M. le président. « Art. 5. - I. - La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite applicables, respectivement, aux personnes mentionnées au V et au V bis évoluent de manière à maintenir constant, jusqu'en 2020, le rapport constaté, à la date de publication de la présente loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite.
« La durée moyenne de retraite s'entend, pour une année civile donnée, de l'espérance de vie à l'âge de soixante ans telle qu'estimée cinq ans auparavant, dont est retranché l'écart existant entre la durée d'assurance ou la durée des services et bonifications mentionnée à l'alinéa précédent pour l'année considérée et celle de cent soixante trimestres résultant des dispositions de la présente loi pour l'année 2008.
« II. - Avant le 1er janvier 2008, le Gouvernement élabore un rapport faisant apparaître :
« 1° L'évolution du taux d'activité des personnes de plus de cinquante ans ;
« 2° L'évolution de la situation financière des régimes de retraite ;
« 3° L'évolution de la situation de l'emploi ;
« 4° Un examen d'ensemble des paramètres de financement des régimes de retraite.
« Ce rapport est rendu public et transmis au Parlement.
« III. - A compter de 2009, la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite sont majorées d'un trimestre par année pour atteindre quarante et une annuités en 2012 sauf si, au vu du rapport mentionné au II, un décret pris après avis, rendus publics, du Conseil d'orientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites modifie ces échéances.
« IV. - Un rapport est élaboré, dans les mêmes conditions que celles prévues au II, avant le 1er janvier 2012 et avant le 1er janvier 2016. Chacun de ces documents fait en outre apparaître, selon des modalités de calcul précisées par décret en Conseil d'Etat, l'évolution prévisible, pour les cinq années à venir, du rapport entre la durée d'assurance ou la durée de services et bonifications et la durée moyenne de retraite.
« Au vu des éléments contenus dans ces rapports, les durées d'assurance ou de services et bonifications permettant d'assurer le respect de la règle fixée au I sont fixées par décret, pris après avis, rendus publics, du Conseil d'orientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites :
« 1° Avant le 1er juillet 2012, pour les années 2013, 2014, 2015 et 2016 ;
« 2° Avant le 1er juillet 2016, pour les années 2017, 2018, 2019 et 2020.
« V. - La durée d'assurance requise des assurés relevant du régime général de l'assurance vieillesse, de l'assurance vieillesse des travailleurs salariés des professions agricoles ou de l'assurance vieillesse des professions mentionnées à l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale, pour l'obtention d'une pension au taux plein, est celle qui est en vigueur, en application du présent article, lorsqu'ils atteignent l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 du même code.
« V bis. - La durée des services et bonifications exigée des fonctionnaires de l'Etat et des militaires pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite est celle qui est en vigueur lorsqu'ils atteignent l'âge auquel ou l'année au cours de laquelle ils remplissent les conditions de liquidation d'une pension en application des articles L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans leur rédaction issue de la présente loi. Cette durée s'applique également aux fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et aux ouvriers des établissements industriels de l'Etat.
« VI. - Il est créé une Commission de garantie des retraites, chargée de veiller à la mise en oeuvre des dispositions du présent article.
« La commission est présidée par le vice-président du Conseil d'Etat. Elle comprend en outre le président du Conseil économique et social, le premier président de la Cour des comptes et le président du Conseil d'orientation des retraites.
« Les règles de fonctionnement de la commission sont fixées par décret.
« VII. - L'article L. 136-2 du code du travail est complété par un 9° ainsi rédigé :
« 9° De suivre annuellement l'évolution du taux d'activité des personnes de plus de cinquante ans afin de faire au ministre chargé du travail toute proposition de nature à favoriser leur maintien ou leur retour dans l'emploi. »
« VIII. - Préalablement à la rédaction des rapports cités au II et au IV, est organisée une conférence tripartite rassemblant l'Etat, les représentants des salariés et les représentants des employeurs pour examiner les problématiques liées à l'emploi des personnes de plus de cinquante ans. »
La parole est à M. le rapporteur, sur l'article.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Avant que nous engagions la discussion de chaque article, j'en rappellerai l'objet.
L'article 5 vise à stabiliser, à l'horizon 2020, le rapport entre le temps de travail et le temps de retraite, afin d'assurer la pérennité des régimes par répartition et l'équité entre les générations. C'est un constat qui est posé et, dit-on, partagé. Pour assurer l'équilibre de la retraite par répartition, veut-on payer plus, gagner moins, ou travailler plus longtemps ?
Les prestations servies dans les régimes par répartition étaient financièrement supportables lorsque les retraités arrivaient à l'âge de la retraite avec une espérance de vie inférieure, réversion comprise, à dix-huit ans. Pour bénéficier à cet âge des deux tiers environ de leur revenu d'activité, les assurés - c'est mathématique - devaient répartir sur quarante années de travail l'équivalent de douze ou treize années de salaire, cet effort correspondant à peu près à 30 % de cotisations tout au long de la carrière. Je vous rappelle, mes chers collègues, que ces données figurent à la page 89 du rapport.
L'évolution de la démographie a rendu cette équation intenable. Aujourd'hui, le même assuré part à la retraite avec une espérance de vie de vingt-cinq années, réversion comprise, alors que la période d'activité s'est réduite.
C'est donc non plus douze ou treize années de salaires qu'il lui faut répartir sur sa carrière, mais une vingtaine, c'est-à-dire cotiser environ une moitié de salaire de plus, pour conserver le même taux de remplacement.
Je le répète, l'article 5 est de pure arithmétique, cette même arithmétique que ceux qui étaient hier aux responsabilités refusaient d'admettre malgré un constat réitéré depuis plus de dix ans : je pense notamment au Livre blanc de Michel Rocard en 1991, et aux rapports de M. Charpin. Ce dernier préconisait 170 trimestres de cotisation.
Aujourd'hui, le temps de l'action est venu. Le Gouvernement nous propose une solution réaliste et, si j'ose dire, partagée. A nous, maintenant, d'en débattre !
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Avec l'article 5, nous quittons le champ de la philosophie et des déclarations de principe générales et généreuses pour le « coeur de la réforme ». C'est d'ailleurs ainsi que la presse écrite et les grands médias audiovisuels ont présenté l'adoption de cet article essentiel du projet de loi par l'Assemblée nationale.
L'article 5 est bien le coeur de la réforme : il prolonge autant la réforme Balladur de 1993 que la durée de cotisation des actifs qui aspirent à la retraite.
Nous sommes bien entendu amenés, à l'occasion de la discussion de cet article, à nous poser un certain nombre de questions. Le meilleur outil pour les appréhender réside sans le moindre doute dans l'exposé des motifs du projet de loi lui-même.
En effet, on nous propose de « stabiliser à l'horizon 2020 le rapport entre le temps de travail et le temps de retraite afin d'assurer la pérennité des régimes par répartition et l'équité entre les générations », dans le but affiché de « donner la visibilité nécessaire aux assurés ».
M. le rapporteur vient de dire qu'il s'agit de « pure arithmétique », mais détaillons néanmoins les dispositions de l'article 5.
On met en place un dispositif d'augmentation graduelle et constante de la durée de cotisation à proportion de l'augmentation constante et graduelle de l'espérance de vie à 60 ans.
On en oublierait presque, à ce stade de la discussion, que la notion d'espérance de vie est une moyenne appréhendée pour l'ensemble des générations, sans présumer des inégalités profondes qui peuvent exister entre catégories socioprofessionnelles. Des études démographiques ont en effet largement prouvé ces profondes inégalités, nous en avons déjà parlé ce matin.
On sait pertinemment, par exemple, que, dans la région Nord-Pas-de-Calais, on meurt en général quatre ans plus tôt que dans les autres régions de France. Cette différence passe à dix ans lorsque l'on vit dans les arrondissements du bassin minier. Il faut s'interroger sur les causes de cette mortalité précoce.
Certains, un peu rapidement à notre sens, mettent cette mortalité précoce sur le compte de pratiques addictives - alcoolisme, tabagisme - qui auraient des répercussions sur l'espérance de vie et qui toucheraient particulièrement les catégories sociales les plus modestes. C'est sans doute oublier un peu facilement les effets parfois désastreux que les conditions de travail peuvent avoir sur la survie des salariés.
Nous ne parlerions sans doute pas de la pénibilité de certaines conditions de travail et de ses conséquences sur l'exercice du droit à la retraite si nous retenions comme seules causes de mortalité précoce la mauvaise hygiène de vie, l'abus de tabac, d'alcool, ou encore une alimentation insuffisamment variée. Ce serait en quelque sorte trop facile.
Qu'on le veuille ou non, l'exercice du droit à la retraite est aussi conditionné par le développement des maladies professionnelles, qu'il s'agisse de la silicose pour les anciens mineurs - notons à ce propos que la Caisse autonome des mines verse bien plus de pensions de réversion que de pensions complètes - ou des différentes formes de cancer de l'appareil respiratoire pour des professions aussi diverses que les anciens sidérurgistes, les métallurgistes, les peintres en bâtiment, ou encore les plombiers chauffagistes.
Si l'on allonge la durée de cotisation, dans les faits, des couches de plus en plus larges de salariés seront purement et simplement exclues de tout droit effectif à versement d'une pension, pour la simple raison qu'ils seront morts avant la date de liquidation. Et l'on ne peut, dans cette perspective, omettre de souligner que de nouvelles formes de stress et de pression professionnelle vont sans doute avoir, dans les années à venir, des incidences sur l'évolution des modes d'activité et, par voie de conséquence, sur l'exercice du droit à pension.
Nous reviendrons sur cette question à l'occasion de la discussion des amendements portant sur cet article. Mais il convenait, dans le cadre de cette intervention, de rappeler dès maintenant certaines des données du problème.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Nous ne pouvons accepter la logique ni de l'article 5 ni de ce projet de loi, logique par laquelle vous manifestez votre volonté de n'agir que sur un seul levier de financement : l'augmentation de la durée de cotisation. Vous ne faites supporter l'effort qu'aux seuls salariés, ce que nous trouvons profondément injuste.
La solidarité ne peut être toujours et uniquement assurée par les mêmes, ceux qui travaillent, alors que ceux qui en ont les moyens ne sont pas mis à contribution. Vous êtes fidèles à vous-mêmes et servez une classe au mépris du reste de la population.
Comment ne pas avoir en mémoire le débat qui s'est déroulé ici sur l'allocation personnalisée d'autonomie ? Vous avez voté, mes chers collègues, une ponction de 400 millions d'euros au détriment des personnes âgées dépendantes.
M. Jean Chérioux. Il recommence !
M. Gilbert Chabroux. Simultanément, à quelques jours près, vous avez voté un allégement de 500 millions d'euros pour les personnes assujetties à l'ISF. Où est votre justice sociale ?
Mme Danielle Bidard-Reydet. Ça, c'est une vraie question !
M. Gilbert Chabroux. Vous faites payer les retraites par les seuls salariés et vous vous enfermez dans un carcan idéologique : le culte de la baisse des prélèvements obligatoires. Mais il est vrai que vous êtes confrontés à une très grave difficulté, à une inconnue de taille : l'ampleur de l'augmentation des dépenses de santé et des solutions à y apporter. Vous allez encore imputer les 16 milliards d'euros de déficit au gouvernement précédent !
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Vous avez laissé filer les déficits pour mieux privatiser la sécurité sociale, mais c'est le gouvernement précédent qui sera responsable.
M. Jean Chérioux. Il a sa part de responsabilité !
M. Hilaire Flandre. Il a bien compris !
M. Gilbert Chabroux. Par ailleurs, vous subissez une autre contrainte : vous ne vouliez pas déplaire au MEDEF. D'autres financements étaient pourtant possibles. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste).
M. Hilaire Flandre. Il n'a rien compris du tout !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ça commençait bien, mais ça finit mal !
M. Gilbert Chabroux. Je prendrai un certain nombre d'exemples pour qu'on ne nous reproche pas de ne pas chiffrer nos propositions. Une véritable négociation aurait permis d'approfondir les possibilités ainsi ouvertes.
M. Jean Chérioux. Et les négociateurs précédents ?
M. Gilbert Chabroux. Je pense, par exemple, à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, une contribution de 0,5 point créée par Alain Juppé...
M. Gérard Cornu. Le disque est rayé !
M. Gilbert Chabroux. ... assise sur l'ensemble des revenus des ménages et instituée en 1995 pour permettre d'apurer, sur une période de vingt ans, les déficits des comptes de l'assurance maladie...
M. Hilaire Flandre. Laissés par le gouvernement précédent !
M. Gilbert Chabroux. Par les gouvernements précédents de MM. Balladur et Juppé ! Mais il est vrai que le Gouvernement actuel a fait mieux, puisqu'il a doublé cette dette en un an !
Il fallait donc apurer les comptes, mais cette contribution temporaire, la CRDS, devrait disparaître en 2014. Ne pourrait-on pas l'utiliser pour dégager une marge de manoeuvre permettant d'augmenter le financement des retraites d'un montant correspondant ? Nous avons évalué que cela représenterait un apport de 1,2 point de PIB, soit 19 milliards d'euros.
Nous sommes d'accord avec votre hypothèse de diminution du chômage, mais dans des proportions réalistes. Nous faisons référence au gouvernement de Lionel Jospin, qui a créé deux millions d'emplois... (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Chérioux. Au moins !
M. Gilbert Chabroux. ... et diminué le nombre de chômeurs de près d'un million. Peut-être peut-on se rapprocher de 6 % ou de 7 %. Il y a des financements possibles, mais encore faut-il mettre en oeuvre une politique volontariste et active de l'emploi. Nous vous proposons un pacte national pour l'emploi. Je n'y reviens pas ; je l'ai déjà dit.
M. Hilaire Flandre. C'est un connaisseur !
M. Gilbert Chabroux. Nous pouvons aussi revoir, c'est impératif, l'assiette des prélèvements. Nous avons fait différentes propositions, telle l'augmentation progressive du prélèvement social de 2 % actuellement à 4 % sur les produits du patrimoine et sur les produits de placement. Une fraction égale à 50 % des recettes permettrait de dégager environ 10 milliards d'euros d'ici à 2015.
M. Alain Joyandet, notre ancien collègue devenu député, a fait des propositions qui méritent, elles aussi, d'être étudiées. J'y insiste. Il propose de porter de 33,5 % à 34,5 % le taux de l'impôt sur les sociétés, pour celles qui réalisent un chiffre d'affaires d'au moins 3 millions d'euros. Il a calculé que cela permettrait de dégager un peu plus d'un milliard par an, soit au total 20 milliards d'euros d'ici à 2020. Il parle du Fonds de réserve pour les retraites. Vous en parlez moins, mais je voudrais, moi, y revenir et en dire un mot.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Je termine, monsieur le président.
Ce Fonds de réserve pour les retraites, nous l'avons créé pour garantir notre système de retraite par répartition, pour constituer une épargne collective, mais il faut le financer et y affecter une partie des sommes qui étaient initialement prévues, en particulier celles qui correspondent à la baisse de l'impôt sur le revenu. Nous demandons que soit mis un terme à la baisse des impôts et alimenté, en proportion, le Fonds de réserve pour les retraites. Les recettes dégagées permettraient d'en pérenniser le financement et d'assurer sa consolidation.
M. Hilaire Flandre. Et voilà !
M. Gilbert Chabroux. Mais oui ! Ce sont des hypothèses tout à fait réalistes.
M. Jean Chérioux. Super-réalistes !
M. Hilaire Flandre. Il faut supprimer tous les revenus !
M. Gilbert Chabroux. Depuis un an, vous multipliez les cadeaux, et vous me permettrez d'en citer quelques-uns.
Nous pourrions revenir sur les contributions de l'Etat, sur la suppression progressive de la contribution des institutions financières votée dans la loi de finances pour 2003 - nous avons estimé les gains que cela représenterait et que je suis en mesure de préciser si vous le souhaitez. Nous pourrions revenir sur les exonérations d'ISF votées dans la loi sur l'initiative économique, comme je l'ai déjà dit ; nous pourrions revenir sur les baisses d'impôt sur le revenu, je le répète ; nous pourrions revenir sur les largesses fiscales qui ont été consenties, s'agissant des plus-values de cessions de valeurs mobilières et de dividendes pour les foyers les plus aisés - nous avons également estimé le gain que cela pourrait représenter -, nous pourrions revenir sur les allégements de charges patronales, qui représentent 18 milliards d'euros.
Vous chiffrez les besoins de financements à 43 milliards d'euros en 2020, hors fonds de réserve. Nous en trouvons beaucoup plus : vous ferez vous-mêmes l'addition !
Nous pouvons donc revoir ce projet dans un sens favorable aux salariés. En l'état actuel il est, en effet, fondamentalement injuste, inégalitaire pour les générations actuelles et futures.
Nous voterons donc contre cet article et nous demanderons, évidemment, un scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialite et du groupe CRC.)
M. Hilaire Flandre. Et moi, je propose que vous preniez votre retraite comme les professeurs !
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche, pour explication de vote.
M. Serge Lagauche. Votre réforme des retraites pourrait se résumer en une phrase simple : Français d'en bas, travaillez plus pour avoir moins ; Français d'en haut, épargnez davantage pour avoir plus ! Voilà quelle est votre conception de la justice sociale : faire porter l'intégralité de l'effort demandé sur le travail.
Au nom d'une harmonisation virtuelle, votre réforme ignore à la fois la pénibilité et la dangerosité du travail, les différences énormes entre les espérances de vie et les inégalités entre les hommes et les femmes. Ainsi, la probabilité pour un homme, cadre de la fonction publique, de mourir entre 35 ans et 65 ans est de 12 %. Pour un ouvrier non qualifié, elle atteint 29 %. A 60 ans, l'espérance de vie est, pour le premier, de 22 ans et demi et, pour le second, de 17 ans.
Si l'on prend en considération la notion d'incapacité, un cadre de 60 ans a une espérance de vie de 17 ans sans incapacité et de 4,1 ans avec incapacité. Un ouvrier au même âge a une espérance de vie de 12,8 années et de 5,3 années avec incapacité.
Pourquoi ces questions n'ont-elles pas été abordées lors des négociations que vous prétendez avoir menées ?
Quelles mesures proposez-vous, monsieur le ministre, pour prendre en compte ces différences d'espérance de vie ? Aucune ! Bien au contraire, vous prenez l'espérance de vie moyenne et son augmentation potentielle - tout cela « brut de décoffrage » -, et vous alignez la durée de cotisation sur cette seule donnée.
Où est l'équité ? Où est l'égalité ? Où est la justice sociale ?
Tous les salairés seront soumis à la règle des 42 ans de cotisations en 2020. A quelle durée de cotisation en serons-nous en 2040 ?
Avec votre système, personne ne bénéficiera plus de l'augmentation de l'espérance de vie pour son troisième temps de vie.
L'allongement de la durée de cotisation avec toutes ses conséquences, c'est pour aujourd'hui. En revanche, la prise en compte éventuelle de la pénibilité, c'est pour dans trois ans.
En ce qui concerne les régimes complémentaires, l'échéance se situe encore plus tard.
Votre réforme suppose la coopération des régimes complémentaires, notamment pour la garantie d'un taux de remplacement net de 85 % pour les bénéficiaires du SMIC ou pour les départs à la retraite avant l'âge de 60 ans des salariés ayant commencé à travailler très jeunes. Or, aujourd'hui, personne ne sait ce qui ressortira de la réforme des régimes complémentaires. Les montants que vous annoncez, qui sont déjà un recul pour la majorité des salariés, ne sont en rien garantis.
Quels sont les engagements du MEDEF sur ces points précis ? Que se passera-t-il s'il s'oppose à la garantie du taux de 85 % du SMIC ?
Pour notre part, nous considérons qu'il faut débattre maintenant de la fixation de la durée de cotisation par branche et, le cas échéant, par métier, de la garantie du niveau de vie des retraités. C'est même là d'ailleurs un préalable indispensable à une réforme des retraites juste et solidaire.
De même, la négociation aurait dû permettre d'inscrire la réforme des retraites dans une stratégie concertée sur le travail et l'emploi à travers la recherche du consensus. C'est pourquoi nous proposons un pacte national sur le travail et sur l'emploi, tout ce que vous avez refusé de faire, en somme !
M. François Fillon, ministre. Il n'y a rien dedans !
M. Serge Lagauche. Votre refus de la négociation va jusqu'à prévoir que l'ajustement visant à maintenir un ratio constant entre la durée d'activité et la durée de retraite s'effectue par décret. C'est là non seulement une dénégation supplémentaire du dialogue social et du rôle des partenaires sociaux, mais aussi une dénégation du rôle du Parlement, car le Gouvernement avait le choix de la voie législative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Bernard Plasait. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, en application de l'article 38 de notre règlement, je demande la clôture de cette discussion.
M. Gilbert Chabroux. Evidemment ! Le choix de la facilité !
Un sénateur socialiste. Il y a des questions qui fâchent !
M. le président. En application de l'article 38 du règlement, je suis saisi d'une demande de clôture de la discussion de l'article 5.
Je vous rappelle qu'en application de l'alinéa 1 de l'article 38 la clôture peut être proposée par le président ou tout membre du Sénat lorsque au moins deux orateurs d'avis contraire sont intervenus sur l'ensemble d'un article.
En application de l'alinéa 2 de l'article 38, cette demande de clôture n'ouvre droit à aucun débat.
Conformément à l'alinéa 4 du même article, je consulte le Sénat à main levée.
La clôture est prononcée.
La parole est à M. Claude Domeizel, pour un rappel au règlement.
M. Claude Domeizel. L'article 38 précisant bien : « lorsque au moins deux orateurs d'avis contraire sont intervenus dans la discussion générale », je me demande si ceux qui sont intervenus ont vraiment émis des avis contraires.
M. Nicolas About, président de la commission ces affaires sociales. Oui, le rapporteur !
M. Claude Domeizel. Ils ont fait des observations, mais peut-on vraiment dire qu'ils ont émis des avis contraires ?
Mme Odette Terrade. Absolument pas !
M. Claude Domeizel. Pour ma part, je n'en suis pas certain, et il faudrait, selon moi, reprendre leurs déclarations. En effet si, au moment où l'on discute d'un article, on n'a pas le droit de faire des observations, c'est un abus de pouvoir ! Je ne vois pas en quoi une observation constituerait un avis. Je souhaite donc que les interventions des uns et des autres soient vérifiées.
M. le président. Monsieur Domeizel, j'ai été vigilant !
Un avis contraire à celui de certains membres de l'opposition a été émis par M. le rapporteur.
M. Claude Domeizel. Mais le rapporteur a un rôle à part ! Il donne non pas son avis personnel, mais celui de la commission, ce qui n'entre pas dans le débat !
M. le président. C'est une décision du bureau.
M. Claude Domeizel. J'interviendrai quand même, à un moment ou à un autre, pour expliquer ma position sur l'article 5.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'y a pas de doute à ce sujet !
M. Claude Domeizel. Mais c'est dommage que je ne puisse pas le faire avant l'ouverture de la discussion des amendements déposés sur cet article !
M. le président. Pour la petite histoire, je vais vous donner lecture de la décision que le bureau du Sénat a prise au cours de sa séance du 30 juin 1986. Cela rajeunira notre ami M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui occupait, à l'époque, ce fauteuil.
M. Jean Chérioux. Oui !
M. le président. Le bureau du Sénat, au cours de sa séance du 30 juin 1986, a confirmé que le terme « orateur » employé dans l'article 38 du règlement s'applique à tous ceux qui interviennent, donc, comme aux autres intervenants, au représentant de la commission.
Si celui-ci est d'un avis contraire à un autre orateur, les conditions posées par l'article 38 sont réunies et la clôture devient possible.
M. Claude Domeizel. Merci pour cette précision !
M. le président. Je suis saisi de 63 amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune. Pour la clarté du débat, je les appellerai successivement.
Les quatre premiers sont identiques.
L'amendement n° 153 est présenté par MM. Fischer, Bret et Coquelle, Mmes David, Didier et Luc et M. Renar.
L'amendement n° 154 est présenté par Mmes Demessine, Beaufils et Beaudeau, M. Foucaud, Mme Mathon, MM. Le Cam et Biarnès.
L'amendement n° 155 est présenté par Mme Borvo, M. Muzeau, Mme Bidard-Reydet, M. Ralite, Mme Terrade et M. Loridant.
L'amendement n° 893 est présenté par MM. Estier et Chabroux, Mmes Campion et Blandin, M. Godefroy et les membres du groupe socialiste et apparenté.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article. »
La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 153.
M. Guy Fischer. Comme chacun peut le constater avec cet article 5, et ainsi que nous venons de le souligner dans le cadre de la discussion préparatoire de cet article, nous entrons dans le vif du sujet et dans le coeur de la réforme.
Les dispositions de cet article constituent en effet ce que l'on peut enfin définir comme étant la philosophie générale de ce projet de loi, et nous pouvons même estimer pour une bonne part que les déclarations d'intention dont nous venons de débattre pendant quelques heures n'ont finalement qu'assez peu de portée, à la lecture détaillée des différents paragraphes de cet article 5.
Cet article se situe en effet sous l'angle d'un dispositif complet, dont nous devrons d'ailleurs, monsieur le ministre, décortiquer ensemble des caractéristiques, au fil de la défense des amendements que nous avons déposés.
Six paragraphes composent à l'origine cet article.
Le premier porte sur la mise en équivalence de la durée d'assurance et de la durée de versement des pensions, ce qui ne peut manquer de soulever un certain nombre de questions sur lesquelles nous reviendrons au cours du débat.
Le deuxième porte sur l'appréciation de la situation économique et sociale, au regard du financement de nos régimes de retraite par répartition.
Le troisième porte sur la modification de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein, conduisant à son allongement non négligeable, d'une part, pour les salariés du secteur marchand et, d'autre part, pour ceux du secteur public. On va ainsi vers une harmonisation de la durée de cotisation.
Le quatrième fixe le calendrier général de révision des conditions d'accès à l'exercice du droit à la retraite à taux plein dans des conditions que nous ne manquerons d'évoquer lors de l'examen des différentes dispositions de l'article.
Le cinquième paragraphe tend à ajuster les dispositions du code de la sécurité sociale aux dispositions antérieurement exposées, tandis que le dernier paragraphe porte sur la constitution d'une commission de garantie des retraites, commission dépositaire du suivi de l'application du présent article.
Vous me permettrez d'ailleurs de m'interroger sur la portée de cette mesure, qui prive en quelque sorte la représentation nationale d'un droit de regard sur le devenir de notre système solidaire de retraite et le confie à la seule appréciation de quelques personnes, même si leur compétence est reconnue.
Nous pourrions apprécier les dispositions de l'article, très adroitement conçu sur le plan technique, s'il ne remettait en question, en réalité, l'ensemble de la conception philosophique, et nous dirons même éthique, de notre système de retraite par répartition.
Car quelle est l'idéologie qui sous-tend le débat quand nous examinons cet article ? Ce n'est ni plus ni moins qu'une conception étroitement individualisée de la protection sociale, rompant délibérément avec les principes de solidarité, qui sont le fondement même de notre système de sécurité sociale et, singulièrement, de nos régimes de retraite par répartition.
Les actifs d'aujourd'hui acquittent des cotisations qui financent les pensions et retraites des inactifs d'aujourd'hui, comme les salariés en bonne santé paient des cotisations pour les salariés en arrêt maladie, etc.
Le financement de la protection sociale est, en quelque sorte, à la fois universel et individuel, liant solidairement chacun des salariés à la collectivité.
Dans la conception qui anime le projet de loi et singulièrement l'article 5, nous sommes dans une logique tout à fait différente : c'est au regard de la situation individuelle et de l'hypothétique allongement de l'espérance de vie que l'on devrait consentir des efforts particuliers.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que cette logique n'est pas la nôtre ; nous l'avons déjà rappelé. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter la suppression pure et simple de l'article 5.
M. le président. La parole est à Mme Demessine, pour présenter l'amendement n° 154.
Mme Michelle Demessine. Je présenterai également l'amendement n° 155, monsieur le président.
Mme Hélène Luc. On va gagner du temps.
M. François Fillon, ministre. Bravo !
Mme Michelle Demessine. L'article 5 est un article essentiel, un pilier de cette réforme : il vise à rallonger le temps de travail des salariés pour qu'ils puissent bénéficier d'une retraite pleine et entière.
Nous refusons cet allongement, car - nous l'avons démontré - d'autres solutions existent pour financer l'avenir de notre système par répartition et ce serait décider d'une régression sociale.
Cet article 5 remet en cause le principe de l'âge de la retraite à 60 ans et aura pour effet de le reculer progressivement jusqu'à 65 ans, voire plus.
Le ratio prévu lie la durée du travail, donc la durée de cotisation, à l'espérance de vie, faisant de cette dernière non plus un avantage, une heureuse avancée de la civilisation, mais un moyen de faire cotiser plus longtemps pour une retraite qui sera, de toute façon, amoindrie. En quelque sorte, tout au long de leur carrière, les salariés se constitueraient une espèce d'épargne qu'ils consommeraient progressivement et épuiseraient petit à petit.
Ce que vous proposez, monsieur le ministre, c'est que les salariés travaillent plus longtemps, cotisent plus longtemps, et ce parce qu'ils auraient le mauvais goût de vivre plus longtemps, d'être en meilleure santé, sous l'effet des progrès de la médecine, notamment, et de l'existence de notre système de solidarité, qui contribue à ce que les gens vivent mieux ; je pense à la sécurité sociale.
Apparaît bien, dans cette logique, votre volonté de faire reculer, jusqu'à les faire disparaître, la retraite par répartition, la solidarité intergénérationnelle, comme l'ensemble des mécanismes solidaires qui fondent encore, avec, certes des insuffisances, notre société.
Ce qu'ont exprimé fortement nos concitoyennes et nos concitoyens encore hier, devant la porte du Sénat, c'est leur refus de voir s'installer une telle situation, une telle société.
Pour notre part, nous refusons de vous laisser faire, parce que le montant de leur retraite ne permettra pas à des femmes et à des hommes qui ont travaillé durant des années de vivre décemment et les contraindra à continuer de travailler. Les emplois seniors que, par ce texte, vous envisagez d'instaurer, font frémir : quelle est donc votre conception de ce que doit être la vie de ces hommes et de ces femmes ? On sait que l'espérance de vie est inégale selon les situations, qu'elle est bien plus courte pour un ouvrier que pour un cadre supérieur. Par votre réforme, vous allez priver le premier du bénéfice d'une véritable retraite.
En réalité, vous voulez revenir à une conception ancienne qui faisait de la retraite une période de fin de vie et non un troisième moment de la vie, une période à vivre pleinement. C'est une conception totalement rétrograde et en tout point conforme au libéralisme que vous entendez mettre en oeuvre partout. Tel est le sens de notre amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, pour présenter l'amendement n° 893.
Mme Gisèle Printz. L'allongement de la durée de cotisation à 41 ans en 2012, puis à 42 ans en 2020, touchera plus particulièrement les femmes, premières victimes de la réforme. Faut-il rappeler que le taux de chômage des femmes reste nettement supérieur à celui des hommes, et que, d'après le dernier rapport sur la parité de l'INSEE, le salaire des femmes est, au niveau médian, seulement égal à 87 % de celui des hommes ?
La moitié des mères de famille qui travaillent bénéficient d'un temps partiel. L'enjeu de la réforme des retraites aurait été de se demander ce qu'il adviendra de leur retraite, d'autant que ces femmes sont souvent chef de famille.
Cette question est tout à fait centrale ; elle vaut pour le public comme pour le privé. Souvent, les périodes de chômage, de temps partiel, ne suffisent pas à valider des trimestres. Or la difficulté la plus importante pour ces femmes est d'entrer sur le marché du travail et, pour beaucoup de femmes immigrées, d'obtenir un emploi déclaré. Cela s'ajoute aux périodes d'inactivité liées à l'éducation des enfants.
Pour la génération de femmes actuellement à la retraite ou qui feront valoir leurs droits prochainement, la moyenne est de 30 annuités, et ce alors même qu'elles ont tendance à prendre leur retraite plus tard que les hommes.
L'Observatoire des retraites révèle qu'en 2000 quelque 62 % des femmes percevaient une pension inférieure à 760 euros par mois, contre 25 % des hommes. A l'inverse, 27 % des hommes disposaient d'une pension supérieure à 1500 euros, contre seulement 7 % des femmes.
Malheureusement, les disparités des pensions entre les hommes et les femmes, qui découlent directement des différences de salaire et de traitement au cours de leur carrière, ne sont pas du tout prises en compte dans la réforme et ne tendront pas à s'amenuiser, comme essaie de nous le faire croire le Gouvernement. C'est un leurre !
Certes, on peut se demander si l'allongement de la carrière pourrait permettre aux femmes de rattraper partiellement les retards en termes de promotion et donc de salaires, ce qui leur permettrait également d'accéder à des pensions plus élevées. Malheureusement, les promotions surviennent rarement en fin de carrière.
Nous ne pouvons que dénoncer cet article 5, qui passe ouvertement outre les recommandations du Conseil d'orientation des retraites, le COR,...
M. François Fillon, ministre. C'est faux !
Mme Gisèle Printz. ... qui suggérait des mesures spécifiques destinées à atténuer les effets de l'allongement de la période de référence pour les retraites des femmes. D'ailleurs, monsieur le ministre, l'ensemble du projet de loi est absolument défavorable aux femmes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. François Fillon, ministre. C'est faux !
M. le président. L'amendement n° 891, présenté par MM. Estier et Domeizel, Mmes Printz, Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi cet article :
« La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein tient compte de la pénibilité des métiers. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement fait encore allusion à la pénibilité. Veuillez nous en excuser, mais il s'agit d'un sujet important.
Nous vous proposons, je le rappelle, de rédiger ainsi l'article 5 : « La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein tient compte de la pénibilité des métiers. »
Tout d'abord, l'article serait ainsi beaucoup plus court et beaucoup plus lisible qu'il ne l'est. Ensuite, vous gagneriez du temps puisque vous avez l'air, monsieur le président de la commission, de tenir constamment un chronomètre en main. Cela irait évidemment beaucoup plus vite ! Ce serait une méthode, d'ailleurs ! Vous pourriez voter le premier amendement rédactionnel. Ensuite, en commission mixte paritaire, vous reprendriez le texte de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire celui que vous voulez.
Je suis tout de même gentil de vous donner les moyens d'accélérer le rythme, puisque vous paraissez absolument vouloir aller vite, alors que, dans ce domaine, il faut prendre son temps. Ce texte a été élaboré dans la précipitation, sans tenir compte de l'ensemble des possibilités qui existent pour défendre les acquis sociaux.
En tout cas, votre projet de loi tend à allonger la durée de cotisation et à diminuer la plupart des retraites, ce qui constituera évidemment une source de grande injustice. C'est une réponse injuste, parce qu'elle est trop uniforme, à une question qui nécessite un traitement différencié.
La persistance de conditions de travail pénibles, l'accès plus tardif des jeunes à un premier emploi, la fin des carrières continues et linéaires jusqu'à un âge fixe de la retraite, le temps partiel, sont autant de réalités qui doivent être prises en compte pour redéfinir les contours d'une nouvelle retraite.
En outre, c'est une réforme qui n'assure pas l'avenir des retraites, car l'allongement de la durée de cotisations couvre à peine 35 % du déficit à l'horizon 2020, pour autant qu'il soit possible de prévoir à une si longue échéance.
Dans votre projet de loi, vous renvoyez la prise en compte de la pénibilité au travail pour le calcul des retraites à la négociation sociale dans un délai de trois ans ; nous en avons parlé ce matin.
Mme Nelly Olin. Et hier !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous pensons, au contraire, que la pénibilité doit être placée au centre du nouveau contrat social entre les générations.
Par ailleurs, vous maintenez un cloisonnement entre le privé et le public sur ce dossier, alors que c'est précisément sur ce point qu'il aurait dû tendre vers la convergence.
Aujourd'hui, les dispositifs de cessation d'activité liés de manière directe à la pénibilité du métier concernent seulement 1,5 % des 2 millions de salariés de plus de 55 ans dans le secteur privé.
Dans l'état actuel des rapports sociaux, si la loi ne reconnaît pas le principe de pénibilité, il ne sera pas obtenu par une négociation.
En ce qui concerne le secteur public, le bénéfice du départ anticipé répond avant tout à une logique d'appartenance à un corps : il est regardé comme un avantage lié au statut, et son application ne dépend pas de l'analyse de la pénibilité des fonctions exercées.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la question de la pénibilité risque de ne pas se traduire en avancées sociales pour de nombreux salariés.
L'enquête récente de l'IFOP, réalisée pour le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité que vous connaissez bien, monsieur le ministre, confirme l'exigence liant pénibilité au travail et retraite : 94 % des personnes interrogées sont d'accord avec la proposition selon laquelle « les salariés ayant exercé des métiers pénibles devraient avoir le droit de partir plus tôt à la retraite ».
Bon nombre de quinquagénaires ont commencé leur activité professionnelle très tôt et ont été exposés de manière durable aux contraintes imposées par le travail industriel. Mais, loin d'être révolue avec le déclin du taylorisme et de la « grande manufacture », la pénibilité au travail persiste, se diffuse, et prend aujourd'hui de nouvelles formes, liées au stress et à l'intensification des rythmes de travail, en particulier compte tenu de la manière dont le grand patronat a considéré les 35 heures. Par ailleurs, les facteurs de pénibilité se concentrent sur des groupes spécifiques de salariés, parmi lesquels figurent en première ligne les ouvriers, les employés peu qualifiés et les artisans.
La progression de l'espérance de vie est une avancée dont chacun doit pouvoir bénéficier. Il est aujourd'hui établi que les facteurs professionnels provoquent un cumul d'inégalités devant la santé et la mortalité : les personnes exerçant les métiers les plus pénibles ont l'espérance de vie sans incapacité la plus courte, mais l'espérance de vie avec incapacité la plus longue.
Pour prendre en compte la pénibilité dans les règles relatives au bénéfice de pensions, il serait souhaitable que soient définis, sur le plan national et par la loi, la démarche, le critère utilisé, les types de pénibilité ouvrant droit à un avantage particulier, la nature de cet avantage et son mode de financement.
Tel est, mes chers collègues, l'objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 892, présenté par MM. Estier, Chabroux et Vantomme, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi cet article :
« La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein tient compte des inégalités d'espérance de vie. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement tend à mettre l'accent sur le fait que la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein doit tenir compte des inégalités d'espérance de vie.
Les nombreuses études réalisées sur le sujet de l'espérance de vie montrent les inégalités importantes qui existent entre les catégories socioprofessionnelles. Vous me direz que cela a déjà été dit, mais encore faut-il que la loi en tienne le plus grand compte.
Entre un ouvrier et son directeur, les études de l'INSEE montrent une différence d'espérance de vie à 35 ans qui s'établit à 6,5 ans. Les risques de décès entre 35 et 65 ans sont deux fois plus importants chez les ouvriers que chez les cadres supérieurs.
On retrouve cette même analyse après 60 ans, où la durée de vie passée à la retraite est très nettement inférieure suivant les emplois occupés tout au long de la vie. Dans de nombreuses professions, les salariés sont victimes d'une usure prématurée en raison des conditions pénibles, insalubres, dangereuses ou astreignantes. Ces conditions ont un effet important sur la santé. Il faut sans doute ajouter que plus on a les moyens, plus il est possible de se reposer, de bénéficier de vacances, de vivre dans de bonnes conditions, alors que ce n'est pas le cas, évidemment, si les revenus sont modestes.
Les assurés sociaux doivent bénéficier, au moment de leur départ en retraite, d'un traitement équitable tenant compte des inégalités d'espérance de vie. Car non seulement ils perçoivent une retraite plus faible, mais ils la touchent beaucoup moins longtemps.
La durée d'activité doit prendre en compte ces conditions au moment de la liquidation des droits à la retraite.
La réforme du Gouvernement prétend jouer uniquement sur la durée de cotisation pour financer les retraites futures. En fait, elle se traduira par une baisse du niveau des retraites, et d'abord pour ceux qui, ayant exercé des métiers pénibles, ne pourront pas réunir 42 ans de cotisations, nouvelle durée de cotisation de référence à l'horizon 2020.
En cela, la réforme proposée est un mirage, dont les salariés les plus exposés aux conditions de travail les plus difficiles feront les frais. Un autre chemin de réforme est non seulement possible, mais nécessaire, pour financer durablement et solidairement notre système de retraite.
C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter notre amendement, qui prévoit les mesures suivantes : « La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein tient compte des inégalités d'espérance de vie. »
M. Hilaire Flandre. Cela ne va pas être facile !
M. le président. L'amendement n° 896, présenté par MM. Estier, Chabroux et Courteau, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi cet article :
« La durée de cotisation tient compte de la pénibilité de l'activité professionnelle exercée et des inégalités d'espérance de vie, des temps de formation.
« La prise en compte de la pénibilité fait l'objet d'un accord collectif étendu de branche pour le régime général et de négociations avec les organisations syndicales avec chacune des fonctions publiques. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous l'aurez remarqué, nos amendements tendent à rédiger l'article, ce qui signifie que nous vous offrons une large palette de propositions.
M. Jean Chérioux. On ne vous en demande pas tant !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ces amendements sont déposés et nous ne pouvons plus en déposer d'autres ; soyez donc rassuré, mon cher collègue. (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Merci !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'amendement n° 896 présente l'avantage pour vous de constituer la synthèse des deux précédents.
M. Charles Revet. A quel moment ferez-vous la synthèse de la synthèse ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avons d'ores et déjà décidé qu'il fallait inscrire la pénibilité dans la loi, au même titre, d'ailleurs, que tout à l'heure, les inégalités devant l'espérance de vie. L'amendement n° 896 reprend ces deux idées.
M. Charles Revet. Heureusement que nos concitoyens ne sont pas là pour regarder ! Ils auraient bien du mépris pour le Parlement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement n'est pas une nouveauté, il s'agit d'une « reprise », comme on dit au théâtre, du moins lorsque les représentations peuvent avoir lieu, c'est-à-dire quand personne n'a mis en branle les intermittents du spectacle !
Je parlais des intermittents du spectacle !
M. Eric Doligé. Vous parlez de vous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui, pourquoi pas ? Ne sommes-nous pas tous des intermittents du spectacle,...
M. Hilaire Flandre. Avec vous, c'est le spectacle permanent !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... en particulier ceux qui, ici, passent leur temps à interrompre leurs collègues sans jamais prendre la parole sur le fond ? Oui, vraiment, ceux-là sont encore plus intermittents !
Je parlais donc des intermittents du spectacle, car, après tout, les problèmes sont liés. C'est que votre gouvernement a vraiment le chic, monsieur le ministre, pour faire descendre les gens dans la rue et pour mettre le feu aux poudres, qui plus est à un bien mauvais moment.
M. Claude Domeizel. Mauvais spectacle !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est également vrai pour les retraites. Continuez comme cela : plus vite nous reviendrons et mieux le peuple s'en portera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nelly Olin. Ah oui ? On a vu ce que vous étiez capables de faire pendant cinq ans !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce n'est pas sûr que le peuple s'en porte mieux !
M. Jean Chérioux. Pour les retraites, ce n'est vraiment pas certain !
M. Hilaire Flandre. C'est la synthèse des synthèses !
M. le président. L'amendement n° 890, présenté par MM. Estier, Domeizel et Krattinger, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi cet article :
« Les conditions de liquidation des droits à la retraite dans le secteur privé font l'objet d'une négociation entre les partenaires sociaux afin de tenir compte de la spécificité des différents métiers.
« Les négociations prennent en compte notamment les évolutions des conditions de travail, leurs conséquences sur la santé, les durées d'activité et d'assurance, le niveau des cotisations, la nature et le niveau des rémunérations, les temps de formation, la pénibilité des métiers, les modalités de calcul et d'évolution des pensions. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous vous proposons une autre rédaction de l'article 5.
Comme vous avez pu le constater, il est proposé de renvoyer à une négociation entre les partenaires sociaux pour la définition des conditions de liquidation des droits à la retraite.
Cette négociation doit porter sur l'ensemble des paramètres.
Le Gouvernement fait le choix d'une augmentation uniforme de la durée d'activité à 41, puis à 42 ans, voire plus si nécessaire. Plus la durée de la vie augmentera, plus il faudra, selon votre logique, monsieur le ministre, dépasser ces chiffres.
Le Gouvernement ne modifie que ce seul paramètre, négligeant ainsi une série de questions qui font la spécificité des métiers. Il fait ce choix au moment où les effets néfastes de la réforme de 1993 de M. Balladur sur le niveau des pensions se font cruellement sentir.
Il est nécessaire d'engager une négociation portant sur tous les facteurs afin d'arriver à garantir la pérennité du système de retraite par répartition.
En effet, M. le ministre des affaires sociales nous a tout à l'heure reproché de ne pas avoir augmenté le minimum vieillesse. Il feignait d'oublier ce qu'était la situation des anciens avant les élections du 10 mai 1981 : elle était déplorable ! Dès sa nomination, le gouvernement Mauroy avait pris les mesures nécessaires - et c'était beaucoup plus qu'un simple « coup de pouce » - de sorte que le sort des anciens s'en était trouvé transformé. Eh bien, ici, c'est un petit peu la même chose.
Faut-il pour autant s'en remettre à la négociation ? A l'évidence, les partenaires sociaux peuvent défendre des intérêts différents. Quant au MEDEF, le baron Seillière, dont les déclarations ont toujours le même effet sur l'auditoire, le baron Seillière, dont le porte-parole au Gouvernement est le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie... (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas admissible ! Ce sont des choses qui ne se disent pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... le baron Seillière, donc, n'a évidemment pas les mêmes intérêts que ceux qui sont représentés par les syndicats. On ne peut donc pas tout espérer de la négociation et, si elle piétine, il faut bien que le législateur intervienne.
Pour l'instant, nous vous demandons de préciser qu'il doit y avoir négociation entre les partenaires sociaux sur l'ensemble des éléments indiqués dans l'amendement n° 890.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 156 est présenté par MM. Fischer, Bret et Coquelle, Mmes David, Didier et Luc et M. Renar.
L'amendement n° 157 est présenté par Mmes Demessine, Beaufils et Beaudeau, M. Foucaud, Mme Mathon, MM. Le Cam et Biarnès.
L'amendement n° 158 est présenté par Mme Borvo, M. Muzeau, Mme Bidard-Reydet, M. Ralite, Mme Terrade et M. Loridant.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le I de cet article. »
La parole est à Mme Hélène Luc, pour présenter l'amendement n° 156.
Mme Hélène Luc. Cet amendement porte sur les termes retenus pour la rédaction du paragraphe I de l'article 5 de ce projet de loi.
Ce paragraphe illustre l'esprit dans lequel le Gouvernement a conçu sa réforme des retraites, faisant en quelque sorte peu de cas du progrès social découlant du plein exercice des droits sociaux inscrits dans notre régime de sécurité sociale.
Cela mérite donc, à notre sens, que nous y portions un certain intérêt et que s'établisse la controverse quant à son contenu.
Ce paragraphe est clair : il associe durée d'assurance et de cotisation aux régimes de retraite par répartition et durée de versement des prestations servies.
On fait un peu comme si l'ouverture des droits à la retraite se présentait comme l'utilisation d'une épargne accumulée au fil des années de cotisation, épargne dont on ferait progressivement consommation et qui s'épuiserait petit à petit, un peu comme une rente viagère, mais pas vraiment comme une rente de situation.
Cette conception assez étroite de la retraite par répartition nous force, monsieur le ministre, à rappeler à cet instant du débat une anecdote. Vous allez voir que l'on ne sait si le cynisme le dispute à l'analyse objective de la réalité. Mais cette anecdote traduit assez bien les intentions qui vous animent en réalité.
Dans les années soixante-dix, Francis Bouygues, patron du groupe du bâtiment et de travaux publics bien connu, ayant fait d'ailleurs fortune,...
M. Eric Doligé. Heureusement !
Mme Hélène Luc. ... comme les autres grands entrepreneurs de ce secteur, grâce aux commandes publiques, avait mis en place un système de retraite permettant aux salariés de son groupe, « les compagnons du Minorange », de bénéficier de départs anticipés à la retraite dès l'âge de 60 ans.
Quand on interrogeait l'intéressé sur les motivations de cette avancée sociale déterminante, qui n'aura été généralisée qu'à compter de 1982 par la gauche, sa réponse était simple : s'il accordait la retraite à 60 ans à ses salariés, c'est d'abord et avant tout parce qu'il savait que leur espérance de vie était limitée, l'âge moyen de décès des anciens maçons, terrassiers ou ouvriers du groupe étant en effet de 62 ans !
C'est un peu dans la même logique que le présent paragraphe analyse le devenir de notre régime de retraite.
Il faudrait travailler et cotiser plus longtemps parce que la période d'indemnisation aurait le mauvais goût de s'accroître, sous l'effet des progrès en matière de santé publique et des avancées permises par la mise en oeuvre des dispositifs sociaux dans leur ensemble.
Drôle de France, en effet, que cette France d'en bas qui, non contente de profiter de la baisse du temps de travail, aurait aussi le mauvais esprit de tirer pleinement parti des progrès de la médecine, de la chirurgie, progrès permis par le financement solidaire de la sécurité sociale, pour vivre plus longtemps, et plus longtemps en bonne santé !
Elle aurait, en plus, l'outrecuidance - cette France d'en bas - de ne pas vouloir cotiser plus longtemps, de ne pas vouloir se tuer à la tâche, comme si le travail ne devait pas consituer sa seule et unique raison de vivre.
Permettez-nous donc d'inviter clairement le Sénat à procéder à la suppression de ce I de l'article 5, parfaite illustration de la conception étroitement libérale qui anime le projet de loi dont nous débattons.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour défendre l'amendement n° 157.
Mme Michelle Demessine. Le I de l'article 5 lie directement la durée de versement des cotisations à l'espérance de vie, comme si l'on parlait non d'hommes et de femmes mais de critères comptables rigides, sans la moindre humanité.
Ces dispositions aboutiront inévitablement à faire travailler beaucoup plus longtemps les salariés, même au-delà de 65 ans. C'est bien le droit à la retraite à 60 ans qui est remis en cause. Quelle régression !
Les électeurs de mai et de juin 2002 n'ont pourtant pas élu la majorité parlementaire pour qu'elle prenne des décisions qui constituent de véritables reculs de société. Pourquoi, sinon, 66 % des Françaises et des Français, 71 % des salariés, selon un sondage CSA publié le 9 juin dernier, soutiendraient-ils ou auraient-ils de la sympathie pour le mouvement d'une immense ampleur qui s'est développé pendant ces dernières semaines ?
Ainsi, tout est en trompe-l'oeil dans votre projet de réforme, monsieur le ministre : des affirmations, d'un côté - maintien de la retraite par répartition et de la retraite à 60 ans -, et destruction de ces principes fondamentaux, de l'autre, au travers de la rédaction des différents articles.
Même la garantie d'un niveau de pension égal à 85 % du SMIC ne correspond à rien. Tous les travailleurs qui perçoivent moins que le salaire minimal en seront exclus, soit un sur six, et tous les autres devront travailler plus longtemps pour en bénéficier.
En outre, cette garantie n'est valable que l'année du départ du salarié : les pensions étant indexées non plus sur les salaires, mais sur les prix, elle disparaîtra les années suivantes.
Cette situation imposera de travailler plus longtemps, de payer plus, puisque M. le Premier ministre lui-même n'a pas manqué de souligner, par exemple, dans un entretien paru le 10 juin, dans La Tribune : « Des augmentations seront peut-être nécessaires dans cinq ou dix ans. » C'est bien la preuve que vous savez clairement que l'allongement de la durée du travail ne règlera pas de manière durable le financement des retraites.
Comment en serait-il autrement ? Comment expliquer que les salariés, dans notre pays, devraient accepter de travailler pendant 42 ans, voire plus, pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein, alors que beaucoup cherchent du travail, veulent le conserver ou sont usés par lui ? C'est faire preuve d'un déni de la réalité sociale.
Comment allez-vous expliquer aux salariés de plus de 50 ans qui ont été jetés à la porte de Moulinex ou Danone, à ceux qui sont menacés de l'être, comme chez Alstom ou Michelin, qu'il serait mieux pour eux de travailler plus lontemps ?
L'évolution démographique exige qu'une fraction plus importante du PIB soit consacrée aux retraites : 5 % du PIB en 1960, 12 % en 2000, et, selon le Conseil d'orientation des retraites, 18 % en 2040.
Mais, avec un produit national brut qui a doublé de 1960 à 2000, la multiplication par 4,5 du montant des retraites laissait encore un revenu disponible - 460 milliards d'euros - pour la rémunération des actifs et pour l'investissement, soit le double de celui d'aujourd'hui. Tous les experts s'accordent à dire qu'il en ira à peu près de même entre 2000 et 2040.
Tel est le sens de notre amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour défendre l'amendement n° 158.
M. Roland Muzeau. Alors que d'autres solutions étaient possibles, le Gouvernement a fait le choix de tout miser sur l'allongement de la durée de cotisation et d'obérer ainsi le débat sur la question, pourtant centrale, de la répartition des richesses qui seront produites au cours des prochaines années.
Je voudrais que l'on m'explique pourquoi ce qui a été possible dans le passé serait, demain, à l'origine d'un cataclysme.
Cela étant, nous posons cette question depuis trois jours déjà, et aucun argument ne nous a été fourni ni par la droite, ni par le ministre, le rapporteur, ou le président de la commission pour nous expliquer pourquoi ce qui a été possible ces 40 dernières années ne le serait pas au cours des 40 prochaines.
Depuis 1950, notre pays a pu dégager une part nouvelle et croissante de son PIB pour le financement des retraites pour tous.
Monsieur le ministre, pourquoi considérer que, désormais, notre économie ne pourrait supporter de consacrer aux retraites 18,5 % du revenu national, contre 12,5 % actuellement, d'ici à 2040, alors que, dans le même temps, le PIB devrait doubler, si ce n'est par pur dogmatisme ?
Votre gouvernement « fait le choix politique d'attribuer tous les futurs gains de productivité aux seuls détenteurs du capital » comme l'a justement remarqué M. Jean-Marie Hanibey, économiste, dans un point de vue publié dans un quotidien, le 26 mai dernier.
Sous couvert d'équité, vous proposez d'aligner, vers le bas, bien sûr, la durée de cotisation du public sur celle du privé.
Pour l'ensemble des Français en activité, vous programmez de surcroît tout à la fois un allongement de la durée de cotisation pour ouvrir le droit à la retraite à taux plein et une baisse du niveau des pensions, en généralisant l'indexation de ces dernières sur l'évolution des prix.
Ajoutés à l'augmentation du nombre d'annuités requises, d'autres dispositifs de ce projet de loi, en l'occurence le système de décote, les conditions de rachat des années manquantes, contribuent à dynamiter une avancée sociale majeure : la retraite à 60 ans. Comme pour les 35 heures, vous n'annulez pas la mesure, vous la contournez, vous la rendez impossible.
Comment, par conséquent, vous étonner, monsieur le ministre, qu'ait ressurgi la revendication portée par nos concitoyens ? Ils étaient deux millions à manifester régulièrement leur mécontentement dans la rue pour réclamer 37,5 annuités pour tous.
Dans le contexte économique et social que nous connaissons, marqué par un chômage de masse persistant, touchant plus particulièrement les jeunes et les « quinquas », marqué aussi par des fermetures de sites et des plans de licenciements massifs, les salariés ont compris que ce gouvernement leur proposait un marché de dupe.
Monsieur le ministre, vous pariez sur une forte diminution du chômage et sur la responsabilisation des chefs d'entreprise. C'est d'autant plus dangereux que, d'une part, votre texte ne contient aucune trace d'une quelconque mesure de nature à inverser effectivement l'attitude discriminatoire des employeurs à l'égard des salariés de plus de 50 ans, notamment, et que, d'autre part, les options retenues en matière de politique de l'emploi, donnant la priorité à l'abaissement du coût du travail et au développement du temps partiel, ne permettront pas non plus de réaliser l'objectif du plein emploi, tant quantitativement que qualitativement ; des chiffres ont été avancés tout à l'heure sur ce point.
Résultat ? Demain, les salariés bénéficieront de retraites passablement amputées, alors qu'ils auront aussi été victimes d'une augmentation des cotisations.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous n'acceptons pas l'introduction du principe de l'allongement de la durée de cotisation, qui est la clé de voûte de l'architecture de la réforme envisagée.
Dans la mesure où, en établissant le lien entre partage de l'espérance de vie, activité et retraite, et en stabilisant ce rapport deux tiers-un tiers entre la vie active et la retraite à l'horizon 2020, le I de l'article 5 institutionnalise l'augmentation quasi mécanique de la durée d'assurance ; nous vous proposons donc de le supprimer. Tel est l'objet du présent amendement.
M. le président. L'amendement n° 159, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Supprimer le premier alinéa du I de cet article. »
La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. La question centrale de la durée de cotisation appelle évidemment un certain nombre d'observations, comme nous y invite cet amendement portant sur le I de l'article 5.
Outre le fait que des dispositions diverses sont également prises pour encourager l'épargne retraite individuelle, pour faciliter le cumul emploi-retraite ou pour minorer le montant des prestations servies au titre du régime de base et des régimes complémentaires obligatoires, cette réforme des retraites accroît, pour une grande part, la durée de cotisation à l'assurance vieillesse.
Si l'on avait envie d'en rire, la présente réforme pourrait se ramener à une simple formule : puisque l'on ne peut payer des retraites sur une longue période, autant faire en sorte que les gens travaillent plus longtemps !
Ainsi, monsieur le ministre, vous souhaitez rapprocher un peu plus le jour de la fin d'activité professionnelle du dernier jour de la vie. Posons la question : pour quarante ans de cotisation, à combien d'années de versement de retraite aurait-on droit ? A vingt ans ? A vingt-cinq ans ? Ou à plus ?
Les salariés de ce pays deviendraient donc des unités de compte dont on surveillerait avec attention le lent et sûr dépérissement, jusqu'à leur disparition. Conception décidément bien étrange du devenir de notre régime de retraite par répartition qui ferait peu de cas de ce que l'on peut tout simplement appeler... la vie !
Cela étant, une telle conception ne doit pas occulter d'autres débats nécessaires sur la réalité du droit à une retraite longue et heureuse. Nous aborderons, dans la suite du débat, la question de la dépendance. Pour le moment, force est de reconnaître que les salariés ne sont pas égaux devant la mort, avec toutes les implications qu'à ce constat sur l'exercice du droit à retraite.
L'espérance de vie, qu'aujourd'hui l'on estime globalement, dans notre pays, autour de 80 ans et qui progresse d'environ un trimestre par an, est en effet fort inégale. Elle n'est pas liée de façon exclusive, comme certains s'attachent à le penser, à la persistance de pratiques telles que le tabagisme ou l'alcoolisme ; elle découle bien souvent de la pénibilité des conditions de travail subies au cours de la vie professionnelle, ou encore des limites du suivi médical dans de nombreux secteurs d'activité. Ce n'est sans doute pas par hasard que l'on vit plus longtemps lorsque l'on a été instituteur plutôt que maçon, ouvrier agricole ou fondeur, ni que l'on supporte mieux l'outrage des ans lorsque l'on a été cadre plutôt que chauffeur routier.
Ces inégalités devant la mort, donc devant l'exercice du droit à retraite, persistent encore aujourd'hui, quand bien même - et cela reste la marque d'un progrès social réel - l'espérance de vie globale s'accroît.
Quoi qu'il en soit, il est à mes yeux largement temps de revenir au principe des 150 trimestres de cotisation pour les salariés affiliés au régime général, de façon à rétablir l'égalité de traitement avec les salariés du secteur public qui fut en son temps rompue par la réforme Balladur de 1993.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous invitons à adopter l'amendement n° 159.
M. le président. L'amendement n° 201, présenté par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
« A. - Dans le premier alinéa du I de cet article, après les mots : "applicables", insérer les mots : ", en 2008, en vertu de la présente loi,".
« B. - Après les mots : "cinq ans auparavant", supprimer la fin du second alinéa du I de cet article. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Le principe posé à l'article 5 tend à faire évoluer la durée de cotisation afin, je le rappelle, de partager les gains d'espérance de vie entre le temps de travail et le temps de retraite, et j'ai déjà eu l'occasion de vous expliquer pourquoi la commission soutient l'idée d'inscrire cette règle dans la loi.
Or la rédaction proposée par le texte initial vise à calculer le ratio sur la base d'un constat effectué en 2003, année où les durées de cotisation sont différentes pour les fonctionnaires et pour les salariés du privé. La commission a estimé que cela reviendrait à entériner une inégalité entre ces deux catégories de salariés, puisque le ratio serait calculé sur la base de 150 trimestres d'assurance pour les fonctionnaires et de 160 trimestres pour les salariés du privé.
Aussi l'amendement n° 201 vise-t-il, dans son A, à préciser que la durée d'assurance ou de service prise en compte pour le calcul du ratio est celle qui résulte de l'application de la présente loi pour 2008, à savoir 160 trimestres pour tous.
Quant au B, il n'est qu'une conséquence du A. Il vise en outre à simplifier la notion de « durée moyenne de retraite », qui n'est rien d'autre que l'espérance de vie à 60 ans estimée cinq ans auparavant.
M. le président. L'amendement n° 1056, présenté par M. Franchis, Mmes Olin et Rozier, MM. Vasselle et Gournac, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du I de cet article, remplacer les mots : "à la date de publication de la présente loi" par les mots : "en 2008". »
La parole est à M. Serge Franchis.
M. Serge Franchis. Cet amendement a le même objet que celui que vient de présenter M. le rapporteur. En effet, il vise à prévoir que c'est le rapport constaté en 2008 entre les durées de cotisation pendant l'activité et la durée moyenne des retraites qui s'applique, puisque c'est seulement à partir de cette date que la durée d'assurance exigée pour bénéficier d'une retraite à taux plein variera.
M. le président. L'amendement n° 897, présenté par M. Estier, Mme Blandin, MM. Domeizel et Chabroux, Mme Printz, M. Krattinger, Mme Campion, M. Godefroy, Mmes San Vicente et Pourtaud, MM. Lagauche et Vantomme, Mme Herviaux, M. Frimat, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Mano et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« Compléter le premier alinéa du I de cet article par la phrase ainsi rédigée :
« L'allongement de la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein ne concerne pas les personnes reconnues travailleurs handicapés (COTOREP). »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Cette réforme aboutira à une régression sociale. Certes, elle est argumentée par des nécessités comptables, mais nous les contestons, parce que nous avons d'autres solutions.
Néanmoins, nous souhaitons que, même dans le cadre de la réforme, les handicapés, qui vivent la pénibilité au quotidien, ne soient pas frappés par les restrictions de droits que comporte votre texte.
Hier, monsieur le ministre, vous avez justifié la légèreté dont fait preuve votre projet de loi sur la question de la pénibilité par la difficulté à définir les métiers, voire les postes de travail les plus exposés. Je vous fournis un exemple pour lequel l'évaluation, la codification, la quantification, ont été professionnellement établies : de longue date, la Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel, la COTOREP, a répertorié les personnes concernées.
Le handicap est, hélas !, une pénibilité qui ne vous quitte pas, même si vous changez de métier. Aussisouhaitons-nous que l'allongement de la durée de cotisation ne touche pas les travailleurs handicapés. Dans ce cas précis, il n'y a pas lieu d'attendre de négociation branche par branche, ni la révision annoncée de la loi de 1975 !
M. le président. L'amendement n° 898, présenté par MM. Estier, Domeizel et Chabroux, Mme Printz, M. Krattinger, Mmes Campion et Blandin, M. Godefroy, Mmes San Vicente et Pourtaud, MM. Lagauche et Vantomme, Mme Herviaux, M. Frimat, Mme Cerisier ben-Guiga, M. Mano et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
« I. - Après le premier alinéa du I de l'article 5 est inséré l'alinéa suivant :
« Par dérogation aux dispositifs prévus dans cet article, les personnes reconnues travailleurs handicapés par la Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) bénéficient, si elles le souhaitent, d'un droit à liquidation de leur pension de retraite après 120 trimestres validés. La pension est calculée sur le taux de 80 % sur les salaires des dix meilleures années d'activité. »
« II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... Les pertes de recette pour l'Etat et pour la sécurité sociale sont compensées, à due concurrence, par une contribution sociale sur la valeur ajoutée ainsi créée :
« 1° Il est créé au chapitre VI du titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale, une section IV bis. De la contribution sociale sur la valeur ajoutée. »
« 2° Un article L. 136-7-2 est ainsi créé dans le code de la sécurité sociale :
« Art. L. 136-7-2. - Il est créé une contribution sociale sur la valeur ajoutée. L'assiette prise en considération est l'excédent brut d'exploitation (dépenses de recherche et développement incluses) avant amortissement des survaleurs. Le taux est modulé en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée, de façon à faire davantage contribuer les entreprises dont la part des salaires dans la valeur ajoutée est plus faible que la moyenne de leur branche d'activité. Il est fixé par décret, après consultation obligatoire du Conseil d'orientation des retraites.
« La contribution est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 205 du code général des impôts. Le produit de cette contribution est versé à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale sans déduction d'une retenue pour frais d'assiette et de perception. Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret.
« Les ressources des assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, décès et vieillesse) sont abondées par le produit de cette contribution. Un décret fixe les taux de répartition de ces ressources entre les différentes assurances sociales de la sécurité sociale. »
M. François Fillon, ministre. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Sur cet amendement, j'invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. L'article 40 est-il applicable, monsieur Gouteyron ?
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Oui, monsieur le président, il l'est, indiscutablement.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'amendement n° 898 n'est pas recevable.
L'amendement n° 1119, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Après le premier alinéa du I de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Pour le calcul du rapport entre la durée d'assurance ou de services et bonifications et la durée moyenne de retraite de l'année 2003, la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite est fixée à 160 trimestres. »
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. L'amendement n° 1119 vient en réponse à l'objection technique qu'a soulevée, avec beaucoup de pertinence, la commission des affaires sociales en présentant son amendement n° 201. Il permet, grâce à une rédaction qui nous paraît plus claire et plus conforme à l'esprit du texte, de donner satisfaction à la commission.
M. le président. L'amendement n° 160, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Supprimer le deuxième alinéa du I de cet article. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement vise à supprimer le second alinéa du paragraphe I de l'article 5, qui constitue, si l'on y réfléchit bien, le plus sûr moyen de remettre en cause le droit à la retraite à taux plein à l'âge de 60 ans.
En fixant à 40 annuités, soit 160 trimestres, la durée nécessaire pour jouir de ce droit, ce texte ouvre concrètement la perspective d'une remise en question, pour les générations actuellement en activité professionnelle, de ce droit au départ à la retraite la situation est bien connue aujourd'hui.
Le montant des pensions servies demeure relativement modeste, atteignant en moyenne 1 200 euros par mois. Cette moyenne est largement inférieure pour les femmes, pour qui elle se situe aux alentours de 850 euros. On sait pourquoi il en est ainsi : une part importante des retraitées ne peuvent présenter de carrière professionnelle complète, et ce pour de multiples raisons que chacun est à même d'apprécier.
Pour les générations qui vont bientôt parvenir à l'âge de la retraite, notamment pour celle de l'immédiat après-guerre, les carrières complètes vont être de plus en plus fréquentes tandis que les périodes de chômage ou d'inactivité demeureront relativement secondaires. Apparaîtra alors une tendance - c'est déjà le cas pour 850 000 salariés âgés de moins de 60 ans mais ayant atteint le nombre de trimestres ouvrant droit à la pension complète - à l'élévation relative du montant des retraites perçues.
Pour autant, depuis la réforme Balladur, ce processus est contrebalancé par les modalités de calcul du salaire de référence de la pension et par l'indexation des retraites sur les prix à la consommation, ces deux éléments permettant d'infléchir vers le bas le montant de la pension moyenne et de contenir sa progression naturelle.
Dans les années à venir, nous serons confrontés à de nouvelles données. Tout d'abord, les carrières complètes, si elles sont effectuées, le seront après une formation initiale plus longue, ce qui contraindra une part importante des salariés, tant du secteur privé que du secteur public, à prolonger - si l'on retient le principe des 160 trimestres - l'exercice d'une activité professionnelle au-delà de l'âge de 60 ans.
Cela appelle plusieurs observations. Devrions-nous nous plaindre - et l'on pourrait se poser la même question au sujet des progrès de santé publique liés à l'existence de la sécurité sociale - de l'élévation du niveau de formation initiale des jeunes, qui, parce qu'ils prolongent leurs études jusqu'au niveau du baccalauréat ou au-delà, se trouvent mieux à même de répondre aux besoins du marché du travail ? C'est pourtant l'impression qui nous est laissée ! En effet, avancer dans la voie de l'allongement de la durée de cotisation, c'est, dans la pratique, inciter les jeunes en formation scolaire ou universitaire à entrer plus vite dans la vie active au détriment de leur formation initiale, c'est leur nier la possibilité de suivre des parcours successifs de formation les conduisant, par exemple, de l'enseignement technique au bac professionnel puis au brevet de technicien supérieur. C'est également leur nier le droit de faire des études prolongées pouvant les amener soit à l'obtention d'un doctorat de sociologie, soit à la soutenance d'une thèse en sciences économiques, par exemple. C'est enfin, et surtout, établir une arithmétique mortifère entre période d'activité professionnelle et période de retraite, comme si la seconde n'était qu'un droit limité, ouvert en fonction des efforts consentis durant la première.
C'est donc sous le bénéfice de ces observations que nous vous invitons à adopter cet amendement de suppression du second alinéa du paragraphe I de l'article 5.
M. le président. L'amendement n° 34, présenté par M. Détraigne et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« Après le I de cet article, insérer un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Dès la promulgation de la loi, un groupe de travail réunissant les partenaires sociaux et les représentants des pouvoirs publics examinera les moyens d'un élargissement des sources de financement des régimes de retraite. »
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Par l'amendement n° 34, nous vous invitons à engager une réflexion sur l'avenir.
Le choc démographique qui menace notre système de retraite par répartition nécessitait qu'une réforme soit mise en oeuvre le plus rapidement possible. Après des années de quasi-immobilisme, c'est aujourd'hui ce qui est fait. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Il ne faut pas pour autant baisser la garde. En effet, la présente réforme permettra d'assurer une partie du besoin de financement de notre système de retraite, une partie non négligeable, mais une partie seulement : d'une part, le Gouvernement n'envisage pas, dans ce projet de loi, de résoudre la question du besoin de financement que nous connaîtrons dans la période de 2020 à 2040, qui sera pourtant réel et considérable ; d'autre part, la question, récurrente, du financement devra certainement être de nouveau traitée avant même l'échéance de 2020.
La présente réforme ne serait financée que si l'hypothèse optimiste d'un taux de chômage de 4,5 % se trouvait vérifiée. Or, dans l'état actuel des choses, la croissance ne semble pas au rendez-vous et le marché du travail se caractérise par une rigidité pérenne.
Dans ce contexte inquiétant, il paraît évident qu'il ne faut pas perdre de temps et que nous devons d'ores et déjà réfléchir à la manière de boucler le financement de notre système de retraite par répartition. L'option de l'allongement de la durée de cotisation qu'a choisie le Gouvernement correspond à la plus élémentaire des sagesses : non seulement l'allongement de la vie active est un excellent moyen de faire face au choc démographique, mais, de plus, il est de nature à rendre notre économie plus performante.
Cependant, ce n'est pas un remède miracle : l'allongement de la durée de cotisation n'est pas possible à l'infini. Il existe de nombreuses autres manières de financer, à l'avenir, nos retraites, et des choix sociaux d'envergure doivent être faits. Or il est naturel que les choix sociaux soient arrêtés dans le cadre de la démocratie sociale.
C'est la raison pour laquelle l'amendement n° 34 a pour objet de prévoir que, dès la promulgation de la loi, un groupe de travail réunissant les partenaires sociaux et les représentants des pouvoirs publics examinera les moyens d'élargir les sources de financement des régimes de retraite. Il est important qu'une question aussi grave soit d'abord débattue par les partenaires sociaux eux-mêmes.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 161 est présenté par MM. Fischer, Bret et Coquelle, Mmes David, Didier et Luc, M. Renar, Mme Demessine et M. Muzeau.
L'amendement n° 162 est présenté par Mmes Demessine, Beaufils et Beaudeau, M. Foucaud, Mme Mathon, MM. Le Cam et Biarnès.
L'amendement n° 163 est présenté par Mme Borvo, M. Muzeau, Mme Bidard-Reydet, M. Ralite, Mme Terrade et M. Loridant.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le II de cet article. »
La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 161.
M. Guy Fischer. Le II de l'article 5 prévoit que, préalablement à chaque ajustement de la durée de cotisation - en d'autres termes : préalablement à chaque allongement de la durée de cotisation - le Gouvernement présentera un rapport au Parlement.
L'article 5 est un article extrêmement grave puisqu'il prévoit l'augmentation continue de la durée de cotisation exigée pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein.
Nous refusons, pour notre part, une telle augmentation. Comme nous l'avons déjà dit, il existe d'autres solutions que celle qui consiste à faire travailler les salariés plus longtemps, des solutions qui sont de plus en plus soutenues par nos concitoyennes et concitoyens. Mais vous avez jusqu'ici refusé de les entendre.
Vous préférez continuer à considérer la durée du travail comme une variable d'ajustement destinée à répondre à des considérations exclusivement financières. L'humain, dans cette logique, n'a droit à aucune considération.
Le mode de calcul que vous instaurez pour prolonger la durée de travail ne tient aucun compte des disparités qui existent dans la situation des retraités, notamment au regard de l'espérance de vie : on sait que celle-ci est moins élevée pour un ouvrier que pour un cadre. Vous structurez ainsi une société qui confortera les inégalités et les difficultés de l'énorme majorité.
Prendre en compte le seul rapport entre retraités et actifs n'a d'ailleurs aucune signification, car c'est oublier les paramètres essentiels issus des mutations du travail et de la productivité. Le Conseil d'orientation des retraites ne prévoit-il pas un doublement du produit intérieur brut d'ici à 2040, soit une valeur supplémentaire de 3 000 milliards d'euros ? Sur cette immense masse financière, 18 %, soit 540 milliards d'euros, suffiraient pour la rémunération du travail et pour l'investissement, soit le double du besoin de ce que l'on constate aujourd'hui.
C'est aussi faire oublier que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises n'a cessé de baisser au fil des décennies, alors que celle des profits dans les richesses produites augmentait, de même que celle des revenus financiers.
Votre projet, monsieur le ministre, nous semble aller à contre-courant de toute évolution, de tout progrès social. L'adopter, ce serait d'ores et déjà décider que, à l'horizon de 2020, ce seraient 30 % des retraités qui atteindraient un seuil... serait-ce le seuil de pauvreté ? Sans vouloir faire de catastrophisme, il faut reconnaître que le pouvoir d'achat baisserait dans des proportions importantes.
Il ne suffira donc pas de faire apparaître certaines données dans un rapport pour régler l'avenir des retraites. Ce qu'il faut, c'est attendre, remettre l'ouvrage sur le métier, comme le demandent les Françaises et les Français, et analyser la situation financière des régimes de retraite sur la base des besoins des retraités et non à partir de paramètres financiers que l'on veut nous faire passer pour la seule vérité.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour défendre l'amendement n° 162.
Mme Michelle Demessine. L'amendement n° 162 pourrait paraître quelque peu surprenant en ce sens qu'il préconise de mettre à la disposition du Parlement, avant 2008, un rapport destiné à favoriser l'information générale des représentants de la nation sur le devenir de nos régimes de retraite. Nos amendements suivants ont d'ailleurs pour objet de modifier quelque peu le contenu de ce rapport, dont les paramètres nous paraissent d'une certaine manière insuffisants pour établir un constat équilibré de la situation de nos régimes de retraite.
Dans les faits, nous avons au moins plusieurs bonnes raisons de rejeter les attendus de ce rapport d'étape figurant au paragraphe II de l'article 5.
La première, et non la moindre, est qu'il est plus près de la clause de style, sorte de passage obligé ou de justification scientifique - ou prétendue telle - de toutes les politiques de réduction des garanties offertes aux assurés sociaux.
A quoi sert, en effet, un rapport sur la situation de l'emploi ou sur la situation financière des régimes de retraite quand il est déjà établi que le processus que nous mettons en oeuvre est un processus d'allongement de la durée d'assurance à l'horizon de 2020 et que le même processus doit être appliqué pour la période 2020-2040 ?
Examinons quelques-uns des « attendus » de ce rapport.
D'abord, on sait très bien que, parmi les objectifs de la réforme, figure le recul de l'âge moyen de cessation d'activité, ce qui signifie en particulier que l'on va dissuader les entreprises de pratiquer les ajustements traditionnels en matière de préretraite ou de retraite anticipée. Mais ce qui pourrait paraître comme un objectif positif, à savoir la prise en compte de la qualité du travail accompli par ceux que l'on appelle les seniors, est plutôt considéré comme une source d'économies pour l'Etat et pour l'assurance vieillesse, et, accessoirement, comme un moyen d'augmenter les recettes.
Ensuite, nous pensons que faire apparaître dans le rapport l'évolution de la situation financière des régimes de retraite a avant tout pour objet de légitimer toutes les politiques à venir qui viseront à réduire le montant des prestations servies à concurrence de l'équilibre des régimes de retraite.
On utilisera sans doute les difficultés de trésorerie temporaires dont nous débattons régulièrement dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale en vue d'autoriser des levées de ressources extrabudgétaires pour justifier, en dernière instance, de nouvelles réductions des garanties collectives offertes aux salariés.
Ainsi, rien n'empêchera demain qu'au motif de réduire les déficits publics et de maîtriser les dépenses de l'Etat, les prestations servies par le régime de la fonction publique connaissent une baisse de qualité.
Dans un autre ordre d'idées, on prendra prétexte des difficultés temporaires du régime général pour remettre en question la quotité des pensions, ce qui pourrait par exemple conduire à accélérer le rythme d'accroissement du nombre de trimestres de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
Ce sont là quelques motifs qui nous font rejeter a priori le contenu du paragraphe II de l'article 5 dont on sent confusément qu'il ne vise qu'à développer une forme de pédagogie de la réduction des garanties offertes aux retraités ou aux futurs retraités de ce pays.
M. le président. La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet, pour défendre l'amendement n° 163.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Contrairement à ce que d'aucuns se plaisent à dire, les opposants à ce que l'on peut appeler le « plan Fillon » partagent l'idée qu'un statu quo n'est pas tenable si demain nous voulons assurer aux retraités des pensions décentes.
Nous divergeons cependant avec la majorité sur la philosophie même de la réforme et sur les a priori idéologiques qui font qu'aujourd'hui seules deux solutions pour accroître les recettes sont présentées : l'augmentation du montant des cotisations ou celle de leur durée.
Le grief majeur que nous faisons au texte du Gouvernement tient, comme le souligne justement l'économiste René Passet, dans un article paru dans Libération le 11 juin 2003 à ce « qu'il ignore les mutations liées au temps de travail et à la productivité » et qu'il aborde « les retraites par le petit bout de la lorgnette ».
Vous ambitionnez d'allonger le temps passé au travail. Vous imposez une augmentation de la durée de cotisation qui suppose, sauf à s'accommoder dès le départ d'une diminution des droits au moment de la retraite, que le marché de l'emploi soit beaucoup plus dynamique qu'il ne l'est aujourd'hui, mais, surtout, qu'en peu de temps, c'est-à-dire d'ici à 2008, les entreprises opèrent un changement culturel radical, à savoir qu'elles arrêtent d'exclure prématurément les salariés de plus de 50 ans.
Comprenez, mes chers collègues, que nous soyons plus que sceptiques et que nous nous interrogions sur la volonté du patronat de ne plus recourir soudainement aux préretraites, qui leur permettent, dans le cadre d'un plan social notamment, de faire payer par la collectivité le licenciement déguisé de salariés âgés.
Permettez-moi, mes chers collègues, de considérer qu'il ne suffit pas d'en appeler à « une mobilisation nationale auprès des entreprises », comme l'a fait M. le Premier ministre, pour que demain les entreprises favorisent, par leur comportement, le relèvement du taux d'activité des « quinquas », en continuant à les former ou en arrêtant les diverses pratiques d'éviction.
Le Conseil d'orientation des retraites a beaucoup insisté sur cette question, appelant de ses voeux la construction d'une grande politique nationale par l'Etat et les partenaires sociaux. Or rien dans le projet de loi, si ce n'est une mesure révisant les règles d'interdiction de cumul entre un emploi et une retraire, ne va dans ce sens.
Les propos de M. Raffarin rapportés le 10 juin dernier dans La Tribune ne sont pas non plus de nature à nous rassurer. Je ne pense pas que la dynamisation du contrat initiative-emploi pour faciliter l'embauche de chômeurs âgés soit à la hauteur des enjeux, à moins, bien sûr, que l'on ne cherche à développer des outils précaires - je pense au nouveau contrat revenu minimum d'activité, le RMA - permettant de fournir aux entreprises une main-d'oeuvre à bon marché, mais ces outils sont loin d'ouvrir des droits sociaux identiques à ceux des autres salariés à leurs bénéficiaires, qui, comme d'autres, travaillent mais sans acquérir les mêmes droits à l'assurance chômage ou à la retraite.
La situation des plus de 50 ans au regard de l'emploi est essentielle à nos yeux. Nous ne saurions toutefois nous satisfaire du traitement réservé à cette question et de la seule référence prévue dans le rapport visé à l'article 5 pour adapter aux évolutions économiques et sociales notre système d'assurance vieillesse.
C'est pourquoi nous demandons la suppression du II de l'article 5.
M. le président. L'amendement n° 202, présenté par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du II de cet article, après le mot : "Gouvernement", insérer les mots : ", sur la base des travaux du Conseil d'orientation des retraites,". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. L'article 5 prévoit dès à présent l'augmentation de la durée de cotisation qui devra avoir lieu entre 2008 et 2012. On le sait tous, cette augmentation est nécessaire tant pour préserver l'équilibre financier des régimes de retraite que pour assurer le respect de la règle prévue à l'article 5.
Il est prévu que le Gouvernement publie un rapport permettant d'éclairer la situation des régimes d'assurance vieillesse et de prévoir s'il y a lieu ou non de surseoir à l'allongement de la durée de cotisation.
Toutefois, afin que le Gouvernement ne s'« éclaire » pas lui-même, et par cohérence avec les missions du COR définies à l'article 6, cet amendement de précision prévoit que le rapport est élaboré sur la base des travaux du Conseil d'orientation des retraites.
M. Roland Muzeau. Oh ! là ! là !
M. Claude Domeizel. Heureusement que nous l'avons créé !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 164 est présenté par MM. Fischer, Bret et Coquelle, Mmes David, Didier et Luc et M. Renar.
L'amendement n° 165 est présenté par Mmes Demessine, Beaufils et Beaudeau, M. Foucaud, Mme Mathon, MM. Le Cam et Biarnès.
L'amendement n° 166 est présenté par Mme Borvo, M. Muzeau, Mme Bidard-Reydet, M. Ralite, Mme Terrade et M. Loridant.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
« Rédiger comme suit le deuxième alinéa (1°) du II de cet article :
« 1° L'évolution du taux d'activité des femmes et des hommes de plus de cinquante ans. »
La parole est à Mme Hélène Luc, pour présenter l'amendement n° 164.
Mme Hélène Luc. Cet amendement porte sur l'une des données du paragraphe II de l'article 5 du présent projet de loi, paragraphe qui prévoit explicitement que, dans les années à venir, le Gouvernement élaborera et rendra public un rapport, qui sera déposé au Parlement, sur les points suivants : l'évolution du taux d'activité des personnes de plus de 50 ans ; l'évolution de la situation financière des régimes de retraite ; l'évolution de la situation de l'emploi ; l'examen d'ensemble des paramètres de financement des régimes de retraite.
Un tel rapport pose, en tant que tel, un certain nombre de questions, dont la moindre n'est pas qu'au-delà de son intérêt proprement systémique il est susceptible d'être analysé avant même la date choisie pour sa publication.
A dire vrai, la situation des régimes de retraite n'est-elle pas par exemple déjà analysée lors de la discussion des lois de financement de la sécurité sociale ?
En fait, tout semble laisser paraître que les conclusions éventuelles dudit rapport pourront être utilisées, à l'occasion d'un nouveau débat parlementaire, pour justifier que d'autres sacrifices soient encore imposés aux salariés de ce pays et pour légitimer de nouvelles remises en cause des garanties collectives proposées aux assurés sociaux.
On pourrait ainsi, dans l'esprit du gouvernement actuel, à l'issue de la présente législature, et dans l'hypothèse d'une reconduction de la majorité parlementaire actuelle lors du renouvellement de 2007,...
M. Roland Muzeau. Ah non ! Ne parlez pas de malheur !
Mme Hélène Luc. ... même si je pense que la majorité ne sera pas réélue,...
Mme Nelly Olin. Mais vous rêvez, madame !
M. Alain Gournac. Oui, vous rêvez !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. C'est superfétatoire !
Mme Hélène Luc. ... trouver dans ce rapport la justification a priori d'une nouvelle mise en pièces de notre système solidaire de retraite par répartition.
Il n'empêche que, pour ce qui nous concerne, nous ne voyons pas d'inconvénient majeur à rechercher l'appréhension la plus complète possible du problème des retraites, quitte d'ailleurs, et c'est le sens d'un certain nombre de nos amendements, à compléter ce document de quelques éléments d'analyse un peu trop rapidement oubliés.
De manière plus spécifique, il s'agit, avec l'amendement n° 164, de poser la question du taux d'activité des personnes âgées de plus de 50 ans.
Si l'on en croit les études produites ces dernières années sur cette question, force est de constater qu'il y a aujourd'hui, aux alentours de 56 ou 57 ans, une rupture essentielle dans le processus d'activité.
Dans les faits, les salariés âgés de plus de 55 ans sont souvent d'ores et déjà sortis - dans de nombreux cas contraints et forcés - de la vie active avant même de pouvoir faire valoir leurs droits à pension.
Pour autant, les parcours sont différents selon que nous nous trouvons en présence de femmes salariées ou d'hommes salariés.
En effet, dans les tranches d'âge très fournies qui sont nées entre les années 1945 et 1953, les hommes ont le plus souvent une carrière complète, tandis que nombreuses sont les femmes qui ne disposent que de carrières partielles, le fait de travailler étant souvent intervenu après des périodes plus ou moins inactives.
De façon générale, et nous devrons en reparler le moment venu - notamment sur l'article 16, car nous n'en avons pas terminé, monsieur le président - un nombre non négligable de personnes âgées de plus de 50 ans aujourd'hui ont accompli les 40 annuités requises pour faire valoir leurs droits à pension, puisque c'est le cas de 850 000 personnes.
Que cherche donc à prouver ce point du rapport ? L'un des facteurs d'évolution de nos régimes de retraite serait-il fondé sur un accroissement du taux d'activité des plus de 50 ans, voire des plus de 60 ans ?
Nous estimons important, pour notre part, que, dans l'analyse, on fasse également le tour de la question en ce qui concerne la situation des femmes salariées, et c'est sous le bénéfice de ces observations que nous vous invitons à adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour défendre l'amendement n° 165.
Mme Michelle Demessine. Cet amendement vise à prendre en compte, dans sa globalité, mais aussi dans ses disparités, le taux d'activité des femmes et des hommes de plus de 50 ans dans le rapport qui sera élaboré à l'horizon 2008.
En effet, analyser l'activité des personnes de plus de 50 ans présuppose à la fois une étude d'ensemble du phénomène et une évaluation différenciée selon qu'il s'agit de femmes ou d'hommes tant il existe des situations spécifiques à chaque sexe.
D'une manière générale, l'accès au travail des salariés de plus de 50 ans n'est pas une sinécure dans notre pays : dépendant des lois du marché, l'emploi de ces catégories de personnes s'apparente plus à un chemin de croix qu'à une fin de carrière sans encombre, avant l'ouverture d'un droit à la retraite bien mérité.
Plus particulièrement, le cas des femmes est préoccupant, notamment au-delà de 50 ans. Les femmes paient en effet le prix d'une politique de l'emploi et de la famille qui les désavantage et les pénalise au plus haut point.
Tenter de faire croire que la situation des femmes est améliorée par ce projet de loi n'est pas raisonnable. Il suffit de se reporter aux travaux de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Malgré toute la bonne volonté de M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur, pour démontrer à quel point les femmes étaient préservées, le rapport d'information et ses recommandations n'ont pas été adoptés, et ce rejet se justifie parce que les quelques mesures qui pourraient sembler intéressantes au regard du droit des femmes se noient dans la masse des mesures qui aggraveront encore leur sort.
A cause de la réforme Balladur de 1993, les femmes retraitées perçoivent une pension moyenne de 850 euros par mois, contre 1 461 euros pour les hommes. Cet écart s'explique par des différences de traitement tout au long des carrières.
Il devient impératif, et vous en conviendriez, d'apporter une réponse claire aux besoins des salariés, notamment des femmes de plus de 50 ans, au-delà même du rapport prévu pour 2008.
Notre amendement vise donc à définir une orientation ciblée en faveur de l'emploi de cette catégorie de personnes et plus spécialement des femmes. C'est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, de l'adopter.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour défendre l'amendement n° 166.
M. Roland Muzeau. Cet amendement vise à sensibiliser le législateur à la question de l'accès inégal des femmes aux emplois supérieurs des fonctions publiques.
Nous saisissons cette occasion pour vous rappeler quelques recommandations issues du rapport annuel du comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, coordonné par M. Anicet Le Pors et paru le 25 février 2002.
Dans la perspective du comité interministériel qui s'est tenu à l'automne 2001 sur la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat avait demandé au comité de pilotage de lui proposer au printemps 2001 un certain nombre de mesures susceptibles d'être avancées ou simplement évoquées à cette occasion.
Le comité a repris à son compte certaines propositions non abouties, avancées dans des rapports antérieurs, et a rappelé l'énoncé d'initiatives ou de thèmes d'études retenus susceptibles d'avoir des débouchés à terme relativement rapproché.
Il s'agissait de développer des actions transversales pour favoriser ces recommandations en procédant notamment à la poursuite du travail entrepris concernant la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de grades ou de titres.
Il s'agissait aussi de prolonger les études déjà réalisées par une enquête de terrain portant sur la réception et l'application des plus récentes dispositions.
Il fallait aussi effectuer des comparaisons internationales, ce qui impliquait de faire un bilan des procédures déjà engagées dans chacun des pays de l'Union, de connaître les objectifs que ces pays se sont fixés et d'étudier les procédures mises en oeuvre au sein même des institutions européennes, notamment de la Commission.
Il fallait, en outre, mettre en place une veille juridique portant sur l'ensemble des questions précédemment soulevées et susciter des actions auprès de l'ONISEP, l'Office national d'information sur l'enseignement et les professions, et du Centre national de documentation pédagogique, qui va partir d'ailleurs en province,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Dans le Poitou !
Mme Hélène Luc. On se demande pourquoi...
Mme Nelly Olin. Ne vous laissez pas détourner de votre propos par les femmes, monsieur Muzeau !
M. Roland Muzeau. Je disais donc qu'il fallait mettre en place une veille juridique et susciter des actions auprès de l'ONISEP et du Centre national de documentation pédagogique afin d'améliorer l'attrait des emplois supérieurs de la fonction publique pour les femmes.
Nous nous demandons aujourd'hui de quelle manière le Gouvernement entend mettre en oeuvre les recommandations de ce rapport et quels ont été les progrès réalisés depuis un an.
Pour toutes ces raisons, nous vous engageons, mes chers collègues, à adopter cet amendement très important.
M. Alain Gournac. Eh bien non !
M. le président. L'amendement n° 174, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après le deuxième alinéa du II de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ... ° - L'évolution des durées d'assurance ou de services, des durées moyennes de bénéfice des pensions de retraites selon les branches d'activités et les niveaux socioprofessionnels. »
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Pour défendre votre projet de réforme du régime des retraites, monsieur le ministre, vous mettez en avant la constante progression de l'espérance de vie. Certes, les chiffres sont indéniables et l'on ne peut que se féliciter de ce que notre système exemplaire de protection sociale ait permis un allongement de la durée de la vie dans notre pays.
Toutefois, il est à déplorer que vous ne preniez pas en compte les cruelles inégalités dont sont victimes, à cet égard, un certain nombre de catégories socioprofessionnelles. Hélas ! nous ne sommes pas tous égaux en matière d'espérance de vie, comme l'ont déjà souligné tout à l'heure certains de mes collègues.
Comparons les conditions de travail d'une personne affectée à un emploi de service à celles d'un ouvrier du bâtiment, d'un métallurgiste ou d'un travailleur en contact permanent avec des produits dangereux : l'espérance de vie est-elle la même ? Nous savons bien que non. De nombreuses enquêtes en témoignent : l'inégalité devant la mort existe ! Je voudrais d'ailleurs, à ce propos, mettre l'accent sur la situation dramatique des travailleurs exposés à l'amiante.
L'activité professionnelle de certains salariés les soumet à des risques de contracter des maladies pouvant affecter de façon irréversible leurs fonctions vitales. Il s'agit notamment de pathologies provoquées par l'exposition au plomb ou au cadmium substances classées cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer.
Ces personnes risquent fort, si on ne leur permet pas de bénéficier d'une pension à taux plein dès l'âge de 60 ans, de ne pouvoir profiter très longtemps d'une retraite qu'elles méritent pourtant amplement. Il est donc tout à fait essentiel de mettre en place un dispositif rendant possible, dans certains cas, pour les métiers les plus pénibles et les plus dangereux, un départ à la retraite anticipé, et ce dans des conditions financières optimales.
Il nous paraît indispensable que la solidarité entre les professions vienne s'ajouter à celle qui existe déjà, dans notre société, entre les générations. Les ouvriers exerçant des métiers à risques ne doivent pas subir une double injustice sociale indigne de notre pays.
Pour cette raison, le groupe CRC demande au Sénat d'adopter l'amendement n° 174, qui tend à ce que le rapport qui sera présenté par le Gouvernement rende compte des inégalités en termes d'espérance de vie.
M. le président. L'amendement n° 175, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après le deuxième alinéa du II de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ... ° - L'évolution du nombre d'assurés en activité au moment de la liquidation de leur pension de retraite. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Par cet amendement, le groupe CRC propose que le rapport que le Gouvernement remettra au Parlement dans le courant de l'année 2008 fasse apparaître la situation professionnelle des individus au moment où ils liquident leur retraite.
La question de l'activité des personnes âgées de 50 ans à 60 ans est en effet importante au regard de la situation économique et sociale du pays. Des centaines de milliers de salariés se trouvent privés de toute activité professionnelle avant même d'avoir atteint l'âge leur ouvrant droit à pension.
Le dernier recensement général de la population indique ainsi que c'est vers l'âge de 57 ans que s'opère le basculement dans l'inactivité, pour de multiples raisons sur lesquelles nous nous voyons contraints de revenir. Eu égard à la date de réalisation de ce recensement, ce sont donc les personnes nées entre 1939 et 1944 qui sont ici concernées.
Plusieurs facteurs ont pu jouer, mais c'est fondamentalement la gestion des entreprises de ce pays qui est à la source de ce phénomène assez général.
En effet, combien de salariés âgés ont été victimes de plans sociaux, de restructurations ayant conduit à des centaines de milliers de suppressions d'emplois, leur cas relevant dès lors du Fonds national de l'emploi ou des différentes formules de préretraite progressive, desquelles traite notamment le présent projet de loi.
Ces dernières années, plusieurs débats parlementaires ont d'ailleurs porté sur ce sujet. Ils ont débouché, en particulier, sur l'instauration d'une aide spécifique au profit des anciens combattants en Afrique du Nord n'ayant pas encore atteint l'âge requis pour partir à la retraite et se trouvant sans emploi à la suite d'un licenciement.
D'une manière générale, au nombre des facteurs amenant les salariés âgés à quitter prématurément la vie professionnelle figurent les maladies professionnelles avérées et les conséquences handicapantes d'accidents du travail d'une certaine gravité, causes sur lesquelles on ne peut qu'insister.
Il nous semble donc essentiel de s'interroger sur le taux d'activité des personnes demandant à faire valoir leurs droits à pension. Tel est l'objet du présent amendement, qui tend à intégrer au contenu du rapport que devra déposer le Gouvernement une analyse de la réalité de ce taux au moment de la liquidation des retraites des personnes concernées.
Nous pensons, in fine, que nous devrons aborder une question essentielle, celle de la transmission des savoir-faire détenus par les salariés âgés. Cela devrait nous inciter à définir, à l'avenir, des formes originales de cessation d'activité pour cette catégorie de salariés.
Sous le bénéfice de ces observations, nous invitons le Sénat à adopter cet amendement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 173, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le quatrième alinéa (3°) du II de cet article :
« 3°. _ L'évolution de la situation de l'emploi, en général, des formes particulières d'emploi (contrats à durée déterminée, temps partiel) et son incidence notamment sur les jeunes, les femmes, les travailleurs handicapés. »
La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. La question du financement et du devenir de notre régime de retraite par répartition est liée, comme nous l'avons déjà souligné à de nombreuses reprises, à celle de l'emploi.
La situation comptable des organismes de protection sociale s'est d'ailleurs améliorée ces dernières années, parallèlement à l'augmentation du volume des créations d'emplois au cours de la période 1998-2000 et à l'accroissement des recettes traditionnelles de la protection sociale.
Si l'on pose comme postulat que les salaires sont l'élément de référence pour l'évaluation et le calcul des cotisations de retraite, un bon niveau des salaires constitue le meilleur outil de financement de notre système d'assurance vieillesse. Or les dernières années ont été marquées par le développement des formes précaires ou précarisées du travail, dans des proportions qui ont miné et minent encore le socle de la solidarité intergénérationnelle. Il est donc évident, notamment lorsque l'on veut s'interroger sur l'avenir du taux d'activité des personnes âgées de plus de 50 ans, que l'on doit intégrer aussi la dimension du travail à temps partiel dans l'analyse du devenir de nos régimes de retraite par répartition.
C'est pourquoi nous proposons, par notre amendement, que le volet relatif à l'évolution de la situation de l'emploi du rapport du Gouvernement puisse permettre d'identifier la situation des jeunes, des femmes et des travailleurs handicapés, qui est souvent précaire.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.