B. LA CARACTÉRISTIQUE MARQUANTE DES EXPATRIÉS RÉSIDE DANS LEUR NIVEAU ÉLEVÉ DE FORMATION
L'évaluation quantitative du nombre d'expatriés
ne
prend son véritable sens que complétée par une
appréciation qualitative des catégories de personnes
concernées. L'émigration de jeunes peu qualifiés à
la recherche d'un premier emploi ou d'une expérience internationale n'a
ni la même portée, ni les mêmes conséquences que
celle de cadres, de chercheurs ou de créateurs d'entreprises
français qui s'installent à l'étranger de
préférence à la France. La qualité des personnes
concernées importe plus que l'ampleur du phénomène.
1. Une émigration de personnes qualifiées
Les communautés françaises à l'étranger sont
hétérogènes. Elles comprennent des catégories
socioprofessionnelles dont les niveaux de qualification varient du tout au
tout.
D'un côté, des jeunes non diplômés et non
qualifiés souhaitent tenter leur chance à l'étranger.
Sensibles aux stéréotypes, ils cèdent à l'appel du
mythe californien, de l'eldorado américain, à l'invite des
" cousins francophones " du Québec ou à l'attrait des
grands espaces australiens. Ces jeunes trouvent dans des séjours souvent
assez courts l'occasion d'apprendre une langue étrangère et de se
former à travers un premier emploi. Ce type d'émigration a eu
récemment tendance à s'accroître du fait de l'ampleur du
chômage des jeunes non qualifiés en France.
Mais pour l'essentiel, les communautés françaises à
l'étranger sont composées de personnes qualifiées comme
l'illustre le tableau suivant.
RÉPARTITION PAR CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE
Cadres et professions intellectuelles |
31,1 % |
Employés |
30,3 % |
Professions intermédiaires |
20,2 % |
Artisans, commerçants, chefs d'entreprises |
10,7 % |
Ouvriers |
4,6 % |
Exploitants |
0,4 % |
Actifs en recherche d'emploi |
2,5 % |
Source : Direction des français de
l'étranger.
Ministère des affaires étrangères.
Les cadres et les professions intellectuelles sont, proportionnellement, mieux
représentés parmi les expatriés qu'au sein de la
population active en France.
Cette sur-représentation s'est accentuée au cours des
dernières années. Depuis 1992, avec une croissance de
22,1 %, les cadres et les professions intellectuelles ont progressé
plus fortement que l'ensemble des Français installés à
l'étranger.
Cette progression, entre 1992 et 1998, s'est manifestée principalement
en Amérique du Nord (+38 %) et en Europe occidentale
(+ 19 %).
Le tableau ci-dessous, extrait du rapport sur l'émigration des jeunes
Français établi par la Direction des Français de
l'Etranger, confirme cette tendance. L'accélération
récente de l'expatriation dans les pays anglo-saxons résulte
avant tout d'une émigration qualifiée et
spécialisée :
Pays |
Tendance |
Caractéristiques |
Grande-Bretagne |
Un véritable engouement depuis trois ans. Les jeunes représentent une part importante de la forte croissance de la présence française. |
Une
émigration multiforme : jeunes diplômés ou non,
qualifiés ou non.
|
Etats-Unis |
Progression de la présence française. |
De plus
en plus de jeunes Français très diplômés et
qualifiés (avec des visas temporaires de longue durée).
Progression soutenue de jeunes très qualifiés âgés
de 25 à 35 ans en Californie.
|
Canada |
Progression de la présence de jeunes Français principalement au Québec. |
Des jeunes qualifiés ou diplômés du fait de la sélection opérée par le pays d'accueil. |
Singapour |
Flux migratoire régulier de jeunes. |
Exclusivement des jeunes très qualifiés (informatique, électronique, gestion). |
Source : Rapport sur l'émigration des jeunes
Français, Direction des français de l'étranger,
Ministère des Affaires Etrangères (juin 1998).
Aux Etats-Unis, l'Immigration and Naturalization Service relève une
augmentation de plus de 60 % des Français ayant obtenu un visa en
raison de leur compétences professionnelles entre 1992 à 1996. Il
s'agit de visas H, J, E ou O, c'est-à-dire de visas destinés,
selon la nomenclature en vigueur avant 1996, à des personnes
qualifiées ou hautement qualifiées (visas H : pour
professionnels ayant un niveau d'études supérieur au
diplôme de maîtrise français ; J : pour les
étudiants, chercheurs et professeurs en programme
d'échange ; E : pour créateurs d'entreprises et
O : pour personnes d'un très haut niveau dans les domaines des
sciences et de l'éducation)
28(
*
)
.
De même, note-t-on une importante augmentation des permis de travail
permanent délivrés par les autorités américaines
à des Français dans les quatre catégories suivantes :
- " travailleurs prioritaires " : personnes dotées
d'une " capacité extraordinaire " dans le domaine des
affaires, du sport, de l'éducation, des arts ou des sciences ;
ainsi que les professeurs éminents ou les chercheurs travaillant dans
une université américaine ou dans un laboratoire
américain ; enfin, certains cadres et dirigeants de
sociétés multinationales mutés aux Etats-Unis ;
- " personnes à capacité exceptionnelle ou
professionnels titulaires de diplômes de haut niveau, ou qui
possèdent des compétences exceptionnelles dans les domaines des
sciences, des arts, et des affaires " ;
- " professions libérales, professionnels qualifiés et
non qualifiés " ;
- " visas investisseur, accordés aux ressortissants
étrangers créateurs d'une entreprise avec un investissement
minimum de 500.000 dollars et l'embauche d'au moins 10 personnes ".
De ces différentes sources d'information ainsi que des auditions
auxquels le Groupe de Travail a procédé, il ressort clairement
que la principale caractéristique des nouveaux expatriés
français est leur niveau élevé de formation.
Le Groupe de Travail a rencontré aux Etats-Unis et en Angleterre des
jeunes étudiants stagiaires, des chercheurs scientifiques aguerris, des
jeunes cadres montant leur propre entreprise, des entrepreneurs ayant
immigré fortune faite, des salariés qui se sont un jour mis
à leur compte, des autodidactes ayant fui le système
français jugé trop élitiste, de jeunes
diplômés de grandes écoles qui, refusant de faire
carrière dans une grande entreprise, sont partis " faire
fortune " dans la Silicon Valley.
La plupart se répartissent en deux grandes catégories. D'une
part, les jeunes cadres diplômés de grandes écoles ou de
l'université qui commencent leur carrière à
l'étranger dans des entreprises françaises ou
étrangères, et, d'autre part, les créateurs d'entreprises
qui partent de France avec l'idée de fonder à terme leur propre
entreprise. Certains d'entre eux ont réussi en France et immigrent avec
leur patrimoine pour lancer d'autres entreprises dans un environnement qu'ils
jugent plus porteur. D'autres arrivent à l'étranger après
un échec subi en France ou simplement parce qu'ils ont le sentiment
qu'ils trouveront plus d'opportunités aux Etats-Unis ou en
Grande-Bretagne.
Les profils sont différents, mais sont loin d'être
étanches. Une grande partie des personnes rencontrées en
Angleterre ou aux Etats-Unis sont passées de la première
catégorie à la seconde. Les jeunes diplômés qui
créent dès leur arrivée à l'étranger une
entreprise sont, en effet, relativement rares, notamment aux Etats-Unis, bien
que leur nombre, comme a pu le constater le Groupe de Travail en Californie et
à Londres, tende à augmenter, en particulier dans le secteur des
nouvelles technologies. Il reste que dans la majorité des cas, les
créateurs d'entreprise connaissent déjà le pays d'accueil
pour y avoir été salariés.
2. Des jeunes diplômés qui commencent leur carrière
à l'étranger
Traditionnellement, l'expatriation était une opportunité qui se
présentait à des salariés ayant fait leurs preuves en
France. Le Groupe de Travail a constaté qu'à l'inverse,
aujourd'hui, le choix de débuter d'emblée sa carrière
professionnelle hors de France, dans des entreprises françaises ou
étrangères, était de plus en plus fréquent chez les
jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, qui
considèrent cette expérience comme un tremplin pour leur
carrière. Ce phénomène touche aussi bien les
diplômés des grandes écoles que ceux des universités
et, en particulier, les titulaires de doctorats.
Les chambres de commerce et d'industrie de Rhône-Alpes ont jugé le
phénomène assez important pour y consacrer une longue
étude fondée sur diverses enquêtes auprès des
grandes écoles d'ingénieurs et de commerce
29(
*
)
.
L'étude souligne "
qu'un nombre significatif, et en
légère progression, de jeunes diplômés des grandes
écoles débute leur carrière à
l'étranger
". Se refusant à parler d'explosion, cette
étude montre qu'il s'agit d'un flux régulier et croissant.
L'enquête " Insertion des jeunes diplômés ",
conduite chaque année par la Conférence des Grandes Ecoles
établit que pas moins de 12 % des diplômés de la
promotion 1998, actifs en 1999, travaillent à l'étranger soit
près de 2.000 diplômés.
Le Rapport de la Mission scientifique et technologique de l'Ambassade de France
à Washington sur la migration d'ingénieurs et de scientifiques
français vers les laboratoires américains relève
l'existence d'un flux croissant de doctorats et de docteurs issus des
universités françaises en direction des Etats-Unis
30(
*
)
.
Le nombres d'étudiants français dans les universités
américaines a presque doublé de 1984 à 1994, passant de
plus de 3.000 à 6.000, et situant la France en 16ème position
parmi les nations dont les étudiants poursuivent des études aux
Etats-Unis.
Le nombre de doctorats, toutes disciplines confondues, obtenus par des
Français aux Etats-Unis, est passé de 46 en 1985 à 117 en
1995. A partir de ce chiffre, on estime que le nombre de Français en
cours de doctorat aux Etats-Unis est de l'ordre de 500.
L'augmentation du nombre scientifiques expatriés est encore plus
sensible dans le cas des post-doctorants. Le nombre de post-doctorants et
chercheurs français en mission dans les universités
américaines est passé de 1810 à 2.320 entre 1990 et 1996,
plaçant la France au huitième rang en nombre de
" scholars " accueillis par les universités
américaines.
3. Des entrepreneurs qui s'expatrient pour créer leur entreprise
La création d'entreprises par des Français à
l'étranger concernait jusqu'à présent essentiellement les
filiales de grands groupes français. Il existait, certes, des exemples
de particuliers qui s'aventuraient à créer des entreprises
à l'étranger, mais le phénomène semblait
circonscrit aux secteurs de la restauration, de la croissanterie ou de la
commercialisation de produits traditionnels français.
L'expatriation d'entrepreneurs qui s'installent à l'étranger pour
créer une entreprise ou gérer des investissements dans les
secteurs des nouvelles technologies ou des finances est un
phénomène nouveau que le Groupe de Travail a pu toucher du doigt,
lors de ses missions aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Les nombreux
exemples de " start-up " françaises dans la Silicon Valley et
d'entrepreneurs expatriés qui y ont délocalisé leur
patrimoine témoignent de l'amplification et de
l'accélération du phénomène.
Les " start-up " françaises de la Silicon valley
Une première vague d'entrepreneurs français s'était
implantée en Californie dès les années 70 et 80 pour
participer à la naissance de la micro-informatique.
Le succès de certains d'entre-eux tels que Eric Benhamou,
Président directeur général de 3Com, de Jean-Louis
Gassé, ancien numéro deux d'Apple et fondateur de la
société Be.com, de Philippe Kahn, fondateur de la
société Starfish, de Pierre Lamont, associé principal du
fonds de capital risque Sequoia ou encore de Philippe Poulety, fondateur de la
société Sangstat a donné une réelle
lisibilité à la présence française dans la Silicon
Valley.
Ces cas exemplaires de réussites entrepreneuriales ont eu un fort impact
en France, tant auprès des média que dans les milieux liés
aux nouvelles technologies.
LES ENTREPRENEURS FRANÇAIS EN CALIFORNIE VU À TRAVERS QUELQUES RÉUSSITES EXEMPLAIRES
Eric
Benhamou
. Fondateur d'une start up rachetée par la compagnie
américaine d'équipements de réseaux 3Com, il reste dans
l'entreprise, il en gravit les échelons et en devient rapidement le
numéro 1. Il fait de 3Com un des grands groupes de la Silicon Valley et
est le Français occupant les responsabilités les plus hautes en
tant que responsable d'une entreprise de haute technologie aux Etats-Unis.
Jean-Louis Gassée.
Après avoir dirigé
Apple-France, dont il a fait la principale filiale internationale de la firme,
il devient le numéro 2 mondial du constructeur informatique. Il
quitte Apple et fonde Be Inc., start up typique qui développe un
système d'exploitation (OS) particulièrement performant.
Personnalité médiatique, douée d'un grand rayonnement
personnel et intellectuel, il est devenu une des " figures " de la
Silicon Valley.
Philippe Kahn.
Professeur de mathématiques dans un
collège de province en France, il invente le langage de programmation
" Pascal ". Il s'installe dans les années 70 dans la Silicon
Valley, fondant la société Borland, qui sera, pendant un temps,
la principale entreprise mondiale de logiciels. Evincé de Borland
après son rachat, à la suite des difficultés
rencontrées par la Société, il crée une nouvelle
start up, " Starfish ", qui connaît un succès rapide et
qu'il revend pour plus de 400 millions de dollars à Motorola.
Pierre Lamont.
Associé principal du fonds de capital
risque Sequoia, il est un des capital risqueurs les plus respectés de la
Silicon Valley. Entre autres exemples de réussites, il participe
à la création de Sun. Il est le doyen et la
référence du groupe des nombreux Français (Bernard
Lacroute, Jacques Vallée, Vincent Worms, Eric Archambaud,...) ayant
réussi dans le capital-risque aux Etats-Unis.
Dr. Philippe Poulety
. Il est le fondateur de Sangstat. Cette
entreprise de biotechnologie médicale symbolise la réussite d'une
start up. Cotée sur le Nasdaq, sa capitalisation boursière
dépasse 500 millions de dollars. Ayant toujours eu des
activités de recherche en France, Sangstat a récemment
racheté les activités de Biomérieux dans le domaine des
médicaments anti-rejet, devenant ainsi une entreprise
franco-américaine.
Source : La France aux Etats-Unis vue à travers quelques
réussites exemplaires, Ambassade de France aux Etats-Unis, service de
l'expansion économique, (février 1999).
Ces entrepreneurs ont bénéficié du dynamisme de la Silicon
Valley, devenue progressivement le coeur de la révolution
engendrée par les nouvelles technologies de l'information.
Les entrepreneurs rencontrés ont tous souligné qu'ils avaient
trouvé dans la Silicon Valley un dynamisme et des opportunités
qui n'existaient pas en France au moment où ils en sont partis.
Le fait est que, dans le secteur des nouvelles technologies, la Californie
donne accès à une concentration de ressources humaines,
technologiques et financières unique au monde. La Silicon Valley
accueille 20 % de l'industrie mondiale des nouvelles technologies :
elle dispose de ressources financières considérables avec
40 % du capital risque américain soit plus de 12 milliards de
francs investis chaque année dans les nouvelles technologies de
l'information.
Les jeunes entrepreneurs rencontrés soulignent qu'au-delà du
marché et des financements disponibles, la Silicon Valley se
caractérise par l'existence d'un " écosystème
entrepreneurial " où l'osmose entre le monde de la recherche et
celui de l'entreprise est presque parfaite et qui possède la
capacité d'attirer, d'accueillir et d'intégrer les
énergies et les talents du monde entier.
Ce dynamisme et l'exemple des pionniers ont incité de nombreux jeunes
diplômés à tenter leur chance en Californie. Une partie
d'entre eux sont venus avec une idée ou un projet, tous avec la
volonté de faire fortune. Certains avaient à l'esprit des
opportunités précises, d'autres voulaient simplement participer
à " l'aventure " de la Silicon Valley ou en vivre les
mythes : " milliardaires en baskets ", " entreprises
nées dans un garage ". Dans la majorité des cas, ces
ingénieurs sont arrivés comme salariés d'entreprises
françaises ou américaines, venues souvent les recruter à
la porte des Universités et des Ecoles françaises.
Leur afflux dans la Silicon Valley a permis l'émergence à San
Francisco d'un véritable milieu français des nouvelles
technologies. Des clubs plus ou moins informels réunissent à
intervalles réguliers chercheurs, entrepreneurs et ingénieurs
français. Le plus important d'entre eux, DBF, " Doing Business
in French ", créé par de jeunes entrepreneurs
français, rassemble chaque mois une centaine de personnes. On y
rencontre des entrepreneurs déjà bien implantés et des
jeunes Français qui songent à s'installer soit pour
réaliser un projet d'entreprise, soit pour profiter des nombreuses
opportunités d'embauche dans le secteur de l'informatique. D'autres
associations, telles que ISF (Ingénieurs et Scientifiques
Français), rassemblent des ingénieurs informaticiens ou des
anciens élèves de grandes écoles.
La Mission Scientifique et Technologique aux Etats-Unis organise tous les ans
un Forum pour inciter les jeunes diplômés français à
revenir en France en les mettant en contact avec des entreprises
françaises. Elle réunit chaque année à San
Francisco, plus de 300 jeunes diplômés français de la
côte ouest, dont plus d'une cinquantaine établis autour de la baie
de San Francisco et actifs dans les NTIC. La région compte
également plus d'une trentaine de coopérants du Service National
(CSN), environ 200 doctorants ou Post-Doc, concentrés principalement
dans les universités de Berkeley et Stanford.
Ces rencontres, manifestations et associations, donnent aux Français
rencontrés en Californie le sentiment d'une augmentation
régulière et rapide du nombre de Français travaillant dans
la Silicon Valley.
Les services diplomatiques français à San Francisco ont, de leur
côté, enregistré une augmentation de 30 % de la
communauté française immatriculée au cours des trois
dernières années, dans laquelle figure une part importante de
jeunes spécialistes des nouvelles technologies. Ils estiment à
40.000 le nombre total des Français installés en Californie. Ce
chiffre, contrairement à ce que la presse a laissé entendre, ne
concerne pas les créateurs d'entreprises, mais l'ensemble des
Français installés en Californie, quels que soient leur âge
et leur activité.
Le Consulat de San Francisco estime que 5 à 10.000 d'entre eux sont
actifs dans les hautes technologies. Un rapport de l'Attaché pour la
Science et la Technologie de l'Ambassade indique
31(
*
)
que les "
estimations qui
circulent parmi la communauté française convergent
approximativement vers 7.000 Français dans la baie de San
Francisco, actifs dans les domaines de l'informatique, de l'internet, de
l'électronique et des télécommunications
". Cette
estimation est cohérente avec une autre étude
réalisée pour le compte de l'Union européenne sur la
présence entrepreneuriale européenne dans la Silicon Valley, qui
considère qu'il y a 20.000 à 30.000 Européens travaillant
dans ces secteurs dans la Silicon Valley
32(
*
)
.
Un pourcentage difficile à évaluer avec précision de ces 5
à 10.000 professionnels a créé des entreprises. Le
sentiment général des personnes rencontrées, en
particulier celui des investisseurs et des avocats qui interviennent lors de la
création de ces sociétés, est qu'il doit y avoir de
l'ordre de plusieurs centaines d'entreprises fondées par des
Français dans la Silicon Valley.
Leur nombre exact est d'autant plus difficile à déterminer qu'ils
vivent parfois en marge de la législation américaine sur les
visas. Comme le note le Conseiller économique du poste d'expansion
à San Francisco "
pour certains, le montage du projet se fait alors
qu'ils sont sous le régime d'un visa de visiteur (situation
illégale), d'un visa H1 (" professionnels " engagés et
parrainés par une entreprise américaine) plus ou moins de
complaisance, ou au titre d'un statut de dirigeant d'une filiale
américaine d'une société basée en France dont
l'existence est plus ou moins réelle "
33(
*
)
.
Les entrepreneurs français installés en Angleterre
La présence des entreprises françaises au Royaume-Uni est plus
ancienne et plus massive. Elles y ont créé plus de
1.500 filiales, employant 250.000 salariés, notamment dans les
services publics. Le programme de privatisation engagé dès
l'époque de Mme Thatcher s'est traduit par une croissance des prises
d'intérêt dans ce secteur. Les entreprises françaises
maîtrisent 18 % du marché de la distribution d'eau potable au
Royaume-Uni, fournissent plus de 10 % de l'électricité du
pays, assurent 20 % du traitement des déchets et 20 % du
transport ferroviaire de passagers.
Si l'implantation de filiales d'entreprises françaises qui se sont
intéressées au marché anglais est ancienne, la croissance
du nombre d'entrepreneurs venant profiter d'une fiscalité favorable et
d'un climat propice à l'entreprise est plus récente.
Ce mouvement de délocalisations échappe aux recensements
statistiques. C'est à travers les professionnels du secteur des services
aux entreprises (avocats, banques, etc...) qui conseillent les arrivants et
facilitent leur démarche qu'on peut le mieux l'appréhender.
Des indications fournies par les professionnels que le Groupe de Travail a
rencontrés et celles recueillies par le Poste d'Expansion Economique
à Londres, il ressort que plusieurs catégories d'entrepreneurs
ont choisi de poursuivre leurs activités en Angleterre :
- les patrons de PME des secteurs traditionnels, qui délocalisent
leurs entreprises en Angleterre pour profiter d'une fiscalité plus
favorable et d'un coût du travail plus faible ;
- les entrepreneurs qui, ayant réussi, disposent d'actifs
suffisamment importants pour que la fiscalité française sur le
patrimoine les incite à partir ;
- les jeunes entrepreneurs du secteur financier et de celui des nouvelles
technologies qui sont attirés tout à la fois par l'environnement
administratif et fiscal britannique, par la proximité
géographique, par un accès plus facile au marché
américain, par l'acquisition d'une image " anglo-saxonne "
dont ils estiment qu'elle favorisera leur expansion future en Europe, et par
l'entrée sur le marché britannique, considéré comme
le laboratoire expérimental le plus avancé en Europe dans le
domaine des technologies de l'information.
La part respective de ces diverses catégories est difficile à
mesurer. Pour les PME des secteurs traditionnels, comme pour les start-up du
secteur des finances et des nouvelles technologies, les implantations au
Royaume-Uni sont souvent le prolongement d'une activité qui a
déjà démarré en France. Les entreprises ne
choisissent que dans un deuxième temps de transférer leurs
centres de décision en Angleterre.
L'organisme de promotion des investissements étrangers dans le Kent,
région avec Londres et le Sud Est de l'Angleterre vers laquelle
s'orientent volontiers les Français et où se situe Ashford,
première station de TGV après le tunnel sous la Manche,
enregistre depuis 1996 une augmentation régulière et importante
du nombre d'entreprises françaises présentes dans cette
région, qui en compterait plus de 50.
Dans le secteur des nouvelles technologies, les professionnels confirment une
croissance du nombre de dossiers de start-up françaises se créant
à Londres. Le nombre de dossiers traités par les consultants
rencontrés est très variable, mais le sentiment prévaut
qu'il y a dans ce secteur entre cent et deux cents entreprises
françaises qui s'établissent à Londres chaque
année.
Les professionnels du secteur considèrent que le phénomène
est appelé à s'accroître. Un indice des anticipations en la
matière est fourni par la propension des cabinets d'avocats britanniques
à s'installer à Paris. La stratégie du cabinet d'avocats
britannique Richards Butler est caractéristique. Ce grand cabinet
londonien, traditionnellement présent sur le marché des
entreprises britanniques installées en France, s'appuyait jusqu'ici sur
un bureau à Paris.
Il estime aujourd'hui que la France dispose, dans les activités
liées à Internet, d'une offre importante et que l'essor rapide de
la nouvelle économie au Royaume-Uni constitue pour ces
sociétés françaises une opportunité encore
insuffisamment exploitée, d'autant plus que la Grande-Bretagne est un
portail ouvert sur les marchés anglophones et constitue, de ce fait, un
premier pas dans une démarche d'internationalisation. Pour prospecter
ces entreprises, Richards Butler a choisi de faire l'acquisition d'un grand
cabinet français et de recruter un personnel francophone qui assurera la
liaison Londres/Paris pour le compte des entreprises françaises
candidates à l'internationalisation.
Les " délocalisés " de l'impôt sur la
fortune
Moins nombreux que les précédents, les entrepreneurs
installés à l'étranger pour échapper à
l'impôt sur la fortune sont une composante à ne pas
négliger de cette nouvelle émigration. Alors que les
délocalisations fiscales concernaient jusqu'à présent
essentiellement les grandes fortunes familiales, des héritiers, des
rentiers et des personnes disposant de revenus exceptionnellement
élevés dans les affaires, le spectacle ou le sport, elles
touchent aujourd'hui, de plus en plus de jeunes chefs d'entreprises innovants
ou des cadres de haut niveau qui s'installent avec leur patrimoine aux
Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Belgique ou en Suisse.
Au-delà des cas individuels rencontrés par le Groupe de Travail,
les statistiques fiables sur le sujet sont peu nombreuses et très
variables dans leurs estimations. L'Association des moyennes entreprises
patrimoniales (ASMEP) estime que ce sont entre 600 et 1.500 milliards de
francs qui ont quitté la France depuis deux ans pour des raisons
fiscales. Le Ministère de l'économie et des finances estime quant
à lui qu'"
en 1997 comme en 1998, le nombre de redevables de
l'impôt de solidarité sur la fortune étant partis à
l'étranger est de l'ordre de 350. Si sur ces deux années le
phénomène semble donc rester stable, la perte de capital par la
France peut être estimée à 13 milliards de francs et
la perte d'impôt qui en résulte représente environ
140 millions de francs par an
"
34(
*
)
.
L'étude de la Direction Générale des Impôts sur les
redevables de l'ISF délocalisés en 1998 montre que 63 % des
personnes délocalisées sont parties dans les quatre pays
suivants : 23 % pour la Suisse, 14 % pour la Belgique, 14 %
pour le Royaume-Uni et 12 % pour les Etats-Unis. Les
caractéristiques des personnes délocalisées sont
différentes selon le pays de destination. La Suisse attire 40 % des
personnes ayant plus de 60 ans, sans activité professionnelle et
ayant un patrimoine net moyen de près de 100 millions de francs
alors que les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont prisés par 37 % de
cadres ou dirigeants ayant de 20 à 40 ans, disposant d'un
patrimoine net moyen évalué à un peu moins de
30 millions de francs. La Belgique attire la même proportion de
délocalisés quelle que soit la tranche d'âge (16 %)
avec un patrimoine moyen de l'ordre de 30 millions de francs.
Cette étude permet ainsi pour la première fois de mieux cerner un
phénomène dont le ministère des finances a trop longtemps
nié l'existence. Il est manifeste, cependant, qu'elle en sous-estime
l'ampleur. L'analyse des départs des redevables de l'ISF ne permet pas,
en effet, de prendre en compte les personnes qui se délocalisent avec
leur entreprise avant d'être imposables. Comme le note le document de la
Direction générale des impôts : "
l'absence
d'information sur les patrimoines professionnels exonérés d'ISF
et la vraisemblance d'un certain nombre de départs à
l'étranger quelques années avant la cession d'activité
amènent à conclure que les données issues de la gestion de
l'impôt ne permettent pas d'appréhender toutes les dimensions du
phénomène de délocalisation. Il en va de même
dès qu'un contribuable choisit de s'expatrier pour réaliser
à l'étranger, dans un pays où la fiscalité est
plus favorable, un certain nombre d'opérations financières ou
patrimoniales. Jusqu'en 1998, il pouvait par exemple s'agir de la
réalisation de plus-values. Aujourd'hui, il est probable que certains
contribuables choisissent de quitter la France pour lever, à
l'étranger, les stock-options qui leur ont été
distribuées alors qu'ils étaient résidents
français
".
Même si cette catégorie d'expatriation ne devait concerner que
quelques centaines d'entrepreneurs par an, il s'agit d'un
phénomène tout à fait significatif. Il concerne, en effet,
des chefs d'entreprise dont la réussite témoigne de
qualités entrepreneuriales rares. Avec leur départ, la France
perd à la fois un patrimoine et un entrepreneur à fort potentiel.
Au regard de l'ensemble des données et des témoignages
recueillis, il apparaît que l'ampleur des créations d'entreprises
par des Français aux Etats-Unis et en Angleterre est, si l'on exclut les
secteurs de la restauration ou de la croissanterie, de l'ordre de plusieurs
milliers. S'il est vrai que les chiffres cités par la presse sont
surestimés, il demeure que le phénomène revêt une
ampleur qui, rapportée au nombre des créateurs d'entreprises en
France, est à la fois certaine et préoccupante. On estime, en
effet, que seulement 6 % des ingénieurs et 3 % des
diplômés des grandes écoles deviennent créateurs
d'entreprises, soit pas plus de quelques milliers
35(
*
)
. Quant aux créateurs
d'entreprises qui ont réussi au point d'accumuler des patrimoines
conséquents, ils sont moins nombreux encore, de sorte que le
départ de quelques centaines d'entre eux constitue une ponction qu'on
aurait grand tort de sous-estimer.