M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont.
Mme Bernadette Dupont. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.
M. Didier Boulaud. C’est la journée des transfuges !
Mme Bernadette Dupont. Depuis le terrible séisme qui a ravagé Haïti, de nombreux parents adoptifs, en possession d’un jugement d’homologation d’adoption, bien que rassurés sur la relative bonne santé de leurs jeunes enfants, sont cependant toujours dans le plus grand désarroi et attendent impatiemment que ceux-ci puissent enfin être autorisés à les rejoindre en France et échapper ainsi à l’insécurité qui règne dans ce malheureux pays.
Les jugements d’homologation d’adoption ont été rendus et signifiés, mais la procédure n’est pas terminée pour autant.
À partir de cas concrets de familles yvelinoises, je suis à même de suivre les espoirs suscités par l’annonce de l’accélération de certaines mesures, cependant vite déçus par de nouveaux retards dans la procédure.
Ainsi, le 7 avril, l’ambassade de France en Haïti a reçu une note du Premier ministre haïtien demandant que la France lui présente à signer une liste définitive des enfants en cours d’adoption par les familles françaises, autorisant ainsi l’émission accélérée des passeports de tous les enfants, au fur et à mesure du dépôt de leur dossier, avec jugement, à l’ambassade.
À la suite de cette information, le service de l’adoption internationale a donc sollicité les familles pour refaire la liste d’identification des parents et des enfants déjà adoptés, mais sans passeport autorisant la sortie du territoire. Les familles se sont prêtées de bonne grâce à cette nouvelle requête, heureuses de voir l’effort fait pour réduire les délais.
Il semble que cette liste établie, monsieur le ministre, soit parvenue au Quai d’Orsay le 21 ou le 22 avril dernier, pour que vous y apposiez votre signature, qui doit accompagner celle du Premier ministre haïtien, entérinant ainsi l’accord franco-haïtien qui permettra à tous les enfants dont le dossier avec jugement a été déposé à l’ambassade depuis le 8 mars 2010 d’acquérir le passeport qui leur est nécessaire pour quitter Haïti.
M. Didier Boulaud. La liste s’est perdue !
Mme Bernadette Dupont. Il ne faudrait pas, monsieur le ministre, en arriver à l’obligation du retour à la procédure normale. En effet, les délais impartis étaient de plusieurs mois et l’administration qui en donnait les autorisations ne fonctionne hélas plus depuis le séisme.
Il y a urgence. On commence de nouveau à parler de risques d’émeutes, de la saison des pluies et de son lot d’épidémies. Autant de menaces qui pèsent sur ces enfants, dont les parents adoptifs n’aspirent qu’à les mettre enfin en sécurité.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, me dire où en est la situation à ce jour et quels espoirs d’une résolution rapide vous pouvez donner aux familles concernées ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.- Mme Raymonde Le Texier et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.
M. Didier Boulaud. Il n’y a que des transfuges !
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Dupont, le droit est là, certes, pour être appliqué dans notre pays, mais il existe aussi un droit international destiné à protéger les enfants.
Je comprends votre ton : la situation est souvent dramatique pour les familles qui attendent les enfants. Mais la situation là-bas est encore plus dramatique pour les familles d’Haïti.
Il existe une liste de 69 noms. Je vous rappelle que 552 enfants ont été accueillis dans notre pays, dans des conditions assez exceptionnelles, parce que la situation, l’urgence et l’état des enfants l’exigeaient, de sorte que notre pays - les États-Unis ensuite - a accueilli le plus grand nombre de ces enfants.
À cette liste de 69 enfants s’ajoute une autre liste, d’environ 250 enfants, non officielle celle-là, parce que les Haïtiens n’ont pas donné leur autorisation. Nous ne pouvons pas, madame, forcer l’autorisation.
Les 69 enfants attendent leur passeport. Mais quel passeport, madame ? Le passeport haïtien. Or, vous le savez très bien, dans les conditions qui sont celles qui prévalent sur l’île – je l’espère, elles s’améliorent tous les jours, mais, pour le moment, ce sont des conditions de survie –, on peut comprendre que les passeports ne soient pas prêts. Il ne s’agit pas d’un frein mis par le Quai d’Orsay ni d’un combat entre une ambassade qui serait gentille et un quai d’Orsay qui serait méchant ! Désolé, mais ce n’est pas le cas du tout !
M. Jean-Louis Carrère. D’ailleurs, le Quai d’Orsay n’est jamais méchant !
M. René-Pierre Signé. Il ne mord pas !
M. Bernard Kouchner, ministre. Pour le moment, nous attendons ces enfants et nous les accueillerons très vite ; les familles sont prévenues.
Il existe, pour ces enfants particuliers que sont les enfants haïtiens, un grand espoir, non seulement d’être accueillis dans des familles mais aussi de voir Haïti signer la convention de La Haye, qui réglemente l’adoption des enfants, non pas à leurs dépens mais à leur profit.
Et puis, madame, avec tout le respect que j’ai pour vous, pour tous ceux qui s’intéressent à ce problème et, surtout, pour les familles adoptantes, je me dois d’ajouter que, autour des enfants haïtiens, s’est développé tout un commerce difficile à supporter, et jusque dans les rues de Paris, où des personnes se promènent avec des catalogues, mesdames, messieurs les sénateurs...
Nous avons envoyé sur place une mission de psychiatres et de pédopsychiatres, accompagnés de représentants des familles. Ils ont vu 117 enfants dans des conditions très différentes, suivant ce que l’on appelle les orphelinats, dont ils étaient les hôtes, parfois les prisonniers, puisque tout cela rapporte de l’argent ! Sur ces 117 enfants, madame, il n’y avait pas un orphelin !
Il ne faut pas confondre les enfants qui sont adoptés et les enfants des pauvres, que l’on pourrait accueillir dans les pays plus riches.
Je tenais à vous apporter très respectueusement ces précisions, tout en vous assurant que nous essayons d’accélérer le plus possible l’accueil de ces enfants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
fiscalité
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Mesdames, messieurs les ministres, le Premier ministre a annoncé à demi-mot un plan de rigueur.
La question se pose d’autant plus : jusqu’où irez-vous dans l’injustice ?
L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale confirme ce que nous constatons tous au quotidien : l’écart des revenus se creuse, la pauvreté augmente, tandis que l’INSEE souligne l’enrichissement des plus hauts revenus.
Surtout, ce rapport met en évidence l’impact des diminutions d’impôts sur la hausse des inégalités. Il montre qu’une partie de cet écart résulte directement des cadeaux fiscaux accordés aux plus aisés.
L’échec patent de votre politique fiscale est d’autant plus frappant que vous avez admis devant la commission des finances de l’Assemblée nationale l’augmentation sensible des expatriés fiscaux.
M. Didier Boulaud. Il n’y est pour rien, il vient d’arriver !
M. Yves Daudigny. L’inégalité de traitement est d’autant plus inacceptable que vous faites en réalité peser sur les plus fragiles, jusqu’aux accidentés du travail, 5 milliards de taxes nouvelles. Pour faire face à un déficit budgétaire de 149 milliards d’euros, vous entendez encore ajouter à l’injustice et à l’inefficience !
Vous accusez les collectivités territoriales de dépenses inconsidérées, dans la perspective de limiter leurs compétences et de réduire l’action publique. Le démenti est d’ailleurs sévère : « Simpliste et illusoire », vous répond M. Jamet.
Ce démenti vaut nécessairement pour la politique nationale de suppression de postes et de services publics.
À Bercy, on envisage maintenant de s’attaquer enfin aux niches fiscales après les avoir accordées en nombre ! Là encore, avec quelle envergure et quel projet ? Taxer les tickets restaurant et les chèques-vacances ?
Fin 2008, Mme Bachelot-Narquin s’opposait, dans le contexte d’alors, à « ce mauvais signal, qui risquerait de peser sur le pouvoir d’achat des salariés ».
M. Jean-Louis Carrère. Bien !
M. Yves Daudigny. Franchement, monsieur le ministre, le contexte s’est-il tellement amélioré, au point que les salariés le supporteraient aujourd’hui ?
Supprimerez-vous l’amendement Copé, cette disposition qui exonère les plus-values sur les ventes de filiales, ne crée pas d’emplois et coûte plus de 8 milliards d'euros par an au contribuable ?
M. Didier Boulaud. C’est vrai !
M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour cesser de creuser le sillon des inégalités dans notre pays ?
M. Didier Boulaud. Des niches supplémentaires !
M. Yves Daudigny. Avant de vous entendre, en ce jour anniversaire…
M. Didier Boulaud. Bien triste ! Trois ans, c’est trop !
M. Yves Daudigny. … fêté par certains, et parce que la question sociale et le « vivre ensemble » demeurent le ciment d’un pays, permettez-moi de vous offrir un ouvrage qui est le symbole des utopies dans le département de l’Aisne. (L’orateur s’avance et offre un livre à M. le ministre. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, je vous remercie pour cette documentation ; je serai très heureux de me rendre dans le département dont vous êtes l’élu.
J’ignore quel dictionnaire il faudrait consulter pour trouver le terme décrivant précisément ce que je viens d’entendre. Selon moi, le mot « démagogie » est sans doute ce qui se rapproche le plus de la bonne définition ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Alain Gournac. Oui ! Démagos !
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes experts en la matière !
M. René-Pierre Signé. Vous êtes nos maîtres !
M. François Baroin, ministre. En effet, ce fut la totale : tout y est passé ! Vous avez développé tous les poncifs de A à Z, poursuivant le « travail de lessiveuse » organisé par le parti socialiste contre un dispositif qui, il est vrai, s’est stratifié au fil du temps, mais que je pourrais vous justifier point par point.
Je pourrais vous répondre, par exemple, que le modèle français est profondément redistributif, ne vous en déplaise !
Prenons l’exemple de l’impôt sur le revenu. Sur 36 millions de foyers fiscaux, un peu plus de 15 millions seulement acquittent l’impôt, 500 000 contribuables assumant à eux seuls plus de 40 % de l’effort total. Si ce n’est pas de la redistribution, je ne sais pas ce que c’est ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je pourrais également vous indiquer, monsieur le sénateur, que l’on prélève en moyenne 10 000 euros sur les 20 % de foyers les plus favorisés, c'est-à-dire ceux dont le revenu dépasse les 50 000 euros, pour les redistribuer aux 20 % de foyers les plus modestes, dont le revenu, qui devait être d’environ 7 000 euros, se trouve ainsi porté à plus de 10 000 euros.
Mme Nicole Bricq. Allez le dire aux plus démunis !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous allez nous faire pleurer sur les riches !
M. François Baroin, ministre. Je pourrais égrener la liste des dispositifs que nous avons créés. Nous en aurions ainsi la démonstration : vous êtes dans la démagogie, nous sommes dans la logique !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les écarts entre les riches et les pauvres se sont considérablement accrus !
M. François Baroin, ministre. Au milieu d’une crise puissante et violente, nous visons un juste équilibre entre la protection de la création de richesse et l’indispensable redistribution à ceux qui en ont le plus besoin ; la création du bouclier social, avec le RSA, offre un exemple supplémentaire de cette volonté.
J’en viens à la préparation de la loi de finances pour 2011 et au séminaire qui, animé par le Premier ministre, a réuni l’ensemble des ministres concernés. Monsieur le sénateur, la rigueur, ce serait l’augmentation des impôts. Or il n’y en aura pas ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. C’est une plaisanterie ?
M. François Baroin, ministre. Notre taux de prélèvements obligatoires, exprimé en points de PIB, est l’un des plus élevés parmi les pays développés ; dans ces conditions, il n’est pas question une seule seconde d’augmenter les prélèvements obligatoires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Paul Raoult. Vous allez donc créer de l’endettement supplémentaire !
M. François Baroin, ministre. Dès lors, qu’allons-nous faire ? Nous allons faire en sorte que la situation française soit à ce point exemplaire que nous puissions être présents au rendez-vous que nous nous sommes fixé avec nos partenaires.
Cela signifie, il est vrai,…
M. Robert Hue. Des suppressions d’emploi dans la fonction publique !
M. François Baroin, ministre. … un effort de réduction des déficits de deux points l’année prochaine ; un total respect des engagements qui ont été pris dans le cadre de la loi de programmation triennale des finances publiques ; un effort sur les dépenses fiscales – et non pas sur les niches –,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Supprimez les niches !
M. François Baroin, ministre. … à hauteur de 5 milliards d’euros au cours des deux années qui viennent ; des actions puissantes sur les trois sources de dépenses collectives que sont les dépenses de l’État, les dépenses sociales et les dépenses des collectivités locales.
M. Jean-Louis Carrère. Vous aggravez la situation !
M. Paul Raoult. Les générations suivantes devront payer !
M. Yannick Bodin. N’oubliez pas les exilés fiscaux !
M. François Baroin, ministre. Je pourrais aussi vous répondre, monsieur le sénateur, qu’il faut cesser de crier avant d’avoir mal.
Mme Raymonde Le Texier. Certains ont mal depuis longtemps ! Ce que vous dites est indécent !
M. François Baroin, ministre. Toutes les informations qui seront diffusées, ici ou là, dans les deux mois qui viennent, c'est-à-dire jusqu’à ce que le Premier ministre rende ses arbitrages et que le Président de la République fasse ses choix, seront autant de ballons d’essai, lancés pour alimenter certains débats.
Pour l’instant, aucune solution n’est privilégiée, aucune piste n’est favorisée.
Mme Raymonde Le Texier. Vous apprenez vite. Bravo !
M. François Baroin, ministre. Pour conclure, monsieur le sénateur, l’esprit de responsabilité qui nous anime est très éloigné de l’esprit de démagogie – ce mot m’a servi d’introduction, il sera également ma conclusion – qui a présidé à la rédaction de votre question. Mais je garde le livre ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons fini avec les questions d’actualité au Gouvernement.
La séance est suspendue pour quelques instants.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2010 ne débutera qu’à vingt et une heures trente.
La séance sera donc suspendue après l’examen, d’une part, du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d’origine ainsi qu’à la lutte contre les réseaux d’exploitation concernant les mineurs, d’autre part, de trois projets de loi tendant à autoriser l’approbation de conventions internationales, pour lesquels la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. J’avais moi-même indiqué cet horaire en conférence des présidents et je vous remercie de le rappeler, monsieur le président.
7
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
8
Lutte contre la piraterie et police de l’État en mer
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me trouve dans une situation des plus confortables ! Grâce à une transmission de pensée particulièrement efficiente (Sourires.), je vais maintenant répondre aux questions précises qui ont été posées ce matin à Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants, à propos de la coopération que mènent la France et l’Union européenne avec la Somalie et les pays de la région.
À l’heure actuelle, l’accord avec les Seychelles conclu par l’Union européenne pour le transfert et le jugement des pirates est en vigueur. Le Kenya a en revanche dénoncé, en respectant les formes requises, l’accord conclu avec l’Union européenne, car ses capacités tant de jugement que de détention sont actuellement saturées.
Le Gouvernement français, par la voie d’un courrier adressé par M. Kouchner à Mme Ashton, a demandé que l’Union européenne intensifie ses contacts avec tous les pays riverains, afin de s’assurer de leur bonne coopération pour juger les pirates et de trouver les moyens appropriés de leur apporter une aide européenne à cette fin.
Les pays avec lesquels l’Union européenne envisage de conclure des accords pour transférer les pirates et les juger sont la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Mozambique, l’Ouganda et l’île Maurice.
Ces mesures vont dans le sens de l’instauration d’un État de droit dans la région.
Je confirme que la France participe pleinement à la formation de policiers ou garde-côtes du gouvernement fédéral de transition en Somalie. La France, avec l’Espagne, a d’ailleurs été l’un des moteurs de cette initiative. Il faut citer ici l’opération EUTM Somalie, European Union Training Mission, lancée le 7 avril dernier. L’Union européenne y consacre 4,9 millions d’euros, la contribution française s’élevant à 1 million d'euros.
Ces actions viennent donc poser les premiers jalons nécessaires pour apporter des réponses de fond au problème : aider la Somalie à se doter d’institutions publiques stables, afin de créer le cadre indispensable pour le développement économique de ce pays.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Chapitre Ier
Dispositions modifiant la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer
Article 1er
(Supprimé)
Article 2
Le titre Ier de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer est ainsi rétabli :
« Titre Ier
« De la lutte contre la piraterie maritime
« Art. 1er. – I. – Le présent titre s’applique aux actes de piraterie au sens de la convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, commis :
« 1° En haute mer ;
« 2° Dans les espaces maritimes ne relevant de la juridiction d’aucun État ;
« 3° Lorsque le droit international l’autorise, dans les eaux territoriales d’un État.
« II. – Lorsqu’elles constituent des actes de piraterie mentionnés au I, les infractions susceptibles d’être recherchées, constatées et poursuivies dans les conditions du présent titre, sont :
« 1° Les infractions définies aux articles 224-6 à 224-7 et 224-8-1 du code pénal et impliquant au moins deux navires ou un navire et un aéronef ;
« 2° Les infractions définies aux articles 224-1 à 224-5-2 ainsi qu’à l’article 224-8 du même code lorsqu’elles précèdent, accompagnent ou suivent les infractions mentionnées au 1° ;
« 3° Les infractions définies aux articles 450-1 et 450-5 du même code lorsqu’elles sont commises en vue de préparer les infractions mentionnées aux 1° et 2°.
« Art. 2. – Lorsqu’il existe de sérieuses raisons de soupçonner qu’une ou plusieurs des infractions mentionnées au II de l’article 1er ont été commises, se commettent, se préparent à être commises à bord ou à l’encontre des navires mentionnés à l’article L. 1521-1 du code de la défense, les commandants des bâtiments de l’État et les commandants des aéronefs de l’État, chargés de la surveillance en mer, sont habilités à exécuter ou à faire exécuter les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international, le titre II du livre V de la première partie du même code et la présente loi soit sous l’autorité du préfet maritime ou, outre-mer, du délégué du Gouvernement pour l’action de l’État en mer, soit sous l’autorité d’un commandement civil ou militaire désigné dans un cadre international.
« À l’égard des personnes à bord peuvent être mises en œuvre les mesures de coercition prévues par les dispositions du chapitre unique du titre II du livre V de la première partie du même code relatives au régime de rétention à bord.
« Art. 3. – À l’occasion de la visite du navire, les agents mentionnés à l’article 2 peuvent prendre ou faire prendre toute mesure conservatoire à l’égard des objets ou documents qui paraissent liés à la commission des infractions mentionnées au II de l’article 1er pour éviter qu’elles ne se produisent ou se renouvellent.
« Ils peuvent également ordonner le déroutement du navire vers une position ou un port appropriés pour procéder le cas échéant à des constatations approfondies ou pour remettre les personnes appréhendées ainsi que les objets et documents ayant fait l’objet de mesures conservatoires.
« Art. 4. – Les officiers de police judiciaire et, lorsqu’ils sont spécialement habilités dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, les commandants des bâtiments de l’État, les officiers de la marine nationale embarqués sur ces bâtiments et les commandants des aéronefs de l’État, chargés de la surveillance en mer, procèdent à la constatation des infractions mentionnées au II de l’article 1er, à la recherche et l’appréhension de leurs auteurs ou complices.
« Ils peuvent procéder à la saisie des objets ou documents liés à la commission des faits sur autorisation, sauf extrême urgence, du procureur de la République.
« Ils peuvent également procéder à la destruction des seules embarcations dépourvues de pavillon qui ont servi à commettre les infractions mentionnées au II de l’article 1er, lorsqu’il n’existe pas de mesures techniques envisageables pour empêcher définitivement le renouvellement de ces infractions, dans le respect des traités et accords internationaux en vigueur.
« Les mesures prises à l’encontre des personnes à bord sont régies par la section 3 du chapitre unique du titre II du livre V de la première partie du code de la défense.
« Art. 5. – À défaut d’entente avec les autorités d’un autre État pour l’exercice par celui-ci de sa compétence juridictionnelle, les auteurs et complices des infractions mentionnées au II de l’article 1er et commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises lorsqu’ils ont été appréhendés par les agents mentionnés à l’article 4.
« Art. 6. – La poursuite, l’instruction et le jugement des infractions mentionnées au présent titre relèvent de la compétence des juridictions suivantes :
« 1° Sur le territoire métropolitain, le tribunal de grande instance du siège de la préfecture maritime ou le tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le port vers lequel le navire a été dérouté ;
« 2° Dans les départements d’outre-mer, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, soit la juridiction de première instance compétente située au siège du délégué du Gouvernement pour l’action de l’État en mer, soit celle dans le ressort de laquelle se trouve le port vers lequel le navire a été dérouté ;
« 3° Toutes les juridictions compétentes en application du code de procédure pénale ou d’une loi spéciale, en particulier celles mentionnées à l’article 706-75 du code de procédure pénale.
« Ces juridictions sont également compétentes pour les infractions connexes à celles mentionnées au présent titre. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Boulaud et Carrère, Mmes Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Tasca et Voynet, MM. Badinter, Bel, Berthou, Besson, Boutant, Mazuir, Mermaz, Piras, Reiner, Vantomme et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 20
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, la remise aux autorités d'un autre État est interdite :
« 1° Lorsque le fait est puni par la législation de cet État d'une peine ou d'une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français ;
« 2° Lorsque la personne serait jugée dans cet État par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous tous, je me suis réjoui de constater les progrès réalisés dans la lutte contre la piraterie internationale, fléau que l’on pensait éradiqué et qui pourtant réapparaît.
La curiosité m’a poussé à examiner d’un peu plus près que cela n’avait été fait jusqu’à présent les conditions dans lesquelles s’exerçait la répression par les États membres de l’Union européenne, et particulièrement la France, et à vérifier si les principes du droit étaient respectés. Et je dirai à la Haute Assemblée que, de ce périple, je suis revenu quelque peu surpris.
Cet amendement vise donc à rappeler que l’abolition de la peine de mort et le respect des droits fondamentaux doivent s’imposer comme deux conditions dans ce qui constitue traditionnellement le droit de l’extradition ou le droit qui régit le fait de confier des justiciables à un autre État pour qu’il les juge. Ce sont des principes sur lesquels je n’ai pas besoin d’insister.
Quelle est très précisément la situation à l’heure actuelle ?
Lorsque des pirates sont arrêtés, l’Union européenne, ou la France directement par des accords bilatéraux qu’elle a conclus, confie à des États tiers le soin de les juger. Ces États, nous les connaissons, ils ont été mentionnés.
Il s’agit au premier chef du Kenya, avec lequel l’Union européenne a signé un accord prévoyant expressément que cet État ne recourra pas à la peine de mort ; je rappelle que la justice kenyane et les conditions de la stabilité politique de ce pays sont loin d’être tout à fait celles d’un État de droit modèle.
Il s’agit également des Seychelles, où la situation est plus satisfaisante.
En l’espèce, la France remet directement aux autorités somaliennes des pirates qu’elle a arrêtés pour qu’ils soient jugés.
À cet égard, j’ai cherché à obtenir des précisions, et je vous les livre. Les services du Quai d’Orsay m’ont d’ailleurs fort courtoisement confirmé l’authenticité de celles que j’ai obtenues notamment sur le site intitulé Bruxelles 2 – l’Europe de la défense et de la sécurité.
C’est plus précisément aux autorités du Puntland, région autonome de Somalie, que la France remet ces pirates.
Mais je lis le texte :
« Finalement, les trente-cinq pirates arrêtés par la frégate française Nivôse, en plusieurs fois, [...] le premier week-end de mars, devraient tous être remis à des autorités judiciaires. Vingt-quatre ont ainsi été remis aux autorités du Puntland [...], le 13 mars... Quant aux onze autres, ils devraient être rapatriés par avion, à partir de Djibouti aux Seychelles […] l’Union européenne ayant signé un accord avec les autorités djiboutiennes permettant l’utilisation des installations nationales pour le transfert vers d’autres pays. »
On lit encore dans le même document que le Puntland est « la destination favorite de la France » et que l’Union européenne « n’a pas d’accord de transfert avec la Somalie ou le Puntland » et qu’elle s’y refuse pour l’instant, « à la fois pour des raisons juridiques et politiques. » En effet, « il n’y a pas d’"État de droit" somalien qui réponde aux standards internationaux et l’Union européenne ne veut pas accréditer l’existence des entités autonomes... Mais, pour la France, il s’agit que chaque suspect arrêté [soit] transféré à une autorité judiciaire. »
Donc, en pratique, nous livrons aux autorités du Puntland – autorités que l’Union européenne ne veut pas connaître –, des personnes que la marine nationale a à juste titre arrêtées, mais qui seront jugées dans des conditions absolument indifférentes aux principes de l’État de droit.
Je n’ai pas besoin de rappeler que la Somalie s’illustre de manière particulièrement cruelle par ses pratiques, notamment le recours à la peine de mort et un mépris absolu des standards internationaux concernant l’État de droit. Je vous renvoie sur ce sujet aux rapports annuels d’Amnesty International.
Ainsi, quand nous demandons, par le biais de cet amendement, que soit inscrit dans la loi française que nous ne remettrons pas d’individus, somaliens ou non, suspectés de piraterie à des États pratiquant la peine de mort, je ne comprends pas– ou je le comprends trop bien - pourquoi le Gouvernement le refuse et se dérobe !
Non que ces autorités de fait ne prendraient pas des engagements presque contractuels, au coup par coup, mais parce que nous avons des principes et que nous devrions nous y tenir.
La piraterie a toujours fait l’objet de définitions internationales et a toujours été poursuivie et jugée selon des normes internationales. Or voilà que, maintenant, nous avons inventé une solution commode : des États assurent, pour notre compte, la détention, la répression, la condamnation et l’exécution de la condamnation.
Je me tourne vers le Gouvernement pour l’interroger sur de telles pratiques.
Monsieur le ministre, au nom de quoi, en vertu de quoi sous-traitons-nous ainsi à un État ce qui constitue pour nous une obligation internationale de première grandeur, obligation qui nous impose de nous assurer que les auteurs présumés d’actes de piraterie sont détenus, jugés et, nous l’espérons, condamnés selon les règles et les principes qui sont les nôtres en veillant à ce que la condamnation soit exécutée selon ces mêmes règles et ces mêmes principes ?
Nous ne demandons rien d’autre par cet amendement, et j’avoue comprendre maintenant les véritables motifs de l’opposition du Gouvernement : celui-ci, en acceptant notre proposition, se mettrait en porte-à-faux avec une pratique, la remise des auteurs présumés d’actes de piraterie au Puntland, que le Quai d’Orsay m’a très loyalement confirmée. L’essentiel est de se débarrasser de ces individus, même si la juridiction du Puntland ne répond pas très exactement aux standards du Tribunal pénal international de La Haye…
Chacun comprendra donc la surprise que nous avons pu éprouver devant une telle situation, et nous espérons que le Gouvernement va nous annoncer à présent qu’il entend y mettre fin et se contenter d’appliquer les accords passés au travers de l’Union européenne avec d’autres autorités, en renonçant à livrer à la Somalie quelque personne poursuivie que ce soit.
Je terminerai en donnant lecture du communiqué suivant, émanant d’Amnesty International, qui suffira à éclairer le Sénat sur la qualité de la justice dans cette région :
« Aisha Ibrahim Duhulow, âgée de treize ans, a été lapidée en public le 27 octobre […]. Après avoir déclaré aux autorités locales qu’elle avait été violée par trois hommes, elle avait été reconnue coupable d’ “adultère” par un tribunal de la charia, sans bénéficier d’une assistance juridique. »
Par ailleurs, ce même document indique que « les autorités du Puntland ont annoncé leur intention d’appliquer la peine de mort aux auteurs d’actes de piraterie ».