B. PROMOUVOIR UNE DOUBLE EXIGENCE D'EFFICACITÉ ET DE SIMPLIFICATION

La montée en puissance de l'intercommunalité de projet, favorisant l'émergence de territoires de projet, redessinera le paysage institutionnel et modifiera sans doute les relations entre les différents niveaux de collectivités, sans que l'on puisse encore apprécier avec certitude la nature et l'ampleur de ces évolutions à venir. Les développements ci-dessus ont démontré que cette nouvelle donnée pouvait se concilier avec l'existence des communes, dont le rôle demeure essentiel dans la gestion de proximité.

Privilégiant une démarche pragmatique , votre mission d'information a par ailleurs écarté toute idée d'un  " grand soir " de la carte territoriale qui aboutirait à supprimer tel ou tel niveau d'administration locale.

Chaque niveau de collectivité a sa légitimité ancrée dans l'histoire administrative et la réalité des territoires. En dehors de la région créée par la loi, l'existence des communes et des départements a été consacrée par la Constitution (article 72).

L'analyse menée dans la première partie du présent rapport sur les systèmes institutionnels des Etats voisins a, par ailleurs, mis en évidence que le nombre de niveaux d'administration locale ne constituait pas une véritable originalité du système français.

Si une originalité de notre organisation locale existe, elle réside essentiellement dans le nombre de communes. Or le développement de l'intercommunalité a précisément pour objet de pallier les inconvénients de l'émiettement communal.

Pour autant une exigence de clarté s'impose à l'action publique vis à vis des citoyens et des contribuables. Elle implique de rechercher les voies d'une organisation territoriale la plus rationnelle en privilégiant l'efficacité et la simplification.

1. L'exigence d'efficacité

a) Une identification claire des missions respectives des différents niveaux

La complémentarité des différents niveaux passe tout d'abord par une identification claire de leurs missions respectives. En s'appuyant sur les vocations dominantes de chaque niveau d'administration locale et en leur transférant des blocs de compétences les lois de 1983 avaient d'ailleurs obéi à cette logique.

Si, comme on l'a vu, la logique des blocs de compétences n'a pu être mise en oeuvre avec toute la rigueur souhaitable, il n'en demeure pas moins que chacun des niveaux a su identifier assez clairement ses missions essentielles . Cette évolution n'a pu qu'être encouragée par un contexte économique difficile qui s'est traduit par une progression plus limitée des ressources locales, obligeant ces dernières à des arbitrages entre leurs différentes actions. Elle doit être confirmée et approfondie.

La mission sénatoriale sur l'aménagement du territoire avait recherché cette identification en matière d'aménagement du territoire en considérant que la région devait être le chef de file de la programmation et de la coordination interdépartementale, jouant à ce titre un rôle privilégié pour la mise en place de grandes infrastructures et l'action économique, tandis que le département devait être le chef de file du développement rural 335( * ) .

• Le département doit demeurer l'échelon des solidarités sociales et territoriales. Institué sous la période révolutionnaire, organisé en collectivité territoriale par la loi du 10 août 1871, le département a su s'appuyer sur son expérience en mettant à profit les nouvelles capacités d'action que lui a conférées la décentralisation pour renforcer ses moyens et ses compétences traditionnelles. L'évolution des budgets départementaux (111,3 milliards de francs en 1983, 252,1 milliards de francs en 1999) témoigne de la place des départements dans le processus de décentralisation.

Par une mise en oeuvre efficace de ses compétences, le département a su répondre aux nouvelles attentes de la population notamment dans le domaine social, qui représente désormais près de 60% des dépenses de fonctionnement dans les budgets départementaux.

Le département est par ailleurs un espace de solidarité , non seulement par le biais de la péréquation départementale de la taxe professionnelle mais aussi par l'intermédiaire du budget départemental qui corrige certaines inégalités entre communes, en permettant notamment l'équipement des communes rurales.

Ils jouent également un rôle très efficace dans de nombreux autres domaines, par exemple celui des transports.

Certaines voix s'élèvent, par ailleurs, pour estimer que le canton n'aurait plus de signification en milieu urbain.

Telle a été la position exprimée devant votre mission d'information par M. Jean-Pierre Sueur, président de l'Association des maires de grandes villes de France, qui a suggéré de remplacer l'élection au suffrage universel des conseillers généraux par l'élection au suffrage universel de l'assemblée intercommunale, laquelle désignerait des représentants au conseil général.

Votre mission relève que cette question trouvera probablement sa place dans le cadre du débat sur les régimes électoraux.

Elle entend néanmoins affirmer son attachement à une représentation effective des territoires et à la préservation du lien de proximité entre les conseillers généraux et les électeurs.

• Collectivité territoriale plus jeune, la région a une vocation plus orientée vers l'impulsion et la coordination en matière d'aménagement du territoire et de développement économique.

Les différents textes généraux applicables aux régions ont confirmé cette vocation. Dès la loi du 5 juillet 1972 qui, leur reconnaissant la personnalité morale, les a érigées en établissements publics, les compétences régionales ont été spécialisées dans le domaine économique et social.

Tout en leur étendant la " clause générale " de compétence ( article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales), les lois de décentralisation ont néanmoins confirmé cette vocation particulière.

L'article L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales précise que la région " a pour mission, dans le respect des attributions des départements et des communes et, le cas échéant, en collaboration avec ces collectivités et avec l'Etat, de contribuer au développement économique, social et culturel de la région (...) ". On retrouve cette même vocation dans la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, dans la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ou encore dans la loi d'orientation du 4 février 1995 qui a prévu l'élaboration d'un schéma régional d'aménagement et de développement du territoire ainsi que la création, dans chaque région, d'une conférence régionale qui est un cadre pour la concertation des différents partenaires.

L'affirmation de cette vocation spécifique peut passer par certaines précisions concernant les compétences régionales . Telle a été la démarche du législateur qui a confié aux régions la responsabilité d'élaborer un schéma régional en matière de tourisme (loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992), ainsi que de nouvelles compétences en matière de formation professionnelle (loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993) et, sur la demande de la région intéressée, de traitement de déchets industriels (loi n° 95-101 du 2 février 1995). En outre, la loi d'orientation du 4 février 1995 (article 67) a permis une expérimentation de la régionalisation des réseaux ferroviaires d'intérêt local. Le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains prévoit de transférer à l'ensemble des régions, le 1 er janvier 2002, les compétences que l'Etat détient en qualité d'autorité organisatrice des transports ferroviaires de voyageurs d'intérêt régional.

L'i mpact de ces transferts de compétences sur les budgets régionaux ne doit cependant pas être sous-estimé. Ces budgets s'élèvent à quelque 86 milliards de francs en 1999. Cette même année, les dépenses totales pour la formation professionnelle continue et l'apprentissage ont progressé à un rythme élevé (+6,2%). De même l'expérimentation - qui a concerné 7 régions - en matière ferroviaire a pesé sur les budgets tant en investissement qu'en fonctionnement.

La réforme du mode de scrutin régional et la mise en place
d'une procédure d'adoption sans vote du budget régional

Le mode de scrutin mis en place par la loi n° 85-692 du 10 juillet 1985 (scrutin de liste à un seul tour, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne) n'a pas permis l'émergence de majorité stables dans toutes les régions.

En 1986, quatorze présidents de conseils régionaux (sur 22 en métropole) avaient pu être élus au premier tour, en bénéficiant d'une majorité absolue de suffrages.

En 1992, deux présidents de conseils régionaux seulement ont été élus à la majorité absolue et quatre régions bénéficiaient d'une majorité homogène (Auvergne, Basse-Normandie, Franche-Comté et Pays-de-Loire). Les autres conseils régionaux ont été contraints de rechercher des majorités à partir d'accords avec un ou plusieurs groupes charnières très minoritaires, ces derniers jouant ainsi un rôle d'arbitre et exerçant une fonction-clé sans rapport avec leur représentativité réelle.

A l'issue des élections régionales de 1998, trois conseils régionaux seulement disposent d'une majorité absolue (Basse-Normandie, Limousin et Pays-de-Loire), ce qui ne signifie pas que les dix-neuf autres assemblées régionales soient en situation de blocage.

L'adoption sans vote du budget régional

L'absence de majorité absolue n'a pas toujours empêché les conseils régionaux de fonctionner. Avant 1998, deux régions seulement s'étaient heurtées à une impossibilité de faire adopter leur budget (Haute-Normandie en 1995 et en 1996 et Ile-de-France en 1997). Sur cent trente budgets proposés entre 1993 et 1997, trois seulement ont été rejetés, soit une proportion de 2,3 %. Cependant les difficultés s'étaient aggravées dans la période ultérieure dans plusieurs conseils régionaux. Issue de propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale, la loi du 7 mars 1998 a prévu une nouvelle procédure complexe d'adoption sans vote des budgets régionaux. Cette nouvelle procédure a eu pour objet de doter l'exécutif des moyens de surmonter les blocage s pouvant résulter de l'absence de majorité stable , lors de l'adoption du budget, acte essentiel pour la vie de chaque région. Après des premières applications qui ont suscité des controverses, ce dispositif a été renforcé et complété par la loi du 19 janvier 1999, laquelle a parallèlement réformé le mode de scrutin régional. Le Sénat avait marqué ses réserves sur une procédure - adoptée par la seule Assemblée nationale en lecture définitive - qui aboutit en pratique à un véritable dessaisissement de l'assemblée délibérante.

La réforme du mode de scrutin régional

La loi du 19 janvier 1999, adoptée en lecture définitive par l'Assemblée nationale, a modifié également le mode de scrutin régional. Elle a prévu qu'à compter du prochain renouvellement des conseils régionaux, les conseillers régionaux seront élus dans le cadre régional au scrutin de liste à deux tours. Si une liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour , il lui est attribué le quart des sièges arrondi à l'entier supérieur . Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes ( sauf celles qui n'auraient pas recueilli 3 % des suffrages exprimés) à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne.

Si aucune liste n'a obtenu la majorité absolue au premier tour, il est procédé à un deuxième tour auquel peuvent se présenter les listes ayant recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés. Les fusions de listes sont autorisées, sauf pour celles n'ayant pas obtenu au moins 3 % des suffrages exprimés . L'attribution des sièges au deuxième tour s'effectue dans les conditions décrites ci-dessus, sous réserve que la " prime majoritaire " est attribuée à la liste ayant obtenu la majorité relative.

Le Sénat avait pour sa part confirmé son attachement à l'organisation des élection régionales dans des circonscriptions départementales. Il avait fixé la prime majoritaire au tiers des sièges, afin de veiller à la constitution effective de majorités.

b) Encourager les formules de coopération interdépartementale et interrégionale

Un plus grande efficacité de l'action publique locale peut aussi passer par le développement des formules de coopération entre départements et entre régions.

Ces collectivités ont su de longue date mettre en oeuvre les coopérations nécessaires sur des sujets d'intérêt commun . Les régions ont notamment mis en place ces coopérations sous forme d'associations ou d'accords ponctuels : Conférence des régions du Sud Europe Atlantique ; Association " Grand Est " ; Association du grand Sud ; Association Axe atlantique ; l'Axe alpin ; la conférence permanente des présidents des régions du bassin parisien ; l'Association entre la Bretagne et les Pays de la Loire ; l'Association entre la région Champagne Ardennes et la région Picardie ; l'Association TGV normand ; l'Association pour la promotion de l'axe Calais-Bayonne ou encore le " Pool " agronomique de l'ouest.

Votre mission d'information souhaite que cette démarche puisse être engagée chaque fois qu'elle paraît de nature à renforcer l'efficacité de l'action publique, en assurant une plus grande synergie entre les actions entreprises par plusieurs collectivités.

Il conviendra néanmoins de tirer les conséquences de l'échec des formules institutionnelles mises en place par le législateur pour offrir un cadre juridique à ces coopérations.

La coopération interrégionale prévue par l'article L. 5611-1 du code général des collectivités territoriales, sous la forme soit de conventions interrégionales, soit d'institutions d'utilité commune, n'a jamais été mise en oeuvre.

Il n'existe pas non plus d'ententes interrégionales, au sens de l'article L. 5621-1 du code général des collectivités territoriales. Instituée par la loi d'orientation du 6 février 1992, cette formule qui a la forme d'un établissement public, n'a donc pas rencontré plus de succès que celles mises en place auparavant, en dépit de l'assouplissement de ses règles de création prévu par la loi d'orientation du 4 février 1995.

c) Vers un droit à l'expérimentation institutionnelle ?

Enfin, l'exigence d'efficacité doit conduire à s'interroger sur la reconnaissance d'un droit à l'expérimentation institutionnelle .

Cette question pose, à l'évidence, des difficultés d'ordre constitutionnel, que votre mission d'information n'a pas sous-estimées.

On sait, par exemple, que le Conseil constitutionnel a censuré le système d'assemblée unique imaginé en 1982 pour les départements d'outre-mer, en considérant que les mesures d'" adaptations " admises par l'article 73 de la Constitution pour ces départements ne sauraient avoir pour effet de leur conférer une " organisation particulière " prévue par l'article 74 pour les seuls territoires d'outre-mer ( décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982 )

Cependant, la rigidité de l'organisation institutionnelle et l'exigence d'uniformité peuvent freiner certaines évolutions qui seraient pourtant de nature à renforcer l'efficacité de l'action publique.

Dans ces conditions, votre mission d'information considère qu'il pourrait être envisagé de permettre aux collectivités locales, par une démarche volontaire, d'expérimenter des formules institutionnelles nouvelles qui en fonction des résultats de l'expérimentation pourrait, le cas échéant, être étendue ultérieurement à d'autres collectivités.

Ces formules expérimentales devraient être mises en oeuvre dans un cadre juridique précis de nature à garantir le respect du caractère unitaire et indivisible de la République.

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