M. Brice Hortefeux, ministre. Merci également d’avoir rappelé que vouloir réformer notre organisation territoriale, pour en corriger les faiblesses, c’est non pas affaiblir la décentralisation mais, au contraire, chercher à lui redonner du souffle !
J’ai bien noté votre attachement au mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui, comme cela a été souligné, est « simple et lisible » et permet de maintenir un « lien indéfectible entre un élu et son territoire ».
Comme vous l’avez également très clairement rappelé, s’agissant aussi bien des communes nouvelles, des métropoles que des intercommunalités, la réforme prend appui sur les communes, qui demeurent bien les cellules de base de notre organisation territoriale.
Merci de soutenir la réforme, c’est-à-dire le mouvement contre le statu quo. C’est bien là l’esprit de la décentralisation.
Monsieur Hervé Maurey, vous avez regretté le manque d’ambition du texte soumis en deuxième lecture au Sénat et vous avez appelé à des améliorations nécessaires sur plusieurs points, notamment le cumul, les compétences et les cofinancements.
Comme je l’ai dit hier, le Gouvernement envisage très favorablement plusieurs amendements que votre groupe et vous-même avez déposés en ce sens. Cette deuxième lecture nous offre l’occasion de progresser ensemble, peut-être même en confiance, vers un texte plus conforme à vos attentes.
Madame Bernadette Bourzai, vous avez estimé que l’avancée majeure de la décentralisation consistait à rapprocher les centres de décision des citoyens et des administrés. C’est bien cet objectif que vise la création des conseillers territoriaux qui seront donc, demain, les interlocuteurs uniques de l’ensemble des acteurs locaux, entreprises, élus et citoyens : il me semble que nous sommes bien au cœur de l’ambition décentralisatrice.
M. Jean-Pierre Chevènement nous a dit sa conviction que la meilleure formule pour l’élection du conseiller territorial était bien le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, et je l’en remercie. Je le remercie également de son soutien, assorti, il est vrai, d’un certain nombre de remarques critiques, à l’objectif d’achèvement de la carte de l’intercommunalité qui représente, en fin de compte, l’aboutissement du travail entamé, en 1999, avec la loi qui porte son nom.
Je m’associe à son souhait de voir cet objectif atteint à partir d’un dialogue, par définition exigeant, entre les préfets et les élus locaux. L’économie du texte qui est soumis au Sénat répond à ce vœu : il organise une procédure par étapes permettant un travail conjoint entre les préfets et les CDCI et, surtout, une concertation systématique des conseils municipaux et communautaires.
J’approuve également Jean-Pierre Chevènement quand il affirme que l’intercommunalité doit se construire non pas contre les communes, mais avec elles, et à leur profit.
Je remercie Dominique de Legge d’avoir souligné le caractère équilibré du texte soumis à l’examen du Sénat. Je partage totalement sa conviction selon laquelle « finaliser la carte de l’intercommunalité est le plus sûr moyen de pérenniser le fait communal et d’en optimiser les moyens ».
J’ai bien noté votre souhait, monsieur le sénateur, de ne pas précipiter les évolutions dans le domaine de l’intercommunalité et de laisser les élus disposer du temps nécessaire pour présenter des propositions en vue de l’élaboration du schéma de coopération intercommunale.
Je partage ce souci et c’est pour cette raison que nous défendons, avec Alain Marleix et Michel Mercier, le calendrier actuel du projet de loi, qui prévoit des étapes et des procédures très précises.
J’indique clairement à la Haute Assemblée que mes instructions aux préfets seront sans aucune ambiguïté : l’élaboration des schémas doit se dérouler dans la concertation, chacun doit être entendu, même s’il n’est jamais mauvais d’anticiper sur les diagnostics, les contacts et les éléments objectifs qui permettront d’éclairer le débat, le moment venu.
Madame Jacqueline Gourault, vous n’en serez pas surprise, même si votre intervention m’a paru un peu déséquilibrée (Sourires), je vous remercie d’avoir apporté votre soutien à l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires et, plus généralement, au volet intercommunal de la réforme, dont vous avez rappelé, à juste titre, le caractère très consensuel.
Sur le mode d’élection du conseiller territorial, j’ai bien entendu vos remarques, vos réflexions et vos analyses : nous aurons un débat sur ce sujet.
Après avoir beaucoup réfléchi et consulté, le Gouvernement, qui avait proposé un scrutin mixte, s’est rallié - c’est le mot - au mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
Le Gouvernement souhaite bien évidemment, comme vous, madame la sénatrice, que la Haute Assemblée, qui représente les collectivités territoriales, aux termes même de la Constitution, puisse jouer tout son rôle pour enrichir ce projet de loi.
L’Assemblée nationale a utilisé son droit d’amendement pour introduire de nouvelles dispositions électorales, en particulier le mode de scrutin et le tableau des effectifs des conseillers territoriaux. C’est désormais au Sénat de débattre et d’amender.
M. Jean-Pierre Sueur sait que je suis en désaccord avec lui quand il suggère que les conseillers communautaires soient élus au suffrage universel direct lors d’un scrutin autonome. Sa solution est respectable et son analyse intéressante, mais, si le Gouvernement a fait le choix du fléchage, c’est pour préserver la légitimité du maire et l’identité des communes, conformément, d’ailleurs, à la proposition n° 7 du rapport Mauroy, rédigé il y a une dizaine d’années déjà.
Selon M. Sueur, personne ne souhaitait la création du conseiller territorial, mais c’est oublier qu’elle correspond à une proposition essentielle du rapport Balladur, qui en comportait bien d’autres. Depuis plusieurs années, Jacqueline Gourault l’a d’ailleurs rappelé, cette idée est portée, entre autres, par la famille centriste
Monsieur Poncelet, je ne peux pas vous rejoindre lorsque vous affirmez que le conseiller territorial n’est pas représentatif du territoire. En réalité, nous le constaterons lorsque nous examinerons le tableau proposé par le rapporteur, le nombre des conseillers territoriaux prend en compte non seulement les réalités démographiques, mais également les spécificités des territoires. C’est pourquoi aucun département ne comptera moins de quinze conseillers territoriaux : la fixation de ce seuil répond à une demande forte, exprimée lors de la première lecture, émanant de parlementaires légitimement soucieux que le monde rural soit préservé, et même mieux représenté au sein de nos conseils régionaux : ce sera le cas, demain, dans certains départements.
Monsieur Jean-François Voguet, je voudrais vous rassurer : les ressources des collectivités territoriales sont garanties au travers de la réforme de la taxe professionnelle, cette année, mais également les années suivantes. Comme l’a jugé le Conseil constitutionnel en se prononçant sur la loi de finances pour 2010, l’autonomie financière des collectivités territoriales est garantie par notre réforme.
Monsieur Jean-Léonce Dupont, notre projet vise justement à développer une meilleure synergie entre communes et intercommunalités, reprenant en ce sens les dispositions qui figuraient dans l’avant-projet de loi sur la modernisation de la démocratie locale, présenté par Alain Marleix en 2009.
Concernant les métropoles, le statut d’EPCI, pour lequel nous avons opté, permet à la métropole de se développer en harmonie avec son département et sa région d’implantation, car les transferts de compétences reposent, pour l’essentiel, sur des accords conventionnels. En effet, j’en suis tout aussi convaincu que vous, les métropoles doivent se construire non pas contre les départements et les régions, mais avec eux.
J’ai bien noté les observations de Mme Dominique Voynet sur le rapport Balladur, dont elle partage le constat. Je note également que nous avons au moins un point d’accord sur l’achèvement de l’intercommunalité. Sur le reste, en réalité, Mme Voynet se fait l’avocate du statu quo.
Madame Joissains, je vous remercie d’avoir souligné que la réforme était « nécessaire et urgente » pour rendre notre organisation territoriale plus performante et plus efficace. Je voudrais vous rassurer : aucune disposition de ce projet de loi ne porte atteinte au rôle du maire, incontournable, notamment en matière d’aménagement de l’espace et d’urbanisme, en particulier au sein des métropoles.
Contrairement à ce qu’a affirmé M. François Rebsamen, le Gouvernement n’a en rien renoncé à l’ambition qui sous-tend ce projet de loi.
Je confirme que nous souhaitons bien restructurer notre organisation territoriale autour de deux pôles : un pôle regroupant communes et intercommunalité, qui fait d’ailleurs l’objet d’un consensus, comme l’a souligné M. Rebsamen, et la création d’un pôle regroupant les départements et la région : comme toutes les innovations, celle-ci suscite bien évidemment un débat ; qui pourrait s’en étonner ?
D’ailleurs, M. Rebsamen l’a avoué, très directement et très simplement, sa position est claire : il faut laisser les choses en l’état et surtout ne rien changer ! Telle n’est précisément pas la position du Gouvernement.
Je remercie Jean-Paul Virapoullé d’avoir soutenu le choix du Gouvernement de déposer un amendement rétablissant le scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Il a par ailleurs parfaitement rappelé le droit, en précisant que l’application du projet de loi ne revient pas, sur le plan juridique, à créer, à la Réunion et en Guadeloupe, une assemblée unique, au sens de l’article 73 de la Constitution, puisque les deux assemblées resteront juridiquement distinctes en tant qu’organes délibérants de deux personnes publiques différentes.
La réforme entraîne encore moins la création d’une collectivité unique, dans la mesure où le département et la région conserveront leurs compétences respectives.
Cette précision me permet également de répondre à Mme Gélita Hoarau.
Monsieur François Patriat, vous affirmez que ce projet de loi ne sera pas source de simplification et vous vous demandez comment fonctionnera le pôle département-région : précisément grâce à la création d’un nouvel élu local, le conseiller territorial, qui siégera à la fois au sein du conseil général et au sein du conseil régional !
Pourquoi refuser a priori de faire confiance à un élu qui sera proche du territoire, et qui, avec bon sens, cherchera en permanence la complémentarité entre ces deux collectivités territoriales : à la région la stratégie, au département la proximité ?
Ce mandat appartiendra aux femmes et aux hommes qui l’exerceront demain. Pourquoi refuser ce pari audacieux qui revient, finalement, à faire confiance aux élus locaux eux-mêmes pour clarifier, simplifier et mieux articuler les compétences des différentes collectivités ?
Monsieur Philippe Dallier, vous avez soulevé une question récurrente, celle de l’application du dispositif des pôles métropolitains à la région parisienne, et je sais que vous avez déposé deux amendements sur ce point. Le Gouvernement est favorable à une évolution de son texte sur ce sujet, car le pôle métropolitain n’est pas un outil adapté à l’Île-de-France, et je pense que le débat permettra de préciser davantage le dispositif.
Monsieur Gérard Collomb, je vous remercie d’avoir souligné tout le travail d’écoute, de dialogue et de concertation accompli par les uns et les autres : dans votre empressement, vous avez oublié de mentionner le rôle du Gouvernement, sans doute par pudeur et par réserve, mais j’ai bien senti que vous brûliez de lui rendre hommage ! (Sourires.)
Une concertation a eu lieu, notamment avec les grandes associations d’élus. Pourquoi ne pas le reconnaître, vous avez vous-même directement influencé la rédaction de certaines dispositions du projet de loi, sur les métropoles, les pôles métropolitains et l’intercommunalité.
M. Dominique Braye. On l’a bien senti !
M. Brice Hortefeux, ministre. Reste la question du conseiller territorial, sur laquelle j’assume la différence qui nous sépare de l’opposition. Oui, nous souhaitons faire le pari de la confiance dans ce nouvel élu !
Vous estimez que le fonctionnement de cette nouvelle organisation serait assez bizarre, car, les présidents de conseils généraux siégeant de fait au sein de l’assemblée régionale, vous y voyez un risque de blocage, et vous craignez que la préoccupation départementale ne l’emporte sur la préoccupation collective régionale. Mais prenez l’exemple des communautés d’agglomération : le président de la communauté défend-il exclusivement l’intérêt de sa propre commune ? Non, évidemment ! Je ne vois donc pas pourquoi un mode d’organisation valable dans un cas, et qui a fait ses preuves, ne le serait pas dans le schéma que nous vous proposons.
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas la même situation !
M. Jean-Jacques Mirassou. Non, en effet !
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Braye, je vous remercie d’avoir aussi chaleureusement souligné le volontarisme des dispositions relatives à l’intercommunalité. Comme vous, je pense que ce texte marquera une étape importante du développement de l’intercommunalité, dans le respect des communes qui demeurent, selon votre formule, « les chevilles ouvrières » de notre organisation territoriale collective.
Comme vous l’avez souligné, à l’issue de la première lecture, le Sénat et l’Assemblée nationale sont parvenus à un équilibre assez satisfaisant. Les demandes qui s’étaient exprimées sur ces travées pour faire évoluer le calendrier ont été entendues, pour l’essentiel, et prises en compte. Le texte issu de l’Assemblée nationale fixe au 30 juin 2013 la fin de la période transitoire, soit six mois avant la date proposée par le Gouvernement.
Il me semble que nous avons atteint un point d’équilibre, et j’observe que votre commission des lois y souscrit.
Je voudrais notamment appeler votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur un point : le calendrier doit rester cohérent avec l’ambition forte de ce projet de loi, que vous souhaitez préserver, et avec les étapes indispensables de concertation et de codécision que le processus comporte ; des délais incompressibles de consultation des conseils municipaux, des organes délibérants des intercommunalités et des CDCI sont fixés dans le texte.
En raccourcissant les délais, nous prendrions le risque, me semble-t-il, d’affaiblir la concertation ou de réduire la durée des consultations, ce qui serait certainement une nouvelle source de débat.
Monsieur Daudigny, comme vous, nous sommes soucieux des territoires ruraux. J’en veux pour preuve le fait que le Gouvernement, sous l’égide de Michel Mercier, a récemment lancé les Assises des territoires ruraux et un nouvel appel à projets pour les pôles d’excellence rurale. En outre, en confortant l’intercommunalité en milieu rural, nous confortons concrètement les communes. Enfin – je l’ai déjà dit, mais il semble qu’il faille se répéter ! –, le conseiller territorial sera incontestablement un élu de terrain.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais apporter à l’occasion de ce débat, qui fut intéressant et constructif. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Demande de réserve
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. En vertu de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, la commission des lois demande la réserve, jusqu’au début du titre V, de l’examen des amendements nos 82, 83, 304, 305, 306, 308, 318 rectifié, 319 rectifié, 320 rectifié, 307 rectifié, 310 et 311, ainsi que des articles et de l’intégralité des amendements portant sur le chapitre Ier, à savoir les articles additionnels avant l’article 1er AA, l’article 1er AA, les articles additionnels après l’article 1er AA sauf l’amendement n°321, l’article 1er A, l’article additionnel avant l’article 1er B, l’article 1er B, les articles additionnels après l’article 1er B, les articles additionnels après l’article 1er, l’article 1er bis, l’article 1er ter, l’article 1er quater, l’article 1er quinquies et l’article additionnel après l’article 1er ter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Avis favorable, monsieur le président.
M. Bernard Frimat. Certes, monsieur le président, la réserve est de droit dès lors que le Gouvernement a accepté la demande présentée par la commission, je n’entends absolument pas le contester. Sur le plan réglementaire, tout est parfait. Nous admirons d’ailleurs la spontanéité de la démarche…
Cependant, pour l’heure, nous ne sommes pas en possession des amendements, ce qui ne nous permet pas de décoder le message chiffré délivré par M. Hyest. Pourriez-vous, monsieur le président de la commission des lois, nous en donner brièvement la traduction, à nous qui sommes des esprits simples et n’avons pas pris part au chiffrage ? (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cette demande de réserve porte sur tous les articles et amendements concernant l’élection des conseillers territoriaux. Ils sont tous liés au chapitre Ier du titre Ier du projet de loi. J’ai dû en donner une liste précise, car un certain nombre d’amendements de caractère général, tendant à créer, par exemple, des articles additionnels sans lien avec cette question, ont été déposés à ce chapitre et pourront être examinés sans délai.
M. Bernard Frimat. La négociation n’est donc pas finie…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne s’agit pas de cela ! Les propositions sont si nombreuses, diverses et riches dans ce domaine, notamment sur la parité, qu’il est encore nécessaire que nous réfléchissions un peu pour tenter de trouver des solutions.
M. le président. Je suis saisi, par MM. Mézard, Collin, Baylet, Chevènement et Alfonsi, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, d'une motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, de réforme des collectivités territoriales (n° 560, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la motion.
M. Jacques Mézard. Messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, nous vous voyons souffrir… Par cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, nous souhaiterions abréger vos souffrances ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. Lors du débat en première lecture, j’avais fait remarquer que, si vous ne saviez pas où vous alliez, vous saviez du moins comment y aller. J’étais peut-être un peu flatteur…
S’il est un dossier sur lequel le débat d’idées devrait déboucher sinon sur un consensus, au moins sur des réformes largement partagées, c’est bien celui des collectivités territoriales.
S’il est un dossier sur lequel la voix du Sénat, grand conseil des communes de France, devrait être entendue, c’est bien celui des collectivités territoriales.
Or, qu’avons-nous sous les yeux ? Un texte qui divise manifestement la majorité, un texte qui fédère au-delà de l’opposition, dans l’expression d’un rejet révélateur, un texte dont le cheminement chaotique fut pour le moins, à ce jour, peu respectueux de la Haute Assemblée !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. Affirmer, monsieur le ministre de l’intérieur, que l’Assemblée nationale a globalement repris les propositions du Sénat nous paraît hasardeux ou très optimiste, voire un peu malicieux.
Certes, la France est une nation difficile à réformer – elle l’est encore plus dans de telles conditions –, mais l’expérience nous montre que c’est possible. Jean-Pierre Chevènement en a fait la démonstration avec la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, fruit d’une forte volonté politique accompagnée d’un sage pragmatisme.
Était-il raisonnable et juste d’engager le débat en faisant le procès d’élus trop nombreux, trop coûteux, en indiquant que le chevauchement des compétences faisait perdre 20 milliards d’euros, en affirmant que la suppression de coquilles vides – il en existe, c’est vrai –, notamment dans les syndicats mixtes, permettrait des milliards d’euros d’économies ? S’agissant de ce dernier point, nous attendons encore une démonstration.
Voilà quelques mois, le site internet du ministère de l’intérieur justifiait la réforme des collectivités territoriales par la nécessité de maîtriser la dépense publique, dans l’esprit de la révision générale des politiques publiques. Oui, des économies peuvent et doivent être réalisées, mais la gestion des collectivités par les élus locaux, de toutes sensibilités, ne s’apparente pas au remplissage du tonneau des Danaïdes ! L’État est-il vraiment le mieux placé pour donner des leçons de bonne gestion ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Jacques Mézard. Était-il raisonnable d’engager cette réforme sans l’avoir fait précéder d’un bilan de la décentralisation, chère à notre collègue Edmond Hervé ?
Même si certaines dispositions, en particulier celles qui sont relatives à l’intercommunalité, nous paraissent positives, c’est une réforme qui, globalement, ne satisfait aujourd’hui personne et dont les promoteurs évitent de dévoiler clairement les vrais objectifs : imposer aux collectivités une cure de rigueur, mettre en œuvre une révision générale des politiques publiques indirecte, pratiquer l’ « évaporation » du département préconisée par MM. Balladur et Copé sans l’écrire dans le texte, pour parvenir finalement – telle est la réalité, nos collègues François Patriat et Gérard Collomb l’ont très bien dit – à fragiliser la région, dissoudre les communes dans les communes nouvelles sans l’afficher, transférer l’impôt local économique vers l’impôt sur les ménages…
Un projet de loi dont on tente de cacher les objectifs en les fondant dans un brouet juridique ne saurait être fondateur. Des textes mettant la charrue avant les bœufs ne sauraient annoncer une bonne récolte.
Nous sommes en effet en présence d’une construction étrange au pays de Descartes.
On nous a soumis d’abord un projet de loi relatif à la concomitance d’élections, sans que l’on sache alors précisément de quelles élections il s’agissait. Puis, l’article 2 de la loi de finances pour 2010 a consacré la suppression de la taxe professionnelle, cadeau de Noël pour le MEDEF, mais véritable saut dans l’inconnu quant aux ressources futures de nos collectivités. Quant à la clause de revoyure, qui a motivé nombre de votes sur la loi de finances, force est de constater que nous sommes de la revoyure : il n’y a rien à voir !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. Deux textes ont ensuite été déposés, le projet de loi n° 60 de réforme des collectivités territoriales et le projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, et un autre, relatif aux compétences, a été annoncé un an plus tard.
C’est selon ce programme législatif que l’on nous a fait voter le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Or, en réalité, il n’a pas été respecté, ce qui est loin d’être neutre.
N’éludons pas les problèmes ! Sur la question du mode de scrutin, le RDSE est unanimement favorable au scrutin uninominal à deux tours, avec un seuil abaissé, parce que c’est le moyen de dégager des majorités solides, de privilégier un lien entre l’élu et le territoire, et aussi, disons-le, de permettre l’émergence de personnalités de qualité.
Cette conviction ne nous transformera en supplétifs de quiconque. Affirmer notre préférence pour le scrutin uninominal à deux tours, avec élargissement de l’accès au second tour, c’est tout simplement exprimer notre attachement à des convictions sur lesquelles nous n’avons pas varié.
L’absence de clarté aboutit aujourd’hui à une situation dont personne ne sortira gagnant. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire l’argumentation présentée lors de la première lecture par M. Mercier pour s’opposer au scrutin uninominal.
M. Gérard Collomb. Qu’a-t-il encore fait ?
M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, je vous conseille vivement cette lecture : nous y reviendrons dans les prochains jours !
J’avais indiqué, en première lecture, que l’amendement du groupe de l’Union centriste tendant à introduire l’article 1er A était un sirop pour faire avaler la pilule à ceux qui toussaient.
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. Jacques Mézard. Passée la douceur immédiate du sucre, ceux-ci risquent de s’étouffer dans l’amertume ou, peut-être, les hoquets ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Pourquoi avons-nous déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le fondement de l’article 44 du règlement du Sénat ?
Notre groupe est en général économe de ce type de démarche. Si nous y avons recouru, c’est que nous considérons que, tant sur la forme que sur le fond, le Sénat a été privé du rôle fondamental qui lui revient dans l’examen de tout texte relatif aux collectivités locales. La version du projet de loi qui nous est soumise aujourd’hui constitue une innovation juridique portant atteinte à la mission du Sénat de la République.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Le président Larcher, lors du déplacement de la mission Belot à Bordeaux, le 26 janvier 2009, soulignait la responsabilité particulière du Sénat, « maison des territoires ».
M. Roland Courteau. Il fallait le mentionner !
M. Jacques Mézard. Or qu’est-il advenu du travail consensuel de la mission Belot-Krattinger-Gourault ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Rien !
M. Jacques Mézard. Il a été torpillé la veille de l’arrivée au port par l’annonce de la création du conseiller territorial, rejetée par la majorité des membres de la mission, laquelle s’était prononcée en faveur d’une coordination des principaux responsables des politiques territoriales.
Le rapport de la mission sénatoriale mettait en exergue des axes susceptibles de recueillir un large consensus : achèvement de la carte intercommunale, développement des compétences des intercommunalités, création d’un nombre restreint de métropoles, promotion des regroupements volontaires de collectivités, respect de la capacité d’initiative des différentes collectivités. À cela s’ajoutaient autonomie fiscale, péréquation et révision des valeurs locatives. Voilà de beaux sujets de consensus !
M. Roland Courteau. C’est parfait !
M. Jacques Mézard. Mais en première lecture fut introduit aux forceps le conseiller territorial, être hybride dont aucune association d’élus, ni d’ailleurs aucun parti politique, n’a réellement revendiqué la paternité.
M. Roland Courteau. C’est un OVNI !
M. Jacques Mézard. Dois-je rappeler que, lors des débats de la première lecture, sauf pour l’amendement présenté par M. About, le Gouvernement a écarté toute discussion sur le mode de scrutin ou sur le nombre de conseillers territoriaux ? Ces questions devaient être l’objet du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Le Sénat ne devait donc pas aborder ces sujets, sur lesquels il fut impossible d’obtenir du Gouvernement la moindre précision : le tableau n’existait pas ; il a néanmoins fait une apparition miraculeuse à l'Assemblée nationale…
Sur les compétences des compétences territoriales, objet de l’article 35, nous avons entendu le même discours : dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, un texte devait préciser la répartition des compétences entre les régions et les départements, ainsi que les règles d’encadrement du cofinancement.
Le mode d’élection du conseiller territorial et la répartition des compétences constituent deux éléments fondamentaux de la réforme, mais le Sénat n’a pas été admis à débattre en première lecture. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
En revanche, devant l’Assemblée nationale, le discours fut différent. Celle-ci a eu le privilège de voir surgir des amendements du Gouvernement relatifs au mode de scrutin, au tableau des conseillers territoriaux et des conseillers communautaires. Exeunt le projet de loi n° 61 et celui sur les compétences : tous deux furent phagocytés, victimes de l’appétit des députés.
Entre la première et la deuxième lecture, le présent texte a donc absorbé en grande partie deux autres projets de loi. Le Sénat se voit ainsi privé d’une double lecture sur deux points essentiels de la réforme.
M. Roland Courteau. C’est très regrettable !
M. Jacques Mézard. Cela n’est pas neutre. L’article 44 de la Constitution dispose que « les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement », et l’article 39, alinéa 2, précise que, « sans préjudice du premier alinéa de l’article 44, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ».
Sur le plan technique, l’application au droit d’amendement de la règle dite « de l’entonnoir », dégagée par le Conseil constitutionnel, conduit en principe à ce que ce droit puisse s’exercer pleinement dès la première lecture.
Certes, cette interprétation est en harmonie avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel – je vous renvoie à la décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006 –, mais cette dernière sert principalement à censurer, y compris d’office, les cavaliers législatifs.
En l’espèce, les amendements dont il s’agit ne sont pas des cavaliers, car ils ont un lien avec le texte, mais une telle méthode, si elle était considérée comme recevable, aboutirait à dénaturer le processus législatif…
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. … et à vider de son contenu l’article 39 de la Constitution, sans aucun égard pour les prérogatives du Sénat. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
Ces amendements constituent un détournement de procédure.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jacques Mézard. De plus, leur introduction par le Gouvernement à l’Assemblée nationale s’est opérée sous l’empire de l’article 88 du règlement de celle-ci, qui permet à la commission saisie au fond de se réunir en urgence pour examiner des amendements de dernière minute. Ladite commission n’a ainsi disposé que de dix minutes pour procéder à cet examen. Il s’agit là d’une atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats dégagé par le Conseil constitutionnel.
Mme Nathalie Goulet et M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Jacques Mézard. Pour nous, les questions touchant au mandat du conseiller territorial et à l’organisation des compétences des collectivités territoriales devaient initialement faire l’objet de textes législatifs distincts. Les articles en cause, introduits par le biais d’amendements gouvernementaux, auraient dû trouver place dans un projet de loi distinct, le cas échéant par voie de lettre rectificative.
Cette situation soulève un problème de principe : si le Sénat rejette la rédaction de l’Assemblée nationale et que, après la commission mixte paritaire, le dernier mot revient à nos collègues députés, il s’agira d’une première depuis 1983 et, surtout, depuis la révision constitutionnelle de 2003, pour une réforme d’ampleur relative aux collectivités territoriales.
Mme Françoise Laborde. C’est grave !
M. Jacques Mézard. C’est pourquoi il est important que le Sénat adopte notre motion, afin d’étouffer dans l’œuf ce qui constituerait un précédent particulièrement désastreux, violant incontestablement l’esprit de la Constitution. (Marques d’approbation sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Par le vote de cette motion, ceux qui, sur diverses travées de la Haute Assemblée, se sont largement exprimés contre l’économie générale du présent texte permettront au Gouvernement de remettre son ouvrage sur le métier, car nos collectivités locales méritent mieux que la confusion d’un texte de circonstance.
Je confirme les propos que j’avais tenus en première lecture, lors de la discussion générale : messieurs les ministres, nous devons vous empêcher de fabriquer un nouveau millefeuille, avec plus de couches, mais beaucoup moins de sucre ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le souci exprimé par les auteurs de cette motion est précisément celui qui avait conduit la commission des lois à supprimer, sur la proposition de son président, M. Jean-Jacques Hyest, dans le texte qu’elle a élaboré en vue de l’examen en séance publique, les articles 1er A, 1er bis, 1er ter, 1er quater, 1er quinquies et, par coordination, les articles 36 B et 36 C.
En effet, la commission des lois a affirmé sa volonté de protéger les prérogatives du Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales. Aussi a-t-elle souhaité que celui-ci puisse examiner en priorité le mode de scrutin des conseillers territoriaux. C'est la raison pour laquelle le texte aujourd’hui soumis à la Haute Assemblée, tel qu’il ressort des travaux de la commission, respecte la structure du projet de loi initialement déposé sur le bureau du Sénat.
Cependant, au cours de sa réunion du 28 juin dernier, la commission a été saisie de trois amendements du Gouvernement et a donc été conduite à reconsidérer cette question dans ce contexte nouveau. Elle a décidé d’émettre un avis favorable sur les propositions du Gouvernement, et non pas sur celles de l'Assemblée nationale. Ce faisant, les pouvoirs du Sénat sont préservés, car il sera amené à se prononcer sur les amendements du Gouvernement.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?