M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Je suis quelque peu surpris que Mme David veuille supprimer la protection des salariés protégés. La commission, quant à elle, a souhaité maintenir cette protection ; elle émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. M. le rapporteur se dit surpris de ma demande de suppression puisque, ce faisant, on supprimerait une protection pour des salariés qui sont déjà protégés.
Comme je l’ai dit en commission, lorsqu’un salarié est titulaire d’un mandat syndical, quel qu’il soit, il doit mettre ce mandat au service des salariés qu’il est censé défendre et non à son propre profit. Ces salariés bénéficient fort justement d’une protection particulière puisque leur licenciement doit recevoir l’accord de la direction départementale du travail.
La direction départementale du travail étant déjà sollicitée pour une rupture conventionnelle, je ne vois pas pourquoi on ajouterait une protection supplémentaire, sauf à jeter le doute sur l’ensemble des représentants syndicaux dans les entreprises.
La représentativité syndicale fait actuellement l’objet d’une négociation, et une position commune commence à émerger.
La disposition en question n’a jamais été évoquée au cours des quatre mois de négociation avec l’ensemble des partenaires sociaux ; aucun partenaire n’a demandé qu’elle soit intégrée dans l’accord. Nous ne savons ni comment ni pourquoi elle figure dans le projet de loi.
Toujours est-il que je trouve dommage de jeter la suspicion sur les représentants des salariés, qui sont toujours l’objet de multiples pressions auxquelles il est quelquefois difficile de résister. Je crains que cette disposition n’accroisse encore la pression qui pèse sur leurs épaules.
Monsieur le ministre, vous ne m’avez absolument pas répondu. Comment se fait-il que cette mesure figure dans le projet de loi alors qu’il n’en est absolument pas question dans le fameux accord national interprofessionnel signé par l’ensemble des organisations syndicales ? Y aurait-il deux poids, deux mesures : des éléments qu’il faudrait laisser, d’autres qu’il importerait d’écarter, d’autres encore qu’il conviendrait d’ajouter ?
Ce n’est pas bon pour les syndicats, alors que la négociation sur la représentativité est en cours.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous sommes-nous éloignés de la lettre de l’accord ? Oui, et je vais vous dire pourquoi. Nous sommes-nous éloignés de son esprit ? Certainement pas !
Pourquoi interdire ou empêcher un salarié protégé de bénéficier de ces dispositions ? Ne l’oublions pas, la jurisprudence est constante. Toutes les protections, notamment le contrôle réalisé par l’autorité administrative, continueront à s’appliquer. Il n’y a strictement aucun problème. D’ailleurs, si nous avons apporté cette précision, c’est tout simplement pour conserver et pour renforcer la protection du salarié protégé.
Voilà pourquoi nous avons inscrit cette mesure dans le projet de loi. Je tenais à m’en expliquer.
Mme Annie David. Quelle jurisprudence ? La disposition n’existe pas encore !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Je ne voterai pas cet amendement, mais je tenais à saluer la démarche responsable et courageuse de Mme David. Il n’est pas toujours évident de défendre ce type d’amendement. Il est dommage, en effet, que ce texte ne fasse pas partie de l’accord.
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par Mmes Demontès, Le Texier et Schillinger, M. Godefroy et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... Les dispositions du présent article sont applicables à compter de la signature par les partenaires sociaux du renouvellement suivant de la Convention d'assurance chômage.
La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Les dispositions proposées pour l’article L. 1237-11 du code du travail indiquent que les salariés dont la rupture du contrat de travail résulte d’une rupture conventionnelle homologuée bénéficieront du versement des allocations d’assurance chômage dans des conditions de droit commun.
Comme nous l’avons déjà indiqué, un certain nombre d’incertitudes pèsent actuellement sur le financement des différentes branches de la protection sociale. Une nouvelle convention d’assurance chômage doit entrer en application le 1er janvier 2009. Le Gouvernement entend obtenir le basculement d’une partie du financement des allocations de chômage sur les retraites. Des mesures coercitives sont prises à l’encontre des demandeurs d’emploi pour les obliger à accepter des emplois précaires, déqualifiés, sous-rémunérés et éloignés de leur domicile. Le MEDEF veut profiter de l’opportunité pour obtenir non pas un simple transfert des cotisations d’assurance chômage vers les cotisations retraite, mais aussi et surtout une diminution de leur montant.
Il nous paraît donc raisonnable de vérifier préalablement que le nouvel organisme issu de la réforme du service public de l’emploi dont nous avons débattu au début de l’année tiendra les engagements pris par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel et transposés dans le présent projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Cet amendement semble redondant avec la disposition qui est déjà inscrite dans la loi selon laquelle les salariés dont le contrat a été rompu par la voie conventionnelle bénéficieront d’allocations chômage.
De plus, il n’y a aucune raison de douter que le droit à l’assurance chômage stipulé par l’accord du 11 janvier sera concrétisé dans la prochaine convention d’assurance-chômage, puisque ce sont les mêmes organisations qui négocieront. C’est en quelque sorte un signal qui leur est adressé.
Dans ces conditions, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. J’ajoute que cette disposition est redondante avec la rédaction qui résulte de l’adoption d’un amendement socialiste, à l’Assemblée nationale.
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par Mmes Demontès, Le Texier et Schillinger, M. Godefroy et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Dans un délai de trois ans à compter de la date de promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur le nombre de conventions de rupture conventionnelle signées, le nombre de demandes d'homologation réputées acquises par défaut de notification de l'autorité administrative, le nombre de recours au conseil de prud'hommes et leur conclusion.
La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Cet amendement a pour finalité de permettre au Parlement de disposer de statistiques sur les ruptures conventionnelles et, par là même, sur les caractéristiques de celles-ci.
Il y a une incertitude complète face à la concrétisation de la séparation à l’amiable voulue par le MEDEF et acceptée par un certain nombre de syndicats de salariés, à l’exception de la CGT, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel.
Plusieurs questions se posent.
Quel sera le nombre de ruptures conventionnelles par rapport à ce que l’on sait aujourd’hui des licenciements négociés ? Sera-t-il plus important, ou moins important ?
En fonction de ce nombre, l’homologation par l’administration du travail sera-t-elle une procédure d’examen au fond ou une simple formalité administrative ?
Si la rupture conventionnelle n’est pas applicable dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou d’un plan de licenciements, ne risque-t-elle pas d’être utilisée en substitution à ces procédures dans certains cas ?
Peut-on imaginer que des pressions s’exercent à l’encontre de salariés pour les contraindre à signer une rupture conventionnelle ? À combien de contentieux la rupture négociée donnera-t-elle lieu ?
Quelles questions juridiques seront-elles soulevées au contentieux sur cette forme innovante de rupture du contrat de travail ? Y aura-t-il des requalifications en licenciement ?
Il est important que, sur tous ces points, le Parlement soit clairement informé des conséquences de ce que l’on nous demande de voter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Les partenaires sociaux ont déjà prévu de mettre en place une commission de suivi et d’évaluation de cet accord, ce qui nous permettra d’évaluer le fonctionnement de la rupture conventionnelle.
Dans ces conditions, le Parlement aura, me semble-t-il, les moyens d’être parfaitement informé. Il n’est donc pas nécessaire d’exiger un autre rapport puisque nous pourrons disposer de celui que les partenaires sociaux auront eux-mêmes élaboré. La commission émet par conséquent un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 40 rectifié bis est présenté par MM. Béteille, Lecerf, Pillet, de Richemont, Buffet et Mme Desmarescaux.
L'amendement n° 54 rectifié bis est déposé par M. Zocchetto et les membres du groupe Union centriste – UDF.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Dans le dernier alinéa de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, après les mots : « contrat de travail », sont insérés les mots : « ou de la convention de rupture, l'homologation ou le refus d'homologation de la convention, ».
La parole est à M. Laurent Béteille, pour présenter l’amendement n° 40 rectifié bis.
M. Laurent Béteille. Cet amendement, sans lien aucun avec les amendements précédents, vise le régime particulier des avocats salariés pour lesquels des dispositions spéciales prévoient la compétence du bâtonnier en cas de litige lié au contrat de travail. Comme vous le savez, actuellement, lorsqu’un avocat salarié est licencié, le litige est porté non devant le conseil de prud’hommes, mais devant la juridiction ordinale.
Par cohérence, il convient de faire en sorte que les litiges relatifs aux cas de rupture d’un commun accord intervenant entre un avocat salarié et son patron remontent également à la juridiction du bâtonnier plutôt qu’au conseil de prud’hommes. Tel est l’objet de l’amendement n° 40 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour présenter l’amendement n° 54 rectifié bis.
M. Nicolas About. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir une exception à la compétence de principe du conseil de prud’hommes au profit des avocats salariés. La commission n’a pas souhaité suivre l’esprit de la loi de 1971, préférant que cette profession rejoigne le droit commun. Elle m’a donc demandé d’émettre, en son nom, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement est partagé. J’ai bien entendu ce qui a été dit tant par M. Béteille que par M. le rapporteur. Il ne s’agit pas que les avocats ne puissent bénéficier des dispositions dont profitent l’ensemble des salariés. Pour autant, je ne méconnais pas la crainte nourrie par certains de voir d’autres professions invoquer l’exemple des bâtonniers pour faire intervenir les responsables de leurs ordres.
Monsieur Béteille, je vous dirai très franchement que, si la commission avait émis un avis favorable, je l’aurais suivie. Puisqu’il en va autrement, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. Ce point est important pour la profession. Il a fait l’objet de discussions lors de la mise en place, au profit des avocats, de contrats salariés, succédant aux contrats de collaboration qui obéissaient à d’autres règles. Le fait que les avocats puissent être salariés a constitué un véritable progrès obtenu par la négociation, notamment avec la Chancellerie.
Il a été jugé qu’il n’était pas opportun que les litiges liés au contrat de travail des avocats soient jugés directement par une juridiction devant laquelle certains sont appelés à plaider journellement. Par conséquent, la compétence du conseil de prud’hommes aurait, en l’occurrence, posé problème. De toute façon, le litige se retrouve, en cas d’appel, devant la même juridiction, la cour d’appel, puisque la décision du bâtonnier est toujours à charge d’appel. Il est clair que la cour d’appel a une plus grande distance par rapport à l’exercice quotidien de la profession d’avocat.
Je défends cette mesure, car elle a sa cohérence et elle respecte l’indépendance de la profession d’avocat. L’enjeu est de rendre cohérents les textes précédents et le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui. Il me paraît en effet difficile de comprendre que le licenciement pour faute soit du ressort du bâtonnier, alors que les difficultés liées à l’homologation d’un accord relèveraient du conseil de prud’hommes. Soucieux d’éviter cette incohérence totale, j’insiste auprès de vous, mes chers collègues, pour que cet amendement vraiment nécessaire soit adopté.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 40 rectifié bis et 54 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 78, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le Gouvernement présentera au Parlement, dans les deux ans suivant la publication de la présente loi, un rapport sur l'évaluation des conséquences de ce dispositif sur le régime d'assurance chômage et sur les conséquences budgétaires de la défiscalisation des indemnités de rupture conventionnelle.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. La proposition de réduire de deux ans à un an la durée d’ancienneté exigée pour pouvoir bénéficier de l’assurance chômage nous amenait déjà à nous interroger quant aux conséquences d’une telle mesure sur la situation financière du régime d’indemnisation du chômage.
Tel est également le cas avec cette rupture conventionnelle, qui, dès son homologation, ouvrira droit à une indemnisation du chômage.
Cela ne sera pas sans conséquence sur le régime d’indemnisation du chômage, surtout si le Gouvernement ne prévoit pas d’accroître la participation des employeurs au financement de ce dernier.
Je voudrais d’ailleurs vous rappeler que la présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse a fait part de son opposition sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous demandons que soit remis au Parlement un rapport portant sur les conséquences de cet article sur le régime d’assurance chômage et sur l’effet d’aubaine que cette rupture conventionnelle pourrait provoquer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler tout à l’heure que les partenaires sociaux s’étaient souciés de mettre en place des commissions de suivi. Il en est ainsi de l’objet que vient d’évoquer notre collègue Guy Fischer. Les partenaires sociaux ont en effet prévu une commission de suivi et d’évaluation des dispositifs mis en place par l’ensemble de l’accord.
Le Parlement aura donc les moyens d’être informé sans qu’il soit procédé à la remise formelle par le Gouvernement d’un rapport consacré à l’évolution de cet accord et à son bilan.
Ne souhaitant pas multiplier les rapports, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
Un contrat de travail à durée déterminée dont l'échéance est la réalisation d'un objet défini, d'une durée minimale de dix-huit mois et maximale de trente-six mois, peut être conclu pour le recrutement d'ingénieurs et de cadres, au sens des conventions collectives. Le recours à ce contrat est subordonné à la conclusion d'un accord de branche étendu ou, à défaut, d'un accord d'entreprise.
L'accord de branche étendu ou l'accord d'entreprise définit :
1° Les nécessités économiques auxquelles ces contrats sont susceptibles d'apporter une réponse adaptée ;
2° Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini bénéficient de garanties relatives à l'aide au reclassement, à la validation des acquis de l'expérience, à la priorité de réembauchage et à l'accès à la formation professionnelle continue et peuvent, au cours du délai de prévenance, mobiliser les moyens disponibles pour organiser la suite de leur parcours professionnel ;
3° Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini ont priorité d'accès aux emplois en contrat à durée indéterminée dans l'entreprise.
Ce contrat est régi par le titre IV du livre II de la première partie du code du travail, à l'exception des dispositions spécifiques fixées par le présent article.
Ce contrat prend fin avec la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance au moins égal à deux mois. Il peut être rompu à la date anniversaire de sa conclusion par l'une ou l'autre partie pour un motif réel et sérieux. Il ne peut pas être renouvelé. Lorsque, à l'issue du contrat, les relations contractuelles du travail ne se poursuivent pas par un contrat de travail à durée indéterminée, le salarié a droit à une indemnité d'un montant égal à 10 % de sa rémunération totale brute.
Le contrat à durée déterminée à objet défini est établi par écrit et comporte les clauses obligatoires pour les contrats à durée déterminée, sous réserve d'adaptations à ses spécificités, notamment :
1° La mention « contrat à durée déterminée à objet défini » ;
2° L'intitulé et les références de l'accord collectif qui institue ce contrat ;
3° Une clause descriptive du projet et mentionnant sa durée prévisible ;
4° La définition des tâches pour lesquelles le contrat est conclu ;
5° L'événement ou le résultat objectif déterminant la fin de la relation contractuelle ;
6° Le délai de prévenance de l'arrivée au terme du contrat et, le cas échéant, de la proposition de poursuite de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ;
7° Une clause mentionnant la possibilité de rupture à la date anniversaire de la conclusion du contrat par l'une ou l'autre partie pour un motif réel et sérieux et le droit pour le salarié, lorsque cette rupture est à l'initiative de l'employeur, à une indemnité égale à 10 % de la rémunération totale brute du salarié.
Ce contrat est institué à titre expérimental pendant une période de cinq ans à compter de la publication de la présente loi.
À l'issue de cette période, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport, établi après concertation avec les partenaires sociaux et avis de la Commission nationale de la négociation collective, sur les conditions d'application de ce contrat et sur son éventuelle pérennisation.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Mes chers collègues, cet article 6 constitue le quatrième article défavorable aux salariés ou participant à l’aggravation des conditions de travail et de précarité ! Quatre articles sur six, autant dire que cela témoigne du déséquilibre profond de ce texte ! Et encore devrais-je dire « quatre sur cinq », tant l’article 1er, je le rappelle, ne crée aucun droit et ne renforce pas la protection existante. Il entérine même l’existence de contrats précaires. Il s’agit là d’un résultat dont le MEDEF peut se féliciter.
Cet article 6 prévoit la création d’un nouveau contrat précaire, allongeant la liste des trente-six ou trente-sept contrats précaires déjà existants si l’on compte par avance le contrat de portage. On comprend donc que, pour vous, la seule manière de moderniser le marché du travail réside dans le fait de lui donner toujours plus de souplesse en le libérant des fameux carcans légaux que votre majorité ne cesse de dénoncer.
Il s’agit donc ici de créer un véritable contrat de projet ou de mission en direction des ingénieurs et des cadres. En somme, les employeurs pourront recourir à du personnel en leur confiant une mission particulière. Ils disposeront toutefois de la possibilité de les licencier au bout de douze mois, ou de dix-huit mois – cela devrait être précisé dans un instant –, et au bout de vingt-quatre mois. Ce licenciement résulterait non du mauvais accomplissement de leur mission par les salariés, mais tout simplement de l’arrivée d’un seuil présupposé fatidique de un an et de deux ans. L’employeur pourrait encore se séparer de son salarié au bout de trente-six mois ou à l’issue de la mission, sans compter qu’il peut toujours le faire pendant la période d’essai qui, je le rappelle, s’agissant de cadres, peut aller jusqu’à huit mois.
Je vois bien où est la flexibilité pour les employeurs, mais je cherche encore la sécurisation de l’emploi pour ces cadres !
En outre, l’argument de la limitation de ce projet de loi, tant dans le temps que dans le public visé, ne nous satisfait pas. Nous savons pertinemment que les employeurs trouveront dans cette disposition l’outil de précarisation qui correspond à leurs attentes et à leurs pratiques managériales. Il ne fait alors aucun doute que le patronat proposera au Gouvernement d’étendre ce dispositif à tous les salariés. L’un de nos collègues va d’ailleurs le proposer dans un instant !
Ce contrat, s’il était adopté, ferait peser sur les cadres et les ingénieurs une pression inacceptable. Ces derniers devraient satisfaire à toutes les attentes, à toutes les exigences, avec une seule certitude, celle de devoir quitter l’entreprise une fois la mission accomplie.
On se retrouvera donc dans la situation immorale où le cadre qui aura participé à l’essor de l’entreprise, qui aura permis le développement du capital et l’enrichissement de la société se verra licencier pour la qualité de ses bonnes performances !
C’est injuste socialement, et contradictoire, me semble-t-il, avec l’engagement présidentiel pris récemment d’associer les salariés à la réussite de l’entreprise en favorisant l’intéressement.
Il y aurait donc des salariés que l’on gratifie pour l’excellence de leur participation, ceux en CDI, et d’autres dont on se sépare pour le même motif, ceux en CDD à objet défini. Mais on sait également que ces mesures sont contreproductives dans la mesure où les salariés s’épanouissent lorsqu’ils ont la sécurité de l’emploi et où, de cet épanouissement, naît une productivité accrue. C’est ce qui est observé aux États-Unis, où l’on a pu constater une baisse de productivité à l’approche de la date de fin du contrat.
Ce contrat sera donc, au final, contreproductif pour les entreprises et dangereux pour les salariés. Je voudrais rappeler que les ingénieurs et les cadres figurent parmi les salariés les plus concernés par le stress au travail et les nouvelles formes de troubles de santé liés au travail ou survenant sur le lieu de travail. Nous gardons tous en mémoire la vague de suicides survenus dans un technocentre d’une grande marque française d’automobiles. Or, les négociations sur la pénibilité du travail sont au point mort.
Cette mesure aggravera les conditions de travail ; c’est pourquoi il nous semble opportun de l’écarter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l’article.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il est dit ailleurs dans le texte que le CDI est dorénavant la forme de contrat de travail de référence. Or, nonobstant cela, nous nous préparons, avec cet article 6, à créer un nouveau contrat de travail qui n’est ni le CDI ni le CDD, puisqu’il est moins qu’un CDD : il s’agit du fameux contrat de mission ou de projet, l’appellation ayant changé suivant les périodes. C’était une idée du MEDEF qui l’avait fait figurer dans ses propositions en 2002. Si mes souvenirs sont exacts, en 2004, Ernest-Antoine Seillières, au nom du MEDEF, avait salué la reprise du contrat de mission dans le rapport Virville commandé par François Fillon. Voilà pour l’historique.
Cet article vise à étendre aux cadres et aux ingénieurs, c'est-à-dire à 10 % de la population active, la possibilité de recours au CDD, alors qu’ils en étaient jusqu’à présent relativement protégés.
Ce CDD à objet défini est, en outre, plus précaire que le CDD actuel. Son terme est incertain – entre dix-huit et trente-six mois –, et l’employeur est le seul maître de la fixation de son terme. La durée maximale de ce CDD pourra en effet être de trente-six mois, alors que les CDD actuels ne peuvent pas excéder vingt-quatre mois.
Le CDD à objet défini pourra être rompu par l’employeur – et nous y revoilà ! – pour un simple motif réel et sérieux, alors qu’une faute grave est exigée pour pouvoir rompre un CDD normal. Autrement dit, ce contrat de travail, d’ailleurs plus proche de l’intermittence que du CDD, est caractérisé par un maximum de flexibilité.
Dans l’esprit du patronat, ce nouveau contrat avait clairement vocation à être étendu au-delà des cadres et des ingénieurs. D’ailleurs, on a entendu à cette tribune qu’il était proposé d’y soumettre l’ensemble des travailleurs, à l’instar de la suggestion de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, comme le rapporte le journal Les Echos du 10 avril dernier. C’est une logique d’individualisation des contrats par rapport à une tâche.
J’en arrive au cœur de l’affaire. Jusqu’à présent, dans la hiérarchie de la vulnérabilité, c’était à celui qui pouvait être le plus facilement remplacé que l’on donnait les contrats les plus précaires. Bref, il y avait entre la stabilité et l’instabilité, entre la précarité et la sécurité, une sorte d’échelle qui allait de l’emploi le moins qualifié vers l’emploi le plus qualifié.
Pour la première fois, on bouscule cet ordre en instituant pour les plus qualifiés, pour ceux qui sont en état de produire les prestations de plus haut niveau, exigeant la préparation la plus longue et le savoir incorporé le plus large, un contrat de mission, c'est-à-dire rien d’autre que le travail à la tâche, lequel n’existait jusqu’à présent que pour les emplois les moins qualifiés.
C’est une bien curieuse invention que ce contrat, car les entreprises peuvent avoir recours à une prestation de services en s’adressant à une autre entreprise ! Mais peut-être justement veut-on pousser les cadres et les prestataires de services des plus hauts niveaux de qualification à abandonner le statut de salarié d’une entreprise pour devenir travailleur indépendant ou entrepreneur individuel, puisque c’est vers ce type de rapports sociaux que tend désormais la société…
C’est une erreur terrible, parce que, quelle que soit l’appellation, c’est quand même bien du travail à la tâche ! J’interrogerais d’ailleurs volontiers les grands industriels de ce pays,…