COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
MAÎTRISE DE L'IMMIGRATION
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 396 rectifié, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France. [Rapport n° 1 (2003-2004).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd'hui le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France. C'est un texte important, qui compte désormais soixante-dix-sept articles, grâce au travail remarquable de l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi comporte trois volets : en premier lieu, une série de dispositions concernant l'accueil et l'intégration des étrangers en situation régulière dans notre pays ; en deuxième lieu, des mesures tendant à la lutte contre l'immigration clandestine, qui est un phénomène que nous ne pouvons plus tolérer ; en troisième lieu, une réforme de la législation relative aux mesures d'expulsion et à la peine d'interdiction du territoire français.
L'immigration irrégulière, mesdames, messieurs les sénateurs, a pris ces dernières années des proportions jamais égalées dans le passé. Il est temps de dire aux Français quelle est la situation à cet égard : autant nous pouvons débattre et exprimer des divergences sur les solutions, autant nous devons nous accorder pour présenter un constat objectif à nos compatriotes.
Ainsi, j'affirme que le chiffre de 30 000 immigrés clandestins supplémentaires par an, régulièrement cité, est à l'évidence dépassé. Il suffit, pour s'en convaincre, de rapprocher le nombre annuel de reconduites effectives à la frontière, qui est de l'ordre de 10 000, du nombre de personnes déboutées chaque année du droit d'asile, qui est de quelque 70 000. Pour ce seul poste, l'immigration irrégulière clandestine concerne 60 000 personnes supplémentaires par an.
Je ne cherche pas à effrayer qui que ce soit...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous n'avons pas peur !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il y a des choses qui font peur, mais ce ne sont peut-être pas celles auxquelles vous pensez !
M. Jean Chérioux. C'est bien triste si vous n'êtes pas effrayé, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je dis cela pour que chacun prenne ses responsabilités et décide d'annoncer aux Français ce qu'il est prêt à faire pour endiguer ce phénomène.
Cependant, il y a mieux : cet accroissement de l'immigration irrégulière résulte pour partie de certaines dispositions de la loi RESEDA de M. Chevènement, la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, et je vais le prouver.
Je pense notamment ici à la suppression de tout contrôle sur les attestations d'accueil - on n'a rien trouvé de mieux à faire que de prendre une telle mesure ! -, qui a entraîné, mesdames, messieurs les sénateurs, une augmentation considérable du nombre d'attestations d'accueil, lequel est passé de 160 000 en 1997 à 735 000 en 2002.
M. Jean Chérioux. Exact !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On comprend que ce chiffre est plus élevé encore qu'il ne le paraît, si l'on veut bien se souvenir que 80 % des visas de court séjour sont délivrés sur le fondement de ces attestations d'accueil et que plus de la moitié des étrangers en situation irrégulières sont entrés dans notre pays avec un visa de tourisme, que personne ne contrôle. Je le répète, on est passé en cinq ans de 160 000 attestations d'accueil à 735 000, sans que, depuis l'entrée en vigueur de la loi RESEDA, on puisse opérer de contrôle ! Beau résultat !
M. Jacques Mahéas. Les consulats ne font pas leur travail !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'y reviendrai.
Par ailleurs, je voudrais évoquer la création de la procédure de l'asile territorial. Cette mesure était généreuse et utile, et la preuve que le Gouvernement la considère comme telle, c'est qu'il la reprend sous la forme de la protection subsidiaire dans le projet de loi sur l'asile que présentera M. Dominique de Villepin et que le Sénat examinera dans quelques semaines. Cependant, l'absence - irresponsable ! - de dispositifs permettant d'éviter les dépôts successifs d'une demande d'asile conventionnel et d'une demande d'asile territorial, ainsi que la disproportion entre l'ampleur de la demande et les moyens administratifs de la traiter, ont entraîné une véritable explosion - le mot n'est pas trop fort - du nombre des dossiers, pour un taux d'acceptation qui n'a jamais excédé 1 %.
Je voudrais encore évoquer le recours au mariage pour obtenir un titre de séjour, voire la nationalité française, procédé dont l'attrait a été renforcé par l'excessive facilité avec laquelle le mariage donne des droits durables de séjour sur le territoire français. On relève ainsi une augmentation de 400 %, pas moins, du nombre d'acquisitions de la nationalité française par le mariage. Force est de constater que le charme de nos compatriotes a produit des effets redoutables ces cinq dernières années ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mais la pression de l'immigration clandestine résulte également, outre ce constat accablant sur les conséquences de l'application de la loi RESEDA, de la transformation du phénomène migratoire dans les années récentes. L'immigration irrégulière n'est plus la juxtaposition de tentatives individuelles dispersées, elle est devenue une véritable activité de nature criminelle, structurée par des filières internationales. Ses origines géographiques sont multiples, et cette situation exige que notre pays se dote des moyens de lutte appropriés.
Tous les autres pays de l'Union européenne, sans exception, ont fait récemment évoluer leur législation pour donner à leurs administrations respectives des moyens de lutte adaptés à la sophistication croissante des filières d'immigration clandestine. Je peux citer, à cet égard, les exemples de la loi sur les étrangers votée aux Pays-Bas en 2001 et les lois adoptées en 2002 en Grande-Bretagne et au Danemark. La France ne peut pas demeurer le maillon faible du continent européen en termes de maîtrise des flux migratoires clandestins.
Toutefois, au-delà des évolutions des législations apparaît, de plus en plus nettement, une transformation des mentalités. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux souligner l'exceptionnelle qualité du travail qu'ont accompli les Espagnols. Le parti populaire, au pouvoir en Espagne, et le parti socialiste espagnol...
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... viennent de conclure un accord pour réformer la législation espagnole sur l'immigration, législation qui ne remontait pourtant qu'à décembre 2000. La réforme acceptée par le parti socialiste espagnol comprend des mesures telles que le renforcement des sanctions infligées aux passeurs, l'obligation faite aux compagnies aériennes de signaler les passagers qui n'ont pas utilisé leur billet de retour et - tenez-vous bien ! - l'interdiction pour les travailleurs clandestins de revenir en Espagne pendant deux années lorsqu'ils y ont travaillé sans autorisation. J'observerai avec beaucoup d'intérêt si le socialisme européen a une signification au regard de l'exemple remarquable du parti socialiste espagnol, qui a su hisser son engagement politique à la hauteur des enjeux pour l'Espagne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Robert Bret. Ça, c'est un argument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je n'ai aucune raison de douter que le parti socialiste français saura faire le même effort ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Bien sûr !
M. Jacques Mahéas. Nous sommes quand même des exemples assez extraordinaires !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela étant, monsieur Mahéas, je ne vous demande pas de faire aussi bien que les socialistes anglais, car je sais que cela vous est impossible !
Mme Nicole Borvo. Cela ne va pourtant pas bien pour M. Blair !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Restons-en aux socialistes espagnols, ce n'est déjà pas si mal !
La conséquence de l'immigration clandestine, et c'est un point sur lequel il peut y avoir consensus, c'est l'impossibilité d'accueillir et d'intégrer des étrangers en situation régulière. Disons-le sans faux-semblants, n'acceptons pas la « pensée unique » sur ce sujet : l'immigration clandestine tolérée nuit d'abord aux intérêts des étrangers en situation régulière.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si notre pays ne peut hélas ! accueillir davantage d'étrangers en situation régulière, c'est parce que, depuis des années, il ne se dote pas des moyens adéquats pour lutter contre l'immigration irrégulière.
Depuis plus de vingt ans, en effet, le débat sur l'immigration est prisonnier de deux postures aussi caricaturales et idéologiques l'une que l'autre.
D'un côté, celle qui fait des étrangers la cause de tous nos maux et ne voit d'autre issue que l'immigration zéro.
M. Jacques Mahéas. Elle est défendue par certains de vos amis !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cette posture va à l'encontre des intérêts économiques, démographiques et culturels de la France. Elle ne rencontre pas l'assentiment d'une majorité de Français, dont les sentiments à l'égard des étrangers sont plus ouverts, plus bienveillants que ceux que l'on veut parfois leur prêter. La France est un pays généreux ; elle n'a aucune leçon à recevoir en la matière.
Mme Nicole Borvo et M. Jacques Mahéas. Sauf des Espagnols !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. D'un autre côté, la posture assimilant toute mesure de contrôle de l'immigration à une intolérable atteinte aux droits de l'homme est profondément ridicule et choquante.
Au nom de quoi serait-il contraire aux droits de l'homme d'exiger un visa ? Au nom de quoi serait-il contraire aux droits de l'homme de placer un étranger dans une zone d'attente, le temps d'examiner sa demande d'asile ? Au nom de quoi serait-il contraire aux droits de l'homme de vérifier des documents d'état civil avant d'autoriser un regroupement familial ? Au nom de quoi serait-il contraire aux droits de l'homme de reconduire dans son pays celui qui a franchi nos frontières sans en avoir l'autorisation ? En quoi serait-il contraire aux droits de l'homme de raccompagner un Roumain en Roumanie, un Bulgare en Bulgarie ou un Sénégalais au Sénégal lorsqu'il n'a pas de papiers lui permettant de demeurer dans notre pays ? Si avoir des papiers ou ne pas en avoir ne fait aucune différence, alors pourquoi donner des papiers ?
M. François Trucy. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Au nom de quoi la France serait-elle le seul pays auquel il serait interdit de décider qui a le droit de demeurer sur son territoire et qui n'en a pas le droit ?
Cette querelle est une mauvaise querelle, car il n'y a malheureusement pas trente-six solutions possibles, et les Français doivent le savoir. Si nous voulons maîtriser l'immigration, nous devons prendre et appliquer sans faiblesse les mesures nécessaires à la lutte contre l'immigration clandestine. Ceux qui prétendent le contraire portent une part importante de responsabilité dans la montée des sentiments xénophobes.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ne pouvant convaincre nos concitoyens, ils les incitent à la peur et au repli sur soi, à la fermeture des frontières et à l'immigration zéro. Ne pouvant réussir la politique qu'ils ont promise, ils laissent venir sur notre territoire beaucoup plus d'étrangers que nous ne pouvons en accueillir, hypothéquant ainsi l'intégration de ceux qui sont en situation régulière.
Cette attitude est gravement irresponsable...
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et nous payons aujourd'hui le prix des cinq années pendant lesquelles rien n'a été fait pour mettre en oeuvre une politique de l'immigration dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
L'absence de volonté, l'absence de conviction a abouti à une véritable catastrophe. J'admets d'ailleurs bien volontiers qu'il est plus facile de défendre les droits de l'homme dans un colloque élégant que de mettre en place une authentique politique de l'immigration dans un pays comme la France ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Il existe en réalité une autre voie, qui est celle que vous propose le Gouvernement. Cette voie, c'est celle de l'ouverture des frontières aux séjours de longue durée comme aux séjours de courte durée, tels que ceux des touristes ou des étudiants. Mais cette voie n'est possible que si nous renforçons les moyens de lutte contre l'immigration clandestine. Quelque 100 000 étrangers entrent chaque année en France, sans compter les ressortissants communautaires, pour des séjours de longue durée, dont 10 000 au titre de besoins économiques identifiés, comme les infirmières ou les informaticiens. C'est sans doute trop peu. Les besoins existent sur le marché du travail,...
Mme Nicole Borvo. Oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... par exemple s'agissant des services aux personnes ou même dans le secteur rural.
J'estime également que le nombre d'étudiants que nous accueillons est insuffisant. Il est actuellement de 180 000, soit la troisième position mondiale - et ce n'est pas rien ! -, mais nous nous trouvons derrière la Grande-Bretagne, qui accueille 230 000 étudiants, et les Etats-Unis, qui en accueillent 550 000. Si nous n'accueillons pas d'étudiants étrangers, comment voulez-vous que le français reste l'une des grandes langues parlées dans le monde ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Mme Nicole Borvo rit.)
M. Robert Bret. Ils doivent venir mais il ne faut pas qu'ils restent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En effet, monsieur Bret, car notre but n'est pas de former les élites des pays en voie de développement pour les garder pour nous et en priver ainsi ces pays alors qu'ils en ont besoin !
Mme Nicole Borvo. Oh là là !
M. Jean Chérioux. On nous le reproche assez !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En d'autres temps, c'est ce qu'on faisait à Moscou, on l'avait bien compris ! (M. Robert Bret s'exclame.)
Mme Nicole Borvo. Ah ! Moscou !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'espère que le terme « Moscou » n'est ni choquant ni blessant pour M. Bret, car je n'y mettais évidemment aucune illusion ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo. Bien sûr que non ! Vous allez à Moscou plus souvent que M. Bret !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Enfin, bien qu'il ait beaucoup augmenté ces dernières années, le nombre de visas accordés par la France pourrait, dans certains pays, être plus élevé. Je pense notamment à l'Algérie, dont les liens avec notre pays sont si particuliers. Toutes nationalités confondues, nous refusons un visa sur trois parce que, faute de moyens pour reconduire les étrangers en situation irrégulière, la suspicion pèse sur tous les autres.
Toutefois, nous ne pouvons ouvrir nos frontières à l'immigration légale que si nous nous donnons les moyens de lutter contre l'immigration irrégulière.
Le projet de loi n'est ni hostile aux étrangers ni contraire aux droits de l'homme. Il est fondé sur une idée et un objectif simples.
L'idée, c'est que la France a le droit de choisir qui elle veut voir entrer et séjourner sur son territoire ; elle doit donc en avoir les moyens. Si quelqu'un est contre l'idée du droit de choisir pour la France, qu'il le dise aux Français et que le débat soit public et transparent.
L'objectif, c'est de créer les conditions pour que notre pays puisse avoir de nouveau une politique migratoire ouverte, juste, à la hauteur des idéaux dont il a toujours rayonné à travers le monde.
L'objectif, c'est moins d'immigration clandestine pour plus d'immigration régulière et acceptée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le bien-fondé de cette politique mérite une preuve éclatante. Je vous la donnerai en vous disant que les détracteurs de ce projet de loi sont si faibles dans leurs critiques qu'ils sont obligés de s'appuyer sur une lecture parfaitement mensongère du texte.
M. Roger Karoutchi. Effectivement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je vous en donnerai deux exemples.
Le premier concerne les sanctions pénales contre les passeurs : on m'a accusé de vouloir sanctionner - c'est un comble ! - les associations d'aide aux étrangers au travers d'une incrimination dirigée contre la criminalité organisée. La vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est que l'infraction d'aide au séjour illégal des étrangers commise en bande organisée a été introduite dans la législation par la loi RESEDA du 11 mai 1998.
M. Jacques Mahéas. N'oubliez pas : « en bande » !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mieux, cette infraction figure à l'article 21 de l'ordonnance de 1945 dans sa rédaction actuelle. Le projet de loi n'a fait que créer deux nouvelles incriminations en la matière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah, quand même !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On parle toujours trop vite, monsieur Dreyfus-Schmidt !
L'une de ces nouvelles incriminations est dirigée contre les filières qui exposent les étrangers à des conditions de travail ou de transport mettant leur vie en cause.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est ça, les bandes organisées !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Voulez-vous qu'on supprime cette incrimination, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
M. Jacques Mahéas. Cela n'ajoute rien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela n'ajoute rien, dites-vous, monsieur Mahéas. Je savais que vous ne connaissiez pas grand-chose à la sécurité, voilà que votre incompétence est démontrée sur l'immigration aussi ! Ça commence à faire beaucoup !
M. Jacques Mahéas. Quelle arrogance !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Mahéas, je vise ceux qui sont transportés dans des camions réfrigérés, sans aucune ouverture.
M. Jacques Mahéas. Ce ne sont pas des bandes organisées ! Vous racontez n'importe quoi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Doit-on tolérer que des individus transportent des clandestins dans des conditions mettant leur vie en cause ? Doit-on accepter la moindre indulgence en la matière ?
M. Jacques Mahéas. Bien sûr que non !
M. Robert Bret. Nous sommes tous d'accord sur ce point !
M. Jacques Mahéas. En effet !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Alors, vous voterez ce texte !
M. Robert Bret. Non, parce que c'est le contraire que vous proposez !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. L'autre nouvelle incrimination vise les filières qui exploitent les étrangers dans des conditions indignes.
Ceux qui ne seront pas d'accord avec ces nouvelles incriminations - ces deux et ces deux-là seulement ! - voteront contre le texte du Gouvernement et expliqueront comment on peut être pour les droits de l'homme et refuser ces deux nouvelles incriminations ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ça dépend de la lettre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ma bonne foi est à ce point totale que le Gouvernement a accepté, à l'Assemblée nationale, un amendement - il a sans doute échappé à la vigilance de quelques-uns - qui vise à exonérer de sanctions pénales les associations d'aide aux étrangers, problème que personne n'avait réussi à résoudre jusqu'à présent.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cet amendement a été voté à l'unanimité et règle définitivement un problème qui était pendant depuis des années.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai ! C'est un mensonge !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si le parti socialiste l'a voté à l'Assemblée nationale, c'est qu'il trouvait que cet amendement était juste ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Le second exemple concerne l'infraction de travail clandestin, sur laquelle la polémique n'a pas davantage lieu d'être. De quoi s'agit-il ? Il existe actuellement, dans le code du travail, une disposition, introduite en 1984 - le gouvernement était socialiste ! -, qui interdit à tout étranger d'exercer un emploi salarié sans en avoir l'autorisation. Cette mesure est destinée à protéger le marché du travail des ressortissants français, mais aussi, ne l'oublions pas, celui des nombreux immigrés présents sur le territoire français et qui sont, eux aussi, touchés par le chômage.
Lorsque l'étranger n'est pas en situation irrégulière au regard du séjour, parce qu'il est touriste ou visiteur, l'interdiction d'exercer un emploi salarié prévue dans le code du travail n'est assortie d'aucune sanction. Une interdiction sans sanction ! En effet, l'infraction de séjour irrégulier n'étant pas constituée, des filières se sont spécialisées dans la rotation trimestrielle de travailleurs clandestins, jamais punissables car toujours titulaires d'un visa de tourisme.
L'amendement voté à l'Assemblée nationale permet de faire, dans notre pays, ce qui se fait dans tous les autres : si un étranger ne respecte pas la règle et se livre à d'autres activités que celles pour lesquelles son séjour a été autorisé, il doit repartir dans son pays.
Vous conviendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il faut une dose gigantesque de mauvaise foi ou d'incompétence...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes le seul compétent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... pour qualifier de « double peine » cette règle de bon sens.
M. Jacques Mahéas. Il est vrai que Zorro est arrivé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si un étranger qui obtient un titre de séjour l'autorisant à venir chez nous mais lui interdisant de travailler ne respecte pas cette règle, au nom de quoi devrait-il rester sur notre territoire ? Le ministre de l'intérieur, quel que soit le gouvernement, est là pour faire appliquer la loi : désormais, quand on entrera en France avec un visa de tourisme et l'interdiction de travailler et que l'on travaillera, on repartira chez soi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette règle est une règle républicaine et juste.
Le débat que nous aurons sur chacun des articles de ce texte nous permettra d'en examiner le détail. A ce stade de la discussion générale, je souhaite seulement en mentionner les principales dispositions.
La lutte contre les filières d'immigration clandestine constitue un volet important du texte. Les sanctions contre les passeurs et les transporteurs sont renforcées.
Les maires auront - enfin ! - la possibilité de contrôler les attestations d'accueil, ce qui permettra de distinguer ceux qui hébergent de bonne foi et les organisateurs de filières, plutôt que de refuser à tout le monde la validation de son attestation. Ce sont les familles qui en profiteront.
Depuis quand les maires, de gauche comme de droite, réclament-ils de pouvoir vérifier que les attestations ne soient pas des attestations bidons ? Le maire d'une ville de la région parisienne m'a montré une attestation d'accueil : un deux-pièces avait servi à la délivrance de quatre-vingts attestations d'accueil, dans la même année !
M. Jacques Mahéas. On aurait dû s'en apercevoir plus tôt !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Devons-nous tolérer cette situation ? Les Français sont-ils au courant de cette réalité ?
Un fichier des empreintes digitales des demandeurs de visas sera créé afin de pouvoir retrouver l'identité et l'origine de ceux qui entrent en France grâce à un visa de court séjour et s'y maintiennent en détruisant leurs papiers.
M. Le Pen a tort : l'immigration clandestine ne vient pas de la porosité de nos frontières, on entre régulièrement en France, mais on s'y maintient irrégulièrement. C'est la question du visa de tourisme.
Un certain nombre de personnes entrent en France avec un visa de tourisme de trois mois, déchirent ou perdent ce visa, et oublient, comme par hasard, la destination dont ils viennent. Lorsque la police de l'air et des frontières les arrête, elle ne peut les reconduire, pour deux raisons : premièrement, nous n'avons aucune preuve pour obtenir des visas des pays d'origine ; deuxièmement, quand on ne sait pas d'où on vient, il est difficile de vous y ramener !
Le fichier d'empreintes digitales pour les demandeurs de visa de tourisme sera une aide particulièrement humaine pour ceux qui auront perdu la mémoire. Une comparaison des empreintes avec le fichier permettra d'aider ceux qui ont perdu leur chemin à le retrouver et sera une preuve bien utile pour que les pays d'origine soient obligés de nous accorder un visa consulaire de retour.
Voilà une petite mesure, mais qui va permettre, sans aucune contestation, de lutter contre le phénomène des sans-papiers, qui proviennent, pour l'essentiel, de visas de tourisme qui ont été détournés de leur mission originelle.
Les titres de séjour octroyés à des conjoints de Français, je le disais voilà quelques instants, ont augmenté de 400 % entre 1998 et 2002 ! La suppression par la loi RESEDA de la condition de séjour régulier pour obtenir, dans ce cas, un titre de séjour a en effet accru de manière spectaculaire l'intérêt des mariages de complaisance. Pour contrer ce phénomène en inquiétante augmentation, le projet de loi allonge de un à deux ans le délai de vie commune nécessaire pour l'obtention de la carte de résident. Il prévoit, c'est le moins, que les officiers d'état civil auront la possibilité de s'entretenir avec les futurs époux et de leur demander d'établir le caractère régulier de leur séjour.
N'est-il pas normal, mesdames, messieurs les sénateurs, de demander à quelqu'un qui va acquérir la nationalité française par le mariage de justifier de la régularité de son séjour dans notre pays ? En cas de séjour irrégulier, le procureur de la République pourra être saisi et enquêter sur la réalité de l'intention matrimoniale.
Enfin, il est créé un délit d'organisation ou de participation à des mariages de complaisance. Cette mesure est attendue par des victimes qui ne disposent pas actuellement d'une voie de droit pénal contre les personnes qui les ont ainsi trompées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Selon l'adage : « En mariage, trompe qui peut ! »
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Enfin, le projet de loi comporte une réforme très importante de la procédure de rétention préalable à l'éloignement.
La France réalise l'exploit d'avoir, dans ce domaine, la procédure la plus courte et la plus compliquée de toute l'Union européenne. Avec douze jours de rétention et au minimum trois procédures juridictionnelles devant deux ordres de juridiction différents, notre pays n'a aucune chance, à l'heure actuelle, de réussir les éloignements difficiles, c'est-à-dire la majorité, soit en raison de la faible coopération du pays d'origine, soit parce que l'étranger fait obstacle à son identification.
Entre 1998 et 2002, le taux d'exécution des arrêtés de reconduite à la frontière s'est ainsi effondré, passant de 25 % à 16,7 %, avec 10 000 reconduites effectives par an.
Le Gouvernement précédent a-t-il dit aux Français que sa politique consistait à ne pas exécuter les décisions de reconduite à la frontière ? Y a-t-il eu un débat national dans notre pays au terme duquel un gouvernement a été autorisé à ne pas appliquer la loi et les décisions de reconduite à la frontière ?
Est-il normal que le bilan du gouvernement précédent en la matière soit passé de 25 % d'exécution effective des décisions de reconduite à 16 % ? Qui l'a dit aux Français ?
Quand les Français ont-il autorisé à s'abstenir d'appliquer la loi et d'exécuter les décisions ? Qui a autorisé ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
A quel moment, en cinq ans, le gouvernement précédent a-t-il rendu des comptes aux Français en leur disant : « Voilà, nous avons décidé de baisser les bras et de ne plus exécuter les décisions de reconduite aux frontières » ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Si les Français nous avaient autorisés à mener cette politique, ou plutôt cette absence de politique, alors je le comprendrais. Mais le plus choquant dans cette affaire n'est pas tant la démission d'un gouvernement, c'est qu'à aucun moment on n'a demandé aux Français s'ils étaient d'accord avec cette démission et cette absence de politique ! (Applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les mêmes travées.)
Voilà où est l'absence de transparence. Voilà où est le bilan accablant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En deux ans, qu'avez-vous fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On peut avoir des engagements idéologiques différents. On peut avoir des idées généreuses. On peut avoir la noblesse de dire - pourquoi pas ? : « La France doit être ouverte à tous les vents. » Ce n'est pas criminel de le dire, c'est une orientation politique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ce qui est moins glorieux, c'est de ne rien dire, de ne rien faire et, dans le dos des Français, de refuser, lorsqu'on est le Gouvernement de la République, d'appliquer des décisions de reconduite aux frontières.
A droit constant, le nombre de décisions, depuis le début de l'année 2003, a augmenté de plus de 12 %. J'ai par ailleurs demandé à chaque préfet de département de fixer comme objectif le doublement des reconduites effectivement exécutées.
Si une décision de reconduite est prise, elle doit être appliquée. C'est le respect de la loi. Si elle ne l'est pas, c'est que nous ne sommes plus dans un Etat de droit.
Ainsi, l'Allemagne, qui a un gouvernement socialiste et vert, sur l'année 2002 - hommage soit rendu à M. Schröder - a raccompagné 30 000 personnes en situation irrégulière,...
Mme Nicole Borvo. Les bons points et les mauvais points, laissez les électeurs en juger !
M. Jacques Mahéas. Ce ce sont pas les mêmes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... alors même que la France n'en raccompagnait que 10 000. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je ne vois pas au nom de quoi ce qu'a fait un gouvernement socialiste et vert, un autre gouvernement de gauche ne le ferait pas, à moins de considérer que nos socialistes seraient les moins bons d'Europe,...
M. Jean Chérioux. Vous avez raison !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... ce que je me garderai d'affirmer, laissant à la Haute Assemblée le soin d'émettre un jugement équilibré sur cette intéressante question ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Quant à l'Italie, elle a reconduit 25 000 personnes.
Le projet de loi que propose le Gouvernement portera à trente-deux jours le délai de rétention. Mais, mesdames et messieurs les sénateurs, avec trente-deux jours, nous resterons le pays qui, avec le Danemark, aura la durée de rétention la plus faible.
On me dit que trente-deux jours, ce n'est pas respecter les droits de l'homme. Intéressons-nous un instant à cette question.
Ceux qui ne respectent pas les droits de l'homme sont ceux qui vivent dans une dictature. Que pensez-vous alors de l'Italie où le délai de rétention est de deux mois, et de la Belgique, grande dictature s'il en est, où le délai de rétention est de huit mois ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Silvio Berlusconi est un grand démocrate !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Que pensez-vous, monsieur Dreyfus-Schmidt, de l'Allemagne socialiste, où le délai de rétention est de dix-huit mois ? (Mme Nicole Borvo s'esclaffe.)
Et que penser de cette grande dictature qu'est la Grande-Bretagne où, tenez-vous bien, mesdames et messieurs les sénateurs, le délai de rétention est illimité, comme en Finlande et aux Pays-Bas, pays eux aussi connus pour le non-respect des droits de l'homme !...
Au nom de quoi la France devrait-elle recevoir des leçons, et de qui, alors qu'avec trente-deux jours elle aura le délai de rétention le plus court de toute l'Union européenne ?
La conception qui est la nôtre de la France, c'est de ne pas en faire le maillon faible de la lutte contre les réseaux criminels d'immigration clandestine.
Pour ce qui est des éloignements forcés, les éloignements groupés avaient donné lieu à de nombreuses polémiques. On suspectait la police de brutalités (Mme Nicole Borvo s'exclame), oubliant que l'on parle de la police républicaine, que je défendrai toujours, madame Borvo.
Mme Nicole Borvo. Moi aussi, quand elle est républicaine !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je n'accepterai pas que des fonctionnaires soient insultés par qui que ce soit et vous trouverez toujours le Gouvernement pour défendre les fonctionnaires et la fonction publique dont vous parlez bien souvent, madame la sénatrice, en les mettant en cause.
Mieux que cela : puisque les retours groupés étaient suspectés (M. Jacques Mahéas s'exclame), j'ai proposé, et c'est le cas maintenant, qu'il n'y ait pas un seul éloignement groupé sans qu'une association ne soit dans l'avion pour vérifier que tout se passe conformément aux droits de l'homme.
Des retours groupés, il y en a maintenant toutes les semaines et la Croix-Rouge, avec courage, honnêteté et quelle dignité, a accepté de jouer ce rôle d'observateur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avez-vous remarqué, que, depuis que nous agissons ainsi, il n'y a plus aucune polémique, alors que les retours groupés n'ont jamais été aussi nombreux ?
Cela signifie que l'on peut être ferme et humain là où nos prédécesseurs étaient laxistes et opaques.
A la polémique et à l'inefficacité, je vous propose que nous substituions la fermeté et la transparence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
D'ailleurs, je dis aux autres associations que, si elles veulent monter dans nos avions de retour, surtout qu'elles ne se gênent pas, à moins que cela ne soit trop difficile pour leur regard ou qu'elles ne contestent l'idée même que la France puisse renvoyer des clandestins !
Mais, dans ce cas, ayons ce débat devant les Français. Si nous n'avons pas le droit de renvoyer chez eux les clandestins, pourquoi arguer qu'ils sont des clandestins ? Autant leur dire : bienvenue et continuez !
Il n'y a pas de politique crédible de maîtrise des flux migratoires si celle-ci n'est pas adossée à la mise en oeuvre inflexible des éloignements décidés en application de la loi.
Qu'il me soit permis d'ajouter en ce qui concerne le tribunal de Bobigny, tribunal qui a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps...
M. Jacques Mahéas. Un peu de votre faute !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On ne peut pas, même quand on s'appelle M. Mahéas, à la fois refuser de siéger dans la salle d'audience de Roissy et se plaindre de l'absence de policiers pour encadrer les audiences alors même que le fait de siéger à Roissy économiserait soixante policiers par jour !
La vérité, c'est que les policiers n'ont jamais manqué à leur devoir d'escorte.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas ce que dit le président du tribunal !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et si certaines audiences étaient plus longues, il n'y aurait pas de difficulté.
Je ne peux pas accepter qu'un magistrat, quel qu'il soit, ait décidé de relâcher en toute connaissance de cause des délinquants que la police avait eu bien du mal à arrêter ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cela aussi, les Français ne sont pas prêts à l'accepter. Personne n'a obligé ce magistrat à relâcher des délinquants !
M. Jacques Mahéas. Là, vous avez raison !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il était libre de le décider. Eh bien, qu'il assume cette décision !
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ajoute que, puisqu'il y a manifestement trop de travail à Bobigny, le Gouvernement proposera d'accélérer la mise en place de la salle d'audience de Roissy.
M. Jacques Mahéas. Du tribunal !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ainsi, il y aura moins de travail à Bobigny, puisque l'on travaillera également à Roissy.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cela fera soixante policiers de plus par jour dans la rue au bénéfice des populations que vous représentez.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Jacques Mahéas. Il en manque beaucoup, c'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La maîtrise de l'immigration est en effet une condition impérative de l'intégration des étrangers. Cette dernière fait l'objet de plusieurs dispositions.
La première d'entre elles crée une condition d'intégration de l'étranger dans la société française pour pouvoir accéder au statut de résident de longue durée, c'est-à-dire au droit définitif d'installation sur le territoire français.
En quoi est-il choquant de demander à quelqu'un qui veut s'installer définitivement sur le territoire français de prouver qu'il a l'entière volonté et toutes les capacités d'intégration sur notre territoire ?
Je reconnais bien volontiers que c'est un changement majeur dans l'équilibre de l'ordonnance de 1945, il n'en est pas moins heureux. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Dès lors qu'un étranger souhaite installer durablement sa résidence en France, il est légitime de lui demander d'apporter la preuve des efforts qu'il est prêt à faire ou qu'il a faits pour s'intégrer dans la société française. La condition d'intégration sera appréciée au bout de cinq ans, notamment au regard de sa connaissance de la langue française et des principes qui régissent la République française, en particulier les principes de liberté, d'état de droit, de laïcité, d'égalité entre les femmes et les hommes. C'est quand même le moins que l'on puisse demander !
Pour les étrangers arrivant en France par le biais du regroupement familial, le délai d'accès à la carte de résident sera réduit à deux ans dès lors que le regroupant sera lui-même titulaire de cette carte et que la condition d'intégration sera satisfaite.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour conforter leur situation !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais c'est tout le contraire ! Il faut être éloigné des réalités du terrain pour ne pas comprendre ce qui est pourtant simple !
M. Jacques Mahéas. Il vaut mieux être à Neuilly-sur-Seine, c'est sûr !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Aujourd'hui, que se passe-t-il ? Un certain nombre de femmes sont condamnées à la réclusion dans des appartements.
Mme Nicole Borvo. Allez voir chez les diplomates, il y en a beaucoup !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Elles viennent en France au titre du regroupement familial et personne ne se soucie de savoir si elles apprennent le français ou si elles s'intègrent puisque la carte de long séjour, pour elles, est uniquement fonction du statut de leur mari.
Désormais, ces femmes ne seront plus condamnées à rester chez elles puisque leurs maris n'obtiendront pas la carte de long séjour pour leurs femmes si elles ne démontrent pas qu'elles ont rempli les conditions d'intégration. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
On sera obligé de leur permettre d'apprendre le français...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et à faire du cassoulet !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et de sortir d'un domicile devenu une prison !
Ce que propose M. Dreyfus-Schmidt, c'est de laisser ces femmes prisonnières dans une cellule familiale...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On en reparlera !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... qui n'est pas une famille, mais qui est en vérité une prison et une arriération !
Mme Nicole Borvo. Allez voir chez les diplomates !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Voilà la réalité que nous connaissons aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Dans le même esprit, le projet de loi comporte un dispositif destiné à prévenir le mariage forcé des jeunes filles issues de l'immigration, qui est un problème extrêmement angoissant.
En cinq ans, les mariages mixtes célébrés à l'étranger ont augmenté de 44 %. L'Etat n'a aucun moyen de contrôle sur ces mariages, qui peuvent être célébrés devant n'importe quel officier de l'état civil étranger.
Ces mariages, notamment pendant les vacances d'été où on amène des jeunes filles au pays pour les marier de force, ne confèrent des droits en France que s'ils sont transcrits dans les consulats. Mais cette transcription ne donne lieu actuellement à aucune vérification : la présence des époux n'est même pas exigée !
Je regrette que le gouvernement précédent, en cinq années, ne se soit pas rendu compte de cette faille béante qui pèse lourdement sur le destin des jeunes filles issues de l'immigration.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Pasqua non plus !
M. Jean Chérioux. Ils se cachent derrière Pasqua maintenant !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Comment peut-on donner des leçons de droit de l'homme dans les colloques, entre soi, quand on oublie, à l'évidence, cette réalité ?
De plus en plus de jeunes filles issues de l'immigration ou candidates à l'immigration, sur injonction de leur famille, sont victimes chaque année de mariages forcés célébrés l'été à la faveur des vacances.
Pour lutter contre ce phénomène, le projet de loi prévoit l'obligation pour les futurs époux de se présenter personnellement au consulat afin que la réalité de l'intention matrimoniale et du consentement puisse être examinée par un fonctionnaire français.
Avec ce projet de loi, nous proposons enfin une réforme de la législation sur les mesures d'expulsion et la peine complémentaire d'interdiction du territoire français, mieux connue sous le terme, juridiquement faux par ailleurs, de « double peine ».
Notre pays prononce chaque année environ 7 500 mesures d'expulsion et d'interdiction du territoire français. Plus de 90 % d'entre elles concernent des étrangers dont les liens avec la France sont ténus, voire inexistants, soit qu'il s'agisse d'étrangers en situation irrégulière qui, par définition, n'ont pas de famille française, soit qu'il s'agisse de délinquants venus sur notre territoire uniquement pour y commettre des crimes et délits. Ces personnes continueront d'être éloignées.
Le point de vue du Gouvernement est clair : les étrangers qui commettent des délits seront systématiquement explusés.
M. Georges Othily. Bravo !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il y aura donc trois catégories de situations.
En premier lieu, lorsqu'un Français commet un crime ou un délit, ce Français effectue sa peine d'emprisonnement et reste en France.
En deuxième lieu, lorsqu'un étranger commet un crime ou un délit, cet étranger effectue sa peine de prison et sera expulsé sans faiblesse.
D'ou vient le problème, et quelle est la question ? Le problème vient du troisième cas de figure qui concerne ceux qui sont étrangers juridiquement, mais qui sont Français dans les faits.
Etranger juridiquement, par exemple, le frère Chalabi, né en France mais juridiquement Algérien, et qui n'a pas vécu une semaine en Algérie. Doit-on le considérer comme étranger alors même que l'Algérie refuse de le reprendre, puisqu'il n'a aucun lien avec ce pays et qu'il est né en France ?
Autre exemple : M. Bouchelaleg, Marocain, arrivé en France très jeune, à l'âge de quatre ou cinq ans, marié à une Française, père de six enfants, donc Français. N'en déplaise à M. Le Pen, le droit du sol cela existe !
Que fait-on dans ces cas-là ? Ce sont eux qui sont visé par la réforme que je vous propose. J'aimerais m'en expliquer. J'aimerais faire comprendre à chacun que c'est, pour moi, un devoir de conviction.
Une politique doit être ferme et en même temps juste. Plus exactement, mesdames et messieurs les sénateurs, une politique peut être ferme parce qu'elle est juste, les deux termes sont intimement liés.
Or, je l'affirme, il n'est pas juste de punir ceux qui n'y sont pour rien parce qu'ils n'ont pas choisi d'avoir un père qui est délinquant, qui commet une faute. Si Bouchelaleg est un trafiquant de drogue, il doit accomplir sa peine de prison, mais les six enfants de Bouchelaleg, Français, et la femme de Bouchelaleg, Française, n'ont pas à être privés de père ou de mari. Le membre de la famille qui a fauté, c'est celui qui paie par la peine de prison. Ce ne sont ni les gosses ni la femme. (M. Jean-Jacques Hyest applaudit.)
J'ajoute, monsieur le sénateur, et je veux le dire avec beaucoup de force, que, non seulement, c'est injuste...(M. Jacques Mahéas s'exclame.)
Monsieur Mahéas, c'est un sujet sérieux, difficile.
M. Jacques Mahéas. Pour une fois qu'on est d'accord !
M. Jean Chérioux. Quelle chance : il est d'accord ! La République est sauvée !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est un problème de conscience pour chacun de vous et je vous respecte tous, y compris si vous n'avez pas le même avis. (M. Michel Dreyfus-Schmidt proteste.)
J'essaie d'expliquer pour que vous compreniez bien de quoi il s'agit : non seulement la double peine, telle qu'elle est nommée, est injuste, parce qu'elle vise à punir des enfants et une femme qui n'y sont pour rien, mais, de plus, elle est totalement inefficace, et je vais essayer de le démontrer.
Quand quelqu'un est expulsé après avoir purgé sa peine de prison alors que tous ses intérêts, toute sa famille sont en France, qu'il n'a jamais mis les pieds en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, comment peut-on penser que, dans les jours qui suivent son expulsion, il n'aura pas la tentation de revenir ? Croyez-vous que M. Bouchelaleg, qui a quarante-deux ans et est expulsé vers le Maroc, restera vivre au Maroc, qu'il a quitté à l'âge de quatre ans, alors que ses six gosses et sa femme vivent en France ? Et qui pourrait proposer d'expulser sa femme ou ses enfants, qui sont Français et n'ont commis aucune faute ?
Ainsi, non seulement cette « double peine » est injuste et cruelle pour les femmes et pour les enfants, mais, de plus, elle est parfaitement inapplicable. (MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Jacques Mahéas applaudissent.)
En outre, cette « double peine », injuste et inefficace, nous empêche de débattre des vrais problèmes que sont le mariage blanc, la lutte contre les attestations de complaisance, la durée de la rétention, parce que, en opérant un amalgame comme les aime la société française, on retient une injustice et on pollue tout un sujet, en l'occurrence la lutte contre l'immigration clandestine.
Ce que propose le Gouvernement, c'est d'attaquer l'immigration clandestine en évitant que cette action ne soit polluée par des injustices, injustices que nos prédécesseurs auraient dû lever, ce qu'ils n'ont pas eu le courage de faire.
M. Jacques Mahéas. En novembre 2002, nous avons déposé un texte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais vous avez été contre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je me souviens de ce qu'a dit M. Jospin pendant la campagne présidentielle : « J'aimerais modifier la "double peine", mais les Français ne sont pas prêts. »
Je tiens à dire que je suis aux antipodes de ce raisonnement. Le rôle d'un homme politique n'est pas de suivre l'opinion publique. C'est de convaincre celle-ci et de lui montrer, par un effort pédagogique, qu'une injustice n'a aucune justification.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Voici la démarche que vous propose le Gouvernement : avoir une politique de l'immigration ferme et, en même temps, lever une injustice inutile. Toutes les injustices sont inutiles, mais celle-là l'est tout particulièrement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est utile pour notre pays. C'est un texte courageux et équilibré, et l'équilibre est sans doute ce qui est le plus nécessaire pour un pays comme le nôtre. (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des lois, vous dressiez le constat suivant : « L'immigration est l'une des questions de société à propos de laquelle la confiance de nos compatriotes dans l'Etat s'est le plus effondrée. » Ce constat, que je fais mien, est la conséquence du renoncement de notre pays depuis plusieurs années à définir une politique migratoire.
Or, face aux perspectives démographiques, à l'émergence d'un monde de plus en plus ouvert à la libre circulation des idées et des biens et aux défis de l'intégration, la nécessité d'une telle politique est encore plus urgente.
Le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France qui nous est soumis s'inscrit dans une action globale engagée depuis plusieurs mois par le Gouvernement.
La création du contrat d'accueil et d'intégration, en accompagnant les primo-arrivants, doit favoriser leur intégration. Il doit les guider, dès leur entrée sur le territoire français, vers un parcours qui peut les mener à la délivrance d'un titre de séjour de longue durée, concrétisation d'un désir d'installation durable en France.
Par ailleurs, le projet de loi réformant le droit d'asile, en cours d'examen au Sénat, tend à rendre à ce droit fondamental sa fonction première de protection après qu'il a été détourné de son objet pendant plusieurs années par des étrangers en situation irrégulière désireux de se maintenir sur notre territoire en se jouant de notre législation.
Enfin, au niveau européen, l'harmonisation des politiques d'immigration s'accélère depuis le sommet qui a eu lieu à Séville, sous présidence espagnole, en juin 2002.
Ce projet de loi est donc le quatrième pilier d'une nouvelle politique migratoire. Il est aussi l'instrument, par la logique qui l'anime, qui donnera tout leur effet aux actions engagées par le Gouvernement. Il en est la synthèse.
Modifié par l'Assemblée nationale, il comprend soixante-dix-huit articles regroupés en cinq titres selon les textes modifiés : l'ordonnance du 2 novembre 1945, le code du travail, le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale, un dernier titre traitant de dispositions diverses.
Sans rappeler l'ensemble des dispositions de ce projet de loi, je tiens à mettre en évidence les trois grands axes qui s'en dégagent, tous orientés vers un seul objectif : intégrer les étrangers résidant régulièrement en France.
Le premier objectif vise à renforcer le contrôle des flux migratoires, ce qui signifie maîtriser les entrées sur le territoire français et éloigner rapidement les étrangers en situation irrégulière.
Actuellement, la France n'a plus les moyens de décider qui elle accueille. Outre le fait que l'immigration clandestine alimente le travail illégal et sape l'autorité de l'Etat, elle fragilise l'intégration des étrangers en situation régulière par effet d'amalgame.
Certains indicateurs permettent d'évaluer le flux annuel d'étrangers en situation irrégulière. En 2001 et 2002, environ 80 000 demandes d'asile ont été déposées. Le taux de rejet avoisinant les 90 %, les déboutés sont chaque année au nombre de 70 000. S'y ajoutent les irréguliers qui ne déposent pas de demandes d'asile. Le chiffre de 100 000 clandestins par an n'est donc pas absurde. Comme l'indiquait le ministre de l'intérieur, le chiffre habituellement cité de 30 000 clandestins par an, évalué dans les années 1996-1997, n'a plus aucune signification.
En outre, comme vous le rappeliez, monsieur le ministre, le taux d'exécution des mesures d'éloignement ne dépasse pas 20 %.
Ce projet de loi apporte sur ce point plusieurs améliorations.
Afin de mettre un terme au détournement massif dont sont l'objet les visas de court séjour, le régime de l'attestation d'accueil est renforcé. Tout étranger séjournant moins de trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée devra présenter cette attestation validée par le maire agissant comme agent de l'Etat. Celui-ci pourra refuser de le faire si les conditions de logement sont insuffisantes ou si des attestations délivrées antérieurement font apparaître un détournement de la procédure. Quant à l'hébergeant, il est responsabilisé puisqu'il s'engage, en demandant l'attestation, à prendre en charge les frais de séjour de l'étranger et son rapatriement si ce dernier n'y pourvoit pas.
Les étrangers séjournant en France auront également à souscrire une assurance couvrant toutes les dépenses médicales ou hospitalières engagées pendant la durée de validité de leur visa de court séjour. L'objectif est de mettre fin au « tourisme médical », qui consiste pour certains étrangers, souvent âgés, à venir en France à l'occasion d'une visite familiale pour y rester et bénéficier gratuitement de soins médicaux.
Afin de lutter contre la fraude documentaire, les consulats pourront surseoir à statuer pendant un délai de quatre mois renouvelable une fois lorsqu'un doute sur l'authenticité des documents d'état civil étrangers apparaîtra.
Enfin, les amendes dont sont passibles les transporteurs qui débarquent des étrangers démunis des documents de voyage requis sont augmentées.
La seconde faille dans le contrôle des entrées se situe aux frontières elles-mêmes. Le projet de loi modifie les procédures de non-admission sur le territoire et de maintien en zone d'attente.
L'interprétariat pourra se faire par des moyens de télécommunications. Les audiences devant le juge des libertés et de la détention seront organisées dans une salle d'audience spécialement aménagée à proximité de la zone d'attente. Le ministère public aura la possibilité de demander le caractère suspensif de l'appel des ordonnances de non-prolongation du maintien en zone d'attente rendues par le juge.
Le projet renforce également les sanctions à l'encontre des passeurs et des filières d'immigration clandestine.
Indirectement, plusieurs dispositions relatives à la lutte contre le travail illégal renforcent, elles aussi, la lutte contre les filières. L'article 19 bis met ainsi à la charge de l'employeur les frais de rapatriement de l'étranger salarié dépourvu d'autorisation de séjour. Les inspecteurs du travail sont également habilités à constater des infractions au séjour et à relever l'identité et l'adresse des auteurs des infractions qu'ils sont chargés de constater.
A l'autre bout de la chaîne, les procédures d'éloignement sont rénovées, dans le respect des droits des étrangers.
Le relevé des empreintes digitales des étrangers interceptés lors du franchissement des frontières extérieures Schengen et des demandeurs de visas est instauré. Cela permettra d'identifier rapidement et avec certitude les étrangers qui se seront maintenus au-delà de la durée de validité du visa touristique ou les clandestins récidivistes qui auront réussi à passer nos frontières après des tentatives infructueuses. De la même façon, la délivrance du laissez-passer sera difficile à refuser par le consulat.
Une autre mesure devant faciliter l'obtention d'un laissez-passer est l'allongement de la durée de rétention, actuellement de douze jours au maximum, à trente-deux ou vingt-deux jours selon les motifs de la prolongation. Cet allongement conséquent permettra aux services de la police aux frontières de mieux organiser les éloignements, de faire face à toutes les étapes de la procédure jusqu'alors enserrées dans des délais très brefs et, surtout, d'obtenir un plus grand nombre de laissez-passer dans les délais impartis.
Le second axe du projet de loi concerne précisément l'intégration des étrangers en situation régulière.
Pour la première fois, la notion d'intégration dans la société française est introduite dans notre droit et devient une condition d'accès à la carte de résident. Le suivi du contrat d'accueil et d'intégration sera l'un des critères d'appréciation. La carte de résident, synonyme d'installation durable en France, ne pourra plus s'acquérir par la simple capitalisation des années : elle devra concrétiser une volonté d'intégration.
L'Assemblée nationale a précisé que cette condition d'intégration pourrait être justifiée, notamment, par la connaissance suffisante de la langue française et des valeurs de la République française de l'intéressé ou par son comportement au regard de l'ordre public.
Dans un même objectif d'intégration, la carte de résident ne devrait plus être délivrée de plein droit aux membres de la famille d'un étranger, lui-même titulaire d'une carte de résident, et autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial. Par conséquent, le conjoint et les enfants d'un étranger entrés sur le territoire français dans le cadre du regroupement familial devront désormais obtenir, dans tous les cas, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », quel que soit le titre de séjour du regroupant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour conforter leurs droits !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Comme pour la délivrance des attestations d'accueil, le projet de loi propose un renforcement du rôle du maire dans l'octroi des titres de séjour. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
En premier lieu, le maire devrait participer davantage à la procédure de contrôle des conditions de logement et de ressources nécessaires pour qu'un étranger bénéficie du regroupement familial.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En second lieu, un maire sera membre de la commission du titre de séjour, laquelle pourra également entendre le maire de la commune dans laquelle réside l'étranger concerné.
Cette commission est simultanément renforcée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien voilà !
M. Alain Gournac. C'est une bonne mesure !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. D'autres dispositions, afin notament de lutter contre les mariages de complaisance et les détournements du droit de la nationalité, contribuent également à sauvegarder la sincérité de l'obtention d'une carte de résident ou de l'acquisition de la nationalité française.
Ainsi, l'exigence de la communauté de vie entre les époux, déjà en vigueur entre 1993 et 1997, sera rétablie pour l'obtention d'une carte de séjour temporaire.
Par ailleurs, la durée de mariage exigée d'un ressortissant étranger conjoint de Français pour obtenir une carte de résident de dix ans serait portée de un à deux ans.
En second lieu, le présent projet de loi tend à créer un délit spécifique relatif à la participation volontaire à un mariage de complaisance ou à son organisation.
En troisième lieu, lors des mariages célébrés en France, l'officier de l'état civil faisant face à un éventuel mariage frauduleux pourra désormais informer le représentant de l'Etat et saisir le procureur de la République, qui disposera de délais plus longs pour surseoir à la célébration et diligenter une enquête.
L'Assemblée nationale a également conforté cette logique en subordonnant la publication des bans à l'audition, commune ou séparée si cela est nécessaire, des futurs époux par l'officier de l'état civil. Cette audition devra également garantir une meilleure détection des mariages forcés.
En matière d'acquisition de la nationalité, les députés ont adopté une série de mesures tendant à remédier aux faiblesses actuelles du droit de la nationalité.
L'Assemblée nationale a élargi la possibilité de déchéance de la nationalité française aux individus ayant commis certaines infractions antérieurement à l'acquisition de la nationalité française et a fixé à deux ans la durée de mariage nécessaire au conjoint étranger de Français pour obtenir la nationalité française par déclaration.
Il a par ailleurs été ajouté un critère supplémentaire de connaissance suffisante des avantages et responsabilités conférés par la citoyenneté pour être naturalisé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Là aussi, pour les conforter dans leurs droits ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cette clarification des règles d'acquisition de la nationalité est conforme à la logique d'intégration du texte initial développée pour l'accès des étrangers à la carte de résident. Il s'agit bien de souligner l'importance de l'acquisition de la nationalité française et des droits induits en instaurant une plus grande exigence dans ses conditions d'obtention.
Enfin, le troisième axe du projet de loi, en réformant la législation relative aux arrêtés d'expulsion et aux peines d'interdiction du territoire français, reconnaît la situation particulière de certains étrangers qui, par leurs liens particuliers avec notre nation, sont en réalité des « étrangers de France », pour reprendre l'expression employée par le pasteur Jean Costil, au cours de son audition par la commission des lois.
Précisons tout de suite que le dispositif de la « double peine » n'est pas en soi contestable. L'arrêté d'expulsion et la peine d'interdiction du territoire français permettent de renvoyer des délinquants étrangers dans leur pays d'origine et offrent à la France un moyen efficace d'éviter la récidive. L'interdiction du territoire français n'est ni le seul cas de peine complémentaire en France ni l'unique peine discriminatoire en fonction de la nationalité. De plus, tous les pays européens ont une pratique identique à celle de la « double peine ».
Toutefois, comme l'a souligné M. le ministre, la « double peine » peut s'avérer extrêmement sévère pour l'étranger qui a tissé des liens particulièrement étroits avec la France. La gravité des conséquences de l'éloignement, tant pour l'étranger que pour sa famille, ainsi que l'apparente inefficacité de la mesure dans certains cas ont conduit à la nécessité de réformer la double peine.
L'élément central de la réforme est la création de protections absolues pour les étrangers ayant les liens familiaux et personnels les plus forts avec la France, en matière tant d'expulsion que d'interdiction du territoire français.
Ainsi, pourrait désormais être protégé l'étranger qui réside habituellement en France depuis l'âge de treize ans, qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ou qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui y a fondé une famille en ayant des enfants français ou en étant marié avec un ressortissant français ou un étranger résidant en France depuis son enfance.
Quelques exceptions sont prévues. Cette protection se limite aux infractions ou comportements particulièrement graves qui remettent en cause la sincérité de l'attachement que l'étranger pourrait avoir à l'égard de la France.
Le projet de loi maintient par ailleurs l'existence des protections relatives mais en modifiant quelque peu les bénéficiaires, par coordination avec la création de protections absolues.
Dans le souci d'assurer la prise en compte de ces protections lorsque sont prononcées des mesures d'éloignement, le projet de loi prévoit qu'une enquête sociale préalable soit désormais obligatoirement demandée par le procureur de la République lorsqu'il envisage de requérir une peine d'interdiction du territoire français contre un étranger ayant déclaré appartenir à l'une des catégories protégées contre une telle mesure d'éloignement.
Il est également nécessaire de permettre aux étrangers de se réinsérer dans la société et de leur offrir une chance de s'amender.
Ainsi, en matière d'expulsion, une assignation à résidence devrait pouvoir être octroyée « à titre exceptionnel et dérogatoire » à un étranger dans l'espoir qu'il puisse obtenir, à terme, une abrogation de l'arrêté d'expulsion dont il fait l'objet, en l'absence de nouveaux troubles de l'ordre public. Elle permet ainsi de créer une forme d'« expulsion avec sursis » ; cette assignation à résidence devrait principalement être délivrée aux étrangers susceptibles de bénéficier d'une protection relative contre les mesures d'éloignement.
L'article 38 bis du projet de loi prévoit également la possibilité pour un étranger condamné à une peine complémentaire d'interdiction du territoire de bénéficier d'un sursis avec mise à l'épreuve. Il s'agirait ainsi de créer une « peine d'interdiction du territoire conditionnée » reposant sur la même logique que l'« expulsion avec sursis ».
La réforme de la « double peine » vise également à assouplir les régimes d'abrogation des arrêtés d'expulsion et de relèvement des peines d'interdiction du territoire français.
Les motifs des arrêtés d'expulsion feront l'objet d'un réexamen automatique tous les cinq ans. Cette nouvelle procédure vise principalement à ouvrir le réexamen de la situation d'étrangers qui résident clandestinement en France depuis de nombreuses années et qui ne peuvent obtenir l'abrogation de l'arrêté d'expulsion. En effet, cette dernière n'est actuellement possible que si l'étranger réside hors de France.
Certains détracteurs de ce projet de loi estimeront qu'il s'agit d'un énième texte relatif aux étrangers et qu'il épouse, comme les précédents, le rythme des alternances politiques.
Pourtant, il n'en est rien, bien au contraire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah bon !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce projet de loi échappe aux deux écueils qui guettent souvent les débats relatifs à l'immigration : l'immigration « zéro » et l'ouverture totale et inconsidérée de nos frontières. Il s'agit d'un texte équilibré.
Mais, comme vous le faisiez remarquer lors de votre audition par la commission, monsieur le ministre, cet équilibre ne signifie pas transformer deux idées fortes en deux idées faibles. Au contraire, il consiste à porter deux idées fortes, en l'espèce lutter contre l'immigration irrégulière et encourager l'intégration, au bénéfice entier des étrangers en situation régulière en France.
J'ajouterai, mes chers collègues, que ce texte est une bonne loi, car il satisfait à plusieurs critères. En effet, à mon sens, une loi en matière d'ordre public ou intervenant dans une compétence régalienne de l'Etat doit remplir les trois conditions suivantes pour être considérée comme une bonne loi. Elle doit être humaine, offrir des réponses rapides sans être excessivement répressives et s'appliquer à tous, sans aucune espèce de dérogation. A défaut, une telle loi sera rejetée par le corps social.
Concernant la première condition, l'humanité, le projet de loi ne la perd jamais de vue.
Humaine est la réforme de la « double peine » qui prend en compte la situation particulière de certains étrangers.
Humaine est la création d'une immunité en cas d'infraction au délit de séjour irrégulier afin de ne pas poursuivre les personnes, notamment les associations, qui viendraient en aide à un étranger confronté à un danger imminent menaçant sa vie ou son intégrité physique.
Humaine est la formalisation par ce projet de loi du droit à un interprète au cours des procédures d'éloignement et de non-admission.
Humaine est également une des propositions de la commission tendant à protéger les conjoints de Français ou d'étrangers en situation régulière victimes de violences physiques en offrant la possibilité au préfet d'accorder le renouvellement de leur titre de séjour malgré la rupture de la vie commune.
Concernant la seconde condition, ce texte s'attache en permanence à ce que soient, là encore, apportées des réponses rapides non excessivement répressives : rapide sera la reconduite à la frontière des étrangers autorisés à séjourner moins de trois mois qui travaillent pendant leur séjour ; rapide sera l'identification des étrangers en vue de leur éloignement grâce au relevé des empreintes digitales des demandeurs de visa et des étrangers refoulés aux frontières.
N'est pas, non plus, excessivement répressive la définition de circonstances aggravantes à l'infraction d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers dans les cas où la vie des étrangers est mise en péril par les passeurs ou lorsque ceux-ci arrachent des mineurs à leur famille. Le crime de traite des êtres humains n'est pas loin !
De même, n'est pas excessivement répressive ou suspicieuse la possibilité laissée aux maires d'auditionner les époux ensemble ou séparément...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'obligation ! Pas la possibilité !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. ... lorsque l'on sait que des milliers de jeunes filles sont concernées par des mariages forcés chaque année en France.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Enfin, concernant la troisième condition - une loi s'appliquant à tous sans dérogation -, l'action engagée par le ministère depuis plusieurs mois ainsi que les moyens nouveaux offerts par ce texte offrent les garanties nécesaires.
En effet, n'échapperont plus à leur éloignement les clandestins selon qu'ils viennent d'un pays coopératif ou non en matière de délivrance de laissez-passer consulaire.
Ne se joueront plus des failles de notre législation les clandestins selon qu'ils sont conseillés ou non par des filières criminelles.
De la même façon, ne pourront plus procéder au regroupement familial sur place les étrangers résidant régulièrement en France sans prendre le risque de se voir retirer leur titre de séjour. Une procédure existe, elle doit être respectée.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. L'équilibre de ce projet de loi et sa nécessité, j'ai pu les vérifier au cours des nombreux déplacements et auditions que j'ai effectués tout au long de l'été.
Je tiens à remercier, entre autres, les personnels de la police aux frontières qui m'ont permis d'assister à l'embarquement d'étrangers refoulés sur un vol commercial. Cela m'a d'ailleurs permis de constater que le déroulement de cette opération était très éloigné des descriptions qu'ont pu en faire certains défenseurs des droits de l'homme.
Je voudrais, à ce titre, rendre hommage au grand professionnalisme, au dévouement et à l'attention dont ces personnels font preuve à l'égard des étrangers qui sont appelés à quitter notre territoire.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Très juste !
Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le décalage entre la réalité et le discours tenu par des âmes bien pensantes est symptomatique des caricatures que celles-ci font de ce projet de loi.
La commission des lois a, en conséquence, globalement approuvé ce projet de loi. Les amendements qu'elle a adoptés, et que j'évoquerai brièvement, confortent le texte et en renforcent la cohérence.
Ainsi, afin de mettre fin aux polémiques sur la délocalisation de la salle d'audience, la commission propose de préciser qu'une telle salle spécialement aménagée à proximité du centre ou de la zone d'attente, quand elle existe, doit être affectée au ministère de la justice.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le garde des sceaux va encore avoir des problèmes !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cette précision ainsi que les garanties que pourra apporter le ministre de l'intérieur devraient rassurer les magistrats et les avocats quant au respect des principes d'indépendance de la justice et de publicité des débats.
Pour éviter que les étrangers refusent d'indiquer une langue qu'ils comprennent aux autorités françaises dans le but de créer un vice de procédure, nous proposons de préciser que la langue utilisée au cours de la procédure est le français en cas de silence de l'étranger.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et s'il ne comprend pas ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Afin de renforcer les droits des étrangers retenus ou maintenus, nous soumettrons au Sénat les deux dispositions suivantes.
En premier lieu, sauf en cas de menace à l'ordre public ou de troubles psychologiques particuliers, l'étranger serait informé par le responsable du lieu de rétention de toutes les prévisions de déplacement le concernant : audiences, présentations au consulat et conditions du départ.
En second lieu, la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention serait étendue aux zones d'attente.
Enfin et surtout, nous proposons plusieurs modifications en matière de nationalité. Cette clarification des règles d'acquisition de la nationalité est conforme à la logique d'intégration qui sous-tendait le texte initial, développée pour l'accès des étrangers à la carte de résident. Il s'agit bien de souligner l'importance de l'acquisition de la nationalité française et des droits induits en instaurant une plus grande exigence dans les conditions de son obtention.
Comme le rappelait en 1987 la commission de la nationalité présidée par M. Marceau Long, « il serait illusoire et périlleux d'attendre du droit de la nationalité une forme de régulation de l'immigration ». En revanche, si elle ne peut à elle seule suppléer à une absence d'intégration, « la politique de la nationalité peut et doit jouer un rôle positif dans le processus d'intégration ».
Par ailleurs, cette même commission affirmait : « Identité nationale et intégration des étrangers ne sont pas antinomiques et doivent être étroitement corrélées. L'intégration sera d'autant plus aisée que la conscience d'une identité française sera plus forte. »
L'Assemblée nationale a déjà introduit plusieurs dispositions à cet égard. Nous souhaitons aller plus loin.
La commission des lois propose d'abord de modifier l'intitulé du présent projet de loi afin de prendre en considération les dispositions additionnelles réformant le droit de la nationalité. En conséquence, désormais, le projet de loi serait « relatif à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité ».
La commission a également souhaité restaurer l'importance et la solennité de l'acquisition de la nationalité française en favorisant l'adhésion des individus concernés à nos valeurs et à nos règles de droit.
Elle a décidé de compléter le dispositif inséré par l'Assemblée nationale redéfinissant les conditions d'accès à la nationalité française à raison du mariage en précisant que l'assimilation du conjoint s'évaluerait notamment au regard de sa connaissance suffisante de la langue française.
Toujours dans le même sens, il sera exigé des étrangers désirant être naturalisés une connaissance suffisante des droits et devoirs conférés par la nationalité française.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Faudra-t-il passer un examen ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Enfin, pour mettre fin à certaines carences de notre législation sur la nationalité, la commission propose deux amendements.
Pour lutter contre les reconnaissances en paternité de complaisance, la commission a souhaité expliciter les conditions dans lesquelles l'enfant né en France de parents étrangers, et qui ne peut obtenir d'aucune façon la nationalité d'aucun de ses parents, peut se voir attribuer la nationalité française. En effet, l'application de ce dispositif est souvent invoquée par les personnes originaires d'Etats qui subordonnent la transmission de la nationalité par filiation à la déclaration préalable auprès de leurs autorités diplomatiques et consulaires de la naissance de leurs enfants en France. Soutenant que leur enfant n'a pu acquérir leur propre nationalité, faute pour eux de l'avoir déclaré au consultat, les parents demandent l'application de l'article 19-1 du code civil afin d'obtenir pour eux-mêmes la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parents d'enfant français.
Face à cette dérive, utilisée par les filières d'immigration clandestines, la commission propose de faire dépendre l'attribution de la nationalité française par l'enfant concerné d'un véritable risque d'apatridie issu des lois de nationalité étrangères et non du choix des parents.
Pourrait, par ailleurs, être inséré un article additionnel tendant à étendre les possibilités de contestation du ministère public à l'encontre de l'enregistrement d'une déclaration de nationalité.
Désormais, le ministère public pourra en effet contester l'enregistrement d'une déclaration de nationalité dont il sera découvert qu'elle ne respectait pas les conditions légales exigées, dans le délai d'un an suivant la date de cet enregistrement. Actuellement, le ministère public ne peut contester la naturalisation qu'en cas de fraude ou de mensonge.
En pratique, des déclarations d'acquisition de la nationalité française enregistrées après avoir été souscrites par un ressortissant étranger dont le conjoint présumé français ne l'était pas ou par une personne majeure, alors qu'elles étaient réservées aux enfants mineurs, ont été constatées par les autorités compétentes.
Mes cher collègues, sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter le présent projet de loi assorti des amendements qu'elle vous soumettra, tout simplement parce qu'il dote notre pays des moyens de définir une politique migratoire et, plus que tout, de la mettre en oeuvre réellement. A défaut, l'intégration en souffrirait et, à terme, une partie de l'identité française disparaîtrait.
Ce texte équilibré apporte une solution adaptée aux problèmes qui se posent et répond à l'attente de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire : 51 minutes ;
Groupe socialiste : 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 12 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'immigration est un sujet sérieux, grave et, parce qu'il est lourd de conséquences pour des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants qui méritent tout notre respect, il doit être abordé avec sincérité, sans faux-semblants ni grands mots. Il faut se garder, en ce domaine, de tout amalgame et accepter de sortir des cas particuliers qui peuvent modifier parfois notre appréciation globale.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, contient des propositions concrètes, certaines étant susceptibles d'offrir des perspectives aux personnes victimes de double peine. Vous les inscrivez dans votre texte et vous êtes suivi par votre majorité. Nous en prenons acte et veillerons à vos côtés à leur application. Certes, nous aurions pu, nous aurions dû le faire. Ce fut par deux fois, dans cet hémicycle, l'objet d'une proposition du groupe socialiste. Aujourd'hui, le traitement de cette question évolue : tant mieux !
Il me paraît toutefois utile de préciser ici, avec raison et sérénité, que la loi précédente n'était pas une ouverture « tous azimuts » de nos frontières, mais qu'elle s'inscrivait déjà dans une perspective de maîtrise de l'immigration, rendue nécessaire aussi par notre évolution dans l'espace Schengen. Certaines remarques sur les prétendus irresponsables d'hier en regard des responsables d'aujourd'hui me paraissent, en conséquence, déplacées.
S'agissant de ma façon d'aborder ce matin la question de l'immigration, je revendique, je tiens à le préciser, mon engagement dans le camp des droits de l'homme, compris comme une déclinaison de nos valeurs républicaines que sont la liberté, l'égalité et la fraternité.
Mon travail très ancien, très réfléchi, très enraciné, au service des droits des femmes m'a mise au contact de toutes les injustices supplémentaires que celles-ci peuvent vivre.
A cet égard, je veux appeler votre attention, monsieur le ministre, sur certains points de votre projet.
Une grande inquiétude est née, émanant de nombreuses personnalités et associations féminines. En effet, beaucoup de femmes immigrées sont déjà confrontées à l'isolement, privées du droit de travailler à l'extérieur parce qu'elles ne sont que des épouses. Demain, ce sera pire, à en juger par les dispositions qui nous sont proposées.
La dépendance de la femme migrante envers son conjoint va se trouver encore renforcée. Du fait de l'exigence de revenus encore plus importants, les regroupements familiaux seront encore plus difficiles à obtenir. C'est pourtant souvent à ces femmes que l'on confie, dans les cités, le soin d'intégrer les jeunes !
Et que dire de celles qui sont victimes de violences conjugales et qui ne peuvent quitter le domicile parce qu'elles perdraient leur titre de résidence en même temps qu'elles se sépareraient de leur mari ? Un amendement a été déposé à ce sujet et il faut qu'il soit adopté pour éviter à ces femmes d'être victimes d'une double violence, la France devenant pour elles une terre encore plus hostile. Sinon quel paradoxe ce serait au moment où notre pays met en avant équilibre familial nécessaire à chacun de nous !
Il est en effet important, que l'on soit parlementaire, ministre, fonctionnaire, jeune ou moins jeune, de vivre dans un contexte familial aimant et chaleureux. C'est également important pour un ouvrier du bâtiment marocain ou un agent de voirie soudanais. Pour ces derniers, cependant, le combat s'annonce rude au regard de l'allongement des délais nécessaires pour obtenir les titres de résidence.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, s'inscrit en effet dans un contexte de craintes, de fraudes et de détournements.
S'agissant de la crainte qu'inspirent les mariages mixtes, je suis étonnée, pour avoir été longtemps maire adjointe et, à ce titre, amenée à célébrer de nombreux mariages, de l'ampleur que prend ce débat. Certes, il y a des problèmes, il existe des filières qui organisent ces mariages, mais nous avons les moyens de les réprimer et nous le faisons.
M. Alain Gournac. Non, nous n'en avons pas encore les moyens !
Mme Michèle André. Regardons les chiffres : 15 809 mariages mixtes ont été célébrés en 1960 et 34 585 aujourd'hui. En quarante ans, le monde s'est ouvert : nos compatriotes voyagent, s'installent ailleurs, là où les conduit leur vie professionnelle et où ils construisent leur vie de famille. Puis, avec cette famille, ils reviennent en France, c'est-à-dire chez eux.
Les sociologues voient dans ces chiffres davantage de motifs de satisfaction - en l'espèce, des preuves d'intégration - que de motifs d'inquiétude.
Se manifeste également dans ce texte une crainte devant les regroupements familiaux. On durcit les conditions d'accès aux conjoints, on différencie les titres, on précarise la situation des enfants.
Peut-on imaginer qu'un garçon de dix-sept ans, « mal dans sa peau »,en crise d'adolescence, doive supporter le poids de cette inquiétude supplémentaire à un moment de sa vie où il choisit un métier, donc un avenir ? Il ne saura même pas s'il aura des papiers, demain, pour résider dans notre pays !
M. Jacques Mahéas. Exact !
Mme Michèle André. Crainte encore de voir arriver les étudiants étrangers. Ainsi, de nombreux jeunes gens francophones, désespérant d'obtenir un visa en même temps qu'une inscription à l'université, finiront par aller faire leurs études aux Etats-Unis ou au Canada,...
M. Philippe de Gaulle. Chiche !
Mme Michèle André. ... qui pratiquent, vis-à-vis des élites de pays qui sont nos amis, une politique positive d'immigration.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et qui expulsent les clandestins !
Mme Michèle André. Il y va du rayonnement de la France et de son influence ! Beaucoup de ces étudiants seront, demain, les cadres de leurs pays, car tous ne restent pas chez nous après l'obtention de leurs diplômes. On connaît des médecins, au Cameroun ou au Sénégal, par exemple, qui ont fait des études dans de grandes universités françaises et qui, aujourd'hui, sont porteurs de notre culture.
Nous devrions précisemment nous servir de cette influence pour bâtir une politique d'immigration positive. Nous y avons tous intérêt. C'est une affaire de dialogue au plus haut niveau, de confiance. C'est aussi un sujet qu'il faudra bien aborder si l'on veut un jour régler le problème des visas consulaires pour les retours.
Mais comment faire croire à l'opinion que nous traitons aujourd'hui à égalité avec le Sénégal ou le Mali, quand on connaît ces pays et leur situation dans les domaines de l'éducation, de la santé, de l'économie, en prenant en compte notre histoire commune et nos responsabilités ?
Devant la commission des lois, monsieur le ministre, vous rappeliez qu'un tiers des Français sont d'origine étrangère. Comment, dès lors, s'étonner du nombre de visas sollicités auprès de nos consulats par de vieux parents ou des frères et soeurs qui trouvent normal de rendre visite à leur famille ?
M. Jean Chérioux. Et de rester !
Mme Michèle André. Je prétends que tous ne restent pas sur le territoire national !
Faudra-t-il se méfier un jour des touristes, alors que nous nous réjouissons qu'ils équilibrent notre balance commerciale en venant découvrir notre patrimoine ?
M. Jean Chérioux. Quand ce sont de vrais touristes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Evidemment, pour vous, les touristes viennent nécessairement des pays riches !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et que faut-il penser des touristes qui travaillent ?
Mme Michèle André. Nous en reparlerons !
Nos consulats ont-ils les moyens de mettre en oeuvre la politique préconisée dans votre projet de loi ? Je n'en suis pas certaine, et il me paraîtrait dangereux de faire comme si cela n'avait pas d'importance.
De plus, il me semble indispensable de garantir à ceux qui ne sont pas acceptés sur notre sol des conditions de vie décentes dans les locaux et centres de rétention.
L'augmentation du délai de retenue exige que toutes garanties soient apportées pour préserver la dignité des personnes. C'est une question capitale, aussi, pour les personnels qui travaillent dans ces centres. Ils se consacrent à leur tâche avec passion et ils attendent de vrais moyens pour continuer à oeuvrer au mieux.
Il faut également parler des attestations d'hébergement et du rôle nouveau que vous voulez faire jouer aux maires et à leurs services, au risque de créer une situation où il y aurait autant d'attitudes différentes que nous avons de communes, alors que la politique de l'immigration doit rester une politique nationale.
Il faudra aussi parler des fichiers, des raisons qui rendent les magistrats et les avocats réservés sur l'existence d'un tribunal à vocation unique à Roissy.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, monsieur le ministre, nous ne sommes pas conquis par ce projet de loi. Est-il utile ?
M. Alain Gournac. Oh que oui !
Mme Michèle André. Si je me réfère aux déclarations que vous avez faites devant la commission des lois voilà quelques jours, il y a de quoi se poser la question.
La loi actuellement en vigueur vous a tout de même permis de démanteler des filières de passeurs, avec leur cortège de mariages blancs, de trafics, de proxénétisme. De même, vous avez pu ramener à 70 % le taux d'occupation des zones d'attente de Roissy ; je cite vos propres chiffres : pour 216 places, 259 étrangers en attente le 16 mars, 120 environ aujourd'hui.
Enfin, la déclaration d'urgence de ce texte est-elle justifiée ?
M. Alain Gournac. Totalement !
Mme Michèle André. Pour ma part je ne peux pas répondre positivement à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean Chérioux. Vous n'étiez pas très convainquante parce que vous n'êtes pas vous-même convaincue !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à exprimer la satisfaction du groupe de l'Union centriste de voir enfin un projet de loi traiter de l'immigration, sujet tabou aujourd'hui.
Car nous n'avons plus la maîtrise des flux migratoires, prérogative essentielle de l'Etat et condition indispensable de l'intégration des étrangers dans la société. Tant que nos citoyens auront le sentiment que des étrangers en situation irrégulière ne sont pas reconduits à la frontière, ils continueront à faire l'amalgame avec ceux dont la situation est parfaitement légale.
Ce projet de loi, dont l'un des buts essentiels est la lutte contre l'immigration clandestine, arrive à point nommé pour de nombreux Réunionnais qui sont de plus en plus exaspérés par l'insécurité qu'elle engendre, d'autant que cela compromet l'esprit de la coopération régionale et l'accueil d'étudiants de la zone océan Indien.
La plupart des départements d'outre-mer sont situés dans des zones géographiques où les pressions migratoires sont très importantes. Ce sont souvent des îlots de prospérité relative dans leurs régions. L'existence de forts courants migratoires atteste le fossé entre les pays en voie de développement et les pays développés.
Ces phénomènes, pour n'être ni surprenants ni récents, n'ont cessé de s'aggraver ces dernières années, à tel point que Mme Girardin, ministre de l'outre-mer, dans son projet de budget pour 2004, accompagne ses mesures en faveur de l'emploi d'une « action particulière et déterminée du Gouvernement pour lutter contre l'immigration clandestine ».
Les îles de Mayotte et de la Réunion connaissent un afflux massif d'immigrants clandestins des îles périphériques, notamment des Comores et de Madagascar, qui posent à la collectivité d'importants problèmes économiques.
A la recherche d'une sécurité sanitaire et sociale, cette immigration est poussée par la misère. Ces familles espèrent pouvoir trouver plus facilement du travail et bénéficier de prestations sociales.
Nous observons un sentiment de rejet de plus en plus important des Réunionnais à l'égard des Comoriens, dont une bonne part arrive par bateaux de pêche.
La situation personnelle de bon nombre de ces familles ne favorise ni leur intégration ni, surtout, leur acceptation par les Réunionnais de souche.
En outre, ce problème se complique du fait de l'existence de deux spécificités liées à l'histoire entre la Réunion et Mayotte, mais aussi les Comores.
D'une part, de nombreuses relations familiales se sont développées entre les Mahorais et les Comoriens. Par conséquent, on peut observer l'arrivée à la Réunion d'une première vague de familles d'origine comorienne qui ont séjourné suffisamment longtemps sur l'île de Mayotte pour bénéficier de « papiers français ». Pour nombre de ces migrants, Mayotte constitue une étape première, la Réunion étant la deuxième, la destination finale espérée étant la métropole. Aujourd'hui, sur dix femmes qui accouchent à Mayotte, sept sont comoriennes. Cela déséquilibre fortement le système de santé et d'éducation et va jusqu'à le remettre en cause.
D'autre part, la Réunion, qui est confrontée à une forte augmentation de sa démographie, supporte de plus en plus mal ces problèmes migratoires. Le solde migratoire y est positif depuis une vingtaine d'années. Il s'explique par une augmentation régulière des immigrants non compensée par l'émigration observée. Entre 1990 et 1999, le solde migratoire positif s'est élevé à 15 398 personnes. Si ce rythme se maintient, la Réunion pourrait compter entre 900 000 et un million d'habitants en 2025.
En conséquence, monsieur le ministre, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons tout particulièrement la décision de procéder à la réforme de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
L'article relatif à l'attestation d'accueil donne un cadre, une base législative au principe selon lequel l'étranger qui vient en visite sur le territoire français pour un séjour de moins de trois mois doit présenter un justificatif d'hébergement.
Par ailleurs, le projet de loi permet aussi au maire de disposer de pouvoirs accrus et d'une information plus complète sur les suites données aux traitements des attestations.
Enfin, la prise d'empreintes digitales ainsi que la mémorisation sont étendues à tout étranger sollicitant un visa auprès d'un consulat ou à tout étranger se présentant à la frontière d'un Etat appartenant à l'espace Schengen. Cette proposition est pertinente, mais je vous rappelle que la Réunion n'est pas intégrée à l'espace Schengen.
Nous souscrivons également aux autres mesures de ce projet de loi qui vise à modifier la durée d'obtention des cartes de résidents pour les étrangers, les conditions de regroupement familial et à renforcer la lutte contre les mariages ou les paternités de complaisance.
De même, nous approuvons la réforme de la double peine, plus juste et efficace, et l'augmentation des sanctions, notamment lorsque les infractions sont commises par des bandes organisées et lorsque sont en cause les « marchands de sommeil », qui proposent des logements souvent insalubres aux clandestins.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
Mme Anne-Marie Payet. Ils mettent en location des locaux vétustes, des cabanons qu'ils subdivisent en chambres indépendantes, et ils consacrent une partie des loyers récupérés à augmenter leur « patrimoine locatif ». La Réunion est particulièrement touchée par ce problème.
A l'opposé de la métropole, qui connaît une baisse de l'immigration clandestine par les frontières maritimes de 49,8 %, c'est le phénomène inverse qui se produit à Mayotte et à la Réunion.
Le ministère de l'outre-mer, lors de la présentation de son projet de budget pour 2004, a arrêté, en étroite collaboration avec le ministère de l'intérieur, un plan de renforcement contre l'immigration clandestine. Cela se traduira par la titularisation de 149 policiers mahorais, par le renforcement des services de la police de l'air et des frontières et par la mise en place de deux vedettes, dont la première arrivera à Mayotte au début de l'année 2004. Enfin, un radar sera installé en 2004 pour compléter ce dispositif et pour assurer une surveillance étroite du lagon mahorais, afin de lutter contre l'immigration clandestine par voie maritime. Des mesures ont été prises aussi s'agissant de la Guyane et de Saint-Martin.
Je regrette que la Réunion n'ait pu obtenir des mesures similaires, même si elle bénéficiera sûrement des retombées de la politique volontariste appliquée à Mayotte.
En outre, il semble primordial de mener dans ce domaine des politiques régionales ou internationales beaucoup plus développées.
Les efforts des uns ne serviront à rien s'ils sont isolés et ne feront que détourner le problème. Vous avez rappelé à de nombreuses reprises, monsieur le ministre, qu'il fallait augmenter la coopération pour lutter contre les filières. Je vous rejoins tout à fait sur ce point, mais il me paraît essentiel d'insister sur l'aide économique et sociale que la France doit apporter aux pays en voie de développement. Il serait souhaitable d'amorcer des politiques conventionnelles d'aide à ces pays, et je sais à quel point ce sujet tient à coeur au Président de la République.
Enfin, si nous voulons décourager durablement les clandestins, il est nécessaire de durcir les conditions d'obtention de prestations sociales pour les étrangers. Par ailleurs, les mesures prises à Mayotte en matière d'allocations familiales accélèrent l'immigration clandestine vers la Réunion, qui bénéficie d'un système plus avantageux. Mes propos visent moins les Mahorais que les clandestins qui usurpent trop souvent leur identité.
Le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France a le mérite de s'attaquer à des questions complexes, souvent sujettes à polémique et difficiles à expliquer à l'opinion publique. Au-delà des questions de droit, il concerne des individus et des familles en situation de détresse. Le texte que vous proposez, monsieur le ministre, est équilibré, car il allie la fermeté, l'intégration et la tolérance.
Le groupe de l'Union centriste aborde donc ce débat avec confiance, dans un esprit constructif. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes collègues MM. Laurent Béteille et Christian Demuynck aborderont dans leurs interventions l'ensemble du projet de loi. Pour ma part, je me limiterai à un seul aspect du texte.
Tout d'abord, monsieur le ministre, je voudrais vous adresser les félicitations de l'ensemble du groupe UMP pour le projet de loi nécessaire, utile et courageux que vous nous présentez aujourd'hui et qui rompt enfin avec la politique de l'autruche.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. Patrice Gélard. Je tiens également à féliciter le rapporteur, M. Jean-Patrick Courtois, qui a souligné les trois éléments essentiels de ce texte : prise en compte du facteur humain, rapidité et applicabilité.
Il s'agit en effet d'un texte équilibré, qui établit un rapport organisé et cohérent entre, d'une part, les exigences de sécurité et, d'autre part, le respect des droits de l'homme et de la dignité humaine.
Mais, comme je l'ai indiqué, je vais me limiter à un seul aspect, déjà abordé par Mme André, qui a repris en partie dans son intervention ce que j'avais dit en commission : la question des étudiants étrangers.
Tout d'abord, je me félicite du fait que ce texte ait prévu d'en terminer enfin avec une pratique qui n'était pas conforme aux principes communautaires : l'exigence d'un titre de séjour de la part des ressortissants de la Communauté européenne. En effet, jusqu'à présent, les étudiants de la Communauté européenne, après avoir acquitté un droit, devaient se rendre dans les services de la préfecture pour obtenir, au même titre que les autres étrangers, un titre que leur garantissait pourtant le traité sur la libre circulation des biens et des personnes dans l'Union européenne. Enfin, on met fin à cette discrimination, et les ressortissants de l'Union européenne n'auront plus besoin de titre de séjour pour séjourner en France.
Mais je voudrais insister sur un aspect qui me paraît tout à fait important : la question des étudiants étrangers en France et, par voie de conséquence, le statut des universitaires et chercheurs étrangers qui sont amenés à venir de temps à autre dans notre pays.
J'ai déposé sur ce point un amendement qui me paraît essentiel et qui a été adopté par la commission des lois.
Quelle est la situation actuelle par rapport à celle qui existait voilà simplement une vingtaine ou une trentaine d'années ? M. le ministre nous a dit tout à l'heure que le nombre d'étudiants étrangers était en diminution, ce qui est vrai. Mais la diminution est dramatique en ce qui concerne les étudiants en doctorat.
Je me souviens de l'époque où je suivais les cours de Maurice Duverger au Panthéon dans le cadre du cours de sciences politiques. Nous étions quatre-vingts étudiants, dont quarante étrangers, parmi lesquels douze sont devenus des professeurs d'université reconnus dans le monde entier, un a été nommé cardinal et un autre est chef d'Etat.
Les universités françaises formaient donc l'élite d'un très grand nombre de pays, non seulement de pays africains, pour lesquels la formation en France a toujours été une tradition, mais aussi de nombreux pays d'Amérique latine et d'Europe centrale.
Dorénavant, on doit constater que le nombre des étudiants étrangers ne cesse de diminuer en France tandis que, dans le même temps, il augmente dans des pays qui n'avaient pas cette tradition, comme l'Allemagne, qui accueille la plupart des étudiants en doctorat grecs, la Grande-Bretagne, le Canada, les Etats-Unis, voire maintenant l'Australie.
Nous nous trouvons donc face à une déperdition d'énergie qui a des conséquences dramatiques pour la représentation de la francophonie dans les instances internationales et pour la constitution de réseaux entre ressortissants de pays différents : ces personnes nouent des liens profonds d'amitié pendant leurs études, ne se perdent pas de vue, et se retrouvent dans les colloques ou dans d'autres types de rencontres.
Comment les choses se passent-elles à l'heure actuelle ?
La première technique utilisée est celle de la préinscription dans nos ambassades, où un examen est organisé afin de pouvoir vérifier les aptitudes du candidat étranger à la connaissance de la langue française. Mais ce que l'on ne dit pas, c'est que ces examens ne sont valables que pour entrer en premier cycle universitaire et que le nombre d'étudiants admis par cette voie est tout à fait restreint pour la simple raison qu'il faut accomplir cette démarche très tôt dans l'année, les documents devant parvenir aux universités françaises vers le mois de février, époque où les futurs étudiants sont encore lycéens. Le document doit être transmis aux universités françaises qui acceptent ou refusent la candidature sans voir le candidat.
Il existe une seconde voie qui se développe beaucoup plus à l'heure actuelle : un candidat désirant étudier en France sollicite un visa de tourisme pour s'inscrire à l'université ; il doit ensuite retourner dans son pays pour pouvoir, une fois qu'il a obtenu son inscription, solliciter un visa étudiant. Ce système est naturellement tout à fait onéreux, difficile à faire fonctionner et ne nous semble pas raisonnable.
Nous aimerions par conséquent qu'une personne détentrice d'un visa de tourisme souhaitant s'inscrire dans une université française et obtenant cette inscription puisse voir sa situation régularisée sur place sans avoir à retourner dans son pays d'origine dans la mesure où elle est inscrite légalement dans une université.
Bien entendu, un problème se pose puisque cette procédure risque à son tour d'engendrer une filière d'immigration clandestine et qu'il faut éviter cela.
Tout d'abord, il convient de souligner qu'il n'est pas intéressant que des étudiants viennent faire un premier cycle universitaire en France alors qu'un tel cursus existe déjà dans leur pays. Ainsi, par exemple, il n'y a pas de plus mauvais service à rendre à un étudiant étranger que de l'autoriser à s'inscrire en première année de droit en France alors que des filières de droit existent dans son pays d'origine : une fois rentré dans son pays, cet étudiant ne pourra même pas être avocat puisqu'il ne connaîtra pas les bases de son droit national !
Ce qui est intéressant, en revanche, c'est d'accueillir dans les universités françaises des étudiants n'ayant pas de filière de formation correspondante dans leur pays d'origine. Cela concerne le secteur technologique, certains IUT, certaines formations très particulières et très pointues ; cela concerne également les étudiants ayant déjà une formation de base et rêvant d'acquérir, dans nos universités, une spécialité et une professionnalisation en deuxième et troisième cycles.
Bien entendu, nous pouvons craindre que l'étudiant ne soit étudiant que sur le papier ! Mais le visa d'études est délivré année par année. Par conséquent, si l'étudiant ne remplit pas les conditions requises, son visa ne sera bien évidemment pas renouvelé.
Je ferai cependant une petite remarque : à l'heure actuelle, les visas d'études sont généralement donnés jusqu'au 1er juillet, date à laquelle les examens ne sont pas terminés puisque, la plupart du temps, ils ne s'achevent qu'au mois d'octobre. Or, il faut que l'étudiant puisse demander sa réinscription sans interruption de son visa d'études et de recherches ! Par conséquent, il faut que les visas soient valables, le cas échéant, jusqu'à la réinscription de l'année suivante. Ce problème doit donc être résolu.
Naturellement, il ne faut pas donner cette autorisation à tous les établissements d'enseignement supérieur, car certains ne sont pas sérieux et ne surveilleront pas suffisamment le déroulement des études de leurs étudiants.
J'ajouterai une chose : on craint que les étudiants étrangers venus en France ne restent ensuite. Mais il y a moyen de corriger cela.
Beaucoup d'étudiants étrangers m'expliquent qu'ils restent en France parce que, une fois retournés dans leur pays, ils n'auront pas les moyens de revenir régulièrement en France. Il est vrai qu'un grand nombre d'étudiants étrangers, notamment africains, qui retournent chez eux après avoir obtenu en France un diplôme de qualité, se heurteront ensuite à des difficultés considérables, s'ils veulent revenir passer quelques mois dans notre pays à l'invitation de telle ou telle institution.
Par conséquent, si nous rendions plus facile la possibilité pour des cadres étrangers de revenir régulièrement dans notre pays pour se recycler, pour participer à des colloques, à des conférences, pour répondre à l'invitation d'une université ou d'une entreprise, le problème du retour à l'étranger se poserait alors, à mon avis, dans des termes tout à fait différents.
Ce qu'il ne faut pas, c'est rompre des réseaux. Chacun sait que les étudiants africains devenus professeurs d'université dans leur pays n'ont pas les moyens de se payer un billet d'avion par an pour venir en France.
Il faut donc améliorer la situation et inverser la tendance qui veut que l'on ne vienne plus en France poursuivre des études supérieures ; il faut faire en sorte qu'un grand nombre d'étudiants étrangers redécouvrent ce qu'ils ont toujours souhaité : la science, la culture et les valeurs françaises.
Monsieur le ministre, si le cadre de la loi avait été plus large, j'aurais certainement déposé un autre amendement. Mais je n'aime pas les cavaliers, et mon souhait relève tout de même, je crois, du pouvoir réglementaire.
A l'heure actuelle, dans notre pays, toute promotion, toute décoration, tout départ à la retraite s'accompagne d'une cérémonie. Ainsi, de plus en plus, dans les universités, la remise des diplômes donne lieu à une sympathique cérémonie.
Or l'acquisition de la nationalité française est le seul événement à ne pas être commémoré.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. C'est pourquoi je souhaite vivement que, prochainement, une réception à la mairie marque l'acquisition de la nationalité française, sur le modèle canadien, américain ou autre. Ainsi le fait de devenir français deviendra-t-il un signe d'honneur, un signe de gloire non seulement pour le récipiendaire mais aussi pour la communauté tout entière. J'aimerais donc que soit instaurée dans nos mairies, à côté du parrainage civil et du mariage, la cérémonie d'accueil des nouveaux Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela se fait déjà dans nos préfectures !
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur la maîtrise de l'immigration, dont nous entamons aujourd'hui la discussion, est pour le moins édifiant, notamment parce qu'il se veut un texte fondateur de la politique du Gouvernement en matière d'immigration.
Je crois pouvoir résumer cette politique de la manière suivante.
Premièrement, l'étranger peut être admis sur le territoire français à une double condition strictement entendue : avoir une utilité démontrée pour l'économie nationale et s'engager à repartir une fois cette utilité épuisée.
Deuxièmement, l'étranger étant, par principe, enclin à vouloir demeurer abusivement sur le territoire national, tout doit être mis en oeuvre pour faire obstacle à son installation, a fortiori à celle de sa famille, par un système de contrôle tatillon sur tous les actes de sa vie privée.
Tel est l'axe majeur de la politique que vous préconisez, monsieur le ministre, au travers de ce texte que les timides considérations « humanitaires », les quelques améliorations apportées par la commission des lois et les rares acceptations de nos amendements ne sauraient parvenir à dissimuler.
Certes, monsieur le ministre, je vous reconnais le mérite de l'habileté et du talent quand vous vous montrez particulièrement modéré et humain sur le problème de la « double peine » pour, avez-vous dit - et ce message s'adresse certainement à votre majorité -, ne pas « polluer » votre projet de loi. Je vous rappelle d'ailleurs, mes chers collègues, que nous demandons l'abrogation de la « double peine » depuis de nombreuses années : notre proposition de loi déposée sous la précédente législature en témoigne. (M. Alain Gournac s'exclame.)
M. Philippe de Gaulle. Qui était alors au pouvoir ?
M. Jean Chérioux. Vous apparteniez à la majorité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais ici, nous n'avons pas pu vous convaincre !
M. Robert Bret. Pour autant, toute l'architecture de ce texte aboutit à enserrer les étrangers dans un étau si étroit qu'il en est irrespirable.
Les quelques déclarations emphatiques prononcées à droite sur la richesse que les étrangers ont apportée à l'histoire nationale n'y changeront rien.
L'emploi des simples termes de « maîtrise des flux migratoires » met bien l'accent sur l'appréhension purement économique, utilitariste et opportuniste de l'étranger, que conforte la référence aux quotas et la volonté d'une « approche plus flexible » de l'immigration, telle qu'elle est voulue aujourd'hui par le commissaire européen Antonio Vitorino.
Certes, le discours absurde sur l'arrêt de l'immigration a fait long feu, monsieur le ministre, tant il s'avérait absurde. Je vous renvoie tous à la lecture du rapport des Nations unies de 2002, à savoir que le nombre de migrants a plus que doublé depuis 1975, ou encore aux déclarations de Juan Somovia, directeur du Bureau international du travail, le BIT : « Compte tenu du phénomène de mondialisation en cours, il est très probable que ces chiffres doubleront dans le prochain quart de ce siècle. » Par ailleurs, nous savons tous ici que l'Europe est et sera déficitaire démographiquement et qu'il faudra faire appel à l'immigration.
Pour autant, l'acceptation de l'internationalisation de la main-d'oeuvre par les gouvernements libéraux n'est pas de nature à nous rassurer outre mesure. En effet, elle vise avant tout à permettre la mise à disposition du patronat d'une main-d'oeuvre idéale, sans droits, corvéable à merci, à bas salaire.
Elle aboutit au surplus à tirer vers le bas l'ensemble des salariés pour les besoins d'une économie uniquement préoccupée par la baisse des coûts du travail.
On oublie souvent de souligner que, toujours selon le même rapport de l'ONU, stopper l'immigration reviendrait, pour un certain nombre de pays d'Europe et d'Asie, à imposer aux salariés de travailler jusqu'à soixante-dix-sept ans. On « oublie » de la même façon de rappeler la contribution des étrangers actifs à notre système de retraite, à moindres frais d'ailleurs puisque, s'ils cotisent à même hauteur que les nationaux, les étrangers vieillissants ont le plus grand mal à faire valoir leurs droits à pension. A cet égard, le rapport de novembre 2002 de l'inspection générale des affaires sociales sur les immigrés vieillissants est tout à fait éclairant, et je vous y renvoie.
Au lieu de cela, le texte que vous présentez, monsieur le ministre, ne fait que conforter la figure de l'étranger indésirable, représentant une menace, une menace pour l'emploi, on l'a vu, mais aussi une menace pour la sécurité.
L'étranger, dans votre texte, est ainsi toujours suspecté d'être un délinquant du droit au séjour ou du droit au travail, d'être fraudeur lorsqu'il se marie, qu'il se rend dans sa famille ou qu'il la fait venir, ou encore de n'être venu en France que pour y commettre des délits dans les cas extrêmes.
Certes, vous prenez maintes précautions pour vous défendre d'une telle lecture, renvoyant de façon un peu trop commode les accusations qui vous seraient faites.
Ce que je constate, pour ma part, c'est une dérive générale du discours qui consiste à présenter systématiquement l'immigration comme un « problème ». Cette même dérive fait admettre comme un élément incontestable la responsabilité de l'immigration dans l'augmentation de la délinquance, ce qu'aucune statistique ne vient démontrer, chers collègues. (M. Philippe de Gaulle s'exclame.) Je vous renvoie aux conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, que M. de Gaulle n'a certainement pas lues.
M. Philippe de Gaulle. Mais si !
M. Alain Gournac. Ouvrez les yeux !
M. Robert Bret. Comment ne pas penser que ces « liaisons dangereuses » ne contribuent pas à banaliser la xénophobie bien au-delà de la seule sphère d'influence du Front national ? Avec un bénéfice moindre puisque, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les élus de droite, que vous le vouliez ou non, ceux chez qui ce discours trouvera écho préféreront toujours l'original à la copie et vous tireront toujours vers eux !
L'idée que l'immigration est une menace pour l'identité nationale transparaît de façon encore beaucoup plus insidueuse et dangereuse au travers des dérives législatives répressives de votre texte, monsieur le ministre : tel est le sens de la stigmatisation de l'altérité, de la pénalisation du travailleur clandestin devenu coupable, et non plus victime, du « délit d'hospitalité », lequel devient même un élément constitutif de la criminalité organisée : autant d'éléments qui, bien loin de l'affichage généreux que vous voulez donner à votre texte, contribuent à alimenter le racisme et la xénophobie, contrairement à votre propos.
Pire encore, le projet de société que vous nous présentez pour les étrangers apparaît comme une véritable entreprise de démolition de leur statut.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Robert Bret. Vous avez maintes fois cité le terme d'intégration et renvoyé au fameux « contrat d'intégration » dont on n'entend plus guère parler que pour signifier la présence d'obstacles supplémentaires au droit au séjour.
Notre vision de l'intégration va, en tout cas, bien au-delà de l'apprentissage de la langue et le rappel des valeurs de la société française : elle résulte d'une politique volontaire en matière économique, culturelle et sociale qui permet à chacun, au sein de la communauté nationale, de trouver sa place. Elle résulte également pour nous de l'octroi du droit de vote, que nous réclamons depuis des années : je vous rappelle l'impossibilité dans laquelle nous nous sommes trouvés, sous la précédente législature, de faire inscrire notre proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, malgré nos demandes répétées en conférence des présidents.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il ne fallait pas vous gêner ! Vous pouviez le faire quand vous vouliez !
M. Robert Bret. Or, telle n'est pas la politique du Gouvernement : le débat sur l'immigration n'est qu'un des aspects des effets sociaux du libéralisme dans la mesure où il permet de faire très nettement le lien entre le démantèlement des droits économiques et sociaux dans notre pays et la situation des étrangers en France. Nous pouvons aisément faire le constat que chaque étape du processus de privatisation et de déréglementation de l'économie, chaque atteinte portée aux droits sociaux auront été accompagnées d'un renforcement de la défiance à l'égard des populations immigrées. Toute l'histoire de notre pays en est la démonstration.
La politique de démantèlement des services publics en constitue un des effets les plus immédiats, qui substitue la communauté ethnique à la communauté nationale.
Mais nous en trouvons des effets directs dans le présent texte de loi : comment ne pas être choqué, monsieur le ministre, par la privatisation de la gestion des centres de rétention, après les prisons. C'est là un bon indicateur de l'investissement financier du Gouvernement pour assumer les moyens de sa politique : la volonté d'augmenter les flux de reconduites ou d'expulsions, de multiplier par trois les capacités d'accueil, se heurte singulièrement à la problématique du coût.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Robert Bret. Comment ne pas s'interroger sur la façon dont le Gouvernement se « décharge » de la politique de l'immigration sur les maires ?
Comment ne pas voir dans ce mouvement la traduction de cette décentralisation inéquitable dont le projet de loi que nous aurons à examiner prochainement est une illustration supplémentaire ?
Vous proposez de donner aux maires des droits renforcés, notamment le pouvoir de s'opposer aux attestations d'accueil, en réalité de s'opposer aux étrangers, puisque, ne nous leurrons pas, ce sera en ces termes que la question sera gérée dans les mairies tenues par le Front national !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui ! Des noms !
M. Robert Bret. Vous proposez également de donner aux maires le pouvoir de s'opposer au mariage.
Vous leur proposez tous les pouvoirs qui devraient a priori séduire l'électeur qui est confronté à une dégradation de ses conditions de vie. L'étranger non communautaire, lui, ne vote pas aux élections locales, même s'il paye des impôts.
De la dislocation de la politique d'immigration entre les communes, monsieur le ministre, ne peut sortir rien de bien bon, sauf des situations d'inégalités accompagnées de tensions sociales exacerbées.
Dans quelque temps, à ce rythme, il ne restera plus rien des missions régaliennes de l'Etat ! Et ce n'est vraiment pas faire un cadeau aux maires que de les rendre responsables de votre politique. Ils en jugeront eux-mêmes dans quelques années lorsque les Français qui se seront vu refuser des certificats d'hébergement - car la plupart de ces certificats sont demandés par des Français - leur demanderont des comptes.
Enfin, dans son avis d'autosaisine sur le texte, le rapporteur de la Commission nationale consultative des droits de l'homme - un de vos amis, si je ne me trompe, monsieur le ministre,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oh ! Gardez-m'en, je vous le laisse ! Il n'est pas mon ami ! (Sourires.)
M. Robert Bret. Il sera content de l'apprendre... (Rires.)
Quoi qu'il en soit, il soulignait que « l'on ne saurait borner la "politique" d'immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des flux migratoires est dans la nature d'un monde de plus en plus globalisé ».
Il ajoutait : « La commission s'interroge sur la pertinence d'une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux, financiers et de l'information, tout en astreignant les hommes à résidence dans leurs propres pays. »
La Commission nationale consultative des droits de l'homme avait raison de s'interroger, nous semble-t-il, tant il est vrai que rien dans ce projet de loi n'est fait pour nous rassurer.
Ce texte, dont la philosophie est très largement confirmée par le rapport qui, soit dit en passant, ne tient pas compte du quasi-refus de toutes les organisations, associations ou personnalités auditonnées, à la seule exception, il faut le reconnaître, des représentants des forces de l'ordre, contribuera plus à déstabiliser les étrangers en situation régulière qu'à lutter contre l'immigration clandestine.
Cette politique amorce une profonde régression des droits élémentaires de la personne en général et pas seulement de l'étranger.
Tout cela se fait au nom d'une « normalisation » européenne, sur laquelle je terminerai mon intervention. Cette justification, nous la contestons sur la forme comme sur le fond.
D'abord, parce qu'au niveau européen l'on sait bien que l'accord se fait sur le plus petit dénominateur commun - d'où l'expression de « normes minimales » -, ce qui ne signifie pas pour nous qu'il faille accepter un nivellement par le bas. Il faut le dire : on peut faire un autre choix comme celui de maintenir un haut niveau de protection sociale, sans céder systématiquement aux sirènes du libéralisme, nous le disons régulièrement dans cette enceinte.
Par ailleurs, comparaison n'est pas raison, monsieur le ministre, et l'on peut s'interroger sur l'opportunité de se fonder sur l'exemple de l'Allemagne dans la mesure où - l'aurait-on oublié ? - ce pays n'est devenu que très récemment dans l'histoire un pays d'immigration, à telle enseigne d'ailleurs qu'il a eu le plus grand mal à faire évoluer un droit de la nationalité dominé par le droit du sang pour intégrer les jeunes Turcs nés sur son sol.
Tant que nous ferons prévaloir une vision purement économique de l'immigration, nous irons à l'échec : l'exemple du partenariat euroméditerrannéen est de ce point de vue riche d'enseignements.
Au lieu d'une « zone de prospérité partagée » que prétendait instituer le processus de Barcelone en 1995, il est devenu une zone de libre-échange assurant la suprématie politique et économique de l'Union européenne au détriment des pays et des peuples de la rive sud. Les effets en sont catastrophiques sur le plan de la destructuration et de la fragilisation de ces pays et de leurs peuples, alors qu'ils sont interdits d'accès à l'autre rive, sans faire pour autant le bonheur des peuples de la rive nord.
Il s'agit d'une lecture univoque de la libre circulation des personnes, pourtant prônée dans la logique de la mondialisation, une logique qui ne peut conduire qu'à des crises et à des conflits.
Telles sont les grandes lignes, non exhaustives, de ce que nous pensons de ce texte, dont les aspects liberticides et profondément rétrogrades vous seront démontrés dans un instant par ma collègue Nicole Borvo, lors de la défense de la motion tendant à opposer la question préalable.
Nous aurons l'occasion, article après article, à travers nos amendements, de développer nos arguments sur notre conception de l'immigration : notre projet de société contre le vôtre, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela promet ! On est plus tranquille avec le nôtre !
M. Alain Gournac. Les leçons du parti communiste !
M. Robert Bret. Après celles du ministre !
M. Jacques Mahéas. Un peu d'humanisme !
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'extrême droite ne doit pas avoir le monopole de la question de l'immigration en France. En se saisissant de ce sujet, le Gouvernement fait preuve d'une détermination par laquelle il entend montrer à nos compatriotes que tout débat sur cette question ne relève pas d'une approche nécessairement polémique et ambiguë. Autrement dit, il est indispensable de souligner que discuter de notre politique d'immigration ne fait pas le lit des franges extrémistes mais, au contraire, permet de dédramatiser une question qui a trop longtemps inhibé la classe politique.
MM. René Garrec, président de la commission des lois, et Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Très bien !
M. Georges Othily. Il n'y a pas, il n'y a plus de sujet tabou ! Et celui qui vous parle, ne serait-ce qu'en raison de la couleur de sa peau, serait mal placé de ne pas se fonder sur tout ce que l'humanisme a apporté à un peuple.
La réforme de la politique d'immigration n'appartient pas à une logique partisane qui ferait de la droite la tenante de la dureté et de l'insensibilité (M. Gournac rit) et de la gauche, le défenseur de l'humanité et de l'hospitalité.
M. Philippe de Gaulle. Et de la citoyenneté !
M. Georges Othily. Abordons les faits dans leur complexité, selon une logique pratique et sans esprit partisan. Recherchons le juste équilibre entre solidarité et principe de réalité. Soyons à la fois justes et fermes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Très bien !
M. Georges Othily. Nous sommes donc aujourd'hui conduits à réformer à nouveau le droit des étrangers et à modifier, pour la vingt-sixième fois, l'ordonnance du 2 novembre 1945.
M. Philippe de Gaulle. Hélas !
M. Robert Bret. Eh oui ! Ce n'est pas fini !
M. Georges Othily. La France et, plus largement, l'Union européenne proposent aux pays en voie de développement une vitrine de richesses parfois difficile à supporter pour des personnes dont le quotidien n'est fait que d'une lutte permanente pour survivre dans la dignité. La tentation est donc grande et légitime, pour celles-ci, de chercher à s'offrir, à elles-mêmes et à leur famille, une vie décente.
Pour autant, notre pays, la France, ne peut se permettre d'accueillir sans droit de regard l'ensemble des populations placées dans le désarroi économique et social.
Tout en respectant le partage des compétences avec l'Union européenne, notre société ne peut plus laisser se développer les abus engendrés par les faiblesses de notre droit, pénalisant des personnes souhaitant réellement venir en France pour s'intégrer dans la société française. Au final, il n'est pas plus acceptable de céder à l'angélisme que d'ignorer une réalité difficile.
Comme l'a précisé le Conseil constitutionnel en 1993 : « Le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques mais il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. »
Monsieur le ministre, vous avez su, à travers le présent projet de loi, prendre la mesure de l'équilibre qui doit être trouvé entre deux impératifs : la sauvegarde de l'ordre public et le respect de la dignité de la personne humaine.
D'un côté, le texte renforce notre arsenal législatif en prenant acte d'une réalité, hélas ! complexe et difficile qui oblige l'ensemble des intervenants de l'accueil des migrants à travailler trop souvent dans l'urgence et à flux tendus. La multiplication des abus rend ce texte nécessaire. Nos compatriotes ne comprendraient pas que l'Etat n'applique pas les lois dont il s'est lui-même doté ! Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes déterminé à ce que l'Etat retrouve une crédibilité, sans pour autant sombrer dans une politique néfaste et sinistre de fermeture totale de nos frontières.
De l'autre côté, la dignité des migrants, qui sont souvent dans une situation de détresse, est un impératif que le projet de loi respecte, tant dans son esprit que dans sa lettre. La France possède une tradition multiséculaire d'accueil : pérennisons-la !
Peut-être est-il dommage que le volet du projet consacré à l'intégration ne prévoit pas un enseignement de notre langue et des principes de notre République aux nouveaux arrivants ?
Je salue, quoi qu'il en soit, les avancées humanistes de ce texte, notamment l'abrogation dans certains cas de la « double peine », qui créait parfois des situations inextricables et ubuesques.
Pascal a écrit : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Pour ma part, je serais tenté de vous dire, monsieur le ministre, que ce qui est vrai en métropole ne l'est pas forcément outre-mer...a fortiori en matière d'immigration...
Si le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui fait preuve d'équilibre et constitue un bon texte à l'échelle de l'ensemble du territoire, je ne peux pas en dire autant, hélas ! pour une petite partie de notre territoire national que je connais bien, la Guyane ! A cet égard, le déséquilibre du texte est patent ! Si, pour la métropole, il est équilibré et adapté à la situation, en revanche, si l'on considère la seule Guyane, il devient un cautère sur une jambe de bois !
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. Jacques Mahéas. C'est vrai pour la métropole aussi !
M. Georges Othily. Et pourtant, d'une certaine façon, le projet de loi reconnaît bien la spécificité de la Guyane en matière d'immigration puisque, à la suite, il est vrai, d'un amendement adopté par nos collègues députés, nous sommes le seul département français qui se voit honoré de l'instauration d'une commission composée « de parlementaires, de représentants de l'Etat et des collectivités locales ainsi que des acteurs socio-économiques, chargée d'apprécier les conditions d'immigration en Guyane et de proposer les mesures d'adaptation nécessaires ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà !
M. Georges Othily. S'il reconnaît ainsi l'existence d'une particularité guyanaise, ce projet de loi ne prend pas en compte les réalités très spécifiques de la Guyane en matière d'immigration et, par conséquent, les mesures qu'il contient sont très largement insuffisantes pour le cas guyanais.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Créez une commission !
M. Georges Othily. Pourquoi renvoyer à demain ce que l'on peut faire aujourd'hui ? Pourquoi mettre en place une commission quand on peut légiférer ? Pourquoi attendre quand le diagnostic est connu de tous, en tout cas en Guyane, et depuis bien longtemps maintenant ?
Voilà déjà vingt ans, en 1984, Elie Castor, ancien député de Guyane, et moi-même, alors président de la région, avons publié un ouvrage intitulé : La Guyane, les grands problèmes, les solutions possibles. Parmi ces grands problèmes, nous évoquions déjà, bien évidemment, l'immigration et nous écrivions : « Percevoir le problème de l'immigration, c'est l'analyser en fonction de la spécificité guyanaise d'une manière approfondie et objective sur toutes ses interactions et conséquences pour notre région. »
Après avoir dressé un constat, qui est toujours d'actualité pour l'essentiel, nous alertions les pouvoirs publics sur la nécessité de « stopper l'immigration qui atteint en Guyane un niveau très élevé ». La première des trente propositions que nous formulions à l'époque dans ce domaine n'était autre que celle-ci : « Etablir une législation spécifique à la Guyane. »
Quand on traite de l'immigration, on ne peut pas faire l'impasse sur le contexte et les situations démographique, géographique et économique, d'autant que c'est ce contexte qui structure la spécificité guyanaise.
La population de Guyane est composée à plus de 50 % de personnes appartenant à des communautés étrangères : plus de 130 nationalités différentes se côtoient, pour une population de seulement 160 000 habitants sur - faut-il le rappeler ? - vingt-deux communes qui recouvrent un territoire de 90 000 kilomètres carrés, soit la superficie du Portugal.
La Guyane représente, dans son environnement régional, un pôle de prospérité très attractif, caractérisé par un niveau de vie sans commune mesure avec celui des pays avoisinants. C'est donc dans ce contexte géo-économique très particulier que la Guyane continue d'apparaître comme un véritable eldorado suscitant une immigration massive en provenance des pays voisins : Surinam, Guyana, Haïti, Nordeste brésilien, notamment.
Cette forte immigration clandestine se caractérise par ce que j'appelle une « immigration-guichets », puisque ces populations viennent exclusivement pour bénéficier de prestations sociales en tous genres, prestations qui, aussitôt touchées, sont envoyées pour une très large part vers les pays d'origine de ces populations immigrées.
En conséquence, cette immigration n'est en rien productive de richesses et, bien loin de nous apporter une soutien pour accélérer notre développement économique, elle le handicape et le retarde très fortement du fait de son coût sans fin. Elle est un véritable tonneau des Danaïdes.
Ainsi, indirectement et sans que nous l'ayons décidé, nous faisons de l'aide au développement à nos pays voisins - serait-ce une nouvelle forme de coopération décentralisée ? - si bien que si la Guyane fait figure de région surdéveloppée sur le continent sud-américain, elle n'en demeure pas moins une des régions françaises et européennes les plus pauvres et les plus retardées en matière économique, et ceci explique cela !
Ce que j'essaye de vous dire, monsieur le ministre, c'est qu'immigration clandestine massive, d'un côté, et sous-développement de la Guyane, de l'autre, sont, bien évidemment, liés dans une relation de cause à effet.
Un autre que moi a dit : « La Guyane ne peut plus continuer à accueillir toute la misère du monde. » Quand on évoque l'immigration en Guyane, puisqu'on se situe dans une autre dimension et que l'on change véritablement d'échelle, on ne peut donc pas fournir à la Guyane des remèdes mis au point pour le seul territoire métropolitain. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !
C'est pourquoi je proposerai à notre Haute Assemblée, à l'article 44 quater, des amendements concernant spécifiquement la Guyane et allant bien au-delà de l'instauration d'une simple commission. Car, avec quelques mesures radicales et bien ciblées, et en suivant le diagnostic que je viens de porter à votre connaissance, monsieur le ministre, il est d'ores et déjà possible, en retouchant ponctuellement ce projet de loi, d'établir une législation spécifique concernant l'immigration en Guyane, et cela conformément à l'article 73 de la Constitution.
Ainsi, la suppression de la possibilité quasi automatique, pour un étranger arrivé illégalement en Guyane, de bénéficier de multiples prestations sociales et le maintien de la « double peine » seraient deux signaux forts, et à coup sûr très efficaces, envoyés en direction des populations voisines.
Il s'agit, bien évidemment, non pas d'interdire toute immigration, mais de rechercher l'équilibre propre à la Guyane, et donc de parvenir à maîtriser et à réguler l'arrivée et la présence des étrangers sur le territoire, ce que ce projet de loi permet en métropole, mais certainement pas en Guyane.
La Guyane ne peut plus attendre davantage une politique de l'immigration qui lui soit adaptée et spécifique ; il y va, ni plus ni moins, de son développement économique et du niveau de vie de sa population. En Guyane, la maîtrise de l'immigration doit constituer la première des réformes sans laquelle toutes les autres sont vouées à l'échec ou à des demi-succès.
Le travail réalisé par les membres de la commission des lois et le travail remarquable de notre rapporteur méritent mes sincères fécilitations.
Les amendements proposés, s'ils sont adoptés par notre assemblée, rendront le projet de loi encore plus efficace et plus performant. Nous le voterons, car la Guyane est un pays qui veut se développer, qui recherche une stabilité et une reconnaissance dans son identité. Nous ne pouvons plus accepter que soient lancées des fusées sur fond de bidonvilles ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, aux Etats-Unis, des comédiens deviennent des politiques.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Gouverneur !
M. Philippe de Gaulle. En France aussi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous constatons qu'ici des politiques deviennent des comédiens.
M. Jean Chérioux. Vous en êtes un bel exemple ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lorsque, hier soir, il nous a été annoncé que les débats n'auraient pas lieu, qu'ils seraient renvoyés à ce matin, je dois dire que nous avions prévu un tel report car, évidemment, sur le plan de la médiatisation de votre discours, monsieur le ministre, il était moins bon pour vous de présenter votre texte en séance de nuit.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est moi qui ai demandé le report.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ajoute que, comme d'habitude, ce débat sur l'immigration suit de près, suit même immédiatement, comme par hasard, le débat sur la grande criminalité. (Mme Nicole Borvo sourit.) C'est un rapprochement qui est à faire et qui est désagréable.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Amalgame !
M. Jean Chérioux. Comme d'habitude !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Puisque j'ai parlé de comédiens, je voudrais évoquer le rôle que vous vous êtes donné : celui du seul homme qui sait tout, qui ne ment pas et qui ne se trompe jamais !
M. Jean Chérioux. Sauf vous, qui êtes toujours un exemple !
M. Jacques Dominati. C'est une attaque qui n'est pas de mise dans cette enceinte. Qu'est-ce que cela veut dire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est d'autant plus désagréable pour les autres que chacun est faillible. C'est d'autant plus facile lorsqu'on a tout le temps de s'exprimer. Vous avez parlé pendant une heure,...
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Et alors !
M. André Ferrand. C'est encore trop court !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... alors que nous disposons dans la discussion générale, pour notre groupe qui est multiple...
M. Jean Chérioux. C'est une autocritique que vous faites actuellement ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et qui compte près de quatre-vingts sénateurs, très exactement de vingt-huit minutes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est encore trop ! (Rires.)
Mme Nicole Borvo. S'il n'y avait pas d'opposition, ce serait très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oui ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Robert Bret. A la soviétique !
M. Michel Drefus-Schmidt. Cela nous amène parfois à vous interrompre et nous vous remercions d'ailleurs de quasiment l'accepter.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Provocateur !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela étant, c'est la vingtième fois... (Brouhaha sur les travées de l'UMP.) Chers collègues, si vous m'interrompez tout le temps, je vous remercierai, monsieur le président, d'en tenir compte ! Il faut bien que certains d'entre vous, qui sont obligés de nous entendre,...
M. Jean Chérioux. De vous écouter, pas de vous entendre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... évidemment réagissent.
C'est la vingtième fois depuis 1986 que va être modifiée - que dis-je, bouleversée ! - l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
M. Jacques Dominati. Il y a des gens qui sont restés inactifs depuis des années !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez prétendu tout à l'heure, monsieur le ministre - vous l'aviez déjà dit, beaucoup le répètent après vous -, que vous vouliez, par ce projet de loi, lutter de manière inflexible contre l'immigration irrégulière pour mieux protéger les étrangers séjournant en France.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Bien entendu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Or ce n'est aucunement ce à quoi tend votre texte.
Vous nous parlez des filières. Que les choses soient claires, nettes et précises : nous sommes tous d'accord pour lutter contre les filières... (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Voilà une bonne nouvelle !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... qui fournissent aux ateliers clandestins des malheureux qu'il faut protéger...
M. Jean Chérioux. Vous n'avez rien fait ! Pourquoi avez-vous laissé faire ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Permettez-moi de vous dire que nous les avons combattues, mais que nous avons aussi connu M. Debré et M. Pasqua ! Les carences que vous dénoncez aujourd'hui viennent aussi de ce qui n'a pas été fait par ceux-là, et donc par vous !
M. Jacques Dominati. Aujourd'hui, on le fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On va voir !
M. Jean Chérioux. Vous êtes mal placé pour le dire !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quelles références ! C'est une école de modestie pour moi. (Sourires.)
M. le président. Mes chers collègues, j'assure une présidence souriante,...
M. Jean Chérioux. Je vous en donne acte, monsieur le président !
M. le président. ... mais n'en abusez pas !
M. Jean Chérioux. Avouez qu'il y a de la provocation, monsieur le président !
M. le président. Oui, mais des deux côtés. C'est pourquoi je vous demande d'en rester là.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt et à lui seul.
M. Jean Chérioux. S'il n'est plus provocateur !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est un comédien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Permettez que je m'exprime ! Nous n'avons pas beaucoup de droits, mais nous avons encore celui de nous exprimer, surtout dans cette enceinte, ne croyez-vous pas ?
Nous combattons les mesures que vous proposez parce qu'elles s'appliqueraient à des individus, à des malheureux, alors que vous les dites destinées à lutter contre les filières. Il faut séparer les choses et bien préciser dans le projet de loi que ces dispositions ne s'appliquent pas aux hommes ! Ainsi serons-nous d'accord. Mais ne nous faites pas dire ce que nous ne disons pas ! Nous sommes parfaitement favorables à la lutte contre les filières et des efforts ont toujours été faits par les uns et par les autres pour les combattre. Ne nous dites pas que nous n'avons rien fait !
Vous l'avez indiqué, et c'est vrai, l'immigration clandestine provient pour beaucoup du fait que des étrangers entrés en France avec un visa touristique de trois mois ne repartent pas. Nombre d'entre eux feignent d'oublier de quel pays ils viennent et détruisent leurs papiers d'identité.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Contre cela, vous proposez une mesure que nous comprenons et qui pourrait se révéler tellement efficace qu'elle exclurait toutes les autres. Il s'agit, lors de la demande de visa, que soient prises les empreintes digitales et la photo du demandeur. Mais, comme il faut parcourir des milliers de kilomètres pour être reçu, après avoir attendu longtemps devant les consultats, nous suggérons que les empreintes et la photo soient prises lors de la délivrance du visa.
Mais il est inutile d'y ajouter toutes les autres dispositions qui proviennent, pour nombre d'entre elles, du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale et de membres maximalistes de votre majorité, tel le rôle des maires ou des services municipaux dans une politique qui exige, pour être équitable, qu'elle soit la même sur l'ensemble du territoire. Vous faites de la démagogie, notamment vis-à-vis des maires, et Dieu sait qu'il est habituel de le faire au Sénat, qui, depuis longtemps, veut leur donner un rôle qui n'est pas le leur. Or nous savons parfaitement que certains maires accorderont certaines choses...
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. Jean Chérioux. Les réalités locales sont diverses !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... que d'autres refuseront, c'est-à-dire que la loi ne sera pas appliquée de la même manière dans toute la France. Nous préférons que vous preniez vos responsabilités et que les décisions relèvent non des maires mais de vos services.
M. Jean Chérioux. Cela s'applique à des situations différentes !
M. Georges Othily. C'est la décentralisation !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais surtout, et contrairement à ce que vous affirmez, suivent ensuite de multiples dispositions qui précarisent la situation des étrangers régulièrement présents sur notre sol. Nous n'allons pas toutes les énumérer. Nous y reviendrons.
Ainsi, vous allongez le délai exigé pour obtenir une carte de résident de dix ans en créant la carte de séjour temporaire de trois ans au lieu de cinq. Vous multipliez les conditions qui devont être remplies pour que la carte de résident soit en définitive attribuée. Vous accumulez les obstacles devant le regroupement familial. Vous avez même accepté que soient modifiées les conditions demandées pour que la naturalisation puisse intervenir, confondant ainsi deux procédures différentes, la naturalisation n'ayant rien à voir avec l'entrée et le séjour des étrangers en France.
Permettez-moi de vous dire tout de même, monsieur le ministre, comme je le pense, que toutes les mesures que vous voulez appliquer à ceux qui sont naturalisés ne correspondent en rien à la tradition de la République. Nous connaissons nombre de nos concitoyens d'origine étrangère qui pourraient se féliciter du fait qu'aucune de ces conditions n'ait été exigées de leur ancêtre lorsqu'il est arrivé en France. C'est pourquoi nous nous battrons point par point, article par article, alinéa par alinéa, pour supprimer au maximum toutes mesures de précarisations nouvelles de la situation des étrangers résidant régulièrement en France.
Enfin, vous voulez porter la durée du maintien possible en zone d'attente ou en centre de rétention de douze à trente-deux jours. Vous nous avez évité tout à l'heure le couplet que vous avez entonné devant la commission des lois après l'avoir fait à l'Assemblée nationale en vous référant à un texte européen. Vous aviez dit précisément devant l'Assemblé nationale : « Les accords de réadmission en cours de négociation par l'Union européenne ouvrent aux Etats d'origine un délai d'un mois pour répondre à la demande de laissez-passer consulaire pour organiser le retour. »
Vous nous citez plusieurs pays, l'Allemagne par exemple, qui, contrairement à nous, n'ont pas eu un empire colonial pendant fort longtemps...
M. Jean Chérioux. Et l'Angleterre, elle n'en a pas eu ?
Mme Nicole Borvo. Calme !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous, nous avons noué des liens étroits avec de nombreuses populations, ce que n'a pas fait l'Allemagne.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. L'Espagne ?
M. Jean Chérioux. L'Angleterre ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je parle de l'Allemagne !
On peut sûrement trouver d'autres arguments ; on n'a pas fait de droit comparé ici. Je n'insiste pas.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il vaut mieux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En ce qui concerne les conventions, monsieur le ministre, nous vous avons demandé de nous les communiquer pour nous faciliter le travail. Vous deviez le faire au cours du débat. Nous y sommes, mais nous n'avons toujours rien, permettez-moi de vous le dire !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je serai au rendez-vous, comme d'habitude, monsieur Dreyfus-Schmidt, alinéa par alinéa !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous serez au rendez-vous ? Il serait bien temps !
Nous avons trouvé une convention qui a été proposée par la Finlande...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La Finlande, en matière d'immigration...
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est pour l'immigration des pingouins !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et qui a été fortement critiquée par le Parlement européen. Il y est question d'un délai d'un mois. Au surplus, le délai de réadmission concerne les relations entre Etats membres signataires des accords de Schengen et non ceux de l'Union européenne avec les Etats d'origine.
C'est la seule convention que nous ayons trouvée, jusqu'à ce que, hier, en commission, on nous communique un document qui est soumis à notre Parlement et qui est une convention avec le Sri Lanka !
Ce pays accepterait ce qui lui est proposé par l'Union européenne, à savoir que le délai de réadmission soit d'un mois. C'est tout ce que nous avons trouvé, ce n'est donc pas un argument.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela prouve que l'Union européenne considère que c'est bien. C'est cela qui est intéressant !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela prouve surtout qu'il y a eu une composition pénale entre les deux pays !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela n'a rien à voir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a eu un accord, c'est un contrat, mais c'est autre chose et nous en parlerons.
Cela dit, encore faudrait-il que les locaux de rétention et de nos zones d'attente pour les personnes retenues soient corrects !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous savez qu'ils ne le sont pas.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela dépend !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous déposerons donc un amendement visant à ce que les mesures qui seraient adoptées à cet égard soient applicables uniquement lorsque les locaux seront décents.
Je terminerai avec la « double peine ».
Je ne veux pas vous rechigner notre accord et nos compliments. Vous avez su, courageusement, entraîner la conviction de votre majorité - en tout cas, elle vous suit. Nous espérons qu'il en sera de même ici, - à moins qu'elle ne nous suive, nous ! Mais permettez-moi de vous dire que si tel avait été le cas, si votre majorité avait suivi le groupe socialiste du Sénat lors de la discussion du code pénal, des lois Pasqua, des lois Debré, des lois Chevènement, vous n'auriez pas eu besoin, vous, de vous y convertir aujourd'hui, car vous ne souteniez pas plus cette idée alors, et aucun de nos collègues non plus !
Vous avez prononcé ce matin un discours intelligent et qui reprend des propos que vous tenez depuis un certain temps. Avec la modestie qui nous est commune (Rires), je dois vous dire que nous tenons depuis longtemps ce même discours devant nos collègues. Ils le connaissent et l'ont reconnu. Qu'ils nous suivent donc immédiatement et supprimons complètement l'interdiction judiciaire du territoire !
M. Etienne Pinte a donné de multiples exemples de personnes qui mériteraient de ne pas risquer l'interdiction du territoire, mais nombre de ses amendements n'ont pas été retenus par l'Assemblée nationale, et beaucoup risquent quand même l'interdiction avec le texte tel qu'il est rédigé.
J'ai été alerté hier soir sur le cas d'un garçon qui a pour la première fois été condamné, à ving-trois ans, à une interdiction du territoire, et qui l'a été ensuite à de multiples reprises, toujours et uniquement pour des questions de papiers d'immigré. Aujourd'hui, à environ quarante-cinq ans, il ne serait pas protégé par le texte de loi s'il était adopté.
Personne ne discute le principe de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dont vous prétendez faire un article 25 bis en le modifiant légèrement, c'est-à-dire en ne parlant plus des mineurs, et qui prévoit, « en cas d'urgence absolue... et de nécessité impérieuse », que l'Etat peut expulser n'importe quel étranger.
Mme Nicole Borvo. Cela suffit, en effet !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tenons-nous en à cela et nettoyons donc le code pénal de tous les autres cas d'interdiction ! Il n'y aura plus de « double peine » judiciaire et l'Etat conservera la possibilité d'expulser dans les cas où cela s'impose : terrorisme, espionnage.
Telle est la position du groupe socialiste, mes chers collègues. Nous vous demandons, aux uns et aux autres, non pas, contrairement à ce que vous dites, de faire que les uns soient tout blanc, les autres tout noir, mais de ne pas oublier qui il y a, d'un côté, la filière et, de l'autre, des malheureux, des gens qui ont de la famille en France, qui ont été séparés par l'histoire. Je vous demande, chaque fois que l'on examinera les cas particuliers, de penser à cette dépêche du 4 septembre 2003 : « Immigration : un sans-papiers algérien de 34 ans qui avait sauté, mardi 2 septembre, du 4e étage d'un foyer Sonacotra de Sartrouville (Yvelines) où un contrôle de police était en cours, est mort dans l'après-midi. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment peut-on parler d'immigration ? Ce mot est encore aujourd'hui, alors que nous sommes maintenant fermement ancrés dans le xxie siècle, vecteur de mythes, de fantasmes, d'interrogations, de préoccupations et de complexes.
Mythe de l'immigration zéro, mythe de l'ouverture totale des frontières...
Fantasme de l'invasion, fantasme selon lequel l'immigration serait porteuse de tous les maux de notre société : chômage, violence...
Interrogations, car l'immigration est indéniablement au croisement de multiples interrogations de nos concitoyens, à l'heure de l'élargissement de l'Union européenne vers l'est et de l'accélération de la mondialisation.
Préoccupations quant au problème de l'immigration clandestine et quant à la réussite d'un modèle français d'intégration qui n'en est aujourd'hui plus un.
Complexes quant à un sujet qui demeure encore relativement tabou et dont on n'ose peu parler librement et ouvertement, de peur d'être parfois injustement taxé de racisme. La caricature naît de ce que ce débat est depuis trop longtemps occulté et accaparé à la fois par les partisans du laxisme et par ceux du racisme.
Monsieur le minitre, en prenant le parti de renforcer les contrôles et de lutter très fermement contre l'immigration clandestine, qui mine véritablement l'intégration, en choisissant de renforcer votre action en faveur des étrangers régulièrement installés sur notre territoire, en encourageant notamment leur promotion sociale et professionnelle, vous avez choisi la voie juste, la seule possible : celle du réalisme.
Le Gouvernement a trouvé en la matière une situation intolérable et absurde. Tout à l'heure, à l'instar du rapporteur, Jean-Patrick Courtois, vous avez cité des chiffres éloquents que, bien entendu, les adversaires de cette réforme occultent systématiquement. Sans revenir sur ces chiffres, permettez à un élu de l'Essonne de donner quelques précisions sur son département.
Les rapports d'activité des services de l'Etat ont établi que les taux d'exécution des décisions de reconduite aux frontières avoisinent 7 %, ce qui veut dire que 93 % des décisions n'étaient pas exécutées. Et que deviennent, mes chers collègues, les 93 % en question ? Quels sont leurs moyens d'existence ? Ils ne peuvent que se tourner vers le travail clandestin, ce qui nuit au travail tout court, vous le savez bien, ou bien alimenter la délinquance.
Au travers de ce projet de loi, vous nous invitez à débattre enfin de manière décomplexée d'un sujet des plus sensibles, autour duquel se cristallisent tant de crispations de notre société et qui suscite chez nos concitoyens une attente très forte, notamment en matière d'intégration.
Aujourd'hui, faisons donc le pari d'une discussion ouverte et sans complexe et gageons, à la lumière de votre projet, qu'il ressortira de nos débats dans cette Haute Assemblée un texte équilibré, porteur d'un message clair : main tendue vers l'immigration régulière, conformément à notre tradition humaniste d'accueil...
M. Jacques Mahéas. Elle en prend un coup !
M. Laurent Béteille. ... inspirée du siècle des Lumières et des valeurs universelles léguées par notre histoire, mais aussi nécessaire fermeté contre ce qui fait obstacle à cet accueil, qui repose sur un contrat d'intégration fondé sur la citoyenneté républicaine, laïque et égalitaire.
Trop d'immigration tue l'immigration en faisant obstacle à l'intégration. Car aucune société n'est en mesure d'assimiler un flux migratoire trop important, non maîtrisé. Une intégration réussie est fondée sur un lien de confiance entre l'immigré et la société. La confiance réciproque ne se gagne que progressivement lorsque les conditions en sont réunies. L'immigration illégale doit être d'autant plus fermement combattue qu'elle brise ce lien de confiance.
Votre texte a le mérite, monsieur le ministre, de rechercher un équilibre mesuré entre une lutte ferme et sans merci contre l'immigration irrégulière, d'une part, et une volonté de forger une véritable politique publique d'intégration de l'immigration régulière, d'autre part.
Le contrat d'intégration et le lien de confiance que j'ai évoqués précédemment, vous les avez formalisés dans ce projet de loi et leur avez donné un contenu, ce dont je me félicite.
Le contrat d'accueil et d'intégration que vous souhaitez mettre en place fixe les conditions d'intégration de l'étranger dans la société française : il lui sera dorénavant demandé de prouver sa volonté réelle de s'intégrer en apprenant la langue française, en suivant une formation professionnelle et en participant à la vie locale et associative, par exemple.
Cette confiance placée par la société dans l'étranger qui souhaite s'intégrer doit être réciproque.
C'est grâce à ce contrat d'accueil qu'il est désormais possible de revoir le système dit, abusivement, de la « double peine », c'est-à-dire de l'interdiction du territoire, qui pouvait donner le sentiment à l'étranger désirant réellement s'intégrer qu'il n'était pas à l'abri d'une sanction inégale par rapport à un citoyen français. Il est en effet proposé que l'étranger délinquant soit traité comme tout délinquant. S'il a commis une infration, il sera puni comme n'importe quel délinquant, ni plus ni moins. Lui infliger une interdiction du territoire en plus de la peine de prison, alors que des liens familiaux l'unissent à notre pays, n'est plus nécessaire et doit être supprimé.
Une fois la peine effectuée, si, de manière générale, il est donné la possibilité au délinquant de se réinsérer dans la société, l'étranger délinquant doit également avoir la possibilité, une fois sa peine effectuée en France, de se réinsérer dans la société française et, partant, d'avoir une chance de s'intégrer.
A dire vrai, ce sont les résultats de votre politique qui ont permis une véritable baisse de la délinquance, et c'est pourquoi nous pouvons maintenant revenir sur la « double peine ». Le dispositif que vous proposez, monsieur le ministre, préserve encore une fois l'équilibre entre fermeté et intégration. Car si vous nous proposez de réformer cette interdiction du territoire, vous ne la supprimez pas, en particulier pour les crimes et les délits les plus graves : la réalité de l'attachement qui lie l'étranger à son pays d'accueil peut être remis en question.
Il faut bien faire la différence, en effet, entre l'immense majorité des étrangers qui souhaitent réellement vivre en France, qui se reconnaissent dans les valeurs de la République, dans notre attachement à la démocratie et à la laïcité et qui font des efforts pour s'intégrer, et ceux qui rejettent les valeurs de notre société, qui profitent de notre générosité et qui transgressent nos lois. Les immigrés clandestins en font partie.
C'est pourquoi, entre autres, j'approuve, monsieur le ministre, votre projet de création d'un fichier d'empreintes digitales pour les demandes de visas. Il va enfin permettre à nos services de police de lutter efficacement contre une pratique connue de tous et en l'occurrence des clandestins : l'entrée sur notre territoire avec un visa de touriste, puis la destruction de ses papiers d'identité, de sorte que les autorités françaises ne puissent plus connaître la nationalité de l'étranger et l'expulser.
Ce fichier doit être mis en place rapidement. Il permettra de résoudre cette difficulté.
Je me félicite également, monsieur le ministre, de votre volonté de mettre un terme à la pratique honteuse des mariages blancs. Désormais, la durée de vie commune nécessaire à la délivrance de la carte de résident au titre du mariage avec un ressortissant français passera d'un an à deux ans. La participation et l'organisation d'un mariage de complaisance seront sérieusement réprimés en devenant un délit.
De même, les mariages célébrés à l'étranger entre un étranger et une jeune fille française issue de l'immigration en vacances dans son pays d'origine sont - nous le savons tous - parfois contraints, avec toutes les conséquences intolérables que cela peut entraîner.
Grâce à ce texte, les futurs époux devront désormais se présenter personnellement au consulat, ce qui devrait permettre d'enrayer cette pratique d'un autre temps et qui méprise l'individu.
Que dire, en outre, de la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, qui a remplacé l'ancien certificat d'hébergement délivré par les maires pour les étrangers souhaitant un visa pour un court séjour par une simple attestation d'accueil, gratuite et délivrée sans la moindre vérification de la capacité de l'hébergeant à accueillir un ou plusieurs étrangers ?
La réglementation actuelle ne confère en effet aucune compétence au maire pour apprécier l'opportunité de l'accueil d'un étranger par le demandeur de l'attestation d'accueil. Devant seulement s'assurer de l'identité du demandeur et de la réalité de son domicile dans la commune, le maire se trouve de facto démuni pour discerner ou détecter les situations pouvant favoriser le processus d'immigration clandestine.
Et même si le maire a parfaitement connaissance d'une situation qui constitue une entorse à nos lois, il lui est interdit de refuser l'attestation, ce qui est absurde et insupportable. Dans le département de l'Essonne, que je représente ici, de nombreux maires se sont plaints à plusieurs reprises de cette situation.
Grâce à votre projet de loi, monsieur le ministre, le maire pourra désormais refuser de valider l'attestation d'accueil lorsque les demandes précédentes feront apparaître une tentative de fraude ou lorsque le contrôle du logement effectué par l'Office des migrations internationales montrera que les conditions normales, minimales, d'hébergement ne sont pas réunies.
Cette lutte contre l'immigration clandestine passe aussi par l'allongement de la durée maximale de rétention administrative dans le cadre des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Vous proposez de la faire passer de douze jours à un mois. Cette durée, qui se rapproche de celles qui sont appliquées dans les autres États européens, est beaucoup plus réaliste que le délai actuel, totalement incompatible avec les délais habituels de délivrance des laissez-passer consulaires et l'organisation de vols groupés entre Etats de l'Union européenne.
En contrepartie, vous avez prévu d'accorder des garanties supplémentaires aux étrangers maintenus en centres de rétention. Une commission nationale de contrôle des centres et des locaux de rétention sera chargée de veiller au respect des droits des étrangers retenus et aux conditions de leur hébergement.
Comme nous le constatons, vous avez, monsieur le ministre, fait le choix du réalisme et de l'équilibre sur un sujet ô combien sensible et difficile. C'est la raison pour laquelle je soutiens l'esprit de ce projet de loi, qui est juste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le ministre, l'annonce de votre projet de loi a été salué par des militants comme Bertrand Tavernier, parce qu'il mettait en perspective la fin d'une injustice, la fin de la « double peine ». L'examen du texte montre que ce n'est pas encore le cas et que maigres sont les avancées.
Ce que nous avons pris l'habitude d'appeler communément « double peine », ce sont à 95 % les peines d'interdiction du territoire français, les ITF, prononcées par les tribunaux. Pour abolir la « double peine », il faut supprimer l'interdiction du territoire français du code pénal.
D'autres que vous ont semé l'espoir sur ce sujet. Valéry Giscard d'Estaing déclarait : « Personne ne peut être puni deux fois pour le même délit. » François Mitterrand disait : « C'est une atteinte aux droits de l'homme que de séparer de leur famille, et d'expulser vers un pays dont bien souvent ils ne parlent même pas la langue, des jeunes gens nés en France, ou qui y ont passé une partie de leur jeunesse. »
Ces déclarations n'ont pas été suivies de l'abolition de la « double peine », même si l'on ne peut comparer la loi Sapin et la loi Pasqua. Seulement voilà, nous sommes dans le troisième millénaire et les progrès de l'humanité ne sauraient se résumer aux avancées technologiques ou au constat du manque d'audace des prédécesseurs. Tout comme la France est sortie de la barbarie de la peine de mort, grâce à l'indéfectible engagement de M. Robert Badinter, le temps est venu d'abolir la « double peine ». Ce week-end, sur France Inter, une grand-mère juive, enfant de déportés, concluait à l'antenne : « Ce qu'il faut retenir, c'est que tous les hommes sont égaux, quels qu'ils soient, où qu'ils soient. »
Eh bien ! l'interdiction du territoire français transgresse cette règle élémentaire de démocratie, parce qu'elle s'appuie sur une rupture d'égalité devant la loi. La loi prévoit que la condamnation soit proportionnelle à l'infraction à sanctionner et puisse prendre en compte la personnalité du délinquant, mais pas son sexe, sa religion, son appartenance politique ou syndicale, son origine régionale ou ethnique. Sinon, c'est de la discrimination !
Ou alors, il faudrait considérer qu'il y a une double faute, une faute en plus du délit, la faute de venir d'ailleurs, de ne pas être à sa place. Ce serait alors toute une partie de la population qui serait potentiellement en faute, un peu comme les condamnés avec sursis. Et plane alors l'inacceptable suspicion.
On ne peut pas laisser subsister, par le biais de l'interdiction du territoire français, une attitude dont chacun ici se défend, de rejet de l'étranger : cela reviendrait à diffuser l'idée que la France serait harmonieuse sans eux. Or, la France c'est tout le monde, et l'apport de chacun est essentiel. Il n'y a pas eux et nous : eux, c'est nous. Et chez eux, chez nous, c'est ici.
Mais ceux qui font mal à la France, me direz-vous ! Ceux-là ne méritent-ils pas qu'on les éloigne ? Cette question appelle des principes, du pragmatisme et aussi un regard sur le xxie siècle.
Des principes que partagent tous les républicains, mais sur lesquels balbutient les gouvernements depuis plus de cinquante ans : il n'y a pas de population suspecte ; on ne peut pas lier immigration et insécurité ; la loi doit être la même pour tous.
Quant au principe du droit souverain d'un Etat à protéger sa sécurité publique contre les terroristes ou les espions, l'arrêté ministériel d'expulsion, dont la procédure contradictoire, si elle est respectée, garantit le respect des droits de la défense, est amplement suffisant.
Dans le cas de l'ITF, le pragmatisme impose de constater que, dans 80 % des cas, la personne expulsée fait tout pour revenir dans son pays, la France, là où elle a sa vie, ses attaches. C'est alors pour elle la clandestinité, donc la récidive de l'infraction aux règles, ne serait-ce que pour survivre.
Seront alors menacés les actions humanitaires, les amis solidaires, la famille ; le texte envisage même la confiscation des biens.
La générosité et la solidarité sont des valeurs précieuses en 2003, que le Gouvernement aurait tort d'éradiquer.
Il ne faut pas annoncer comme indispensables des mesures inutiles.
Par l'article 14 bis, vous installez l'ITF pour les travailleurs clandestins avec visa de trois mois. C'est injuste, car je maintiens que c'est l'employeur qu'il faut punir. C'est aussi inutile, car l'article 12 de l'ordonnance de 1945 et le décret du 1er octobre 1991 permettent, à droit constant, un retrait du titre de séjour, suivi d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pour activité lucrative sans autorisation.
Et puis, il faudrait regarder dans quel monde nous vivons. Il n'y a vraiment pas besoin d'être sur le territoire d'un pays pour lui faire mal ! Et les horribles actes de terrorisme qui ont secoué la planète montrent, à l'évidence, qu'ils se sont fomentés ailleurs, et que l'ultime exécution locale n'a pas reposé sur les actes d'un condamné !
Tout ce que nous découvrons, des exportations ravageuses pour l'économie du Sud aux baisses du cours du coton, des délocalisations avides de dumping social et environnemental aux ventes d'armes, démontre qu'il y a mille façons de faire mal, et de manière totalement légale ou impunie. C'est là aussi qu'il faut chercher les causes de l'immigration.
L'argent coule à flot entre réseaux de drogue, d'esclavage des femmes, immobilier occulte ou ateliers clandestins. Nous ne pouvons pas punir le petit dealer bronzé, la prostituée slave ou le travailleur au noir, qui verront à leur peine s'ajouter le verdict inique de l'interdiction de territoire, sans que nous puissions en enrayer les causes.
Monsieur le ministre, la « double peine » est discriminatoire, inhumaine, criminogène et archaïque.
Comme pour la peine de mort hier, il est facile pour certains de susciter le faux bon sens, l'irritation émotionnelle, en montrant tel ou tel crime, et en provoquant le rejet. Mais, comme pour la peine de mort hier, il faut tenir bon le cap de l'humanisme et de la justice, il faut abolir la « double peine ».
Pour le reste, la volonté de maîtrise de l'immigration qui inspire ce texte fait peser sur ceux qui vivent ou parviennent en France des contraintes administratives accrues, souvent sans recours, souvent sans réponse possible.
Le Gouvernement se comporte vis-à-vis des étrangers un peu comme le FMI vis-à-vis du Sud, en édictant un ensemble de clauses irréalisables. C'est ce que Aminata Traoré, ex-ministre du Mali, nommait « la danse impossible ».
Les délais s'allongent ; les maires peuvent refuser, par leur simple silence, l'attestation d'accueil ; la naturalisation s'éloigne pour les mineurs adoptés ; les hébergeants d'irréguliers sont condamnables - je pense à ceux de Calais ; la défense peut se réduire aux échanges téléphoniques et la non-signature du PV fait perdre le précieux délai du « jour franc » pour faire valoir les arguments de la défense.
Cet arsenal est si hostile que, dans son zèle à barricader le pays, il a oublié l'humanitaire - je pense notamment aux malades - et les ONG, dont le travail risque d'être enrayé par le parcours kafkaïen imposé.
Pour accueillir, demain, les enfants de Tchernobyl, comment voulez-vous que chaque famille paie 15 euros de taxe, obtienne du maire une attestation d'accueil, lequel maire devra être tenu informé par le consul d'Ukraine ou de Bélarus du devenir du dossier du visa de l'enfant, qui devra fournir photo et empreintes digitales ?
L'entrelacs de conditions à remplir s'avère être une grille que l'on ne franchit pas.
Au fil des amendements, nous essaierons d'éviter le pire. Je pense à des détails douloureux, à l'insalubrité des lieux de rétention, notamment. Je pense aussi à ce qui se passe ailleurs. Comment le Gouvernement fera-t-il passer aux consulats les nouvelles règles, en particulier celles du droit au retour ?
Ce qui doit aussi nous importer, c'est la lisibilité des conditions d'accès à un visa, c'est la garantie que l'arbitraire n'a pas sa place dans les couloirs des bureaux de la France à l'étranger, c'est l'assurance que le droit au retour pourra s'exercer. Nous serons vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC)
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à vous faire part de ma grande satisfaction de voir le Gouvernement s'atteler de nouveau à une tâche ardue avec courage, détermination et discernement.
Le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre, est juste, équilibré et pragmatique.
Pour la première fois depuis longtemps, on ose affronter la question de l'immigration dans sa globalité, sans faux discours ni arrière-pensée. En effet, si vous vous attachez à combattre les filières d'immigration clandestines, sujet qu'il faut aborder avec une très grande rigueur, vous n'oubliez pas cependant de traiter le problème de l'intégration des immigrés en situation régulière.
Notre pays, terre d'immigration, s'est façonné grâce aux migrations historiques cimentées par le ferment républicain. Notre société étant le fruit de cette histoire, il est fort logique aujourd'hui d'oeuvrer pour aider à l'intégration de ceux qui veulent s'investir en France et venir l'enrichir.
Au-delà, la réforme que vous nous proposez s'intègre dans un chantier plus vaste engagé par le Gouvernement, qui regroupe, notamment, le volet relatif au droit d'asile, dont nous discuterons très prochainement. Vous vous efforcez donc, avec vos collègues, en particulier le ministre des affaires étrangères, de traiter l'ensemble des aspects du problème qui nous préoccupe.
Comme vous l'avez précisé, deux thèses s'opposaient jusqu'à présent sur l'immigration : d'un côté, le mythe de l'immigration zéro, dénué de sens, puisque 100 000 personnes environ entrent en France de manière légale tous les ans ; de l'autre, l'ouverture totale des frontières, tout aussi irréaliste, nul besoin d'en détailler les raisons.
Le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre, rompt avec ces extrêmes et, en cela, nous préserve d'une lecture manichéenne et, par conséquent, simpliste et dangereuse, surtout quand on parle d'une thématique propice à tous les fantasmes.
La force de ce texte réside dans son équilibre, sa pondération et la détermination avec laquelle vous le soutenez.
Je me félicite donc des trois grands axes que vous avez balisés, à savoir la lutte contre l'immigration irrégulière et contre les filières, l'intégration des étrangers en situation régulière, la réforme de ce que l'on appelle communément la « double peine ». En cela réside toute la justice et l'équilibre de ce texte.
La justice, d'abord, car il faut prendre des mesures fortes contre l'immigration irrégulière et les filières d'immigration clandestine, qui relèvent de l'esclavagisme moderne. Parmi les mesures allant dans cette direction, on trouve le renforcement des sanctions contre les passeurs et les transporteurs de clandestins, la création d'un fichier d'empreintes digitales pour les demandeurs de visa, ou encore la lutte accrue contre les paternités et les mariages de complaisance.
Il est par ailleurs normal de tenir compte des étrangers ayant un engagement avec notre pays, en préservant de la peine d'interdiction du territoire français un étranger que son histoire personnelle rattache à la France. Autrement dit, vous rendez la « double peine » inapplicable dans certains cas, ce qui met fin à des situations parfois absurdes qui consistaient à renvoyer un étranger intégré en France dans un pays d'origine avec lequel il n'avait plus de liens, au risque de détruire, parfois, une famille. En cela, monsieur le ministre, votre projet de loi est non seulement juste, mais également empreint d'humanisme.
Un autre point fort de la réforme que vous nous soumettez concerne l'introduction, dans notre droit, de la notion d'« intégration ». Désormais, pour obtenir une carte de résident, il faudra remplir une condition d'intégration : connaître la langue française ainsi que les principes fondateurs de notre République, notamment. En plaçant cette notion au coeur du projet de loi, vous subordonnez la possibilité de résider en France à un acte de volonté fort de la part de l'étranger. Il est normal que cette volonté soit récompensée si elle est le fruit d'un effort et d'une démarche réelle et positive.
Sur un autre versant, votre texte renforce considérablement le pouvoir d'appréciation et de décision des maires. En ma qualité de maire, je me réjouis des capacités d'action et d'appréciation accrues dont ces élus les plus proches des réalités du terrain seront désormais détenteurs. Ce point est d'autant plus appréciable qu'il était devenu plus que nécessaire de combler les failles introduites par la loi RESEDA, notamment au sujet des attestations d'accueil. Sous l'effet de cette loi, qui obligeait le maire à valider une attestation d'accueil, le nombre de ces attestations a quadruplé entre 1998 et 2002. Désormais, grâce aux mesures que vous nous soumettez, les maires pourront refuser de valider une attestation d'accueil en cas de détournement de procédure ou d'inadaptation du logement de l'hébergeant.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas leur rôle !
M. Christian Demuynck. C'est vrai, ce n'est pas leur rôle aujourd'hui, mais cela va le devenir avec cette loi.
M. Robert Bret. Ce n'est pas un service à leur rendre !
Mme Nicole Borvo. En effet ! Nous verrons bien !
M. Robert Bret. Un képi et un sifflet pour chaque maire !
M. Christian Demuynck. Bien que ce point fort du texte fasse encore débat, notamment sur le point de la vérification des bonnes conditions d'hébergement, il constitue une avancée majeure qui mérite d'être soulignée. C'est une bonne mesure que de permettre aux services sociaux des communes de vérifier si les conditions d'hébergement sont réunies, et je pense qu'il serait même souhaitable d'élargir la possibilité d'habilitation à l'ensemble du personnel municipal, afin d'augmenter la marge de manoeuvre des maires.
Enfin, en tant que sénateur de la Seine-Saint-Denis, je me dois de revenir un instant sur le serpent de mer que constitue l'utilisation, ou plutôt la non-utilisation, de la salle d'audience de l'aéroport de Roissy, aéroport que vous avez qualifié, monsieur le ministre, de « première frontière de France ».
Je sais, pour vous avoir entendu il y a quelques minutes à ce sujet, qu'il vous tient à coeur de régler au mieux ce problème. Je me limiterai donc à rappeler le paradoxe que constitue, d'une part, la non-utilisation de cette salle construite sous le gouvernement Jospin, qui contribue à l'engorgement du tribunal de grande instance de Bobigny,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Très juste !
M. Christian Demuynck. ... - problème récurrent, comme nous en avons encore eu la démonstration la semaine passée - et, d'autre part, la mobilisation de soixante fonctionnaires de la police de l'air et des frontières chargés uniquement du transport des étrangers en situation irrégulière entre l'aéroport et le tribunal.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est vrai !
M. Jacques Mahéas. C'est une vraie pétaudière !
M. Christian Demuynck. Il est urgent de régler ce problème en concertation avec M. le ministre de la justice.
Mme Nicole Borvo. C'est incroyable !
M. Christian Demuynck. Je tenais à insister sur un dernier point qui m'apparaît majeur : nous sommes nombreux à penser que, sur le thème de l'immigration, rien ne peut se régler de manière unilatérale. Or, vous avez émis le souhait de prendre en considération tous les facteurs du problème en encourageant la coordination avec nos partenaires européens, tant il est évident que la politique migratoire ne peut être, à terme, réellement maîtrisée qu'à l'échelle et avec les moyens de l'Union européenne.
Il faut noter, enfin, la volonté d'associer à votre action nationale les pays d'origine des immigrants, partant du principe que seule la passation d'accords avec les Etats concernés permettra la mise en oeuvre d'une politique efficace.
Monsieur le ministre, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer et pour le courage et la détermination que vous mettez dans l'accomplissement de cette réforme d'envergure - comme vous l'avez fait par le passé pour toutes celles que vous avez menées -, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On s'en doutait !
Mme Nicole Borvo. Quelle surprise !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord dire combien j'ai apprécié cette discussion, véritable débat de politique générale sur l'immigration. Chacun a parlé avec coeur et, en même temps, avec un souci de modération, reconnaissant que le texte ne pouvait pas être englobé dans un seul jugement, qu'il y avait plusieurs lectures, et que, par ailleurs, les questions d'immigration étaient si complexes qu'elles ne s'accommodaient pas d'idées simplistes.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de votre travail, excellent comme à l'accoutumée. J'ai particulièrement apprécié l'un de vos arguments, que je n'avais pas moi-même avancé, à savoir que l'immigration clandestine, avec tous les problèmes qu'elle suscite, entretient, chez nos compatriotes, le doute sur l'utilité des politiques successives et, partant, une certaine perte de confiance en l'Etat. A quoi bon, se disent-ils, puisque, de toute manière, soit ils ne veulent rien faire, soit ils ne peuvent rien faire...
Ce constat peut nous rassembler : la mise en cause de l'Etat, quels que soient les gouvernements, trouve notamment sa traduction dans le sentiment d'inefficacité des politiques de lutte contre l'immigration clandestine.
Je ne reviendrai pas sur la description détaillée que vous avez faite de toute les failles du dispositif actuel. J'y adhère, vous le savez. Je vous remercie également de l'analyse tout aussi pragmatique que juridique à laquelle vous avez procédé.
Comme vous l'avez souligné, c'est la première fois qu'un gouvernement place l'intégration au coeur de sa politique migratoire. Oui, je revendique cette décision, même si, monsieur le rapporteur - et c'est un problème français - nous sommes l'un des rares pays dont les gouvernements sont ainsi constitués que plusieurs ministères s'occupent de l'immigration. En France, ils sont au moins trois : le ministère des affaires étrangères, qui a vocation à défendre la place et le rayonnement de la France ; le ministère chargé des affaires sociales, qui a, lui, essentiellement pour vocation de distribuer des allocations sociales ou des secours souvent nécessaires ; le ministère de l'intérieur, qui a la sécurité pour priorité.
Savez-vous que, dans douze des quinze pays que compte l'Union européenne, la politique de l'immigration relève exclusivement du ministère de l'intérieur ? Non que je formule ici une quelconque revendication en la matière (Sourires), mais simplement pour prendre une référence. J'en profite pour relever que l'un des problèmes de l'action gouvernementale, de gauche comme de droite, réside dans le fait que certaines questions relèvent, en France, de plusieurs ministères et que l'organisation de notre administration ne permet pas de les embrasser dans leur ensemble.
Ne voyez ici nulle critique à l'égard de qui que ce soit. Il s'agit simplement d'une constatation. Ainsi, le problème de la prévention concerne huit ministères. De surcroît, la succession des textes ne permet pas toujours une très bonne lisibilité des dispositifs, je le reconnais bien volontiers.
Monsieur le rapporteur, je retiens les critères d'une bonne loi que vous avez dégagés : humanité, efficacité, application à tous sans aucune distinction.
La commission des lois a amélioré le texte du projet de loi, ce dont je me félicite. Des garanties supplémentaires ont été prévues pour la période de rétention, ce qui était nécessaire. Le droit de la nationalité a été modifié pour renforcer l'intégration, ce qui était également nécessaire. Nous essaierons de l'enrichir un peu plus encore au cours de la discussion des articles. En tout cas, soyez bien conscients, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, de toute la considération que vous porte le Gouvernement.
Madame André, je vous remercie d'avoir commencé votre propos en relevant la réforme de la « double peine ». Vous l'avez fait dans des termes très équilibrés et assez courageux. Oui, madame André, c'est un combat que nous pouvons partager ! D'ailleurs, il n'y a pas de honte, sur certains sujets, à ce que majorité et opposition partagent des combats. Je voudrais d'ailleurs vous rappeler, madame André, que, sur certains combats du précédent gouvernement, je n'avais pas hésité moi-même à être minoritaire dans l'opposition.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Of course !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et ce n'était pas le plus simple !
S'agissant des femmes, madame André, j'ai également écouté les associations de femmes issues de l'immigration. J'ai lu le rapport du Haut Conseil à l'intégration. Le problème des violences conjugales mérite incontestablement d'être pris en considération. Mais, vous l'avez noté, un amendement a été déposé en ce sens, et le Gouvernement est prêt à aller un peu au-delà.
En revanche, madame André, je ne partage pas votre point de vue concernant la situation des épouses. Selon votre interprétation, le projet de loi rendrait leur situation encore plus précaire. J'ai une interprétation parfaitement inverse. L'épouse aura désormais des papiers pour elle-même et non pas en tant qu'épouse de son mari. Je ne vois pas au nom de quoi le fait de reconnaître à une femme la possibilité d'obtenir des papiers pour elle-même rendra sa situation plus précaire. Au contraire, cette disposition lui permettra de sortir de son isolement. J'espère que le débat contribuera à lever tous les malentendus.
Vous avez dit que les mariages mixtes augmentaient avec la mondialisation, ce qui est vrai. Mais ce qui augmente aussi, c'est le nombre de jeunes filles victimes d'un mariage forcé ou d'un mariage de complaisance.
M. Robert Bret. Ce n'est pas la même chose !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous avez évoqué la dignité des personnes dans les centres de rétention. C'est une véritable question. Il y a beaucoup à faire, madame André, mais il ne fallait surtout pas que vos amis se gênent pour le faire avant que j'arrive au Gouvernement !
M. Jacques Mahéas. On a essayé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. De ce point de vue, je reconnais bien volontiers que j'ai hérité d'un réseau de centres de rétention dont certains éléments ne sont pas à la hauteur. Mais il ne fallait pas vous gêner, en cinq ans, pour remédier au problème ! Je suis ministre de l'intérieur depuis seize mois, il y a beaucoup à faire, c'est vrai, et je le dis à M. Bret aussi. Franchement, ne soyez pas si cruels avec le gouvernement auquel vous avez appartenu ou que vous avez soutenu !
M. Robert Bret. Nous l'avons dit au gouvernement précédent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je parle surtout à Mme André ! Je ne pense pas que vous ayez encore été ministre, monsieur Bret ! On peut le regretter, mais c'est ainsi !
Il ne fallait surtout pas vous gêner pour faire en cinq ans ce qu'il me serait reproché de ne pas avoir fait en seize mois !
Sur le fond, j'en conviens : il faudra améliorer ces centres. Je ne partage pas, en tout cas, le point de vue de M. Dreyfus-Schmidt : tous ne sont pas des hontes ! Les conditions dans les zones ZAPI 2 et ZAPI 3 sont parfaitement respectueuses des droits de l'homme !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vrai ! C'est l'exception qui confirme la règle !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je conduirai dans l'année qui vient une action très forte de modernisation, car je n'oublie pas que le centre de rétention, si ce n'est pas la liberté, ce n'est pas la prison non plus. D'ailleurs, même si c'était la prison, ce ne serait pas une raison pour que les conditions y soient indignes.
Mme Payet a évoqué le problème de l'immigration outre-mer, qui a de réelles spécificités. Je me suis moi-même rendu en Guyane, monsieur Othily, où la frontière avec le Surinam ne simplifie pas les choses ! J'y reviendrai, et je dirai à Mme Payet, dans le courant du débat, ce que l'on peut faire plus particulièrement pour l'outre-mer.
M. Gélard a principalement consacré son propos aux étudiants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et même uniquement à eux !
M. Robert Bret. C'était un discours de doyen ! (Sourires.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je partage totalement sa conviction. Je lui répondrai simplement que, l'an passé, nous avons augmenté de 13 % le nombre de visas pour les étudiants étrangers. Cela étant, qu'il soit bien clair que nous n'accueillons pas les étudiants étrangers pour qu'ils restent en France ! Quand vous pensez que les médecins béninois sont plus nombreux aujourd'hui à exercer en France qu'au Bénin ! Qui pourrait soutenir que la France a un plus grand besoin des médecins béninois que le Bénin ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo. Sans eux, il n'y a plus d'urgences !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avons besoin d'eux !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ajoute que, si nous formons les élites des pays en voie de développement, c'est pour que, une fois formées, elles retournent dans leur pays ! Je ferai un certain nombre de propositions à M. Gélard sur ce point.
Monsieur Bret, vous avez dit que nous avions des besoins démographiques et économiques. Je suis d'accord avec vous, mais la seule politique possible, la seule, c'est de parvenir à moins d'immigration irrégulière pour pouvoir accueillir davantage de migrants réguliers ! La France ne peut pas accueillir à la fois des migrants réguliers et des migrants clandestins. Il faut donc moins de clandestins pour plus de réguliers.
Vous relevez le doublement des flux d'immigration dans les années récentes. Certes, tous nos concitoyens sont d'accord sur le constat. Mais, au-delà ? Que proposez-vous, une fois le constat dressé ? Nous sommes curieux de connaître les mesures concrètes que vous avancez pour mettre un terme à cette augmentation !
Il me souvient qu'au début des années quatre-vingt le parti communiste avait soutenu une mesure qui ne m'avait pourtant pas semblé avoir été couronnée de succès. Vous vous souvenez certainement de cette affaire dont on a beaucoup parlé à l'époque ; cela se passait dans le Val-d'Oise et cela s'était réglé avec des bulldozers... Il ne me semble pas que c'était un exemple de démocratie et de respect des droits de l'homme.
Puisque vous reconnaissez, monsieur Bret, que les flux migratoires ont doublé - pour notre part, nous pensons qu'ils ont plus que doublé -, que nous proposez-vous ? Que fait-on ? Doit-on les accepter ? Doit-on observer le phénomène ou bien agir ?
Je n'ai jamais dit, monsieur Bret, parce que je ne le pense pas, que l'immigration menaçait notre identité nationale. Jamais !
Par ailleurs, il n'y a pas, et vous le savez, de privatisation des centres de détention. En revanche, et il faut dire les choses telles qu'elles sont, les prisons gérées par le privé sont bien plus respectueuses de la dignité des personnes que, par exemple, la prison de la Santé. (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
Madame Borvo, j'ai été plus longtemps avocat que ministre de l'intérieur et, à ce titre, je me suis souvent rendu dans les prisons !
Mme Nicole Borvo. La prison de la Santé n'est pas bien du tout, je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre ! (Mme Nicole Borvo rit.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Moi, cela ne me fait pas rire !
On ne peut pas dire que l'expérience de « semi-privatisation » des centres de détention se soit traduite par un affaiblissement de la dignité humaine, bien au contraire !
Le programme Chalandon - on sait ce qu'il recouvre - a permis la construction de prisons neuves dans lesquelles les détenus connaissent de meilleures conditions matérielles que dans les anciennes prisons.
M. Robert Bret. Ce n'est pas ce qui est dit dans les rapports d'enquête !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ne serait-il pas possible, monsieur Bret, de faire de même pour les centres de rétention, puisque vous souhaitez - encore une fois, je suis d'accord avec vous sur ce point - qu'ils soient plus dignes ?
L'Europe propose, selon vous, des normes minimales. Ce n'est pas vrai. La directive européenne sur les passeurs, les transporteurs et sur les résidents de longue durée ne constitue pas une norme minimale. Ne voyez pas systématiquement en l'Europe une adversaire !
Monsieur Bret, il n'est tout de même pas anormal que la France observe ce que font ses voisins. Il s'agit non pas de s'aligner sur leur politique, mais d'en tenir compte ! Dans le cas contraire, cela signifierait donc que nous devrions être les seuls en Europe à accueillir des clandestins, c'est-à-dire à la fois les clandestins se rendant en France et ceux dont tous les autres pays européens ne voudraient pas ? Il n'est pas anormal qu'un Gouvernement observe ce que font ses voisins et cherche, compte tenu surtout de la mise en place de l'espace Schengen, à harmoniser les situations. Il ne s'agit pas d'harmoniser par le bas. Mais il ne me paraît pas absurde de regarder ce que font les autres...
M. Jacques Mahéas. Ce que font les socialistes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... - y compris les socialistes, monsieur Mahéas - afin de ne pas être confrontés à des problèmes supplémentaires.
Vous me dites, monsieur Bret, que vous discuterez chaque article. Quand on est ministre et que l'on vient défendre un texte devant le Sénat, c'est bien pour qu'il soit discuté. Je n'ai jamais pensé que tel ne serait pas le cas et que vous me feriez crédit de certaines dispositions.
Monsieur Othily, je vous remercie de vos propos sur la philosophie du texte. Venant de vous et de votre groupe, ils ont du poids et j'y ai été très sensible. Vous avez déposé des amendements dont nous discuterons.
Je dirai simplement, à ce stade de la discussion, que nos principes constitutionnels doivent être respectés, vous le savez très bien. Par exemple, je ne vois pas comment l'on pourrait ne pas appliquer la réforme de la « double peine » en Guyane, là où, précisément, étaient relégués les condamnés au bannissement.
Je me suis rendu voilà quelques mois en Guyane. Mesdames, messieurs les sénateurs, reconnaissons-le, la situation, pour nos compatriotes de ce territoire d'outre-mer, est parfaitement anormale. Nous parlons aujourd'hui d'immigration, or - disons les choses telles qu'elles sont, de manière mesurée - là-bas, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il suffit de circuler sur le Maroni pour le comprendre. Il suffit de se rendre dans les rues de Cayenne pour voir quels problèmes se posent avec les Guyaniens, lesquels ne sont pas les habitants de la Guyane.
On peut comprendre l'exaspération de nos compatriotes de ce territoire de France - nous aurons l'occasion d'en parler -, mais les mêmes règles doivent s'appliquer partout.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je tiens à vous féliciter. Aucun combat n'est donc perdu d'avance ! J'ai cru comprendre que vous étiez plutôt favorable au fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs de visas. Vous n'avez pas peur d'un fichier, je ne pensais pas que cela puisse arriver ! C'est une progression extraordinaire.
M. Jacques Mahéas. Nous avons mis en place quelques fichiers. Cela nous est arrivé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En général, vous vous montrez bien plus cruel, monsieur Dreyfus-Schmidt. Je rends hommage à votre objectivité : vous convenez que ce fichier est nécessaire. Vous en tirez certes la conclusion qu'il ne faut rien faire d'autre, mais enfin, je ne boude pas mon plaisir et vous sais gré du soutien que vous m'apportez, en tout cas sur ce point.
De fait, cette mesure me semble parfaitement digne et respectueuse. Nous avons tous été amenés, à l'époque des anciennes cartes d'identité, à déposer nos empreintes digitales. Je l'ai moi-même fait, je m'en souviens, pour l'obtention de ma première carte d'identité. Je ne pense pas que cela soit traumatisant !
Nous aurons à débattre du rôle des maires. Moi, je leur fais confiance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A tous ?
M. Jacques Mahéas. Même au maire d'Orange ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Sauf un ! Il me semble difficile de juger devant la Haute Assemblée de l'état d'esprit des maires en général, qui sont 36 500, à partir d'un cas que, comme vous, je combats.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Jacques Mahéas. Il y en a plus d'un !
M. Robert Bret. Et celui de Marignane ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Que constate-t-on, monsieur Dreyfus-Schmidt ? Pour l'essentiel, les maires, quelle que soit leur couleur politique, témoignent d'un pragmatisme, d'un équilibre et d'un souci d'être entendus de tous qui se comprennent très bien. Ils sont eux, au contact direct des électeurs, et ceux qui les élisent ne sont pas que de droite ou de gauche. C'est beaucoup plus compliqué que cela ! Les maires ont en général le souci de rassembler. Je crois donc que la politique de l'Etat gagne en humanité à faire confiance aux maires. Je suis profondément convaincu que, sur le terrain, les maires se montreront plus humains qu'une administration centralisée dans sa construction et quelque peu désincarnée.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous serons amenés à en discuter au cours du débat. Il s'agit là d'un vrai sujet, peut-être de désaccord, mais ce n'est pas un sujet médiocre.
S'agissant du délai de rétention, à ma connaissance, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, dont les délais sont illimités, sont également d'anciennes puissances coloniales, tout comme l'Espagne. On peut ne pas approuver ce délai, mais je ne vois pas bien quel rapport cela a avec le fait que nous soyons une ancienne puissance coloniale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'Algérie !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. S'agissant des conventions européennes en matière de réadmission, je vous communiquerai la convention type. En effet, ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant que le Sri Lanka ait accepté cette convention, monsieur Dreyfus-Schmidt - même si c'est, bien sûr, important -, c'est que ce soit l'Union européenne qui l'ait proposée, d'où le délai d'un mois. Je n'imagine pas, en effet, que l'Union européenne puisse proposer un délai qui ne serait pas respectueux des droits de l'homme.
En ce qui concerne la « double peine », vous proposez de supprimer l'interdiction du territoire et de la remplacer par l'expulsion. Que n'aurais-je entendu si je vous l'avais proposé ! Ce n'est pas, en effet, l'interdiction du territoire qui pose problème, c'est son application, c'est-à-dire l'expulsion. Par conséquent, si l'on supprime toutes les interdictions du territoire...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les interdictions judiciaires !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... mais que l'on conserve la possibilité d'expulser, cela n'améliorera pas du tout la situation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les interdictions judiciaires !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ah ! Cela, c'est autre chose, et nous aurons l'occasion d'en parler, mais l'expulsion n'est que l'aboutissement de l'interdiction du territoire. Une interdiction du territoire sans expulsion n'est rien. Si j'avais déclaré devant la Haute Assemblée : « Supprimons l'interdiction du territoire, mais conservons l'expulsion », le groupe socialiste n'aurait pas manqué de se lever et de me dire : « Mais pour qui nous prenez-vous ? »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les interdictions judiciaires !
Mme Nicole Borvo. L'expulsion administrative est conservée, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous aurons également à en débattre.
Monsieur Béteille, vous vous êtes livré à une démonstration très brillante sur ce que doit être une politique migratoire digne de notre pays. Or le problème est que nous n'avons pas, en France, de politique d'immigration !
Mme Nicole Borvo. Comment cela ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Non, nous n'en avons pas. Je suis désolé. Je ne prétends pas qu'il n'y ait pas lieu de débattre ou de critiquer mes propositions, mais permettez-moi de vous dire que la France n'avait pas de politique d'immigration définie comme telle. L'intervention de M. Béteille, de ce point de vue, m'a paru extrêmement claire.
Vous avez, monsieur le sénateur, procédé à une lecture approfondie de chacune des mesures contenues dans ce projet de loi, ce qui évite les contresens et les amalgames. Je vous en remercie.
Madame Blandin, vous avez évoqué mes discussions avec Bertrand Tavernier. Oui, j'en ai eu beaucoup, mais vous vous trompez quant à leurs conclusions. Je ne prétends pas que mes propositions sur le problème de la « double peine » sont parfaites. J'affirme cependant du haut de cette tribune qu'elles recueillent l'assentiment de tous ceux qui, pour avoir payé souvent cher de leur personne leur combat contre la « double peine », connaissent bien ce sujet. Je pense par exemple au pasteur Costil, qui a fait de nombreuses et douloureuses grèves de la faim. J'ai également discuté de cette réforme avec ces gens-là.
Nous aurions pu, certes, aller plus loin, mais je crois pouvoir dire, sans les « mouiller », qu'aucun de ceux qui ont travaillé sérieusement sur ce sujet ne pense que mes propositions sont insuffisantes, voire qu'elles ne sont rien.
Madame Blandin, vous vous êtes exprimée sur un ton extrêmement calme et pondéré, je vous en remercie. Mais je ne voudrais pas que l'on minimise l'importance des changements que, je l'espère, la Haute Assemblée acceptera.
Vous avez, vous aussi, madame Blandin, procédé à une longue analyse de l'interdiction du territoire français. Vous dites que réformer la « double peine », c'est forcément supprimer l'ITF.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Judiciaire !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je ne partage pas cet avis, et ce pour deux raisons.
L'ITF concerne, dans 6 000 cas sur 7 000, des étrangers en situation irrégulière et n'ayant aucun lien avec notre pays. Supprimer l'ITF signifierait donc garder des étrangers qui n'ont aucun lien avec notre pays. Telle n'est pas la politique du Gouvernement. L'ITF, ce n'est pas que la « double peine ». J'irai même plus loin : la « double peine », ce n'est pas que l'ITF.
La plupart des étrangers qui sont frappés d'interdiction du territoire font également l'objet d'une expulsion, vous le savez d'ailleurs fort bien. Par conséquent, supprimer l'ITF pour résoudre le problème posé par la « double peine » ne réglerait pas le cas de ceux qui sont également sous le coup d'une expulsion.
Enfin, monsieur Demuynck, votre soutien m'est d'autant plus précieux que, en tant que maire d'une commune de la région parisienne, vous connaissez bien ces questions. Vous l'avez parfaitement compris : ce que je souhaite avant tout, c'est être entendu de ceux qui connaissent et vivent ces problèmes.
J'étais à Clichy voilà trois jours, à l'invitation d'un maire socialiste, et je puis vous dire que le témoignage des gens que j'ai rencontrés sur le terrain est accablant : ils n'en peuvent plus !
Quant à l'affaire de la salle d'audience de Roissy, le principe de sa création remonte à 1992, sous un gouvernement socialiste.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a eu tort !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La décision de construire cette salle d'audience, monsieur Dreyfus-Schmidt, quant à elle, date de 2001, toujours sous un gouvernement socialiste.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a eu tort !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Eh bien, après onze années d'attente, le temps est venu de l'utiliser. Il n'y a aucune raison de ne pas s'en servir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez tort !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La commission a déposé des amendements et le Gouvernement y fera droit, mais il s'agit désormais de savoir qui décide dans notre pays : est-ce bien le législateur ou est-ce que ce sont des intérêts corporatistes qui voudraient faire peser sur lui une pression qui n'a pas lieu d'être ?
Une salle d'audience a été financée avec l'argent du contribuable. Elle ne demande plus qu'à être utilisée, dans un département qui a besoin de place pour ses policiers et ses magistrats, dont l'immense majorité pensent comme vous, monsieur le sénateur. Ce petit groupe de magistrats - qui sont davantage des magistrats politisés que des magistrats - voudrait faire pression sur le législateur ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Allons, allons !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il faut le dire ! Mesdames, messieurs les sénateurs, les responsables politiques que nous sommes doivent avoir la parole aussi libre que ceux qui, de l'extérieur, donnent des leçons à tout le monde, avec un sentiment total d'impunité idéologique. Le fait d'être élu donne au moins autant de droits que celui d'être le représentant d'une petite dizaine de personnes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mahéas. Ne généralisons pas !
M. Christian Demuynck. Bravo !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. De ce point de vue, le Gouvernement fera droit à la demande du législateur.
Telles sont, monsieur le président, les réponses que je tenais à apporter, brièvement, à chacun des intervenants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)