais, contrairement à ce que vous affirmez, les Tunisiens et les Égyptiens attendent beaucoup de la France et de l’Europe. Les contacts quasi quotidiens que j’ai avec des ministres, mais aussi avec des représentants de la société civile tunisienne et, dans une moindre mesure, égyptienne, montrent que ces pays attendent une implication privilégiée de la France et, à travers elle, de l’Europe.
Le deuxième défi que nous devons relever est de nature démocratique. L’Union pour la méditerranée, j’en suis persuadée, peut contribuer à répondre aux aspirations de modernisation et de démocratisation exprimées par les peuples, en se fixant un double objectif.
En premier lieu, il convient d’élargir les projets de l’Union pour la Méditerranée aux préoccupations exprimées par le Conseil de l’Europe. Il faut, sur certains sujets, trouver une articulation entre les actions de l’Union pour la Méditerranée et celles du Conseil de l’Europe, ce dernier étant sans doute mieux armé pour les mener à bien.
En second lieu, il faut que l’Union pour la Méditerranée développe des projets de société. Le Centre méditerranéen pour la jeunesse est, à cet égard, emblématique puisqu’il permet la mobilité des étudiants sur la base d’accords conclus entre les universités dans le cadre d’une formation diplômante. C’est un peu ce que l’Europe a réalisé voilà quinzaine d’années avec le programme Erasmus.
De la même façon, les projets qui ont trait à la formation professionnelle ou à l’égalité entre les hommes et les femmes doivent être renforcés.
Monsieur Badré, il faut en effet fortifier le dialogue dans la société civile. Pour ce faire, nous devons soutenir les acteurs impliqués au sein de la famille euro-méditerranéenne, telle la Fondation Anna Lindh, dont le rôle est essentiel. La France l’a aidée à hauteur de 1 million d’euros depuis sa création. Si nous voulons qu’elle continue à se développer, nous devons obtenir le soutien de tous nos partenaires.
Il faudra également aider la plateforme non gouvernementale Euromed. Cet organisme est soutenu par l’Union européenne, mais force est de constater que son budget demeure limité.
Le troisième défi que nous devons relever est en effet, monsieur Bizet, d’ordre financier.
Si nous voulons conduire des politiques communes d’envergure et efficaces dans les secteurs de l’eau, des transports, de l’énergie, de la dépollution, de l’agriculture, il faut diversifier les financements de l’Union pour la Méditerranée, car, compte tenu des contraintes économiques et budgétaires actuelles, on ne peut pas s’appuyer sur les seuls budgets des États.
Le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée a un rôle essentiel à jouer pour donner confiance aux investisseurs étrangers. Il devra notamment préparer et sélectionner des projets d’intérêt commun, les encadrer dans un maillage institutionnel de grandes signatures et contribuer à la sécurisation juridique et financière des promoteurs et des prêteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je considère, comme M. Collin, que l’Union pour la Méditerranée est plus que jamais à l’ordre du jour. Le Processus de Barcelone doit être envisagé sur le long terme. Je suis trop jeune pour me souvenir où en était la construction européenne deux ans après la création de la Communauté économique européenne. Mais si on lui avait demandé tout ce que l’on attend aujourd’hui de l’Union pour la Méditerranée, sans doute aurait-on alors considéré que cette nouvelle institution n’était en fait qu’un fantôme. Regardons ce qu’elle est devenue !
Certes, notre ambition générale ne se réalisera pas en un jour. Pour autant, l’efficacité, le besoin de faire face aux situations impliquent que nous agissions dès maintenant. C’est la raison pour laquelle la France s’engage de toutes ses forces avec ses partenaires pour faire de l’Union pour la Méditerranée un instrument performant, au service de la paix et de la prospérité des peuples sur les deux rives de la Méditerranée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la Méditerranée mérite mieux que des incantations ou des discours politiciens, réducteurs, aveugles, voire ignorants. Nous devons tous faire preuve de modestie. De nombreuses voix se sont élevées sur ces travées pour déplorer que les gouvernements n’aient pas pressenti l’importance des mouvements qui se produisaient en Tunisie ou en Égypte. Mais je vous le demande, mesdames, messieurs les sénateurs, aviez-vous, vous-mêmes, prévu ces évolutions ?
Le régime tunisien, que nous aurions dû critiquer, s’appuyait sur un parti dont le président était M. Ben Ali. Or ce parti était toujours membre de l’Internationale socialiste le jour du départ de M. Ben Ali ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Le PS n’avait aucun lien avec le RCD depuis dix ans !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il n’en a été exclu que trois jours après le départ du président tunisien !
M. Ivan Renar. Voilà un dérapage ! Vous n’êtes pas à une séance de questions d’actualité à l’Assemblée nationale !
M. Jean-Pierre Bel. Hors sujet !
M. Robert Hue. Allez régler vos comptes ailleurs !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Si M. Ben Ali et les responsables de son parti étaient aussi infréquentables, pourquoi n’avoir pas pris l’initiative de l’exclure de l’Internationale socialiste, au motif que le RCD défendait des idées qui ne correspondaient ni à vos valeurs ni à votre conception de la démocratie ?
M. Roland Courteau. Vous dérapez !
Mme Bariza Khiari. Le débat était correct jusqu’à maintenant, madame la ministre d’Etat !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Évitons donc de nous reprocher mutuellement de n’avoir rien vu venir, sinon, nous serons tous perdants !
La Méditerranée mérite mieux que de telles invectives. Ce débat a permis l’émergence, sur toutes ces travées, d’idées extrêmement intéressantes, l’expression d’une même volonté de comprendre, d’analyser et d’agir. Si nous parvenons à travailler ensemble, la Méditerranée, grâce à la réunion du Nord et du Sud, peut devenir une véritable référence, non seulement pour la région, mais également pour le monde. Notre histoire, nos intérêts et la nécessaire considération de l’avenir méritent que nous unissions nos efforts. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre d’Etat, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention le réquisitoire de notre collègue Jean-Pierre Sueur sur la Tunisie. Cette fois, l’attaque était directe, loin de ses habituelles homélies !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai beaucoup de registres !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur Sueur, je suis de ceux, et ils sont nombreux, qui n’ont pas vu venir les événements de Tunisie. Ni à droite ni à gauche, reconnaissons-le, nous n’avons fait preuve de beaucoup de prescience, ce qui devrait nous conduire à une certaine humilité.
Néanmoins, nous ne pouvons que saluer, me semble-t-il, le courage du peuple tunisien et sa quête pour une dignité retrouvée ; il mérite que la France l’accompagne dans sa marche vers la démocratie.
Monsieur Sueur, M. Ben Ali régnait sur la Tunisie depuis trente-deux ans et l’on savait depuis dix ans que son régime était non seulement peu démocratique, mais aussi extrêmement répressif. Qui, et dans quelles enceintes, avons-nous entendu dénoncer le régime de M. Ben Ali ? Ici même, le président du groupe d’amitié France-Tunisie a-t-il alerté notre assemblée sur ce qui se passait là-bas ? Y a-t-il eu des questions à des ministres sur ce sujet ? Non ! On pourrait dresser une longue liste de voyageurs officiels qui ont été reçus en Tunisie et qui ont fait l’éloge de M. Ben Ali. On dénonce aujourd’hui avec force celui que l’on encensait hier, sans doute avec excès…
En vous écoutant, monsieur Sueur, je me rappelais les propos de Winston Churchill, qui déclarait en substance que ceux qui exercent leur sagacité après les faits devraient se taire.
En ce qui nous concerne, notre devoir est maintenant d’aider la Tunisie de toutes nos forces, sans vouloir imposer un modèle, sans donner aucune leçon. Il s’agira simplement d’être au côté de ce peuple, s’il nous demande aide et assistance, pour conforter la démocratie, parce que c’est le seul moyen d’établir une véritable Union pour la Méditerranée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. Mon cher collègue, conformément au règlement, je vous donnerai la parole pour fait personnel à la fin de la séance.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Madame la ministre d’État, je vous remercie de votre réponse, qui est globalement satisfaisante, sauf vers la fin.
Nous avons souhaité tirer ce débat vers le haut. Il eût mérité une réponse sans polémique de votre part, polémique que nous avons, quant à nous, voulu éviter. (Mme la ministre d’État s’exclame.) Nous aurions pu aller plus loin sur le mode du réquisitoire.
Je remercie mes collègues pour leurs interventions. La question de l’avenir de l’Union pour la Méditerranée prend une résonance particulière à la lumière du réveil des peuples du Sud. Les événements que nous connaissons viennent parachever, après quelques décennies, l’espoir soulevé par le mouvement nationaliste arabe, vecteur des luttes contre la colonisation, qui a échoué faute d’avoir satisfait les aspirations des peuples.
J’espère, pour ma part, que le mouvement actuel sera le bon. Ces peuples ont lutté contre le colonialisme et, en fait, ils ont simplement changé de maîtres. Et leurs nouveaux maîtres, que nous avons soutenus, ont été plus difficiles à démasquer parce qu’ils n’avaient pas le visage de l’étranger.
Madame la ministre d’État, comme vous l’avez souligné à juste raison, à la prédation que dénoncent les peuples, s’ajoute une carence de la gouvernance. Nous avons donc l’ardente obligation d’accompagner les transitions.
En ce qui concerne la polémique que vous avez ouverte voilà quelques instants sur l’attitude du parti socialiste et l’Internationale socialiste, je peux vous affirmer – nous l’avons vérifié – que, pendant dix ans, le parti socialiste français n’a eu aucune relation avec le Rassemblement constitutionnel démocratique, le RCD.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Allons donc !
Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Monsieur Jacques Blanc, on peut certes concevoir que la France ne saurait être tenue pour seule responsable de l’échec de l’Union pour la Méditerranée et que cet échec lui-même ne doit en rien condamner l’idée d’une politique méditerranéenne. Je me réjouis de vous entendre dire que l’Union pour la Méditerranée est désormais un processus irréversible.
Nous devons remettre l’ouvrage sur le métier en tenant compte des avancées actuelles, en répondant avec franchise et courage aux défis auxquels nous sommes confrontés. Nous n’avons que trop longtemps préféré les chuchotements des potentats dictateurs aux cris de détresse des hommes et des femmes qui n’aspirent finalement qu’à vivre leur siècle comme les autres.
Les révolutions actuelles semblent constituer une réelle opportunité pour un projet bâti autour des peuples, à condition toutefois que les gouvernements cessent d’agiter le spectre de la menace islamiste chaque fois qu’un soubresaut secoue une région du Sud. Les Frères musulmans ne se sont pas associés aux premiers tumultes égyptiens. Les islamistes tunisiens n’ont pas cherché, au début des événements, à devenir des leaders. Ils sont restés en retrait devant un mouvement qu’ils ne comprenaient que partiellement.
Je le répète, nous devons cesser de tout considérer à la lumière d’une révolution iranienne vieille de trente ans et qui est elle-même secouée par des demandes fortes de démocratie de la part de sa population. Les jeunes arabes n’ont guère envie, pour leur pays, de ce modèle que je qualifierai de répulsif. Il faut mettre à leur crédit leur créativité, leur souhait d’ouvrir une autre voie.
La situation évolue dans ces régions du monde, et pour mieux la comprendre, nous devons adopter une nouvelle grille d’analyse. Notre paresse intellectuelle est bien commode de ce côté-ci de la rive de la Méditerranée, pour légitimer les propos parfois indignes tenus en direction des Français venus d’ailleurs.
Faut-il le rappeler, les citoyens de la rive sud, notamment les jeunes, accèdent, avec la même facilité que ceux de la rive nord, aux informations en temps réel, mais en plus, ils s’en saisissent avec un appétit qui en dit long sur leur soif de connaissances, de progrès et de liberté ! C’est peut-être le seul espace où ils ont conscience de jouer pleinement leur rôle de citoyens.
En résonance avec les événements de ces pays, nous ne pourrons plus ethniciser ici les rapports sociaux. Les problématiques des révoltes actuelles sont celles de la pauvreté, de la vie chère et du déclassement social ainsi que l’exigence démocratique : rien de plus, rien de moins. Cela nous renvoie de manière nette au fait que la question sociale prime aussi bien à l’étranger que dans nos quartiers.
La soif de démocratie des jeunes manifestant dans les rues des capitales arabes doit nous inciter à mener des projets concrets autour des besoins des peuples et non à persister – j’espère que la leçon sera retenue – à soutenir des régimes autoritaires, croyant nous mettre à l’abri du risque terroriste derrière des gouvernements remparts qui ne nous protègent de rien.
Nous ne serons jamais protégés du terrorisme par des dictateurs ; nous le serons par la démocratie, car la misère et la privation de liberté sont un terreau propice dans lequel prospère l’intégrisme.
Et si le développement nous protège du terrorisme, il présente aussi l’avantage de fixer les populations. Or, l’exil et l’immigration sont toujours une souffrance.
La question reste donc de savoir si nous pourrons être au rendez-vous pendant cette période de transition, non pas en proposant une énième usine à gaz institutionnellement peu fiable, mais en offrant une réelle politique méditerranéenne tournée vers la reconstruction des liens et d’un avenir commun.
Madame la ministre d’État, le groupe socialiste souhaite ardemment que la France soit à la hauteur de ce grand rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, tout à l’heure, je vous ai demandé la parole pour un fait personnel. Je souhaite pouvoir intervenir maintenant.
M. le président. Je ne puis vous donner la parole en l’instant à ce titre. Le règlement prévoit en effet que les interventions pour fait personnel ont lieu à la fin de la séance.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon intervention n’aura alors plus de sens, puisqu’elle fait écho aux propos de M. de Rohan.
M. le président. Je peux en revanche, si vous me le demandez, vous donner la parole pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Alors, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. Vous avez donc la parole pour un rappel au règlement, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je vous remercie de votre compréhension. Je ne pouvais laisser sans réponse l’admonestation de M. le président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur de Rohan, le groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat fut longtemps présidé par Mme Monique Cerisier-ben Guiga, à qui l’on ne peut pas reprocher de n’avoir pas défendu avec constance l’opposition tunisienne. On lui a au contraire reproché de le faire, au mépris des relations avec les réalités institutionnelles.
Mme Bariza Khiari. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Devenu président de ce groupe depuis quatre ans, j’ai – comme le font tous les présidents de groupes d’amitié – entretenu des rapports avec les autorités légitimes, ce qui est normal. On ne peut pas reprocher au président d’un groupe d’amitié ses relations avec les dirigeants d’un pays dans lequel les libertés s’expriment difficilement.
Monsieur Rohan, sachez que le groupe d’amitié France-Tunisie a reçu officiellement, au Sénat, Mme Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme…
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Après les événements !
M. Jean-Pierre Sueur. … et de nationalité tunisienne, que nous avons assurée de notre soutien.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’était avant qu’il fallait le faire !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous l’avons fait bien avant. Nous avons également reçu Mme Khadija Cherif, secrétaire générale de la Fédération internationale des droits de l’homme, que nous avons assurée de notre soutien.
J’ai reçu, au nom du groupe d’amitié, Mme Ben Brik, dont le mari a été maltraité dans les prisons tunisiennes. Toujours au nom du groupe d’amitié, j’ai écrit à M. Ben Ali, au Premier ministre tunisien et, bien entendu, aux autorités françaises, au Président de la République et au ministre des affaires étrangères, pour les alerter sur la situation de M. Ben Brik. Je me suis rendu à une réunion de soutien avec les représentants de toutes les oppositions de la Tunisie pour soutenir M. Ben Brik, qui s’est d’ailleurs exprimé récemment.
Enfin, lorsque j’ai été invité ès qualités à un symposium économique par les autorités tunisiennes, j’ai exigé de pouvoir rencontrer, au siège de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, son président, M. Moktar Trifi. J’y suis allé, accompagné d’un représentant de l’ambassade de France, après avoir reçu des autorités tunisiennes de nombreuses mises en garde contre cette personne et contre cette institution, qui, me disait-on, présentait beaucoup de défauts. M. Moktar Trifi m’a indiqué que, depuis cinq ans, il n’avait reçu aucune visite de l’ambassadeur de France au siège de la Ligue des droits de l’homme. Nous avons été reçus au milieu de trente policiers en civil et nous avons fait savoir que nous avions apporté notre soutien à la Ligue tunisienne des droits de l’homme.
Voilà ce que je voulais dire pour rétablir la réalité des faits. Nous avons agi avec clarté et avec responsabilité, et il était juste, me semble-t-il, qu’il en fût ainsi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Communication du conseil constitutionnel
M. le président. M. le Président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 16 février 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-122 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Institution d'une journée de l'Amérique latine et des Caraïbes en France
Adoption d'une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution relative à l’institution d’une journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Jean-Marc Pastor, Roland du Luart, Philippe Adnot, Gérard Cornu et Bernard Piras et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 159).
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution.
M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je prends la parole dans cette enceinte pour soutenir devant vous une initiative qui s’inscrit dans une démarche que l’on voudra bien qualifier d’ « historique ».
En effet, ce n’est pas tous les jours que, par-delà les contingences de l’actualité, nous sommes réunis pour examiner un texte qui, je l’espère, marquera les relations entre la France et tout un continent.
Nous sommes respectueux de la tradition française : celle qui fait notre richesse, qui rapproche les peuples, qui mobilise avec enthousiasme la joie de vivre ensemble, celle de la main tendue vers l’autre, des droits de « l’homme et du citoyen » ! Cette force, nous l’avons en nous, elle sort de tous nos pores, de nos entrailles !
Notre assemblée a tenu, l’an dernier, à s’associer aux célébrations qui ont marqué, pour un grand nombre de pays, les premières manifestations de leur indépendance, ces premiers cris de libération des peuples, comme l’a écrit un historien en termes excellents.
Ces derniers jours, nous avons pu voir en direct la joie d’hommes et de femmes qui, sans connaître le sort qui leur serait réservé, venaient de gagner leur liberté d’être humain.
Mais nous, nous le savons, sans accompagnement, sans soutien, le pire peut aussi être à craindre !
La liberté est le fruit d’une guerre à un moment donné et il faut un combat permanent pour la maintenir et la protéger. Ce soutien de tous s’impose à nous. Soyons vigilants, la liberté est si fragile ! Brandissons l’étendard sanglant, comme l’évoque notre hymne national, mais pour éviter que le sang ne coule !
En Amérique latine, les premiers mouvements, de portées très diverses, ont été, pour beaucoup, inspirés par les différents courants de ce qu’on a appelé les Lumières.
Même si la France ne fut pas l’unique inspiratrice des élites de l’époque, on peut rappeler, sans solliciter l’Histoire, qu’elle en fut largement à la source.
Dès la deuxième moitié du xviiie siècle, les imprimeries du nouveau monde diffusaient largement les œuvres des philosophes français. Toute bibliothèque digne de ce nom se devait de compter sur ses rayons l’Encyclopédie, et les échanges épistolaires entre les gens d’esprit prouvent que ceux-ci empruntaient nombre de thèmes au continent européen. L’étude de l’histoire des différents pays montre la densité et la multiplicité des références à la Révolution française.
Les grandes figures, que l’on appellera plus tard les « pères fondateurs », parlaient souvent le français ou étaient pétries de culture française. N’est-ce pas un certain Antonio Nariño qui traduira, dans son cabinet de Bogota, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la répandra dans tout le pays, au grand dam des autorités coloniales ?
Qui se souvient du jeune Francisco de Miranda, citoyen de ce qui n’était pas encore le Venezuela et qui, grand admirateur de la Révolution française, s’engagera dans l’armée de Dumouriez pour en sortir avec le grade de général !
Quant à Bolivar, la grande figure par excellence de l’émancipation des peuples latinos, il avait pour précepteur un disciple affiché de Rousseau. Ses années de jeunesse et de formation furent durablement marquées par la lecture de l’Émile.
Je n’aurai garde de m’engager dans une énumération qui serait fastidieuse et, au demeurant, certainement inutile : les faits sont suffisamment connus pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir dans le détail.
Pour évoquer ces moments historiques qui ont compté dans la formation de l’identité nationale des États du continent latino-américain, la République française se devait de prendre une initiative symbolique et forte.
Tel est le sens de la proposition de résolution que j’ai déposée avec mes collègues membres des différents groupes d’amitié du Sénat, que je tiens à saluer ici, et qui a reçu l’accueil enthousiaste de pas moins de cent quinze collègues appartenant à tous les groupes politiques de notre assemblée.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution. Au-delà de des faits historiques, tous ces pays, avec des degrés différents de rattachement à l’histoire française, gravissent, tous les jours un peu plus, les marches de la liberté et de la démocratie. Ils sont non plus des pays en voie de développement, comme on les dénommait il y a peu encore, soumis à des régimes parfois autoritaires, mais des acteurs, de vrais acteurs du monde, à part entière, libres, souverains, maîtres de leur destinée.
Leurs niveaux de formation, leur souci de protéger une démocratie parfois chèrement acquise et les valeurs qui s’y attachent, leurs richesses intellectuelle, économique, culturelle, artistique, mais aussi leurs besoins, font qu’ils peuvent être les partenaires irremplaçables de notre pays et qu’il nous appartient de répondre à leurs attentes. Nous avons tant à échanger pour nous enrichir mutuellement.
L’année 2010 fut exceptionnelle, une sorte d’expérience de vie commune, partagée non seulement avec les ambassadrices, les ambassadeurs et tout le corps diplomatique des pays d’Amérique latine et des Caraïbes réunis dans le GRULAC, Group of Latin American and Caribbean Countries, mais aussi avec les institutions nombreuses qui, en France, œuvrent pour l’amitié avec ce continent : mes collègues présidents des groupes d’amitié, le Sénat et son président, le Quai d’Orsay, fort d’une grand savoir-faire.
Oui, cette expérience nous a conduits à participer et à organiser ensemble diverses manifestations pour honorer avec tout l’éclat qu’il méritait le bicentenaire de la libération de ces pays.
Aujourd’hui, nous avons presque un goût d’inachevé, et nous devons perpétuer notre œuvre de façon différente, nouvelle, innovante, audacieuse, car le lien qui s’est tissé au fil du temps ne fut absolument pas programmé ; ce fut une réaction spontanée, naturelle, celle du peuple, celle du cœur !
Pour prolonger ces commémorations, leur donner un sens, en conserver une trace pérenne et célébrer mutuellement nos valeurs, il vous est proposé, mes chers collègues, d’adopter une proposition de résolution visant à demander au Gouvernement l’instauration d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France, célébrée le 31 mai de chaque année.
Ainsi pourrons-nous, tous les ans, à date fixe, organiser des manifestations sur l’ensemble du territoire de la République et rassembler, à cette occasion, nos compatriotes, ainsi que tous les amis de l’Amérique latine et des Caraïbes, qui sont plusieurs milliers sur notre sol, pour partager des moments de convivialité et, je veux l’espérer, d’allégresse mêlant à la fois culture et réflexion.
Les anniversaires ne doivent pas être uniquement l’occasion d’évoquer le passé. Ils sont aussi, et surtout, le moyen de se projeter dans l’avenir, afin de mieux le préparer à la lumière des acquis de l’histoire.
Sur ce chemin du partage, des difficultés nous attendent parfois ; à nous de savoir les analyser et de les surmonter pour aller de l’avant. Notre proximité historique, notre latinité, notre patrimoine culturel commun en seront davantage fortifiés et, avec eux, les liens d’amitié qui nous unissent.
Chercher à mieux se connaître est la démarche de tout acteur politique et économique ; chercher à se rencontrer pour apprécier les modes de vie et les règles établies par chacun pour avoir, enfin, de vraies relations partagées.
Innover sur un continent laisse l’avantage de la souplesse, car, d’un pays à l’autre, des choses peuvent différer à un moment donné, mais, dans la durée, cela permet d’assurer la constance d’un lien fort et bénéfique pour tous, en partant de la protection de la démocratie et en évitant les crises.
Oui, madame la ministre d’État, la France retrouve là son visage du siècle des Lumières. C’est cette France-là que nous aimons, celle que les Latinos aiment, celle qui donne et qui partage avant de chercher à recevoir.
Tout au long du chemin qu’est la vie se trouvent en permanence, dissimulés par un virage, un danger, un obstacle, qu’il faut savoir dominer et vaincre. Or, un pays qui est seul, comme un homme qui est seul, a toujours plus de mal à surmonter les difficultés. Le groupe, quant à lui, est une union, une union de force, de joie, d’amour, qui permet à chacun de les franchir les obstacles plus allègrement. C’est à la France, de par son histoire et le message dont elle est porteuse, de proposer son concours et d’être, si possible, un acteur puissant.
Madame la ministre d’État, associez-vous à nous dans un acte unique qui scellera l’amitié de la France pour tout un continent ! Notre proposition de résolution est comme une étoile de vie ou, si l’on préfère, la flamme qu’il faut entretenir pour maintenir l’enthousiasme et l’espoir de ceux qui la contemplent.
L’édifice se bâtit, pierre après pierre. Certes, un pan peut parfois s’écrouler, mais les fondations sont inébranlables. À nous de maintenir l’envie de revenir sur le chantier, jamais fini, toujours en mouvement, ce chantier du cœur et des hommes, qui rassemble et qui permet de bâtir un monde meilleur.
Ce rendez-vous annuel permettra de s’assurer que la vie commune existe, que l’espoir est toujours vivace et que les valeurs partagées sont plus importantes que tout.
En maintenant la voie tracée par les Lumières, voilà plus de deux cents ans, la France est égale à elle-même : elle rassemble et unit.
Le 8 novembre 2010, au Sénat, lors de la célébration solennelle du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, dans la salle Médicis, M. Pierre Lellouche, alors secrétaire d’État chargé des affaires européennes, avait bien voulu apporter, au nom du Gouvernement, son soutien à notre proposition de résolution, ce dont je le remercie de nouveau.
C’est fort de cet appui et des encouragements des représentants des corps diplomatiques présents dans notre tribune présidentielle cet après-midi, et que je salue, fort de nos cent quinze collègues cosignataires qui, tous groupes confondus, partagent la même démarche, ainsi que de l’ensemble des groupes d’amitié et de leurs présidents, que je vous invite, mes chers collègues, à voter, avec l’enthousiasme qu’elle appelle, la présente proposition de résolution. Le peuple de France vous en remercie. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Brésil, que j’ai l’honneur d’animer depuis trois ans, après avoir présidé successivement, de 1991 à 2008, les groupes régionaux France-Amérique latine et France-Amérique du Sud, dont le Brésil couvre la moitié du territoire.
Comme tous ceux qui sont très attachés au renforcement des liens avec ce continent, qui s’intéressent à son avenir, qui veulent y travailler et déplorent la perte d’influence de la langue française, j’estime qu’il est grand temps d’accorder plus d’importance aux pays d’Amérique latine, dont la plupart ont connu, en quelques années, une formidable évolution, afin d’y réaffirmer la présence française.
En ce sens, l’adoption de la proposition de résolution qui nous est aujourd’hui soumise me paraît particulièrement opportune.
En effet, que de chemin parcouru dans nos relations bilatérales depuis 1964, année où le général de Gaulle effectuait sa tournée historique en Amérique latine ! Il avait été le premier à comprendre l’immense enjeu que représentait pour l’Europe, pour la France, ce continent si proche de nous par sa volonté d’indépendance nationale et par ses références culturelles. Le premier, il avait su lui adresser le message de liberté et de fraternité de la France.
Or les vicissitudes de l’histoire politique et économique, et d’autres, celles de l’Amérique latine, ont distendu nos liens avec ce continent, un temps assimilé, dans bien des esprits, à un tiers-monde lointain et instable.
Certes, des fragilités, des difficultés persistent, qu’elles soient de nature politique, économique ou sociale, et il ne faut pas les ignorer, mais que de progrès accomplis, en quelques années, par les pays de cette région !
À cet égard, j’évoquerai plus particulièrement le Brésil, notamment nos relations d’amitié, anciennes et durables, que j’ai désormais à cœur d’approfondir.
La France, vous le savez, mes chers collègues, éprouve pour le Brésil une amitié profonde. Ce pays occupe une place toute particulière dans notre vision du monde. Il représente, pour les Françaises et les Français, une civilisation porteuse d’un art de vivre, d’une culture, notamment d’une culture politique, d’un espoir pour l’avenir. Il est une source permanente de rêve et d’inspiration.
Je pense notamment à ce grand rêve d’or et de mystère qui mena sur les côtes et dans les villes brésiliennes, et jusqu’au tréfonds de l’Amazonie, tant de Français en quête d’une nouvelle vie et d’un nouvel horizon.
Je me dis que peut-être, à sa manière, la France a pu être un rêve pour le Brésil. Je pense à la France des Lumières, à la France républicaine, dont on retrouve le bonnet phrygien sur les pièces de monnaie, ou encore à la France d’Auguste Comte, dont la formule « Ordre et Progrès » est devenue la devise du Brésil.
Ce socle commun, cette latinité partagée expliquent la proximité qui est la nôtre aujourd’hui. Il est vrai que nous nous sentons d’autant plus proches de ce pays qu’il est limitrophe de la France. Nous avons en effet une frontière commune de plus de sept cents kilomètres, dans le département d’outre-mer de la Guyane.
Bientôt, un grand pont enjambera l’Oyapock. Ce ne sera pas seulement un ouvrage d’art audacieux ; ce sera aussi la concrétisation de l’amitié franco-brésilienne.
Ensemble, il nous appartient aujourd’hui de bâtir d’autres ponts dans tous les domaines. C’est tout le sens du partenariat stratégique avec le Brésil qui a été lancé en 2006 par le président Jacques Chirac et qui a connu une impulsion grâce à l’adoption d’un plan d’action ambitieux entre les présidents Lula et Sarkozy, en 2008.
Il ne s’agit pas d’un banal accord commercial, ni d’un traité de plus dans l’agenda des relations internationales. C’est un véritable pacte qui concrétise enfin, au niveau qu’elle méritait d’atteindre, une amitié cordiale et solide.
Ce partenariat a d’ailleurs dynamisé de manière spectaculaire nos relations bilatérales dans tous les domaines : militaire, spatial, énergétique, migratoire ou encore aide au développement.
Pour autant, comment ne pas être plus attentif, plus réactif et, finalement, plus entreprenant, quand on sait que le Brésil est le cinquième pays du monde en termes de population et de superficie, et la huitième économie mondiale devant la Russie et l’Inde ?
Désormais reconnu comme un acteur incontournable sur la scène internationale, le Brésil doit être pour nous un partenaire majeur. Dans ce monde multipolaire, il partage avec nous la même vision d’une mondialisation mieux maîtrisée, plus équitable et plus juste.
La France et le Brésil ont donc naturellement vocation à agir ensemble, avec les mêmes objectifs. Le partenariat stratégique permettra justement à nos deux pays de parler d’une même voix dans les grands rendez-vous internationaux.
Voilà pourquoi, comme le président Sarkozy et le gouvernement français, je suis favorable à l’accession du Brésil à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous devons adapter les institutions internationales au xxie siècle. Le Brésil, et à travers lui l’Amérique latine, ne peut en être exclu.
Je souhaite en cet instant souligner l’excellence des liens politiques qui unissent le Brésil et la France. Ils forment un arrière-plan très propice au développement de nos échanges économiques et commerciaux.
Notre coopération scientifique et technique, fondée sur le partenariat et le cofinancement, est également considérée comme exemplaire. La France est ainsi le deuxième partenaire scientifique du Brésil, après les États-Unis.
Bien que l’enseignement de l’espagnol tende à prendre le pas sur celui du français dans le cursus scolaire, notre coopération culturelle est également très encourageante. En effet, trois lycées français accueillent deux mille élèves, dont cinq cents Français. Les alliances françaises constituent le réseau le plus ancien et le plus dense du monde, avec trente-neuf implantations pour plus de trente-six mille quatre-cents élèves.
Pour autant, la France doit être attentive au maintien et au renforcement de ses liens politiques, économiques et commerciaux avec le Brésil.
Grâce à ce partenariat sans précédent, je suis convaincu que le Brésil saura accepter l’ouverture de ses propres marchés en réponse aux efforts significatifs opérés, notamment par l’Union européenne, en particulier dans le secteur agricole, et que le savoir-faire de nos entreprises, grandes ou petites, pourra s’exprimer pleinement dans ce pays ami.
La convergence d’analyse et d’initiative entre la France et le Brésil me conforte dans la certitude que l’amitié franco-brésilienne, aujourd’hui plus dense et plus riche de promesses que jamais, sert non seulement les intérêts de nos deux pays, c’est évident, mais encore ceux du monde, d’un monde plus juste et plus sûr qu’ensemble nous voulons construire.
Dans cette perspective, il me semble que la France ne tire pas suffisamment profit de sa situation et de sa position en Amérique du Sud ; elle doit se considérer comme partie intégrante de l’Amérique latine.
Je ne suis pas sûr que nous ayons suffisamment perçu le profond changement qui s’est opéré sur ce continent. Je sens que subsiste un décalage entre l’image que conserve une large partie de l’opinion publique française, même éclairée, de l’Amérique latine et ce que celle-ci est réellement devenue depuis quelques années. À mon sens, ses transformations appellent une mobilisation des énergies françaises pour répondre à un nouvel impératif : créer, recréer avec tous les pays d’Amérique latine qui le veulent la relation intense et forte qu’ils sont en droit d’attendre de notre pays et, au-delà, de l’Europe.
Nous devons aussi mieux faire connaître ce que nous sommes et, pour cela, mieux diffuser l’image et la voix de la France. Les distances sont largement abolies aujourd’hui. À nous d’en profiter pour diffuser notre langue et nos savoir-faire, pour assurer le rayonnement de nos idées et de notre culture.
Mais changer l’image de la France en Amérique latine, c’est aussi donner en France une image de l’Amérique latine conforme à la réalité, afin de sensibiliser l’opinion à ce que représentent aujourd’hui les pays de ce continent, notamment dans le domaine de la création artistique et culturelle.
Si, avec l’instauration d’une journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France chaque année, notre proposition de résolution contribuait à cette prise de conscience, je crois que, rien que sur ce seul aspect, elle ferait déjà œuvre utile ! Le message que ses auteurs souhaitent finalement adresser à l’Amérique latine tient en quelques mots : la France, et au premier rang le Sénat, veut consolider avec les pays qui constituent l’Amérique latine des liens toujours plus étroits, respectueux de leur indépendance et de leur spécificité, et fondés sur une culture partagée, des valeurs et des intérêts communs ainsi que sur des objectifs définis ensemble.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’apporter votre soutien à la présente proposition de résolution, dont l’objet est de marquer la force des liens qui unissent la France aux pays de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Enfin, je remercie mon collègue Jean-Marc Pastor de son initiative. Il nous appartient en effet de vivifier ce capital de sympathie ! (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame la ministre d’État, messieurs les ambassadeurs de l’Amérique latine et des Caraïbes, venus nombreux ce soir à notre rencontre, mes chers collègues, je m’exprimerai également au nom de M. Bernard Piras, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Caraïbes, qui ne peut être présent parmi nous.
La région des Caraïbes est située au cœur des deux Amériques. Elle appartient à l’Amérique latine et a partagé les combats de l’indépendance tout au long du xixe siècle. Le signal de la lutte pour l’indépendance a été lancé depuis Haïti, premier pays indépendant de cette région dès 1804, tandis que le processus d’émancipation s’est terminé à Cuba, en 1898.
Tous les contacts que nous avons noués, toutes les rencontres, ici ou là-bas, depuis la création du groupe interparlementaire d’amitié, s’appuient sur le partage de valeurs communes qui reposent sur l’admiration du modèle de liberté offert par la Révolution française. C’est l’esprit du roman d’Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, qui a inspiré ces mouvements, esprit dont la puissance d’inspiration demeure active.
C’est aussi, Jean-Marc Pastor l’a rappelé, une région où perdure l’amour de la langue et de la littérature françaises, Victor Hugo en étant l’auteur phare. Le combat pour la langue et contre l’uniformisation culturelle unit d’ailleurs les intérêts français et hispaniques dans les Caraïbes, et plus particulièrement encore dans les Antilles françaises.
À l’époque de la mondialisation, l’Amérique latine n’est donc plus lointaine. Par le cœur et à travers des intérêts communs, elle est au contraire proche de nous, Français ou Européens.
Par conséquent, c’est avec une grande conviction que je soutiens sans réserve la proposition de résolution qui nous est présentée. Au nom tant de mon groupe politique que de mes amis et collègues du groupe interparlementaire d’amitié France-Caraïbes, je suis très heureux que l’instauration d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France permette de rappeler ces liens et de les faire mieux connaître à travers les nombreuses manifestations culturelles que, je n’en doute pas, cette célébration suscitera. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je prends la parole avec d’autant plus de plaisir et de joie que je constate la présence, dans la tribune présidentielle, de tous les ambassadeurs des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, que je salue en cet instant.
Malheureusement contraint par un impératif horaire, je n’aurai pu intervenir dans ce débat si mon collègue Philippe Adnot ne m’avait permis de m’exprimer avant lui : je l’en remercie.
Je veux saluer tout particulièrement mon ami Jean-Marc Pastor qui, en qualité de président du Comité des célébrations du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, a pris l’initiative de marquer ce grand moment de l’histoire de ces États par le dépôt de cette proposition de résolution, consensuelle, qui a été cosignée par tous les présidents des groupes interparlementaires d’amitié des États concernés, ainsi que par de nombreux sénateurs et sénatrices.
Ce faisant, Jean-Marc Pastor a voulu marquer la volonté du Sénat de la République française de léguer aux générations futures un repère marquant l’amitié entre nos peuples. Cette initiative originale et, je le crois, sans équivalent, s’inscrit, pour ce qui concerne le Sénat, dans une démarche ancienne.
C’est en 1950 que le premier groupe d’amitié France-Amérique latine a été créé. À l’époque, la France, en pleine reconstruction, souhaitait renouer des liens que la guerre avait quelque peu distendus et, de façon visionnaire, nos collègues avaient alors estimé que la Haute Assemblée devait se doter d’instruments propres à s’ouvrir sur l’extérieur, singulièrement vers les pays qui avaient en commun un patrimoine culturel et historique éprouvé.
Depuis lors, notre assemblée a créé plusieurs groupes d’amitié pour prendre davantage en compte la montée en puissance de ces nations dans le concert mondial, et pour permettre au grand nombre de nos collègues qui portent un intérêt soutenu à ces pays, à leur culture, bien sûr, mais aussi à leur évolution stratégique, politique et économique, de s’y impliquer davantage.
En 2010, notre assemblée a tenu à célébrer avec ses moyens institutionnels, mais surtout avec la force de conviction dont elle est capable, ces grands moments que furent la libération de l’Amérique latine et des Caraïbes. Sans doute y a-t-il une part de convenance dans le choix des dates ; en effet, tout n’a pas commencé voilà exactement deux cents ans et tout ne s’est pas achevé dans le courant de la même année, loin s’en faut !
Mais il suffit de retenir que, dans les soubresauts de cette longue histoire, la France fut souvent le point de référence pour les acteurs de l’émancipation des peuples, et cela sous toutes les latitudes. La trilogie « Liberté, Égalité, Fraternité » reste, aujourd’hui encore, étroitement associée à notre pays, même si elle est devenue depuis deux siècles un héritage universel. Chacun le partage et tente de le faire fructifier à son rythme.
En ce début de xxie siècle, nous sommes particulièrement heureux de compter tous ces pays au nombre des nations qui partagent notre idéal démocratique. C’était loin d’être le cas voilà encore à peine cinquante ans !
Alors que, dans d’autres régions du monde, des peuples se soulèvent aujourd’hui pour réclamer à leur tour le bénéfice de ces valeurs fondamentales de la condition humaine, nous ne pouvons qu’approuver cette proposition de résolution, tout en formant le vœu qu’elle inspire les pays qui ne connaissent pas encore les bienfaits de telles valeurs !
Nous souhaitons donc que s’instaure dans notre pays une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes, qu’elle devienne, au fil des ans, un grand rendez-vous de joie et d’amitié, et qu’elle fortifie, si besoin en est, les liens forgés par l’Histoire. Voilà pourquoi, avec mes collègues cosignataires du texte et avec ceux de mon groupe, je voterai la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la ministre d’État, Excellences, mes chers collègues, appartenant à la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe, je ne dispose que d’un temps de parole de trois minutes.
Je commencerai par remercier Jean-Marc Pastor, dont l’intervention a été remarquable.
M. Jacques Blanc. C’est vrai !
M. Philippe Adnot. Il a exprimé avec un si grand talent ce que nous pensons tous que, d’une certaine façon, le fait de ne disposer que de peu de temps me semble moins grave !
J’ai souhaité cosigner, en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Pays andins, qui réunit la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela, cette proposition de résolution relative à l’institution d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France, d’autant que l’année 2010 a été marquée par la célébration du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
Grâce à la mobilisation de la société civile, des collectivités et des acteurs de la relation franco-latino-américaine, plus de cent cinquante projets dans les domaines artistique, économique, universitaire et du débat d’idées, ont reçu le label de ces manifestations qui ont couvert l’ensemble de notre territoire.
Ces événements ont permis de mettre en lumière non seulement les projets communs qui unissent nos pays, mais aussi la force, la richesse et l’actualité des liens entre la France et l’Amérique latine.
L’instauration de cette journée scellera ainsi l’importance des liens tissés au cours des deux siècles derniers entre ces États et la France, ainsi que la volonté de marquer de façon symbolique la force de ces relations.
Le fait de nous remémorer cette année joyeuse ne doit pas nous empêcher de nous souvenir des événements dramatiques qui ont touché la Colombie et la région de Medellìn, à la suite des accidents climatiques dont ils ont été le théâtre. En cet instant, je voudrais que notre joie ne nous empêche pas d’avoir une pensée pour tous ceux qui ont souffert et qui souffrent encore.
Notre compassion est profonde, en raison du grand attachement que nous avons pour l’Amérique latine. Cet attachement relève, en premier lieu, d’une empathie culturelle : la filiation entre la naissance des États de ce continent, l’esprit des Lumières et la Révolution française est une évidence naturelle. En second lieu, nous partageons le fort désir de tous ces États et de leurs peuples d’un vrai développement économique. Toutes les démocraties le savent, c’est la condition de la liberté et de la réussite dans les domaines social et éducatif.
L’amitié qui nous lie est sincère, car déliée de tout jugement sur les évolutions des différents gouvernements, qui sont le fruit de l’histoire et des situations actuelles. Nous devons absolument nous respecter mutuellement si nous voulons nous comprendre.
Cette compréhension doit nous permettre d’accepter la liberté de chaque pays de mener sa propre politique, en étant maître de son destin, particulièrement pour ce qui concerne les ressources naturelles dont il dispose.
La présente proposition de résolution exprime bien, me semble-t-il, notre aspiration à une évolution favorable des rapports entre la France et l’Amérique latine, du point de vue de la sécurité juridique, nécessaire aux échanges économiques, et, donc, à leur loyauté.
Notre compréhension mutuelle s’approfondira, enfin, grâce à la multiplication des échanges, notamment culturels et éducatifs.
Je tiens d’ailleurs à saluer la présence d’un grand nombre d’étudiants latino-américains dans notre pays. J’ai pu constater, au terme d’une brève analyse, la force des liens qui les unissaient à notre pays. Je veux y voir le fondement des relations qui devront, à l’avenir, se renforcer entre nos différents pays.
Le Sénat aborde cette proposition de résolution non seulement avec l’humilité qui convient à des rapports fraternels fondés sur le respect commun, mais aussi avec la conviction que notre amitié peut faire naître un monde plus juste et plus humain, offrant une espérance plus grande à la France, à l’Amérique latine, et à l’ensemble des habitants de notre planète. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous vivons un temps très fort et une grande émotion m’étreint au moment de m’exprimer à cette tribune, sous le regard bienveillant et attentif d’une importante délégation diplomatique des différents pays d’Amérique latine.
L’Amérique latine, c’est avant tout des rêves d’enfants et d’adolescents. Qui ne se souvient des pauvres habitants des Alpes du Sud, du Queyras ou de Barcelonnette, partis à la conquête de Mexico ? Ils y ont d’ailleurs créé un bazar devenu célèbre. Fortune faite, certains sont rentrés aux pays. Ces habitants du Queyras sont certes ceux qui symbolisent le mieux les rêves que j’évoquais, mais ils furent suivis par de nombreux autres migrants, partis de toutes les campagnes françaises. (M. Jean-Pierre Bel fait un signe d’assentiment.)
Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Jean-Marc Pastor, que je sais très attaché à l’Amérique latine, comme le sont d’ailleurs tous les signataires de cette proposition de résolution. Fort de ses nombreux voyages, il a su saisir tout l’intérêt d’une relation étroite avec ces pays.
Ceux qui, comme moi, pratiquent modestement le castillan – langue que j’adore – ne peuvent qu’être attirés par la musique latino-américaine et, plus généralement, par tout ce qui a trait à cette partie du monde.
En Amérique latine, on se sent chez soi, proche de tous les habitants. J’ai eu la chance de me rendre dans sept ou huit pays de cette région et, chaque fois, j’ai ressenti la chaleur des populations. Même les gens les plus pauvres sont heureux de vous offrir l’hospitalité et ils sont honorés que des Français s’intéressent à leur pays.
Il est vrai que nos relations ont toujours été très étroites. Jean-Marc Pastor a évoqué Bolivar, qui a beaucoup aimé la France, qui s’est inspiré du siècle des Lumières et qui, on le sait moins, a assisté au sacre de Napoléon Ier. Beaucoup plus qu’un libérateur, Bolivar était un libertador, c’est-à-dire celui qui brise les chaînes de l’oppression, qui suscite un profond mouvement d’espoir et d’espérance. Au plus dur des difficultés, ces peuples n’ont jamais perdu l’espoir de la liberté incarnée par la France, patrie des droits de l’homme pour toute l’Amérique latine. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons des devoirs envers toute cette région.
Bien que tous ces pays parlent l’espagnol, le portugais au Brésil, il existe une importante population francophile, notamment en Uruguay, petit pays où, voilà encore quelques années, on parlait français dans la rue. Deux poètes français chers au cœur des Tarbais, Isidore Ducasse et Jules Laforgue, y jouissent d’une renommée extraordinaire. Ils sont aussi connus là-bas que Victor Hugo chez nous.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. François Fortassin. L’Amérique latine a fait un pas immense en direction de la démocratie, car n’oublions pas que, voilà encore quelques dizaines d’années, de nombreux pays vivaient sous un régime d’oppression. Bien souvent, les transitions se firent de façon naturelle, tant les leaders des différents mouvements étaient guidés par le sentiment profond que le développement ne s’enracine que dans la démocratie. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la plupart de ces pays, en dépit des difficultés, connaissent un essor économique incontestable.
L’Amérique latine est riche de la générosité de sa population et de sa culture, riche aussi de l’immensité de ses territoires, de son sous-sol. D’un point de vue géopolitique, nous avons incontestablement un rôle à jouer si nous ne voulons pas laisser ces pays à la merci de leur grand voisin américain qui, j’ose le dire, n’ont rien compris à l’Amérique latine. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles la France y est aujourd’hui aussi appréciée.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je voterai bien entendu avec enthousiasme cette proposition de résolution. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mesdames, messieurs les ambassadeurs, mes chers collègues, l’institution d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France nous permettra d’éclairer et de resserrer les liens qui nous unissent avec cette partie du monde.
En effet, les racines de nos deux espaces s’entrecroisent, et particulièrement celles qui résultent de la révolution de 1789. Les sociétés d’Amérique latine sont imprégnées du sens du droit, comme le sont toutes les sociétés romaines de droit écrit.
Notre démocratie et celles de l’Amérique latine s’abreuvent donc à des sources communes, notamment une conception de la citoyenneté associée à un contrat politique et non aux liens du sang.
À ce parallélisme politique se superpose une dimension culturelle. L’impact de la grande Révolution de 1789 sur les événements d’Amérique latine, c’est non seulement l’influence des idées des Lumières sur les Créoles d’Amérique latine, mais aussi la culture révolutionnaire, qui a conduit nos voisins latino-américains à remettre en cause leur lien avec la royauté.
Nous savons comment cette culture s’est répandue. Le premier texte sur les droits de l’homme est arrivé en Amérique latine dans les mains des Espagnols qui étaient déportés à Caracas. Comme le monde est petit et l’histoire brève, le directeur de la prison, franc-maçon comme les déportés, aida ces derniers à recopier, en espagnol, le premier exemplaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sera imprimé en Guadeloupe avant de revenir sur le continent latino-américain.
Avant ces événements, il y avait eu de nombreuses secousses annonciatrices, en particulier la lutte des Républiques noires, notamment en Haïti. Avec Victor Hugues, l’abolition de l’esclavage dans le Nouveau Monde libéra un grand nombre d’hommes et de femmes. D’un courage extraordinaire, ils furent réputés « sulfureux » par la bourgeoisie locale. Ceux que l’on appelait les Negros franceses, les Noirs français, se virent privés du droit d’entrer sur le territoire des Bourbons, car on les soupçonnait d’être « contaminés » par l’idéal révolutionnaire.
Dès lors, les Noirs français sont partis à l’assaut du Venezuela pour y établir ce qu’ils appelaient la loi des Français : la République et l’abolition de l’esclavage.
Souvenons-nous que, ensuite, presque tous les libertadores, Simon Bolivar et d’autres, comme le général vénézuélien Miranda, qui a participé à la guerre de libération et d’indépendance nationale et dont le nom est inscrit sur l’Arc de triomphe à Paris, sont passés par la France.
N’en déplaise aux observateurs qui ne tiennent pas compte de l’influence des courants profonds de l’Histoire, il existe bien une relation organique entre le Nouveau Monde et la France, la patrie républicaine originelle, issue du choc de 1789, des droits de l’homme et de l’idéal républicain.
Nous devons garder tous ces éléments présents à l’esprit si nous voulons comprendre que les révolutions démocratiques à l’œuvre en Amérique latine depuis la fin des années quatre-vingt-dix nous concernent également.
Cette vague révolutionnaire tire sa force de la conjonction de deux éléments : le rejet d’une politique libérale appliquée au-delà de tout ce qu’on avait pu imaginer et le patriotisme latino-américain, progressiste et anti-impérialiste.
Le parti de gauche se réfère à ces événements pour trois raisons : d’abord, parce qu’il s’agit de révolutions ; ensuite, parce qu’elles sont démocratiques ; enfin, parce qu’elles ont pour principal objectif la reconquête de la souveraineté populaire.
Le déploiement de cette vague révolutionnaire, en particulier à partir du Venezuela, permet de comprendre ce qui va se passer en France, ce qui va se produire aussi naturellement que l’alternance des marées sur nos côtes atlantiques.
La révolution citoyenne a d’ores et déjà traversé l’Atlantique : en Islande, d’abord, dont le peuple a décidé à 95 % de rejeter le sauvetage des banques et convoqué une assemblée constituante ; dans le monde arabe, ensuite, où les Tunisiens et les Égyptiens, pour remédier aux problèmes sociaux, commencent par résoudre la question démocratique. Le « Dégage ! » des Tunisiens fait écho au « Qu’ils s’en aillent tous ! » de la révolution argentine.
Chômage, inégalités croissantes, autoritarisme, etc. : les problèmes auxquels sont confrontés les peuples du Maghreb et du Machrek, après les peuples d’Amérique latine, sont les mêmes que ceux que rencontrent nos concitoyens. La contagion de ces mouvements populaires nous concerne donc. Nous nous en réjouissons, car, ici aussi, la lutte contre une oligarchie est à l’ordre du jour.
L’oligarchie qui, en renflouant les banques sans contreparties, en volant deux ans de retraite aux salariés, ne cesse de faire payer la crise aux classes populaires et aux classes moyennes, qui bientôt n’en seront plus qu’une.
L’oligarchie qui maintient les jeunes au chômage, les agriculteurs dans la détresse, qui dresse les ouvriers contre les chômeurs, qui fait le tri entre les bons français avec papiers et les autres, dépositaires indésirables de la misère du monde. Celle qui flirte ostensiblement avec les despotes qu’elle a fabriqués tout exprès. Celle, enfin, qui verrouille les médias sans se rendre compte que le monde de l’information libre et spontanée a balayé la nouvelle ORTF.
Oui, les Français parlent aux Français, les Tunisiens aux Tunisiens, les résistants aux résistants grâce à internet, Facebook, Twitter. Les jeunes ont le mode d’emploi de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
La révolution citoyenne nous revient donc d’Amérique latine. Elle est la bienvenue pour des millions de Français qui souffrent. Comme en Tunisie et en Égypte aujourd’hui, c’est une nouvelle libération pour la France qui s’annonce.
Vous, qui nous gouvernez, réunissez les ingrédients qui bientôt nous permettront de reconquérir par les urnes notre souveraineté populaire face aux décisions antidémocratiques du FMI et de la Commission européenne, qui font payer partout la crise aux pauvres.
Ironie de l’histoire : la révolution de 1789 a été notamment le fruit de la volonté du Parlement de décider de son budget. Grâce à vous et aux « béni-oui-oui » de l’Union européenne, notre Parlement aura bientôt délocalisé son droit de contrôle budgétaire. Quelle régression, quel aveuglement !
Vous qui gouvernez sans les peuples, parfois même contre eux, comme lors du référendum de 2005, vous nous faites revenir deux siècles en arrière. Prenez garde que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ! Vous allez bientôt créer une surpopulation au Cap Nègre, notre Charm el-Cheikh hexagonal !
Ainsi, cette proposition de résolution tombe à point nommé. Nous la voterons pour célébrer notre lien avec l’Amérique latine, qui nous a ouvert la voie de la reconquête de la souveraineté populaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Applaudissement dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution qui est présentée aujourd’hui, sur l’initiative de Jean-Marc Pastor, marque certainement une nouvelle étape dans l’amitié entre la France, d’une part, l’Amérique latine et les Caraïbes, d’autre part.
Elle s’inscrit dans la continuité de la célébration, en 2010, du bicentenaire des indépendances, à laquelle, comme MM. Cornu et Adnot l’ont rappelé, le Sénat a pris toute sa part.
Cette proposition de résolution souligne aussi la volonté de la France de s’appuyer sur le lien exceptionnel qui, vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, nous unit à l’Amérique latine et aux Caraïbes pour construire, entre tous ces pays, une relation ambitieuse.
Ces liens sont avant tout géographiques, et l’on oublie trop souvent que la France est présente dans les Caraïbes et en Amérique latine. En effet, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane contribuent au rayonnement de notre pays et à l’établissement de liens avec l’ensemble des pays de la zone.
Nous entretenons aussi des liens intellectuels. Nous savons le rôle qu’ont joué les penseurs des Lumières dans l’émancipation des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes ; nous mesurons la richesse des échanges entre nos pays qu’évoquent les noms de Braudel, Lévi-Strauss, Lautréamont, Le Clézio ou encore de Victor Hugo, que citait M. Bel, et je me garderai d’oublier les poètes Tarbais, monsieur Fortassin. (Sourires.)
Ces liens sont aussi institutionnels et politiques. Je pense aux parentés institutionnelles entre la France et une partie des États de la région, à la culture juridique commune, aux liens tissés avec les exilés d’Amérique latine pendant les années noires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons lucides : les liens entre la France et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes se sont quelque peu distendus dans le passé ; la politique étrangère de la France a tardé à donner à l’Amérique latine toute la place qu’elle méritait. Tous ceux qui sont présents ici même sont attachés à ce que le temps perdu soit rattrapé.
La France se tient aux côtés de l’Amérique latine et des Caraïbes pour relever les défis de notre avenir commun. L’actualité, nous ne saurions l’oublier, se concentre aujourd’hui sur la situation de Florence Cassez. (Deux diplomates quittent la tribune présidentielle.)
Nous avons amitié et respect pour le Mexique et pour le peuple mexicain. Nous savons la gravité de la situation en matière d’enlèvement. Nous respectons l’indépendance de la justice, au Mexique, comme partout.
Notre mobilisation en faveur de Florence Cassez se fonde justement sur les valeurs de justice et d’attachement à l’État de droit que nous avons en partage.
Encore une fois, elle ne remet pas en cause notre amitié à l’égard du peuple mexicain. Elle n’entame en rien notre volonté de conforter nos liens avec les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes.
La zone Amérique latine-Caraïbes s’affirme comme un acteur majeur de l’univers multipolaire qui se dessine sous nos yeux. Nos pays partagent la même vision de la mondialisation.
La zone Amérique latine-Caraïbes est au cœur de problématiques globales : le changement climatique, qui l’affecte directement, la préservation de la biodiversité, dont l’Amérique latine détient une part majeure, la sécurité alimentaire.
Un multilatéralisme rénové doit nous conduire à apporter des réponses globales aux questions globales.
Monsieur du Luart, la France soutient l’Amérique latine sur la scène internationale. Nous voulons que celle-ci prenne toute sa place au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est pourquoi la France souhaite que le Brésil en soit un membre permanent.
Qu’il s’agisse de réformer le système monétaire international, de lutter contre la volatilité des prix des matières premières ou de rééquilibrer la gouvernance mondiale, le continent sud-américain doit faire entendre sa voix. La France y travaille en coopération étroite avec les pays d’Amérique du Sud dans le cadre du G20.
Notre pays veut aussi contribuer concrètement à l’essor de la zone Amérique du Sud et Caraïbes. Le développement économique et social est à la fois la contrepartie et la condition de la stabilité. Il entraîne des besoins considérables. Pour y répondre, la France a des atouts à faire valoir. Toutes nos grandes entreprises sont présentes sur le continent, sur des créneaux stratégiques : l’aéronautique, les transports, l’énergie ou les infrastructures. Aujourd’hui, la France figure parmi les premiers investisseurs au Venezuela, en Colombie, au Brésil. Nos exportations ont augmenté de 20 % en cinq ans. Parfois, les industriels sont en avance sur les politiques. Pourtant, il reste encore du chemin à parcourir. Notre part de marché, de l’ordre de 2 %, fait de nous un acteur trop modeste. C’est l’un des enjeux de notre stratégie à l’égard de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’amitié entre nos pays est tout entière tournée vers l’avenir. La France doit être plus présente pour accompagner la prospérité économique de l’Amérique latine. Elle doit assurer davantage le rayonnement culturel qui est traditionnellement le sien dans cette partie du monde.
Le Gouvernement soutient donc la proposition de résolution du Sénat. La journée du 31 mai fera honneur à notre histoire commune et à nos idéaux partagés. Elle accompagnera les efforts de la diplomatie française en direction de cette région du monde. Elle sensibilisera, j’en suis sûre, nos concitoyens à la solidarité qui nous unit et à la volonté qui nous rassemble face aux défis de la modernité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution ;
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 403-2009 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1 et 44 de la Constitution ;
Vu le chapitre VIII du Règlement du Sénat ;
Considérant que l’année 2010 marque la célébration du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes ;
Considérant la filiation entre la naissance des États de ce continent avec l’esprit des Lumières et la Révolution française ;
Considérant l’importance des liens tissés au cours de ces deux siècles entre ces États et la France ;
Considérant la volonté de marquer de façon symbolique la force de ces relations en instituant chaque année un rendez-vous célébrant l’amitié entre ces États et la France ;
Appelle l’instauration d’une journée de l’Amérique latine et des Caraïbes sur tout le territoire de la République.
Estime souhaitable que cette journée soit célébrée le 31 mai de chaque année.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 161 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 338 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements prolongés sur l’ensemble des travées et dans la tribune présidentielle. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent pour manifester leur approbation.)
12
Opposition à une demande de constitution d’une commission spéciale
M. le président. Monsieur le président du Sénat a été saisi par M. Gérard Longuet, président du groupe UMP, d’une opposition à la demande de constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique, présentée par M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste.
En conséquence, en application de l’article 16, alinéa 2 ter, du règlement, cette demande de constitution d’une commission spéciale donnera lieu à un débat qui se déroulera demain, jeudi 17 février, à l’issue de nos travaux.
Au cours de ce débat auront seuls droit à la parole : le Gouvernement ; l’auteur de l’opposition pour cinq minutes ; M. Jean-Pierre Bel, auteur de la demande de constitution d’une commission spéciale, pour cinq minutes ; les présidents de commissions permanentes, pour cinq minutes.
13
Autorisation de la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables
Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) (projet n° 285, texte de la commission n° 290, rapport n° 289).
La conférence des présidents avait décidé un examen simplifié de ce projet de loi.
Le groupe RDSE ayant demandé le retour à la procédure normale sur ce projet de loi, nous entendrons, sur ce texte, la ministre d’État, le rapporteur et les orateurs qui se sont inscrits dans la discussion générale.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, face aux effets du changement climatique, aux défis de la sécurité énergétique et aux besoins des pays en développement d’avoir un plus large accès aux ressources énergétiques, la mobilisation internationale est une urgence et une nécessité.
Le projet de loi soumis à votre examen vise à autoriser la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, l’IRENA. Il a été adopté par l’Assemblée nationale le 3 février dernier.
Je tiens à saluer le travail de la commission des affaires étrangères du Sénat, en particulier de son rapporteur, Mme Gisèle Gautier, aujourd’hui représentée par M. Jacques Blanc.
La création de l’Agence résulte d’une conviction commune, portée notamment par l’Allemagne, et partagée par soixante-quinze États, réunis à Bonn en janvier 2009.
L’IRENA traduit concrètement une prise de conscience. Trois finalités ont présidé à sa création : d’abord, aider à l’élaboration de stratégies nationales de développement des énergies renouvelables et contribuer à leur mise en œuvre ; ensuite, informer l’ensemble des acteurs sur le développement des énergies renouvelables ; enfin, faciliter les échanges et les partenariats en matière de technologies propres.
Le siège de l’Agence est établi à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis. Son installation au sein de la septième puissance exportatrice de pétrole est symbolique d’une volonté partagée de réussir la transition énergétique.
Aujourd’hui, les statuts ont été signés par cent quarante-huit États et l’Union européenne. Le nombre de signataires a pratiquement doublé depuis la création de l’Agence. Par ailleurs, cinquante-cinq États et l’Union européenne en ont déjà ratifié les statuts.
Mesdames, messieurs, la France a soutenu dès l’origine le projet de créer l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. En ratifiant ses statuts, elle prendra, par votre vote, toute sa place dans la dynamique impulsée par la nouvelle institution.
La mise en place de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables est fidèle à nos ambitions et conforme à nos intérêts.
Les objectifs de l’IRENA correspondent à notre vision de la mondialisation : une mondialisation équilibrée et régulée, capable de donner à chaque État les moyens d’un développement durable fondé sur des modèles énergétiques sobres en carbone ; une mondialisation solidaire, car nous voulons que le travail de l’IRENA bénéficie aux pays en développement et aux pays les moins avancés – je pense en particulier aux États d’Afrique ; enfin, une mondialisation respectueuse de la diversité.
L’accès effectif des pays en voie de développement à l’information et aux partenariats développés par l’IRENA suppose que les échanges entre l’Agence et ces pays puissent s’effectuer dans leur langue. Nous voulons donc que le régime linguistique de l’IRENA s’aligne sur celui des Nations unies, dans lequel la langue française a toute sa place.
Le développement des énergies renouvelables correspond aussi à nos intérêts économiques. Vous le savez, les énergies renouvelables sont un enjeu essentiel pour l’environnement, mais aussi pour l’emploi.
Comme cela a été rappelé par la Commission européenne, l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique d’ici à 2020 devrait nous permettre de créer entre 600 000 et 1 million d’emplois nouveaux, ce qui est considérable. Dans le même temps, cet objectif devrait nous permettre d’économiser l’équivalent de 60 milliards d’euros d’importations d’hydrocarbures.
L’authentification des versions française, espagnole et allemande des statuts, le 21 janvier dernier, a permis de lancer la procédure de ratification pour la France et les autres États francophones. Nous avons pour notre part pris le temps de nous assurer de la qualité et de la cohérence des textes.
L’assemblée générale de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables tiendra sa première session le 5 avril prochain. Des décisions importantes y seront prises : la désignation du directeur général, le vote du budget programme et l’adoption de règlements intérieurs qui contiennent des dispositions linguistiques.
La ratification rapide des statuts de l’Agence permettra à la France de peser de tout son poids au cours de la réunion du 5 avril. C’est essentiel : il y va de notre influence au sein de l’Agence ; il y va aussi des attentes de nos partenaires, notamment des Africains francophones, qui comptent sur nous pour que la langue française trouve sa place légitime et pour que leurs intérêts soient plus facilement défendus.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les principaux enjeux de la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Je ne peux donc que demander au Sénat d’adopter le présent projet de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Blanc, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de Mme Gisèle Gautier, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je dois d’abord exprimer les regrets de notre rapporteur, Mme Gisèle Gautier, qui ne peut être présente aujourd’hui. Je vais donc vous donner lecture de son intervention, qui présente le rapport très riche qu’elle a rédigé :
« Les 4 et 5 avril prochains se tiendra à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, la première assemblée générale de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, dite IRENA, d’après sa dénomination anglaise International renewable energy agency.
« Pour y participer, la France doit en avoir préalablement ratifié les statuts, adoptés à Bonn le 26 janvier 2009. C’est l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen.
« La création de l’IRENA répond à la nécessité de promouvoir activement les énergies renouvelables au niveau international.
« En effet, tous les États, qu’ils disposent ou non d’énergies fossiles sur leur territoire, sont désormais conscients que ce type d’énergies est en voie d’extinction, et que leur utilisation est source de nombreuses pollutions.
« L’instauration de l’IRENA complète l’action de l’Agence internationale de l’énergie, l’IEA, créée à la suite de la crise pétrolière de 1973, qui regroupe vingt-huit États membres appartenant au monde développé dont la mission essentielle est de sécuriser l’approvisionnement pétrolier de ses membres.
« L’Allemagne s’est montrée particulièrement active en matière d’énergies renouvelables et a beaucoup œuvré en faveur de la création de cette nouvelle organisation. Ainsi, c’est à Bonn qu’à l’issue d’une conférence réunissant soixante-quinze pays, dont la France, ont été adoptés les statuts de l’IRENA, le 26 janvier 2009.
« Lors d’une réunion tenue à Charm el-Cheikh, en Égypte, les 29 et 30 juin 2009, le siège provisoire de l’Agence a été fixé à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis.
« L’Agence sera localisée à Masdar, une cité en construction près d’Abu Dhabi, qui doit fonctionner exclusivement au moyen d’énergies renouvelables, au premier rang desquelles le solaire, et qui devrait compter 50 000 habitants lors de son achèvement, en 2015.
« Il faut constater que le grand nombre de pays ayant rejoint l’IRENA souligne combien sa création est opportune, mais des points restent cependant à éclaircir dans son futur fonctionnement.
« À ce jour, en effet, cent quarante-huit pays, auxquels s’ajoute l’Union européenne, ont signé les statuts de l’Agence, parmi lesquels cinquante-six les ont ratifiés. La majorité de ces pays sont dépourvus des ressources humaines et financières nécessaires au développement d’énergies renouvelables, ce qui montre l’opportunité de la création de l’IRENA pour la diffusion des technologies indispensables à la promotion de ces nouvelles formes d’énergie.
« Ce succès ne doit pas occulter les questions majeures que devra régler l’assemblée générale d’avril prochain.
« Cette assemblée générale sera présidée par le sultan Al Jaber, vice-ministre des affaires étrangères et directeur du projet Masdar, qui représentera les Émirats arabes unis, pays hôte du siège provisoire de l’Agence, et réunira les pays ayant ratifié les statuts de l’Agence. Elle devra prendre plusieurs décisions importantes comme l’élection du directeur général, l’élaboration du règlement, le choix du régime linguistique de l’Agence, de son accord de siège, et la définition de ses perspectives financières.
« Pour la France et, plus largement, les pays francophones membres de l’IRENA, le régime linguistique de celle-ci revêt une importance particulière.
« En effet, un arrangement oral conclu lors de la conférence préparatoire des statuts précise que l’anglais sera la seule langue de travail de l’Agence. Cet arrangement a conduit à introduire dans le règlement intérieur de la commission préparatoire la notion de “ langue de travail officielle ”. L’anglais est ainsi devenu la langue officielle, non plus du fait d’un arrangement oral, mais dans un document écrit, ce qui confère à cette décision une portée beaucoup plus importante.
« Malgré les efforts déployés par la France pour faire évoluer cet état de fait, plusieurs États membres s’en satisfont, car il permet de limiter le coût des services de traduction et d’interprétariat.
« C’est ainsi que les coûts d’interprétariat des deux dernières sessions de la commission préparatoire ont été assurés par les seules autorités émiriennes, ce qui ne saurait constituer une solution pérenne à cette difficulté.
« Le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, M. Abdou Diouf, a donc décidé l’envoi d’une mission de cette organisation auprès des autorités émiriennes, et, surtout, du secrétariat général de l’IRENA pour souligner la nécessité de diversifier le régime linguistique de l’Agence. Cette mission se trouve actuellement à Abu Dhabi.
« Pour sa part, la France peut faire valoir qu’elle a déjà apporté à l’Agence 1,5 million de dollars américains de contributions volontaires, soit 20 % du budget de 2009. Lorsque l’IRENA sera dotée d’un statut définitif, des contributions obligatoires, fixées probablement au niveau de celles qui sont dues à l’ONU, autour de 7 %, prendront le relais de ces contributions volontaires.
« C’est en raison de l’importance de ces questions que je vous recommande vivement d’adopter le présent projet de loi autorisant la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, afin que notre pays puisse activement participer à la prochaine assemblée générale, sachant que seuls les États qui les auront ratifiés le pourront. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la conférence des présidents avait décidé un examen simplifié de ce projet de loi. J’ai demandé, avec les membres du RDSE, le retour à la procédure normale, non parce que nous sommes opposés à la création de cette agence, mais parce que, en matière d’énergies renouvelables, nous avons tendance à suivre la mode, l’air du temps, plutôt que de considérer l’intérêt économique et, surtout, énergétique.
Ainsi, d’aucuns nous expliquent que l’éolien est une source d’énergie formidable, que les Allemands ont d’ailleurs largement développée. D’emblée, je balaie d’un revers de main la question de l’esthétique, qui est sujet à controverses.
Permettez-moi donc de formuler quelques observations de bon sens. D’abord, lorsqu’il fait très chaud ou très froid, nous sommes en général dans un régime de hautes pressions, et il n’y a alors pas de vent. Ce sont pourtant dans ces périodes que l’on a le plus besoin d’énergie électrique. Ensuite, lorsque la vitesse du vent dépasse 80 kilomètres à l’heure, il faut arrêter les éoliennes afin de ne pas injecter une puissance trop importante dans le réseau. C’est ainsi que, dans les zones venteuses, comme le Languedoc, il n’est pas rare qu’une éolienne sur deux soit à l’arrêt.
Sur le plan énergétique, l’éolien est donc de la « foutaise » ! (Rires.) Et je souhaite, madame la ministre d’État, que le Gouvernement français le dise, … peut-être pas en ces termes !
Mme Françoise Laborde. Ce serait en effet préférable !
M. François Fortassin. Sur le plan intellectuel, le photovoltaïque est un mode de production parfait. Mais peut-on passer sous silence l’imprévoyance coupable d’EDF…
M. Jacques Blanc, rapporteur. ERDF !
M. François Fortassin. Non, ERDF ne s’occupe que du transport. Peut-on, donc, passer sous silence l’imprévoyance coupable d’EDF qui, pendant deux ans, a acheté le kilowattheure d’origine photovoltaïque trois fois plus cher qu’il ne le revendait ? Et puis, après s’être aperçu qu’il était impossible d’aller plus loin, on a changé de monture au milieu du gué. Ce faisant, on a « planté », si vous me permettez cette expression, tous ceux qui s’étaient engagés dans ce mode de production d’énergie.
On nous dit que la production d’énergie photovoltaïque est permanente. Certes, mais elle est beaucoup forte le 14 juillet ou le 15 août que le 25 décembre, lorsque les besoins en électricité sont plus importants ! (Sourires.)
J’en viens maintenant à la biomasse et à l’éthanol. Qu’un pays comme le Brésil, d’une superficie de quelque 8,5 millions de kilomètres carrés, se permette de consacrer plusieurs centaines de milliers d’hectares à la culture de plantes céréalières pour produire de l’éthanol, soit ! En revanche, si un pays comme la France se lance massivement dans les cultures pour l’éthanol, ce sera au détriment de productions agricoles destinées à l’alimentation.
J’aurai pu faire la même observation en ce qui concerne la création de champs photovoltaïques. Comment en vouloir à un viticulteur du Languedoc ou du Roussillon, qui a un rendement de 300 euros à l’hectare, de déclasser ses vignes et d’accepter l’installation de panneaux photovoltaïques sur son sol, avec la promesse de gagner 3 000 euros ?
Mme Françoise Laborde. Ne donnez pas de noms !
M. François Fortassin. Lorsque ces panneaux sont installés sur des terres consacrées à la culture de la vigne, ce n’est pas très grave, car on peut fort bien boire de l’eau et se porter comme un charme ! (Rires.) C’est plus gênant lorsqu’ils sont implantés sur des terres destinées aux cultures maraichères…
Nous considérons que ces questions devaient être abordées à l’occasion de la mise en place de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables.
Je souhaite également, sans chercher à créer un incident diplomatique, tempérer l’admiration que certains portent à la politique énergétique de l’Allemagne.
L’Allemagne a décidé, ce qui est son droit le plus absolu, de ne pas produire d’énergie nucléaire sur son sol. En revanche, les Allemands n’éprouvent aucune gêne à importer massivement de l’électricité d’origine nucléaire ! C’est pourquoi je ne vais pas chercher mon modèle de l’autre côté du Rhin. Si l’Allemagne s’est lancée dans la construction d’un parc éolien extrêmement important, c’est parce qu’elle a un ardent besoin d’électricité !
Je considère que c’est en bord de mer, là où les vents sont réguliers, que l’installation d’éoliennes, notamment d’éoliennes géantes, est le plus envisageable. Mais encore faut-il que la structure du plateau continental s’y prête.
Mme Françoise Laborde. Et cela coûte cher !
M. François Fortassin. Ainsi, il est impossible d’implanter des éoliennes dans le golfe de Gascogne. De toute façon, je ne suis pas persuadé que Mme la ministre d’État souhaite que l’on dégrade les plages de Saint-Jean-de-Luz ! (Mme la ministre d’État sourit.)
Mme Françoise Laborde. Et que dire du Mont-Saint-Michel ?
M. François Fortassin. Cela dit, le RDSE votera ce projet de loi, car la création de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables nous paraît souhaitable. Mais en qualité de parlementaire et, surtout, de consommateur d’énergie, je tenais, avec solennité, à rappeler quelques données de bon sens. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, ce projet de loi autorisant la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, qui pourrait n’être qu’une formalité, est en fait un texte important.
La difficulté tient moins aux statuts de l’Agence qu’aux circonstances qui ont présidé à sa création.
L’IRENA procède incontestablement d’une volonté politique de promouvoir ce type d’énergies. Même si nous considérons qu’il faudrait avoir une vision plus globale et moins technique sur tel ou tel type d’énergie, ou sur les vertus comparées du nucléaire, des énergies renouvelables et des énergies fossiles, nous considérons néanmoins que la création de l’IRENA est positive. Pour le reste, nous continuons de penser que la politique du Gouvernement en la matière est tout à fait insuffisante.
Mais mon propos n’est pas celui-là, puisque la question qui nous est posée par ce texte porte moins sur la vocation de l’Agence que sur les conditions de sa création.
Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, car, pour que la France puisse participer à l’assemblée générale qui se tiendra les 4 et 5 avril prochain à Abu Dhabi, le Parlement doit bien sûr avoir ratifié les statuts de l’Agence, qui ont été adoptés en 2009.
Cette assemblée générale devra prendre des décisions fondamentales qui engageront le fonctionnement et l’avenir de l’Agence : élection d’un nouveau directeur général, élaboration du règlement et du régime linguistique de l’Agence, de son accord de siège et de ses ressources financières.
Le groupe CRC-SPG a de sérieuses réserves à émettre sur ces questions et des critiques à formuler sur la démarche suivie par le Gouvernement. Son attitude sur ces sujets a été ambiguë, et souvent contraire aux principes dont il se prévaut.
Ainsi, madame la ministre d’État, alors que le Gouvernement proclame l’importance de la francophonie pour l’influence et le rayonnement de notre pays dans le monde, nos représentants se sont peu battus pour obtenir que le français soit la langue de travail de l’Agence. C’est pourtant encore l’usage dans quelques grandes institutions internationales. En conséquence, l’anglais sera vraisemblablement la langue adoptée lors de l’assemblée générale.
Un autre point important concerne les relations que nous entretenons avec nos partenaires européens, et plus particulièrement avec l’Allemagne, au sein de ce qu’il est convenu d’appeler le « couple franco-allemand ».
Nous avons été très effacés pour soutenir l’Allemagne lors des discussions portant sur la localisation du siège. Il faut pourtant rappeler que c’est un grand scientifique allemand, Hermann Scheer, qui, dès les années quatre-vingt-dix, avait eu l’idée de proposer aux pays émergents d’élaborer un modèle énergétique de développement différent de celui des pays industrialisés. L’Allemagne avait ainsi quelque légitimité à revendiquer l’implantation de l’IRENA sur son territoire.
J’ajoute que la conception que se faisait Hermann Scheer d’une voie de développement dans laquelle les énergies renouvelables tiendraient un rôle majeur, pouvait être largement partagée chez nous et aurait dû être fermement soutenue.
Au lieu de cela, au nom de la realpolitik, et d’un pragmatisme souvent contraire à nos principes et à nos valeurs, des tractations diplomatiques peu honorables ont pris le pas sur nos principes.
Très concrètement, pour obtenir l’ouverture d’une base militaire dans les Émirats arabes unis et d’hypothétiques négociations sur le nucléaire civil, nous avons soutenu l’installation du siège de l’IRENA dans un pays pétrolier grand émetteur de C02.
Nous avons préféré nous allier aux États-Unis et à la Chine pour soutenir la candidature de ces émirats. Ces pays, ainsi que l’Australie et le Japon, sont aussi, il faut le savoir, de grands pollueurs qui freinent au maximum le saut vers les technologies des énergies renouvelables.
Le Président de la République, qui aime à se poser en champion d’une diplomatie des valeurs, a malheureusement donné là un mauvais exemple de fidélité aux principes qu’il affiche si volontiers.
Ce soutien de la France à l’implantation de l’IRENA à Abu Dhabi, au cœur de ce qu’il faut bien appeler un État féodal dictatorial, est une profonde rupture avec notre tradition de défense des droits de l’homme, du multilatéralisme et de la démocratie.
Pourtant, notre pays n’a tiré aucun bénéfice particulier de son soutien aux Émirats arabes unis, eux qui ont une vision si particulière du développement durable et une conception très critiquable des droits humains et du développement des sociétés.
La première directrice de l’Agence, de nationalité française, en a été la victime, puisqu’elle a été évincée de son poste par les autorités émiraties pour avoir tenu des propos leur ayant déplu, notamment sur la parité hommes-femmes au sein de cette organisation.
Cette succession de faits, qui sont autant de révélateurs des contradictions et des faux-semblants de l’action de la France à l’étranger, nous amènera à voter contre ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l’IRENA, créée lors de la conférence de Bonn en 2009, vise à promouvoir activement les énergies renouvelables au niveau international.
En effet, la prise de conscience que les énergies fossiles, notamment le pétrole, ne sont pas illimitées, entraîne la nécessaire promotion au niveau international des énergies renouvelables, c’est-à-dire des énergies inépuisables, comme l’énergie solaire, éolienne, marémotrice, etc.
La France, me direz-vous, n’est pas la première cible de l’IRENA, puisque notre pays a déjà pris conscience du phénomène de raréfaction des énergies fossiles, et a entrepris des efforts considérables en la matière.
Après le choc pétrolier, la France a accéléré son programme nucléaire, la technologie des énergies renouvelables n’étant pas encore au point à ce moment-là.
Aujourd’hui, notamment depuis le protocole de Kyoto et la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, la France et l’Europe ont pris un engagement fort en faveur de l’utilisation des énergies renouvelables.
Je rappellerai pour mémoire que la France, dans le cadre fixé par l’Union européenne, s’est engagée à réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à disposer de 20 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique, et à accroître son efficacité énergétique de 20 %.
Cependant, nombre de pays, moins favorisés, n’ont pas une politique aussi proactive en la matière, et dépendent encore fortement des énergies fossiles.
La problématique de la promotion des technologies en matière d’énergies renouvelables a provoqué un très large engouement, puisque 148 pays, auxquels s’ajoute l’Union européenne, ont signé les statuts de l’Agence.
Notons que ni la Russie, ni le Brésil, ni le Canada, ni la Chine n’ont signé les statuts. Quant aux États-Unis, ils ne les ont pas encore ratifiés.
La majorité des pays signataires sont dépourvus des ressources humaines et financières nécessaires au développement d’énergies renouvelables, ce qui montre l’opportunité de la création de l’IRENA, afin de stimuler au niveau international la diffusion des technologies indispensables à la promotion de ces nouvelles formes d’énergie.
Toutefois, avant de promouvoir au niveau international les énergies renouvelables, je trouverais intéressant que la France se livre à une sorte d’introspection de sa propre politique en faveur du développement des énergies renouvelables. Il suffit de mesurer l’écart existant entre l’ambition affichée pour cette promotion par le Gouvernement et la faiblesse des résultats pour s’apercevoir que la France est très loin d’être un bon exemple en la matière.
En effet, après l’engouement sur « le projet », la France a réalisé que sa mise en œuvre concrète avait un coût. Et, ces derniers mois, elle a détricoté les efforts consentis pour mener à bien son projet : après des baisses successives du prix de rachat de l’électricité produite à partir de l’énergie solaire, le Gouvernement a décrété la suspension de l’obligation de rachat de l’électricité photovoltaïque pendant trois mois pour les projets de plus de 3 kilowatts.
Plus grave encore que la suppression des aides au fonctionnement, le projet de loi de finances pour 2011 a supprimé les dispositifs d’aide fiscale à l’investissement dans le secteur photovoltaïque.
Plus incompréhensible encore, le Gouvernement français a enfoncé le clou pour les territoires d’outre-mer, et les ministères ont fait de manière désespérante la sourde oreille sur les propositions d’encadrement qui auraient permis de continuer à favoriser les énergies renouvelables, tout en les encadrant et en limitant les effets d’aubaine. J’avais ainsi proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances, une politique de quotas, d’agrément au premier euro et d’échelonnement de la baisse des tarifs… En vain !
Pourtant, le Président de la République s’était engagé très fortement en faveur du projet GERRI dans les territoires d’outre-mer, qualifiant l’île de la Réunion d’« absolument exemplaire ».
Il arguait : « Vous êtes le territoire de la République française qui a le pourcentage d’énergies renouvelables – près de 40 % – le plus important. Vous êtes un exemple ; vous n’êtes pas à la traîne, vous êtes en avance. Mais l’objectif que nous avons, c’est l’autonomie énergétique pour La Réunion d’ici à 2030. L’océan est là, le soleil également. S’il est bien des territoires qui peuvent être autonomes grâce au développement durable, ce sont bien les territoires ultramarins. »
La France joue donc les « Docteur Jeckyll et Mister Hyde », entre sa politique interne instable dévalant la pente de ses ambitions en matière d’énergies renouvelables, et la place qu’elle voudrait prendre au niveau international sur ce sujet. Mais quel rôle peut jouer la France au niveau international quand elle étrangle dans le même temps – je cite toujours le Président de la République – son « terrain privilégié d’innovation » en matière d’énergies renouvelables ?
En conclusion, mes chers collègues, j’indique que le groupe de l’Union centriste, malgré sa déception sur l’exécution de la politique relative aux énergies renouvelables en France, soutient fortement le projet d’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Il considère qu’au niveau international un projet aussi fort a besoin que des puissances économiques comme la France se montrent concernées par la question, et volontaires pour en favoriser la bonne exécution. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
Est autorisée la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) (ensemble une déclaration) signés à Bonn le 26 janvier 2009.
M. le président. La parole à M. René Beaumont, pour explication de vote.
M. René Beaumont. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la création de l’IRENA répond à une initiative prise par le Conseil mondial des énergies renouvelables en 2001.
En effet, face à la raréfaction des énergies fossiles et les pollutions que leur usage entraîne, il est primordial de définir un nouveau modèle énergétique pour les pays en voie d’industrialisation. Ce modèle devra être élaboré en tenant compte des choix passés, bons et moins bons, des pays industrialisés.
Initialement, l’agence avait pour mission la sécurisation de l’approvisionnement pétrolier. Aujourd’hui, son action est plus large, et nous nous en félicitons. Sa mission reposera sur deux grands axes : favoriser la sécurité énergétique, d’une part ; concilier le développement économique et les enjeux environnementaux, d’autre part.
Le projet de loi qui nous est soumis cet après-midi autorise la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, dont la première assemblée générale se tiendra les 4 et 5 avril prochain à Abu Dhabi.
Pour y participer, la France doit en avoir préalablement ratifié les statuts, adoptés à Bonn le 26 janvier 2009. Comme l’a évoqué M. le rapporteur, certains points devront être éclaircis et des problèmes « organisationnels » devront également être réglés.
La France est très mobilisée sur la scène internationale, tant sur les sujets environnementaux que sur les défis énergétiques auxquels les pays industrialisés doivent faire face.
C’est pourquoi, prenant en compte cette préoccupation, et au regard de l’investissement et des contributions financières de notre pays à l’agence, le groupe UMP votera ce projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 17 février 2011 :
De neuf heures à treize heures :
1. Proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne (n° 204, 2010-2011).
2. Proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir (n° 203, 2010-2011).
Rapport de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 278, 2010-2011).
À quinze heures :
3. Questions d’actualité au Gouvernement.
4. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
5. Proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009 879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (n° 65 rectifié, 2010-2011).
Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 294, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 295, 2010-2011).
6. Débat sur la demande de constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (n° 304, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART