M. Hugues Portelli. Mais c’est déjà possible, au moyen de l’exception d’inconstitutionnalité !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas du tout pareil car la voie préjudicielle et la voie d’action sont deux choses différentes. Par conséquent, je vous demande, monsieur Portelli, de bien vouloir retirer l’amendement n° 75.
M. le président. Monsieur Portelli, l'amendement n° 75 est-il maintenu ?
M. Hugues Portelli. Non, je le retire, monsieur le président.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quant à l’amendement n° 63, la précision visée devra plutôt figurer dans la loi organique, monsieur Lecerf.
M. le président. Monsieur Lecerf, l'amendement n° 63 est-il maintenu ?
M. Jean-René Lecerf. Non, monsieur le président, je le retire.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’amendement n° 236 tend à supprimer l’article 26, mesure importante du projet de révision constitutionnelle qui renforce le droit des citoyens. Certes, il ne faut pas affaiblir l’autorité de la loi, mais une loi qui méconnaîtrait les droits des citoyens serait contraire à la Constitution.
L’autorité de la Constitution par rapport aux traités internationaux est également en jeu, puisque, aujourd'hui, tout justiciable peut, au cours de son procès, invoquer un traité international afin qu’une loi ne lui soit pas appliquée.
Il n’est pas à craindre que l’exception d’inconstitutionnalité fragilise la législation en vigueur puisque la plupart des grandes démocraties étrangères appliquent une telle exception, sans difficulté.
De surcroît, le mécanisme proposé est encadré de plusieurs façons. Seule est visée la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution. Il ne s’agit pas, par exemple, de pouvoir contester la loi pour des questions tenant à la procédure qui a conduit à son adoption, notamment si on a méconnu à un moment donné de consulter un organisme avant l’adoption de la loi.
Un système de filtres est prévu puisque les juridictions devant lesquelles l’inconstitutionnalité de la loi sera invoquée devront examiner si la question est sérieuse puis la transmettre à la Cour de cassation ou au Conseil d'État qui vérifiera si elle mérite d’être renvoyée au Conseil constitutionnel. C’est donc vraiment la garantie que ce dernier ne sera saisi qu’à bon escient.
Monsieur Desessard, par l’amendement n° 352, vous proposez d’élargir la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel aux juridictions qui ne relèvent ni de la Cour de cassation, ni du Conseil d'État. Pour ce qui concerne le tribunal des conflits, je vous ai déjà répondu lors de mon audition par la commission des lois. M. le rapporteur vient de développer les mêmes arguments. Le tribunal des conflits ne tranche pas de questions au fond. Il se prononce sur la répartition des contentieux. La question de savoir si une loi porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne se pose jamais devant le tribunal des conflits.
Quant à la Cour nationale du droit d’asile et à la Cour des comptes, elles relèvent du contrôle de la Cour de cassation ou du Conseil d'État. La question ne se pose donc pas.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Exactement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il n’y a pas de juridiction d’exception. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 352.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur l'article 26.
M. Robert Badinter. Je veux souligner à quel point l’article qui va être adopté est important. Pour moi, c’est le fruit d’une très longue lutte. Cela fait vingt ans que j’ai proposé d’instituer l’exception d’inconstitutionnalité. On ne pouvait pas vivre, de façon pérenne, avec un système dans lequel les juridictions françaises pouvaient devenir les censeurs de lois en invoquant la Convention européenne des droits de l’homme – l’exception d’inconventionnalité –, mais ne pouvaient les censurer en arguant de la protection des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution. Ce paradoxe ne pouvait pas demeurer.
On ne pouvait pas non plus accepter que le citoyen français soit traité en mineur constitutionnel. L’accès au Conseil constitutionnel était réservé aux plus hautes autorités de l’État ainsi qu’à soixante députés ou soixante sénateurs, mais lui était refusé.
Le citoyen, au motif qu’une décision rendue par n’importe quelle instance violait ses droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme, pouvait saisir la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Mais il ne pouvait pas saisir le Conseil constitutionnel en arguant de la violation de ses droits fondamentaux inscrits dans la Constitution, ce qui est pourtant l’essentiel.
Un tel archaïsme, une telle survivance, une telle contradiction ne pouvait pas demeurer.
Il a cependant fallu parcourir un très long chemin. Je marque que le dispositif qui va être aujourd'hui adopté a été inscrit dans des projets de loi constitutionnelle successifs, sans, toutefois, réussir à voir le jour. Il avait été mis au point de concert, après de très longues séances de travail, entre M. Drai, alors Premier président de la Cour de cassation, auquel je rends hommage, Marceau Long, qui présidait le Conseil d'État, et celui qui est aujourd'hui l’un de vos collègues. Nous avons tout pesé, tout mesuré. Nous avons considéré qu’il s’agissait du meilleur système possible pour éviter un engorgement du Conseil constitutionnel et pour que la culture du respect des droits fondamentaux pénètre à tous les échelons le corps judiciaire. Je suis persuadé de ce dernier point.
À mes yeux, la justice doit être en permanence le gardien des libertés fondamentales. Grâce au système de l’exception d’inconstitutionnalité, c’est le citoyen, lorsque le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé auparavant, qui se voit reconnaître le droit de saisir cette instance, pour que ses droits ne soient pas méconnus.
C’est un très grand progrès de l’État de droit que je suis heureux de voir adopter par le Sénat.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Dans quelques années, le dispositif proposé par l’article 26 sera considéré comme une réforme essentielle de la révision de la Constitution à laquelle nous procédons. (M. Robert Badinter opine.)
Comme vient de le dire excellemment mon collègue des Hauts-de-Seine Robert Badinter, cela fait très longtemps que nous essayons de mettre sur pied une telle procédure. Nous avons rencontré énormément de difficultés. De nombreuses réunions de travail se sont déroulées afin d’adapter notre droit à celui des autres pays européens.
Pour ma part, malgré les quelques différends qui ont pu nous opposer précédemment, je considère que la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité permettra de modifier un certain nombre de textes antérieurs à 1958, qui, à l’heure actuelle, causent un certain nombre de préjudices à nos citoyens.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il était un peu arrogant, de la part de la France, de donner des leçons au monde entier en matière de droit de l’homme et de ne pas avoir institué une telle procédure.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il s’agit d’une grande réforme. En ce jour, je dédie l’article 26 à tous ceux qui ont soutenu depuis le début de l’examen du projet de loi constitutionnelle, la semaine dernière, que cette révision constitutionnelle ne porte que sur des points de détail, qu’elle ne concerne que le Président de la République. Cet article essentiel, dont nous devons être fiers, fait enfin entrer les citoyens de notre pays dans un véritable État de droit.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Je veux rendre hommage à M. Badinter. Cette réforme est due à une suggestion qu’il a faite dans les années 1990 au Président Mitterrand. En sa qualité de président du Conseil constitutionnel, il a fait, en quelque sorte, le siège du Président de la République qui a été très vite convaincu tout en lui recommandant de s’entourer de tous les avis. M. Badinter vient de rappeler lui-même qu’il a multiplié les réunions de travail à ce sujet pour mettre au point un texte qui ne crée pas de problèmes à la République. Puis le projet de loi constitutionnelle a été approuvé par le Président de la République, déposé, défendu par M. Arpaillange et finalement rejeté au Sénat.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement !
M. Michel Charasse. Quand j’entends certains collègues aujourd'hui encenser l’article 26, je mesure la distance parcourue…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Une génération !
M. Michel Charasse. …et combien le vote de 1990 a été politique, voire politicien, et finalement pas très digne.
François Mitterrand, en conclusion de cette affaire, a dit à Robert Badinter : « de toute façon, ne vous en faites pas, on y reviendra un jour ». Nous y voici !
J’espère seulement que les textes organiques qui préciseront la procédure ne copieront pas les bonnes habitudes des juridictions et que les pauvres gens qui utiliseront ce droit nouveau n’attendront pas dix ans pour avoir la réponse.
Je souhaite véritablement que, pour trancher, le Conseil constitutionnel soit enfermé dans un délai strict, pas forcément d’un mois mais sûrement pas de six mois et encore moins d’un an. Je me permets de demander aux autorités gouvernementales qui prépareront le projet de loi organique de veiller à ce que cela soit un plus pour les citoyens et d’éviter qu’ils n’apprennent l’éventuelle bonne nouvelle dix ans après, s’ils ne meurent pas avant.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. En cet instant, je m’exprimerai en tant que président par intérim de la commission des lois.
Si nous adoptons l’article 26, nous serons à l’origine d’une véritable révolution juridique. La France fera désormais partie des démocraties de l’Union européenne qui ont une Cour constitutionnelle pouvant être saisie par voie d’exception. Nous étions l’exception. Nous rentrons dans le rang, en quelque sorte. Nous allons même plus loin, puisque nous aurons le contrôle a posteriori, comme l’Allemagne, l’Espagne, notamment, mais nous conserverons le contrôle a priori, qu’un certain nombre de pays nous envient.
Nous sommes maintenant totalement un État de droit puisque aucun texte ne pourra échapper au contrôle du Conseil constitutionnel. Nous devons tous nous en féliciter.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'article 26, modifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le groupe communiste républicain et citoyen s’abstient.
(L'article 26 est adopté.)
Article 27
Le premier alinéa de l'article 62 de la Constitution est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61 ne peut être promulguée ni mise en application.
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, sur l’article.
M. Michel Charasse. Je voulais demander à M. le rapporteur si, au troisième alinéa de l’article 27, la mention « ou d’une date ultérieure » était bien un bon choix. Ne vaudrait-il pas mieux mettre : « une date fixée par cette décision » ? Je pose la question.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je crois que cette disposition est suffisamment claire, même si on peut toujours en améliorer la rédaction.
Je me suis efforcé, quand il n’y avait pas de nécessité absolue, de garder un article conforme. Il faut tout de même qu’il y ait des articles conformes ! Ne dirait-on pas, dans le cas contraire, que l’on a démoli le travail éminent du Gouvernement ou de l’Assemblée nationale ? (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 27.
(L’article 27 est adopté.)
Article additionnel après l'article 27
M. le président. L’amendement n° 34 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et M. Fortassin, est ainsi libellé :
Après l'article 27, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le second alinéa de l'article 62 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le Conseil constitutionnel assure le respect de ses décisions dans les conditions prévues par une loi organique. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, nous avons évoqué tout à l’heure les deux derniers alinéas de l’article 89 de la Constitution, que le Conseil constitutionnel ne peut pas protéger puisqu’il a décidé qu’il était incompétent. Or il y a une disposition, à l’article 62 de la Constitution, qui précise que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à l’ensemble des pouvoirs publics et à l’ensemble des juridictions.
Je pose donc la question : qui fait respecter les décisions du Conseil constitutionnel ? En effet, nous savons très bien que certaines décisions non seulement non pas été respectées dans un passé récent, mais ont même été violées sciemment. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Parfaitement !
Un sénateur socialiste. Des exemples ?
M. Michel Charasse. Les exemples, c’est très simple : lorsque le Conseil constitutionnel a décidé que seule la Haute Cour était compétente pour juger le Président de la République et que la Cour de cassation a décidé, quelque temps après, qu’elle le mettait « au frais » jusqu’à ce qu’il quitte l’Élysée et que la justice pourrait l’attraper à la sortie, c’est une violation de la décision du Conseil et c’est la création d’une suspension de prescription qui n’a jamais été votée ni voulue par le législateur.
Lorsque le Conseil a décidé qu’il ne pouvait pas exister de peines automatiques en France puisque toutes les peines doivent être prononcées expressément par une juridiction, toutes les peines automatiques ont été supprimées sauf une, celle prévue à l’article 7 du code électoral, si bien que lorsqu’un élu est condamné, il subit une peine automatique de cinq à dix ans d’inéligibilité, en violation de la Constitution et du principe selon lequel il ne peut pas y avoir de peine sans décision expresse d’une juridiction.
Par conséquent, je propose tout simplement que le Conseil constitutionnel soit chargé d’assurer le respect de ses propres décisions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. S’agissant du deuxième exemple cité par M. Charasse, j’ai envie de dire : vive la question préjudicielle !
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela résoudrait le problème !
Voilà déjà une partie de réponse à votre question.
M. Michel Charasse. Mais la juridiction saisira-t-elle ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les intéressés pourront le demander. Et si la juridiction dit qu’il n’y a pas de problème, ils pourront toujours aller en appel.
M. Michel Charasse. Je n’y crois pas du tout !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si ! C’est ainsi que cela se passera !
On connaît bien ce système. Si un juge refuse de saisir, invoquant le fait qu’il n’y a pas de question préjudicielle, les justiciables pourront faire appel.
M. Michel Charasse. Oui.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela ne concerne pas uniquement les juridictions de première instance ! Et si la Cour d’appel considère à son tour qu’il n’y a pas de question préjudicielle, c’est la Cour de cassation qui tranchera.
M. Michel Charasse. À mon avis, elle ne tranchera pas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette procédure des questions préjudicielles est tout à fait naturelle !
Le cas que vous citiez, monsieur Charasse, constituerait un bon exemple à cet égard.
M. Michel Charasse. Surtout qu’il est connu !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La question qui se pose est celle de l’exécution des décisions de justice. En l’occurrence, on ne peut pas recourir à la force publique.
Vous proposez dans votre amendement, monsieur Charasse, que le Conseil constitutionnel « assure le respect de ses décisions ».
Il existait un ancien délit, que l’on a fait disparaître du code pénal, et qui qualifiait le non respect de la décision d’une juridiction comme le Conseil constitutionnel. Cela s’appelait la forfaiture !
M. Michel Charasse. Oui, mais on a supprimé les peines liées à la forfaiture pour protéger les gens du ministère de la justice qui s’assoient sur la loi !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement, on a supprimé ce délit !
La violation d’une décision du Conseil constitutionnel ou d’une autorité publique aurait donc constitué, naguère, une forfaiture.
Votre amendement est sympathique et témoigne d’une réflexion intéressante, mon cher collègue, mais on ne peut pas inscrire une telle disposition dans la Constitution.
Aussi, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Une telle disposition ne paraît pas nécessaire puisque, aux termes de l’article 62 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application.
Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours, mais elles s’imposent aux pouvoirs publics ainsi qu’à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
M. Michel Charasse. Et quand la Cour de cassation s’assoit dessus ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle n’a pas fait ça !
M. Michel Charasse. Si, c’est ce qu’elle a fait !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce n’est pas possible, monsieur Charasse, puisque de telles décisions ne sont pas applicables et ne sont pas censées exister !
La principale conséquence d’une décision du Conseil constitutionnel, c’est l’impossibilité de promulguer une loi ou une disposition déclarée inconstitutionnelle. Il n’y a donc, sur ce point, aucune difficulté.
Il arrive aussi que certaines décisions ne sanctionnent pas une disposition mais comportent des réserves, ce qui est arrivé pour de nombreuses lois. Mais, s’agissant des réserves, on considère que ce n’est pas inconstitutionnel.
Je ne crois donc pas qu’il faille modifier la Constitution sur ce point. D’ailleurs, les juridictions des deux ordres jouent bien le jeu, comme l’a rappelé M. le rapporteur : la décision est à chaque fois susceptible de recours, jusqu’à la Cour de cassation si c’est nécessaire.
Cet amendement ne nous paraît pas utile. C’est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Cet amendement ne pourra probablement pas connaître de suite dans l’immédiat, mais il nous invite tout de même à réfléchir sur cette question extrêmement grave du respect des décisions de certaines autorités judiciaires et cours de justice.
Il manque, dans notre droit, un dispositif équivalent à ce qui existe et est pratiqué couramment dans le droit anglo-saxon, sous la dénomination attempt of court, qui qualifie une faute extrêmement grave. Les décisions des cours bénéficient donc, dans les pays anglo-saxons, d’un respect inimaginable dans notre système.
M. Patrice Gélard. C’est la forfaiture !
M. Pierre Fauchon. Je signale qu’au sein de la République démocratique de l’Inde, qui est la plus grande démocratie du monde, il existe une Cour suprême qui statue dans des quantités de domaines, non seulement comme une cour de cassation, mais également comme une cour de régulation, et tranche de nombreux litiges, concernant le partage des eaux, la pollution, etc.
Lorsqu’on demande aux magistrats indiens comment les décisions de la Cour suprême de l’Inde peuvent être respectées, dans la mesure où ils ne disposent pas de bras séculier à proprement parler, ils répondent qu’ils appliquent la procédure de l’attempt of court, qui leur confère une efficacité remarquable.
L’amendement de notre collègue Michel Charasse pose donc un vrai problème, sur lequel nous devons réfléchir, même si ne nous pouvons pas y apporter une solution dans l’immédiat. Je crois qu’il faut garder ce problème présent à l’esprit, afin d’étudier par quels moyens nous pourrions introduire dans notre système juridique un dispositif équivalant à l’attempt of court, ce qui serait bien utile dans certains cas.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Je sens bien qu’il sera difficile d’aller plus loin sur cette question ce soir. Mais je voudrais quand même rappeler qu’en ce qui concerne la situation du Président de la République, la Cour de cassation a sciemment décidé d’ignorer la décision du Conseil constitutionnel concernant l’immunité présidentielle. Dans cette affaire, le Premier président de la Cour de cassation s’est même dérangé lui-même pour présider... passons !
Et c’est à la suite de ça qu’il a fallu adopter à Versailles ce texte complètement tordu qui concerne la mise en cause du Président de la République devant une Haute Cour qui d’ailleurs ne le juge pas et se contente de le destituer. Voilà le résultat, avec le concours de professeurs de droit qui en ont rajouté une louche !
Quant au deuxième point, la forfaiture, M. Hyest a raison. Je vais vous expliquer comment les choses se sont passées car il se trouve que j’ai suivi l’affaire en 1993, à l’Élysée, lorsque a été arrêté dans des conditions scandaleuses notre ancien collègue Pierre Merli, alors député-maire d’Antibes, sans les autorisations requises par la Constitution, c’est-à-dire sans l’autorisation de son assemblée. C’était avant la réforme de 1995.
Transporté d’urgence au petit matin alors qu’il était en traitement d’un cancer en phase terminale de son domicile d’Antibes jusqu’à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, personne, ni la police, ni le parquet, ni le juge d’instruction, n’a demandé les autorisations requises par la Constitution. Il s’agissait d’une forfaiture au sens du code pénal de l’époque.
À six heures du soir, alerté par l’avocat Paul Lombard, après plusieurs interventions, dont la mienne à la demande du président Mitterrand, qui m’a demandé de faire appeler l’attention du parquet sur cette situation en rappelant que ce parlementaire bénéficiait – à l’époque, c’était comme ça et nous étions en session ! – d’une immunité, on a benoîtement expliqué à M. Merli qu’on allait naturellement le libérer et que s’il ne déposait pas plainte pour forfaiture contre les policiers et les magistrats, tout s’arrangerait comme par enchantement.
Et à la suite de ce grave incident, la Chancellerie a profité de la réforme du code pénal qui était en cours non pas pour supprimer la forfaiture, mais pour lui enlever sa qualification – on ne sait plus si c’est un crime ou un délit ! – et, bien entendu, les peines qui allaient avec, c’est-à-dire le bannissement. Tant est si bien qu’aujourd’hui la forfaiture reste toujours dans le décret révolutionnaire d’août 1790, mais elle ne comporte aucune définition ni aucune peine dans le code pénal et on ne peut donc pas la poursuivre.
J’ai posé une question écrite à un garde des sceaux, il y a trois ou quatre ans, sur ce sujet : que fait-on si un tel cas se reproduit ? On m’a répondu : si un juge se met en situation de forfaiture, il sera poursuivi par la voie disciplinaire ! Autant dire une tape sur la joue.
Je retire mon amendement, pour ne pas prolonger les débats.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je ne peux pas accepter les propos que vient de tenir Michel Charasse sur la Cour de cassation et l’interprétation qu’elle a donnée de l’immunité présidentielle.
Il se trouve que les deux juridictions suprêmes ont donné des interprétations différentes d’un problème relevant essentiellement, au départ, de la procédure pénale.
On ne peut pas tenir de tels propos !
On ne pourra jamais me reprocher de n’être pas attentif aux décisions du Conseil constitutionnel, mais je ne peux pas laisser dire ici que la Cour de cassation, et son Premier président en particulier, aurait méconnu sciemment les décisions du Conseil. Cela n’a rien à voir ! Il s’agit simplement d’un conflit d’interprétation, d’une divergence.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a pas de conflit d’interprétation !
M. Michel Charasse. C’est plutôt une vengeance !
M. le président. L’amendement n° 34 rectifié est retiré.