M. Michel Mercier, ministre. La motion que vous venez de présenter, monsieur Mézard, tend à opposer l’exception d’irrecevabilité, dont l’objet, selon l’article 44 du règlement du Sénat, est de « faire reconnaître que le texte en discussion […] est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire ».
À l’appui de cette motion, vous soulevez deux arguments.
Premièrement, vous estimez que le texte soumis en deuxième lecture au Sénat comporte des dispositions nouvelles que le Gouvernement s’était initialement engagé à insérer dans des projets de loi distincts. Or vous considérez que ces nouveaux articles modifient de façon substantielle l’économie générale du texte et qu’ils auraient dû, par conséquent, faire l’objet d’une lettre rectificative.
Je ne peux vous suivre sur ce point.
Il est vrai que l'Assemblée nationale a introduit, par voie d’amendements, deux séries de dispositions qui ne figuraient pas dans le texte voté par le Sénat en première lecture. Elle a supprimé l’article 1er A, qui avait été introduit en première lecture par le Sénat, et a voté plusieurs dispositions à caractère électoral ayant trait au conseiller territorial. Elle a également transformé l’article 35 en plusieurs articles qui déclinent juridiquement les principes contenus dans cet article, jusqu’alors dénués de portée normative.
Dans les deux cas, il n’y a pas eu de bouleversement de l’économie générale du projet de loi, puisque l'Assemblée nationale s’est appuyée sur des dispositions qui figuraient dans le texte qui lui avait été transmis par le Sénat, à savoir celles des articles 1er A et 35. Elle n’a fait qu’utiliser le droit d’amendement que lui confère le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, qui dispose que « les membres du Parlement […] ont le droit d’amendement ».
La jurisprudence du Conseil constitutionnel et, tout récemment, le pouvoir constituant ont eu l’occasion d’encadrer précisément ce droit d’amendement.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ainsi modifié l’article 45 de la Constitution, qui dispose désormais que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Cette modification constitutionnelle consacrait en réalité l’état de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel.
Or je crois que nous pourrons convenir ensemble que les amendements introduits à l’Assemblée nationale en première lecture n’étaient pas dépourvus de tout lien, même indirect, avec le projet de loi.
Deuxièmement, monsieur Mézard, vous estimez que les dispositions introduites en première lecture par l’Assemblée nationale ont pour objet principal l’organisation des collectivités territoriales et que, par conséquent, elles auraient dû être soumises d’abord au Sénat, selon les termes du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ».
Le Gouvernement a pleinement respecté cette obligation constitutionnelle, puisqu’il a déposé sur le bureau du Sénat, au cours du mois d’octobre 2009, les quatre projets de loi que vous avez mentionnés.
Mais surtout, il faut lire l’article 39 de la Constitution, auquel vous vous référez, dans son intégralité. Son deuxième alinéa dispose ainsi que « sans préjudice du premier alinéa de l’article 44 – c’est-à-dire du droit d’amendement des membres du Parlement –, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». L’Assemblée nationale était donc tout à fait en droit d’introduire les dispositions en question par voie d’amendements, dans les limites constitutionnelles que je viens de rappeler. (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme.)
Monsieur le sénateur, je vois que je vous ai convaincu…
M. Jacques Mézard. Pas du tout ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, ministre. Mon argumentation se fonde pourtant exclusivement sur le texte de la Constitution, qui s’impose à nous tous. Les droits du Parlement, notamment celui d’amendement, dont vous êtes l’un des plus farouches défenseurs, ont été parfaitement respectés. En conséquence, il n’y a pas lieu de prononcer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, parce que ce projet de loi de réforme des collectivités territoriales pose autant de problèmes constitutionnels, sinon davantage, que lors de la première lecture, mon groupe soutient la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Avant d’exposer les différents motifs qui nous ont conduits à adopter cette position, je voudrais évoquer l’ordonnancement de nos débats.
Le nouveau mode d’examen des projets de loi issu de la révision constitutionnelle pose problème pour la discussion générale et les motions de procédure. En effet, le texte adopté en séance publique peut être sensiblement différent de celui de la commission, où la majorité, pour des questions de circonstances, a pu être mise en minorité.
En l’occurrence, le cas des dispositions relatives au mode de scrutin est parlant. En effet, la commission a vidé de son contenu le chapitre Ier du projet de loi, rendant même improbable la survie, en l’état, du conseiller territorial.
Mais, de toute évidence, la majorité reviendra à la charge en séance publique et ramènera à la raison les récalcitrants. Le vote par la commission d’un amendement gouvernemental allant dans ce sens en est le signe précurseur.
Or, le mode de scrutin adopté à l’Assemblée nationale soulève un problème important de constitutionnalité, puisque sont foulées aux pieds des dispositions majeures, notamment celles qui sont relatives à la parité et au respect de celle-ci pour les fonctions électives.
Alors que, grâce à la proportionnelle, les femmes représentent aujourd’hui la moitié des élus régionaux, elles risquent, avec l’application des modes de scrutin que vous nous proposez – variant au fil de négociations qui, visiblement, ne sont pas closes –, de quasiment disparaître.
C’est la parité que vous remettez en cause (Protestations sur les travées de l’UMP),…
M. Roland Courteau. Elle a raison !
Mme Éliane Assassi. … et il ne suffit pas, monsieur le ministre, pour prévenir un danger dont vous êtes conscient, de s’en remettre à l’application de pénalités financières supposées dissuasives. Chacun sait ici que les grands partis n’en tiennent pas compte. Leur comportement en cela est analogue à celui de certains maires qui, dans un autre registre, refusent obstinément de respecter la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains et préfèrent payer des amendes plutôt que de construire des logements sociaux.
Ayant déjà exposé les différents motifs d’inconstitutionnalité du texte lors de la première lecture, je me contenterai de les rappeler très brièvement.
Tout d’abord, le principe de la libre administration des collectivités territoriales est bafoué. Comment ne pas voir que ce projet de loi organise les tutelles de l’État sur les collectivités et d’une catégorie de collectivités sur une autre ?
Point par point, article par article, le texte met en cause la libre administration des collectivités territoriales. La soumission des communes et des départements aux futures métropoles est symptomatique. Comment peut-on encore parler de libre administration des communes lorsque le projet de loi contraint leur budget et supprime la clause de compétence générale ? Sur ce point également, il viole la Constitution.
Certains avaient soutenu, lors de la première lecture, que cela n’était pas en soi anticonstitutionnel. Je trouve cet argument bien court, voire fallacieux, car, qu’on le veuille ou non, c’est la libre administration des communes telle qu’elle est définie par l’article 72 de la Constitution qui est attaquée.
Mes chers collègues, sans compétence générale, la collectivité n’est qu’un établissement public. Rappelez-vous : c’est l’exercice de la compétence générale qui a donné aux régions le caractère de collectivité territoriale.
Enfin, la forme que prend l’examen de ce projet de loi revêt une inconstitutionnalité manifeste, qui a été soulignée par les auteurs de la motion.
L’article 39 de la Constitution, qui pose clairement que le Sénat examine en premier lieu les projets de loi relatifs aux collectivités territoriales, n’a pas été respecté, puisque l’Assemblée nationale a inséré par voie d’amendements l’essentiel du contenu de deux projets de loi relatifs l’un au mode de scrutin, l’autre à la répartition des compétences.
On le voit, le Gouvernement – je pourrais dire l’UMP, puisque l’un est fondu dans l’autre – veut adapter la Constitution à ses objectifs politiques immédiats – la reconquête des institutions locales – et de long terme, en imposant la loi du marché aux territoires.
M. Roland Courteau. C’est très clair !
Mme Éliane Assassi. Pour notre part, nous refusons un tel coup de force. Nous voterons donc la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à ce texte, qui s’attaque à l’un des verrous démocratiques essentiels de notre pays : la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe socialiste votera la motion présentée par M. Mézard.
Nous ne partageons pas la lecture et l’analyse que le Gouvernement fait des dispositions de la Constitution, mais nous n’entrerons pas maintenant dans un débat juridique.
L’article 39 de la Constitution est très clair : il revient au Sénat d’examiner en premier lieu les projets de loi relatifs aux collectivités territoriales. Or, force est de constater que tel n’a pas été le cas en l’occurrence, pour des raisons diverses liées aux conditions du débat politique, aux négociations menées au sein de la majorité, aux positions prises par la commission des lois ou par notre assemblée.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas une interprétation, c’est un fait incontournable : ce texte n’a pas été soumis en premier lieu au Sénat.
C’est une des raisons pour lesquelles cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité nous semble pertinente.
Au-delà de cet aspect constitutionnel, on a pu constater, tout au long des discussions, de profondes évolutions du texte au regard des objectifs affichés initialement par le Gouvernement, au point qu’une poule n’y retrouverait pas ses petits, comme aurait dit ma grand-mère. (Sourires.)
Par exemple, on ne sait plus si vous voulez ou non que le conseiller territorial soit élu au scrutin majoritaire avec une dose de proportionnelle. Les négociations continuent et, in fine, comme l’a très bien expliqué M. Mézard, ce texte débouchera sur la création d’un nouveau millefeuille territorial,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Didier Guillaume. … qui sera peut-être plus complexe encore que le précédent.
L’architecture territoriale actuelle ne semble poser de problème à personne, pas plus que les cofinancements, qui permettent notamment aux petites communes de réaliser des équipements. Si l’on supprime les cofinancements, cela deviendra très compliqué !
M. Roland Courteau. Ce sera impossible !
M. Didier Guillaume. Vous avez modifié votre texte, vous avez consenti à des ouvertures, mais, pour notre part, nous pensons que, sur le fond, le compte n’y est pas. Le projet de loi que vous nous présentez va totalement bouleverser l’administration territoriale et ne correspond pas à l’intérêt des territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux.
Monsieur le ministre, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, nous ne pratiquons pas l’opposition systématique : nous sommes favorables à certaines évolutions, l’immobilisme ne nous paraissant pas souhaitable. Cependant, évoluer ne signifie pas, à nos yeux, revenir en arrière. Or la création du conseiller territorial constitue selon nous un véritable retour en arrière, dans la voie de la recentralisation. Une telle mesure marque la fin de la décentralisation telle que nous l’avons connue…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Didier Guillaume. … et le placement des communes sous la coupe d’une administration régionale qui les privera de leurs libertés.
Notre groupe votera donc cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une du groupe du RDSE, l'autre du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 240 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 178 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(M. Bernard Frimat remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bel, Sueur, Peyronnet et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 5, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, de réforme des collectivités territoriales (n° 560, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, poser la question préalable, en deuxième lecture, sur un tel sujet, ne manquera pas de susciter, dans les rangs de la majorité sénatoriale, une palette de réactions allant de l’incompréhension à l’accablement, en passant par l’hostilité franche !
Je comprends, chers collègues, votre hâte d’en finir, pour que les élus locaux, nos électeurs, aient le temps d’oublier avant les prochaines élections départementales et sénatoriales que c’est vous qui aurez voté ce texte…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. J’espère pourtant vous convaincre que votre réforme est si mal partie qu’il vaudrait mieux se donner le temps de la réflexion au lieu de se précipiter dans le mur en klaxonnant comme vous le faites.
De rapports en avant-projets, de projets de loi en projets de loi, de lectures au Sénat en lectures à l’Assemblée nationale, d’amendements gouvernementaux surprises en ravalements par les rapporteurs, d’amendements d’apaisement en amendements de complaisance, à la recherche d’une majorité toujours à trouver, la cathédrale façon Le Corbusier annoncée s’est transformée en chapelle du facteur Cheval.
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas gentil !
M. Pierre-Yves Collombat. C’en est fini de l’architecture futuriste, place à l’esthétique « nains de jardin » ! À entendre les orateurs qui m’ont précédé, je ne suis apparemment pas le seul à avoir ce sentiment.
Avant d’inaugurer le bâtiment, mieux vaut faire passer la commission de sécurité.
Première catégorie de malfaçons : les fissures de constitutionnalité.
Il était difficile d’en cumuler autant pour un même texte. Mme André a évoqué la parité, M. Mézard l’affaiblissement du rôle du Sénat. Pour ma part, je me limiterai à deux remarques.
Tout d’abord, comment, dans le cas des régions Alsace, Nord-Pas-de-Calais et Haute-Normandie, composées chacune de deux départements démographiquement inégaux, éviter la « tutelle » du plus peuplé, directement sur la région et indirectement sur l’autre département, ce qui est contraire à l’article 72 de la Constitution ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C’est déjà le cas !
M. Pierre-Yves Collombat. Si, comme le reconnaît M. Fabre-Aubrespy dans le numéro d’octobre-décembre 2009 de la Revue politique et parlementaire, « l’assemblée régionale est formée fondamentalement de la réunion des conseils généraux », peut-on dire que la région dispose d’un conseil propre ? Ne retourne-t-on pas à l’époque où le conseil régional, simple établissement public, était administré par des délégués des conseils généraux, la seule différence étant que, désormais, tous les conseillers généraux seront délégués ? C’est d’ailleurs ce qui semble nous être proposé au travers d’un certain nombre d’amendements.
Ensuite, renonçant à l’objectif initial de diminuer, par ordonnance, de 25 % les effectifs des conseils généraux, le Gouvernement a fait voter à l’Assemblée nationale le fameux tableau n° 7, repris dans le texte de la commission.
Il vise à limiter, pour le territoire métropolitain, les suppressions de sièges de conseiller général à 607 sur 3 974, voire à 498 si l’on considère qu’à Paris tous les conseillers généraux supprimés resteront en place en tant que conseillers municipaux. Selon le mode de calcul, la baisse des effectifs sera donc non pas de 25 %, mais de 12,5 % à 15 % : ce n’est pas vraiment révolutionnaire. D’ailleurs, par un ultime bricolage de notre rapporteur, on comptera 38 conseillers territoriaux de plus, et la baisse du nombre des conseillers généraux sera donc à tout coup inférieure à 15 %.
En revanche, les effectifs des conseillers régionaux, qui devaient initialement augmenter de 50 %, vont doubler !
Parmi les règles de fabrication, je mentionnerai celle-ci : pas de département comptant moins de quinze conseillers territoriaux. À cet égard, M. Mercier a déclaré, devant l’Assemblée nationale, que « la représentation moyenne de chaque département d’une même région s’inscrit en principe dans une fourchette de plus ou moins 20 % par rapport à la représentation moyenne des habitants par conseiller territorial à l’échelle de la région, fourchette en vigueur, après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour les circonscriptions législatives ». Vous ai-je correctement cité, monsieur le ministre ?
M. Pierre-Yves Collombat. Les principes constitutionnels d’« égalité des suffrages » et de « représentation essentiellement démographique » seraient ainsi, selon vous, respectés. Fort bien ! Sauf que demeurent quatre exceptions, que l’amendement de M. Courtois a plutôt tendance à accentuer : les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, la Lozère et la Meuse, qui – je cite encore M. Mercier –, « sinon, n’auraient pas eu quinze conseillers territoriaux ».
En effet, pour ne prendre que les deux départements alpins, un conseiller territorial des Alpes-de-Haute-Provence représentera 51 % d’habitants de moins que la moyenne régionale et un conseiller territorial des Hautes-Alpes 58 % de moins, un conseiller territorial des Bouches-du-Rhône représentant une population 2,9 fois plus importante que son collègue des Hautes-Alpes.
Le Conseil constitutionnel acceptera-t-il ces exceptions ? Je me garderai bien de trancher sur ce point !
Aux sénateurs, issus notamment des départements ruraux, qui se satisfont des quinze conseillers territoriaux promis, je pose cette question : et si le Conseil constitutionnel ne validait pas le choix gouvernemental d’un minimum de quinze conseillers territoriaux par département ? Il ne s’est pas privé, l’an dernier, de revenir sur le principe ancien d’un minimum de deux députés par département, dans une décision du 8 janvier 2009 : « Le maintien d’un minimum de deux députés pour chaque département n’est plus justifié par un impératif d’intérêt général susceptible d’atténuer la portée de la règle fondamentale selon laquelle l’Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ».
Rien ne dit, mes chers collègues, que le Conseil constitutionnel ne tiendra pas, s’agissant des conseillers territoriaux, le même raisonnement, dès lors qu’aucun élément objectif n’impose un minimum de quinze conseillers plutôt que de douze ou de dix et que la nouvelle répartition des conseillers régionaux constitue une régression, en termes d’égalité des suffrages, par rapport à la situation actuelle. Si le Conseil constitutionnel annule totalement ou partiellement le tableau qui nous est présenté, le Gouvernement n’aura pas d’autre possibilité que de se plier à cette décision. Les élus des départements concernés n’auront alors plus que les yeux pour pleurer.
Une deuxième catégorie de malfaçons tient à la mauvaise conception de l’édifice.
Par quelque bout que l’on prenne le problème, dès lors que l’on entend désigner par le même vote, fût-ce avec deux bulletins distincts, les élus régionaux et départementaux, le dilemme est le suivant : réduire au-delà du raisonnable les effectifs des élus de proximité là où ils sont le plus nécessaires, c’est-à-dire dans les zones rurales, et les augmenter exagérément là où ils le sont moins, à savoir dans les secteurs urbains.
Sans aucune garantie constitutionnelle, et après beaucoup d’hésitations, le Gouvernement a fait le second choix, au risque de rendre ingouvernables une majorité de conseils régionaux et quelques conseils généraux.
L’amendement Courtois représente un pas de plus dans cette direction. Aux termes du texte issu de l’Assemblée nationale, amendé sur l’initiative de notre rapporteur, les effectifs des conseils augmenteraient de 50 % à 90 % dans six régions, de 100 % à 150 % dans neuf, et de 150 % à 200 % dans quatre autres. L’Île-de-France arrive en tête du hit-parade, avec, selon les versions, 308 ou 309 conseillers territoriaux, suivie par les régions Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont le nombre de conseillers oscillerait respectivement entre 296 et 298, entre 255 et 262 et entre 224 et 226. À ces effectifs, il faudra ajouter un nombre équivalent de suppléants-remplaçants si la proposition que le ministre de l’intérieur nous a faite il y a quelques mois vient à être mise en œuvre.
Cet accroissement des effectifs représente évidemment des dépenses d’agrandissement d’hémicycles, de création de bureaux, ainsi que des coûts de fonctionnement alourdis, ce qui n’était pas, semble-t-il, l’objectif premier de la réforme.
Il représente surtout une formidable régression démocratique, des assemblées dont les effectifs défient à ce point le sens commun ne pouvant qu’être des chambres d’enregistrement. Cela est si vrai que, par un de ses amendements, le Gouvernement avait proposé, assez étrangement, que les commissions permanentes, qui, je le rappelle, se réunissent à huis clos, soient placées sur le même rang que les conseils eux-mêmes.
Si le conseil régional est, selon l’expression de M. Fabre-Aubrespy, une « réunion des conseils généraux », comment coopéreront les présidents de conseil général, qui sont donc les chefs d’une majorité départementale, et le président du conseil régional ?
Le conseiller territorial est censé, par sa seule existence, assurer la mise en cohérence des politiques départementales et régionales, mais la convergence des politiques suppose des cohérences de majorités. Alors que cela ne pose pas trop de problèmes aujourd’hui, tel ne sera plus le cas, selon moi, à l’avenir…
Une troisième catégorie de malfaçons est liée à la fragilité des fondations politiques de l’édifice.
Cela me permet de revenir sur la lecture que M. Marleix a faite hier de mon rapport d’information sur les modes de scrutin. Une telle lecture relève soit de la dyslexie, soit de la pure malhonnêteté intellectuelle. Personnellement, j’ai une préférence pour la seconde hypothèse…
En vérité, dès l’instant où l’élection du conseiller territorial est départementale, aucun mode de scrutin – scorporo à la française tel qu’initialement prévu ou scrutin majoritaire uninominal à deux tours – ne peut garantir, comme aujourd’hui, une majorité à la région.
De surcroît, plus le mode de scrutin assure une majorité départementale, ce qui est le cas de tous les scrutins avec prime majoritaire, plus il rend improbables les majorités régionales.
Cela est inéluctable, dès lors, comme le souligne encore M. Fabre-Aubrespy, que je ne me lasse pas de citer, que « nous sommes dans le cadre d’une juxtaposition d’élections départementales portant sur un petit nombre de sièges ».
Dans les régions, et il y en a beaucoup, où la coalition de la droite et celle de la gauche de gouvernement obtiennent des résultats électoraux proches, la majorité régionale risque de se trouver à la merci de formations qui, bien que très minoritaires sur l’ensemble de la région, disposeraient localement de bastions électoraux. Dans cette hypothèse d’un équilibre entre la droite et la gauche classiques, il pourrait très bien arriver que de telles formations – je pense bien sûr au Front national, mais aussi, dans ma région, à la Ligue du Sud, récemment créée sur un modèle italien – se trouvent maîtresses du jeu.
Ainsi, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, si la liste de la Ligue du Sud, emmenée par M. Bompard, maire d’Orange, a obtenu des résultats globalement faibles aux dernières élections régionales, elle a réuni 8,7 % des voix dans le Vaucluse et 36,6 % à Orange : si l’on ajoute les 11 % du Front national, on aboutit dans cette ville à un total de plus de 47 % des voix.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur le ministre de l’intérieur, un scrutin majoritaire ne garantit donc pas une majorité.
Si, à l’échelon départemental, le mode de scrutin qui a été choisi ne posera pas trop de problèmes, puisque c’est celui qui existe actuellement, le risque de déstabilisation des régions est considérable.
Enfin, une quatrième catégorie de malfaçons tient à la fragilisation de l’édifice par la construction d’une annexe sans communication avec le corps de bâtiment principal : je veux parler des métropoles.
M. Brice Hortefeux, ministre. Cela fait beaucoup de critiques, mais on n’entend aucune proposition ! Le néant !
M. Pierre-Yves Collombat. Des propositions, nous allons en faire, monsieur le ministre, un peu de patience ! Pour l’heure, souffrez que nous mettions l’accent sur les graves défauts de votre édifice, avant que vous ne l’inauguriez ! (Sourires.)
Les métropoles sont destinées à vampiriser départements et régions, sans que l’on sache comment s’articuleront les politiques et les responsabilités des uns et des autres. Qui assurera la coordination entre régions, départements et métropoles ? Ce ne sera pas les conseillers territoriaux élus dans les cantons métropolitains, puisqu’ils seront incompétents dans les domaines délégués par les régions et les départements à la métropole, ni les délégués métropolitains, puisqu’ils ne seront pas obligatoirement conseillers territoriaux.
Ainsi, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sera compétente en matière de développement économique, sauf pour les métropoles de Marseille, de Toulon et de Nice, voire d’Aix-en-Provence si sa communauté d’agglomération parvient à se hisser – je sais que certains y songent – au rang de métropole. Qui assurera la cohérence de l’ensemble ? Mystère !
Faudrait-il donc, mes chers collègues, balayer ces interrogations d’un revers de main au prétexte qu’il importe d’en finir le plus tôt possible avant les prochaines élections et que l’on verra bien à l’usage ? Ce serait faire courir un grand risque à nos collectivités, déjà aux prises avec des difficultés financières inédites.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose de remettre la totalité de l’ouvrage sur le métier et de prendre le temps d’un examen approfondi des conséquences d’une réforme qui a sombré progressivement dans la confusion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Les auteurs de la motion tendant à opposer la question préalable critiquent notamment l’institution du conseiller territorial, par le biais d’une double accusation contradictoire : ils préjugent de son rôle en lui reprochant par avance tout à la fois de « cantonaliser » la région et d’« éloigner » le département.
En réalité, nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises, le conseiller territorial servira l’intérêt général comme le font aujourd’hui l'ensemble des élus locaux.
Il portera tout à la fois les ambitions de la région et la compétence de terrain du département. Sa double fonction lui permettra de renforcer la coordination et la solidarité entre ces deux niveaux de collectivités.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous ne me répondez pas !
M. Roland Courteau. Il n’a pas écouté !