PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
vice-président
M. le président. La parole est à M. Francis Giraud, rapporteur.
M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la politique de santé publique est le résultat d'un long travail préparatoire, engagé dès l'automne de 2002, sur l'initiative de Jean-François Mattei, qui nous avait alors annoncé son intention de présenter au Parlement un projet de loi quinquennale de santé publique.
Ce texte doit être inscrit dans le cadre d'une réforme plus vaste, qui concerne l'ensemble de notre système de santé. Il prolonge et amplifie les réformes structurelles entamées par le biais des ordonnances de 1996 sur l'organisation du système de santé et de la loi de 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Surtout, il constitue l'un des éléments essentiels des grandes innovations introduites respectivement par les dispositions sanitaires du projet de loi relatif aux responsabilités locales, par le plan « Hôpital 2007 » et par les lois de financement de la sécurité sociale pour 2003 et pour 2004, en attendant les conclusions du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.
Ce texte est organisé autour de deux objectifs principaux : affirmer la responsabilité de l'Etat en matière de détermination de la politique de santé et accorder une place plus importante à la prévention dans notre système de santé, qui privilégie aujourd'hui encore le soin et le traitement.
L'intention est de clarifier enfin les rôles de chacun des intervenants en matière de santé publique, afin d'éviter la confusion des compétences et la dilution des responsabilités, dont nous mesurons bien les inconvénients.
L'une des originalités du projet de loi est de développer un échelon régional de santé publique, ce qui favorisera l'adaptation des priorités nationales aux particularités sanitaires locales, en rapprochant l'offre du besoin local.
Au total, ce texte rendra l'élaboration de la politique de santé publique plus simple et plus efficace.
La commission des affaires sociales a été heureuse de constater que son contenu répondait à plusieurs de ses préoccupations récurrentes tenant à la définition pluriannuelle des priorités en matière de santé et à une meilleure articulation entre ces priorités et les lois de financement de la sécurité sociale.
Le texte initial, déjà ambitieux, s'est trouvé enrichi d'une trentaine d'articles au cours du débat en première lecture à l'Assemblée nationale, à cause, d'une part, de l'intégration de dispositions faisant suite à la canicule de cet été - nous en reparlerons en évoquant les mesures relatives à la sécurité sanitaire -, d'autre part, de raisons plus prosaïques d'opportunité : la rareté des textes sanitaires conduit à insérer dans celui-ci diverses dispositions qui auraient pu faire l'objet de projets de loi spécifiques. Cette accumulation a d'ailleurs conduit certains à déplorer l'aspect de « catalogue » de mesures qu'il présente désormais. Je considère, pour ma part, que cette critique est quelque peu exagérée, et je me réjouis d'étudier aujourd'hui un texte réellement consacré à la santé publique, tel que le Parlement n'avait pas eu à en connaître depuis plusieurs décennies.
Le titre Ier définit les nouveaux principes et l'architecture de la future politique de santé publique.
Le texte s'attache d'abord à définir les objectifs de santé, parmi lesquels on trouve les éléments classiques relatifs à la surveillance et à l'observation de l'état de santé de la population, à la lutte contre les épidémies, à la qualité et à la sécurité des soins et des produits de santé.
Toutefois, la définition proposée des actions et des objectifs de santé publique dépasse cette conception traditionnelle, centrée autour des pathologies lourdes, pour intégrer d'autres déterminants tout aussi essentiels, tels que la réduction des inégalités de santé, la prise en compte des populations les plus fragiles, ainsi que les risques éventuels pour la santé causés par l'environnement, le travail, les transports ou l'alimentation.
L'un des apports principaux du texte consiste en la mise en oeuvre d'une loi d'orientation quinquennale de santé publique, complétée par un rapport annexé qui fixe des objectifs quantifiés et détermine les principaux plans d'action à exécuter pour les atteindre.
La commission des affaires sociales ne peut que se féliciter de cette mise sous objectifs du système de santé et de l'association du Parlement à ce débat. C'est là une réponse à nos demandes, formulées notamment lors de la discussion de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il reste encore au Gouvernement, pour satisfaire à toutes nos recommandations, à établir un lien entre ces objectifs de santé publique, la politique d'assurance maladie et les lois de financement de la sécurité sociale.
M. René-Pierre Signé. Parlons-en !
M. Francis Giraud, rapporteur. Afin de préparer le rapport annexé, le Gouvernement a prévu de s'appuyer sur la Conférence nationale de santé, qui réunit tous les acteurs du système de santé et jouera un rôle de concertation indispensable. Un haut conseil de santé publique sera chargé d'analyser l'état de santé de la population. Je reviendrai, lors de la discussion des articles, sur l'action de ce haut conseil, qui sera un pivot stratégique de notre politique de santé.
Troisième innovation du texte : la création des objectifs et des plans régionaux de santé publique, qui visent à corriger le manque d'articulation entre les plans nationaux et régionaux institués par la loi du 4 mars 2002. Elle conforte l'attribution aux conseils régionaux d'une compétence sanitaire pour élaborer et atteindre les objectifs spécifiques des régions.
Le titre II détaille les instruments d'intervention. Il est déterminant pour la mise en oeuvre de la politique de prévention. Il prévoit notamment que l'INPES, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, apportera son concours à la mise en place des programmes régionaux de l'Etat, tout en conservant son rôle en matière d'éducation à la santé.
Comme l'accomplissement de cette tâche confiée à l'INPES ne peut représenter à lui seul le volet relatif à la prévention voulu par le ministre, le projet de loi innove encore en prévoyant la création de consultations de prévention et de dépistage de pathologies sur le modèle de celles qui sont instaurées dans le cadre du plan cancer.
Cependant, la disposition la plus importante du titre II tient à la création des groupements régionaux de santé publique, qui auront pour mission, aux côtés des préfets, de mettre en oeuvre les programmes régionaux de santé publique.
Comment ce schéma d'ensemble sera-t-il organisé ? Ces groupements seront composés de représentants de l'Etat, de l'INVS, l'Institut de veille sanitaire, de l'INPES, de l'agence régionale d'hospitalisation et des collectivités locales qui souhaiteront y participer, ainsi que de représentants de l'assurance maladie, pour assurer une représentationdes intervenants aussi large et complète que possible. Ce choix correspond à la volonté du Gouvernement de rapprocher les différents opérateurs en matière sanitaire et de créer des synergies plutôt que de promouvoir une action dispersée.
La commission des affaires sociales est satisfaite de l'esprit qui sous-tend cette mesure, laquelle consiste à rassembler, au sein d'une seule structure, les principaux acteurs de la santé publique afin de rationaliser les actions menées par les uns et les autres et de créer des effets de levier, à replacer dans le cadre des objectifs nationaux définis par la loi quinquennale.
Toutefois, nous avons considéré que des précisions pouvaient être utilement apportées sur le rôle de financeur que le Gouvernement souhaite confier à l'assurance maladie, de façon à clarifier les circuits financiers et à assurer le contrôle effectif du Parlement.
Le titre II bis ne figurait pas dans le projet de loi initial, mais l'examen du texte à l'Assemblée nationale a permis au Gouvernement d'apporter une première réponse aux dysfonctionnements constatés durant l'été, s'agissant notamment de la défaillance du système d'alerte.
La première mesure prise en ce sens consiste en la redéfinition des missions de l'Institut national de veille sanitaire.
Tout d'abord, l'Institut se voit confier une mission de surveillance des populations les plus fragiles, qui répond à une priorité en matière de santé publique. Cette mission est très différente, dans l'approche retenue, de la surveillance sanitaire que cette agence exerce traditionnellement par pathologie.
Ensuite, est aussi attribuée à l'INVS une mission de centralisation de toutes les données concernant les accidents du travail, pour tenir compte à la fois des dysfonctionnements constatés et des nouvelles priorités de santé publique.
Enfin, il est prévu une participation active de l'INVS à la gestion des crises, cela en lien direct avec les événements de l'été. Cette mesure illustre la volonté du Gouvernement de multiplier les systèmes d'alerte susceptibles de l'informer de toute menace sanitaire.
Par ailleurs, le texte valide un certain nombre de dispositions arrêtées par le Gouvernement au travers du plan Biotox, à l'automne de 2001, pour lutter contre l'apparition éventuelle d'un bioterrorisme ou la survenance de pathologies infectieuses virulentes du type du SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, et pour permettre une action publique rapide et efficace en cas de crise pouvant engendrer des désastres sanitaires.
La dernière disposition du titre II bis est relative aux sociétés d'économie mixte.
Vous vous rappelez sans doute, mes chers collègues, que, à l'occasion de l'examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, le Sénat avait abrogé une disposition visant à autoriser les établissements de santé à participer au capital d'une société d'économie mixte. Nous avions alors estimé que cette mesure ferait courir des risques inconsidérés aux établissements publics de santé, dont l'objet social n'est pas de participer au financement d'infrastructures locales.
Le Gouvernement nous propose aujourd'hui de créer des sociétés d'économie mixtedédiées aux questions sanitaires, qui pourront accompagner l'exécution du plan « Hôpital 2007 ». Dans sa nouvelle formulation, cette suggestion paraît désormais utile, et nous pensons pouvoir la soutenir.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Le titre III, dont Jean-Louis Lorrain vous présentera les dispositions relatives à l'environnement, comporte plusieurs articles importants.
Le premier article tend à approuver le rapport annexé au projet de loi. Ce rapport ne se limite pas aux seules pathologies lourdes traditionnelles ; il traite plus largement des problèmes de santé liés à l'alimentation, à la situation sociale, à la santé mentale, aux pratiques addictives, ou bien encore de questions appelées à prendre de l'ampleur avec le vieillissement de la population, et fixe cent objectifs à atteindre en cinq ans.
Dans tous les cas, ces objectifs définissent les progrès attendus par la nation en contrepartie des ressources affectées.
Ce premier rapport prévoit, en regard, le développement de grands plans stratégiques dans cinq domaines : le cancer, la santé environnementale, la violence et les comportements à risque, les maladies rares et les maladies chroniques. A terme, toute l'action de santé publique sera ainsi organisée selon une logique de projets.
D'autres dispositions visent enfin à mettre en oeuvre le plan cancer annoncé par le Président de la République au mois de mars dernier, notamment par la création de l'Institut national du cancer et par la fourniture de médicaments anticancéreux par les pharmacies hospitalières. Il va de soi que cette démarche a recueilli notre entier soutien.
Le texte renforce aussi les moyens de lutte contre le tabac et l'alcool, qui, je le rappelle, sont à l'origine de plusieurs dizaines de milliers de décès chaque année. Tout cela découle d'un même souci de clarifier notre système sanitaire et de renforcer son efficacité.
Le dernier article sur lequel je souhaite m'arrêter concerne les psychothérapeutes. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
D'une manière un peu inattendue, au cours des débats, l'Assemblée nationale a choisi de réserver l'exercice de la psychothérapie aux médecins psychiatres, aux psychologues et aux médecins justifiant d'une formation professionnelle, les autres professionnels devant se soumettre à un examen de contrôle d'aptitude afin de pouvoir continuer à exercer.
Vous le savez, l'adoption de cet article a provoqué une intense mobilisation (M. Adrien Gouteyron s'exclame) de l'ensemble des professionnels exerçant la psychothérapie ainsi que des usagers, qu'ils soient d'ailleurs, les uns et les autres, hostiles ou favorables à l'organisation de ces pratiques.
L'élément le plus contesté tient à la fixation de règles pour pouvoir pratiquer des psychothérapies.
Les représentants des professionnels arguent du fait que les diplômes mentionnés dans la loi ne constituent pas une condition suffisante pour garantir la qualité du psychothérapeute et que celle-ci ignore les formations spécifiques assurées par des établissements privés non reconnus par l'Etat.
J'ai procédé à de nombreuses auditions des représentants des praticiens de la psychothérapie auxquelles tous les sénateurs étaient conviés.
Toutes les personnes auditionnées ont approuvé le principe d'une réglementation de la profession de psychothérapeute, pour rendre la psychothérapie plus lisible aux usagers, ou aux clients, suivant les deux terminologies utilisées. Toutes ont considéré qu'il fallait disposer de capacités spécifiques pour assurer un bon exercice de la psychothérapie.
Je crois que nous devons poursuivre la réflexion...
M. Adrien Gouteyron. En effet !
M. Francis Giraud, rapporteur. ... et trouver le moyen de protéger les personnes, notamment les plus fragiles, tout en laissant aux professionnels sérieux la possibilité d'exercer.
Je vous proposerai donc une nouvelle rédaction de cet article pour organiser la tenue d'une liste d'enregistrement des psychothérapeutes. Nous disposerons d'informations statistiques fiables et le Gouvernement se verra confier le soin d'apprécier, par voie réglementaire, les conditions souhaitables pour autoriser l'usage du titre de psychothérapeute.
M. René-Pierre Signé. Cela existe déjà !
M. Francis Giraud, rapporteur. Le titre IV, « Recherche et formation en santé », est moins homogène dans son contenu que son intitulé ne le laisse paraître. Il s'organise autour de trois types de mesures : renforcer la formation en santé publique, rénover la formation médicale continue et réformer les dispositions législatives relatives aux recherches biomédicales.
Le projet de loi prévoit d'engager une réflexion sur la situation de l'enseignement en santé publique et réaménage cet enseignement en créant une école des hautes études en santé publique. Cette nouvelle structure était devenue indispensable pour faire face aux besoins croissants du système de santé, aux échelons national et régional, évalués à 10 000 emplois, dont 2 500 en épidémiologie.
Le deuxième axe, c'est la formation médicale continue. Instituée en 1996,...
M. René-Pierre Signé. Qui était au pouvoir ?
M. Francis Giraud, rapporteur. ... réformée en 2002 mais jamais financée, ses modalités n'ont pas fait l'objet d'une franche approbation de la part des différents syndicats de médecins.
A partir d'une concertation engagée au mois de juillet 2002 avec l'ensemble des partenaires, le Gouvernement propose en l'occurrence un dispositif rénové, fondé sur le volontariat, en rappelant que la formation médicale continue constitue une obligation pour tout médecin.
Pour l'accompagner, des mécanismes d'incitation pourraient être mis en oeuvre, notamment l'accès à certaines fonctions de responsabilité ou de représentation professionnelle, ou encore la modulation des primes d'assurance professionnelle.
Le dernier axe de ce titre concerne la recherche biomédicale. Adoptée voilà plus de quinze ans, la loi du 20 décembre 1988, relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, était un texte incontestablement innovant.
L'évaluation de l'application de la loi menée par la commission des affaires sociales du Sénat en 2001 avait toutefois fait ressortir quelques difficultés. Je pense notamment à la délicate appréciation du bénéfice direct ou indirect pour le malade et aux difficultés de fonctionnement rencontrées par les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale, les CCPPRB.
En l'occurrence, le texte saisit l'occasion de la transposition en droit français d'une directive européenne de 2001 relative aux essais cliniques de médicaments pour aménager la législation relative à la recherche biomédicale, tout en conservant son objectif initial, à savoir respecter et défendre le droit des personnes sans entraver la recherche.
Il nous est donc proposé de supprimer la distinction entre les recherches « avec » ou « sans » bénéfice individuel direct et de mieux définir les conditions de participation des personnes vulnérables aux recherches. Le Comité consultatif national d'éthique a d'ailleurs considéré que le projet de loi était plus protecteur des droits de la personne que ne l'exigeait la directive européenne, ce qui me semble être une mesure de sagesse.
Enfin, les CCPPRB deviennent des « comités de protection de la personne ». Ils délivreront l'avis favorable permettant le lancement de la recherche et se prononceront sur l'évaluation de la pertinence éthique et scientifique du projet. Ils définiront l'information et les modalités de recueil du consentement des participants. Ce système d'autorisation préalable est, lui aussi, considéré comme une avancée positive par le Comité consultatif national d'éthique, et nous nous fions à son appréciation.
La commission des affaires sociales du Sénat, qui était l'inspiratrice de la loi de 1988, considère ces évolutions comme positives et constructives. Elle constate avec satisfaction que le double souci de protection des personnes et d'organisation de la recherche, qui animait la loi Huriet-Sérusclat, inspire toujours les dispositions qui sont soumises à notre examen.
Le projet de loi s'achève par diverses dispositions, notamment en faveur des sages-femmes,...
M. René-Pierre Signé. Ils ont pensé à tout !
M. Francis Giraud, rapporteur. ... qui justifieront d'être plus amplement discutées au cours de nos débats.
Tels sont, mes chers collègues, les éléments principaux que je souhaitais porter à votre connaissance avant l'examen des articles.
Pour conclure, je soulignerai les apports très innovants de ce texte en matière d'objectifs de santé publique, qui nous ont conduits à adopter ce projet de loi, sous réserve des amendements que la commission des affaires sociales vous présentera. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales m'a confié le soin d'étudier, au sein du texte relatif à la politique de santé publique, le volet environnement, et l'on connaît aujourd'hui l'importance et les répercussions potentielles de l'environnement sur la santé de nos concitoyens. Si je me réfère à la Charte de l'environnement, qui dispose notamment que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé », je crois indispensable d'accroître nos efforts pour mieux connaître et mieux prévenir l'impact sur la santé des perturbations liées à l'environnement.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue une avancée importante pour deux raisons : d'une part, il permettra de planifier les actions de recherche et de prévention en matière de sécurité sanitaire environnementale, d'autre part, il permettra d'être plus opérationnel, modernisant les dispositifs existants de gestion des risques dans les domaines où les connaissances scientifiques autorisent déjà la mise en oeuvre d'actions concrètes.
Conformément au souhait exprimé par le Président de la République, le projet de loi vise d'abord à créer un plan national « santé-environnement », qui fixera des priorités nationales à l'horizon de cinq ans. Sa mise en oeuvre fera l'objet de déclinaisons régionales et un dispositif d'évaluation des actions sera mis en place, afin de permettre la révision périodique des objectifs.
L'élaboration du contenu de ce plan a déjà commencé : une mission de prospective, entamée en septembre 2003, a abouti, le 15 décembre dernier, à l'identification de huit thématiques prioritaires et de six priorités d'ordre général. Lorsque les connaissances scientifiques et épidémiologiques l'autorisent, ces priorités donnent d'ores et déjà lieu à des objectifs quantifiés annexés au projet de loi.
Parmi l'ensemble des milieux de vie qui composent notre environnement quotidien, le milieu de travail fait l'objet d'une attention particulière. En effet, la santé au travail est restée, jusqu'à aujourd'hui, du domaine de l'entreprise, alors qu'elle devrait s'intégrer dans le cadre plus large de la politique de santé publique.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit de confier à l'Institut de veille sanitaire une mission générale de statistiques en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles et de lui donner un accès direct aux informations à caractère sanitaire détenues par les entreprises. En contrepartie, l'Institut contribuera à la mise en place de surveillances épidémiologiques en milieu de travail.
Le rapprochement entre santé au travail et santé environnementale reste cependant inachevé. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales vous proposera d'intégrer explicitement la santé au travail dans le champ du plan national « santé-environnement » et d'améliorer encore la collecte des informations relatives à la santé par l'Institut national de veille sanitaire, en organisant la confidentialité des informations transmises par les services de santé au travail.
Le projet de loi comporte ensuite des améliorations concrètes en matière de gestion des risques sanitaires liés à l'eau et à l'exposition au plomb.
Dans le domaine de l'eau, il étend tout d'abord l'obligation d'établir un périmètre de protection autour des points de prélèvement d'eau à tous les captages, y compris ceux qui sont antérieurs à 1964, lesquels bénéficient d'une protection naturelle. En contrepartie, et de façon à accélérer cette généralisation, il allège les formalités administratives liées à l'établissement de ces périmètres. Il donne également aux collectivités propriétaires de captages des moyens nouveaux d'assurer, dans les périmètres de protection, le maintien d'une activité agricole comptatible avec la protection de la ressource en eau.
Il renforce enfin les obligations de préservation, de surveillance et de contrôle de la qualité de l'eau, qu'il s'agisse d'eau potable en général ou d'eau minérale naturelle, afin de les rendre conformes aux exigences de la réglementation communautaire.
Les sanctions relatives aux infractions à la réglementation sanitaire sur l'eau sont par ailleurs modernisées.
Est créé un régime général et gradué de sanctions administratives en cas d'inobservation de la réglementation sanitaire sur la qualité de l'eau. Quatre nouvelles infractions pénales sont prévues et les peines encourues sont renforcées, passant de 4 500 euros à 15 000 euros d'amende. Enfin, il sera désormais possible de retenir, le cas échéant, la responsabilité pénale des personnes morales gestionnaires des installations exploitant l'eau destinée à la consommation.
Tout en approuvant l'esprit du dispositif prévu par le projet de loi, la commission des affaires sociales a souhaité y apporter plusieurs améliorations, qui concernent notamment l'information des propriétaires de parcelles situées à l'intérieur des périmètres de protection des captages d'eau et le renforcement du dispositif de répression des infractions sur l'eau. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles.
Dans le domaine de la lutte contre le saturnisme, les mesures proposées doivent permettre d'atteindre l'objectif ambitieux fixé par le rapport annexé, à savoir réduire de 50 % la prévalence de la maladie d'ici à 2008.
La réalisation de cet objectif passe d'abord par une adaptation du dispositif d'urgence, afin de mieux repérer les sources d'exposition au plomb. A cet effet, une enquête globale sur l'environnement des enfants touchés par la maladie remplacera l'actuel diagnostic sur la présence de plomb dans les revêtements muraux. Il s'agissait de permettre une meilleure mise en oeuvre des travaux d'élimination du risque d'exposition au plomb.
Le projet de loi renforce par ailleurs le dispositif de prévention du risque d'exposition au plomb : l'obligation de présenter un constat de risque d'exposition au plomb lors de la vente d'un logement est étendue à l'ensemble du territoire national et sera également applicable, d'ici à quatre ans, aux contrats de location.
De même, avant 2010, l'ensemble des parties communes des immeubles d'habitation devra avoir subi une expertise d'accessibilité au plomb.
En cas de constat positif, les travaux devront être engagés par le propriétaire, sans attendre l'intervention du préfet. Enfin, ce dernier pourra prendre des dispositions de protection de la population contre les chantiers entraînant des risques d'exposition au plomb.
Il me paraît possible d'apporter des compléments à ce dispositif, afin de renforcer encore son efficacité. Je vous proposerai notamment de rétablir l'incitation à la visite médicale pour les autres enfants de l'immeuble, lorsque l'enquête environnementale fait apparaître un risque d'exposition au plomb, et de renforcer les compétences du service communal d'hygiène et de santé en matière de lutte contre le saturnisme.
Enfin, la commission des affaires sociales vous proposera d'ouvrir un nouveau chantier : celui des radiofréquences, encore appelées rayonnements non ionisants. Il s'agit de répondre aux demandes d'information de plus en plus pressantes des collectivités locales, d'une part, et du public, d'autre part, en matière d'implantation de stations radioélectriques.
En effet, même s'il n'existe pas, pour l'instant, d'éléments scientifiques incontestables sur les effets sanitaires de l'exposition aux champs électromagnétiques, il paraît nécessaire de disposer, au moins, d'outils permettant d'exercer un contrôle sur cette exposition. C'est d'ailleurs ce que recommandait le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques établi en novembre 2002, notamment avec notre collègue Daniel Raoul.
La commission des affaires sociales vous proposera donc de donner aux préfets la possibilité de procéder à des contrôles, pour vérifier que les niveaux d'exposition ne dépassent pas les valeurs limites adoptées à l'échelon communautaire, et d'assurer une meilleure information des maires concernant les installations radioélectriques présentes sur le territoire de leur commune.
La protection de la santé contre les atteintes liées aux facteurs environnementaux répond à une attente forte de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a très largement souscrit aux objectifs et à l'économie générale de ce dispositif de réduction des risques. Ainsi que je vous l'ai indiqué, les amendements qu'elle vous proposera visent, sans modifier l'architecture du dispositif, à en préciser la portée et à en renforcer l'efficacité.
Sous ces réserves, elle vous demande d'adopter le volet « santé-environnement » de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire : 82 minutes ;
Groupe socialiste : 44 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 13 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Redonner droit de cité à la santé publique », telle était la conclusion du premier rapport du Haut Comité de la santé publique en 1994, qui stigmatisait les failles d'un système de santé « insuffisamment piloté », « déséquilibré », « cloisonné », « mal régulé » et « timidement évalué ».
Depuis ce constat, des efforts indiscutables ont été entrepris pour remédier à certains dysfonctionnements et faire émerger une politique de santé publique.
Des progrès ont ainsi été enregistrés en matière de pilotage et d'évaluation, bien que cette dernière reste insuffisante. La naissance des conférences de santé et des programmes de santé à la suite des ordonnances de 1996, la mise en oeuvre de programmes d'accès à la prévention et aux soins dans le cadre de la loi sur l'exclusion, ou encore les différents plans d'action élaborés par le ministère de la santé sur le diabète, la nutrition ou le cancer, témoignent d'une utilisation beaucoup plus large de la notion de « priorité de santé ».
D'ailleurs, les chiffres montrent de nombreuses évolutions positives : la baisse de la consommation d'alcool s'est poursuivie, la mortalité cardiovasculaire a continué à diminuer, pour ne citer que ces deux exemples.
Néanmoins, face à l'excellence reconnue de notre système de soins et aux moyens importants dévolus à la santé, certaines situations apparaissent paradoxales et même inacceptables.
La mortalité prématurée reste en France à un niveau anormalement élevé. Cette dernière s'accompagne également d'inégalités marquées devant la maladie et la mort entre les sexes, entre les catégories sociales ou encore entre les régions. La France se caractérise aussi par des taux de couverture vaccinale souvent peu satisfaisants et le taux d'interruptions volontaires de grossesse témoigne d'une pratique insuffisante de la contraception.
Le décalage entre les déterminants de santé et le caractère réducteur des stratégies mises en oeuvre, trop exclusivement axées sur les soins, expliquent sans doute en partie ces situations.
Par ailleurs, les modalités d'organisation et de fonctionnement du système de santé ne sont pas toujours en phase avec la situation épidémiologique. Les priorités se sont finalement multipliées et l'articulation entre priorités nationales et régionales s'effectue de façon relativement disjointe.
Enfin, les faiblesses structurelles persistent. Le système est géré dans le cadre d'une dualité entre le décideur - l'Etat - et le financeur - l'assurance maladie. Au fil des réformes, les structures nouvelles se sont ajoutées aux anciennes sans qu'une substitution soit envisagée. Les conséquences en sont une complexité de la répartition des compétences, ainsi que des chevauchements dans les champs d'intervention. Si l'orientation vers le niveau régional s'est trouvée légitimée par une volonté de gestion de proximité, les instances régionales n'en ont pas pour autant trouvé un véritable espace de responsabilité.
Tous ces constats plaident donc en faveur d'un remodelage de la politique de santé publique. Dès votre nomination, monsieur le ministre, vous avez fait part de votre intention de rationaliser un certain nombre d'actions, d'insérer une dimension préventive aujourd'hui quasi inexistante et de faire de la qualité un outil essentiel de régulation du système.
Je tiens tout d'abord à saluer votre détermination et votre action en ce sens. De grandes campagnes contre l'alcool et le tabac ont été lancées ces deux dernières années ; votre projet de budget pour 2004 contenait aussi des mesures fortes. Enfin, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui témoigne de votre volonté affirmée de donner dans notre pays toute sa place à la santé publique et de développer la prévention et l'éducation à la santé.
Ce projet de loi contient indiscutablement de bonnes choses.
D'abord, il réaffirme sans ambiguïté le rôle premier de l'Etat en matière de santé publique. Nous estimons en effet que c'est à l'Etat de définir les priorités de santé publique, de veiller à l'efficacité des mesures et de prévoir les besoins humains et financiers nécessaires. C'est également à lui de garantir l'égal accès de tous à des soins de qualité.
Ensuite, ce texte renforce la place de la région dans la mise en oeuvre des politiques de santé publique et redéfinit plus clairement les responsabilités des divers acteurs régionaux. Si l'on peut regretter l'omniprésence du représentant de l'Etat dans toutes les structures et procédures, on peut au moins se féliciter de n'avoir plus qu'un acteur unique, le groupement régional de santé publique, pour la mise en oeuvre du plan régional de santé publique. Cela permettra de coordonner les moyens sanitaires. (M. le président de la commission des affaires sociales acquiesce.)
Enfin, ce projet de loi fixe des objectifs prioritaires de santé publique, assortis de tableaux de bord permettant de suivre et d'évaluer les politiques relatives à ces objectifs. Jusqu'à présent, parler d'objectifs, c'était faire référence aux dépenses d'assurance maladie. Cette logique était appauvrissante. Il faut agir en amont sur les déterminants de santé, en somme prévenir plutôt que guérir.
Fixer des objectifs à cinq ans permettra de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de la santé de la population.
Au-delà de ces satisfecit, monsieur le ministre, je me dois de vous faire part de certaines critiques.
Tout d'abord, vous avez voulu, ou peut-être est-ce le fait de nos collègues de l'Assemblée nationale, qui ont adopté beaucoup d'amendements, traiter de trop de problèmes en un seul texte. On y trouve pêle-mêle les grands principes et objectifs de santé publique, le problème de l'eau, la recherche biomédicale, l'organisation des masseurs-kinésithérapeutes ou des sages-femmes... Il eût mieux valu une loi d'orientation avec des objectifs et des moyens.
Ensuite, l'énumération de cent objectifs en partie quantifiés suscite quelques interrogations. Leur lecture donne une impression de catalogue reprenant les problèmes recensés par des experts en diverses spécialités.
On peut comprendre votre désir d'affichage, mais cent priorités, c'est en quelque sorte plus de priorité du tout, même si vous en avez isolé quelques-unes, comme la lutte contre le cancer, la santé environnementale, les maladies rares ou les maladies chroniques.
Par ailleurs, si le fait de quantifier les objectifs accentue l'aspect volontariste du projet, n'est-ce pas aussi dangereux ? Certains de ces objectifs pourraient ne pas être atteints dans cinq ans, et cela vous sera certainement reproché dans l'avenir. Aurons-nous les moyens statistiques pour juger de l'évolution des critères quantifiés ? Plus important encore, affecterez-vous les moyens humains et financiers pour les atteindre ?
Je ferai une autre remarque : votre projet de loi ne prévoit pas les mesures de financement. Figureront-elles dans la loi de financement de la sécurité sociale ? Jusqu'à présent, la prévention a finalement été l'affaire de l'assurance maladie, qui payait. Je sais bien que vous vous y êtes attelé, mais pourquoi n'avoir pas réglé d'abord le problème de la gouvernance en clarifiant les rôles respectifs de l'Etat, de l'assurance maladie et des professionnels ?
En tout état de cause, il me paraît préférable de se fixer quatre ou cinq priorités et de concentrer les moyens sur celles-ci pour obtenir des résultats.
S'agissant de la décentralisation et de l'organisation à l'échelon régional, j'y suis favorable, bien sûr, mais cela pose tout de même quelques problèmes. Dans certaines grandes régions, comme l'Ile-de-France, qui ne compte pas moins de onze millions d'habitants, le groupement régional de santé publique sera pratiquement ingérable.
Par ailleurs, la région ne constitue pas le seul espace géographique où s'expriment actuellement des dynamiques de santé : certains départements, certaines agglomérations se sont engagés, souvent avec succès, dans des programmes de prévention. Rien n'est prévu à leur égard, de même qu'il n'est pas prévu d'inscrire les politiques de santé dans les nouvelles dynamiques territoriales que sont les pays et les communautés de communes.
Enfin, dernier point, lors de l'examen du projet de budget de votre ministère, dont j'étais le rapporteur, j'avais insisté sur la nécessité de regrouper les différentes structures et agences, notamment celles qui concourent à la politique de veille et de sécurité sanitaires. En effet, on ne sait plus qui fait quoi.
Les crises sanitaires récentes - le drame de la vague de chaleur sans précédent qui a traversé notre pays au mois d'août ou l'épidémie de légionellose qui sévit dans le Pas-de-Calais actuellement - montrent la nécessité de renforcer, dans sa cohérence et son efficacité, le système de sécurité et d'alerte sanitaires.
Malheureusement, avec le présent projet de loi, on rate l'occasion de simplifier le paysage institutionnel, même si un effort important est fait concernant l'Institut de veille sanitaire, l'INVS. On a le sentiment que les administrations et les divers organismes défendent leur pré carré.
Monsieur le ministre, vous rappeliez le 2 octobre dernier, à l'Assemblée nationale, que « chaque fois que leur santé ou celle de leurs proches est menacée, c'est bien vers l'Etat et ses agents que les Français se tournent pour exiger une protection efficace. Aujourd'hui, le rôle de l'Etat n'est plus contesté, il est réclamé ; on ne suspecte plus l'Etat de vouloir, sous couvert de santé publique, redresser les individus et, à travers eux, la nation. La santé publique fait bien l'objet d'une demande nouvelle et pressante ».
S'il est important de répondre à cette demande, il convient aussi de dire à nos concitoyens que le risque zéro n'existe pas.
Au-delà des critiques que j'ai formulées, ce projet de loi, monsieur le ministre, traduit, avec l'engagement que vous avez pris de réformer l'assurance maladie, une politique de santé ambitieuse. C'est pourquoi la majorité de mon groupe le votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, vous aviez d'abord annoncé, au début de la législature, une grande loi de programmation de santé publique avec des objectifs chiffrés ambitieux et un financement pluriannuel à la hauteur de ces objectifs.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Francis Giraud, rapporteur. Les voilà !
M. Gilbert Chabroux. Nous pensions que vous appliqueriez à la santé ce qui s'est fait dans d'autres domaines, et que le Gouvernement s'engagerait avec beaucoup de force et de détermination sur une programmation de cinq années, en mobilisant des moyens importants. Combien de fois avez-vous déclaré que la santé est une priorité pour le Gouvernement ?
Ne mériterait-elle pas autant de sollicitude et d'efforts que ceux qui sont consentis dans d'autres domaines, la défense, par exemple ?
M. Roland Muzeau. Ou la sécurité !
M. Gilbert Chabroux. Mais vous avez changé de perspective et avez annoncé une loi d'orientation. Il s'agissait plus de principe et d'organisation, mais la démarche pouvait encore revêtir une certaine force, à condition de bien définir les grandes orientations et de prévoir aussi un plan de financement.
M. Guy Fischer. Il n'y a rien dans ce texte !
M. Gilbert Chabroux. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'un simple projet de loi sans les engagements financiers qui auraient pu lui donner un minimum de crédibilité. Après les effets d'annonce, c'est un recul grave, et cela signifie que la santé ne fait pas partie des priorités du Gouvernement.
M. Guy Fischer. Ce texte n'est qu'un écran de fumée !
M. Gilbert Chabroux. Et le calendrier n'est pas de nature à nous rassurer : nous discutons de ce texte après l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 et alors que le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie s'apprête à rendre ses premières conclusions et prépare vraisemblablement le terrain pour que vous puissiez procéder à la privatisation de l'assurance maladie juste après les échéances électorales !
M. François Autain. Très bien !
M. Henri Torre. N'importe quoi !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il ne manque plus que le MEDEF !
M. Guy Fischer. Ils ne veulent pas entendre !
M. Gilbert Chabroux. La discussion qui s'ouvre ici ne risque-t-elle pas d'être illusoire ? Il est vrai que vos engagements, dans ce texte de santé publique, manquent singulièrement de vigueur. Vous nous présentez un catalogue académique, avec sans doute de bonnes intentions ou des voeux pieux.
Vous faites un inventaire que vous dites non exhaustif et qui compte pourtant déjà cent objectifs aussi divers que disproportionnés les uns par rapport aux autres.
Des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale et, surtout, des développements médiatiques qui ont suivi, on pourrait croire que les problèmes relatifs à la profession de psychothérapeute sont plus importants que la lutte contre le cancer.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas du fait du ministre !
M. Gilbert Chabroux. Nous ne sous-estimons pas ce sujet, mais nous considérons qu'il ne peut pas être tranché par un amendement s'il n'y a pas eu préalablement un débat démocratique précédé d'une large concertation avec les professionnels concernés.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pourquoi pas un référendum !
M. Claude Domeizel. Ils ne savent pas faire !
M. Gilbert Chabroux. Le groupe socialiste réitère donc sa demande de constitution d'une mission d'information parlementaire sur ce sujet.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Avec toutes les personnalités que nous avons auditionnées !
M. Gilbert Chabroux. Ce n'est pas du tout la même chose ! Des auditions, même si elles sont ouvertes à tous les sénateurs, ne constituent pas ce grand débat public, cette vaste concertation avec les professionnels concernés dont je parle ici.
M. Raymond Courrière. Ils n'en veulent pas, de la concertation !
M. Gilbert Chabroux. Quoi qu'il en soit et quelle que soit la place que nous accorderons dans nos débats aux psychothérapeutes, votre texte, monsieur le ministre, conduit à la dispersion et il en résulte un manque de lisibilité.
Est-ce le rôle d'une grande loi que d'énumérer autant d'objectifs sans dégager de cohérence entre eux, sans les hiérarchiser ? Déterminer cent priorités, n'est-ce pas aboutir à n'en déterminer aucune,...
M. Roland Muzeau. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. ... et cela, je le redis, sans chiffrer les moyens nécessaires pour les atteindre ou, à tout le moins, pour pouvoir agir efficacement sur les objectifs les plus prioritaires ?
M. François Autain. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Nous ne pouvons qu'exprimer notre déception !
Après l'étape importante qu'a été la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, nous attendions une nouvelle avancée. Or ce texte n'apporte que peu de choses. Sur certains points, il marque même une régression. C'est le cas pour la démocratie sanitaire, alors qu'il faudrait aller vers une véritable appropriation du système de santé par la population. Notre rapporteur Francis Giraud s'est lui-même ému d'une évolution qui tendrait à concentrer les pouvoirs entre les mains du préfet au sein du groupement régional de santé publique, le GRSP, au détriment des aspects partenariaux d'une véritable politique de santé publique. C'est une question qu'a posée M. Giraud lors de l'audition de M. le ministre par la commission des affaires sociales.
La santé est pourtant, pour les Français, une priorité. Elle occupe une place de premier plan dans leurs préoccupations ; elle vient, d'ailleurs, en tête des voeux de bonne année : « La santé, d'abord ! »
Elle devrait l'être aussi pour le Gouvernement, qui se doit d'appliquer le Préambule de la Constitution de 1946 et le principe que la République y a inscrit : « La nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La protection de la santé, effectivement, ce qui est différent de la santé !
M. Gilbert Chabroux. Ce principe conduit à définir le premier objectif d'une loi de santé publique, qu'il faudrait affirmer avec force : celui de réduire les inégalités face à la santé.
Malgré une espérance de vie élevée, la France est le pays d'Europe occidentale où les inégalités sont les plus importantes. L'espérance de vie n'est pas la même selon le milieu social et la profession exercée durant les années d'activité.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Dans les autres pays aussi !
M. Gilbert Chabroux. Il faut le rappeler, à trente-cinq ans, l'espérance de vie est plus faible pour un ouvrier que pour un cadre ; un ouvrier sur quatre, mais un cadre sur dix, décéderont avant soixante-cinq ans.
Il s'ajoute à ces inégalités sociales de fortes disparités géographiques. L'encadrement médical et soignant est inégalement réparti : le Nord et le Nord-Est industriels ainsi que certains départements ruraux du Centre et de l'Ouest sont sous-médicalisés. Dans de nombreux départements, des zones géographiques très étendues ne disposent plus de médecin généraliste. Le constat est le même pour les professions paramédicales.
Il ne peut pas y avoir de fatalité à cette injustice criante. Le premier objectif de ce projet de loi devrait être, je le répète, de la combattre frontalement. Si vous ne le faites pas vous-même ou si vous vous contentez d'atermoiements, monsieur le ministre, nous ferons le maximum pour pallier une telle carence et nous présenterons des amendements reprenant la proposition de loi qui a été déposée par notre collègue Jean-Marc Pastor et le groupe socialiste. Il est nécessaire d'inscrire dans la loi dont nous discutons l'objectif prioritaire d'installation de médecins dans les zones médicalement dépeuplées et de se donner les moyens d'enclencher une démarche de solidarité nationale en matière d'accès à la santé afin que les inégalités existantes puissent se réduire.
Il s'agit bien de solidarité nationale, car, derrière les chiffres de la démographie médicale ou de l'espérance de vie, il y a la réalité de vies parfois faites de solitude, d'abandon, de détresse ou, tout simplement, de douleur et de maladie. L'épisode tragique de la canicule de l'été 2003 a révélé que notre société restait démunie face à ses populations les plus fragiles, en particulier les personnes âgées.
La santé doit être appréhendée comme un enjeu global. Elle ne se limite pas à la demande et à l'offre de soins : elle renvoie aux conditions de vie, de travail, d'environnement et, si l'on reprend la définition de l'Organisation mondiale de la santé, à un état de bien-être, moral comme physique. La demande de santé est une demande globale de cadre de vie, de logement, d'environnement, de conditions de travail et, je le répète, de bien-être moral. Or rien dans ce projet de loi ne permet de considérer que les Français ne sont pas seulement d'éventuels patiens, mais sont aussi des citoyens qui veulent que la société leur permette de vivre dans les meilleures conditions possibles.
Je m'arrêterai quelques instants sur les relations santé-travail et santé-environnement. Là aussi, il y a un problème de calendrier : nous attendons le plan national santé-environnement et son volet santé au travail. Nous redoutons surtout que vous ne preniez pas l'exacte mesure des problèmes qui sont posés et qui sont gravement préoccupants. Des retards seraient préjudiciables ; des remises en question, comme celle qui semble peser sur la médecine du travail, auraient de très lourdes conséquences.
Dans son rapport du mois de juin dernier intitulé « Santé, pour une politique durable de prévention », l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, estime qu'il est de la responsabilité de l'Etat de « faire de la santé au travail un objet de politique de santé publique et non une variable d'ajustement des relations sociales ».
Il est urgent d'agir lorsque l'on sait que le nombre de maladies professionnelles ne cesse de s'accroître. Le dernier rapport du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels fait état d'une progression de 24 % sur un an de ces maladies. Les décès qui leur sont liés ont connu une hausse de 46 %. L'INVS estime à plus de 10 000 le nombre de cancers d'origine professionnelle recensés chaque année, mais seuls 800 d'entre eux sont reconnus. Les médecins du travail estiment que un million de salariés seraient exposés à des risques cancérogènes. Nous avons évoqué, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, les risques très graves provoqués par les éthers de glycol de la série E. Vous avez annoncé une mesure très partielle d'interdiction pour les seuls consommateurs.
Dans un contexte si alarmant, il faudrait renforcer la médecine du travail, qui souffre d'un déficit de moyens et de reconnaissance. Il faudrait créer un véritable service public de santé au travail et valoriser les organismes d'hygiène et de sécurité. Or il semble que le Gouvernement prenne le chemin inverse et prépare un projet de loi ou un décret qui ne viserait rien de moins que le démantèlement de la médecine du travail.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Ainsi, le nombre de visites médicales des salariés serait réduit. Les visites obligatoires ne seraient plus annuelles mais auraient lieu tous les deux ans, y compris pour les personnels affectés à des postes à risques. Plus grave encore, on s'acheminerait vers une privatisation de la médecine du travail, les médecins pouvant être choisis par les employeurs. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des informations sur les intentions du Gouvernement et, nous l'espérons, dissiper nos inquiétudes ?
M. Guy Fischer. Et surtout nous rassurer !
M. Roland Muzeau. Ça ne risque pas !
M. Gilbert Chabroux. Autre problème, insuffisamment pris en compte dans votre projet de loi, celui de l'influence de l'environnement sur la santé.
Vous allez nous demander d'attendre le plan santé et environnement alors qu'il faudrait que ce dernier soit intégré au présent texte dans la mesure où il pourrait le compléter. Il y a là aussi urgence.
En 2000, on estimait à 32 000 le nombre de décès prématurés imputables à la pollution atmosphérique urbaine, parmi lesquels 18 000 décès dus à la pollution automobile. La canicule de cet été a encore montré l'impact direct de la pollution atmosphérique sur la santé. C'est un problème très important. Comment le traitez-vous, monsieur le ministre ?
Il existe une autre forme de pollution, certes moins grave mais néanmoins pénible, la pollution sonore à laquelle seraient exposées trois millions de personnes sur leur lieu de travail et sept millions de personnes en raison du trafic routier. Cette pollution engendre du stress et éloigne de la notion de bien-être physique et mental. Quelles mesures sont réellement envisagées pour lutter contre cette forme de pollution ?
En fait, on peut se poser la question de savoir s'il existe une réelle volonté de s'attaquer aux causes des risques sanitaires ou s'il ne s'agit que de se contenter d'annonces un peu vagues qui ne seront pas suivies d'effets.
Les facteurs d'exposition aux risques ne sont pas traités ou ne le sont que précautionneusement. C'est le cas, par exemple, des pesticides, dont certains sont cancérigènes, alors que notre pays en consomme 120 000 tonnes par an, ce qui le place au deuxième rang mondial. C'est le cas également de la dioxine, alors que la commission du ministère de l'environnement lui attribue prudemment entre 1 800 et 5 200 décès en 1998. J'ai évoqué les éthers de glycol et les agents cancérigènes et toxiques dans les milieux du travail. Il faut y ajouter l'abus de sucre, de sel, et d'acides gras saturés ou non saturés dans les produits alimentaires. La lutte contre le tabac et l'alcool souffre de graves insuffisances, même si des progrès ont été accomplis sur le plan du tabagisme.
On peut redouter les conséquences de tels comportements. Ainsi, l'augmentation du nombre d'enfants et d'adolescents souffrant d'obésité devrait constituer une préoccupation majeure, d'autant que cela sera de plus en plus coûteux pour notre système de soins : 20 % d'une classe d'âge, d'ici à cinq ou dix ans, en souffrira avec toutes les conséquences que cela implique en termes de diabète et de surmortalité. Des actions de prévention et d'éducation à la santé doivent être engagées dès l'enfance, des programmes de nutrition doivent être mis en place.
Cela suppose que la médecine scolaire soit sensiblement renforcée : alors que l'ensemble des enfants en bas âge font l'objet d'un suivi attentif grâce à la protection maternelle et infantile, la PMI, les enfants scolarisés sont très loin d'être tous pris en charge.
Monsieur le ministre, je vous ai fait part des interrogations du groupe socialiste. Elles portent sur des sujets importants : la médecine du travail, la médecine scolaire, la prise en compte des risques environnementaux, l'insuffisance de la démocratie sanitaire dans l'organisation que vous voulez mettre en place, la trop grande dispersion des objectifs et l'absence de moyens financiers.
Tout n'est pas négatif dans ce projet de loi - je pense particulièrement au plan « cancer » - mais ses insuffisances sont nombreuses et graves. Nous essaierons de l'améliorer en présentant un certain nombre d'amendements. Monsieur le ministre, il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre,...
M. Jean-François Mattei, ministre. Ni de réussir pour persévérer !
M. Gilbert Chabroux. ... mais nous attendrons avec intérêt les réponses que vous nous apporterez et nous mesurerons, s'il y en a, les progrès accomplis. C'est en fonction de ces derniers que nous déterminerons notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la santé publique est un texte à la fois très attendu, novateur et sincèrement encourageant.
En effet, il est urgent de réformer la branche santé en raison de la crise financière alarmante dans laquelle elle est entrée cette année. Dans le contexte actuel, nul ne pourrait dire le contraire. Rappelons que le déficit cumulé de la branche maladie pourrait dépasser les 30 milliards d'euros. Nous nous trouvons donc face à un déficit abyssal et sans précédent qui pourrait menacer jusqu'à la pérennité du système. Face à une situation si dégradée, il fallait un signal fort. Or vous nous en avez donné deux.
D'une part, nous saluons l'engagement pris par le Gouvernement de mettre en oeuvre une grande réforme d'ici à l'été 2004 et d'avoir, pour ce faire, engagé un tour de table afin d'aboutir à un consensus qui soit le plus large possible.
D'autre part, nous voyons dans le projet de loi dont nous entamons aujourd'hui l'examen les prémices d'une réforme digne de ce nom dont notre pays a tant besoin en matière de santé.
Le projet de loi sur la politique de santé publique présente en premier lieu l'immense mérite de bien peser les enjeux et de correctement hiérarchiser les priorités, même si quelques options choisies par le Gouvernement nous paraissent problématiques.
Il est en effet nécessaire, comme le texte le prévoit, de développer la prévention, car l'une des insuffisances de notre système de santé est d'être aujourd'hui presque exclusivement tourné vers le curatif.
Or c'est précisément ce à quoi tend ce projet de loi en redéfinissant les missions de l'Institut national de veille sanitaire, en instituant un plan national de prévention des risques liés à l'environnement, en particulier les risques liés à la qualité de l'eau, en renforçant la surveillance épidémiologique dans les milieux du travail, en favorisant le dépistage du cancer au bénéfice des personnes les moins favorisées, en créant l'Institut national du cancer, en accentuant la lutte contre le tabagisme ou l'alcoolisme, contre le saturnisme, etc. L'inventaire n'est pas exhaustif.
Il est aussi impératif de mettre l'accent sur l'éducation à la santé. C'est ce que fait le présent texte par la création de l'école des hautes études de la santé publique ou par la mise en oeuvre d'un apprentissage des premiers gestes de secours au lycée et au collège et de plans d'information sur les toxicomanies dans ces mêmes établissements.
La promotion de la prévention et de l'éducation à la santé se fait dans le cadre d'une politique de la santé publique rénovée en profondeur. Cette rénovation s'appuie sur deux constats auxquels nous souscrivons.
D'une part, nos politiques de santé publique doivent se doter d'objectifs clairs et d'indicateurs précis permettant d'évaluer les performances. L'établissement de cent objectifs de santé publique nationaux, qui seront déclinés au plan régional, constitue une avancée significative. Il faudra surveiller de près leur réalisation.
La liste que vous nous proposez, monsieur le ministre, mériterait toutefois d'être complétée. C'est ce que nous proposerons de faire par le biais de quatre amendements visant à introduire des objectifs de lutte contre les pathologies auditives, parent pauvre du tableau annexé au projet de loi, ou contre les naissances prématurées.
D'autre part, les politiques de santé publique souffrent aujourd'hui d'une « crise de gouvernance », pour reprendre les mots du président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, Bertrand Fragonard.
La question de la gouvernance ne vous a, bien entendu, pas échappée puisque le présent projet de loi contient des réformes institutionnelles non négligeables.
Cependant, ces réformes nous paraissent parfois manquer de cohérence. En effet, ce projet de loi relatif à la politique de santé publique paraît s'inscrire dans la lignée des « ordonnances Juppé » de 1996, ce qui est une très bonne chose. Mais il ne parvient pas à dégager « un chef de file » clairement identifié, à l'échelon régional notamment, chef de file dont nos politiques de santé manquent cruellement.
L'un des grands apports des ordonnances de 1996 était la création des agences régionales d'hospitalisation, les ARH. Ces agences, qui ont bien rempli leur rôle, avaient pour vocation de devenir à terme des agences régionales de la santé et ne devait plus voir leur compétence cantonnée au domaine hospitalier.
Or, tout en étant censé s'inscrire dans cette logique, le texte dont nous allons débattre entérine deux évolutions parfaitement contradictoires.
D'un côté, il porte validation législative de l'ordonnance du 4 septembre 2003, prise sur le fondement de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. Conformément à l'esprit des textes de 1996, cette ordonnance organise le transfert de pouvoirs de police sanitaire, auparavant détenus par le ministre chargé de la santé, aux directeurs des agences régionales d'hospitalisation et supprime la carte sanitaire pour lui substituer une organisation plus souple placée sous la tutelle des ARH.
D'un autre côté, le texte renforce les pouvoirs du préfet en lui confiant le soin d'élaborer les plans régionaux de santé publique et, indirectement, de les mettre en oeuvre par l'intermédiaire des groupements régionaux de santé publique qu'il présidera.
Il y a là une incohérence regrettable. Il serait logique, dans le cadre d'une véritable régionalisation de la santé, que prévention et santé publique reviennent aux ARH.
A terme, ces agences devront se voir transformées en agences régionales de santé, car il n'y a aucune raison de séparer plus longtemps, d'une part, les secteurs de l'ambulatoire et de l'hospitalisation et, d'autre part, la prévention et l'éducation à la santé. Pour une gouvernance adéquate, il faut un responsable régional de tout le secteur de la santé.
Autre priorité identifiée avec pertinence par le projet de loi relatif à la santé publique : la formation continue des médecins. Cette formation, largement insuffisante, est indispensable, compte tenu de la rapidité d'évolution de la science et des techniques médicales. Vous-même, monsieur le ministre, avez fait remarquer que, au bout de cinq ans, la moitié des connaissances d'un médecin sont obsolètes. Encore une fois, nous rejoignons les ordonnances de 1996, qui avaient rendu obligatoire la formation continue.
Malheureusement, ces dispositions n'ont jamais été appliquées et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades n'a rien changé à cet état de fait.
Nous nous sommes félicités, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, de l'inscription dans le rapport annexé du principe d'une formation continue obligatoire.
Or, si le présent projet de loi réaffirme ce principe, il risque de ne pas en permettre une mise en oeuvre véritable.
En effet, là aussi, tout en étant censé procéder des ordonnances de 1996, le texte s'en écarte singulièrement. Comment la formation médicale continue pourrait-elle être enfin rendue opérationnelle sur la base du volontariat ? Renoncer à l'idée d'imposer une sanction aux professionnels revient, une fois de plus, à enterrer la formation médicale continue.
De plus, au lieu d'abonder le fonds national de la formation médicale continue, qui ne l'a jamais été, vous le supprimez pour laisser place à un maquis inextricable. Dorénavant, le financement de la formation médicale continue proviendra des fonds de formation conventionnelle, du fonds pour l'amélioration de la qualité des soins de ville, de la dotation nationale pour le développement des réseaux et des fonds prévus par la loi de finances. Il est urgent de repenser le dispositif si nous ne voulons pas que la formation médicale reste lettre morte.
Malgré ces « bémols », le groupe de l'Union centriste salue les grandes lignes du présent projet de loi.
Au demeurant, si ce projet de loi est un bon texte, c'est aussi parce qu'il comporte une série d'avancées ponctuelles non négligeables. Vous me permettrez d'insister sur quatre points qui constituent incontestablement des progrès mais qui mériteraient des aménagements pour être pleinement bénéfiques.
Premièrement, nous approuvons la création, par l'article 55, d'un ordre national des masseurs-kinésithérapeutes. Dans un souci de sécurisation des relations entre patients et praticiens, il s'agit de reconnaître et d'encadrer cette profession.
Dans le même esprit, nous proposerons de préciser en quoi consiste l'activité de diététicien, activité qui s'est considérablement développée au cours des vingt dernières années.
Deuxièmement, s'agissant du fameux « amendement Accoyer », sur lequel se focalisent tous les regards, le groupe de l'Union centriste et moi-même reconnaissons qu'il était nécessaire que le législateur intervienne. C'était d'ailleurs ce que réclamaient, de longue date, les principaux intéressés.
En revanche, les modalités de cette intervention, telles qu'elles sont actuellement prévues, ne sont pas satisfaisantes.
Sur la forme, les psychothérapeutes ont la désagréable impression que la réforme a été adoptée à l'Assemblée nationale en catimini.
Sur le fond, le texte actuel de l'article 18 quater pose bien des problèmes. Il donne une définition par trop restrictive des psychothérapies, dont la mise en oeuvre ne pourrait par ailleurs plus relever que des seuls médecins. En outre, et c'est le plus grave, il contraindrait la grande majorité des 15 000 psychothérapeutes non psychiatres à abandonner leur activité. En effet, un jury, dont la composition demeure inconnue, serait chargé d'accréditer les psychothérapeutes exerçant depuis cinq ans ou plus, ce qui soulève un grand nombre d'interrogations. De surcroît, tous les psychothérapeutes exerçant depuis moins de cinq années se verraient condamnés à cesser leur activité. Que deviendraient alors les praticiens sérieux, ayant étudié leur discipline durant cinq ans et exerçant depuis quatre ans et demi ? Ils perdraient leur vocation et près de dix ans de leur vie seraient réduits à néant. Ce n'est pas acceptable.
C'est la raison pour laquelle le groupe de l'Union centriste soutient pleinement l'amendement de notre collègue le président Gouteyron. Le texte qu'il nous propose, équilibré et sage, satisfait pleinement psychanalystes et psychothérapeutes. Il vise à créer un office national de la psychothérapie, chargé de réguler la profession. C'est, selon nous, la meilleure solution possible, car elle implique un changement d'approche radical et salutaire. Il s'agit en effet non de réglementer l'exercice des psychothérapies, ce qui, en pratique, se révélerait quasiment impossible, mais de légiférer sur les conditions d'obtention du titre de psychothérapeute.
Troisièmement, les articles relatifs à la profession de sage-femme mettent la loi en adéquation avec la réalité de cette profession. Il était nécessaire que les compétences des sages-femmes soient précisées, s'agissant de l'accomplissement des examens de prévention durant et après la grossesse.
Cependant, le texte qui nous est proposé est, sur deux points, contestable.
D'abord, puisque est reconnu aux sages-femmes le droit de déclarer une grossesse, il paraîtrait normal qu'elles puissent également pratiquer le premier examen prénatal, faute de quoi la profession de sage-femme libérale pourrait se voir dans les faits vidée de sa substance.
Ensuite, il convient d'encadrer précisément la responsabilité des sages-femmes en cas de pathologie maternelle, foetale ou néonatale. Nous présenterons des amendements dans ce sens.
Le quatrième et dernier point me tient particulièrement à coeur. En tant qu'élue de la Réunion, je connais malheureusement bien les questions de santé publique liées à l'alcoolisme. Une loi sur la santé publique ne pouvait pas rester muette sur ce sujet. C'est pourquoi je me félicite que le présent texte renforce la politique de lutte contre l'alcoolisme.
Cependant, en matière d'information, beaucoup reste encore à faire. C'est la raison pour laquelle, au cours de l'examen des articles, je défendrai à titre individuel un amendement visant à introduire des messages informatifs sur les bouteilles et autres emballages de boissons alcoolisées. Avec cet amendement, il n'est pas question de stigmatiser les producteurs ni de pousser trop loin la comparaison entre le tabac et l'alcool. En effet, si la première cigarette nuit à la santé, toutes les études montrent qu'il n'en est pas de même du premier verre de vin. Mon amendement vise à mettre en garde les consommateurs contre les risques liés à une consommation excessive de boissons alcoolisées. Au regard des chiffres effrayants que nous enregistrons à la Réunion, mais aussi en Bretagne et dans le Nord - Pas-de-Calais, je crois pouvoir affirmer que l'information publicitaire ne suffit plus.
Avant de conclure, j'aimerais, monsieur le ministre, formuler une interrogation. Nous voyons mal comment ce texte s'articulera avec la loi sur les responsabilités locales. Quel sera, par exemple, le rôle du département en matière de santé publique ? Voilà un point important qui mériterait d'être précisé.
Il me reste à féliciter les rapporteurs, Jean-Louis Lorrain et Francis Giraud, pour l'excellence de leur travail, ainsi que la commission des affaires sociales et son président, Nicolas About.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous encourageons le Gouvernement à maintenir le train des réformes en matière de santé. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste votera ce projet de loi relatif à la santé publique.
M. le président. Mes chers collègues, pour nous permettre d'assister à la cérémonie des voeux du président du Sénat, je vous propose de suspendre nos travaux et de les reprendre à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la politique de santé publique.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 15 février 1902, relative à la protection de la santé publique, a posé les premiers fondements de notre politique de santé publique en France. Rédigée dans un but plus préventif que curatif, elle visait à favoriser une meilleure hygiène des Français, à poser les bases de la vaccination obligatoire, de la déclaration obligatoire de certaines maladies, du suivi épidémiologique, des mesures de police sanitaire, et à créer les instances chargées de leur mise en oeuvre.
Aujourd'hui, notre pays a évolué, nos comportements ont changé, et les progrès techniques ont modifié toutes les données. Notre système de soins s'est développé et est devenu de plus en plus performant, au détriment malheureusement de règles élémentaires d'hygiène puisque, en apparence, on peut désormais guérir plus facilement. Une loi ambitieuse, exhaustive, balayant l'ensemble de notre système de santé publique, de ses atouts comme de ses carences, s'imposait.
Elle s'imposait d'autant plus que le degré d'exigence de nos concitoyens est de plus en plus élevé. Face à une société de plus en plus industrialisée, qui ne se préoccupe que depuis peu, et encore de façon incomplète, de la prévention à l'égard des différentes contaminations industrielles, infectieuses, bactériennes, face aux crises de l'ESB, du SRAS, des maladies nosocomiales, de la légionellose, etc., nos concitoyens veulent, comme c'est légitime, que l'Etat prenne les mesures indispensables à la disparition du risque.
Quel bilan présentons-nous ?
Sans aucun doute avons-nous l'un des meilleurs systèmes de soins au monde. Mais la France figure aussi - vous l'avez d'ailleurs rappelé, monsieur le ministre - parmi les pays développés où la mortalité et la morbidité évitables sont les plus fortes.
La nécessité est donc grande de replacer la santé publique au coeur de la problématique « santé », en définissant des priorités et des objectifs pour améliorer l'état de santé de nos concitoyens. Il est urgent de nous approprier enfin une culture de santé publique qui est, pour l'heure, très insuffisante. Nous préparons ainsi dans les meilleures conditions la réforme de notre système de soins et d'assurance maladie.
Nous avons chacun un capital santé, et notre santé nous appartient. Nous pouvons éviter, voire prévenir, bon nombre de maladies simplement en prenant quelques précautions par notre comportement individuel ou collectif.
Je crois beaucoup à l'éducation à la santé, fortement négligée par nos progrès médicaux qui ont privilégié l'aspect curatif.
M. Jean-François Mattei, ministre. C'est exact !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
M. Paul Blanc. C'est pour cette raison qu'une politique de santé publique se doit d'investir auprès des jeunes. Il faut ainsi, par exemple, apprendre à ces derniers, à manger équilibré : on a évoqué l'obésité qui est un facteur de risque important des maladies cardio-vasculaires.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est exact !
M. Paul Blanc. Les enfants, dès leur plus jeune âge, doivent y être sensibilisés. De plus, des études ont montré qu'à leur retour à la maison les conseils qu'ils avaient reçus portaient également leurs fruits.
Un autre comportement alimentaire dangereux qu'il nous faut combattre est la consommation excessive de sel, qui a des conséquences sur l'hypertension artérielle.
Les enfants doivent aussi être avertis des dangers des conduites addictives, telles que le tabagisme, la consommation excessive d'alcool, la toxicomanie. Vous nous avez prouvé votre détermination en la matière, monsieur le ministre, et nous comptons sur vous pour poursuivre votre action courageusement contre les tabous, l'indifférence et les intérêts catégoriels.
M. Francis Giraud, rapporteur. Très bien !
M. Paul Blanc. Nous savons que seuls fonctionnent les messages répétés, martelés. Toutes ces conduites ne sauraient en effet être banalisées, et notre vigilance ne doit jamais baisser.
Le sida en est un exemple dramatique. Selon plusieurs observatoires régionaux de la santé, les premiers signes d'un relâchement des comportements de protection sont constatés depuis bientôt quatre ans. A une perception plus floue du risque s'ajoute un désintérêt à l'égard de la maladie, en raison de l'arrivée des trithérapies et de la baisse des attitudes d'exclusion vis-à-vis des malades. Le renforcement des actions est indispensable, notamment auprès des personnes les plus exposées.
Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas ériger le sida « grande cause nationale » en 2005, comme certains le préconisent ?
Cet objectif du développement de la prévention est, selon moi, l'un des deux grands axes forts de ce projet de loi, le second étant la fixation des différents objectifs de santé publique qui doivent être notre priorité. Ceux-ci s'inscrivent dans la droite ligne des priorités définies par le Président de la République lors de son allocution du 14 juillet 2002 : la lutte contre le cancer, l'étude de l'impact des phénomènes de violence et de dépendance sur la santé, la santé et les phénomènes environnementaux, la recherche et la formation.
Ce double objectif se traduit très concrètement dans votre projet de loi, monsieur le ministre.
Ainsi, le titre Ier du texte réorganise notre système de définition et de gestion de la politique de santé publique nationale et régionale.
Le rôle régalien de l'Etat dans la politique de santé publique est réaffirmé solennellement. En outre, le texte procède à une simplification et à une clarification des rôles indispensables. Le chapitre Ier simplifie les instances nationales en créant le Haut Conseil de la santé publique et le Comité national de santé publique. Le chapitre II organise la santé publique à l'échelon régional.
Il s'agit simplement, pour être à la hauteur des enjeux dont nous avons mesuré l'importance, de définir clairement les responsabilités de chacun. Dans notre système républicain, l'Etat est le garant des grandes orientations, de l'unité nationale et de l'égalité de traitement entre les régions. Ces dernières se voient, quant à elles, confier la déclinaison régionale de la politique de santé définie au niveau national. Chacune des crises sanitaires de ces dernières années a illustré la nécessité d'une coordination au niveau de l'Etat dans les politiques de santé. Ce texte donne un cadre clair à cette répartition de responsabilité, condition indispensable à une décentralisation réussie.
Je me félicite de ce que le Parlement soit appelé à voter les objectifs de santé publique. Il sera tenu informé de leur suivi annuellement et s'assurera de leur évaluation tous les cinq ans.
Au sein des régions, les conférences régionales de santé deviendront le lieu du débat et de la définition de la politique de santé publique. Tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse des professionnels de santé, des usagers des associations ou des unions régionales des caisses d'assurance maladie, les URCAM, ou encore, bien sûr, des collectivités locales engagées dans ce domaine, pourront s'y exprimer. Nous espérons que les conférences régionales de santé seront un lieu de transparence et de dialogue, afin que les décisions ne soient plus annoncées comme un fait accompli aux différents partenaires, notamment aux conseils régionaux, par une administration peu encline à la transparence.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que ces conférences régionales de santé soient transformées en structures permanentes de concertation et de débat, où l'ensemble des acteurs de la santé apprendront à mieux se connaître, à appréhender en commun les besoins et les objectifs de santé, à s'entendre sur les moyens à mettre en oeuvre pour promouvoir un système de prévention et de soins plus efficace. Ce ne sera pas simple. De nombreux efforts seront nécessaires de part et d'autre afin de permettre la concrétisation efficace des plans régionaux de santé publique qui seront adaptés aux spécificités de chaque région.
Le titre II du projet de loi vise à renforcer et à adapter les instruments dont dispose l'Etat pour conduire efficacement sa politique de santé publique, qu'il s'agisse de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, des groupements d'intérêt public régionaux, de l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS. Des adaptations sont prévues dans ce titre en matière tant de politiques de vaccination, de lutte contre le sida que de maladies sexuellement transmissibles, les MST.
Les groupements régionaux de santé publique auront pour mission de mettre en oeuvre les programmes régionaux de santé publique aux côtés des préfets. Leur rôle sera essentiel. Dans la rédaction actuelle du projet de loi, il est prévu que ces groupements se réuniront sous la présidence du représentant de l'Etat.
Nous avons tous bien compris - les événements récents l'ont démontré - l'absolue nécessité, en cas de crise, de disposer d'un responsable régional bien identifié. Cette instance sera au premier rang en cas d'alerte sanitaire et dans la gestion des situations d'urgence. Le débat sur la personnalité qui les présidera sera donc stratégique.
Le titre III du projet de loi concerne les objectifs de santé publique et la mise en oeuvre des grands plans nationaux. Sont soumis à l'approbation du Parlement des objectifs de santé publique pour 2004-2008 répondant à cinq plans stratégiques. Le titre III consacre la création, voulue par M. le Président de la République, de l'Institut national du cancer.
Le « plan cancer » montre, s'il en était besoin, que ce projet de loi est extrêmement concret. Une lutte acharnée doit être engagée contre le cancer, qui est la deuxième cause de mortalité en France. Nous nous en donnons les moyens à travers votre action, monsieur le ministre. Ce plan devrait nous permettre de rattraper notre retard en matière de prévention et de dépistage, mais également de faire disparaître les discriminations implicites dans l'accès aux soins selon la proximité géographique et la disponibilité des structures spécialisées de diagnostic comme de soins.
De même, ce projet de loi vise à améliorer le vaste domaine de la santé et de l'environnement, en particulier dans la réglementation de l'eau et du saturnisme.
Le titre IV concerne la recherche et la formation en santé. Il crée notamment une école des hautes études en santé publique sous forme d'un réseau, en partenariat avec les universités, tout en préservant la spécificité de l'actuelle école de Rennes.
Cette création est un investissement pour l'avenir. En effet, nous manquons cruellement d'experts en santé publique, une filière méconnue des jeunes en formation. Pourtant, un nombre plus important de diplômés serait certainement source d'une meilleure compréhension entre les acteurs de la santé publique.
Dans cet esprit, l'annonce de la réforme de la formation médicale continue, visant plus à motiver les acteurs qu'à les sanctionner, nous paraît particulièrement opportune. Quand on connaît la rapidité de l'évolution des connaissances et des pratiques - j'en parle en connaissance de cause -, l'obligation de se former imposée aux médecins voilà deux ans prend tout son sens, et les dispositions sur la formation médicale continue en facilitent la concrétisation.
S'agissant de la recherche biomédicale, un important travail de réforme a été accompli, afin de moderniser la loi Huriet-Sérusclat et de transposer la directive de 2001 relative à ces sujets. Je voudrais à cette occasion saluer le travail des rapporteurs sur l'ensemble du projet de loi et particulièrement sur ce chapitre, domaine qui a toujours beaucoup passionné notre Haute Assemblée.
Pour toutes ces raisons, qui ne sauraient être exhaustives, le groupe UMP considère que ce projet de loi représente un important progrès pour la santé publique, qu'il est un préalable indispensable à la réforme de l'assurance maladie à laquelle nous procéderons au cours de cette année. Nous le voterons bien entendu avec détermination, tel qu'amendé par notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le ministre, vous nous aviez annoncé une grande loi d'orientation,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est fait !
M. Guy Fischer. ... mais je veux exprimer aujourd'hui la déception de nombreux professionnels de santé.
Non seulement il ne s'agit pas de la loi de programmation que vous aviez promise mais, en plus, les orientations politiques sous-tendues par ce texte sont contestables. L'annonce de cent objectifs n'y change rien : nous déplorons le manque d'objectifs concrets, l'absence de moyens financiers, de même que les lacunes et les dangers que ce texte recèle.
Certes, quelques mesures y ont été intégrées. Ainsi vous avez ajouté le titre II bis consacré à la modernisation du système de veille, d'alerte et de gestion des situations d'urgence, pour faire oublier vos lourdes responsabilités dans le drame de la canicule de l'été passé.
Cinq mois après la première lecture de ce projet de loi par l'Assemblée nationale, nouveau contexte de crise sanitaire oblige, le Gouvernement tente d'ajouter à la hâte une disposition de nature, selon lui, à prévenir et à gérer le risque de prolifération de légionelles dans les tours aéroréfrigérantes !
Par ailleurs, vous créez une école des hautes études en santé publique et vous abordez le dispositif de lutte contre le saturnisme et les risques d'infection par l'eau.
Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli les conférences régionales de santé, qui avaient été initialement supprimées.
Mais ces mesures ne peuvent suffire à masquer les lacunes de ce texte qui ne donne pas de véritables moyens ni ne fixe d'objectifs à long terme. J'en veux pour preuve supplémentaire les soixante-huit amendements que le Gouvernement a déposés au Sénat pour tenter ainsi de faire face aux critiques venant de toute part selon lesquelles ce texte manque d'ambition.
Conscients de cet état de fait, nos collègues députés se sont eux aussi employés à compléter le texte initial, de manière plus ou moins opportune si j'en juge le tollé général soulevé par l'amendement Accoyer encadrant la profession de psychothérapeute. Une large concertation des organismes représentatifs de la profession et un grand débat national sur la santé mentale dans notre pays constituaient un préalable que nous défendrons par le biais d'amendements.
Les orientations politiques qui sont les vôtres, monsieur le ministre, vont à l'encontre des objectifs que vous affichez et de la protection sanitaire de notre population.
Vous affirmez la responsabilité de l'Etat dans la gestion de notre système de santé, mais vous la concentrez en une structure pyramidale qui va à l'encontre de la nécessaire démocratie sanitaire et de la concertation avec tous les acteurs de terrain.
Vous prétendez vouloir mettre de l'ordre dans une « myriade de structures », source d'une confusion des responsabilités, mais vous fondez le Haut Conseil de la santé et le Conseil supérieur de santé publique qui conserve pour l'essentiel les missions de deux institutions supprimées. Vous regroupez le Comité national de sécurité sanitaire et le Comité technique national de prévention en un Comité national de santé publique, dont les attributions entremêlent, selon nous, coordination, conseil et contrôle financier. Vous déplacez la complexité du plan national au plan régional et vous créez une structure nouvelle, le groupement régional de santé publique.
En définitive, vous ajoutez de nouvelles strates administratives de décision pour brouiller un peu plus les responsabilités et permettre ainsi à l'Etat de se défausser.
Le préfet de région devient le garant du plan régional de santé publique, mais les circuits administratifs n'en sont pas pour autant simplifiés ni centralisés à son niveau, puisque chaque administration conserve son autonomie d'action.
De plus, vous aggravez les inégalités entre les régions en matière d'accès aux soins et vous concentrez les pouvoirs entre les mains de financeurs.
Par ailleurs, vous ne craignez pas la contradiction en faisant l'éloge de la prévention qui profiterait aux plus défavorisés, alors que, dans le même temps, vous restreignez notamment l'accès à l'aide médicale d'Etat.
Vous ne faites aucune allusion aux populations les plus défavorisées : comment permettre à dix millions de Français qui ne bénéficient pas de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU, d'accéder gratuitement aux soins ? Tout cela pénalise en réalité des populations qui sont déjà en grande difficulté.
Je pourrais évoquer aussi le témoignage du groupement des associations d'éducation pour la santé, qui s'inquiète du fait que ses missions auprès des professionnels et de la population ne sont pas reconnues dans ce projet de loi, et ce dans un contexte de restrictions budgétaires où l'activité de l'ensemble des associations de prévention est actuellement menacée.
Vous prétendez, monsieur le ministre, tirer les leçons - tardivement - de la catastrophe sanitaire liée à la canicule de cet été. Vous faites un mea culpa bien modeste, puisque, dans le même temps, vous prenez des mesures qui sont à l'opposé des besoins sanitaires des personnes âgées. Ainsi qu'en est-il du gel du plan de médicalisation des maisons de retraite, ou de la restriction des critères d'attribution de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA ?
Plus généralement, vous augmentez le forfait hospitalier, vous déremboursez des médicaments et vous faites la chasse aux affections de longue durée. Ce sont autant de mesures qui viennent contredire, à notre sens, votre volonté affichée d'adopter des dispositions en faveur de la santé des plus défavorisés.
A vouloir en présenter trop, il est très difficile de dire quels sont les objectifs concrets. Vous annoncez cent objectifs sans les hiérarchiser et sans qu'ils aient toujours donné lieu à concertation. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'un catalogue de bonnes idées sans programme concret et sans moyens.
Votre projet de loi est muet sur un pan important, à savoir la prévention en matière de santé au travail et de santé environnementale - pour notre part, nous y insisterons -, bien que vous en ayez beaucoup parlé lors de votre intervention liminaire, monsieur le ministre.
Mon collègue Yves Coquelle reviendra sur cette question, mais je prendrai l'exemple d'un dossier que je suis de très près dans le département du Rhône : le combat pour la reconnaissance de sites amiantés, notamment chez Renault Trucks et Irisbus, des sociétés qui voient régulièrement leur demande rejetée alors que le nombre de cancers et de décès se multiplie et que la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a émis par deux fois un avis favorable.
Et si le temps ne m'était pas compté, je pourrais parler également de la prévention du suicide chez les jeunes. Ce sont là autant de grands problèmes de santé publique sur lesquels votre projet est plus que modeste, voire muet.
S'agissant des financements, nous regrettons qu'aucun financement spécifique n'ait été prévu. Certes, vous me direz qu'ils l'ont été dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que des annonces ont été faites quant au plan cancer. Toutefois, admettez, monsieur le ministre, que ce projet de loi est totalement dépourvu d'engagements financiers. Vous refusez en réalité d'accroître les dépenses sociales pour vous conformer aux critères de Maastricht.
Quant à l'assurance maladie, elle souffre des effets conjugués de la hausse du chômage et d'une politique sans précédent d'exonération de charges patronales, accusant ainsi un déficit abyssal. Or, on annonce, durant les congés des Français, une réforme par voie d'ordonnance, reprenant ainsi la méthode qui a prévalu lors de la réforme des retraites, chère à M. Juppé.
Qui va donc payer ? Pour l'essentiel, comme pour les retraites, ce seront les assurés sociaux, déjà largement mis à contribution par vos précédentes mesures ! Allez-vous supprimer des actions, comme le laisse supposer votre plan « Hôpital 2007 », qui réduit de façon drastique les crédits des hôpitaux, lesquels sont déjà étranglés par des années de restrictions ? Allez-vous faire payer les régions, celles qui le pourront, accroissant les inégalités des citoyens devant des droits universels ?
En outre, ce texte contient des lacunes et présente des dangers. Ainsi, il n'aborde aucunement la question de la formation initiale des professionnels de santé. Vous savez pourtant combien le manque est criant.
S'agissant du plan cancer, vous créez l'institut national du cancer. Les scientifiques, les médecins, les cancérologues auraient voulu une discussion scientifique préalable.
On ignore encore les fonctions précises de cet institut, qui seront certes définies, et les articulations avec les organisations existantes, notamment avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM.
A propos de l'INSERM, je le souligne, vous réussissez une nouvelle fois à faire l'unanimité contre vous : une pétition signée par plus de 5 000 chercheurs français - et non des moindres ! - entend protester contre ce qu'ils n'hésitent pas à nommer une « destruction programmée de l'appareil de recherche français ».
En effet, tandis que vous multipliez les effets d'annonce sur le plan cancer et les nanotechnologies, vous vous gardez de dire que vous fermez le secteur de la recherche, à coup de baisse des crédits et des recrutements.
Ainsi, l'INSERM voit son recrutement passer de 95 postes en 2003 à 30 postes en 2004, et vous remplacez 550 emplois titulaires dans les établissements publics à caractère scientifique et technique par des contrats à durée déterminée de trois ans renouvelables.
Monsieur le ministre, à notre sens, vous menez une politique de poudre aux yeux.
Je vous ferai le même reproche que ceux que je vous ai adressés lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme lors de l'examen du volet santé du projet de loi relatif aux responsabilités locales, par le biais duquel vous aviez largement anticipé sur ce projet de loi : vous rendez à dessein illisible votre politique en émiettant les mesures dans une multitude de textes législatifs ou réglementaires.
Nous ne sommes pas dupes, et nous le disons haut et fort, notamment lorsque nous rencontrons les professionnels, très amers devant la politique que vous conduisez en matière de santé, et qui sont profondément choqués de n'avoir aucunement été consultés.
Sans être naïfs sur la portée de ce texte qui porte en germe de nombreux abandons et qui s'inscrit pleinement dans la logique gouvernementale visant à réduire l'accès aux soins, en faisant supporter des charges de plus en plus lourdes aux familles, nous avons tout de même fait le choix de nous inscrire dans le débat en proposant soixante amendements.
Il n'en demeure pas moins, monsieur le ministre, que nous restons totalement opposés à la vision qui est la vôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. En montant à cette tribune, je viens vous dire, monsieur le ministre, au nom de la population guyanaise, qu'il est temps, qu'il est grand temps que l'on se penche sur la santé en Guyane et sur la santé de la Guyane.
Aux grands maux les grands remèdes, et le texte que vous nous présentez aujourd'hui, enrichi des améliorations que les parlementaires apporteront, trouvera la plénitude de sa force et de son application dans la France hexagonale. Qu'en sera-t-il outre-mer et plus particulièrement en Guyane ?
En effet, vous le savez, les mesures que vous voulez prendre me semblent être compatibles avec la réalité socio-économique, médicale et culturelle de la France hexagonale.
Vous pouvez d'ores et déjà être assuré, monsieur le ministre, que nous soutiendrons votre action et, par voie de conséquence, vous pouvez espérer que nous émettrons un vote favorable sur votre projet de loi.
S'agissant de l'outre-mer, et singulièrement de la Guyane, les indicateurs de santé sont notoirement médiocres : l'espérance de vie y est inférieure de quatre ans à celle de la France hexagonale ; le taux de mortalité infantile est de 12,5 % en Guyane, contre 4,6 % en métropole ; le taux de mortalité périnatale est de 19,5 % en Guyane et de 7 % en France hexagonale ; enfin, le taux de mortalité, qui était de soixante-cinq décès pour cent mille naissances lors de la période 1987-1990, est passé à soixante-dix-neuf décès pour cent mille naissances entre 1993 et 1997, alors qu'il n'est que de neuf décès pour cent mille naissances en métropole. On observe ainsi en Guyane une « surmortalité » de 40 %.
Quant à la politique vaccinale, un récent rapport dénonce avec insistance son inexistence en Guyane. C'est injuste et insupportable.
Les affections cardiovasculaires sont la première cause de décès, les tumeurs la seconde. Les particularités notables sont, entre autres, la surmortalité par maladies infectieuses, la prévalence très forte du diabète et le taux d'accidents de la route.
Sur le plan des moyens humains, la situation est alarmante ! La démographie médicale est la plus faible de France, avec trois fois moins de généralistes et de spécialistes qu'en France hexagonale. Il faut résoudre cette faiblesse de la démographie médicale et, pourquoi pas, autoriser, comme cela se fait à Saint-Pierre-et-Miquelon, le préfet à recruter, par arrêté, des médecins de nationalité étrangère.
Sur le plan des moyens matériels, la Guyane ne disposant pas du plateau technique adapté à de nombreuses pathologies, les Guyanais sont contraints de prendre l'avion pour se faire soigner tant aux Antilles que dans l'Hexagone.
La commission des affaires sociales du Sénat avait relevé, dans la conclusion de son rapport sur la situation sanitaire et sociale en Guyane, deux conditions indispensables à l'amélioration de cette situation : la nécessité d'un accompagnement puissant de la croissance et l'indispensable adaptation des politiques publiques au contexte guyanais.
Cet état des lieux bien connu depuis plusieurs années ne peut être perpétuellement décrit et analysé passivement, en espérant une amélioration miraculeuse par l'usure du temps.
Le défi de la santé en Guyane est immense. Il constitue un challenge pour notre région, une obligation de résultats pour la population, mais aussi une formidable opportunité pour nos nouvelles générations qui cherchent des débouchés valorisants.
Il est grand temps de ne plus être que le spectateur fatigué de nos insuffisances et de faire place à des acteurs engagés, hautement qualifiés et reconnus pour conduire la mise à niveau du secteur de la santé de la Guyane.
Le secteur de la santé, pris au sens large, peut devenir l'un des vecteurs du développement économique de la Guyane, tout en répondant aux nécessités de prise en charge sanitaire de la population.
Le chapitre de la prévention qui figure dans votre projet de loi, monsieur le ministre, mérite un soutien indispensable.
Les actions de prévention contre le sida qui sont menées en Guyane doivent être accompagnées. C'est en effet en Guyane que l'on trouve le plus fort taux de sida, le plus fort taux de paludisme, le plus fort taux de n'importe quelle pathologie. Le déficit en matière de santé publique est donc extrêmement important et il convient de le combler.
Votre texte, monsieur le ministre, doit prévoir des adaptations particulières, afin que soient effacées ces mauvaises photographies de la situation sanitaire de ce pays.
Dans le domaine des soins, je sais que vous avez pris des engagements. Nous comptons fermement qu'au cours de cette année les autorisations d'équipements lourds en cours - imagerie par résonance magnétique à Cayenne et Saint-Laurent, scanners à Cayenne et Kourou et radiothérapie - se concrétiseront rapidement grâce à un soutien majeur et coordonné entre tous les porteurs de projets.
Un pôle de référence de cancérologie sur Cayenne - je sais que M. le Président de la République est très attentif à cette action - devra être fortement encouragé afin d'arrêter les traitements des patients à distance de leurs familles. Le rapprochement entre les secteurs public et privé doit être soutenu activement selon les directives du plan cancer 2003.
Le développement complet des nouvelles technologies de l'information et de la télécommunication est un préalable indispensable au rattrapage en matière de santé de la Guyane.
Les travaux de télédétection sont réalisés à Kourou avec des moyens extraordinaires et ils apportent des solutions rapides à certains problèmes. L'échange sécurisé de données médicales entre tous les acteurs de santé de la Guyane et en dehors de la Guyane permettra de pallier en partie les carences dans plusieurs secteurs géographiques de ce vaste pays.
La création d'une structure d'hébergement avec un projet thérapeutique pour toxicomanes en dehors d'un centre-ville est également nécessaire afin de compléter la chaîne de la prise en charge et commencer à assainir les grandes agglomérations.
Enfin, dans le domaine de la recherche, il faut mettre en place un système de santé performant qui s'adosse à des unités de recherche.
Le premier axe de recherche concerne l'épidémiologie en Guyane. Mieux connaître l'incidence des différentes pathologies me paraît extrêmement urgent.
Le déploiement d'unités de recherche se doit aussi d'être soutenu, notamment dans les secteurs des pathologies infectieuses tropicales tels que le paludisme, la dengue et le virus HTLV1.
Le secteur de la santé devient donc un véritable enjeu de développement économique. Un bon niveau de prise en charge des malades contribue fortement à l'attractivité d'une région pour tous les investisseurs, les touristes, et favorise la paix sociale.
La fierté d'une population se mesure aussi à sa capacité à soigner tous ses ressortissants. Au vu du niveau actuel des connaissances, la Guyane peut relever le défi.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande d'accéder au souhait de tous les acteurs de santé de la Guyane en créant une commission spéciale chargée d'apprécier les conditions de mise en oeuvre de la politique de santé publique en Guyane et de proposer, conformément à la Constitution française rénovée, les mesures d'adaptation nécessaires au projet de loi que vous présentez aujourd'hui devant la Haute Assemblée et qui, j'en suis persuadé, recueillera un avis favorable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre pays, des centaines de milliers de nos concitoyens oeuvrent chaque jour pour la santé publique, avec des responsabilités et des fonctions très diverses, des plus humbles aux plus nobles. Compétences, talents, dévouements, engagements sont mis au service de cette grande cause qu'est la santé publique. Par ailleurs, nombre d'élus locaux sont membres de conseils d'administration d'établissements hospitaliers.
N'avons-nous pas lu dans la presse nationale, voilà quelques semaines, que l'hôpital était au bord de l'implosion ? Inutile de dire, monsieur le ministre, l'intérêt que les acteurs de santé publique portent à nos discussions, d'autant que vous avez su faire rêver en annonçant une loi de programmation, puis une loi d'orientation, pour, finalement, nous présenter un simple projet de loi sans aucun engagement financier.
La santé est une formidable exigence sociale. Elle se manifeste tout au long de la vie, du tout début à l'extrême fin, avec des exigences de plus en plus fortes, de plus en plus jugées par nos concitoyens qui nous l'ont dit si souvent en ce début d'année : « D'abord la santé. »
L'activité humaine dispose aujourd'hui de moyens, de technologies de plus en plus efficaces, sophistiqués, parfois dangereux, capables du meilleur et du pire vis-à-vis d'une planète qu'on sollicite de plus en plus, et d'un être humain, résultat d'une lente évolution, mais dont le trait dominant reste la fragilité. Et pourtant, parce qu'il est fragile, c'est bien l'homme qui doit être au coeur de nos préoccupations, avec le souci de le protéger contre lui-même et contre la société, dans le respect de sa liberté individuelle, mais en y intégrant aussi des exigences sociétales.
La santé publique se doit, dans la mise en oeuvre de ses objectifs, de permettre à tout un chacun de bénéficier d'une manière durable d'un égal accès à la santé. C'est à l'Etat d'y veiller et c'est au législateur de le décider.
La santé est une exigence globale et ne saurait se limiter à la demande et à l'offre de soins. Elle est aussi une exigence individuelle qui ne saurait accepter, sans tenter d'y remédier, des disparités selon la condition sociale ou le lieu où l'on vit dans la République.
Doit-on en appeler à la devise de la République, et plus particulièrement à sa deuxième exigence : l'égalité ? Qu'en est-il, monsieur le ministre, de l'égalité au regard du milieu social en matière de santé publique ?
Les inégalités sociales devant la mort sont anciennes et relativement bien connues. Dans la vision d'une médecine curative toute-puissante, on a longtemps pensé que ces inégalités traduisaient les différences d'accès aux soins en fonction du milieu social ou des revenus.
Les inégalités sociales en ce qui concerne l'accès aux soins restent importantes. On peut affirmer qu'à la fin du xxe siècle, en France, les catégories sociales se distinguent entre elles par des durées de vie très inégales, que les progrès scientifiques et techniques de la médecine n'ont pas permis de réduire.
Ainsi, à trente-cinq ans, les hommes qui sont cadres de la fonction publique ou qui appartiennent à une profession intellectuelle ou artistique peuvent encore espérer vivre en moyenne quarante-six ans, soit une durée de vie totale de quatre-vingt-un ans. Toujours à trente-cinq ans les ouvriers non qualifiés n'ont une espérance de vie que de trente-sept ans, soit neuf ans de moins que les premiers, ce qui est considérable.
S'agissant des femmes, constat est fait que la mortalité des femmes mariées n'ayant pas d'activité professionnelle est influencée très fortement par la position sociale du mari : pour une mortalité de référence égale à un, les femmes de cadre ou de membre d'une profession libérale ont un indice de mortalité de 0,8, alors que cet indice est de 1,8 pour celles dont le mari est ouvrier.
Ce constat doit nous conduire politiquement à nous interroger sur la réalité de la solidarité pour réduire l'inégalité des chances constatées vis-à-vis du droit constitutionnel à la santé. Le faisons-nous vraiment dans ce projet de loi de santé publique ?
A l'écoute de l'excellent rapport qu'a fait à la commission des affaires sociales notre rapporteur Francis Giraud, je m'étais pris à rêver : « La définition proposée des actions et des objectifs de santé publique dépasse la conception traditionnelle centrée autour des pathologies lourdes pour intégrer d'autres déterminants tels que la réduction des inégalités de santé, la prise en compte des populations les plus fragiles ainsi que les risques éventuels pour la santé causés par l'environnement, le travail, les transports et l'alimentation. »
Cependant, l'émoi positif provoqué par ce discours que nous aurions pu écrire fut de courte durée. A ce moment de plaisir fugace s'est rapidement substituée la déception de ne pas entendre parler des moyens humains et financiers nécessaires pour concrétiser le propos.
Monsieur le ministre, votre démarche est conceptuellement séduisante, mais elle risque fort d'être inopérante au regard des situations rencontrées si vous ne disposez pas des moyens nécessaires.
Le précédent gouvernement avait tenté de remédier aux disparités régionales en mettant en place un système de péréquation. Le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale publié en septembre 2003 nous indique qu'au titre de la réduction des inégalités entre régions « un montant de 101 millions d'euros a été prélevé sur les régions contributrices au profit des régions défavorisées. Ce montant ne représente que 0,24 % des dotations finales, comme en 2000 et 2001 ».
La mise en oeuvre de la tarification à l'activité constituera-t-elle une réponse à ces problèmes ? Tel ne sera pas le cas pour les secteurs comme la psychiatrie, qui en sont exclus. N'oublions pas également que ce dispositif ne sera totalement opérationnel que dans dix ans.
Comment entendez-vous donner à la politique de santé publique tout son sens, monsieur le ministre, si vous renoncez à prendre ce problème à bras-le-corps ? Pourtant il est possible de remédier à cette situation. Notre collègue M. Pastor en témoigne au travers de sa proposition de loi sur la présence médicale en zone rurale. Des dispositifs incitatifs, notamment sous forme de bourses, mériteraient d'être étendus géographiquement pour faciliter l'installation ou le maintien de jeunes paramédicaux dans nos régions défavorisées.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. André Vantomme. Cela vous a déjà été demandé, monsieur le ministre. La discussion d'aujourd'hui est l'occasion de revenir de nouveau sur cette exigence forte d'égalité en matière de santé publique et de vous questionner, afin d'être informés des initiatives que vous envisagez de prendre s'agissant de ce problème à la fois majeur et récurrent.
Monsieur le ministre, le souci d'égalité n'est pas contraire à la définition de priorités et, parmi celles-ci, il nous semble majeur d'inscrire dans la loi toute l'attention que nous devons aux populations fragilisées. Cela va de soi, mais cela va mieux en le disant. Nous voudrions donc qu'il soit précisé que l'accès à la prévention et aux soins des populations fragilisées - les personnes âgées, les personnes incarcérées, les personnes démunies, les jeunes - constitue un objectif prioritaire de santé publique.
De même, pour nous, cette attention aux plus fragiles va également de pair avec notre souci de faire de la politique de santé publique l'affaire du plus grand nombre.
Nous souhaiterions vivement que les acteurs du système de santé, les usagers, les professionnels, les organismes d'assurance maladie, les mutuelles soient aussi mobilisés au côté de l'Etat.
M. Claude Domeizel. Il a raison !
M. André Vantomme. Nous serons très attentifs, monsieur le ministre, au respect d'un certain équilibre dans les organismes que vous souhaitez mettre en place. La politique de santé publique doit transparence et reconnaissance à l'ensemble de ses acteurs.
La loi du 4 mars 2002 allait dans ce sens. Oublier les associations de malades, les professionnels de santé, les mutuelles, constituerait une réelle régression pour la démocratie sanitaire.
Monsieur le ministre, il est également un domaine où nous devons mener une réflexion dans le cadre de la politique de santé publique : il s'agit de la médecine nucléaire.
Le tomographe à émission de positons oeuvre dans trois grands domaines médicaux : la cancérologie, la cardiologie et la neurologie. Ce matériel de haute technologie utilise la scintigraphie, technique médicale qui informe sur le fonctionnement d'un organe, et pas seulement sur sa forme. La scintigraphie permet d'approcher par l'image les anomalies biologiques et moléculaires caractéristiques d'un processus pathologique, et non plus seulement les déformations anatomiques tardives que la maladie fera subir à l'organe touché.
Inutile de dire que le corps médical trouve beaucoup de satisfactions et d'espoirs dans l'utilisation de cet équipement pour affronter les maladies.
Environ quatre cent cinquante machines sont actuellement opérationnelles aux Etats-Unis, quatre-vingt-cinq en Allemagne et vingt-cinq en Belgique.
Dans notre pays, les implantations de cet équipement sont déterminées par une carte sanitaire prévoyant l'autorisation de soixante équipements au total, soit une densité de un par million d'habitants, et treize appareils de ce type seraient actuellement opérationnels.
Le coût de cet appareil avoisine les 3 millions d'euros.
Monsieur le ministre, dans ce domaine d'avenir, notre pays semble en retard pour l'implantation de ce type d'appareil, qui laisse pourtant espérer des progrès majeurs dans la lutte contre le cancer, cause de mortalité précoce avant soixante-cinq ans, comme les accidents de la route et les suicides.
La politique volontariste menée par le Gouvernement en matière de sécurité routière donne d'excellents résultats, même si tout est toujours perfectible.
Qu'envisagez-vous, monsieur le ministre, pour accélérer l'équipement de notre pays en tomographes à émission de positons et réduire une cause de mortalité précoce qui peut tous nous frapper ?
En matière de santé publique, il est une catégorie de nos concitoyens qui mérite tout particulièrement notre attention ; vous avez évoqué leurs problèmes dans les préoccupations que vous avez exprimées : il s'agit des malades qui sont atteints de maladies rares. On compte parfois quelques cas par an dans notre pays.
Ces patients et leurs familles éprouvent souvent un sentiment de désespoir et d'abandon face au drame qu'ils vivent. Certes, par la mobilisation des associations qu'ils ont créées, par l'opiniâtreté et la motivation des équipes médicales qui tentent de trouver les thérapies salvatrices, des actions sont entreprises. Mais les progrès sont lents au regard du caractère évolutif de certaines maladies, qui sont d'autant plus cruelles qu'elles frappent des enfants à l'espérance de vie encore faible.
Monsieur le ministre, dans ce texte de politique de santé publique qui évoque bien peu la dimension européenne, la France ne devrait-elle pas être initiatrice de projets qui mettraient à l'appui de tout ce qui est actuellement entrepris les moyens humains et financiers de la communauté européenne, dans le cadre d'une collaboration spécifique et renforcée qui redonnerait espoir aux patients et à leurs familles ?
Enfin, monsieur le ministre, je ne voudrais pas conclure ce propos sur la politique de santé publique sans évoquer de nouveau la situation de la psychiatrie dans notre pays. Elle tient une place à part dans notre système de santé, comme en atteste le fait que, contrairement aux autres disciplines médicales, elle n'est pas comptatible avec le programme de médicalisation des systèmes d'information hospitaliers, le PMSI.
Il serait particulièrement regrettable que les discussions sur l'amendement Accoyer et la psychothérapie occultent totalement une discipline qui tente d'apporter des réponses diversifiées et de qualité aux souffrances d'un nombre important de nos concitoyens.
M. Francis Giraud, rapporteur. C'est parfaitement exact !
M. André Vantomme. La psychiatrie se voit de plus en plus sollicitée en toute occasion, mais les moyens mis à sa disposition ne sont généralement pas en rapport avec ceux qui lui seraient nécessaires : moyens humains, médicaux et paramédicaux bien sûr, avec de fortes disparités régionales ; moyens financiers pour conserver au patient sa place au coeur du dispositif de soins. La tâche est ardue.
Vous avez à votre disposition, monsieur le ministre, le rapport Cléry-Melin, vous pouvez engager avec les représentants médicaux et paramédicaux de la psychiatrie un dialogue qui vous permettra de hiérarchiser les priorités à mettre en oeuvre. C'est, je crois, une tâche urgente. Il ne saurait y avoir de bonne politique de santé publique si l'on néglige la santé mentale.
Monsieur le ministre, la discussion de ce projet de loi de santé publique sera, je l'espère, constructive. Puisse-t-elle permettre de dégager les lignes de force qui soit ront les réponses aux attentes des acteurs de santé publique. Souhaitons que ce projet de loi ne soit pas un catalogue, un fourre-tout de mesures disparates.
Tout au long du débat, par des amendements, le groupe socialiste tentera d'améliorer le texte que vous nous proposez. De l'écoute et de la compréhension à l'égard de nos propositions dépendra le jugement que nous porterons sur la manière dont vous mettrez en oeuvre la politique de santé publique avec les moyens appropriés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un très bel exposé !
M. Francis Giraud, rapporteur. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle.
M. Yves Coquelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la canicule de l'été et ses dramatiques conséquences sur la santé des personnes âgées ou fragiles, après les cas de maladies nosocomiales contractées par bon nombre de personnes hospitalisées, c'est maintenant une épidémie de légionellose sans précédent dans notre pays qui sévit depuis deux mois dans le Nord - Pas-de-Calais. Elle affecte plus de soixante-dix personnes et a déjà fait neuf victimes.
Cette crise sanitaire majeure agit comme le révélateur des graves insuffisances du système de santé dans ma région.
Je ne veux pas ici, monsieur le ministre, brosser un tableau plus noir qu'il ne faut ; je souhaite simplement vous faire part de la triste réalité d'une région qui ne cesse de prendre des coups.
L'espérance de vie dans le Nord - Pas-de-Calais est inférieure de six à sept ans à la moyenne nationale. Les raisons en sont multiples.
La pénibilité du travail des mineurs a marqué et marque encore notre région. Le taux de chômage élevé, la pauvreté de nombreux ménages, l'absence de médecine préventive à l'école, sur les lieux de travail et pour les nombreux demandeurs d'emploi font partie des causes de cette situation sanitaire difficile. Mais il en est bien d'autres, monsieur le ministre.
La région Nord - Pas-de-Calais, qui compte un peu plus de 4 millions d'habitants, dispose d'environ 110 professeurs de médecine et de chirurgie. La région d'Ile-de-France, quant à elle, avec 10 millions de personnes, dispose de plus de 1 000 professeurs. Si ceux-ci ne sont pas trop nombreux en Ile-de-France, ils sont notoirement insuffisants dans la région Nord - Pas-de-Calais.
Concernant les médecins spécialistes, là aussi, les carences sont flagrantes. Il n'est pas rare que les délais d'attente pour consulter un ophtalmologiste, un cardiologue, un rhumatologue, un pneumologue, voire un pédiatre, varient de plusieurs semaines à quelques mois.
Les trois hôpitaux construits lors de la glorieuse époque des houillères ont été restructurés en un seul hôpital, certes plus moderne et mieux équipé, mais le nombre de lits n'y est plus. Il en manque 150 par-ci, 200 par-là.
En 2004, le département du Pas-de-Calais, avec 1 400 000 habitants, n'a toujours pas de CHU.
Monsieur le ministre, je voudrais insister sur un autre phénomène, tout aussi grave : les rappels à l'ordre incessants du directeur de la caisse primaire d'assurance maladie d'Arras auprès des médecins parce qu'ils accomplissent trop d'actes ou auprès des infirmiers et des kinésithérapeutes, qui sont amenés à fermer plusieurs jours par semaine parce qu'ils dépassent les quotas. Tout cela entraîne une dégradation flagrante du système de santé dans notre département.
Aujourd'hui, nous débattons de nouvelles propositions gouvernementales en matière de santé publique. Je sais que ces nouvelles mesures iront malheureusement encore dans le sens de nouvelles restrictions et qu'un véritable système de santé à deux vitesses va s'installer en France.
Dans notre bassin minier, nous en débattrons la semaine prochaine, les ayants droit mineurs qui bénéficient du système de la sécurité sociale minière craignent, selon moi avec raison, pour le devenir de cette institution. Sa disparition serait une véritable catastrophe pour les veuves de mineurs aux revenus modestes.
Monsieur le ministre, nous ne pouvons admettre, d'une manière générale, ce système de santé à deux vitesses et encore moins dans une région qui souffre déjà des insuffisances notoires du système de santé publique.
Si nous voulons éviter à l'avenir les catastrophes que nous subissons depuis cet été, nous devons non pas réduire encore les prestations de la sécurité sociale en matière de santé mais au contraire les développer et les améliorer.
N'oublions pas que la France, au lendemain de la guerre, a instauré avec la sécurité sociale un système de santé qui garantissait à chacun la possibilité de profiter des bienfaits de la médecine et de se soigner.
Ce système, qui est remis en cause depuis des années, l'est tout particulièrement par l'actuel gouvernement.
Nous revendiquons pour le Pas-de-Calais la création d'un centre hospitalier universitaire, qui désengorgerait le centre hospitalier régional de Lille, largement saturé. Nous insistons afin qu'un effort important soit réalisé pour mettre davantage de lits à la disposition des malades. Nous pensons que la vie de l'hôpital ne peut se concevoir en termes de réductions drastiques des dépenses ni en termes de rentabilité. Il faut qu'en France les malades puissent bénéficier de la même qualité de soin, quelle que soit la région concernée. Il convient de favoriser la venue dans notre région, qui malgré tous ses handicaps demeure une belle région, de nombreux spécialistes pour répondre à l'attente des malades. Il est également nécessaire de mettre en place une véritable médecine scolaire et du travail.
Par ailleurs, il faut faire en sorte que les entreprises à risques soient plus étroitement surveillées par la DRIRE, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, et par la DDASS, la direction départementales des affaires sanitaires et sociales, qui ne disposent malheureusement pas à ce jour des moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions de contrôle.
En effet, selon les propos des représentants de la DRIRE, la visite et le contrôle des usines à risques, en l'état actuel des moyens dont dispose cet organisme, prendraient plus d'un an et demi. Cette situation n'est pas acceptable : la DRIRE et la DDASS doivent être dotées des moyens nécessaires pour effectuer leur travail dans les meilleures conditions.
Monsieur le ministre, tout cela a un coût, certes, mais rien n'est plus important que la santé de nos concitoyens, et ce quelle que soit la région où ils habitent.
Le devoir de l'Etat est de tout mettre en oeuvre pour protéger et soigner ses populations. Nous craignons fortement que votre projet de loi sur la politique de santé publique n'aille pas dans ce sens. En attendant, nous déposons aujourd'hui, monsieur le ministre, une demande de constitution de commission d'enquête sur la légionellose, en espérant que toutes les leçons seront tirées de ce dramatique événement qui risque sinon, demain, d'affecter d'autres régions et d'autres populations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Tous les orateurs qui se sont succédé ont mis l'accent sur des points intéressants, même si, naturellement, certaines interventions, de mon point de vue, se sont révélées plus en adéquation avec la réalité que d'autres.
Monsieur Barbier, je veux vous remercier. Nous avons la même préoccupation, notamment en ce qui concerne le rôle de l'Etat, et vous avez bien voulu défendre les GRSP, les groupements régionaux de santé publique, en arguant de leur rôle de coordinateur.
Vous avez évoqué les cent objectifs en disant qu'ils faisaient un peu catalogue ; cette critique a été reprise par certains intervenants et j'y reviendrai dans un instant. Mais je répète qu'il s'agit d'un tableau de bord et il est clair que si, dans cinq ans, nous n'avons pas atteint ces objectifs, alors, nous pourrons dire que notre politique n'a pas été assez énergique, assez efficace.
Je reviendrai également plus en détail sur le problème financier qui est apparu comme une préoccupation centrale, notamment à travers la question : pourquoi ne pas prévoir une loi de programmation assortie des moyens financiers ?
Je reconnais qu'il y a des disparités entre régions en termes de populations et que la région d'Ile-de-France, avec ses quelque douze millions d'habitants, constitue naturellement un cas particulier au regard des régions dont le nombre d'habitants est égal ou légèrement inférieur à un million.
De fait, quand on regarde la composition du GRSP, on constate que sont représentées l'ARH, agence régionale de l'hospitalisation, la DRASS, direction régionale de l'action sanitaire et sociale, l'URCAM, union régionale des caisses d'assurance maladie, ainsi que l'URML, union régionale des médecins libéraux ; en réalité, chaque groupement représente une population plus importante qu'il n'y paraît, et le tout sera de savoir démultiplier les modes d'organisation de ces GRSP.
Vous avez eu raison d'insister sur la régionalisation en disant qu'il ne fallait pas pour autant oublier les départements, les pays ou les communautés de communes ; nous en parlerons au cours de la discussion des articles.
Vous avez évoqué, à juste titre, le regroupement des stuctures en soulignant la nécessité de les renforcer et en disant qu'il s'agissait d'une réelle simplification si l'on avait un mode d'emploi approprié.
Vous avez terminé en précisant, je vous en remercie, que le risque zéro n'existait pas dans notre société. Il fallait, à un moment ou à un autre, que ce soit dit.
Monsieur Chabroux, je vous remercie d'abord d'avoir dit de ce projet de loi qu'il était pavé de bonnes intentions, que c'était une accumulation de voeux pieux, car je prends ces qualificatifs comme des compliments. (Sourires.)
Mais votre raisonnement m'a semblé un peu étrange. En effet, vous nous avez d'abord reproché de nous disperser en disant : « Il y a cent objectifs, il y a cinq thématiques, donc naturellement la déception sera au rendez-vous. » Puis vous avez poursuivi votre intervention assez bizarrement en regrettant que nous n'ayons pas évoqué suffisamment dans ce projet de loi les objectifs liés à la médecine du travail, aux maladies professionnelles et à l'environnement. Vous nous avez parlé des statistiques, de la nutrition, de l'obésité, etc. Et, en définitive, j'ai été très étonné, parce j'avais cru comprendre, au départ, que vous refusiez ce catalogue. Votre raisonnement avait sa logique, que je pouvais entendre. Mais vous avez terminé sur l'environnement, et je vous renvoie aux objectifs 20 et 21 concernant la réduction de l'exposition de la population aux polluants atmosphériques. Vous avez parlé du bruit, et, sur ce sujet, je vous renvoie à l'objectif 24, qui vise à réduire les niveaux de bruits entraînant des nuisances. A propos de l'obésité que vous avez également mentionnée, je vous renvoie à l'objectif 5.
Par conséquent, monsieur Chabroux, ce curieux raisonnement circulaire par lequel vous déploriez la trop grande dispersion de ce projet de loi pour ensuite regretter que ne soient pas traités davantage de sujets ne visait probablement qu'à étayer votre critique. Je ne vous en veux donc pas. Toutefois, je vais plutôt m'attarder sur les problèmes de financement qu'ont également évoqués MM. Barbier, Fischer, Vantomme et d'autres.
La plupart d'entre vous sont des parlementaires avertis, chevronnés ; vous savez donc très bien qu'une loi de programmation est très différente d'un projet de loi qui repose sur un financement qui, lui, est déjà voté, que ce soit à travers la loi de financement de la sécurité sociale ou la loi de finances, comme l'ont d'ailleurs souligné plusieurs orateurs.
Je citerai quelques exemples très précis. A en croire certains, il n'y aurait pas de financement. Or, rien que pour le plan cancer, sur cinq ans, 1,5 milliard d'euros - pardonnez-moi du peu ! - sont prévus selon une progressivité qui est très simple : nous engageons 100 millions d'euros la première année puis 200 millions la deuxième année et ainsi de suite, jusqu'à 500 millions d'euros la cinquième année. Au total, on arrive à 1,5 milliard d'euros. Sans doute avez-vous oublié ces sommes quand vous dites qu'il n'y a pas de financement !
Le rapport définitif concernant le plan national santé-environnement, qui devrait être prêt à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février, sera connu dans le détail au printemps. Nous avons déjà arrêté dans la loi de financement de la sécurité sociale une provision de 8 millions d'euros qui viendra s'ajouter aux sommes déjà prévues.
Avant de répondre à M. Coquelle et, surtout, à M. Vantomme, qui ont évoqué la santé mentale, j'indique que, s'agissant de la prévention des suicides, nous avons augmenté les crédits de 25 % pour les porter à 6 millions d'euros. Vous ne pouvez donc pas dire, ni les uns ni les autres, que les moyens ne sont pas prévus.
Les GRSP seront financés à la fois par des crédits d'Etat aujourd'hui gérés de façon centralisée et par les ressources de l'assurance maladie consacrées à la prévention. Les crédits d'Etat représentent aujourd'hui 180 millions d'euros, dont les trois quarts sont déconcentrés. Quant aux crédits de l'assurance maladie, et principalement du FNPEIS, le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires, ils représentent plus de 200 millions d'euros hors centres de soins locaux.
Autrement dit, il est totalement faux de prétendre que ce projet de loi ne prévoit pas de financement. Certes, à l'exception du plan cancer, il ne s'agit pas d'une programmation, mais c'est un engagement annuel, répété, qui accompagnera ce projet de loi tout au long des cinq ans à venir.
Plusieurs d'entre vous se sont inquiétés de ne pas voir figurer les financements de manière précise. Vous avez voté la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, qui s'inscrit dans une autre logique puisqu'elle rend possible la gestion par objectif des dépenses de l'Etat. A cet égard, il me semble que le ministère de la santé est pilote, comme vous avez pu le constater et comme vous le constaterez encore mieux lors de l'examen du projet de budget pour 2005.
Madame Payet, vous avez pesé les enjeux, vous avez posé la question de la hiérarchisation des priorités, vous avez évoqué l'éducation à la santé, vous avez mentionné la déclinaison des objectifs au niveau régional : vous avez, en définitive, bien appréhendé la logique du texte, et je vous en remercie.
Vous avez souligné que pour la gouvernance il fallait un chef de file, en l'occurrence la DRASS, et vous vous êtes - je ne veux pas être désagréable avec vous, et encore moins vous blesser -, à mon avis, égarée dans une discussion qui ressemblait à celle que nous avons déjà eue à propos des agences régionales de la santé.
La pédagogie reposant sur la répétition, je redirai les choses très simplement. La santé, telle que nous la concevons aujourd'hui, est composée de trois domaines : le domaine hospitalier, le domaine ambulatoire et le domaine de la santé publique.
Nous avons, pour le moment, organisé l'hôpital à l'échelle régionale, avec les agences régionales d'hospitalisation.
Nous sommes en train d'organiser la santé publique de façon déconcentrée, grâce aux GRSP.
Il nous manque un maillon très important : la régionalisation du système de soins, du système ambulatoire. Mais, bien évidemment, celle-ci dépend de la réforme de l'assurance maladie, si bien que nous ne pouvons pas, pour le moment, compléter le puzzle.
Que ferons-nous si nous obtenons la régionalisation de l'ambulatoire ? Il nous semblerait cohérent, dans un premier temps, de marier l'hôpital et l'ambulatoire pour parvenir à une logique du soin, la santé publique restant à part. Nous verrons ensuite s'il faut fusionner l'ensemble formé par l'hôpital et l'ambulatoire avec la santé publique dans une seule agence régionale de la santé. Je n'en suis pas persuadé : autant cela me paraît indispensable pour le soin, autant je suis réservé quand il s'agit de la santé publique.
Pourquoi ? La raison vient de nous en être donnée avec l'exemple de la légionellose, qui relève nettement de la santé publique, de la sécurité sanitaire. Il est bien évident que la région Nord - Pas-de-Calais ne peut pas affronter seule une telle épidémie,...
Mme Hélène Luc. C'est clair !
M. Jean-François Mattei, ministre. ... et il est logique qu'en de telles circonstances elle s'adresse aux services déconcentrés de l'Etat, à la DRASS et à la DRIRE.
Il nous faudra donc probablement veiller à ne pas couper la santé publique et la sécurité sanitaire du cordon ombilical de l'Etat, vers lequel, malgré tout, se tourne la population dès qu'elle a besoin de secours et d'assistance, et je ne suis pas certain que la problématique de l'agence régionale de la santé, telle que vous l'avez posée, corresponde véritablement à la logique et à la cohérence de l'organisation de notre système de santé dans les régions. Mais le débat n'est pas fermé, et nous le reprendrons le moment venu.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela évoluera certainement !
M. Jean-François Mattei, ministre. J'en viens à la formation médicale continue : elle est obligatoire. Mais nous n'avons pas voulu mettre de sanction à la clé ; nous avons préféré - comme je le fais depuis mon arrivée à la tête de ce ministère - faire confiance et mettre en place les incitations que j'ai citées dans mon intervention liminaire.
Je vous remercie, madame Payet, d'avoir souligné les avancées réalisées en faveur de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs. Nous débattrons aussi des diététiciens. Je ne suis pas certain que la question soit tout à fait mûre, je sais en revanche qu'il faut probablement que nous prêtions davantage attention à ces deux professions, notamment aux diététiciens, qui, actuellement, ne figurent pas parmi les quatorze professions paramédicales que nous voudrions intégrer dans la première année commune de médecine. Or nous ne voudrions pas que les diététiciens en soient tenus écartés. Il faudra donc, si votre amendement ne nous permet pas de le faire au cours de cette discussion, régler le problème pendant la navette ; c'est en tout cas mon intention.
Je ne vais pas reprendre maintenant le débat sur la psychothérapie et les psychothérapeutes : nous le ferons le moment venu, lorsque votre amendement sera examiné.
Enfin, vous avez eu raison de rappeler le rôle du département en termes de santé publique.
Je vous remercie, madame la sénatrice, du soutien que vous avez annoncé au nom de votre groupe.
Monsieur Blanc, vous avez donné de la logique et de la cohérence du projet de loi une explication comme je n'aurais pu la faire. Vous avez parfaitement résumé l'organisation et ses deux niveaux, notamment à l'échelon régional, en mettant l'accent sur le niveau de concertation, qui est constitué par la conférence régionale de santé. Vous vous êtes demandé à voix haute si celle-ci serait une structure permanente de débat. Pour ma part, je souhaite que ce soit une structure, si ce n'est permanente, du moins consultable à tout moment, car je tiens à ce que prévalent le dialogue, la concertation et la transparence ; sinon, ce n'est pas la peine de réunir tous les acteurs autour d'une même table !
Vous avez également souligné l'intérêt du GRSP. La discussion des amendements nous permettra de constater, et j'en suis heureux, que l'idée de cette structure a cheminé dans les esprits et que chacun comprend désormais que les régions, ont besoin d'un chef d'orchestre qui donne la mesure tandis que chacun joue sa partition avec son instrument, avec ses moyens, avec sa compétence. Tel est très exactement le rôle du groupement régional de santé publique. Les collectivités territoriales garderont leur capacité d'intervention, de même que l'assurance maladie et les autres intervenants.
Enfin, monsieur Paul Blanc, je retiens votre proposition de faire du sida une grande cause nationale en 2005, car cette idée me convient. Il me faut cependant me renseigner sur les modalités pratiques de sa mise en oeuvre.
Monsieur Fischer, vous avez affirmé qu'avoir cent objectifs revenait à ne pas avoir d'objectif concret, et vous êtes tombé progressivement dans le même travers que M. Chabroux. Mais je ne vous en veux pas. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Nous parlons calmement, ma remarque n'est une agression à l'égard de personne !
M. Jack Ralite. C'est tout de même déplaisant !
M. Jean-François Mattei, ministre. Certains d'entre vous l'ont rappelé, nous avons souhaité consulter 140 spécialistes de santé publique en France, en Europe, et même au sein de l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS. Ceux-ci nous ont proposé des objectifs réalistes et, pour la plupart, quantifiés et répondant à une préoccupation majeure ; je ne les détaillerai pas, car cela ressemblerait à une litanie ou à un inventaire à la Prévert. Mais je ne peux pas vous laisser dire que retenir cent objectifs revient à ne s'en fixer aucun, j'y reviendrai dans un instant.
Monsieur Fischer, si, à l'instant, vous avez réagi lorsque j'ai parlé de « travers », c'est peut-être parce que vous êtes attentif à ce que je ne sois pas trop critique. Permettez-moi de vous dire pourtant que, à revenir sans cesse sur le problème de la canicule de cet été en adoptant le ton de la polémique politicienne, vous ne vous grandissez pas.
M. François Autain. Et ça, ce n'est pas de la polémique ?
M. Jean-François Mattei, ministre. J'ai été entendu par la mission d'information du Sénat, et l'ensemble des sénateurs qui étaient présents, parmi lesquels, d'ailleurs, M. Chabroux, ont fait preuve de beaucoup d'objectivité, d'attention et d'écoute.
M. Jean-Pierre Plancade. Comme toujours ! Vous devriez écouter plus souvent le sénateur Chabroux !
M. Jean-François Mattei, ministre. Ils n'ont pas, eux, déjà désigné les responsables, alors que, pour le moment, tout ce que l'on peut savoir ou déduire est que les informations ne sont pas remontées parce que, probablement, ceux à qui il incombait de les transmettre n'ont absolument pas soupçonné qu'il s'agissait d'un drame collectif.
M. Guy Fischer. Et voilà ! C'est la faute à personne !
M. Jean-François Mattei, ministre. Nous n'allons pas entrer maintenant dans le débat de fond, mais si certaines maisons de retraite ont enregistré 50 % de décès, je ne suis pas certain que l'on puisse l'expliquer par le seul fait que le ministre de la santé n'aurait pas tenu compte d'un bulletin météorologique et n'aurait pas annoncé sur TF1, un soir à vingt heures, qu'il fallait faire boire les personnes âgées !
M. Guy Fischer. Je n'ai pas dit cela !
Mme Hélène Luc. Pourquoi caricaturer ?
M. Jean-François Mattei, ministre. C'est à peu près ce que vous avez dit, monsieur le sénateur ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
M. François Autain. Un peu d'humilité !
M. Roland Muzeau. Vous êtes mal à l'aise, monsieur le ministre !
M. Jean-François Mattei, ministre. Pas du tout ! J'ai été mal à l'aise pendant quelques semaines, certes, le temps de comprendre ce qui s'était passé, et je crois que n'importe quel responsable, à ma place, aurait réagi de même.
M. Roland Muzeau. Absolument !
M. Guy Fischer. C'est exactement ce que nous avons voulu dire !
M. Jean-François Mattei, ministre. A partir du moment où des éléments d'explication sont apparus, où des données chiffrées concernant d'autres pays européens ont été connues, il en est allé autrement.
M. François Autain. Vous ne semblez pas avoir la conscience tranquille !
M. Jean-François Mattei, ministre. Ce n'est pas du tout que je veuille fuir telle ou telle explication, mais, monsieur le sénateur, revenir sans cesse sur ce qui est considéré comme une polémique politicienne ne vous grandit pas.
M. Guy Fischer. C'est le texte qui nous y oblige !
M. Jean-François Mattei, ministre. Cela montre, probablement, que vous manquez d'arguments de fond : car on ne se grandit jamais en rapetissant les autres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Vous avez une bien curieuse conception du travail parlementaire ! (Mme Marie-Claude Beaudeau proteste.) Lorsqu'un texte est ouvert, cela démontre, selon vous, que le gouvernement ne sait pas où il va ; mais lorsqu'un projet de loi est verrouillé, vous reprochez à ce même gouvernement de confisquer le débat ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.)
De même, lorsque le Gouvernement ne déclare pas l'urgence et, au contraire, laisse la navette se dérouler pour associer à son travail le Parlement, l'Assemblée nationale et le Sénat, parce que, dans un domaine aussi important que la santé publique, aucune intervention, aucune remarque ne peut être à ce point dénuée d'intérêt qu'il ne soit pas utile que le ministre l'entende et puisse éventuellement décider de la retenir, alors, vous lui reprochez de ne pas être ferme dans ses convictions !
Le ministre fait son travail, chaque assemblée fait le sien, et la discussion permet la mise en commun : c'est le travail d'amendement, et c'est ce que nous allons faire. Vous ne pouvez pas, parce que nous acceptons soixante, cent ou deux cents amendements, dire que le Gouvernement n'est pas ferme dans ses convictions ! (M. François Autain s'exclame.)
Le Gouvernement a des convictions, il a tracé des lignes, mais il reste ouvert à la discussion, et c'est ainsi que je conçois le débat démocratique et le travail parlementaire.
C'est si vrai, monsieur Fischer, que faute d'arguments, vous avez fini pas recourir au patchwork. Vous avez lancé le filet et vous avez remonté et mélangé à loisir l'AME, le forfait hospitalier, les médicaments...
Mme Hélène Luc. C'est logique !
M. Guy Fischer. Vous oubliez la CMU complémentaire, dont sont privés des millions de Français !
M. Jean-François Mattei, ministre. Autant de questions qui n'ont rien à voir avec le texte que nous examinons aujourd'hui !
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, vous nous avez fait quitter un terrain que vous connaissez moins bien et qui, d'ailleurs, est généralement mal appréhendé, un terrain sur lequel vous voyez bien que nous faisons preuve d'innovation, et vous nous avez ramenés sur le terrain du soin, sur lequel vous avez placé vos critiques. Mais croyez-vous réellement que c'est en dix-huit mois que les médecins et les infirmières ont déserté les campagnes ? Croyez-vous vraiment que c'est en dix-huit mois que les établissements hospitaliers sont devenus vieillissants, voire obsolètes ? Croyez-vous vraiment que c'est en dix-huit mois que l'on acquiert les TEP, les tomographes par émission de positons ? Vous déploriez tout à l'heure qu'il n'y en ait que treize mais pourquoi n'en a-t-il pas été acheté davantage avant ?
J'ai beaucoup aimé, au contraire, le ton de M. Vantomme (Approbation sur les travées du groupe socialiste), qui a soulevé de vraies questions. Je suis en mesure de lui indiquer aujourd'hui qu'à la fin de l'année 2007 nous disposerons de soixante-quinze tomographes à émission de positons. Ainsi, non seulement nous aurons rattrapé notre retard, mais nous serons allés au-delà des prévisions initiales, qui étaient de soixante. Ces appareils seront financés par le plan cancer. Un certain nombre d'achats ont déjà été réalisés cette année, d'autres sont en cours, et des machines seront mises en place dès 2004.
Monsieur Fischer, il y a un dernier point sur lequel je veux vous répondre : le suicide, que vous nous reprochez de ne pas aborder. Je vous renvoie à l'objectif 92 : « Réduire de 20 % le nombre des suicides en population générale d'ici à 2008 [...]. » Voilà un impératif chiffré ! Comme on le fait pour les accidents de la route - vous l'avez reconnu -, comme on le fait pour le cancer du poumon, par le biais de la diminution de la consommation de tabac, on doit aussi s'attaquer au suicide, et cela figure parmi les objectifs. Il est vrai qu'à vos yeux une liste d'objectifs aussi longue revient à ne pas avoir d'objectif du tout, et vous avez probablement pensé que le suicide n'y était pas inscrit !
Mme Hélène Luc. Vous êtes très négatif !
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur Othily, je vous ai écouté avec une attention d'autant plus grande que je connais la Guyane, où je me suis rendu avant d'être ministre et où travaillent un certain nombre de mes anciens élèves, qui sont passionnés par le métier qu'ils y font.
Il faut avoir une connaissance particulière de ce terrain et, l'ayant évidemment bien plus que moi, vous savez parfaitement qu'en Guyane, du fait des moyens de communication, du fait de la géographie, du fait de la dispersion de la population, on ne peut pas recourir aux dispositifs prévus pour la métropole sans les transposer.
Cependant, je vous en veux un peu, monsieur le sénateur, parce que vous m'avez certes posé des questions, mais vous avez aussi donné les réponses ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
Ainsi, vous avez rappelé l'absence d'équipements lourds et l'impossibilité de traiter le cancer en évoquant aussitôt, comme je m'apprêtais à le faire, la création prochaine d'un centre de traitement et de prise en charge du cancer en Guyane, avec notamment la participation de la Ligue nationale de lutte contre le cancer, ainsi que l'installation d'équipements lourds.
Vous avez souligné l'inégalité d'accès aux soins, c'est vrai, mais vous avez mentionné ensuite l'existence d'un programme expérimental de télémédecine en Guyane : je vous confirme que ce programme par satellite permet à la population en forêt de bénéficier à distance de consultations d'une équipe de Cayenne. Ce projet est d'ailleurs tellement à la pointe qu'il a été présenté au dernier sommet mondial pour la société de l'information, à Genève. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)
Le centre de traitement des cancers et la télémédecine sont deux réalisations importantes. Cela étant, vous avez raison, monsieur le sénateur : le défi de la santé en Guyane constitue, pour reprendre votre expression, un « enjeu de développement économique », et j'ajouterai même : un enjeu humain.
Enfin, j'ai bien entendu vos sollicitations à propos de la constitution d'une commission spéciale, j'y reviendrai.
Monsieur Vantomme, votre ton modéré et votre discours convaincu ont suscité mon attention.
M. Jean-Pierre Plancade. C'est un grand sage !
M. Jean-François Mattei, ministre. Car vous avez énoncé des vérités évidentes, à savoir que l'inégalité entre les uns et les autres, qu'elle dépende du niveau social ou de la résidence géographique, était absolument insupportable. D'ailleurs, monsieur le sénateur, votre formulation reprenait les termes exacts de l'objectif 34, puisque vous avez même souligné que « l'écart d'espérance de vie à 35 ans est actuellement de 9 ans ». Vous voyez que cela fait partie des sujets qui nous préoccupent !
Vous avez parlé de santé mentale, et vous avez bien travaillé votre question, puisque vous avez même mentionné le rapport Cléry-Melin, qui m'a été remis voilà quelques mois. Je veux vous rassurer : ce rapport est une base de travail et présente une série de recommandations, mais le ministre n'est pas tenu de s'y conformer absolument, certains points pouvant même être contestés.
Ce qui est certain, c'est que nous allons engager une concertation avec tous les acteurs et que, au nom du Gouvernement, je proposerai dans le courant du mois d'avril ou au mois de mai un plan « santé mentale » dont les financements sont par avance provisionnés. La santé mentale, préoccupation majeure, doit être réellement prise à bras-le-corps dans notre pays.
Monsieur Coquelle, je vous remercie de votre témoignage, qui est celui d'un homme de terrain, d'un homme qui connaît sa région, qui l'aime et qui souffre de la voir souffrir. Je partage votre sentiment : vous le savez, je me suis rendu à Lens le 1er janvier pour aller à la rencontre de cette population évidemment ébranlée, angoissée,...
Mme Hélène Luc. Traumatisée !
M. Jean-François Mattei, ministre. ... traumatisée par cette épidémie de légionellose.
Naturellement, tous les services déconcentrés de l'Etat, renforcés notamment par les meilleurs experts que nous ayons sur la question, sont sur le terrain.
Je vous proposerai un amendement à ce propos, car vous avez raison : on ne peut pas laisser la situation évoluer ainsi.
Vous avez insisté, même si ce n'est pas tout à fait l'objet du projet de loi, sur l'inégalité, notamment en matière de soins, en évoquant la création d'un CHU dans le Pas-de-Calais. Monsieur Coquelle, je vous comprends bien, et cette proposition m'a déjà été faite. Mais la France métropolitaine compte déjà 36 CHU pour 95 départements, et il ne peut pas y avoir un CHU dans chaque département, car c'est extrêmement coûteux ! Il faut des équipements et un personnel importants.
En revanche, il est désormais possible, via les groupements de coopération sanitaire, que des hôpitaux généraux passent des conventions avec les CHU. Certains spécialistes des CHU peuvent même venir consulter dans des centres hospitaliers généraux.
Par conséquent, il faut mobiliser les compétences, puisqu'il n'est pas envisageable d'installer un CHU dans tous les départements, ni même dans un département sur deux. Actuellement, nous essayons plutôt de rapprocher certains CHU au sein de réseaux, afin de couvrir l'ensemble des spécialités.
Enfin, monsieur Coquelle, vous avez évoqué une médecine « à deux vitesses ». Je l'affirme avec le sérieux et la conviction qui ont été les vôtres lors de votre intervention : le Gouvernement n'en veut pas. Nous n'avons nullement l'intention de privatiser le système public de santé, de le transformer en un système marchand. Le Gouvernement entend faire en sorte que l'argent soit dépensé avec la plus grande efficacité possible, ce qui n'a rien à voir avec une gestion visant à réaliser des bénéfices, ni même avec une logique véritablement entrepreneuriale. Il est inconcevable qu'un médecin, fût-il devenu ministre, puisse accepter que des populations soient moins bien soignées que d'autres ! Mes fonctions actuelles ne m'ont pas fait oublier le serment d'Hippocrate !
M. Guy Fischer. Il y a des déserts médicaux !
M. Jean-François Mattei, ministre. Ce serment est pleinement respecté dans ce projet de loi, et je vous prie de croire que je suis particulièrement attentif à la lutte contre les inégalités en matière de soins.
Que l'on me permette de dire, en conclusion, qu'il n'est pas de bonne politique, même si cela est traditionnel en période d'alternance, d'attribuer les torts au ministre en fonction (Protestations sur les travées du groupe CRC),...
M. François Autain. Cela ne vous est jamais arrivé, peut-être ?
M. Jean-François Mattei, ministre. ... alors même que l'on a exercé les responsabilités les années précédentes et que l'on se trouve largement à l'origine de la situation ! En effet, au cours de ces vingt-deux dernières années, la politique de santé publique a été conduite pendant quinze ans par des gouvernements que l'actuelle opposition soutenait et que nous combattions ; par conséquent, si l'on tient à répartir les responsabilités, nous n'apparaîtrons pas, me semble-t-il, comme les premiers en cause !
Cela étant, pour les deux jours à venir, une responsabilité commune s'impose à nous tous : celle de réorganiser notre système de santé publique. Je relève d'ailleurs que, à cet égard, les propos des uns et des autres ne témoignent d'aucun esprit de fermeture.
M. Guy Fischer. Non !
M. Jean-François Mattei, ministre. L'organisation actuelle de santé publique dans notre pays explique bien des retards, bien des inégalités, et il nous incombe de la redéfinir. Tel est notre devoir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.