Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 68 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008, le rapport évaluant l’utilisation et l’impact économique et social des dispositions permettant à des contribuables de réduire leur impôt sur le revenu sans limitation de montant, dit rapport sur les « niches fiscales ».

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Ce document sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

3

Demande d’examen de projets de loi selon la procédure simplifiée

M. le président. Mes chers collègues, lors de sa réunion de ce jour, la commission des affaires étrangères a souhaité étendre la procédure simplifiée à trois conventions inscrites à l’ordre du jour de notre séance du jeudi 15 mai au matin :

- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, relatif à la mise à disposition de personnels de la police nationale française au profit de la Principauté de Monaco à l’occasion d’événements particuliers (n° 279) ;

- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Australie relatif à la coopération en matière d’application de la législation relative à la pêche dans les zones maritimes adjacentes aux terres australes et antarctiques françaises, à l’île Heard et aux îles Mcdonald (n° 206) ;

- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’adhésion à la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires (n° 277).

En conséquence, sur les huit conventions inscrites ce matin-là, seul le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres des Communautés européennes sera examiné selon la procédure habituelle, sauf si un groupe politique demandait le retour à cette procédure pour l’une des sept autres conventions au plus tard le mardi 13 mai, à dix-sept heures.

4

Modification de l'ordre du jour

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 242 de M. Gérard Bailly est inscrite à l’ordre du jour de la séance du mardi 20 mai 2008.

Acte est donné de cette communication.

5

Article 4 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant modernisation du marché du travail
Article 5

Modernisation du marché du travail

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi déclaré d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, portant modernisation du marché du travail (nos 302, 306).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 5.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi portant modernisation du marché du travail
Article 6

Article 5

I. - Dans l'article L. 1231-1 du code du travail, après les mots : « ou du salarié », sont insérés les mots : « ou d'un commun accord ».

bis. - Dans l'article L. 1233-3 du même code, après les mots : « du contrat de travail, », sont insérés les mots : « à l'initiative de l'employeur et ».

II. - Après la section 2 du chapitre VII du titre III du livre II de la première partie du même code, il est inséré une section 3 ainsi rédigée :

« Section 3

« Rupture conventionnelle

« Art. L1237-11. - L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.

« La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties.

« Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties.

« Les salariés dont la rupture du contrat de travail résulte d'une rupture conventionnelle visée à la présente section bénéficient du versement des allocations d'assurance chômage dans des conditions de droit commun dès lors que la rupture conventionnelle a été homologuée par l'autorité administrative compétente.

« Art. L1237-12. - Les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister :

« 1° Soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, qu'il s'agisse d'un salarié titulaire d'un mandat syndical ou d'un salarié membre d'une institution représentative du personnel ou tout autre salarié ;

« 2° Soit, en l'absence d'institution représentative du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative.

« Lors du ou des entretiens, l'employeur a la faculté de se faire assister quand le salarié en fait lui-même usage. Le salarié en informe l'employeur auparavant ; si l'employeur souhaite également se faire assister, il en informe à son tour le salarié. 

« Art. L1237-13. - La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9.

« Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation.

« À compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie.

« Art. L1237-14. - À l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. Un arrêté du ministre chargé du travail fixe le modèle de cette demande.

« L'autorité administrative dispose d'un délai d'instruction de quinze jours calendaires, à compter de la réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. À défaut de notification dans ce délai, l'homologation est réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie.

« La validité de la convention est subordonnée à son homologation.

« L'homologation ne peut faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la convention. Tout litige concernant la convention, l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil des prud'hommes, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif. 

« Art. L1237-15. - Les salariés bénéficiant d'une protection mentionnés aux articles L. 2411-1 et L. 2411-2 peuvent bénéficier des dispositions de la présente section. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 1237-14, la rupture conventionnelle est soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre Ier du livre IV, à la section 1 du chapitre Ier et au chapitre II du titre II du livre IV de la deuxième partie. Dans ce cas, et par dérogation aux dispositions de l'article L. 1237-13, la rupture du contrat de travail ne peut intervenir que le lendemain du jour de l'autorisation.

« Art. L1237-16. - Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux ruptures de contrats de travail résultant :

« 1° Des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les conditions définies par l'article L. 2242-15 ;

« 2° Des plans de sauvegarde de l'emploi dans les conditions définies par l'article L. 1233-61. »

III. - Le 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts est complété par un 6° ainsi rédigé :

« 6° La fraction des indemnités prévues à l'article L. 1237-13 du code du travail versées à l'occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail d'un salarié lorsqu'il n'est pas en droit de bénéficier d'une pension de retraite d'un régime légalement obligatoire, qui n'excède pas :

« a) Soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l'année civile précédant la rupture de son contrat de travail, ou 50 % du montant de l'indemnité si ce seuil est supérieur, dans la limite de six fois le plafond mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale en vigueur à la date de versement des indemnités ;

« b) Soit le montant de l'indemnité de licenciement prévue par la convention collective de branche, par l'accord professionnel ou interprofessionnel ou, à défaut, par la loi ; ».

IV. - Dans le douzième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et dans le troisième alinéa de l'article L. 741-10 du code rural, les mots : « de départ volontaire » sont remplacés par les mots : « versées à l'occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail, au sens de l'article L. 1237-13 du code du travail, et les indemnités de départ volontaire ».

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l'article.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’article 5 est certainement l’un des plus emblématiques du texte que nous examinons.

Je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles l’accord a été conclu avec les partenaires sociaux, car je suis déjà intervenu sur cette question au début de notre discussion. Pour l’heure, je ne veux me soucier que du fond : la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Vous le savez, le mouvement socialiste s’est opposé pendant la campagne électorale et à de nombreuses reprises depuis au contrat unique, qui devait englober en son sein toutes les autres formes de contrat de travail, et à l’idée que la rupture du contrat de travail pourrait dorénavant être négociée de gré à gré.

Le texte proclame que le CDI est la forme normale du contrat de travail. Or, nous l’avons déjà souligné, cette formule est si incomplète qu’elle s’apparente à une pure pétition de principe sans contenu normatif particulier, d’autant que le même projet de loi prévoit de nouvelles formes de contrat de travail qui sont tellement dérogatoires par rapport au CDI que l’on a affaire plutôt à une généralisation du contrat atypique qu’à une généralisation du CDI.

Mais, avec la rupture par consentement mutuel, on aborde la mesure la plus choquante du projet de loi, non seulement au regard de la longue histoire du mouvement ouvrier, mais aussi par rapport à ce que représente le contrat de travail. Le dispositif présuppose en effet une égalité qui n’existe pas entre l’employeur et l’employé, alors que, au contraire, c’est sur l’absence d’égalité entre les deux que repose tout notre droit du travail. Même si, cela va de soi, ce sont deux êtres humains qui sont égaux par nature, dans une relation de travail, l’un est le subordonné de l’autre, l’un prend la décision de donner ou non du travail à l’autre !

Si le contrat de travail est entouré de telles précautions, c’est parce que c’est le seul exemple dans notre expérience collective de pays libre et de peuple libre où un individu reconnaît son état de subordination permanent à l’égard d’un autre.

J’ai déjà cité devant le Sénat cette magnifique phrase de Jean Jaurès : « La République a fait les Français rois dans la cité, mais les a laissés serfs dans l’entreprise. » Cette formule a le mérite de bien montrer que la rupture entre l’Ancien Régime et l’idéal républicain n’est pas de fait dans tous les lieux de notre pays ni dans toutes les circonstances, en particulier dans celle-là.

Non, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne sommes pas dans une relation égalitaire.

Certains ont comparé la relation employeur-employé à celle d’un couple. L’analogie est très choquante. Qui dit couple, dit affection, mais il n’en va pas forcément de même de la relation de travail. Certes, on peut beaucoup aimer son patron ou sa patronne, mais ce sentiment n’entre pas en ligne de compte dans la conclusion du contrat de travail. Par parenthèse, je signale que les ruptures dans un couple, même par consentement mutuel, sont rarement heureuses. Ce serait donc une illusion que de croire que, dans le cas qui nous occupe, ce sera du pur bonheur, à plus forte raison s’agissant d’une relation contrainte.

Parce que donc nous ne sommes pas dans une relation égalitaire, la rupture par consentement mutuel peut être la conséquence de n’importe quelle situation ou pression, quelle que soit la bonne ou la mauvaise volonté des parties concernées, en particulier de la partie la plus forte, c’est-à-dire le patron. On imagine bien le choix que laissera le patron au salarié : si tu acceptes tout de suite, c’est tant ; on se dit au revoir et merci ; si tu résistes, je te mets quand même à la porte - je trouverais bien une raison pour motif personnel - et, si tu n’es pas content, tu en auras pour deux ou trois ans devant les prud’hommes. En fait, cela durera même davantage maintenant que le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a supprimé un quart des conseils prud’homaux de ce pays. Voilà qui ne va pas accélérer les procédures !

Comment voulez-vous que, placé devant une telle alternative, un travailleur puisse résister ?

Cette relation est totalement inégalitaire. Dans ces conditions, comment peut-on imaginer que le consentement mutuel sera acquis de bon gré ? Ce n’est pas possible !

De plus – conséquence terrible de ce que l’on a examiné préalablement–, la période d’essai va être allongée, au point de correspondre à la durée moyenne d’un CDD, à savoir quatre mois. Durant cette période, les travailleurs n’ont aucun droit, puisque l’on peut mettre fin au contrat sans motif et sans verser d’indemnités.

Voilà pour l’entrée ! Et à la sortie ? Il y a le consentement mutuel, cette disposition qui permet qu’on vous pousse dehors hors de tout cadre légal, grâce à un simple échange de paroles. On en revient donc à une situation où la loi n’est plus là et donc ne protège plus le faible contre le fort. Mes chers collègues, dans ce type de situation - même si l’image a été beaucoup utilisée, elle me paraît particulièrement opportune en cet instant -, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit.

Parce que c’est article crée un nouvel espace de non-droit où la palabre remplace la loi et le respect de la loi, parce qu’il substitue à la protection et aux garanties que la loi apporte à chaque citoyen libre le rapport de force pur et simple entre deux personnes dont l’une jouit de prérogatives immenses mais l’autre ne dispose d’aucun pouvoir, il fera l’objet d’un examen attentif de la part de notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Comme les autres, d’ailleurs !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 51 est présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.

L'amendement n° 74 est présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Muller, pour présenter l’amendement n° 51.

M. Jacques Muller. Il faut avant tout faire remarquer que ce type de rupture à l’amiable entre l’employeur et le salarié existe déjà. Les ASSEDIC dénoncent clairement cette pratique, qui consiste pour l’employeur à demander une garantie écrite par laquelle, même si le document n’a pas de caractère officiel, le salarié reconnaît avoir demandé la rupture et s’engage à ne pas poursuivre l’entreprise devant les prud’hommes.

Cette prétendue « rupture à l’amiable » fonctionne déjà en dehors de tout cadre juridique : ce projet de loi vise à la légaliser et à la généraliser.

On retrouve très exactement la philosophie de la présidente du MEDEF, Mme Parisot, qui affirmait : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »

Ce raccourci édifiant revient à nier purement et simplement les fondements mêmes du droit du travail, qui repose sur la reconnaissance du déséquilibre structurel, intrinsèque, de la relation entre l’employeur et le salarié.

Nos prédécesseurs ne s’y étaient pas trompés : tout le code du travail reposait jusqu’à présent sur la volonté du législateur de tenter de corriger une situation dans laquelle la liberté des deux parties signifie que l’un, objectivement, domine l’autre, puisque le salarié, dont les revenus dépendent directement de l’employeur, est en situation de dépendance et de faiblesse.

Comme le résume Lacordaire dans l’une de ses conférences de Notre-Dame, dans un monde de forts et de faibles, « c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

En introduisant le principe de rupture à l’amiable, ce projet de loi, décidément taillé sur mesure pour le MEDEF, méconnaît ces réalités qui prennent une dimension particulière dans la crise que nous connaissons.

Oui, dans un contexte marqué par le chômage et les emplois précaires, l’inégalité structurelle entre l’employeur et le salarié prend une dimension particulière, encore plus dure !

Le monde du travail n’est pas idyllique. Dans le contexte actuel, de trop nombreux salariés y subissent déjà harcèlement ou discrimination. Le salarié est souvent poussé vers la porte. Multiplication des arrêts de maladie, consommation de psychotropes, dépression ou, pire, suicides : tels sont les symptômes d’un profond mal-être de nombreux salariés pour lesquels une rupture à l’amiable n’a évidemment aucune signification.

Les dispositifs prévus dans le projet de loi assurent trop peu de garanties aux salariés victimes de pressions de la part des employeurs, alors que, hors du système de rupture conventionnelle prévu, il existe des possibilités d’obtenir réparation par voie judiciaire.

Précisément, lorsque le salarié aura accepté, sous la pression, de signer une convention de rupture, aura-t-il toujours la possibilité de poursuivre l’employeur pour harcèlement ou discrimination ? Le projet de loi reste bien muet sur cette question !

Pour conclure, ce qui est en jeu, ce n’est ni plus ni moins qu’une atteinte au droit du licenciement. C’est un pan entier du droit du travail qui est mis à mal par les dispositions de ce projet de loi.

C'est la raison pour laquelle cet amendement vise à supprimer purement et simplement l’article 5, emblématique d’un projet de loi qui, on peut le dire, introduit une rupture, une régression historique dans notre droit.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l'amendement n° 74.

Mme Annie David. Cet article 5 instaurant la fameuse rupture conventionnelle, l’un des piliers de votre projet de loi, monsieur le ministre, n’est rien de moins qu’une brèche supplémentaire dans la législation relative au licenciement et aux limites qui le concerne.

Cet article, nous dites-vous, est censé satisfaire les attentes des employeurs et des salariés. Pourtant, en y regardant de plus près, ce projet de loi n’apporte aux salariés aucun droit nouveau, comme mon collègue Guy Fischer et moi-même le dénonçons depuis hier.

En effet, soit la rupture conventionnelle est à l’initiative de l’employeur, et il s’agit alors de contourner la législation en matière de licenciement ; soit elle est à l’initiative du salarié et, dans ce cas, on voit mal quel intérêt aurait le salarié à accepter une telle rupture, si ce n’est pour la monétisation qui s’ensuit et l’ouverture d’un droit nouveau à l’assurance chômage !

S’agit-il réellement d’un avantage ? On peut en douter lorsque l’on connaît la politique de radiation que mène l’ANPE et la pénurie d’emplois qui pèse sur notre pays.

Quant à la monétisation, hormis le fait qu’il s’agit pour les personnes embauchées en dessous du seuil fatidique d’un an d’un nouvel outil de pression sur elles, ce n’est ni plus ni moins qu’un dû au salarié qui aurait touché une indemnité en cas de licenciement et, de plus, bénéficié de droits supplémentaires en cas de contestation !

Cependant, il est vrai que certains salariés, usés par l’exigence toujours plus élevée de productivité ou découragés par la dégradation des ambiances de travail et par le blocage de leur progression de carrière, souhaitent quitter leur emploi.

Il est vrai, également, que certains employeurs, peu sûrs de disposer d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, proposent à des salariés un départ négocié, suivi d’une transaction, une fois le faux licenciement notifié, la transaction pouvant, par la suite, être remise en cause par un juge, si le salarié démontre l’absence de concessions réciproques.

L’employeur demeure donc sous la menace d’une possible annulation de la transaction et d’une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. On comprend donc un peu mieux cette volonté d’instaurer une rupture conventionnelle !

Aussi, en permettant un licenciement sans cause réelle et sérieuse, car l’accord du salarié ne sera dans bien des cas qu’une fiction tant l’inégalité est importante entre les parties, l’accord met à bas quarante ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire.

Enfin, je voudrais vous faire part des doutes exprimés par la Fondation Copernic et par le Syndicat des avocats de France, …

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. C’est une sacrée référence !

Mme Annie David. … qui soulignent que la procédure ne sera soumise qu’au contrôle du directeur départemental du travail.

Or, compte tenu des moyens de plus en plus réduits de cette autorité administrative, on peut se demander si le contrôle sera aisé, et ce d’autant plus que le Gouvernement mène une politique de « casse » du service public, dont l’inspection du travail est l’une des premières victimes.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Avec 7 000 postes en plus !

Mme Annie David. Comment, dès lors, faire peser sur la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, qui souffre d’une carence en inspecteurs et en contrôleurs, le poids de l’homologation, qui plus est dans un délai presque grotesque de quinze jours ?

Avec cette rédaction, vous vous êtes assurés de créer les conditions pour que l’homologation soit incontestable : joli tour de passe-passe !

On voit bien comment cette rupture conventionnelle ne satisfait que l’une des catégories de personnes concernées par la relation contractuelle : l’employeur.

En effet, en plus de contourner les règles du licenciement, cette rupture conventionnelle intègre une fois de plus des éléments de droit privé dans le code du travail.

Cette rupture conventionnelle, censée faire écho au divorce par consentement, ignore volontairement un élément considérable : l’emprise de l’employeur sur son salarié, le lien de subordination qui a été fort bien décrit par les orateurs précédents.

Vous voudriez faire croire que les salariés et les employeurs sont sur un pied d’égalité. Qui croyez-vous abuser ?

Cela vous servira demain pour d’autres projets toujours plus rétrogrades, comme la création d’un contrat de travail unique ou l’individualisation de toute la relation contractuelle.

En tout état de cause, le groupe CRC demande la suppression de cet article 5.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ces deux amendements identiques visent purement et simplement à supprimer la disposition essentielle de ce projet de loi.

Il s’agit effectivement d’une disposition emblématique, qui caractérise des relations contractuelles de travail apaisées, civilisées, modernes, pour élaborer un modèle social français et européen à mi-chemin entre un libéralisme pur et dur et une vision par trop caricaturale de l’entreprise d’aujourd'hui.

M. Guy Fischer. Oui, bien sûr !

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Cette rigidité est fondée davantage sur les idéologies que sur la réalité de la situation internationale telle que nous la vivons. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

De plus, vous le savez, c’est totalement contraire à l’accord passé entre toutes les organisations.

Par conséquent, nous ne pouvons émettre qu’un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

M. Guy Fischer. Et voilà : c’est emballé !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Cet article 5 apporte effectivement une nouveauté qui est attendue par les salariés.

Vous parliez, madame David, d’un divorce par consentement.

Effectivement, dans des entreprises, il peut y avoir à la fois des salariés qui veulent quitter l’entreprise et des employeurs qui veulent bien laisser partir leurs employés, ne serait-ce que parce que ces derniers ont envie d’autre chose, par exemple de créer leur propre entreprise. Il n’y a aucune raison que l’employeur licencie quelqu’un qui travaille bien parce que cette personne a envie d’autre chose !

Mme Annie David. Il n’y a aucune raison de faire une loi pour cela !

Mme Raymonde Le Texier. Tout à fait ! Les employés n’ont pas besoin de cet article pour partir à l’amiable !

Mme Catherine Procaccia. Vous parliez, chère collègue, de quarante ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire. J’ai travaillé trente-cinq ans dans une entreprise. Pendant ces trente-cinq années, je puis vous assurer que, quasiment tous les ans, au sein d’une entreprise qui comptait à l’époque 20 000 salariés et qui en compte aujourd'hui 40 000, au moins une ou deux personnes auraient eu envie de partir. Et cela n’était pas dû à la pression de l’employeur !

Mme Raymonde Le Texier. Donc, il n’y a pas besoin d’introduire cet article-là !

Mme Catherine Procaccia. Vous dites que cet article est taillé sur mesure pour le MEDEF. Je ne suis pas d’accord. L’employé attend des indemnités. Sinon, pourquoi voulez-vous que l’entreprise le licencie alors qu’il fait bien son travail ?

Pour ma part, il me semble que ce texte est taillé sur mesure pour répondre à des réalités concrètes de l’entreprise.

Cette mesure est demandée. Comme l’ont si bien rappelé à la fois M. le rapporteur et M. le ministre, …

Mme Annie David. Le ministre n’a rien dit ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Catherine Procaccia. … l’accord a été signé par quatre syndicats, ce qui interdit de penser qu’il ait pu être obtenu au détriment des salariés, sauf à imaginer que des syndicats braderaient les droits des salariés, ce que je ne crois pas !