Section 3
Dispositions diverses et de coordination
M. le président. « Art. 24 A. - Il est inséré, après l'article 706-53 du code de procédure pénale, un article 706-53-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-53-1. - L'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 se prescrit par trente ans.La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces crimes se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.
« L'action publique des délits mentionnés à l'article 706-47 se prescrit par vingt ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces délits se prescrit par vingt ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 110 est présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 336 est présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparenté et rattachée.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 110.
M. François Zocchetto, rapporteur. Il s'agit d'une question importante, que nous avons évoquée lors de nos débats la semaine dernière et sur laquelle j'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'exprimer. Nos collègues députés souhaitaient que le délai de prescription en matière d'infractions sexuelles soit porté à trente ans, à compter du jour de la majorité de la victime, pour les crimes et à vingt ans pour les délits.
Nous avons voté une série de dispositions concernant les délinquants sexuels. Je rappelle les trois dispositions majeures. La première, c'est le fait de ne plus limiter dans le temps le suivi socio-judiciaire, et donc médical, des condamnés pour infractions sexuelles. La deuxième disposition, c'est la création d'un fichier automatisé des délinquants sexuels. La troisième disposition, c'est la possibilité d'enrichir le fichier des empreintes génétiques en permettant la prise forcée d'empreintes. Ces dispositions nous paraissent nettement préférables à une nouvelle dérogation au régime des prescriptions en droit pénal français.
Depuis quelques années, on observe une multiplication des dérogations au régime des prescriptions. Cela ne paraît ni sain ni raisonnable. Si on doit tendre vers l'imprescriptibilité, discutons-en ! Je ne suis pas certain que cela soit le souhait du Parlement, pas même, probablement, de l'opinion. Si nous devons réexaminer le régime actuel des prescriptions, à savoir dix ans pour les crimes et trois ans pour les délits, ouvrons le chantier et consultons. Aujourd'hui, un problème se pose compte tenu de l'allongement de la durée de vie, des modifications dans les méthodes d'investigation grâce aux nouvelles techniques qui permettent d'ouvrir ou de poursuivre les enquêtes beaucoup plus tard qu'autrefois. En outre, l'opinion est très revendicative sur ce point, même s'il ne faut pas légiférer sous la pression des événements. Cela me donne à penser qu'il y a réellement matière à réfléchir sur le sujet.
Il nous faudra sans doute envisager, le moment venu, une modification globale. Cependant, en matière d'infractions sexuelles, je propose, puisque vous avez retenu le dispositif que la commission des lois vous a soumis la semaine dernière, de ne pas créer une dérogation supplémentaire. En effet, celle-ci générerait un certain nombre d'incohérences. Ainsi, le délit d'exhibition sexuelle serait punissable pendant vingt ans après la majorité de la victime, alors que l'assassinat ne serait punissable que dix ans après sa commission ! Voilà le type d'incohérence auquel nous aboutirions. Il ne faut pas nous égarer sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour défendre l'amendement n° 336.
M. Robert Badinter. Il n'est pas concevable de continuer à statuer de façon parcellaire sur les durées de prescription. Il faut harmoniser le régime des prescriptions et cesser de les fixer au gré des pulsions de l'opinion publique. Je ferai une remarque plus générale : dans ce domaine, le calcul de la prescription s'effectuant à partir de la majorité sexuelle, la victime est tout à fait à même, à ce moment-là, d'agir. Donc, on ne voit pas très bien ce que la prolongation du délai de prescription peut entraîner comme conséquences pratiques.
Mais là n'est pas la question. A l'évidence, il faut maintenant, si on le souhaite, remettre à plat, repenser complètement le régime des prescriptions.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Au Palais-Bourbon, lorsqu'un amendement a été déposé pour introduire le dispositif que vous proposez de supprimer à travers les amendements n°s 110 et 336, je m'en étais remis à la sagesse de l'Assemblée.
Sur le fond, je partage l'analyse de M. le rapporteur et de M. Badinter. Nous sommes devant une situation un peu difficile. Il faut tenir compte de la sensibilisation de l'opinion à certains crimes et de l'évolution des techniques d'enquête. M. le rapporteur a raison, un certain nombre de choses deviennent possibles aujourd'hui au-delà de dix ans, alors que voilà une vingtaine d'années cela n'avait aucun sens. Cependant, prenons garde à la justice au carbone 14. Au-delà d'une certaine période, il est très difficile de rendre la justice.
Le travail d'un juge consiste à comparer les faits avec le code pénal. Les faits doivent être avérés. Au-delà d'une certaine période, il n'y a plus de preuves matérielles, il peut y avoir des témoignages, en général contradictoires, c'est alors la parole de l'un contre la parole de l'autre ; cela devient terriblement difficile. Aussi, je partage la position de fond selon laquelle nous devons essayer, dans le calme, autant qu'il est possible sur des matières extrêmement sensibles, de faire une analyse générale des choses. Elargissons le débat, au-delà même du Parlement. Nous ne pourrons pas légiférer durablement si le débat ne permet pas une certaine décantation, un certain dialogue, en particulier avec le tissu associatif, qui a besoin d'explications et de ce dialogue.
C'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse du Sénat. Evitons de légiférer au coup par coup.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 110 et 336.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 24 A est supprimé.
Article additionnel après l'article 24 A
M. le président. L'amendement n° 276 rectifié, présenté par M. Fauchon, est ainsi libellé :
« Après l'article 24 A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 7 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 7. - En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où le crime a été commis, quelle que soit la date à laquelle il a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.
« S'il a été effectué dans cet intervalle des actes d'instruction ou de poursuite, elle ne se prescrit qu'après vingt années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite. »
« II. - L'article 8 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 8. - En matière de délit, l'action publique se prescrit par sept années si le délit est puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et par trois années dans les autres cas, à compter du jour où le délit a été commis, quelle que soit la date à laquelle il a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article précédent.
« Le délai de prescription de l'action publique des délits commis contre des mineurs prévus et réprimés par les articles 222-9, 222-11 à 222-15, 222-27 à 222-30, 225-7, 227-22 et 227-25 à 227-27 du code pénal ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers. »
« III. - Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux infractions commises avant la publication de la présente loi. »
La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Le vote qui vient d'intervenir et les explications qui l'ont précédé sont une excellente introduction à l'amendement que je présente, puisqu'il concerne le problème des prescriptions. Tout le monde l'a dit, notre régime de prescriptions n'est pas satisfaisant, il éclate en se diversifiant et perd donc la logique et la clarté qui sont indispensables dans ce domaine, aussi longtemps que l'on voudra qu'il y ait des prescriptions, ce qui est dans notre conception juridique. Les Anglo-Saxons ne la connaissent pas. Mais nous, nous avons les raisons qui ont été rappelées, en particulier le dépérissement des preuves, l'évolution de la société et une certaine idée de rémission qui est dans notre philosophie. Elles justifient l'existence des prescriptions. Encore faut-il que celles-ci soient logiques et correctement appliquées.
Or une lacune de notre droit donne lieu, ce qui est compréhensible, à une jurisprudence très riche, elle-même diversifiée et pas toujours cohérente. L'article 7 du code de procédure pénale précise : « En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis. En revanche, s'agissant des délits, l'article 8 dispose simplement : « En matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues. » Il ne précise pas, comme pour les crimes, « à compter du jour où le délit a été commis ». Il y a donc là une lacune, dont j'ignore l'origine.
Depuis plusieurs décennies, la jurisprudence a évolué. Il en est résulté une situation certes compréhensible mais choquante. Cette situation est compréhensible dans la mesure où ces délais de prescription - dix ans pour les crimes et trois ans pour les délits - correspondent à une société du début du xixe siècle, époque à laquelle les gens étaient moins nombreux, les relations humaines beaucoup plus directes, les activités économiques avaient un caractère artisanal ou quasi artisanal. Il était tout à fait concevable que l'on instaure des prescriptions relativement brèves.
Mais aujourd'hui le monde est beaucoup plus complexe et ces durées de prescription sont devenues trop courtes, tant pour les crimes que pour les délits. Je rappelle que l'on poursuit actuellement un criminel pour l'assassinat d'un certain nombre de jeunes filles. Ces faits remontent à plus de dix ans. On a rencontré quelques difficultés pour trouver une circonstance interruptive de prescription afin de ne pas laisser impunis ces assassinats particulièrement odieux. Par conséquent, en matière de crimes, la prescription de dix ans se révèle trop courte. Pour les délits, c'est encore plus vrai. En effet, trois ans en matière d'affaires complexes, c'est trop court.
La jurisprudence a trouvé une solution, et je ne la blâme pas. Puisque le texte ne fixe pas le point de départ de cette prescription de trois ans, elle a considéré que ce point de départ peut faire l'objet d'une appréciation par la jurisprudence et que, dans certains cas, mais pas dans tous, celui-ci peut être le jour où la faute, le délit, s'est révélé dans des conditions permettant les poursuites. Or la formulation qui exige la révélation d'un délit « dans des conditions qui permettent des poursuites » pose des difficultés d'interprétation et peut donner lieu à des jurisprudences variables.
J'observe en outre que cette jurisprudence est appliquée dans certains cas, et chacun sait que je pense aux abus de biens sociaux et au recel d'abus de biens sociaux. Mais, en ce qui concerne le faux et l'usage de faux, par exemple, on en est resté à l'interprétation classique et, au fond, normale : c'est la date du faux ou la date de l'usage du faux qui fait courir la prescription. Or, par définition, le faux est dissimulé et on pourrait tout aussi bien raisonner pour le faux comme pour l'abus de biens sociaux. On ne le fait pas, et nous connaissons donc une situation d'incertitude et d'obscurité. Il est souhaitable de sortir de cette situation. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé une solution, adoptée après modification par la commission des lois. Cette solution est la suivante : d'une part, il faut arrêter le point de départ des prescriptions à une date claire et précise et, d'autre part, il faut allonger les durées de prescription.
Fixer le point de départ des prescriptions à une date qui ne soit pas mobile revient à adopter la date de la commission des faits, c'est-à-dire à appliquer aux délits ce qui s'applique aux crimes. Il est d'ailleurs curieux que le système de la prescription soit plus souple et moins certain pour les délits alors qu'il est tout à fait fixé pour les crimes. C'est absurde et il eût été préférable de prévoir l'inverse.
Par ailleurs, il faut allonger très fortement les durées de prescription, parce qu'elles sont trop courtes. Au départ, j'avais proposé vingt ans pour les crimes et dix ans pour les délits. A la suite de débats au sein de la commission, j'ai rectifié mon amendement et je propose donc désormais vingt ans pour les crimes, sept ans pour les délits les plus grave - ce qui fait plus que doubler la durée actuelle - et trois ans pour les délits les moins graves.
En outre, afin de couper court à toute interprétation, j'ai ajouté un alinéa aux termes duquel « les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux infractions commises avant la publication de la présente loi ». Je ne peux donc pas faire l'objet d'une quelconque suspicion à cet égard. Peut-être dira-t-on que ma démarche témoigne d'une certaine suspicion à l'égard de la jurisprudence et des juges. Ma démarche consiste effectivement à dire que la prescription doit être automatique, et non incertaine, qu'il y quelque chose d'incertain dans la jurisprudence que j'ai rappelée tout à l'heure, et que cette incertitude est mauvaise. Je suis tout à fait à mon aise pour le dire. En effet, dans beaucoup d'autres cas, tout à l'heure encore en défendant la composition pénale et dans une loi à laquelle on veut bien quelquefois donner mon nom, la loi du 10 juillet 2000 sur la responsabilité, j'ai au contraire ouvert largement le champ des responsabilités des magistrats. Ainsi, à propos des délits non intentionnels, lorsqu'il m'a été dit que personne ne savait ce qu'était la « faute caractérisée », j'ai répondu qu'il appartiendrait aux magistrats de dire, selon les cas, ce qu'est une faute caractérisée.
Je ne peux donc être suspecté de vouloir brider les magistrats. Mais il est du principe même de la prescription d'avoir un caractère de clarté et d'automaticité. Sinon, on n'est pas dans le concept de prescription, on est dans une situation d'incertitude. Il faut sortir de cette incertitude. C'est dans cet esprit que je me suis permis de proposer cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La commission est favorable à l'ouverture de ce chantier sur les prescriptions. Tout à l'heure, j'ai expliqué les principales raisons pour lesquelles il faut envisager un changement du dispositif actuel. D'ailleurs, au cours des nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, les magistrats, les représentants d'associations de victimes et même les avocats ont souhaité une modification du dispositif en vigueur.
C'est donc très volontiers que la commission des lois s'est penchée sur ce problème et a fait quelques propositions qui pourront nourrir le débat, dans un avenir que j'espère relativement proche. Nous avons suggéré que la durée de prescription des crimes soit portée à vingt ans. Ainsi, on répondrait à la demande de nombre de nos concitoyens. Pour les délits, il nous semble nécessaire d'allonger la durée de prescription. En tout cas, pour les délits qui sont punis d'une peine d'emprisonnement de cinq ans et plus, il serait sans doute normal de porter le délai à sept ans.
Ces propositions sont destinées à alimenter notre réflexion dans un avenir proche. Nous avons en effet bien conscience qu'un minimum de concertation est nécessaire sur ce sujet tant avec les hautes autorités judiciaires, qu'avec un certain nombre d'associations.
La commission émet donc un avis favorable sur l'ouverture de ce chantier, à condition qu'il soit encadré dans des limites assez précises.
Cela dit, j'aimerais connaître l'avis de M. le garde des sceaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Une fois de plus, M. Fauchon défriche un sujet difficile ! (Sourires.)
Je ne vais pas me contredire : je pense sincèrement qu'il ne faut pas aller trop vite en besogne. Des problèmes se posent, en matière de prescription des crimes notamment, comme nous l'avons vu tout à l'heure.
Le contexte ne me semble pas mûr. Avant l'adoption d'un texte par le Parlement, il faut que la société civile ait pu débattre de cette question et qu'un accord minimum se dégage sur ce sujet, de façon à éviter les propositions de loi qui reflètent un souci certes légitime mais parfois particulier.
La réflexion est nécessaire également en matière de prescription des délits. En tant que ministre de la justice, je me dois d'analyser l'effet d'une telle mesure au cas par cas tant le sujet est complexe.
Vous avez souligné à juste titre, monsieur le sénateur, les incertitudes inhérentes au fait que le délai de prescription est fixé par une jurisprudence qui peut donc évoluer dans le temps et non pas par une application de la loi.
Pour résumer, je dirai, monsieur le sénateur, que les pistes que vous proposez sont bonnes : il convient d'en revenir à des règles claires, applicables sans discussion, connues de tous à l'avance et non pas après le jugement.
Pour autant, le choix des durées me semble devoir faire l'objet d'une réflexion complémentaire. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que M. Fauchon retire son amendement, non pas pour enterrer le sujet, mais pour nous donner le temps, aux uns et aux autres, de trouver des solutions qui soient très largement acceptables.
M. le président. Monsieur Fauchon, l'amendement n° 276 rectifié est-il maintenu ?
M. Pierre Fauchon. Monsieur le ministre, je vous ai entendu : vos arguments méritent d'être retenus, comme toujours naturellement, mais je suis beaucoup plus sensible au second qu'au premier.
Vous nous dites que les choses ne sont pas mûres ! C'est toujours ce que l'on nous dit. Nous sommes là pour les faire mûrir. D'une manière générale d'ailleurs, nous ne péchons pas par excès de vitesse !
En revanche, je suis tout à fait sensible à votre second argument selon lequel il n'existe pas un accord suffisant.
J'ai constaté, au cours des débats de la commission des lois et lors d'entretiens qui ont eu lieu depuis lors, que chacun d'entre nous n'est pas prêt à entrer dans cette voie. Or, pour une mesure de cette nature, il est éminemment souhaitable - on n'y arrivera peut-être pas, mais il faut tenter d'y parvenir - de dégager un consensus.
Si mon amendement, dont on veut bien dire qu'il n'est pas si mauvais, qu'il n'est même pas du tout mauvais, c'est-à-dire qu'il est presque bon, n'est pas voté par mes propres amis, ce serait une situation « abracadabrantesque », si j'ose dire. Dans ces conditions, je préfère le retirer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 276 rectifié est retiré.
M. le président. « Art. 24. - Après l'article L. 2211-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2211-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2211-2. - Conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, le maire est tenu de signaler sans délai au procureur de la République les crimes ou les délits dont il acquiert la connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
« Le maire est avisé des suites données conformément aux dispositions de l'article 40-2 du même code.
« Le procureur de la République peut également communiquer au maire les éléments d'information sur les procédures relatives à des infractions commises sur le territoire de la commune qu'il rend publics conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 11 du même code. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
« L'amendement n° 433, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 111, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« Après les mots : "territoire de la commune", supprimer la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 2211-2 du code général des collectivités territoriales. »
L'amendement n° 434, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Compléter in fine le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour insérer un article 2211-2 dans le code général des collectivités territoriales par la phrase suivante :
« Lorsqu'il est informé, le maire est tenu au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal. »
L'amendement n° 112, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« I. _ Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 2211-2 du code général des collectivités territoriales, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. 2211-3. _ Les maires sont informés sans délai par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie des infractions causant un trouble à l'ordre public commises sur le territoire de leur commune.
« II. _ En conséquence, après les mots : "du code général des collectivités territoriales", rédiger comme suit la fin du premier alinéa de cet article : "sont insérés deux articles L. 2211-2 et L. 2211-3 ainsi rédigés :". »
La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 43.
M. Robert Bret. Il eût été étonnant que la question des maires échappe à un texte relatif à la sécurité. Cette revendication des maires, ou plutôt de l'Association des maires de France, est-elle réellement la revendication de tous les élus ? J'en doute au vu des discussions que j'ai pu avoir avec certains d'entre eux ce week-end encore.
Cet article 24 reprend en partie des amendements qui avaient été déposés voilà trois ans par la droite lors de la discussion de la loi relative à la sécurité quotidienne : démembrement de la police nationale avec création d'une police territoriale sous l'autorité du maire ; possibilité de se constituer partie civile en toute affaire et, surtout, puisque c'est de cela qu'il s'agit, information du maire par le procureur de la République des plaintes déposées dans le ressort de sa commune et des raisons des classements sans suites ; information du maire des crimes, délits et contraventions de la cinquième classe commis sur son territoire.
Aujourd'hui, l'article 24 de ce projet de la loi présente une formule rénovée de ces propositions auxquelles s'ajoute l'obligation de signalement, qui est un simple rappel de l'article 40 du code de procédure pénale.
Nous avions dit à l'époque combien cette mesure nous paraissait contraire à la fois au secret de l'instruction et au principe de non-intrusion du politique dans les affaires privées.
Par ailleurs, nous avions attiré l'attention du Sénat sur le fait que cette disposition serait tout simplement impossible à mettre en place au regard de la masse d'informations que cette exigence représenterait ! Imaginons un instant, monsieur le président, son application pratique pour le maire de Paris... ou de Marseille ?
Plus fondamentalement encore, nous l'avions dit et nous le répétons, cette information est l'exemple même de la fausse bonne idée car il s'agit d'un cadeau empoisonné qui rendra le maire comptable de chacun des faits qui se produisent dans sa commune.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article et le vote de notre amendement de suppression.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 111 ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Nous pensons au contraire que la disposition confirmant l'article 40 du code de procédure pénale et selon laquelle le maire est tenu de signaler sans délai au procureur de la République les crimes ou les délits dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions est une très bonne disposition. M. le garde des sceaux suggère d'ailleurs que le procureur rende compte au maire des informations qu'il aura pu recueillir ensuite sur cette infraction.
Nous estimons même qu'il conviendrait d'étendre cette disposition et de faire en sorte que les maires ne soient pas seulement avertis des informations que le procureur rend publiques - je n'en vois pas l'intérêt puisqu'elles sont publiques - mais qu'ils le soient de toutes les informations, y compris de celles que le procureur ne rend pas publiques.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 434.
M. Robert Bret. L'article 4 du projet de loi qui a été adopté précédemment avait pour objet, semble-t-il, de punir très largement l'atteinte à la confidentialité des informations issues d'enquêtes ou d'instructions, à tel point que tant la Commission nationale consultative des droits de l'homme que les avocats s'étaient émus du fait que ces derniers pourraient être concernés par cette disposition.
Je rappelle que M. le garde des sceaux n'a d'ailleurs pas accepté la lecture plus stricte que lui proposait le rapporteur sur la notion de révélation directe ou indirecte.
Cette incrimination pour violation de la confidentialité d'une enquête vient s'ajouter à l'article 11 du code de procédure pénale sur le secret professionnel des personnes concourant à l'enquête et à l'article 226-13 du code pénal lequel punit « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire » ; l'article 226-14 expose les dérogations légales au secret professionnel. C'est dire si le Gouvernement a à coeur de garantir le secret des enquêtes et des instructions !
S'agissant de l'information des maires, vous avez vous-même indiqué, monsieur Perben, que celle-ci devait être étudiée au regard du « respect du secret de l'instruction et des règles de procédures pénales ».
Un souci aussi louable se devait de trouver une application immédiate : monsieur le ministre, nous vous avons entendu ! C'est la raison pour laquelle, dans la mesure où notre assemblée a tenu à garder le principe d'information du maire tant des suites des infractions qu'il aura signalées que des éléments d'informations sur les procédures relatives à des infractions commises sur le territoire de la commune, il convient de préciser que le maire est tenu au secret professionnel afin que les personnes soient garanties contre une inutile publicité des faits.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 112.
M. François Zocchetto, rapporteur. J'indique que la commission des lois a émis un avis défavorable sur les amendements n°s 433 et 434 que vient de présenter M. Robert Bret.
Le présent projet de loi contient un article sur l'information du maire dont nous avons déjà parlé mais dont la portée est assez limitée puisqu'il s'agit de l'information du maire sur les suites qui sont réservées à ses propres plaintes et dénonciations.
Je vous ai tout à l'heure proposé d'étendre la portée de cet article en indiquant que soient visées non pas seulement les informations rendues publiques par le procureur, mais toutes les informations.
L'article 24 du projet de loi va plus loin et autorise une information du maire par la police ou la gendarmerie sur les infractions commises sur le territoire de la commune. En fait, cet article reprend le décret de juillet 2002 sur les dispositifs territoriaux de lutte contre la délinquance qui ne prévoit toutefois une information que sur les infractions graves.
La commission des lois vous propose, par l'amendement n° 112, de viser toutes les infractions causant un trouble à l'ordre public, car ce sont bien ces infractions qui intéressent en tout premier lieu le maire dans l'exercice de ses fonctions.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je suis évidemment défavorable à l'amendement n° 433.
Le problème de l'information des maires par les procureurs de la République est tout à fait sérieux. C'est la raison pour laquelle, lorsque nous l'avions évoqué ici même, je m'en souviens, lors du débat sur la loi d'orientation et de programmation sur la justice en juillet 2002, j'avais indiqué que nous y travaillerions.
D'une part, des propositions figurent dans ce texte, d'autre part, comme je m'y étais engagé auprès de vous, j'ai mis en place un groupe de travail composé de procureurs de la République dont un procureur général et de maires désignés par l'Association des maires de France et qui représentent les différentes sensibilités politiques.
Le groupe de travail étudie très précisément la question que nous évoquons en ce moment. Le texte du projet de loi est assez général, mais il faut définir concrètement, dans le respect de la loi, ce que dira le procureur de la République au maire.
Dans cette affaire, il ne s'agit pas des indiscrétions qui peuvent être commises d'un côté et de la volonté de ne pas donner l'information de l'autre. Le sujet est plus complexe.
Il n'est pas forcément nécessaire de disposer d'une information donnée. Il ne faut pas non plus que les maires soient placés dans des situations délicates parce qu'ils auraient eu connaissance d'une information qu'il n'était pas utile qu'ils connaissent dans l'exercice de leurs fonctions. Il est donc très important de parvenir à un accord entre les praticiens, les procureurs de la République et les maires.
Ce groupe de travail remplit la mission que je lui avais confiée. D'ici à un mois au maximum, il devrait rendre ses conclusions. Elles seront assez concrètes, pratiques et pourraient constituer une sorte de charte de bonne conduite entre le procureur de la République et le maire pour faire vivre ce nouveau droit que vous souhaitez donner aux élus.
Je ne pense donc pas qu'il soit opportun de supprimer ce dispositif. Il faudra cependant, dans la pratique, le préciser pour qu'il ait une signification précise.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 111.
En revanche, il est défavorable à l'amendement n° 434 dans la mesure où, bien entendu, le procureur de la République ne donnera pas au maire une information susceptible d'être couverte par le secret professionnel.
Il ne s'agit pas de donner une information à un maire, qui est une personne privée, uniquement pour qu'il en ait connaissance. Il faut lui donner une information qui puisse aller dans l'intérêt de ses fonctions. Par définition, cela ne peut pas être une information couverte par le secret professionnel. Les conclusions du groupe de travail seront intéressantes à cet égard.
L'amendement n° 434 est en contradiction aec l'objectif que nous cherchons à atteindre.
Enfin, monsieur le président, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 112, ce qui est une façon extrêmement respectueuse de dire que j'y suis en fait défavorable. (Sourires.)
Mais je n'en ferai pas un élément de crise entre la commission et le garde des sceaux. Je pense que la mise en oeuvre de ce texte soulève certaines difficultés. Peut-être faudra-t-il, dans le cadre de la navette, que nous précisions nos pensées respectives afin d'éviter des difficultés ultérieures.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 433.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'avoue que je ne comprends pas pourquoi M. le garde des sceaux est opposé à l'amendement n° 433, puisqu'il va dans le sens de ses propos. Un groupe de travail étudie la question : attendons qu'il rende ses conclusions ! Ce n'est pas la peine d'inscrire d'ores et déjà dans la loi comment ou pourquoi le maire est avisé de telle information.
M. le garde des sceaux vient de dire que ce n'est pas la peine de parler de secret professionnel parce que le procureur ne dira rien qui puisse être couvert par le secret professionnel. Mais ce n'est pas inscrit dans le texte. Par conséquent, rien n'empêchera le procureur de le faire. Il aura tort, vous avez raison de le dire, mais il faut le lui interdire. Bref, le texte n'est pas encore au point !
Quant à l'amendement qui consiste à prévenir le maire des infractions causant un trouble à l'ordre public commis sur le territoire de sa commune, je le comprends. Bien souvent, et ce sera encore plus vrai, nous le verrons, dans le texte sur l'immigration, on veut attribuer au maire des fonctions qu'il ne devrait pas assurer, autrement dit certaines politiques doivent être réservées à l'Etat et non pas au maire.
En revanche, on prévient bien le maire quand il y a un incendie, même si ce n'est pas obligatoire ; et c'est bien. Vous me direz que cela peut être nécessaire pour reloger les victimes, mais ce n'est pas la seule raison. Il est tout à fait normal que le maire soit prévenu quand un incident trouble l'ordre public sur le territoire de la commune.
M. le garde des sceaux nous a expliqué qu'un groupe de travail étudie les relations qui peuvent exister entre le parquet et les maires. En attendant qu'il rende son rapport, supprimons l'article 24 et votons donc l'amendement de nos collègues communistes !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 433.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 111.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a au moins une raison de supprimer la fin du dernier alinéa du texte proposé pour l'article L. 2211-2 du code général des collectivités territoriales : c'est qu'elle est incompréhensible.
En effet, l'alinéa en cause dispose : « Le procureur de la République peut également communiquer au maire les éléments d'information sur les procédures relatives à des infractions commises sur le territoire de la commune » - on vient d'en parler - « qu'il rend publics conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 11 du même code. »
Qu'est-ce qu'il rend publics ? Est-ce un communiqué ? Il n'en est pas question dans le texte !
Le texte prévoit simplement que « le procureur de la République peut également communiquer au maire... » Je suppose que cela peut être fait par téléphone, mais je n'en sais rien. On ne peut pas rendre publique une conversation téléphonique. Donc, vous avez raison, monsieur le rapporteur, de demander la suppression de cette partie de l'alinéa.
En bref, puisque le texte n'est pas au point, puisque le procureur ne doit pas communiquer des éléments qui seraient couverts par le secret professionnel et que ce n'est pas précisé, en l'état actuel des choses, nous sommes pour la suppression de l'article 24.
Cela dit, il est évident, monsieur le rapporteur, que l'amendement n° 111 améliore la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 111.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 434.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 112.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 24, modifié.
(L'article 24 est adopté.)