3. La péréquation des réductions de crédits
Un
nouveau débat se fait jour en matière de
péréquation :
faut-il considérer comme de la
péréquation des mesures destinées à dispenser de
réduction de crédits les collectivités locales
défavorisées
?
Les trois exemples suivants, la réforme de la dotation globale
d'équipement (DGE), la modulation des baisses de dotation de
compensation de la taxe professionnelle (DCTP) et la réduction
progressive du montant des compensations d'exonération fiscale
versées aux collectivités locales, ont en commun de
procéder à une réduction du montant d'un concours de
l'Etat aux collectivités locales.
Dans les trois cas, la baisse n'a pas été appliquée
uniformément à l'ensemble des collectivités. Les
collectivités " défavorisées " ont
été épargnées, l'ensemble de l'effort étant
supporté par les collectivités " riches ".
a) La réforme de la DGE
La
dotation globale d'équipement (DGE) a été
créée par l'article 103 de la loi du 2 mars 1982 afin de se
substituer progressivement aux subventions spécifiques.
Après plusieurs modifications, le régime de la DGE fonctionnait
en 1995 à partir d'une division en deux " parts ". La
première part constituait la dotation "globale " proprement dite et
ses crédits étaient répartis entre les communes de plus de
10.000 habitants en fonction d'un taux de concours forfaitaire. La
deuxième part, réservée aux petites communes et aux
petites structures intercommunales, constituait une entorse au principe de la
globalisation. Ses crédits étaient attribués par une
commission en fonction de la nature des projets.
La loi de finances pour 1996 a considéré qu'il convenait, dans le
cadre de la péréquation, de concentrer les crédits de la
DGE sur l'équipement des très petites communes et structures
intercommunales (moins de 2.000 habitants) et sur les communes et
structures intercommunales de taille moyenne mais dont le potentiel fiscal est
faible (moins de 20.000 habitants avec un potentiel fiscal inférieur
à 1,3 fois la moyenne nationale).
En réalité, cette opération était
destinée à réaliser des économies
budgétaires puisque la réforme de la DGE ne s'est pas traduite
par un accroissement de l'effort en faveur des communes les moins
favorisées mais par la suppression des crédits
antérieurement consacrés aux communes de plus de 10.000
habitants.
En 1996, les derniers crédits de la première part de la DGE
s'élevaient à 821 millions de francs et ceux de la
deuxième part à 2.199 millions de francs, soit un total de 3.020
millions de francs. L'année suivante, le total de la DGE des communes
n'était plus que de 2.404 millions de francs. Sur les 821 millions de
francs de l'ancienne première part, seuls 205 millions de francs ont
été réorientés vers les communes
défavorisées.
Prévue à l'origine pour améliorer la
péréquation, la réforme de la DGE des communes en 1996 a
permis à l'Etat de réaliser 616 millions de francs
d'économies au détriment des communes.
b) La modulation des baisses de DCTP
Depuis
que les dotations de l'Etat aux collectivités locales sont inscrites
dans le cadre plus vaste de l' " enveloppe normée ", la
dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) joue le rôle
de
variable d'ajustement
de cette enveloppe. Si les dotations autres que
la DCTP qui composent l'enveloppe augmentent plus vite que cette
dernière, son montant diminue. Ainsi, depuis 1996, le montant de la DCTP
a diminué d'un tiers, passant de 17,6 milliards de francs en 1996
à 11,8 milliards de francs en 2000.
Le contrat de croissance et de solidarité, qui s'applique de 1999
à 2001 en vertu des dispositions de l'article 57 de la loi de finances
pour 1999, prévoit que les baisses de DCTP enregistrées par les
communes éligibles à la DSU et à la DSR, par les
départements éligibles à la dotation de fonctionnement
minimale (DFM) et par les régions éligibles au fonds de
correction des déséquilibres régionaux (FCDR) sont
limitées à 50 % de la baisse théorique.
Cette disposition ne constitue pas un " cadeau " de l'Etat aux
collectivités défavorisées. Son coût est nul pour
l'Etat puisque la limitation des baisses de certaines collectivités se
traduit par une augmentation des baisses supportées par les autres
collectivités. Ainsi, en 1999, le montant total de la DCTP a
baissé d'environ 16% mais, en raison de l'exonération de
50 % de la baisse des collectivités défavorisées, les
collectivités " non exonérées " ont
accusé une baisse de près de 25 %.
Si le principe des réductions de DCTP peut être jugé
contestable, il n'en demeure pas moins que le choix d'alléger le poids
des baisses supportées par certains par une aggravation des baisses
subies par d'autres s'inscrit incontestablement dans une logique de
péréquation
248(
*
)
. Les collectivités
" riches " assument l'effort dont sont dispensées les
collectivités " défavorisées ".
En revanche, le caractère péréquateur du
" deuxième volet " des exonérations de baisse de DCTP
est plus discutable. Les lois de finances pour 1999 et pour 2000
prévoient que les communes éligibles à la DSU et à
la DSR " bourgs-centres ", les communes éligibles à la
DSR " péréquation " dont le potentiel fiscal est
inférieur à 90 % de la moyenne de leur strate et les
groupements dont une ou plusieurs communes membres sont éligibles
à la DSU ou à la DSR " bourgs-centres " sont
remboursées par le fonds national de péréquation de la
taxe professionnelle (FNPTP) de leur baisse de DCTP, ce qui, pour les communes
au moins
249(
*
)
, revient
à les exonérer totalement de baisse. Le coût de la prise en
charge par le FNPTP des exonérations de baisse de DCTP réduit le
montant des crédits disponibles pour financer le reste des missions du
FNPTP, et en particulier le montant des crédits transférés
par le fonds au fonds national de péréquation (FNP).
En conséquence, l'exonération totale de baisse de DCTP des
communes éligibles à la DSU et à la DSR a
été réalisée par un prélèvement sur
les ressources du FNP, principal instrument de péréquation en
faveur des petites communes.
c) Les compensations d'exonérations fiscales sont-elles péréquatrices ?
En 2000,
l'Etat consacre
68,7 milliards de francs
250(
*
)
à la compensation aux
collectivités locales d'exonérations fiscales
décidées par des dispositions législatives. Lorsque la
part " salaires " de la taxe professionnelle aura totalement disparu,
en 2004, les compensations devraient représenter
plus de 100
milliards de francs.
Le montant des compensations versées par l'Etat aux collectivités
locales, à la différence des dégrèvements,
n'évolue pas comme les bases et les taux des impôts locaux. Les
compensations ne sont plus des ressources fiscales. Elles évoluent en
fonction de deux types d'indexation, soit une indexation qui prend en compte
l'évolution réelle des bases en gelant le taux à la date
d'entrée en vigueur de l'exonération, soit en indexant le montant
exonéré à la date d'entrée en vigueur de la mesure
sur le taux d'évolution de la DGF. Avec le temps,
le montant des
compensations devient donc totalement déconnecté de la
réalité des bases et des taux des collectivités
.
Les compensations ainsi calculées sont fréquemment
évoquées dans les débats relatifs à la
péréquation, qu'elles soient assimilés à des
dispositifs péréquateurs, ou qu'elles soient
considérées comme ayant vocation à financer la
péréquation :
- les compensations, indexées sur la DGF, sont présentées
comme péréquatrices car, si elles privent les
collectivités locales du produit qui aurait résulté
d'éventuelles augmentations des bases ou des taux, elles garantissent
aux collectivités dont les bases diminuent un certain niveau de
ressources. Cette argumentation a été utilisée par le
ministre de l'économie et des finances lors de la discussion des
dispositions du projet de loi de finances pour 1999 relatives aux
modalités de compensation de la part " salaires " de la taxe
professionnelle ;
- les compensations sont parfois évoquées comme ayant vocation
à financer la péréquation car, compte tenu de la
déconnexion entre leur montant et les bases des collectivités,
leur fondement originel et, partant, leur légitimité tendent
à disparaître peu à peu. L'expérience de la DCTP
montre qu'il est possible de détourner des compensations de leur objet
initial pour financer d'autres priorités. De même, l'article 44 de
la loi de finances pour 1999 prévoit que, à compter de 2004, la
compensation de la suppression de la part " salaires " de la taxe
professionnelle disparaîtra et les crédits correspondant seront
intégrés à la DGF.
Le rapport " La France de l'an 2000 " remis au Premier ministre en
1994 appelait d'ailleurs à "
regrouper l'ensemble des
compensations dans un fonds de péréquation à vocation
nationale
".
Les compensations et leur mode de calcul constituent surtout un moyen pour
l'Etat de réduire le coût budgétaire des
exonérations qu'il décide.
L'indexation sur la dotation
globale de fonctionnement permet de ne prendre en compte ni l'évolution
des bases, ni celle des taux, et de faire évoluer les montants en
fonction du taux d'évolution de la DGF, qui est la plupart du temps
inférieur
251(
*
)
.
En outre, le montant des compensations versées fait l'objet de
réfactions en fonction de l'évolution du produit de l'impôt
concerné, ou de du produit " quatre taxes ", qui continue
à être perçu par la collectivité. Par
conséquent,
plus le produit perçu augmente, plus le montant de
la compensation diminue
. Ces dispositifs de réfactions,
inventés entre 1992 et 1994, lorsqu'il fallait à tout prix
réduire les dépenses de l'Etat, ne doivent pas être
considérés comme péréquateurs car les pertes des
collectivités les plus riches ne se traduisent pas par une augmentation
des ressources des plus défavorisés. Ils entraînent donc
une
perte nette de ressources pour les collectivités locales.